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Pourquoi l’homme de Neanderthal a-t-il disparu ?

samedi 5 octobre 2019, par Robert Paris

Les derniers Néanderthaliens, ceux du Châtelperronnien

Pourquoi l’homme de Neanderthal a-t-il disparu ?

Neanderthal (Homo neandertalensis) a disparu, mais pas Cro-Magnon (Homo sapiens sapiens) et, du coup, chacun y va de sa petite hypothèse, misant sur une quelconque supériorité de sapiens sapiens qui aurait permis une « victoire » de l’un sur l’autre. Il faut tout de suite dire que ce n’est pas la seule possibilité. Une série de hasards peut parfaitement suffire, vu la faiblesse numérique des populations en question. La disparition des néanderthaliens n’est pas forcément issue d’une quelconque nécessité. Aucune n’a été établie et il peut parfaitement ne pas y en avoir. Dans le domaine du Vivant, les hasards agissent à tous les niveaux (naissance, mort, maladie, déformation, conformation, génétique, épigénétique, etc.). D’ailleurs dès l’expression « la disparition des Néanderthaliens », on nage dans le mythe car il n’y a pas eu une seule disparition mais plusieurs, suivant les époques et les sites. Ils ne sont pas disparus en une seule fois, dans une seule période et partout en même temps. Ce n’est donc pas un seul et même événement…

Bien des hypothèses ont été évoquées pour donner une rationalité à cette disparition :

1°) Neanderthal aurait été supprimé physiquement par la guerre menée par Sapiens sapiens

2°) Neanderthal aurait été éliminé par la concurrence avec sapiens sapiens, ce dernier jouant de certaines supériorités (abstraction, langage, organisation collective, supériorités physiques ou mentales), lui permettant par exemple d’être meilleur chasseur ou de mieux se défendre face aux bêtes sauvages ou aux aléas climatiques.

3°) Neanderthal aurait été supprimé par une épidémie, par exemple une maladie causée par son cousin sapiens sapiens.

4°) Neanderthal aurait été supprimé par un changement climatique face auquel sapiens sapiens aurait été mieux armé.

5°) Une des dernières hypothèses serait que Neanderthal aurait disparu de lui-même, ayant atteint ses dernières possibilités en tant qu’espèce…

Rappelons, avant même d’entrer dans cette discussion (et, vu notre ignorance profonde, il ne peut s’agir que d’une discussion scientfique et philosophique), que nous ne savons absolument pas si Neanderthal et Cro-Magnon sont ou pas deux espèces différentes et s’il faut parler d’homo neandertalensis ou d’homo sapiens neandertalensis. Et cela change bien des choses et notamment la possibilité ou pas de croisements. En cas de croisements fréquents, les néanderthaliens peuvent parfaitement ne pas avoir disparu mais avoir mêlé leur génétique avec celle des sapiens sapiens… On a bien trouvé chez certains sapiens sapiens des fractions propres aux néanderthaliens et généralement absentes chez les sapiens, mais cela ne permet pas de trancher pour le moment. C’est là encore une hypothèse. Une de plus ! Et, comme on va le voir, ce ne sont pas les seules !

Aucun avis sérieux et définitif n’a émergé et il peut passer de l’eau sous les ponts avant que cela soit le cas… Du coup, les thèses abondent, y compris les plus délirantes, bien sûr, comme dans tous les domaines où on ne sait pas. Mais n’ayons pas peur de raisonner scientifiquement y compris quand on en est encore au stade de la discussion…

Rappelons d’abord que les espèces qui survivent ne sont pas « supérieures » à celles qui périssent, du point de vue darwinien de l’évolution des espèces. Elles ne sont pas nécessairement plus progressives, plus adaptées, plus capables, plus complexes, ni plus fortes. D’ailleurs, il ne s’agit pas nécessairement, dans le cas en question, d’une espèce différente… Plusieurs sortes d’homo erectus ont disparu quand d’autres subsistaient et on ne parle pas alors de supériorité. Il suffit de si peu de choses pour qu’un petit groupe ou qu’une série de petits groupes disparaissent face à une vie sur Terre extrêmement difficile…

Nous allons voir par la suite que l’hypothèse la plus intéressante, au cas où une hypothèse montrant une « faiblesse » de Neanderthal, faiblesse que n’aurait pas Sapiens sapiens, qui n’a pas encore été évoquée et elle concerne l’enfantement. En plusieurs points, il est certain que celui-ci est plus difficile, plus risqué, moins réussi, chez Neanderthal que chez Sapiens sapiens. D’une manière ou d’une autre, il est fort possible que l’énigme de cette disparition, si elle doit trouver une solution, soit à chercher du côté des femmes… Une des raisons, non la seule, de la « faiblesse » des femmes néanderthaliennes est la « supériorité » (c’est de l’ironie) du gros cerveau néanderthalien par rapport à celui des Sapiens sapiens. Eh oui ! C’est Neanderthal qui a le plus gros cerveau !!!! C’est lui qui a plus de force physique !!!! C’est lui qui est plus adapté aux changements climatiques et particulièrement aux froids !!! C’est lui qui chasse le plus, y compris les grands animaux !!! C’est lui qui a le plus changé de régions et qui a vécu dans le plus de climats divers, dans des environnements les plus variés ! Et pourtant, c’est lui qui a disparu ! C’est renversant pour tous ceux qui cherchent dans le cerveau la « supériorité de l’homme » sur l’animal… Et plus encore pour ceux qui estiment que Neanderthal serait plutôt un animal qu’un homme !!! Profitons-en pour redire que, désormais, on ne peut plus considérer cette dernière thèse comme scientifique : nous sommes certains, autant que l’on peut l’être, que Neanderthal est un type humain et pas seulement un animal !!!! Ce dont nous ne sommes pas certains du tout, c’est qu’il y ait une supériorité générale de sapiens sapiens sur neanderthal.

En tout cas, il semble bien que le gros crâne de Neanderthal ait en effet négatif sur les femmes néanderthaliennes, à savoir que celles-ci ont du mal à sortir le bébé et qu’elles ne survivent pas à une ou plusieurs accouchements, les femmes néanderthaliennes disparaissant bien plus vite que les hommes et bien plus vite aussi que les femmes sapiens sapiens. Du coup, les femmes néanderthaliennes ne bénéficient pas du secours des grands-mères, aide précieuse dans les accouchements et pour s’occuper des enfants néanderthaliens. Bien sûr, ce déficit de femmes néanderthaliennes peut être un facteur aussi important que la plus grande attractivité physique des femmes sapiens sapiens pour les hommes néandertaliens, celles-ci étant plus fines et élégantes. Or, si le sperme des hommes néanderthalien va plus souvent dans les vagins des femmes sapiens sapiens soit ils n’ont pas de descendants ce qui signifie que les sapiens sapiens ont plus de descendants que les néandethaliens, soit ils n’en ont pas à la deuxième génération, soit encore ils en ont par croisement (parce que ce serait la même espèce), mais la génétique des femmes l’emporte alors sur celle des hommes et le capital génétique devient, de génération en génération plus sapiens sapiens que néanderthalien (sapiens néanderthalien dans ce cas). La sexualité des hommes néanderthaliens avec les femmes sapiens sapiens peut résulter d’une « supériorité » physique des hommes néanderthaliens pour enlever les femmes sapiens sapiens que celle des capacités physiques des hommes sapiens sapiens pour protéger leurs femmes, supériorité qui se tourne donc en faiblesse puisque leur capital génétique disparaît progressivement. Mais soulignons qu’il ne s’agit là que de raisonnements et non de constatations. Les seules constatations sont notamment le déficit de femmes néanderthaliennes, leur faible âge de décès, les difficultés de l’accouchement des femmes néanderthaliennes. Bien entendu, la « disparition des Néanderthaliens » peut très bien n’avoir rien de commun avec tout cela.

D’ailleurs, les Néanderthaliens peuvent parfaitement avoir « disparu » pour des raisons qui n’ont rien à voir avec un quelconque avantage évolutif, avec la « lutte des espèces pour la vie », avec l’adaptation à un environnement, changeant ou pas brutalement. Ils peuvent avoir été victimes de la victoire d’une société sur une autre, d’une civilisation sur une autre, d’un mode de vie sur un autre. Et ce n’est même pas nécessairement la supériorité civilisationnelle que marque cette victoire d’une société sur une autre, pas plus que celle de la civilisation romaine contre la civilisation grecque, ou encore de la civilisation mongole contre la civilisation iranienne, de la civilisation sumérienne contre les autres civilisations mésopotamiennes et ainsi de suite.

Bien des gens peuvent se dire à ce stade, « vous parlez beaucoup et vous ne savez rien, à quoi cela sert-il ? ». Pour eux, soit vous affirmez quelque chose, soit vous ne dites rien, soit vous savez, soit vous ne savez pas. Votre discussion, c’est du pinaillage, du bavardage, pensent-ils…

L’image qu’ils ont de la science est celle de la vérité face au mensonge, du vrai face au faux, du bien contre le mal. Ils l’ignorent mais ce qu’ils appellent « la science », c’est en fait la religion !!! Ils ne savent pas que le point de vue scientifique a besoin de se construire et déconstruire, par contradictions successives. Il lui faut des combats d’arguments. Même quand la science pense avoir mis à jour des éléments suffisamment fondés, elle se garde d’effacer les chemins par lesquels elle est passée, c’est-à-dire non seulement les faits mais aussi les raisonnements fondés sur ceux-ci. En effet, il se peut que des faits nouveaux relancent une vieille discussion scientifique. En termes de paléoanthropologie c’est très courant et il suffit parfois de trouver un nouveau site avec de nouvelles datations.

Quelques remarques doivent être faites, à ce stade, concernant la disparition des Néanderthaliens. Il faut souligne :

1°) Que les Néanderthaliens ont occupé toute l’Europe bien avant l’arrivée des sapiens sapiens et vécu ainsi de longues durées dans des climats très divers, du nord au sud, de l’est à l’ouest, qu’ils ont su s’y adapter durant des périodes climatiques très diverses, dans des environnements naturels très variés, sans manifester de difficultés particulières, sans disparitions ni morts en masse et aussi que leur disparition n’est pas ponctuelle, pas rapide et brutale mais très étalée dans le temps, qu’elle a lieu, semble-t-il, seulement quand les deux coexistent.

2°) Que la disparition ne s’est pas faite partout à la même époque, comme on l’a déjà souligné.

3°) Que les Néanderthaliens ont parfois occupé des sites qui les rendaient très proches des sapiens sapiens sans que l’on sache jusqu’où allaient leurs relations et interactions, influences, échanges, conflits, etc… Il faut cependant qu’il y ait eu des liens pour qu’on retrouve des éléments de la génétique néanderthalienne chez des sapiens sapiens…

4°) Que l’on a des preuves d’activité intelligente des Néanderthaliens et qu’on ne peut pas vraiment dire : voilà ce que les sapiens sapiens savent faire et que les Néanderthaliens ne savaient pas faire. Il semble bien que les enterrements, l’activité collective, le feu, l’art, les outils, la chasse, la pêche, la cueillette, la taille de la pierre, les flèches, etc., même le langage articulé, tout cela semble avoir été connu des Néanderthaliens et il semble même que dans certaines régions où Neanderthal ne coexistait pas avec sapiens sapiens, ne pouvait pas avoir été influencé par lui, il avait été capable de développer ces connaissances et ces techniques.

5°) Que des éléments génétiques proprement néanderthaliens sont retrouvés dans le capital génétique de homo sapiens sapiens… Mais ces éléments sont trop faibles pour qu’on puisse encore conclure que c’est la même espèce « homo sapiens ». L’interfécondité n’est pas prouvée.

Si on énumère les causes possibles de crise dramatique entraînant la supression définitive de l’espèce homo neandertalensis, on trouve celles-ci :

1°) une épidémie frappant particulièrement les Néanderthaliens.

2°) la guerre (soit entre tribus néanderthaliennes soit entre elles et les sapiens sapiens, ces derniers pouvant bénéficier d’un apport dû à l’arrivée de nombreux sapiens sapiens).

3°) la concurrence à la chasse

4°) les croisements par relations sexuelles entre hommes néanderthaliens et femmes sapiens sapiens

5°) la supériorité technique ou intellectuelle des sapiens sapiens du fait d’une plus grande maîtrise de telle ou telle activité pour s’assurer la nourriture et la survie.

6°) des conceptions différentes de la vie, de la mort, de la sexualité chez les deux populations

7°) des différences de type de société, de civilisation

8°) un changement climatique ayant favorisé sapiens sapiens contre neanderthal

etc, etc…

Certains faits permettent-ils d’éliminer certaines de ces hypothèses ?

1°) on n’a retrouvé aucune trace de mort collective liée à une maladie ou à une épidémie. Nous citerons des études sur cette question. Remarquons que l’hypothèse d’une épidémie portée par sapiens sapiens et frappant les Néanderthaliens, à la manière des Indiens des Amériques frappés par les épidémies des Blancs colonisateurs, n’a pas à être retenue puisque les cohabitations entre les deux ont duré sur certains sites des dizaines de milliers d’années avant que les Néanderthaliens ne disparaissent.

2°) les études climatiques concluent que ce ne peut pas être la cause. Nous en citerons les conclusions réalisées par des climatologues. On ne voit pas pourquoi sapiens sapiens aurait réussi à subsister si le climat avait affaibli Neanderthal au point de disparaître de la même région, Neanderthal semblait capable de vivre sous des climat très divers.

3°) il n’y a aucun reste de guerre et aucun ossement néanderthalien dont la mort provienne clairement de coups portés par d’autres hommes. En somme, absolument aucune trace de conflit ayant causé la mort des Néanderthaliens par des sapiens sapiens. On sait que, même pour les sapiens sapiens, la guerre systématisée entre hommes est relativement récente et n’apparaît qu’à l’Age du Bronze.

4°) il n’y a aucun évidence de disparition en masse ou brutale de Néanderthaliens dans aucune région. La chute semble s’étaler dans le temps et les différents sites ne donnent pas du tout les mêmes dates de disparition.

5°) il est certain que la différence la plus évidente entre sapiens sapiens et néanderthaliens est le gros cerveau de ce dernier, mais on ne sait pas quelle conséquence cela peut avoir entraîné. Il n’y a pas que les difficultés de l’enfantement. Il y a aussi, par exemple, la plus grande dépendance vis-à-vis d’une nourriture importante et carnée. Ce dernier point entraîne que les néanderthaliens doivent, s’ils ne savent pas très bien chasser, pouvoir « cueillir » des restes d’animaux morts. Là aussi, la présence nombreuse d’autres tribus humaines (des sapiens sapiens) peut entraîner un moins grand succès de la cueillette d’animaux morts.

6°) il est bien difficile d’imaginer les différences de mode de pensée et de conceptions abstraites des Néanderthaliens et des Sapiens sapiens. Ces choses là ne laissent pas tellement de traces ! On ne voit que des restes d’activités et, même dans ce domaine, il ne reste que des traces d’activités dans des matériaux durables comme la pierre, le coquillage et pas des traces d’activités utilisant les plantes, la terre, le sable et autres matériaux moins durables et en dur. Mais quelles capacités, pour les deux populations, en termes d’abstraction, de communication, de conception permettant la planification d’activités par avance et d’activités collectives ? Mystère ! Ignorance quasi-totale pour le moment ! Il ne semble exister aucune preuve d’une absence de capacités langagières chez les Néanderthaliens mais on n’est pas sûrs encore. Les Néanderthaliens semblent disposer d’une pensée abstraite mais cela se discute encore et on ne sait pas si c’est le même niveau d’abstraction.

Voyons ce que nous dit sur ces questions la spécialiste de Néanderthal, préhistorienne et paléozoologue Marylène Patou-Mathis dans son ouvrage « Neanderthal, une autre humanité » :

« Au cours du temps, Neanderthal a vécu sous différents climats. Durant le Quaternaire, plusieurs épisodes climatiques de nature différente ont eu lieu, des phases glaciaires et des phases de réchauffement. Après 2,8 millions d’années, ces oscillations climatiques, de fortes amplitudes, ont lieu tous les 41 000 ans… Lors des phases glaciaires, le Groenland, l’Europe septentrionale, le nord de l’Asie et de l’Amérique du Nord étaient recouverts de glace, jusqu’à trois mille mètres d’épaisseur pour les régions les plus septentrionales. Par ailleurs, les glaciers alpins et pyrénéens en France, également plus étendus, descendaient plus bas dans les vallées. Les territoires habitables par l’homme étaient donc restreints… Vers 120 000 ans, au moment où probablement les Pré-Néanderthaliens arrivent d’Europe, une transgression marine a lieu, le climat est alors relativement humide. Puis, au début de la dernière glaciation, entre 115 000 et 73 000 ans, se produit une aridification avec des fluctuations d’amplitude plus ou moins fortes (les plus anciennes occupations moustériennes datent de cette période). Lors du premier grand refroidissement du dernier épisode glaciaire, entre 73 000 et 61 000 ans, a lieu une forte régression marine, et le niveau des lacs diminue. Puis de nouveau, entre 61 000 et 40 000 ans, on observe le retour de conditions climatiques plus modérées, avec des fluctuations humides et sèches. A la fin de cette période, on constate une augmentation importante de l’humidité…

L’Europe « glaciaire » n’était donc pas a priori un continent favorable à l’homme né en Afrique… En Europe, Neanderthal a connu trois périodes climatiques majeures : deux glaciations (lo’avant-dernière et la dernière) entrecoupées d’une phase interglaciaire (la dernière)…

Les ancêtres de Neanderthal sont arrivés en Europe durant une phase de réchauffement, soit lors de l’interglaciaire cromérien, soit durant un épisode de réchauffement de la glaciation de l’Elster. Les glaciers reculent, la forêt et les plantes thermophiles réapparaissent. Puis, vers 300 000 ans, ils vont être confrontés au grand froid de l’avant-dernière glaciation. Au cours du peuplement de l’Europe, Neanderthal est monté jusqu’à 50° de latitude nord. Il pouvait donc supporter des climats rigoureux et très secs…

De nombreuses espèces animales occupaient les différents biotopes disponibles à ces différentes périodes…

D’un point de vue général, parmi les primates, l’homme actuel possède la croissance la plus longue ; elle dure près de deux fois plus longtemps que chez les chimpanzés. Les enfants modernes dépendent donc plus longtemps de leurs parents pour la nourriture, les soins, l’apprentissage, ce qui favorise la transmission des connaissances et renforce les liens sociaux entre les individus. D’un point de vue anatomique, l’homme actuel a une croissance du crâne ralentie, plus longue que celle des grands singes. Pour le reste du corps, celle-ci semble s’accélérer en fin de croissance…

Les caractères juvéniles observés chez Neanderthal sont l’absence de pneumatisation de l’os frontal, la faiblesse des reliefs osseux sur l’os occipital, sur les diaphyses d’os longs, l’orientation des surfaces de contact avec les cartilages de croissance, le développement des points d’ossification secondaires ou bien encore l’importance de certaines courbures diaphysaires. Bien que certains des caractères dérivés, propres à Neanderthal, apparaissent très tôt, au cours des premières années postnatales, le jeune enfant néanderthalien devait donc ressembler au jeune Homo sapiens. Puis, en grandissant, il s’en éloigne avec l’apparition des traits typiquement néanderthaliens comme les forts reliefs sur l’arrière-crâne, le développement du bourrelet sous-orbitaire et la projection du massif facial inférieur en relation avec la mise en place des dents permanentes (à partir de six ans). Pour certains paléoanthropologues, la croissance chez Neanderthal était plus rapide que chez l’homme moderne. Eric Trinkaus affirme même que tous les caractères néanderthaliens sont en place dès l’âge de cinq ans…

La période juvénile n’était donc pas aussi longue ; Neanderthal était adulte à quinze ans. A la fin de cette phase de développement, la maturité sexuelle, notamment des filles, était en place, elles pouvaient donc avoir leur première grossesse… Pour les anthropologues français Jean-Louis Heim et Jean Granat, Neanderthal avait également une ossification du squelette plus précoce, d’environ un an, que l’homme actuel… De cette croissance plus rapide découlent deux conséquences majeures, ils sont résistants plus tôt (ce qui permet de lutter contre une mortalité précoce) et ont une période d’apprentissage, sociétale et comportementale, moins longue. Quant à la durée de gestation, contrairement à l’hypothèse formulée par Trinkaus en 1983, d’après l’étude menées sur le bassin très bien conservé d’un Néanderthalien découvert à Kebara (Israël), elle n’aurait pas été plus longue mais identique à la nôtre… Actuellement, l’hypothèse d’une croissance plus rapide chez Neanderthal que chez l’homme moderne n’est pas totalement prouvée.

Par rapport à la taille du corps, les êtres humains, notamment Neanderthal, possèdent un cerveau plus volumineux que tous les autres animaux. Dans la lignée humaine, la capacité crânienne, dont le volume cérébral, augmente, assez rapidement, au cours du temps. Deux stades d’accélération de ce processus ont été constatés. Le premier a eu lieu il y a un peu plus d’un million d’années ; le volume crânien d’Homo antecessor et d’Homo ergaster augmente sensiblement par rapport à celui de leur prédécesseur Homo habilis (Hominidé africain dont la capacité crânienne est, en moyenne, de 640 centimètres-cubes). Le second se produit vers 300 000 ans avec Neanderthal et les hommes modernes archaïques. Neanderthal a une capacité cérébrale, en moyenne, de 1 520 centimètres cubes supérieure à la nôtre. Cependant, le volume du cerveau croît avec la taille, mais pas selon une loi de simple proportionnalité… Par rapport à la taille du corps, les êtres humains possèdent un cerveau plus volumineux. En utilisant ce rapport, et non les données brutes des capacités cérébrales, la différence entre Neanderthal et l’homme moderne s’estompe…L’augmentation progressive de la capacité à trouver et exploiter des ressources alimentaires de grande capacité énergétique (comme la viande) a été un facteur déterminant pour le développement du cerveau… L’augmentation du cerveau, par rapport à la taille corporelle précéderait l’apparition des outils et serait due à une recherche de nourriture plus efficace.

Au cours de l’évolution du cerveau, on constate notamment une augmentation du cortex associatif préfrontal, situé dans la partie antérieure du cerveau, du lobule frontal, une diminution de l’écorce cérébrale et du cortex visuel primaire… Au niveau du crâne, une des différences anatomiques majeures est la présence chez Neanderthal d’un front bas et étroit. Il est donc probable que le lobe frontal du cerveau était chez lui moins développé que chez l’homme moderne. Peut-on en déduire qu’il avait une vie émotionnelle différente de la nôtre ?

Neanderthal, pour développer un cerveau aussi volumineux, a su exploiter les ressources alimentaires disponibles dans son environnement, notamment celles qui ont une grande capacité énergétique comme la viande. Ses capacités cognitives sont également mises en évidence par ses inventions et les nombreuses activités qu’il a pratiquées. Et, contrairement aux idées reçues, ces inventions ne sont pas qu’une réponse adaptative aux changements climatiques, elles correspondent également à une évolution culturelle. On constate qu’au cours des vingt mille dernières années, la taille corporelle du cerveau humain se sont réduits de façon régulière. Il n’existerait donc plus de relation directe entre le volume cérébral et les capacités comportementales individuelles. Cela traduirait le développement, au cours de l’évolution humaine, de l’effet réversif de l’évolution, qui met au premier plan le rôle de la solidarité sociale (formation de groupe local, de clan, puis de tribu régionale, puis de famille de langages)…

Chez Neanderthal, le taux de mortalité infantile était élevé… Beaucoup d’enfants mouraient avant d’atteindre leurs sept ans… La mort des parents, notamment de la mère, pouvait à plus ou moins long terme entraîner celle des enfants en bas âge, ou un sevrage précoce qui rendait les enfants plus fragiles. Après celui de la prime jeunesse, un autre cap semble difficile à franchir pour Neanderthal, c’est le passage de l’adolescent à l’âge adulte, vers quinze ans. Les données sur le sexe de ces adolescents sont rares. Cependant, si parmi eux les femmes étaient majoritaires, des décès en couches ou durant la grossesse seraient peut-être la cause de ce taux élevé de mortalité, la maturité sexuelle étant probablement plus précoce pour Neanderthal que pour nous.

Par ailleurs, de très nombreux restes appartenant à des adultes ont été retrouvés dans toute l’Europe, surtout occidentale, et au Proche-Orient. La plupart sont morts entre seize et trente-cinq ans. Parmi les individus dont le sexe a été identifié, on constate qu’aucune femme ne dépasse les trente-cinq ans. Cela est sans doute à mettre en relation avec les grossesses et les accouchements successifs qu’avait une Néanderthalienne au cours de sa vie. En raison d’une durée de vie plus courte et/ou d’une réduction de l’intervalle de temps entre les naissances, il a dû y avoir une augmentation du taux de fertilité, le temps de procréation étant alors plus grand car commencé plus tôt… Neanderthal grandissait peut-être plus vite que nous, mais son espérance de vie était plus réduite. Beaucoup d’enfants mouraient en bas âge et de nombreuses jeunes femmes ne survivaient pas à leur accouchement. Mais le volume de son cerveau, nettement plus important que celui de ses prédécesseurs, lui a permis de développer des activités plus complexes et de surmonter ces difficultés…

Grâce aux fouilles archéologiques qui ont livré de nombreux témoins de l’artisanat de Neanderthal, nous connaissons bien les outils qu’il a fabriqués et les différentes matières naturelles qu’il a utilisées… Pour fabriquer un outil, Neanderthal commençait par débiter un bloc de pierre brute ; ce débitage consistait à fractionner un gros volume de matière en plus petites unités dénommées respectivement nucléus et éclats. Il a utilisé trois techniques de débitage, le discoïde, le laminaire et, pour obtenir des éclats de grande dimensions, des lames ou des pointes, le Levallois… A un même besoin fonctionnel, il a donné des réponses techniques différentes… Quelquefois, Neanderthal fabriquait également des outils qui seront plus tard fréquemment utilisés par l’homme moderne. Ce sont des outils dits du Paléolithique supérieur : grattoir, burin, perçoir et plus rarement des éclats tronqués et raclettes…Neanderthal a utilisé une grande variété de roches… Neanderthal organisait son approvisionnement au sein de son territoire ; il anticipait ses besoins en outillage lithique dans le temps et l’espace…

Neanderthal est l’artisan d’industries différentes qui vont se succéder ou coexister au cours de cette période que l’on nomme Paléolithique moyen. D’après les techniques de débitage et de façonnage mises en jeu et la composition des outils qu’elles ont produits, ces industries peuvent être regroupées au sein de deux grands ensembles culturels, celui du Moustérien et celui du Micoquien, qui présentent de nombreux faciès différents, pour la plupart régionaux… Les industries lithiques inventées ou développées par Neanderthal sont en effet diversifiées, notamment en Europe centrale…

Neanderthal a inventé et utilisé différentes techniques pour tailler les outils dont il avait besoin. En outre, il a planifié, géré et organisé l’exploitation des ressources lithiques. Ces comportements, avec les implications économiques et culturelles qui en découlent, mettent en évidence que les connaissances et les savoir-faire de Neanderthal, donc ses capacités mentales, étaient nombreux et complexes. En outre, l’acquisition de toutes ces compétences nécessite l’existence d’un apprentissage, gestuel et oral. A cette parfaite maîtrise de la pierre, Neanderthal a ajouté celle du bois. Pour construire son habitation, aménager son espace domestique, alimenter son foyer, mais aussi pour confectionner des outils et des armes, il a récolté le bois végétal…

La maîtrise du feu a été un fait capital dans l’évolution de l’homme car elle a grandement amélioré les conditions de vie de nos ancêtres. Le feu a probablement entraîné des modifications anatomiques et physiologiques et changé leurs comportements… Déjà, il y a plus d’un million d’années, les Homo ergaster savaient capturer et entretenir le feu… Neanderthalien maîtrisait le feu… Pour obtenir des étincelles, deux techniques principales ont pu être utilisées par les hommes préhistoriques, la percussion et la friction… La cuisson des aliments a probablement modifié le physique et le métabolisme des hommes préhistoriques. Cuits, les aliments, surtout les végétaux, sont plus faciles à mastiquer et plus digestes…

Neanderthal fut un nomade. L’imagerie populaire le montre bien souvent errant inlassablement dans une immensité dépeuplée à la recherche de sa nourriture. La réalité est tout autre. Au fil du temps, Neanderthal a colonisé toutes les régions de l’Europe. En effet, à la fin de l’avant-dernière glaciation, il n’est présent qu’en Europe centrale et surtout occidentale. Puis, à la faveur du réchauffement climatique du dernier interglaciaire, des groupes vont migrer vers l’Est et le Proche-Orient… Lors des phases de fort refroidissement, Neanderthal s’est éloigné du front glaciaire en descendant vers le sud de l’Europe ou en se réfugiant dans des zones au micro-climat plus favorable comme les vallées de la Meuse, du Rhin et de leurs affluents, de la partie moyenne de la Saale, de l’Elbe en Bohême, de la Svitava en Moravie, de la Vah en Slovaquie, et plus occasionnellement dans les vallées du haut Danube en Allemagne et du Danube. Il a progressivement déserté les grandes plaines, polonaise ou ukrainienne, leur préférant les vallées de la Vistule en Pologne, du Dniestr, de Prut, du Dniepr, de la Desna ou du Donetz en Ukraine…

S’il a peu bâti d’habitations, Neanderthal a par contre souvent aménagé son espace domestique, surtout à partir de 60 000 ans, comme aux Canalettes, à Champlost, à Biache-Saint-Vaast, à Beauvais, à Tönchesberg ou à Kulna…

Neanderthal a vécu durant une longue période et dans des contextes topographiques, climatiques et environnementaux différents. Il est plus que probable que ses modes d’occupation territoriale ont varié selon ces facteurs et que, peut-être, il a pratiqué différents types de nomadisme…

Neanderthal circulait sur de vastes territoires pour trouver sa subsistance. Dès la phase ancienne du Paléolithique moyen, entre 300 000 et 200 000 ans, s’esquisse une occupation différentielle de l’Europe, qui s’accentue durant la phase récente (à partir de 120 000 ans) où l’on assiste à une véritable structuration territoriale et à une planification des déplacements. Face aux contraintes environnementales et à la nécessité de se reproduire, Neanderthal montre une grande flaxibilité territoriale…

Neanderthal était surtout un gros mangeur de viande. C’est ce que prouvent les résultats des analyses biochimiques de ses ossements… Durant les périodes froides mais aussi tempérées, il avait un régime alimentaire plus carnivore qu’omnivore… Neanderthal connaissait non seulement les mœurs des animaux qu’il chassait, mais également leur anatomie… Neanderthal a fréquemment chassé les chevaux, les bisons et les rennes, notamment durant les phases climatiques froides et sèches…

Neanderthal, chasseur de grands mammifères, possédait les nombreuses aptitudes inhérentes à cet acte : habileté physique, sens de l’observation et de l’organisation (planification, gestion), connaissances du terrain et du gibier et maîtrise des techniques… Une chasse collective est plus fructueuse, mais elle sous-entend la nécessité de la capture d’une proie plus importante en taille ou de l’abattage de plusieurs bêtes et surtout de la bonne coordination entre les chasseurs (avec communication orale ou gestuelle)… Mais c’est, peut-être, le partage qui est le plus important… Toutes les constatations nous conduisent à penser que Neanderthal partageait avec les siens le produit de ses chasses…

Les activités pratiquées par Neanderthal attestent-elles de capacités cognitives typiquement humaines ? Mais qu’est-ce qu’un comportement typiquement humain ? Un comportement est dit typiquement humain s’il est systématiquement présent chez l’homme moderne et, soit inexistant chez l’animal, soit simplement occasionnel… Aujourd’hui, il paraît indéniable que l’évolution des techniques de taille des outils a favorisé, comme le montre l’accroissement concomitant du cerveau, l’apparition de nouvelles capacités cognitives typiquement humaines.

Les capacités cognitives de Neanderthal peuvent être appréhendées par la paléocognition, méthode qui s’intéresse à l’apparition des facultés cognitives modernes et à leur évolution… Au cours de l’évolution du cerveau, les zones correspondant au cortex associatif préfrontal (siège, entre autres, de la vie émotionnelle) et aux pariétaux s’accroissent tout particulièrement… Ces régions cérébrales sont bien développées chez Neanderthal et l’asymétrie des hémisphères est déjà réalisée…

Neanderthal a, pendant toute son existence, innové sous la pression du milieu extérieur mais également « intérieur » (social). La persistance de son inventivité à travers le temps montre que le contexte, notamment social, était favorable. Les cultures néanderthaliennes apparaissent comme une mosaïque temporelle et spatiale où les capacités d’invention de Neanderthal ont été capitales. Elles attestent de capacités cognitives spécifiquement humaines.

Neanderthal taille des outils. Cette action nécessite une intelligence spatiale (création d’une image mentale, celle de l’outil fini) et une intelligence pratique (habileté manuelle). Il reproduit les mêmes formes d’outils, il y a donc, après une réflexion déductive, transmission de l’image et des procédés employés. En outre, ces outils sont souvent conservés en prévision d’une utilisation ultérieure. Ainsi, Neanderthal prévoit et anticipe…

Avec ces armes, Neanderthal chasse de grands animaux. Cette activité, qui nécessite un fort capital de connaissances et de savoir-faire, met en jeu un nombre élevé de capacités cognitives. La chasse, qui tenait une place prépondérante dans la vie de Neanderthal, permet l’obtention d’un grand choix d’aliments. Elle lui offrait donc une grande liberté d’action, d’où la présence chez lui d’une « conscience étendue » développée. De plus, la chasse avec rabatteurs nécessite une collaboration intra-groupe et parfois inter-groupes comme lors des grandes chasses, aux mammouths par exemple. Cette activité, à caractère social et organisé, nécessite un langage. D’ailleurs, viser et toucher une proie sont des opérations mentales conçues, comme le langage, dans l’hémisphère gauche…

Neanderthal a également la maîtrise du feu ; cette maîtrise d’une force naturelle atteste d’une conscience étendue bien développée. De plus, sa production correspond à une invention technique (difficile d’imiter la nature) qui sera transmise de génération en génération, là encore par apprentissage. De même, il construit des habitations et aménage son espace domestique…

Vers 100 000 ans, Neanderthal enterre ses morts. Cet acte témoigne d’une prise de conscience de soi, d’émotions et de socialité intégrées à l’intelligence. L’implication étroite des émotions dans une décision humaine est consubstantielle à l’humanité…

Neanderthal avait de nombreux atouts physiques. Avec ses proportions corporelles parfaitement adaptées au froid, il pouvait affronter les rigueurs des hivers glaciaires. Musclé, il était capable d’exercices physiques puissants voire athlétiques. Par exemple, lors d’un exercice physique intense, son gros nez, saillant et recourbé, lui permettait de dissiper la chaleur corporelle excessive qu’engendre une telle activité. D’après la morphologie de ses os et ses articulations, Neanderthal pouvait exercer d’excellents mouvements de rotation de l’épaule et de pronations amples de l’avant-bras et du coude ce qui lui permettait de lancer loin et fort ses armes de jet ; atout considérable pour un chasseur. Globalement, il avait de grandes capacités physiques, supérieures aux nôtres, et pratiquait de façon récurrente des activités physiques intenses. Il pouvait marcher souvent et longtemps, et grimper aisément les pentes abruptes…

Y a-t-il eu des conflits entre ces clans chez les Néanderthaliens ?

Très peu de squelettes néanderthaliens portent des blessures qui pourraient résulter d’un coup meurtrier… Il a été constaté par les éthologues que, dans les espèces animales organisées, la majorité des conflits entre individus se déroulent au sein d’un même groupe. Il est évident qu’à l’époque de Neanderthal des querelles (à l’intérieur d’un clan) ont eu lieu, mais peut-être n’ont-elles pas abouti à la mort d’hommes. En ce qui concerne les conflits intergroupes, à cette périodes, la démographie était faible et les groupes dispersés sur de vastes territoires. Les probabilités d’affrontements étaient donc limitées, d’autant plus que l’entente cordiale était indispensable à la survie de ces petits groupes, notamment pour assurer la reproduction donc la descendance…

La première rencontre entre Neanderthal et l’ancêtre de l’homme moderne (notre ancêtre) a eu lieu au Proche-Orient, il y a peut-être soixante-dix mille ans. En effet, lorsque les Néanderthaliens arrivent en Palestine (à Kébara et à Amud) des hommes de type moderne, les Proto-Cro-Magnons, y vivent déjà (à Skhul, Qafezh et Tabun). Les Homo sapiens archaïques sont présents au Levant depuis cent cinquante mille ans environ (site de Zuttiyeh, Israël). Neanderthal et les Proto-Cro-Magnons vont se « côtoyer » durant au moins quarante mille ans. Ils ont les mêmes comportements techniques et symboliques ; ils taillent des outils identiques caractéristiques de l’industrie moustérienne du Levant, chassent les mêmes grands animaux et enterrent leurs morts. Leur arrivée a-t-elle exercé une pression sur les Proto-Cro-Magnons, contraignant certains groupes à changer de territoire, notamment à migrer vers l’Europe ?

La seconde rencontre, plus récente, s’est faite en Europe. Cette fois, ce sont les hommes modernes qui arrivent sur ce continent occupé jusqu’alors uniquement par Neanderthal. Ils sont porteurs de nouveaux comportements techniques et symboliques qui prendront toutes leurs dimensions dans la culture aurignacienne… Neanderthal et l’homme de type moderne vont désormais « cohabiter » durant plusieurs millénaires…

Les restes osseux des derniers Néanderthaliens ont été découverts dans plusieurs régions européennes : à Zafarraya (Espagne), où ils étaient associés à du Moustérien typique daté entre 35 000 et 30 000 ans, à Saint-Césaire... associés à l’industrie châtelperronienne datée de 36 300 plus ou moins 2700 ans avant notre ère, et dans la grotte du renne à Arcy-sur-Cure… associés à du Châterperronien daté d’environ 33 000 ans. Mais c’est en Croatie, à Vindija, que l’on a retrouvé les plus récents ossements de Néanderthaliens ; une mandibule datée, directement, de 29 080 plus ou moins 400 ans avant notre ère et un pariétal âgé de 28 020 plus ou moins 360 ans avant notre ère. Au Proche-Orient, le Néanderthalien le plus récent a été découvert à Amud dans une couche datée entre 48 000 et 43 000 ans…

Des sites sans restes humains mais à industries moustériennes et micoquiennes attestent également de la persistance tardive des Néanderthaliens dans certaines régions d’Europe. C’est le cas dans la péninsule Ibérique où ont été découverts, au sud de l’Ebre, plusieurs sites datés entre 34 000 et 28 000 ans (Cova Negra, Cova Beneito, la Carihuela en Espagne et Figueira Brava, Fos do Enxarrique, Lapa dos Furos, Pedreira das Salemas au Portugal)… De même, à l’Est de l’Europe, en Crimée, Neanderthal était encore présent aux environs de 29 000 – 28 000 ans, notamment dans les sites de Kabazi II et Buran Kaya III.

Actuellement, d’après les restes humains et les industries, on peut donc considérer qu’aux alentours de 28 000 ans des Néanderthaliens, artisans des industries moustériennes ou micoquiennes, vivaient encore en Europe…

Les industries lithiques développées par Neanderthal témoignent de ses aptitudes techniques et de la grande faculté adaptative de ses comportements et sans doute du système de relationssociales qu’ils impliquent. Cette souplesse adaptative se retrouve également à travers la variabilité de ses industries qui présentent une même technologie générale avec des traditions culturelles distinctes, souvent régionales.

Par ailleurs, lors de contraintes extéroeures fortes, Neanderthal a trouvé des solutions techniques, sans l’aide de l’homme moderne alors absent, comme l’attestent les apparitions localisées, soudaines et parfois provisoires d’industries comme celles à débitage laminaire (identifiées à Seclin, Rheindahlen, Rocourt, Tabun), technique qui sera, plus tard, couramment utilisée par l’homme moderne…

Ainsi, selon les régions, les comportements des derniers groupes néanderthaliens ont été différents. Certains ont conservé leurs modes de vie traditionnels en continuant à fabriquer des outils micoquiens ou moustériens (comme dans la péninsule Ibérique ou en Crimée). D’autres, artisans du Châtelperronien, peut-être de l’Uluzzien et de certaines industries de transition d’Europe centrale et orientale, ont changé de comportements techniques et probablement sociaux. En outre, les industries à pointes foliacées découvertes en Angleterre, en Belgique et dans les plaines du Nord, résultent d’un processus d’invention autonome, antérieur à l’Aurignacien et hors de ses zones d’influence…

De multiples causes ont été invoquées pour expliquer la disparition de Neanderthal, même les moins crédibles, comme son infériorité intellectuelle. A-t-il été foudroyé par une épidémie ? Aucun indice ne l’atteste. En outre, il aurait fallu qu’elle touche l’Europe entière. A-t-il été exterminé par l’homme moderne ? Cette hypothèse est peu étayée par les faits archéologiques car il n’y a, à l’exception de celui de Saint-Césaire, aucun squelette, datant de cette période, qui porte les marques d’un choc violent… Alors, Neanderthal a-t-il mal supporté les changements climatiques qui ont lieu à cette période ? Pas directement, car il a vécu sous divers climats et a toujours réussi à s’y adapter… Lors des refroidissements, la superficie des territoires diminue (à cause de la descente vers le sud de la calotte glaciaire et de l’extension des glaciers), provoquant la migration des grands herbivores à la recherche des pâturages et celle des hommes. Les territoires de subsistance, et notamment de chasse, se réduisent, ce qui a pu entraîner une compétition territoriale entre Neanderthal et l’homme moderne… La continentalisation du climat force Neanderthal à se déplacer plus souvent et sur de plus longues distances. Cette mobilité que l’on peut qualifier d’excessive, a probablement provoqué l’augmentation du nombre des décès lors des trajets, notamment des individus les plus fragiles… Chez Neanderthal, on sait que la mortalité infantile était élevée, de même que celle des femmes enceintes et parturientes ; les déplacements fréquents ont probablement accentué ce phénomène.

Mais Neanderthal n’a peut-être pas totalement disparu. En effet, quelques paléoanthropologues et préhistoriens soutiennent la théorie du métissage entre neanderthal et les hommes modernes… Les rares découvertes de restes humains présentant à la fois des traits caractéristiques des deux populations sont pour l’instant sujets à controverse. C’est le cas de la mandibule humaine trouvée, hors contexte archéologique, dans la grotte de Pestera Cu Oase au sud-ouest de la Roumanie, en 2002… Un autre candidat potentiel aurait été trouvé au Portugal (site de Lagar Velho, vallée de Lapedo, sépulture datée de 24 500 ans)…

Les Néanderthaliens n’ont pas tous disparu en même temps et au même endroit. Leur disparition résulte d’un processus relativement long et de la conjonction de plusieurs facteurs. L’hypothèse d’une démographie insuffisante paraît la plus convaincante… Neanderthal, comme d’autres espèces avant lui, était-il arrivé au terme de son évolution biologique ? »

Un article de Maria Fernanda Sanchez Goñi, Francesco d’Errico et Anne-Laure Daniau dans l’ouvrage collectif « Des climats et des hommes » :

« La variabilité climatique rapide de la dernière période glaciaire et l’extinction des Néanderthaliens »

« Les changements climatiques ont-ils joué un rôle dans l’extinction des Néanderthaliens et l’arrivée des hommes anatomiquement modernes en Europe, entre 37 000 et 29 000 ans avant le présent ? (…) Des hypothèses contradictoires ont été avancées quant au rôle du climat sur l’extinction des Néanderthaliens. Certains chercheurs ont suggéré que les hommes anatomiquement modernes, porteurs de la culture aurignacienne et adaptés à des climats tempérés, auraient colonisé l’Europe à partir du Proche-Orient il y a environ 40 000 ans, à la faveur d’un réchauffement climatique.Arrivés dans le sud de la France et dans le nord de la péninsule Ibérique au cours de cette période, ils auraient graduellement poussé les Néanderthaliens vers le nord, où ces derniers auraient disparu au cours de la phase froide suivante, il y a 32 000 – 30 000 ans. D’autres chercheurs ont vu au contraire les Aurignaciens comme une population adaptée au froid qui aurait supplanté les derniers Néanderthaliens vers 39 000 avant le présent, à la faveur d’un refroidissement climatique. Ce refroidissement aurait fait suite à une longue période tempérée au cours de laquelle se seraient développées des cultures néanderthaliennes dites de transition, interprétées par certains comme la conséquence d’une acculturation des derniers Néanderthaliens par les Aurignaciens. La persistance des Néanderthaliens dans le sud de la péninsule Ibérique, mise en évidence au cours des dernières années, confirmerait cette hypothèse en témoignant de la bonne adaptation de populations néanderthaliennes aux milieux tempérés. Enfin, une autre hypothèse a été proposée récemment : les derniers Néanderthaliens se seraient éteints à cause d’un stress prolongé produit par une détérioriation graduelle, et non millénaire, du climat qui aurait affecté cette région entre 40 000 et 20 000 ans avant le présent (Finlayson et al., 2006). Grâce à leur faible densité de population, les Néanderthaliens auraient survécu dans des refuges, comme Gibraltar, pendant plusieurs milliers d’années après l’arrivée des Aurignaciens dans ces régions. (…)

Les hommes de Cro-Magnon semblent s’implanter en France et dans le nord de la péninsule Ibérique aux alentours de 41 000 avant le présent mais investissent la région au sud de l’Ebre seulement à partir de 37 000 avant le présent…

La corrélation des données paléoclimatiques issues des séquences marines avec les données archéologiques disponibles pour cette période montre que l’arrivée de l’Aurignacien en France et dans le nord de la péninsule Ibérique, aux alentours de 41 000 avant le présent, coïncide avec l’interstadiaire du Groenland 9 et la période froide successive, le stadiaire de Heinrich 4, caractérisé par l’une des plus fortes débâcles d’icebergs. Les datations au carbone 14 par accélérateur suggèrent que le développement de l’Aurignacien est contemporain de cet épisode froid et, dans une moindre mesure, de la période tempérée qui lui succède. Le Moustérien disparaît en France avant le stadiaire de Heinrich 4 et le Châtelperronnien, culture des derniers Néanderthaliens, juste avant ou, peut-être, au tout début de cette période. Pendant le stadiaire Heinrich 4, les hommes modernes ne colonisent pas le sud de la péninsule Ibérique où ils apparaissent exclusivement au cours de la phase tempérée suivante (interstadiaire du Groenland 8), vers 37 000 avant le présent. Dans cette même région, l’absence de sites moustériens datés du stadiaire de Heinrich 4 et leur réapparition à la fin de cette période suggèrent une contraction de la population néanderthalienne suivie par une expansion momentanée, avant son extinction définitive il y a environ 30 000 ans…

Une simulation numérique a été réalisée en prenant en considération les paramètres climatiques connus pour cette époque (volume de glace, insolation, concentration de CO²) et en « forçant » ensuite un modèle général de circulation atmosphérique avec le refroidissement des eaux de surface de l’Atlantique nord enregistré dans les sondages marins pour le stadiaire de Heinrich 4 à la suite des débâcles d’icebergs. Le climat stimulé a été ensuite utilisé pour prédire la végétation qui aurait pu se développer dans ces conditions. (…)

(Ici nous ne reproduisons pas tout le raisonnement des auteurs…)

Cela indique clairement que l’extinction des Néandertaliens n’est pas due à des causes climatiques. Cette conclusion est logique si on rappelle qu’avant l’arrivée des hommes moderne,s les Néandertaliens ont été soumis à plusieurs reprises à des changements climatiques aussi abrupts que ceux du stade isotopique 3 et ont traversé des périodes de détérioration climatique bien plus longues que celle du stadiaire de Heinrich 4… »

La thèse erronée de la croissance continue du cerveau humain

Tout d’abord, il n’existe aucune thèse scientifique affirmant sérieusement que l’intelligence humaine soit proportionnée à la taille du cerveau ou d’une de ses zones. La flexibilité d’utilisation du cerveau permet d’attribuer de manière transformable telle activité à telle zone.

L’évolution du cerveau ne s’est pas faite de façon linéaire mais par paliers. Les premiers australopithèques possédaient un cerveau un peu plus grand que le cerveau des chimpanzés actuels. Les Australopithecus afarensis avaient un volume endocrânien compris entre 400 et 550 cm3, alors que les crânes de chimpanzés vivant aujourd’hui ont un volume interne de moins de 400 cm3 et les gorilles entre 500 et 700 cm3. La taille du cerveau a ensuite progressivement augmenté par rapport à la taille du corps pendant 2 millions d’années. On estime que la taille du cerveau aurait été multipliée par plus de 3. Homo habilis, premier représentant connu du genre Homo, apparu il y a 2,3 millions d’années, a vu une augmentation modeste de la taille de son cerveau. Il présentait en particulier une expansion d’une partie du lobe frontal impliquée dans le langage appelé l’aire de Broca. Les premiers crânes fossiles d’Homo ergaster, datés de 1,8 million d’années, présentaient un volume en moyenne légèrement supérieurs à 750 cm3. De là, le volume crânien a lentement augmenté pour atteindre 1 000 cm3 il y a environ un million d’années. Homo ergaster est notamment l’inventeur de l’industrie acheuléenne. Il y a 450 000 ans, Homo neanderthalensis apparaît. Son cerveau culmine entre 1 300 et 1 700 cm3. Il est l’humain ayant eu le plus grand cerveau. D’après les analyses de fossiles de nouveau-nés néandertaliens, il semble pourtant qu’à la naissance, leur tête n’était pas plus grande que celle des humains modernes mais que la croissance des enfants néandertaliens était plus rapide, ce qui leur permettaient d’atteindre un volume crânien plus important qu’Homo sapiens.

Il y a environ 300 000 ans, c’est au tour d’Homo sapiens d’apparaître. Son cerveau atteint 1 500 cm3. La taille moyenne du cerveau des hommes modernes a diminué au cours des 28 000 dernières années. Le cerveau masculin a diminué de 1 500 cm3 à 1 350 cm3 (soit 10 %) tandis que le cerveau féminin a diminué dans la même proportion. Les 10 000 dernières années de l’existence de l’espèce humaine a vu une diminution de la taille des cerveaux. Des carences nutritionnelles chez les populations agricoles sont un facteur parfois avancé par certains chercheurs pour expliquer cette tendance. Les sociétés industrielles des 100 dernières années ont cependant vu la taille du cerveau rebondir. La meilleure nutrition infantile et la diminution du nombre des maladies pourraient en être la raison.

Les conséquences de cette diminution de la taille du cerveau depuis Néandertal ne sont pas clairement établies. Il n’est pas exclu que Néandertal ait eu de meilleures capacités cognitives dans certains domaines. Certains scientifiques pensent que sa vision était meilleure que celle des hommes modernes. Certains chercheurs pensent que les capacités cognitives de Neandertal étaient au moins similaires à celle de l’homme moderne40,32. D’autres travaux théorisent une plus grande efficacité du cerveau des hommes modernes qui compenserait une taille plus réduite. À partir du Pléistocène supérieur, Homo sapiens d’abord, puis l’Homme de Néandertal ont enterré leurs morts ce qui est une preuve d’une pensée métaphysique. Ils utilisaient tous deux une gamme d’outils plus ou moins élaborés, et ont eu une production artistique, quoique limitée chez Néandertal. De récentes études de 2017 de la plaque dentaire trouvée sur des dents de Néandertaliens suggèrent que les hommes de Neandertal utilisaient des plantes médicinales pour se soigner notamment des analgésiques (acide salicylique des bourgeons de peuplier) et des antibiotiques naturels (Penicillium).

Homo sapiens avait un cerveau de taille plus importante il y a 30 000 ans !

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Toutes les zones du cerveau n’ont pas augmenté de la même manière. Au cours des deux derniers millions d’années, même quand le cerveau du genre Homo a considérablement augmenté de taille, cela n’a pas été identiquement pour toutes les zones du cerveau, en particulier les parties préfrontale, pariétale postérieure, latérale temporale et les régions insulaires. La spécialisation des deux hémisphères cérébraux pour des fonctions connexes mais différentes est devenue plus prononcée, le langage et d’autres capacités cognitives avancées ont émergé. A contrario, certaines parties du cortex n’ont pas changé de taille malgré l’augmentation de volume du cerveau humain, notamment les zones sensorielles et motrices primaires. Une autre région ayant particulièrement grandi est le cortex pariétal postérieur. Les ancêtres non-primates des primates avaient un cortex pariétal postérieur très réduit mais tous les primates ont une grande région pariétale postérieure où les stimuli somatosensoriels et visuels influencent les zones ou les domaines du cortex impliqués dans la planification, l’imitation, la saisie d’objets, l’auto-défense et les mouvements oculaires via leurs projections dans le cortex moteur et prémoteur. Le cortex pariétal postérieur est exceptionnellement grand chez les humains. Il a permis l’apparition de nouvelles fonctions, telles que l’utilisation précise de nombreux types d’outils qui est propre aux humains modernes.

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