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Des scientifiques contre la notion d’atome

samedi 28 novembre 2020, par Robert Paris

L’époque où les plus grands scientifiques doutaient encore de l’existence de l’atome et où Mach et Ostwald combattaient l’atomisme de Boltzmann…

Les physiciens Ernst Mach, Max Planck, Henri Poincaré, les physiciens-chimistes Pierre Duhem et Marcelin Berthelot, les chimistes Wilhelm Ostwald et Jean-Baptiste Dumas, le mathématicien logicien Bertrand Russell, le philosophe Avenarius, fondateur de l’empiriocriticisme, et bien d’autres scientifiques ou philosophes figuraient parmi les opposants aux « atomes » qu’ils affirmaient être une croyance antiscientifique, affirmant notamment qu’ils n’existaient pas puisqu’on ne les verrait jamais !

Mach à Boltzmann sur les molécules : « Dites-moi, vous en avez vue une ? »

Source

Ce n’est pas spécialement aux atomes que Mach ne croyait pas mais au monde microscopique, même aux molécules, et bien sûr aux particules, et parce qu’il ne croyait qu’aux sensations humaines comme moyen de connaissance tout en affirmant que cela limitait considérablement l’objectivité de cette connaissance.

Heisenberg dans « La partie et le tout, le monde de la physique atomique » :
« On sait que Mach n’a pas cru à l’existence des atomes, dès lors qu’il pouvait objecter, à juste titre, qu’on ne pouvait pas observer ceux-ci directement. Cependant, il existe une grande quantité de phénomènes en physique et en chimie que nous pouvons espérer comprendre seulement maintenant, depuis que nous connaissons l’existence des atomes. Sur ce point, il semble bien que Mach ait été induit en erreur par son propre principe… En d’autres termes, il y a chez Mach une certaine tendance à ignorer que le monde existe réellement, et que quelque chose d’objectif est à la base de nos impressions sensorielles. »

En 1895, une chaire d’Histoire et de Philosophie des Sciences inductives est créée pour Ernst Mach, collègue physicien de Boltzmann, qui professe d’emblée des critiques acerbes des conceptions atomistes, évolutionnistes et probabilistes de Boltzmann. Après une conférence de Boltzmann à l’Académie des Sciences de Vienne, Mach déclare qu’il ne croit pas aux atomes. Mach est partisan d’un monde continu dans lequel la matière et l’énergie sont les deux faces de la réalité. Boltzmann supporte mal le travail de démolition dirigé contre lui par ses collègues. Il met toute son énergie à contrer ces théories et à affermir ses propres conceptions.

Pour Mach, Boltzmann est « le dernier pilier de l’atomisme » (Eduardo Arroyo Pérez, Boltzmann et l’entropie, Paris)

Ernst Mach :

« Ce ne sont pas les corps qui produisent les sensations, mais les complexes d’éléments (complexes de sensations) qui forment les corps. Et si le physicien considère que les corps sont une réalité permanente et ses "éléments" une apparence passagère et éphémère, c’est qu’il ne se rend pas compte que tous les corps ne sont que les symboles mentaux de complexes d’éléments (complexes de sensations). » (1)

« Ce n’est pas le "moi" qui est primaire, ce sont les éléments (...) Les éléments forment le moi ". Les éléments de la conscience d’un individu donné sont fortement reliés entre eux, mais en revanche très faiblement et seulement occasionnellement reliés à ceux d’un autre individu. C’est pourquoi chacun croit ne connaître que lui-même en tant qu’unité indivisible, indépendante de toutes les autres. » (2)

« La nature se compose d’éléments fournis par les sens. L’homme primitif saisit d’abord parmi eux certains complexes de ces éléments qui se reproduisent avec une certaine constance et qui sont pour lui les plus importants. Les premiers mots, les plus anciens sont des noms de "chose". Mais Ici on fait abstraction de l’environnement, des petites modifications que ces complexes subissent sans cesse et qui, parce que moins importantes, ne sont pas retenues. Il n’existe pas dans la nature de chose invariable. La chose est une abstraction, le nom est un symbole d’un complexe d’éléments dont nous négligeons les changements. Et si nous désignons le complexe dans son ensemble par un seul mot, par un seul symbole cela vient de ce que nous éprouvons le besoin d’éveiller d’un seul coup toutes les impressions qui se rattachent à ce complexe (...) Les sensations ne sont pas des "symboles des choses". Au contraire, la "chose" est plutôt un symbole mental pour un complexe de sensations d’une stabilité relative. Ce ne sont pas les choses ou les corps, mais les couleurs, les sons, la pression, l’espace, le temps (ce que nous appelons ordinairement les sensations) qui sont les véritables éléments du monde. Le processus tout entier a un sens d’économie. En décrivant les faits nous commençons par les complexes les plus stables, les plus habituels et les plus courants, et par la suite nous ajoutons ce qui est inhabituel comme correction. » (3)

« Toutes les expériences (...) comme les effets d’un monde extérieur sur la conscience. Il en résulte alors une confusion apparemment inextricable de difficultés métaphysiques. Mais ce spectre disparaît dès que nous considérons les choses sous leur forme mathématique et que nous nous rendons compte que n’a de valeur pour nous que l’établissement de rapports et de fonctions, et que la seule chose que nous désirons réellement connaître ce sont les relations mutuelles entre les expériences. » (4)

« lI n’y a aucune difficulté à représenter tous les événements physiques à partir des sensations, qui sont en même temps des éléments psychiques, mais il est en revanche impossible de représenter un phénomène psychique quelconque à partir des éléments en usage dans la physique moderne comme la masse ou les mouvements (...) On doit se rendre compte que rien ne peut devenir objet d’une expérience ou de la science s’il ne peut d’une manière ou d’une autre être partie de la conscience. » (5)

NOTES

(1) E. Mach, Analyse des sensations

(2) Id.

(3) E. Mach, Le développement de la mécanique

(4) E. Mach, Analyse des sensations

(5) E. Mach, Connaissance et erreur

Mach : critique de la Mécanique

Histoire de l’atomisme

Mach contre l’atome

Dumas contre l’atome

Berthelot contre l’atome

Ostwald contre l’atome

Poincaré contre l’atome

Russell contre l’atome

Marcelin Berthelot :

« Je ne veux pas voir la chimie dégénérer en religion. Je ne veux pas que l’on croie à l’existence réelle des atomes comme les chrétiens croient à la présence réelle de Jésus-Christ dans l’hostie consacrée. »
Henri Sainte-Claire Deville (1818-1881) — directeur du laboratoire de chimie de l’Ecole Normale Supérieure de 1851 a 1881 — lors de séance inaugurale à la Sorbonne : « L’hypothèse des atomes, l’abstraction de l’affinité, des forces de toute sorte que nous faisons présidera toutes les réactions des corps que nous étudions, sont de pures inventions de notre esprit, des noms que nous faisons substance,des mots auxquels nous prêtons une réalité [...]. Je ne sais pas la définition qu’on peut donner du matérialisme dans la science : mais ce qu’il y a de plus dangereux, c’est de mettre de l’esprit dans la matière : car alors on apporte le mysticisme et la superstition et alors on tombe dans ces étranges théories modernes dont on trouve des expressions dans les caricatures allemandes. »

Les successeurs de Sainte-Claire Deville sont également de farouches anti-atomistes : Henri Debray,André Joly et Désiré Gernez.Cette résistance perdurera. Par exemple, Pierre Duhem (1861-1916) qui, entre autres, contribua au développement de la thermodynamique, écrit encore en 1913 :

« L’école néo-atomiste, dont les doctrines ont pour centre la notion d’électrons, a repris avec une superbe confiance la méthode que nous nous refusons à suivre. Elle pense que ses hypothèses atteignent enfin la structure intime de la matière, qu’elles nous en font voir les éléments, comme si quelque extraordinaire ultra-microscope les grossissait jusqu’à nous les rendre perceptibles [...]. Le temps viendra sans doute où, par leur complication croissante, ces modèles cesseront d’être des auxiliaires pour le physicien, où il les regardera plutôt comme des embarras et des entraves »

Bertrand Russell :

« Ainsi quand le physicien réduit la matière aux atomes ou aux corpuscules, il ne donne en aucun sens les constituants de la matière, encore moins ceux du monde. »

« La Mécanique » d’Ernst Mach

« La connaissance et l’erreur » d’Ernst Mach

Lire sur la question des atomes

La vie de Mach en anglais
https://www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1971_num_24_3_3217_t1_0273_0000_1

Mach et la mécanique de Herz

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