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Qu’est-ce qu’une révolution, nous demande un lecteur

lundi 14 décembre 2020, par Robert Paris

Qu’est-ce qu’une révolution, nous demande un lecteur qui précise qu’on parle aussi bien des révolutions françaises ou russes que de la révolution néolithique ou de la révolution des robots ou de l’informatique et que de révolution dans la mode, dans les mœurs, dans les techniques, etc. Dans ces conditions, préciser ce qu’est vraiment une révolution semble nécessaire, dit-il avec raison. Et d’autant plus pour un site qui se nomme « Matière et Révolution » !

Il est exact que le terme de « révolution » ne s’emploie pas que pour les révolutions sociales et politiques. Ce n’est nullement une exagération de parler de révolution dans les mœurs. Passer du matriarcat au patriarcat est très certainement une véritable révolution ! Passer de la culture orale à la culture écrite aussi ! Des techniques ont certainement révolutionné la vie des hommes, comme la maîtrise du feu, la découverte de la culture des plantes ou de l’élevage, ou encore la poterie. Ce qu’il y a de commun dans toutes ces révolutions, c’est le fait qu’un ancien système a été profondément bouleversé et a entraîné des changements globaux, mais aussi le fait que ce changement a été général, brutal, radical et relativement rapide. Révolution s’oppose donc à évolution, transformation progressive, par petites touches, par étapes minimes, par adaptation.

Il est certain que ceux qui croient que la société se transforme par évolution et ceux qui croient que seules les révolutions changent vraiment la société s’opposent radicalement. Mais c’est tout aussi vrai dans d’autres domaines : celui du vivant, celui de la culture, celui des techniques, celui des grandes découvertes, celui de la philosophie, etc.

Certains sont adeptes des sauts et d’autres des petits progrès lents et graduels.

Le problème, c’est que tout, de la matière à la société, possède des résistances organisées au changement. C’est le cas du Vivant qui fait fonctionner de nombreux systèmes de résistance à toute modification génétique ou systémique. Mais c’est le cas aussi de la matière dite inerte ou encore des sociétés humaines, qui, elles aussi, ont mis en place de telles résistances à commencer par la tradition, les lois, les règles, la famille, l’Etat, etc. Du coup, ces systèmes ne peuvent pas évoluer graduellement. Il faut un coup rapide pour forcer la résistance et passer en force et en vitesse contre les mécanismes de conservation, qu’il s’agisse de ceux de la société ou de ceux de la vie. Les forces de répression doivent être débordées comme le sont les forces répressives des protéines de protection contre le changement génétique, dites protéines de choc thermique. Là où un changement lent ne pourrait pas se faire, un changement rapide et brutal le peut, car ensuite le système est changé et les forces de répression ne sont plus aptes à ramener en arrière le système. Par contre, toute modification qui respecterait les forces de répression serait inexorablement détruite. C’est ce que l’on constate lors des révolutions sociales et politiques mais aussi lors des changements de la matière que l’on appelle des « transitions de phase ». Ainsi, on a coutume de dire que l’on peut changer un état de la matière en augmentant (ou en diminuant) graduellement sa température. On oublie souvent de dire qu’il ne faut pas le faire trop graduellement car, sinon, le changement d’état n’aura pas lieu.

La notion qui est indispensable à la compréhension des révolutions que subissent les systèmes est celles des forces contradictoires internes en lutte incessante. Ces contradictions internes, portées à un certain degré de développement, atteignent ce que l’on appelle un « état critique » ou situation révolutionnaire, caractérisé par le fait que ces forces, qui étaient constructives pour le système, deviennent destructives, du moment que la dynamique du système s’est arrêtée. Une des caractéristique de la situation est le fait que désordre de ces forces se change alors en une seule force globale coordonnée. Ainsi, les protestations habituelles désordonnées des exploités et des opprimés se transforme dès lors en une intervention directe commune à grande échelle qui manifeste d’une propriété caractéristique : l’auto-organisation de ces forces jusque-là toujours dispersées et incohérentes.

Un autre point fondamental de ce type de situations qui sont la règle des changements de système mais l’exception brève de leur longue histoire sans changement radical, est que ces forces contradictoires qui, en temps normal, stabilisent le système, se mettent en situation critique à pousser à son renversement. Il ne s’agit pas pour elles de porter la critique violente sur des points de détail mais sur les fondements même. Et cela parce que ce sont les fondements du système qui sont devenus insupportables.

Bien des gens croient que ce sont seulement les opprimés qui ne peuvent plus supporter le système alors que les oppresseurs eux non plus n’en peuvent plus et agissent dans un sens qui va vers son renversement ! On l’a bien vu dans la Révolution française comme dans la révolution russe, pour ne citer que ces deux là. Les classes dominantes ont-elles-même contribué à leur propre perte. Parce qu’elles étaient déstabilisées, à bout de perspectives avant même que la révolution sociale et politique éclate. Parce que cette situation critique qui était la leur se manifestait d’abord par une incapacité des classes dirigeantes à voir un quelconque avenir pour elles, avant même que les classes exploitées et opprimées se saisissent de la situation pour s’exprimer et éventuellement pour prendre le pouvoir en mains ou le tenter. La situation mondiale actuelle donne d’ailleurs une très bonne idée de ce type de situation qui précède une grande vague révolutionnaire, dans laquelle les masses bougent mais sans aller encore jusqu’à se positionner en candidat au pouvoir, et dans laquelle les classes possédantes sont au bout du rouleau avant même que le grand combat révolutionnaire ait atteint son sommet.

Dans ce type de situation, ce sont les contradictions internes du système qui déterminent la mise en branle et l’effritement de tout l’édifice, parce que les fondements de ce système sont devenus en contradiction avec son fonctionnement. Ce ne sont donc pas, contrairement à ce que cherchent la plupart des commentateurs historiques, des forces ou facteurs externes au système qui sont à accuser, pas des attaques armées de l’extérieur, pas des concurrents économiques ou sociaux venus d’ailleurs que du système lui-même, pas des changements non plus venus d’ailleurs que des fondements mêmes de l’ancienne société et qui les rendent incompatibles avec le caractère même de la propriété et de la production des richesses. Le mode de production et les rapports de production se révoltent alors l’un contre l’autre alors que, souvent, ils avaient parfaitement coexisté pendant des temps considérables. On cherche la raison dans les mentalités, dans des leaders, dans des organisations, dans des peuples différents et pourtant ce n’est pas là la racine des changements brutaux qui vont s’abattre sur la vieille société. La plupart des sociétés qui se sont effondrées n’ont pas eu besoin d’attaques militaires extérieures, ni d’invasions, ni de peuples étrangers envahisseurs pour s’effondrer. C’est l’ancienne société elle-même qui a été la cause de sa perte, non par des erreurs des gouvernants, non par des faiblesses des politiques menées par eux, mais du fait que le système avait atteint ses limites, au-delà desquelles les bases même de son système ne pouvaient que se retourner contre ses fondements, et d’abord contre le type de propriété des richesses produites.

Dans le cas du capitalisme, c’est-à-dire le système économique et social fondé sur ces milliards de milliards de cycles interactifs et aveugles capital-production de marchandises-capital plus plus-value extraite du travail humain, fondés sur la propriété privée des moyens de production. Et pourtant, après une très longue période historique, un élément fondamental du même système (son mode de production) entre en contradiction avec un autre (son mode d’appropriation fondé sur un tout petit nombre de propriétaires du grand capital). La raison en est que le grand capital a tellement cru, et donc que le système a tellement réussi dans son but d’accumulation du capital, qu’il ne lui est plus possible de trouver assez d’investissements productifs assez rentables pour réinvestir dans la production. L’accumulation du capital, ayant atteint ses limites, de cause principale de développement et de moteur de l’économie, se transforme en moyens de destruction de toute la société. Nous le vivons au jour le jour avec l’effondrement actuel du système mondial, même si bien des gens cherchent des causes extérieure aux fondements du capitalisme comme pandémie, concurrence chinoise, pollution, surpopulation, climat, amoralisme, migrants, terrorisme, islam, mentalités des nouvelles générations ou des anciennes, guerre des civilisations, races, et on en passe…

Les révolutions ne sont pas des aboutissements d’évolutions. Ce sont des ponctuations de l’Histoire.

La conception révolutionnaire de l’Histoire, qui attribue aux révolutions les changements fondamentaux des sociétés humaines, fait partie plus globalement de l’ensemble des conceptions scientifiques de la ponctuation (pour reprendre le terme du géologue et évolutionniste darwinien célèbre Stephen Jay Gould) mais qui utilise bien d’autres termes selon les disciplines scientifiques, comme phénomènes critiques, phénomènes de transition, sensibilité aux conditions initiales dans le cas du chaos déterministe, symétrie brisée, saut quantique, auto-organisation émergente, apparition de formes nouvelles et de structures nouvelles, seuils de développement (par exemple dans le développement qui se produit lors de la construction d’un individu).

Il faut remarquer que quelqu’un ignore totalement le fonctionnement des révolutions, s’il n’a pas connu ou étudié de telles périodes, car l’essentiel des autres périodes ont un fonctionnement complètement différent.

Cela explique que la plupart des commentateurs de révolutions font des contresens fondamentaux sur elles car ils ne parviennent pas à imaginer que la société humaine puisse vivre des événements aussi contraires à la logique de la période précédente et des règles sociales largement respectées précédemment, que les mêmes gens puissent aussi brutalement changer apparemment pour se comporter ainsi, et notamment comment des populations soumises, qui ne s’étaient jamais organisées par elles-mêmes pourraient d’un seul coup se mettre à s’auto-organiser massivement et à fonder un nouveau pouvoir sur cette nouvelle forme d’organisation.

Ce critère des révolutions (la base exploitée et opprimée s’auto-organise massivement) est souvent oubliée des commentateurs qui se polarisent plutôt sur la violence des affrontements entre l’ancien pouvoir et la masse révolutionnaire. Il en va de même dans le domaine des sciences, où nombre de commentateurs se polarisent sur les effets du changement brutal (modification de structure matérielle à grande échelle par exemple) au lieu de souligner qu’à la base, l’auto-organisation des plus petites structures a changé complètement les propriétés d’ensemble.

« Les révolutions sont les locomotives de l’Histoire », disait Karl Marx

La conception révolutionnaire de Karl Marx

Karl Marx et "la révolution en permanence"

Nous appelons « révolution » tout état transitoire dans lequel l’ordre établi peut basculer qualitativement et brutalement

La révolution et le prolétariat

La révolution, c’est la mobilisation des masses et leur auto-organisation

Qu’est-ce qu’une situation révolutionnaire ?

Qu’est-ce que la révolution permanente ?

Le monde déterminé par la révolution (ou la contre-révolution)

La révolution sociale

La révolution permanente d’après Léon Trotsky

La dialectique des transitions de phase

Quelles révolutions de la matière ?

Révolutionnaire, la matière ?

Contre le gradualisme dans les transformations sociales

La nature fait des bonds

Sauts quantiques

L’Histoire est marquée par les révolutions

Vagues révolutionnaires internationales

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