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La révolution en Flandres

dimanche 6 juillet 2008, par Robert Paris

Emile Verhaeren

LES COMMUNIERS

Soit instinct, soit hasard,
Toujours,
Au long des âges et des jours,
Ceux de la Flandre ample, rouge, féconde,
Ont défendu à coups de dents,
Leur part
Dans la chair du monde ;
Ils possédaient comme un bon sens ardent,
Ils savaient prendre et longuement attendre ;
Quand ils tenaient, ils ne lâchaient
Jamais.
La guerre. Ils l’acceptaient, la guerre et ses mêlées.
Sous les lions des étendards, ils s’ébranlaient
Malhabiles, balourds, compacts, épais.
Mais leurs terribles mains semblaient ensorcelées
Le jour qu’il leur fallut, parmi les chevaliers
Casqués d’acier léger et de française audace,
Saisir aux crins la victoire fallace
Et la dompter et la lier
A leur fortune et la dresser debout,
Comme la Flandre elle-même,
Là-haut, dans la nuée, aux sommets fous
Et batailleurs des beffrois blêmes !

Le bourdon sourd qui mugissait au loin,
C’était en lui le coeur de leur colère
Et ses battants étaient leurs poings.
La haine ! ils la voulaient tragique et séculaire,
Ils l’attisaient, le soir, à leurs foyers,
Ils appelaient leurs fils pour la voir flamboyer
A la flamme familiale ;
Ils leur baisaient le front, la poitrine, les yeux,
Et tels leur transmettaient, en les serrant contre eux,
L’âme de Flandre et des aïeux,
Rude, féroce et partiale.
On parlait peu, mais on pensait d’accord.
La ville était armée et son trésor
Gonflé d’épargne ardente et large.
On se cabrait sous les impôts et sous les charges ;
Et l’on traitait en ennemis les rois,
Les ducs et les comtes, hommes de proie,
Et leurs blasons pareils à des buissons de griffes.

Comme sa vie, on défendait son droit :
Alliances, traités, contrats, tarifs
Brouillaient entre eux marchands et maltôtiers.
Les ports étaient pareils à des maisons ouvertes,
Où l’on vendait la terre, en sacs et en setiers.
Les yeux étaient aigus ; les mains étaient expertes ;
On profitait de tout : on amassait les gains
Minces ou gros, rapidement, sans rien en dire ;
Des entrepôts de bois, de métaux et de vins
Semblaient surgir, comme un butin d’empire,
Là-bas, près des fleuves d’où les hauts voiliers clairs
Disséminaient la Flandre autour de l’Univers.
Oh ! les luttes, les révoltes et les rancunes !
Les franchises étaient conquises
L’autre après l’une ;
Certes, chaque métier voulait garder pour soi
Toute l’arène où se cabraient les droits ;
Certes, les cris, les querelles, les jalousies
Levaient d’entre les maux, leurs floraisons moisies
Mais dès que s’imposait un unanime effort,
Foulons, brasseurs et tisserands marchaient d’accord.
Ils se ruaient fous de rages et grands d’espoir,
Contre l’arbre miné qu’était le vieux pouvoir ;
Ils lui volaient ses fruits ; ils lui coupaient ses branches ;
Des poings velus serraient la hache ardente et blanche ;
Les tocsins lourds réglaient la marche de l’effroi ;
Et, soudain, se massaient à l’ombre des beffrois,
Les uns sortant des cours et les autres des bouges,
Les bouchers rouges.
Ainsi, mettant leur vie aux ordres de la mort
Pour ériger, par blocs de volonté, leur sort,
Les gros bourgeois flamands et leurs femmes fécondes
Marquaient, au sceau de leur race
Tenace,
Le monde.

***

JACQUES D’ARTEVELDE

I

Oh ! ce soir de juillet où le Tribun mourut,
Soleil de Flandre, en avez-vous gardé mémoire ?
Sa ville était dorée aux rayons de sa gloire
Et le monde changea quand son geste apparut.

Pour la première fois, quelqu’un de Gand, un homme
Parla sans se courber, en Roi, devant un Roi ;
Son verbe était si prompt à défendre son droit
Qu’on l’eût choisi pour chef, aux temps rouges, dans Rome.

Les fronts, les bras, les mains des turbulents métiers
Etaient son front ; ses bras, ses mains, étaient sa force.
Il rangeait en faisceaux leurs volontés retorses,
Il était à lui seul un peuple tout entier.

Tous les grondements sourds et violents des rages,
Tous les éclairs et tous les feux de la fureur,
Passaient si bien du coeur des autres en son coeur
Qu’il était comme armé de leur mouvant orage.
Et sage autant que ferme, il entreprenait tout.
Rien au monde jamais ne put vaincre sa tête :
Quand il sentit tomber le soir de sa défaite,
Son âme ardait encor comme du fer qui bout.

II

Longtemps il vécut seul, sans manier les foules :
Leurs colères, leurs cris, leurs triomphes, leurs houles
Ne battaient point de leurs flots arrogants
Sa tranquille maison sise en un coin de Gand,
Le long des eaux, à la Biloque.
Le soir, autour du feu,
Il aimait les colloques,
Et nul ne parlait mieux.
Il brassait l’hydromel, couleur de flamme et d’ambre ;
Et lorsqu’il dévoilait quelque profond dessein
Devant son fils ardent et ses calmes voisins,
De grands brocs surchargeaient les tables de la chambre.

Survint
Et la misère et la ruine et l’effort vain.

Les gros vaisseaux anglais chargés de lourdes laines,
Flandre, ne cinglaient plus vers tes villes lointaines
Qui regardaient la mer ;
Et tes beaux draps, faits avec l’or des toisons blondes
Ne se dispersaient plus, par les marchés du monde,
Au bout de l’univers.
L’heure tintait à tes beffrois, morne et bourrue ;
Tisserands et foulons hurlaient, parmi tes rues,
Ils exigeaient du pain.
Tes grands métiers chômaient ; leur vie était à vendre,
Et ton prince avait fui pour ne plus rien entendre
Des affres de la faim.
Oh ! qu’il naquit dans l’air et la rosée en fête
Le jour élu
Où Jacques d’Artevelde imposa ton salut !
Un mensonge sauveur illumina sa tête :
Dans le dédale obscur et compliqué des droits
Une raison surgit de te donner pour roi
Et nouveau souverain et protecteur utile
Edouard trois, le maître ardent de la grande île.

Et ta cause fut sienne et ton travail reprit.

Alors la joie immense entra dans les esprits.
Avec une fureur trépidante et farouche,
Sans mesure, terriblement, durant des jours,
La foule entière, avec ses bras, ses mains, ses bouches,
Darda vers son sauveur un formidable amour.
O quels reflux soudains en ces cerveaux fébriles !
Des flammes de bonheur incendiaient les villes ;
L’allégresse montait comme un embrasement ;
Toutes les tours sonnaient vers les campagnes proches,
Et comme au temps des clairs orgueils, Bruges et Gand
Sautaient vers l’avenir, dans les bonds de leurs cloches.

Artevelde fut roi,
Roi sans titre, mais roi quand même.
Gloire, tu fus son sacre et son baptême ;
Sa volonté nouait ou dénouait la loi.
Toutes les âmes
A son âme cueillaient leur flamme.
Il était simple, il était juste, il était craint,
Et les yeux, dans les siens, cherchaient ceux du destin.

O peuple, il gouverna ta colère apaisée ;
Tu fus celui qui le premier au cours des temps
Contre les vieux pouvoirs vagues et envoûtants
Opposa nettement sa raison avisée ;
Il te refit l’audace ; il te refit la foi ;
Tu pus, avec ferveur, disposer de toi-même
Et peut-être sentir quelle force suprême
Pour s’éveiller dans le futur dormait en toi.
L’orgueil, il le savait de tes cités rivales
Et les sourdes fureurs de tes métiers entre eux,
Mais il aimait sentir un pouvoir dangereux
Charger et requérir sa volonté totale.

Les tumultes secrets, mais violents des coeurs,
Longtemps il les maintint captifs sous son génie ;
Les fronts ne sentaient pas régner sa tyrannie
Ni les torses peser sur eux ses poings vainqueurs.
Sa force souple avait la peur d’être hautaine.
Pourtant, un jour, là-bas, au loin, devant Tournay,
Qu’il s’acharna, comme ébloui et fasciné,
A vainement fixer la victoire incertaine
Et qu’il revint, sans gloire acquise et butin pris,
Tous doutèrent, soudain, de sa toute puissance.

Et lentement l’âpre et sournoise effervescence,
Qu’il n’étouffa jamais au tréfonds des esprits,
Grandit dans les cités qui se disaient serviles.
Termonde, Alost, Courtrai, Grammont, toutes les villes
Secouèrent soudain l’autorité de Gand.
Comme jadis, au temps de la Grèce superbe,
Ce fut, sous un grand vent de vouloirs arrogants,
Contre la fleur de choix, les révoltes des herbes.
Et la Flandre ploya, saigna, traîna son deuil
Et chut, le front chargé d’un trop nombreux orgueil.

Heures sombres ! mais qui furent encore plus sombres,
Quand la cité qu’on jalousait,
Gand lui-même se dépeçait,
A coups d’ongle, dans l’ombre.
Ses deux métiers, tisserands et foulons,
Sentant sur eux souffler les aquilons
De leurs rages, de jour en jour, accrues,
Se provoquaient, le long des rues,
Et s’attaquaient autour des ponts, au pied des tours.
La nuit retentissait du choc de leurs querelles
Et quand l’aube glissait à travers les ruelles,
Des mares de sang noir caillaient aux carrefours.

Haletante, tragique, horrible et carnassière,
La victoire resta aux mains des tisserands ;
Les foulons lourds virent la mort coucher leurs rangs
L’arbre de leur orgueil tomba dans la poussière ;
Ils étaient les rameaux ; Artevelde le tronc.
O quel écroulement jetant à bas sa cause,
Et quel brusque danger environnant son front,
Quand seul, la nuit, l’oreille à sa fenêtre close,
Les poings serrés, il s’acharnait à écouter
Rugir vers lui, du fond rageur de sa cité,
Les ruts de la folie et de la cruauté.

On le tua, à l’heure où les tours étaient rouges
Et comme en feu, de loin en loin, sous le couchant.
Des cris, des poings levés, des menaces, des chants
Jaillis des cours,des ruelles, des quais, des bouges,
Roulaient comme un tonnerre et assaillaient la nuit.
Le vent se soulevait comme un voile de bruit.
Coeurs tragiques,fiévreux et haletants dans l’ombre,
Là-haut, sans qu’on les vît, battaient les tocsins sombres.
Des mégères passaient aux bras de leurs soudards.
La foule ivre avait saisi les étendards.
Des tisserands parlaient au peuple, sous les porches,
Leurs gestes grandissaient dans la lueur des torches.
La ville était comme un bassin géant qui bout
Et qui répand les vengeances et les colères,
Et ce torride amas de rages populaires
Montait battre le seuil d’Artevelde — debout.
Il était là, le front tourné vers la marée
De ses âmes, par sa présence exaspérées.
Son verbe était sans crainte et clair comme autrefois ;
Rien ne fêlait le bourdon lourd qu’était sa voix ;
La Flandre et sa grandeur et sa beauté perdues
Chaviraient aux remous de ses phrases tordues.
Son oeil cherchait à voir au fond des autres yeux
La suprême lueur des souvenirs de feu.
Ses paroles douaient d’orgueil et de mémoire
Ce peuple au coeur trop haut pour abolir sa gloire,
Et lentement, il l’eût vaincu, et reconquis,
Si tout à coup, un savetier, Thomas Denis,
Voyant se diviser les foules incertaines,
Et redoutant qu’Artevelde ne les domptât,
Ne l’eût frappé d’un large et soudain coutelas
A la tête, comme un éclair foudroie un chêne.

Oh ! ce soir de Juillet où le tribun mourut,
Soleil de Flandre ? en avez-vous gardé mémoire ?
Les hommes d’aujourd’hui ont rebâti sa gloire.
Car le monde changea quand son front disparut.

Messages

  • Eh oui, révolution en Flandres !

    Le premier ministre des Pays-Bas, Mark Rutte, une version masculine et néerlandaise d’Angela Merkel qui domine la politique batave depuis une décennie, a dû présenter la démission collective de son gouvernement ce vendredi, alors qu’un retentissant scandale administratif éclabousse son action. Ce libéral conservateur, personnalité en vue de la scène européenne, avait jusqu’ici semblé penser qu’à deux mois des législatives, il pourrait éviter cette décision, grâce à son bilan plutôt satisfaisant dans la gestion de la grave crise sanitaire du Covid. Mais la démission jeudi du chef du Parti travailliste néerlandais, PvdA, Lodewijk Asscher, ministre des Affaires sociales de 2012 à 2017, qui a estimé avoir une part de responsabilité dans ce scandale qui a privé des milliers de familles de leurs aides sociales à la garde d’enfants, a fait monter la pression. « L’État de droit doit protéger ses citoyens d’un gouvernement tout-puissant. Cela a échoué d’une manière horrible », a déclaré M. Rutte ce vendredi, confirmant avoir présenté sa démission au roi Willem-Alexander.

    Selon un rapport d’enquête parlementaire publié en décembre, des milliers de familles ont été accusées à tort de fraude aux allocations sociales entre 2013 et 2019. Harcelées par des fonctionnaires zélés, elles ont été contraintes de rembourser de façon rétroactive des sommes allant jusqu’à des dizaines de milliers d’euros, situation qui a plongé ces 26.000 parents dans de graves problèmes financiers.

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