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Léon Trotsky, en novembre 1937 : « Il est temps de passer à l’offensive mondiale contre le stalinisme ! »

vendredi 24 janvier 2020, par Robert Paris

Lettre ouverte de Léon Trotsky à toutes les organisations ouvrières :

Il est temps de passer à l’offensive mondiale contre le stalinisme !

Le mouvement mondial est rongé par une terrible maladie. Le foyer de contagion est le Komintern ou, pour être plus précis, la Guépéou qui utilise l’appareil du Komintern comme couverture légale. Les événements de ces derniers mois en Espagne ont montré de quels crimes sont capables la bureaucratie de Moscou, déchaînée et complètement dégénérée, et se mercenaires choisis parmi les déchets internationaux déclassés. Il ne s’agit pas d’assassinats fortuits ou de falsifications fortuites. Il s’agit ici d’une conspiration contre le mouvement ouvrier mondial.

Bien entendu, les procès de Moscou ne pouvaient avoir lieu sans un régime totalitaire où la Guépéou dicte leur attitude à la fois aux inculpés, au procureur et à la défense. Mais ces faux judiciaires étaient destinés dès le début à être le point de départ d’une campagne d’extermination contre les opposants à la clique de Moscou sur la scène mondiale. Le 3 mars, Staline prononça un discours devant le Comité Central du parti communiste d’Union Soviétique dans lequel il déclarait que la « IVe Internationale est formée aux deux tiers d’espions et de saboteurs ». Cette déclaration insolente et tout à fait dans le style stalinien indiquait déjà clairement quel était le but du Caïn du Kremlin. Ses desseins ne se limitent cependant pas au cadre de la IVe Internationale. En Espagne, le POUM, qui était pourtant engagé dans un conflit irréconciliable avec la IVe Internationale, fut enrôlé dans les rangs des trotskystes. Après le POUM, ce fut le tour des anarcho-syndicalistes et même des socialistes. Et maintenant, tous ceux qui protestent contre la répression anti-anarchiste sont comptés parmi les trotskystes. Les falsifications et les crimes augmentent à un rythme effrayant. Le zèle excessif de quelques agents peut expliquer certains détails isolés et particulièrement scandaleux. Mais l’action dans son ensemble est rigoureusement centralisée et menée suivant un plan élaboré par le Kremlin.

Un plenum du Comité Exécutif du Komintern prépara la campagne mondiale d’assassinats

Le 21 avril, se réunit à Paris un congrès extraordinaire du Comité Exécutif du Komintern auquel participaient les représentants les plus sûrs des 17 plus importantes sections. Les sessions se déroulèrent à huis clos, dans le plus grand secret. La presse mondiale signala simplement brièvement que les délibérations du plenum portaient sur la lutte internationale contre le trotskysme. Les instructions venaient de Moscou, en direct de Staline. Ni les débats ni les résolutions ne furent publiés. D’après les informations dont nous disposons et d’après la suite des événements, il semble évident que ce mystérieux plenum n’était en réalité qu’une conférence des agents internationaux les plus importants de la Guépéou réunis pour préparer la campagne internationale d’accusations, de dénonciations, d’enlèvements et d’assassinats contre les adversaires du stalinisme parmi le mouvement ouvrier dans le monde entier.

A l’époque du procès Zinoviev-Kamenev (août 1936), les rangs du Komintern étaient encore traversés par bien des hésitations. Malgré les efforts des vieux mercenaires de la Guépéou comme Jacques Duclos en France, même les cadres de la Guépéou – pourtant endurcis – tardaient à se vautrer dans cette boue arrosée de sang frais. Mais la résistance des hésitants fut vaincue en quelques mois.

Toute la presse du Komintern, que Staline garde dans une cage dorée, fut entraînée dans une orgie de calomnies jamais égalées en bassesse et en cruauté. Comme d’habitude, la direction de cette campagne avait été confiée aux émissaires de Moscou comme Michaël Kaltsov, Willie Muenzenberg et autres aventuriers. La Pravda assura que l’épuration en Espagne serait menée aussi rudement qu’en URSS. Ces paroles furent suivies d’actes : faux documents incriminant le POUM, assassinats d’écrivains anarchistes, assassinat d’Andres Nin, enlèvement d’Erwin Wolf et de Mark Rein, assassinats de dizaines de personnages moins importants, tous commis en traître, incarcération dans les prisons extraterritoriales de Staline en Espagne et réclusions à l’intérieur de ces prisons dans des cellules spéciales, passages à tabac et toutes sortes de tortures physiques et morales – tout cela recouvert par de continuelles calomnies grossières, venimeuses, tout à fait dans le style stalinien.

En Espagne, où le soi-disant gouvernement républicain sert de couverture au gang criminel de Staline, la Guépéou a trouvé un terrain des plus favorables pour appliquer les directives du plenum d’avril. Mais l’affaire ne fut pas limitée à l’Espagne. Comme nous l’apprend la presse du Komintern elle-même, les états-majors français et britannique ont reçu de mystérieux documents révélant l’existence d’une « entrevue de Trotsky avec Rudolf Hess ». L’état-major tchèque reçut une fausse correspondance qui devait établir qu’il existait des liens entre la Gestapo et un vieux révolutionnaire allemand. Jacques Duclos essaya de mêler les trotskystes à de mystérieux attentats qui eurent lieu à Paris et au sujet desquels la Guépéou pourrait sans aucun doute fournir quelques éclaircissements à la police française.

A Lausanne, le 4 septembre, Ignace Reiss était assassiné uniquement parce que, horrifié par les crimes de Staline, il avait publiquement rompu avec Moscou. Certains de ses assassins ont été arrêtés. Ce sont des membres du Komintern et des agents de la Guépéou, recrutés parmi les Gardes Blancs russes. Les résultats de l’instruction, menée par les autorités judiciaires françaises et suisses, permet d’affirmer que ce même groupe avait commis toute une série de crimes non encore découverts. Les Gardes Blancs servent de tueurs à Staline, de la même façon qu’ils servent de procureurs (Vychinsky), d’agents de publicité (M. Koltsov, Zaslansky, etc.) ou de diplomates (Troïanovsky, Maïsky et leurs frères).

Les activités avaient à peine commencé en Orient que Staline lançait une campagne d’extermination contre les opposants révolutionnaires en Chine. La méthode est la même que celle qui fut appliquée en Espagne. Staline vend à Tchang Kaï-chek, comme il vendait à Negrin, les produits de l’industrie soviétique au prix fort et, avec les devises ainsi obtenues, il paie ses falsificateurs, ses journalistes-escrocs, ses tueurs à gages.

Le 5 octobre, le « New York Daily Worker » publiait un télégramme de Shanghai qui accusait « les trotskystes » chinois du Kuangsi d’avoir fait alliance avec l’état-major japonais. Le « Daily Worker » est l’organe de la Guépéou publié à New York ; son correspondant à Shanghai est un agent de la Guépéou qui applique les décisions du plenum d’avril. Pendant ce temps, des sources chinoises bien informées expliquaient qu’il n’y avait pas d’organisation trotskyste dans le Kuangsi (« Socialist Appeal », 16 octobre).

Le témoignage étonnant d’un communiste canadien

Le communiste canadien, Henry Beattie, qui fut volontaire pendant quatre mois sur le front espagnol pour être ensuite renvoyé dans son pays en qualité d’agitateur par les miliciens eux-mêmes, a récemment raconté à la presse comment le parti des staliniens canadiens l’avait obligé à dire à une réunion publique que les trotskystes « fusillaient les miliciens blessés ». D’après sa déclaration, Beattie se conforma pendant quelque temps à ces instructions monstrueuses « se soumettant à la discipline du Parti », c’est-à-dire à la décision prise au même plenum secret dirigé par Staline. Aujourd’hui que Beattie a fui l’atmosphère empoisonnée du Kominform pour retrouver l’air frais du dehors, il est bien entendu traité d’espion et de saboteur et il est même possible que sa tête soit mise à prix. Pour de telles entreprises, Staline n’est pas avare : les dépenses engagées pour la préparation et l’exécution technique seules de l’assassinat d’ignace Reiss s’élèvent à 300 000 francs !

Des douzaines de journalistes bourgeois étrangers de l’école Walter Duranty – Louis Fisher émargent au budget de la Guépéou dont le rôle est de couvrir ou de justifier ces crimes. Pour ceux qui savent lire entre les lignes, ce n’est plus un secret depuis longtemps que les dépêches et articles amicaux-critiques-équivoques venant de Moscou et signées de noms indépendants et qui sont souvent accompagnés de la mention « non censuré », sont en réalité écrits sous la dictée de la Guépéou et ont pour but de réconcilier l’opinion publique mondiale avec le sinistre personnage de Caïn au Kremlin. Ce genre de journalistes « indépendants » diffèrent de M. Duranty uniquement en cela qu’ils coûtent plus cher.

Mais les reporters ne sont pas les seuls mobilisés. Des écrivains de renom comme Romain Rolland, feu Barbusse, Malraux, Heinrich Man ou Feuchtwangler, sont en réalité pensionnés par la Guépéou qui paie libéralement pour les services « moraux » de ces amis, par l’intermédiaire des éditions d’Etat.

La situation est différente, mais guère meilleure, en ce qui concerne les dirigeants de la Deuxième Internationale et de l’Internationale du Travail. Pour des considérations diplomatiques ou de politique intérieure, Léon Blum, Léon Jouhaux, Vandervelde et leurs compères dans d’autres pays ont organisé, au plein sens du terme, la conspiration du silence autour des crimes de la bureaucratie stalinienne aussi bien en URSS que dans l’arène mondiale. Negrin et Prieto sont les complices directs de la Guépéou. Tout cela sous la couverture de la « défense de la démocratie » !

Nous savons que l’ennemi est puissant, il a le bras long et de l’or plein les poches. Il se dissimule derrière l’autorité de la révolution qu’il est en train d’étrangler et de déshonorer. Mais nous savons aussi autre chose : quelque puissant que soit l’ennemi, il n’est pas tout-puissant. Malgré le trésor du Kremlin et son appareil, malgré sa légion d’ « amis », la vérité commence à faire son chemin dans la conscience des masses laborieuses dans le monde entier.

Enivré par son impunité, Staline a ostensiblement franchi la limite que la prudence impose même aux criminels les plus privilégiés. On ne peut tromper ainsi que ceux qui veulent bien être dupes : plus d’une des sommités équivoques de notre temps appartient à cette catégorie. Mais les masses refusent d’être trompées. Il leur faut la vérité. Elles la réclament et l’obtiendront.

N’étant plus retenu par aucun principe, Staline a franchi le dernier pas. Mais c’est justement là que réside sa faiblesse. Il peut encore tuer, mais il ne peut arrêter la vérité. De plus en plus d’ouvriers communistes, socialistes ou anarchistes s’alarment. Même les alliés de Staline dans la Deuxième Internationale commencent à regarder avec effroi du côté du Kremlin. Déjà beaucoup d’ « amis » écrivains se sont prudemment retirés, sous prétexte de « neutralité ». Mais ce n’est qu’un début.

La vérité sera révélée : nous devons nous organiser pour la faire connaître

Ignace Reiss ne sera pas le dernier à nous avoir fourni des révélations. Ses meurtriers, arrêtés en Suisse ou en France, peuvent raconter beaucoup de choses. Des milliers de volontaires révolutionnaires en Espagne vont répandre la vérité à travers le monde entier au sujet des bourreaux de la révolution. Les prolétaires qui réfléchissent se posent la question : « Quel est le but de tout cela ? Quel objectif cette chaîne sans fin de crimes peut servir ? » Et la réponse se fraye un chemin à coups de marteau dans leur esprit. Staline prépare son « couronnement » sur les ruines de la révolution et les cadavres des révolutionnaires.

Pour le mouvement ouvrier, le couronnement bonapartiste doit coïncider avec sa mort politique. Il faut unir les efforts de tous les révolutionnaires, tous les travailleurs honnêtes, les véritables amis du prolétariat pour purger les rangs du mouvement d’émancipation de l’horrible contagion du stalinisme. Pour cela, il n’y a qu’un moyen : dévoiler la vérité aux travailleurs, sans exagération mais aussi sans enjolivures. Le programme d’action découle ainsi automatiquement de la situation elle-même.

Nous devons établir définitivement et rendre publiques la liste des noms des représentants nationaux qui ont participé au récent plenum à Paris parce qu’ils sont personnellement et directement responsables de l’organisation des falsifications, des enlèvements et des meurtres commis dans leurs pays respectifs.

Nous devons suivre attentivement la presse stalinienne ainsi que toutes les activités « littéraires » des amis avoués ou secrets de la Guépéou dans la mesure où l’étude de l’opium qu’elle répand permet souvent de prévoir les nouveaux crimes que prépare Staline.

Il faut instituer à l’intérieur de tous les syndicats un régime , de défiance rigoureuse envers tout individu directement ou indirectement lié à l’appareil stalinien. De la part des agents du Komintern qui sont les instruments sans volonté de la Guépéou, il ne faut attendre que toutes sortes de perfidies envers les révolutionnaires.

Nous devons infatigablement rassembler du matériel imprimé, des documents, des témoignages au sujet du travail criminel des agents de la Guépéou-Komintern. Nous devons publier périodiquement dans la presse les conclusions rigoureusement fondées que nous retirerons de ces documents.

Il faut ouvrir les yeux de l’opinion publique sur le fait que la propagande doucereuse et mensongère de philosophes, moralistes, esthètes, artistes, pacifistes et « leaders » ouvriers en faveur du Kremlin sous le couvert de la « défense de l’URSS », est libéralement rémunérée en or de Moscou. Ces messieurs doivent être couverts d’infamie comme ils l’ont si bien mérité.

Le mouvement ouvrier n’avait encore jamais eu dans ses rangs d’ennemi aussi vicieux, dangereux, puissant et peu scrupuleux que la clique stalinienne et son agence internationale. La négligence dans la lutte contre ces ennemis équivaudrait à une trahison. Seuls les bavards et les dilettantes peuvent se contenter de pathétiques clameurs d’indignation, mais pas les révolutionnaires sérieux. Il faut un plan et une organisation. Il est urgent de créer des commissions spéciales chargées de dépister les manœuvres, les intrigues et les crimes des staliniens, de prévenir les organisations ouvrières du danger qui les menace et d’élaborer les meilleures méthodes pour parer et résister aux coups des gangsters de Moscou.

Il faut publier une littérature appropriée et récolter des fonds pour cette publication. Dans chaque pays, un livre devrait être publié qui mettrait à nu tous les rouages de la section nationale du Komintern.

Nous n’avons ni appareil d’Etat, ni amis appointés. Nous lançons pourtant avec confiance un défi à Staline devant l’humanité tout entière. Nous ne resterons pas les mains inoccupées. Certains parmi nous peuvent encore tomber dans ce combat. Mais l’issue générale est prédéterminée. Le stalinisme sera abattu, détruit et couvert à jamais d’infamie. La classe ouvrière mondiale marchera sur la grande route, à l’air libre.

Léon Trotsky, Coyoacan, 2 novembre 1937

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