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matierevolution ? Quelles révolutions de la matière ?

dimanche 12 juillet 2020, par Robert Paris

QUELLES RÉVOLUTIONS DE LA MATIÈRE ?

L’emploi de l’expression « révolution » dans une étude sur la matière nécessite d’emblée un éclaircissement. Ce terme n’est pas d’usage courant en sciences. Il est ordinairement employé en histoire, sociale ou politique, plutôt qu’en physique, en chimie, en biologie, en théorie de l’évolution ou en médecine. Une révolution renverse un régime politique ou un système social. Quel ordre matériel serait « renversé » dans le fonctionnement physique de l’Univers ? Les « lois » de la science ne sont-elles pas universelles et permanentes ? Les structures de la matière ne sont-elles pas toujours les mêmes en tout lieu et à toute époque ? On a bien souvent reconnu une évolution de la matière mais peut-on à son propos parler de révolution ?

L’histoire n’est pas seulement humaine. Il y a une histoire de la vie. Il y a aussi une histoire de la matière. Toutes les structures de l’univers actuel (des galaxies aux molécules, des atomes et des particules à la lumière et à l’espace-temps du vide) sont historiques, c’est-à-dire qu’elles sont nées au cours d’étapes diverses de la longue course de l’univers. La matière (inerte comme vivante) est marquée par des événements brutaux qui ont constitué des bouleversements, locaux ou globaux, de l’univers. Aussi bizarre que cela puisse paraître au premier abord, elles sont des produits d’une transformation qui, comme dans l’histoire des hommes et des sociétés, mêle la rationalité des lois aux hasards de l’Histoire, transformation qui connaît des époques de bouleversement radical. Bien sûr, on est en droit d’être sceptique sur la validité d’un terme dédié à la société humaine pour décrire un phénomène matériel sur lequel ne jouent ni la conscience humaine ni la vie sociale. Tentons d’en justifier l’usage.

Le monde, tel que nous le connaissons (solides, liquides et gaz composés de molécules, atomes, protons, neutrons, électrons, quarks, photons), n’a pas toujours existé. La matière a connu, plusieurs fois au cours de cette longue transformation, des courtes périodes amenant des modifications complètes de sa forme et de son fonctionnement. La matière et l’anti-matière ont été constituées à partir des fluctuations d’énergie du vide. Puis matière et antimatière se sont couplées pour donner le rayonnement. Ensuite, le cosmos en expansion et en voie de refroidissement est brutalement devenu transparent au rayonnement. La portion minime de la matière excédante, qui ne s’est pas couplée à l’anti-matière, s’est progressivement structurée et complexifiée.
Les grandes étapes historiques des états de l’univers que nous sommes capables actuellement de reconstituer sont (par ordre chronologique) : l’ère du vide, l’ère particulaire, l’ère nucléaire, l’ère radiative, l’ère matérielle et stellaire au sein de laquelle on peut distinguer l’ère du vivant. Ces diverses ères sont marquées par quelques épisodes « révolutionnaires » : la séparation au sein du vide entre matière et antimatière, le couplage des deux en photons, la libération de lumière au sein de la matière , la formation des particules de durée de vie plus élevées (virtuelles puis réelles), des quarks, des particules, la formation des atomes couplant protons, neutrons et électrons, la libération de la gravitation, la formation des étoiles et groupes d’étoiles, la formation des molécules et des macromolécules et de la vie. La notion de révolution est aussi indispensable à la compréhension à la formation de la matière et de la lumière qu’à la formation de la vie, à l’apparition d’êtres vivants ayant des nouveaux plans d’organisation, ou encore à la formation du cerveau humain et de la conscience. Toutes ces étapes représentent des changements radicaux dont la survenue brutale était imprédictible, les éléments du stade nouveau n’étant pas inclus ni préparés d’avance dans l’ancien. Chaque étape a profondément bouleversé le mode de fonctionnement de l’univers et ses règles. La nouvelle structure obéit à de nouvelles lois. On parlera là d’émergence de structure plutôt que d’évolution continue et progressive.

Toutes ces transformations de la matière ont été constituées d’évolutions graduelles quantitatives (comme un mouvement d’expansion, une baisse de la température ou de la concentration de l’énergie) suivies de sauts qualitatifs, de révolutions. Toutes les échelles de l’ordre hiérarchique matériel (du quark au groupe d’amas de galaxies) ont été constituées successivement lors de transformations brutales qu’en physique on appelle des transitions de phase . Cette notion recouvre en fait la même idée que celle de révolution. Les transitions de phase sont des phénomènes courants au sein de la matière qui ont lieu en permanence et pas seulement lors de ces grands épisodes de l’ histoire du cosmos. Les plus simples et les plus connues sont le passage du solide au liquide et au gaz, en passant des seuils de températures. On sait maintenant que l’étoile enclenche son processus d’explosions nucléaires de fusion au sein d’une masse de matière atteignant certains seuils. Par exemple, il faut atteindre la température seuil de 12 millions de degrés pour que commencent les explosions nucléaires dans lesquelles deux noyaux d’hydrogène fusionnent en un noyau d’hélium en libérant de l’énergie. De façon brutale, dans ce qui n’était encore qu’une grosse planète gazeuse, une nouvelle sorte de fonctionnement se met en route. L’histoire de l’étoile connaîtra des étapes brutales, à certains seuils de sa transformation, dont certaines peuvent avoir des effets violents (supernovae par exemple).

Ce qui est vrai de l’étoile l’est de toutes les échelles de la matière. Les molécules, les atomes, les particules sont produites et détruites en atteignant une limite. La matière et la lumière, eux-mêmes ne sont nés qu’en atteignant un seuil défini par les constantes de Planck. Ils n’existent que par multiples entiers d’un nombre entier de constante d’action de Planck. En dessous d’un quantum de Planck, on a affaire à une autre monde, improprement appelé virtuel, et qui est probablement à la base de ce que l’on appelle la « matière noire », des particules et des photons de durée de vie inférieure. Ce sont nos calculs gravitationnels sur les grandes structures de l’univers qui nous indiquent la nécessité de l’existence d’une grande masse de matière jusque là inconnue. Comme nous le verrons dans le paragraphe « matière et vide », c’est l’étude de la physique quantique qui nous amène à concevoir ce qu’est cet univers infra-Planck dévoilé notamment par le physicien Richard Feynman dans « Lumière et matière » et dont l’existence réelle a été soulignée par le physicien Jean-Marc Lévy-Leblond.

La révolution dans une structure (qu’il s’agisse d’une structure de la météo terrestre, une structure des interactions matière-matière ou matière-lumière ou d’un autre domaine) suppose un seuil à partir duquel les conditions d’existence de l’ordre précédent sont déstabilisées. A un certain stade une toute petite action entraîne une grande transformation. C’est l’équivalent, en physique, du « rôle de l’individu dans l’histoire », en histoire des sociétés. Cela provient du caractère de la dynamique interne permanente que l’on constate dans la matière à toutes les échelles, même pour les particules durables (électron, proton, …) qu’on croyait élémentaires et stables. Cette agitation de la matière, lorsqu’elle parvient à des seuils, mène à la destruction de la structure. A chaque niveau et pour chaque structure, il y a des effets de seuil. Par exemple, à douze millions de degrés, une masse de matière en contraction enclenche la formation d’une étoile (un soleil), les explosions nucléaires commençant au centre. Atteignant la limite de cent fois la masse solaire, un soleil explose donnant un amas d’étoiles, etc... A un certain seuil du choc énergétique, l’électron disparaît lorsqu’il s’unit à un positron (son anti-matière) pour donner un ou plusieurs photons (grains de lumière). Le désordre interne, s’il atteint un certain niveau, fait exploser la structure. L’action d’éléments extrêmement petits entraîne des évolutions considérables. Ainsi, ce sont les explosions des tout petits noyaux atomiques qui permettent la dynamique de l’étoile dont le maintien de la structure est un équilibre instable et dynamique entre gravitation de masses énormes de matière et rayonnement dû aux explosions nucléaires qui font fusionner des noyaux.

L’existence d’un seuil au delà duquel on trouve un autre monde dans lequel nos « objets » et nos lois n’ont plus cours étonne toujours. Est-il possible que notre monde soit connecté à des mondes différents à d’autres échelles de la matière (échelles du temps, de la température ou de la pression par exemple) ? On a été surpris lorsqu’on a découvert que les étoiles ne fonctionnaient pas en brûlant un carburant classique comme du gaz mais une matière tellement concentrée qu’elle pouvait, arrivée à un seuil, passer un cap où elle subissait de nouvelles lois dans lesquelles les noyaux atomiques apparemment stables pouvaient fusionner en construisant des noyaux plus lourds et en libérant du rayonnement. Nous avons été également surpris lorsque nous avons constaté, avec la physique quantique, qu’il y avait un monde très différent du nôtre (dit macroscopique) à l’échelle des particules (microscopique). Nous avons encore été surpris lorsque l’on a constaté, avec les diagrammes de Feynman, l’existence d’un monde dit virtuel, à une échelle encore inférieure (en dessous des constantes de Planck). A chaque fois que ce nouveau monde a été découvert, les scientifiques ont été inquiets, réservés et prudents. Ils ont parlé d’artifice de calcul et n’ont pas admis d’emblée la réalité de ce monde nouveau. Planck traitait lui-même ses quanta de technique de calcul comme l’a fait Feynman avec ses particules et photons « virtuels ». A chaque fois que l’on passe d’une échelle à une autre, on saute à nouveau le pas réalisé par cette révolution qui a donné naissance à cette nouvelle échelle de la réalité.

La nature procède par bonds. En changeant de température ou de pression, un gaz devient un liquide puis un solide. Il n’y a aucune progressivité, aucune continuité ni linéarité dans cette évolution de la forme d’organisation des molécules. Ce n’est pas une évolution de structure mais une révolution. Ce type de modification brutale de structure existe pour toutes les formes de la matière et à toutes les échelles. Examinons la fusion qui donne les différents atomes, des plus légers comme l’hydrogène ou l’hélium aux plus lourds comme les atomes radioactifs. Chaque augmentation d’un unité du nombre de nucléons (protons et neutrons) dans le noyau de l’atome est un saut qualitatif, acquis grâce à un choc énergétique. Chacun de ces noyaux atomiques a été construit par l’histoire des étoiles et des galaxies, par les explosions nucléaires et les explosions d’étoiles. De même, en sens inverse, ce sont des chocs qui peuvent détruire un noyau atomique pour produire des noyaux atomiques plus petits. Cela peut se produire spontanément si les noyaux sont des structures instables. La radioactivité casse la structure lourde en atomes plus légers. C’est une transformation brutale qui caractérise toutes les transformation de structure, des plus grandes aux plus petites, de la supernovae qui explose à la particule. Le simple saut quantique de l’électron d’un état dans un autre n’est pas moins brutal (absorption ou émission brutale et imprévisible d’un photon). Prenons un autre exemple, à une tout autre échelle : celle de la terre. Le passage d’une phase de réchauffement à une phase de glaciation est très court au regard des périodes stables qui le précédent et qui le suivent. C’est un changement brutal. Aussi brutal que la durée de passage d’un liquide à un gaz : l’ébullition. C’est fait presque instantané, imperceptible par rapport aux échelle de la dynamique dans laquelle il se produit : un événement de l’histoire.

La nature procède tellement pas bonds que les transformations qui nous semblent continues sont des combinaisons de multiples transformations par bonds. Un domaine où la découverte de ces révolutions de la matière a produit un choc intellectuel brutal est certainement celui de l’étude des particules dites élémentaires de la matière : la physique quantique. La physique quantique a montré que le mouvement comme le changement matériel ne peuvent provenir que par le gain ou la perte d’un nombre entier d’une quantité élémentaire. L’expression « saut quantique » en dit long sur le fait que cette physique a donné le coup de grâce à la notion de continuité et de progressivité dans une transformation et dans un mouvement physiques. L’idée fondamentale de la physique quantique est que toutes les quantités décrivant des actions doivent augmenter ou diminuer d’un nombre entier d’unités appelées des « quanta de Planck ». C’était si incroyable que Planck et Einstein ont eu un mal considérable à s’y résoudre et qu’Einstein n’a jamais tout à fait réussi à admettre le changement complet de conception de la réalité que cela impliquait. Que tout mouvement et tout changement d’état est une somme d’un nombre entier de sauts (gains ou pertes) d’une quantité de base, un quantum, cela peut sembler assez simple et assez peu novateur et pourtant c’est un changement considérable. Et surtout, c’est la fin de l’ancienne notion d’objet. En effet, comment concevoir un objet qui tournerait autour de plusieurs axes et par à coups d’un nombre entier de fractions de tours ? Avec la physique quantique, la discontinuité est devenue une propriété fondamentale de la matière. Cette révolution des quanta touche non seulement la matière mais aussi la lumière, les anciennes ondes électromagnétiques, donc tout ce qui constitue le rayonnement, qui se révèle lui-même constitué de nombres entiers de quanta. C’est le physicien De Broglie qui devait montrer que le caractère contradictoire de la matière concernait le rayonnement. Ce qui apparaissait spécifiquement continu, les ondes, est en fait aussi discontinu. Toute quantité qui semble évoluer continûment doit être produite par des sauts discontinus de la quantité d’action par augmentation ou diminution d’un nombre entier de la même quantité d’action que pour les particules matérielles. Cela a augmenté l’image unifiée de la matière et de la lumière mais cette image s’est trouvée complètement bouleversée ,. L’univers n’est pas le mouvement d’objets fixes. Ces « objets » qu’on disait élémentaires et en mouvement ne sont eux-mêmes que du mouvement. Et tout mouvement est une rupture, un saut !

La notion de révolution comporte des ruptures (discontinuités) à plusieurs niveaux : temporel, structurel et fonctionnel. Premièrement, l’échelle de temps change brutalement. Dans la notion de révolution, l’événement fondateur du nouvel ordre est à une toute autre échelle (notamment de temps), bien plus courte, que le fonctionnement précédent. L’histoire, rappelait le paléontologue Stephen Jay Gould (adversaire déclaré du progressisme en sciences) décrivant la transformation des espèces vivantes est, comme la guerre, une succession de longues périodes d’ennui et de courtes périodes d’effroi. Par exemple, la supernovae est l’implosion de l’étoile sur elle-même en un temps extrêmement court relativement aux étapes relativement tranquilles (si on peut dire !) de l’évolution précédente de l’étoile. Deuxièmement, il y a rupture de causalité apparente. La révolution est toujours une apparition inattendue. La nouveauté surgit brutalement et étonne. Dans toute révolution, il semble que les événements n’ont pas suivi un cours logique, obéissant à une causalité car la succession de faits est non-linéaire. Une nouvelle structure est bâtie, elle-même provisoire. Au niveau du fonctionnement, il y a aussi une discontinuité de la nouvelle structure et de son fonctionnement par rapport à l’ancienne. Ces trois discontinuités caractérisent toutes les véritables révolutions, y compris celles qui concernent l’histoire sociale des hommes. Les conditions de la révolution obéissent également aux mêmes règles. La révolution suppose que le fonctionnement de l’ordre reposait sur des contradictions internes. Cela signifie que l’ordre n’était pas figé ni éternel.

Révolution est une expression particulièrement indiquée s’agissant du mode dynamique de conservation/transformation de la matière. Les structures (de la matière inerte comme vivante) reproduisent leur mode d’organisation au travers de mouvements et de changements permanents. La conservation des constantes physiques ressemble plutôt à la constance de la température d’un gaz, fondée sur l’agitation au hasard des molécules. La forme change sans cesse et la conservation globale de la structure, découlant des lois de transformation, n’est jamais définitive. Et surtout cela ouvre la possibilité de structures entièrement nouvelles et imprédictibles car « l’histoire n’est pas écrite d’avance ». La structure n’est globalement durable que par une reproduction fondée sur l’agitation interne et sur des échanges permanents avec le milieu. On peut en donner une image en considérant la durabilité de la structure d’un nuage. Il est en globalement équilibre du fait de la dynamique des masses d’air montantes et descendantes.

La matière est constituée de structures caractérisées par des lois de conservation et des constantes (charge, masse, taille, …). On a longtemps cru qu’il s’agissait d’objets fixes, que l’on appelait les atomes. Ces particules dites élémentaires, auraient été comme de toutes petites pierres qui auraient bâti la matière à grande échelle. Mais, loin de trouver à l’échelon microscopique des bases solides pour une matière dure, fixe et stable, on y a trouvé des éléments petits mais inassimilables à des objets tels qu’on les concevait (des ondes ou des corpuscules). La physique quantique qui les a étudié a été obligée d’admettre qu’ils n’avaient ni rigidité, ni fixité, ni séparabilité. Pire même, il apparaît que s’il existait une seule structure fixe, rigide et stable, elle détruirait par réaction toutes les autre structures de l’univers !

Les constantes naturelles apparaissent encore à beaucoup de scientifiques et de penseurs comme les bases d’un « ordre naturel ». Loin de leur préoccupation de considérer que ces constantes puissent être réalisées par des processus et non préétablies dans la nature. Tout le monde connaît la fameuse « vitesse de la lumière » c, d’environ 300.000 km par seconde. Elle apparaît comme une des « constantes » les plus fondamentales de la matière. Tout se passe en effet comme si la matière se déplaçait en ligne droite en parcourant en un temps t la distance fixe c x t. Tout se passait comme si jusqu’à ce que les physiciens étudient de façon plus fine la lumière. Ainsi, le physicien Feynman a montré que la ligne droite n’était qu’une probabilité moyenne obtenue par une infinité de parcours possibles autour de cette zone droite et que la vitesse de la lumière pouvait être dépassée sur de petites distances par un petit nombre de photons lumineux (lire « Lumière et matière » de Feynman). Non seulement la vitesse n’est pas constante, non seulement elle peut être dépassée mais elle n’est pas définie par avance. Elle est le produit du processus naturel à chaque instant et dans chaque lieu. Il n’existe pas dans la nature de vitesse constante de la lumière inscrite dans le marbre, elle est le produit d’un processus de changement permanent avec de nombreuses interactions au hasard dont cette « constante » n’est que la résultante. C’est un changement fondamental d’approche scientifique. Le mouvement n’est pas quelque chose tiré de la fixité. Il s’en distingue fondamentalement. Il ne fonctionne pas de la même manière. Dans la nature rien n’est fixe, rien ne peut être étudié dans l’immobilité et en l’absence d’interaction. Sans interaction avec le vide au tour ou avec la matière autour, un photon lumineux ne peut définir ni sa trajectoire ni sa vitesse. Le changement e non la fixité est à la base de la construction des lois, y compris des constantes. Et elles sont sans cesse reconstruites par la réalité et non établies par avance. La nature est dynamique et non statique. Elle ne peut être interprétée avec des images statiques comme la vitesse constante ou l’électron égal à lui-même.

Les structures matérielles ne sont jamais identiques. La structure n’existe de façon plus ou moins durable que grâce à la dynamique des transformations internes. Le plus durable, le proton, doit sa relative solidité à des échanges permanents d’énergies entre ses composants, les quarks. Cette dynamique interne minimise tellement l’énergie des couplages entre quarks que ceux-ci ne peuvent se séparer. Les structures matérielles ne cessent d’émettre et d’absorber des grains de rayonnement de façon désordonnée et imprédictible. Elles ne cessent d’interagir avec le milieu (vide et autres particules). Aucune structure de la matière n’existe indépendamment du milieu. Sans énergie échangée avec le milieu aucune particule n’est durable. La matière n’est pas formée d’entités existant de façon indépendantes. C’est une structure globale du monde et elle n’est pas caractérisée par la fixité ni par l’immobilité interne. Comment une particule qui reçoit et émet sans cesse du rayonnement (photons) peut-elle se conserver et maintenir ses constantes sur une durée importante ? La raison en est qu’elle perd et qu’elle gagne exactement les niveaux d’énergie correspondants aux divers états possibles de la particule. Elle saute donc d’un état à l’autre à chaque émission ou réception de photons. La stabilité globale de la structure est fondamentalement liée à la transformation reposant sur des sauts d’un état à l’autre. La durabilité est fondée sur la dynamique de transformation interne.

La révolution n’est pas une simple destruction d’un ordre mais la construction d’un nouvel ordre ce qui suppose un processus qui relie l’agitation et la structuration. C’est ce que l’on appelle l’auto-organisation de la matière. La destruction rapide d’une structure provoque l’apparition d’une nouvelle structure dotée de nouvelles lois. Le processus (ou, pour l’histoire des sociétés humaines, la classe sociale) qui détruit l’ancien ordre est porteur du nouvel ordre sans pour autant que la suite des événements qui régit le changement soit prédictible ni que le nouvel ordre ne soit que la suite d’un élément déjà développé de l’ancien ordre. Les causes de la révolution sont les contradictions internes du système. Cela signifie que les règles qui fondaient la conservation de la structure ont servi à sa destruction ou à sa transformation. Quelles sont ces contradictions internes de la matière ? Au sein du vide, on assiste en permanence à la matérialisation/dématérialisation encore appelée polarisation. La particule voit sans cesse sa limite détruite et reconstruite à la frontière du vide par interaction avec le processus de polarisation du vide. Les électrons sont sans cesse arrachés ou attirés par la structure atomique. Les molécules s’attachent et se détachent à grande vitesse au sein de la biologie du vivant. Le processus de la vie au sein de la cellule est fondé sur un combat permanent entre gènes et protéines de la vie et de la mort. Le message cérébral sert sans cesse à structurer des réseaux neuronaux puis à les déstructurer. Le cerveau est sans cesse coordonné puis sans cesse désordonné par ce que l’on appelle une « réinitialisation ». Dans chaque cas, les processus de structuration de la matière sont couplés avec des processus de déstructuration et les deux sont inséparables.

La matière est fondée sur un ordre bâti sur le désordre. Ceux qui se souviennent de leur cours de physique, risquent d’être choqués qu’on prétende ici que proton et électron, qu’on leur a décrit comme stables, sont soumis à une agitation permanente. C’est en effet parce que cette durabilité de la structure provient de sauts continuels entre divers états de la particule. En effet, on constate que toutes les particules possèdent plusieurs états possibles et passent sans cesse d’un état à un autre par des sauts. Par exemple, les particules que l’on va appeler de spin un ont trois états possibles et vont sans cesse sauter de l’un à l’autre. Ces sauts sont brutaux et imprédictibles. Il n’est possible que de trouver une certaine probabilité qu’une particule dans un certain état passe dans un autre état. Cette probabilité calculable montre qu’il y a bien une loi, mais l’impossibilité de prédire exactement la suite de l’évolution montre que la structure est fondée sur une agitation. On connaît ce type de situation probabiliste avec les lois d’un gaz de molécules car les lois y sont fondées sur une agitation moléculaire ou mouvement brownien. Entre les divers états de la particule, il n’y a aucune étape intermédiaire entre ces états discrets, c’est-à-dire discontinus, de la particule. La fameuse stabilité particulaire est un ordre global fondé sur une dynamique qui fait passer l’état interne (par des ruptures) d’un état à un autre. C’est vrai pour toutes les particules. Toutes ont plusieurs états possibles et sautent d’un état à un autre. Même inerte, la matière est sujette à une agitation interne permanente. Or ces états de la particule ne sont pas seulement discrets mais connectés avec le milieu. Ainsi, l’électron met en commun des états d’énergie avec des particules qui lui sont corrélées. Il est également en relation permanente avec le milieu (vide).
L’étude des particules a révélé non leur simplicité mais l’existence interne d’un monde nouveau tout aussi complexe. Même le « simple » électron n’a pas de frontière fixe, palpable. Il a plusieurs sortes de dimensions suivant les expériences auquel on le soumet . Sa limite n’est pas figée. Sa position n’est pas définie à la manière de celle d’une petite pierre . La physique quantique a démontré qu’on ne peut en même temps préciser sa position et sa vitesse. Ce n’est pas nos instruments de mesure qui sont en défaut. Il s’agit d’une propriété fondamentale de la structure elle-même. L’électron, pas plus qu’aucune particule de matière, n’est un objet comme une pierre. C’est un processus dynamique capable de se maintenir globalement égal à lui-même pendant un certain temps (dépassant le temps dit de Planck). Sa frontière est définie de manière dynamique par un « écrantage », encore appelé nuage de polarisation, dû aux interactions et aux agitations de quanta (grains) dits virtuelles (du même type que les particules matérielles et les photons lumineux mais dont le temps de vie plus court que le temps de Planck).

En ce qui concerne la vie, les débuts de la génétique ont été marqués par les mêmes conceptions fixistes. On croyait qu’un ADN était une molécule figée, se reproduisant à l’identique et ne permettant la production que d’une seule espèce . De même que l’on imaginait un gène comme attaché à une seule espèce. L’une des premières à rompre le dogme de la fixité du capital génétique est Barbara Mac Clintock avec ses « gènes sauteurs ». Elle s’était en effet aperçu que des morceaux entiers de l’ADN pouvaient migrer au sein de la macromolécule. Beaucoup plus tard sont tombés les dogmes un gène/une molécule, un gène d’une espèce/une protéine de cette espèce ou un ADN/une espèce. Un ADN peut tout à fait produire des protéines qui ne conviennent pas à l’espèce. Et des molécules d’une ou des gènes d’une autre espèce peuvent parfaitement fonctionner sur une autre espèce. Au final, on s’est aperçu que tout n’est pas dit dans les commandes de l’ADN. Les protéines jouent un rôle actif. Elles servent notamment à surveiller que l’ADN ne produit pas des molécules étrangères. Mais les protéines peuvent interagir avec l’extérieur. En somme le milieu peut interagir avec le fonctionnement génétique. Il en ressort une image de la vie très différente dans laquelle l’ordre est issu du désordre, de l’interactions entre molécules et les liaisons, réalisées au hasard. L’image qui ressort des derniers développements scientifiques sur le vivant est aussi une vision bien plus active que celle d’un capital génétique figé, entièrement défini par le contenu des gènes.

Ce qui change, d’une espèce à l’autre, ce n’est pas seulement l’existence de telle ou telle constituant qui forme le gène, c’est l’activation ou l’inhibition des gènes. C’est l’ordre de leurs interventions et leurs interactions plutôt que le seul contenu biochimique de l’ADN. La génétique est caractérisée par une organisation des réactions en chaîne, une dynamique des interactions protéines/ADN. Chaque espèce est liée à un enchaînement particulier, un espèce de cycle des interactions des gènes. La structure qui régule l’ordre des interactions peut changer brutalement. Lorsqu’il s’agit de changement touchant des gènes dits homéotiques, cela mène au changement d’espèce. Certains de ces gènes pilotent les plans d’organisation et la modification de leur ordre d’intervention permet de comprendre des modifications considérables du développement du corps. On peut ainsi interpréter les sauts de l’évolution du vivant qu’il est légitime d’appeler de véritables révolutions. Qu’il s’agisse de l’apparition d’un nouvel organe, d’un nouveau fonctionnement collectif des organes, d’une nouvelle structure du corps, d’un nouveau mode de déplacement ou d’un nouveau mode de reproduction, on parle toujours d’évolution des espèces alors que le terme serait plutôt de révolution des espèces. La science ne nie plus l’existence des sauts qualitatifs spontanés causés par les lois de la nature et n’a plus besoin des miracles pour les qualifier. La science ne cherchera pas plus de chaînon manquant d’une évolution prétendument progressive entre un être vivant dépourvu de colonne vertébrale et un vertébré qu’entre une masse de gaz se concentrant et se réchauffant et une étoile. Pas plus qu’elle ne cherchera des étapes graduelles entre les états de gaz, liquide et solide, nul ne peut prétendre concevoir un développement continu et sans saut de la bactérie à l’homme ! Il est impossible d’appeler évolution le passage de la vie sans oxygène (forme de vie où l’oxygène était même un poison) à la vie fondée sur l’oxygène ! Impossible également d’appeler évolution le passage des unicellulaires aux pluricellulaires ! Impossible d’appeler évolution les grandes disparitions d’espèces ou encore les périodes d’explosion de la biodiversité (comme Burgess et Ediacara).
Les préjugés fixistes et gradualistes ont été battus en brèche par les progrès des sciences mais cette évolution des idées n’a pas encore touché (ou très peu) notre philosophie sur le monde. La compréhension statique de l’univers devrait céder la place à une interprétation dynamique. Nous savons que nos montagnes ne sont ni des constructions éternelles ni des édifices stables, même si personne ne les voit bouger. Nous savons que l’écorce terrestre bouge même si nous ne la voyons pas bouger. Nous savons que les espèces changent même si elles semblent figées. Nous savons que toutes les formes de vie ont une même origine même si aucun d’entre nous n’a vu de ses yeux un être unicellulaire se transformer en pluricellulaire ni vu apparaître une espèce porteuse d’une colonne vertébrale à partir d’animaux qui n’en possédaient pas. Il en va de même de toutes les structures de la matière. La matière est en mouvement et en transformation permanentes même si ces changements sont invisibles et difficiles à concevoir. Ses révolutions nécessitent d’autant plus d’être pensées que le processus de leur production ne crève pas les yeux. C’est ici que la pensée conceptuelle acquiert son importance et que l’expérience ne suffit pas.

Les particules comme les atomes, les molécules ou les espèces vivantes sont les restes et les témoignages des révolutions de l’histoire de l’univers. Ils ont été produits par des révolutions et, de plus, ils sont amenés à les reproduire dans leur fonctionnement. En effet, il aurait pu y avoir un monde matériel issu de transformation brutale donnant naissance à un univers assez figé. Ce n’est pas le cas. Il ne s’agit pas d’objets fixes ni produits une fois pour toutes puis conservés à l’identique. Ces structures n’existent que parce que la dynamique les détruit et les reproduit en permanence. Cette dynamique est fondée sur l’interaction avec le milieu et par les autres structures. Aucune particule n’existe indépendamment du milieu, du vide et des autres particules.

La physique quantique a buté pendant de longues années sur toutes les tentatives de considérer les particules comme des objets indépendants du vide (considéré comme l’absence d’énergie, de matière et de rayonnement) et séparables les uns des autres. Les nouvelles notions de la physique (quanta, corrélation, intrication, décohérence) sont au contraire fondées sur la reconnaissance qu’il n’existe aucune « chose » dans la matière mais seulement des processus dynamiques de structuration et déstructuration qui sont interactifs. La biologie et la génétique ont subi la même transformation conceptuelle qui nous contraint à chercher les mécanismes dans les interactions et non dans les structures dites élémentaires. La cellule vivante ou le gène ne sont pas plus élémentaires que la particule matérielle. Aucune cellule vivante n’existe sans interaction avec d’autres cellules. Si une cellule ne reçoit plus de message de survie des cellules voisines, elle s’autodétruit (apoptose). Matière inerte comme matière vivante ne sont pas constituées d’unités totalement indépendantes, que ce soient des particules, des atomes, ou des cellules, mais sont engagées dans un processus collectif. Elles sont même construites par ce processus qui engagé des quantités d’autres structures. Cette construction ne s’est pas réalisée une fois pour toutes, il y a très longtemps. Ainsi, la matière naît sans cesse du vide qui est en permanence le siège de matérialisations et de dématérialisations de l’énergie. Une espèce vivante n’est pas une simple conservation du capital génétique mais un mécanisme fondé sur des interactions dynamiques liées à une agitation moléculaire au hasard. En ce sens, une espèce n’est pas née une fois pour toutes et simplement copiée par ses descendants. Elle naît à nouveau à chaque individu. A chaque fois, la possibilité de sauts de l’évolution existe potentiellement au sein de cette dynamique de la reproduction. Le local est indissociablement lié au global et l’instantané à la dynamique, globale temporellement, de l’histoire : « Les constituants de la matière tangible ne représentent pas des données arbitraires de notre vie : leur propriétés résultent de la structure globale de l’univers, et de la façon dont il a vu le jour. » écrit John Maddox dans « Ce qu’il reste à découvrir ».

Penser la matière en termes de révolutions n’est pas un simple choix de terminologie. C’est une manière de raisonner. Une révolution est une succession d’événements inattendue dans ses résultats mais dont les participants pensent toujours avoir suivi des décisions dans la logique des choix précédents. Comme le dit Friedrich Engels cité par le physicien Etienne Klein dans « Petit voyage dans le monde des quanta » : « Personne ne connaît la révolution qu’il fait ». C’est dire que s’il y a au final un changement de structure, et donc une discontinuité, les participants au local ont toujours l’impression d’avoir agi en continuité. Il n’y a pas un instant où les gens, où les choses agissent en contradiction complète avec leur mode de fonctionnement précédent. Et pourtant la structure globale, au bout d’une série d’événements dans une situation particulière de crise, n’est plus la même. La révolution n’est pas une action locale réalisée par des individus mais un changement global de la structure due à une situation de crise (passage d’un seuil) au sein d’une dynamique et réalisée par l’interaction d’un très grand nombre d’individus obéissant à des déterminismes et des hasards qui ne sont pas individuels.
Comprendre ces révolutions très anciennes de la matière est indispensable pour déchiffrer le monde tel que nous l’observons. En effet, le changement n’est pas seulement un épisode passé. Il fonde le fonctionnement de l’ensemble de l’univers y compris celui qui est devant nous. Là où nous croyons voir de la stabilité, nous avons un ordre produit par le désordre. C’est un ordre qui peut sans cesse être remis en question. On comprend aisément pourquoi la philosophie dominante n’est pas encline à voir le monde comme le produit des révolutions. Pour penser les sciences à l’aide d’une philosophie révolutionnaire, on se heurte aux même préjugés philosophiques, aux mêmes préjugés contre-révolutionnaires que pour penser l’économie, l’histoire ou la politique. Il s’agit des préjugés sociaux indispensables à la classe dirigeante. Bien entendu, en parlant ainsi on heurte également la prétention des scientifiques comme des philosophes de penser librement sans se voir dicter leurs points de vue par une quelconque classe… C’est une erreur courante de penser que les scientifiques évoluent dans un monde de faits et d’idées qui serait objectif et indépendant de la société à laquelle ils appartiennent et de ses préjugés. Ils vivent dans la société, y ont une place sociale, un revenu, une considération, une réussite, des relations. Leurs recherches sont des démarches humaines, marquées par la philosophie de leur époque et les idées sociales dominantes. Leurs avancées scientifiques ne sont pas indépendantes des besoins sociaux formulés par la classe dirigeante et des moyens de chercher et de publier que celle-ci leur donne. La science n’est pas nécessairement plus objective que les autres domaines de la pensée et de la société humaine. Un autre a-priori qui n’est pas le moins partagé est la croyance des scientifiques selon laquelle leur domaine n’a rien à voir avec la philosophie et ne doit en rien y référer.

L’idéalisme domine encore largement la pensée de notre époque, y compris celle des scientifiques. Les physiciens (surtout depuis la physique quantique) sont de ceux qui défendent le plus souvent l’idée que la matière n’existe que si l’homme l’observe. Ils nient jusqu’à l’existence de la réalité objective et jusqu’à la valeur de tout raisonnement sur une réalité qui n’est pas l’objet d’une expérience. Comme si l’univers n’existait que depuis que l’homme est là pour l’expérimenter ! Les réponses toutes faites ne sont pas issues de la science mais de la société. « Sur des sujets aussi fondamentaux que la philosophie générale du changement, la science et la société travaillent habituellement la main dans la main. (..) Lorsque les monarchies s’effondrèrent et que le XVIIIème siècle s’acheva dans la révolution, les hommes de science commencèrent à considérer le changement comme un élément normal de l’ordre universel, non comme un élément aberrant ou exceptionnel. (..) Le gradualisme, l’idée que tout changement doit être progressif, lent et régulier, n’est jamais né d’une interprétation des roches. Il représente une opinion préconçue, largement répandue, s’expliquant en partie comme une réaction du libéralisme du XIXème siècle face à un monde en révolution. » disait Stephen Jay Gould dans « Le pouce du panda ». Ce sont des préjugés sociaux, même lorsqu’ils infectent également la pensée des scientifiques. Ces derniers, même ceux qui sont réfugiés dans une « tour d’ivoire », sont tributaires de la pensée socialement dominante à leur époque.

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