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Dialectique de la nature : l’exemple des virus

dimanche 20 décembre 2020, par Alex

L’actualité rend les virus, au moins l’un d’entre eux, le sujet permanent des grands media. La pandémie pourrait être l’occasion d’une grande campagne de vulgarisation scientifique. L’ADN et l’ARN sont un des signes tangibles de l’unité du vivant, donc de la théorie de l’évolution de Darwin. Mais cette pandémie étant utilisée par les Etats comme un outil de réaction politique, des millions de gens ne savent sans doute toujours pas ce qu’est un virus, malgré les centaines d’heures de palabres de « scientifiques » servant de porte-parole au pouvoir.

Or au delà des questions techniques, et de la politique sanitaire qui devrait être mise en oeuvre, les virus devraient intéresser les militants du mouvement ouvrier car ils illustrent une des lois fondamentales de la dialectique : l’unité des contraires. L’importance ce cette loi, en biologie comme en politique, est soulignée par Lénine dans son texte Sur la question de la dialectique :

Le dédoublement de l’un et la connaissance de ses parties contradictoires est le fond (une des « essences », une des particularités ou marques fondamentales, sinon la fondamentale) de la dialectique. C’est ainsi que Hegel également pose la question (...)

La justesse de cet aspect du contenu de la dialectique doit être vérifiée par l’histoire de la science. Habituellement (par exemple chez Plékhanov) on ne prête pas assez attention à cet aspect de la dialectique : l’identité des contraires est prise comme somme d’exemples [« par exemple, le grain » ; « par exemple, le communisme primitif ». Chez Engels aussi. Mais c’est « pour la vulgarisation »...] , et non comme loi de la connaissance (et loi du monde objectif). (...)

L’identité des contraires (leur « unité », dirait-on peut-être plus exactement, bien que la distinction des termes identité et unité ne soit pas ici particulièrement essentielle. En un certain sens, les deux sont justes) est la reconnaissance (la découverte) des tendances contradictoires, s’excluant mutuellement, opposées, dans tous les phénomènes et processus de la nature (dont ceux de l’esprit et de la société). La condition pour connaître tous les processus de l’univers dans leur « automouvement », dans leur développement spontané, dans leur vie vivante, est de les connaître comme unité de contraires. Le développement est « lutte » des contraires.

Les virus illustrent cette unité des contraires, sous la forme de la question : sont-ils vivants ou non ? Les deux ! répond le spécialiste Pierre Lépine, scientifique qui ne se réclame pas ouvertement de la dialectique, mais la justifie de fait en répondant : les virus sont une matière à la fois vivante et inerte.

Les quelques difficultés techniques de son texte que nous allons citer ne doivent pas empêcher de comprendre la conclusion de ce scientifique. Elles témoignent juste du fait que comme le remarque Lénine, c’est du développement de la science elle-même que résulte l’apparition de figures de la dialectique, pas d’un ajout artificiel venant de l’extérieur.

Les virus sont-ils vivants ?

Nous en savons assez maintenant sur les virus pour aborder la question de la nature intime des virus : sont-ils vivants ? Sont-ils inanimés ?

Il s’agit là d’un problème qui s’est posé dès l’origine même des travaux sur les virus. Lorsque Pasteur renonçait, après de nombreux essais, à voir le microbe de la rage, il pensait simplement qu’il avait affaire à un germe plus petit que les germes visibles au microscope. Au contraire, lorsque Beijerinck faisait franchir une paroi de porcelaine au virus infectieux de la mosaïque du tabac, il en concluait qu’il s’agissait d’un contage fluide d’une nature différente des agents infectieux jusque là reconnus.

La découverte du bactériophage divisait de même les bactériologistes entre ceux qui y voyaient, avec d’Hérelle, un germe animé, un « microbe des microbes », et ceux qui au contraire, avec Bordet et Ciuca, en faisaient un facteur inanimé de lyse [destruction] héréditairement transmissible.

Enfin la cristallisation des virus à la suite des travaux de Stanley, en raison de l’idée de matière inanimée qui, pour nous, est associée à la notion de cristallisation, apportait un fort argument aux tenants de la nature non vivante des virus et de leur origine endogène. Il a trouvé son expression dans le terme « virus protéine » qui a été à l’époque employé pour désigner les virus considérés comme des macromolécules douées du pouvoir de reproduction autocatalytique aux dépens des protéines de l’organisme hôte.

Il est indiscutable, d’autre part, qu’une tendance naturelle des microbiologistes les conduit à envisager les virus comme des organismes doués d’une spécificité autonome, et à les intégrer à ce titre dans l’échelle des êtres vivants. C’est méconnaître l’absence d’homogénéité qui existe dans l’ensemble des virus. A l’extrémité supérieure de leur échelle, nous trouvons des organismes de structure et de morphologie complexes, doués d’une apparence de noyau (nucléoïde), de protoplasme (viroplasme) et de membrane, et dont la composition chimique est très proche de celle des bactéries. A l’autre extrémité se trouvent des particules très simples, de structure relativement homogène, réductibles à des acides nucléiques qui peuvent être obtenus à l’état de grande pureté chimique sous forme cristalline sans rien perdre de leur pouvoir infectant. Comment, de ces faits en apparence contradictoires, nous faire de la nature des virus une opinion cohérente ?

En réalité, la question qui surgit lorsque l’on aborde le problème de la nature des virus est la suivante : les virus sont-ils représentatifs d’un état précellulaire, d’une ascension vers une autonomie complète d’éléments progressivement individualisés de la cellule, ou sont-ils au contraire les formes dégénérées d’organismes adaptés à une vie parasitaire, progressivement dépouillés des possibilités d’un métabolisme indépendant de celui de leur hôte ? En d’autres termes, les virus ont-ils une origine interne ou au contraire externe à la cellule ?

Dans l’hypothèse endogène, les virus sont des éléments devenus anormaux, dérivés aberrants de constituants normaux de la cellule comme les chromosomes et les mitochondries. Ils peuvent théoriquement apparaitre sans que rien les ait précédés et nous devons nécessairement admettre la possibilité de leur génération spontanée. Dans l’hypothèse exogène, ce sont des agents infectieux qui pénètrent dans les cellules par effraction et qui, si leur taille et leurs propriétés les distinguent des microbes visibles, représentent la descendance de germes semblables entre eux, reproduits au sein d’autres cellules sensibles et dont rien n’autorise à supposer la génération spontanée.

Au vrai, à l’échelle des structures polymoléculaires qui est celle des virus, la question de la vie perd la plus grande partie de son sens. Si même les virus de petite taille se comportent indiscutablement comme des agents des maladies infectieuses, notion que depuis Pasteur nous associons à celle d’être animé, leur structure rudimentaire, leur équipement enzymatique réduit, leur composition relativement simple les rapprochent des composés courants de la chimie organique. D’autre part, le concept de vie est communément confondu dans notre esprit avec celui d’êtres vivants, d’individus appartenant à une espèce zoologique ou botanique définie. En pensant à la vie, nous évoquons, consciemment ou non, un ensemble de fonctions distinctes et apparemment indissociables : activité, motricité, assimilation, respiration, croissance, reproduction, etc. Il est pourtant évident que certaines de ces fonctions ne résistent pas à l’analyse, en ce sens que la vie peut exister sans elle, telle la motricité qui manque chez la plupart des végétaux, la respiration, l’assimilation qui peuvent chez les êtres inférieurs être complètement suspendues pendant de longs mois.

Si l’on descend l’échelle des êtres organisés, on voit se réduire progressivement le nombre des fonctions indispensables à la vie, finalement limitée aux propriétés essentielles de la matière organique, doués de continuité génétique, dont se compose chaque être à l’état vivant. la frontière entre la vie et la mort devient ainsi fixée non aux limites de l’individu, ni même à celle de la cellule, mais au fossé qui doit logiquement séparer la matière organique vivante autoreproductible de la matière organique inanimée. C’est ici qu’est le noeud du problème en ce qui concerne les virus, celui par lequel ces agents infectieux se montrent parfois si proche des gènes, support matériel de l’hérédité groupés dans les chromosomes et qui comme les virus sont liés étroitement au fonctionnement de la cellule et à sa reproduction.

Vivants ou inanimés, les virus seraient donc à la fois l’un et l’autre, ou plus exactement ils seraient successivement l’un et l’autre, car il importe de souligner que leur autoreproduction avec continuité génétique ne se manifeste qu’au sein des cellules vivantes. Hors de la cellule le virus ne se distingue en rien d’un quelconque composé organique ; il ne se reproduit jamais. Dans la cellule, il ne se reproduit qu’autant que celle-ci est encore capable de synthèses. Nous avons vu que la multiplication des virus exige leur intégration au métabolisme de la cellule, cette dernière reproduisant le virus plus que le virus ne se reproduit lui-même. De telle sorte que le processus pathologique, qui dans la cellule aboutira à la réplication du virus, autant que l’oeuvre du virus l’oeuvre de la cellule elle-même. Car la différence essentielle entre le virus et la cellule repose sur le fait que cette dernière, possédant à la fois les deux acides nucléiques, ADN et ARN, indispensables au cycle de Lipmann qui permet la synthèse de la matière organique à partir des éléments et des composés inorganiques, peut assurer elle-même sa croissance et sa reproduction, alors que le virus, ne possédant qu’un seul acide nucléique, en est incapable et qu’il est par là condamné à dépendre de l’équipement enzymatique et du potentiel de synthèse d’une cellule vivante.

Mais ce faisant, rien ne prouve et rien n’indique que les virus ne soient pas d’origine exogène, c’est-à-dire que tout en perdant hors de la cellule les attributs de la matière animée, ils ne cessent pas d’être des agents infectieux bien que ne possédant pas, par eux-mêmes et de façon autonome, les fonctions de la vie.

Différents, enfin, par leur spécificité antigénique, des organites de la cellule, les virus constituent de fait une classe à part.

Résumons-nous : les virus ne sont pas des organismes complets, ils ne sont pas davantage de simples macromolécules autoreproductibles ; les virus ne sont pas des organites aberrants ni des constituants dégénérés de la cellule. Ils ont une complexité de structure, une spécificité antigénique qui leur est propre, une continuité génétique : ils se reproduisent, mais ne peuvent le faire de façon autonome sans l’intervention d’une cellule vivante. Les virus ne peuvent être rattachés à aucun autre système biologique : ils sont virus et c’est tout.

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