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Wilhelm Reich, « A propos de l’application de la psychanalyse dans la recherche historique »

dimanche 23 juin 2019, par Robert Paris

Wilhelm Reich, « A propos de l’application de la psychanalyse dans la recherche historique »

(Une traduction sommaire)

« La recherche sur la formation de structures psychiques relève de la psychologie scientifique naturelle. Dans cet objectif, seule la psychologie possède les méthodes nécessaires pour résumer et décrire la dynamique et l’économie du processus psychique. Dans mes travaux sur les relations de la psychanalyse avec le matérialisme dialectique [1], j’ai essayé de prouver que la psychanalyse est le germe à partir duquel une psychologie matérialiste dialectique pourrait être développée. Comme la vision bourgeoise des scientifiques tends d’ordinaire à pénétrer dans leur propre discipline sous forme de distorsions et de conceptions de base incorrectes, la critique méthodologique est une condition préalable à toute tentative de construction d’une psychologie matérialiste dialectique. Là, j’ai rejeté la possibilité qu’une sociologie puisse être déduite de la psychanalyse, car la méthode de la psychologie, lorsqu’elle est appliquée à la réalité sociale, doit inévitablement conduire à des résultats métaphysiques et idéalistes et y a effectivement conduit. Cela m’a valu de féroces attaques de la part des psychanalystes qui pratiquent la « sociologie sauvage ». Autant il était clair pour moi que cela était alors qu’une méthode psychologique ne peut pas être appliquée à des problèmes sociologiques, autant il était certain que la sociologie ne pouvait la formuler sans psychologie, dès lors que des problèmes tels que la fameuse « activité subjective » des personnes et la formation de l’idéologie. Lorsque j’ai trouvé une formule provisoire avec laquelle j’ai tenté d’indiquer la place de la psychanalyse en sociologie, j’ai été attaqué par Sapir avec le reproche que je me serais contredit ; puisque j’ai moi-même nié la possibilité d’appliquer la psychanalyse en sociologie, mais que d’autre part, je lui ai donné quand même une place spécifique, il n’était pas difficile de me faire un tel reproche.

Mes critiques, cependant, ont eu une tâche plus facile que moi. Certains ont continué sans se faire de soucis à développer leur "sociologie psychanalytique", qui a finalement célébré sa victoire avec l’affirmation que l’existence de la police devait découler de la nécessité de punir les masses. D’autres réglé ce problème difficile en témoignant que la psychanalyse était une discipline « idéaliste » et qu’on n’avait pas à se faire de souci avec cette question, témoignant ainsi de leur refus de s’interroger. Certains critiques, tels que Sapir, se sont toutefois contredits quand, en même temps, ils ont dû admettre que la psychanalyse avait fait une série de découvertes fondamentales, qu’elle avait développé la meilleure théorie de la sexualité, qu’elle avait découvert avec l’inconscient et la répression sexuelle et par là le processus psychique, etc. Sur ma question, comment il était possible pour une discipline idéaliste de faire des découvertes importantes, ils ne pouvaient que plaider coupable.

Jusqu’à présent, la discussion sur la signification sociologique de la psychanalyse est caractérisée par deux points de vue opposés ; l’un soutient que la psychanalyse en tant que psychologie individuelle ne peut pas expliquer la société ; l’autre qu’il ne s’agit pas seulement de psychologie individuelle, mais aussi de psychologie sociale et que, sur cette base, elle est très compétente pour les phénomènes sociaux. Il convient de noter qu’il s’agissait d’un différend sur des mots, sans que l’on tente de comparer les affirmations à des faits réels. Lorsqu’en 1929 j’ai rejeté l’application de la méthode psychanalytique aux phénomènes sociaux, je me suis fondé sur les applications alors suivies de la méthode psychanalytique en sociologie, réalisées par des psychanalystes, qui étaient strictement contraires à la méthode de Marx et se sont révélées incorrectes. Le fait que la psychanalyse ait son mot à dire en sociologie est clair, la question est simplement de savoir comment éviter les absurdités qu’elle avait proférées jusqu’à présent, dans quelle direction aller, comment cultiver ces trésors qui étaient bien que visibles mais temporairement inaccessibles. Bien que dans mon travail paru avec le titre « Sous la bannière du marxisme », j’ai rejeté l’application de la méthode psychanalytique en sociologie, en même temps, il s’agissait d’un positionnement provisoire, ce qui a permis à Sapir de me reprocher mon inconséquence. »

J’ai écrit à l’époque :

"Cependant, ces considérations donnent à penser que la psychanalyse, en raison de sa méthode de présentation des racines pulsionnelles de l’activité sociale de l’individu et du fait de sa doctrine dialectique des pulsions, est l’effet psychique des rapports de production dans l’individu, c’est-à-dire à expliquer avec précision la formation des idéologies dans l’"esprit de l’homme". Entre les deux pôles que sont la structure économique de la société et la superstructure idéologique, dont l’interprétation matérialiste a largement montré le lien de causalité, l’interprétation psychanalytique de la psychologie de la personne socialisée insère une série de liens intermédiaires. La psychanalyse peut montrer que la structure économique de la société dans l’"esprit de l’homme" n’est pas directement convertie en idéologies, mais que le besoin nutritionnel, qui dans ses manifestations dépend des relations économiques actuelles, influence les fonctions de la société, agit sur l’énergie sexuelle beaucoup plus souple, et que cet impact social sur les besoins sexuels, en limitant leurs objectifs, transfère constamment de nouvelles forces productives sous forme de libido sublimée au processus social du travail. En partie directement sous la forme de force de travail, en partie indirectement sous la forme de résultats plus avancés de la sublimation sexuelle, tels que la religion, la morale en général, la morale sexuelle en particulier, la science, etc. Cela signifie que la psychanalyse est insérée de manière rationnelle dans l’interprétation matérialiste de l’histoire à un moment très spécifique et approprié : le point de départ des problèmes psychologiques, qui sont mis en lumière par la proposition de Marx selon laquelle le mode d’existence matériel est converti en idées dans l’esprit de l’homme. Le processus de libido dans le développement social est donc second, c’est-à-dire dépendant du développement social, même s’il y exerce une influence déterminante, puisque la libido sublimée devient une force productive en tant que force de travail. "[4]

Je pourrais maintenant formuler certaines choses plus clairement et, en ce temps-là, je n’aurais pas suggéré la religion et la moralité comme une sublimation pulsionnelle. À l’époque, j’étais conscient de la factualité simple (que j’ai depuis appréciée dans une bien plus grande mesure), que, par exemple, la structure psychique d’une ouvrière chrétienne qui adhère au Centre ou au fascisme, et qu’on ne peut détourner de son engagement politique par aucun moyen classique, doit être d’une certaine nature différente, qui se distingue de la structure psychique d’un ouvrier communiste. Par exemple, sa dépendance matérielle et autoritaire vis-à-vis des parents dans sa jeunesse et de son épouse à l’âge adulte l’a obligée à refouler ses désirs sexuels, de sorte qu’elle est tombée dans la peur caractérielle et la peur de la sexualité facilement décelables, ce qui l’a rendu imperméable au discours communiste, à l’autonomie et à la libre détermination de la femme ; qu’en outre, une fois un certain seuil de refoulement dépassé ou sous certaines formes de répression sexuelle déterminées, cela lie quelqu’un à l’Église et à l’ordre bourgeois et le prive de la possibilité de la critique. L’importance de ce problème est évidente non seulement du fait qu’il existe des millions de telles femmes, mais bien davantage parce que la conclusion inévitable de ce type de pensée n’est pas simplement qu’elle rend l’individu « stupide » ou « naïf », mais quelle change en profondeur la structure humaine dans le sens de l’ordre dominant. Compte tenu des implications pratiques de ces questions, parmi d’autres concernant la psychologie des masses, je ne pouvais pas céder à l’incitation de mes amis marxistes qui me poussaient à donner une réponse théorique directe à la critique de Sapir [5]. Les discussions théoriques sont généralement rendues stériles lorsqu’elles ne sont pas basées sur des problèmes pratiques. Il a fallu poser le principe selon lequel notre décision sur le sens à donner à la psychanalyse au sein de la lutte de classe devait reposer sur la base de problèmes particuliers du mouvement politique. Cette voie était en effet la plus fructueuse, à la fois en ce qui concerne la critique des théories métaphysiques en psychanalyse et le cadre théorique de la psychanalyse dans la recherche historique marxiste. [6]

Ce cadre devrait être basé sur la prise de conscience claire que les problèmes sociologiques ne peuvent pas être abordés avec une méthode psychologique. Dans le même temps, cependant, il devrait ouvrir toute la possibilité de donner aux recherches marxistes en histoire et en politique une forme plus fructueuse, grâce à la connaissance de la psychanalyse (et non pas de sa méthode) dans certains domaines, tels que l’idéologie, sa rétroaction, etc. Cela empêche le psychologue non instruit sur le plan sociologique d’accéder à la sociologie et l’oblige à maîtriser la méthode de la recherche historique. En même temps, cela oblige l’économiste à reconnaître sa contradiction lorsqu’il parle de la conscience de classe.

C’est pourquoi, quand les analystes me disent aujourd’hui que j’ai tempéré mon point de vue très strict sur l’exclusion de la psychanalyse de la recherche sociologique, parce que je soulève moi-même des "points de vue" psychanalytiques sur des phénomènes de masse, je dois leur demander de relire mon travail de 1929, pour voir qu’il n’en est rien. J’écrivais alors :

« L’objet même de la psychanalyse est la vie psychique de la personne socialisée. La vie psychique des masses ne lui concerne que dans la mesure où des phénomènes individuels peuvent être reconnus dans les masses (comme, par exemple, le problème du dirigeant), en outre, dans la mesure où il s’agit de phénomènes de la « psychologie de masse » tels que la peur, la panique, l’obéissance, etc. peuvent être expliqués à partir de ses expériences sur l’individu. Mais il semble que le phénomène de la conscience de classe ne lui soit guère accessible et que des problèmes tels que le mouvement de masse, la politique et la grève, qui appartiennent à la théorie sociale, ne pourraient pas être des objets de la méthode psychanalytique. Elle ne peut donc pas remplacer la théorie sociale, ni la développer par elle-même. "

Après cette explication, il sera clairement apparu que ces phrases avaient été correctement rédigées et ne nécessitaient que d’être précisées. Comme auparavant, nous ne pouvons pas interpréter les problèmes sociaux de manière psychanalytique, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas être un objet de la méthode psychanalytique. La question de la conscience de classe n’était pas claire à l’époque, alors j’ai dit : "on dirait que ..." Aujourd’hui, nous trouvons déjà des formulations plus certaines. Au cours de nouvelles expériences, il est apparu que la première condition pour une interprétation psychologique du problème de la conscience de classe est une distinction nette entre son côté objectif et son côté subjectif. (Cela a seulement été abordé dans les travaux précédents dans « Sous la bannière du marxisme ».) Il est apparu en outre que les éléments positifs et les forces motrices de la conscience de classe ne peuvent pas être interprétés de manière psychanalytique, mais que les inhibitions du développement de la conscience de classe sont purement psychologiques et ne sont à comprendre que de manière psychanalytiques, car leurs origines sont irrationnelles.

Mes critiques ont été et sont souvent trop hâtifs dans leurs jugements ; Lorsque la science étend son activité à un nouveau domaine, elle doit d’abord mettre de côté de nombreuses croyances anciennes pour pouvoir considérer les choses sans préjugés. Cela peut aussi l’amener à représenter ou formuler à tort un point dans ses formulations initiales. Pour développer une psychologie marxiste correcte, il faut d’abord mettre fin à l’application des techniques d’interprétation psychanalytique dans le domaine sociologique ; alors seulement, on pourrait déterminer ce qui est rationnel et ce qui est irrationnel dans le problème de la conscience de classe, c’est-à-dire combien de place on peut donner à l’interprétation des phénomènes irrationnels. Lorsque, par exemple, je me réfère à la volonté révolutionnaire comme à une rébellion contre le père, je tombe, y compris dans le domaine sociologique, dans l’idéologie de la réaction politique ; cependant, quand j’examine concrètement dans quelle mesure la volonté révolutionnaire découle d’une situation rationnelle, dans quelle mesure l’absence d’une telle volonté est irrationnelle, où la volonté révolutionnaire découle réellement d’une rébellion inconsciente contre le père, alors j’ai une science bourgeoise "sans préjugés" convenablement réfutée, effectuant elle-même de vrais travaux scientifiques et fournissant ainsi un service au mouvement ouvrier et non à la réaction politique ; car la science marxiste n’est rien d’autre que la révélation inexorable de liens réels.

La clarté de la méthodologie revêt une importance décisive pour les résultats de chaque étude lors de la définition de la psychanalyse dans la recherche historique. C’est pourquoi il est important d’examiner de plus près les critiques formulées par Fromm dans son travail sur la méthode et les tâches de la psychologie sociale analytique [7] à propos de la formulation précédemment citée dans mon travail « Le matérialisme dialectique et la psychanalyse ». Fromm écrit :

« Il faut essayer d’utiliser les moyens de la psychanalyse pour découvrir le sens caché et la cause de comportements irrationnels si frappants dans la vie sociale, comme dans toutes les religions et dans les coutumes populaires, mais aussi dans la politique et dans l’éducation... Pour trouver la clé du comportement humain dans l’instinct de la vie, dans l’inconscient, la psychanalyse doit également être compétente et capable de faire une déclaration essentielle sur les origines de comportement social. Car la "société" est, elle aussi, composée d’individus vivants particuliers, qui ne sont pas basés sur d’autres lois psychologiques que celles découvertes par la psychanalyse chez l’individu. Il nous semble donc incorrect si, comme le fait W. Reich, on a réservé le domaine de la psychologie de l’individu à la psychanalyse et contesté fondamentalement son applicabilité à des phénomènes sociaux tels que la politique, la conscience de classe, etc. Le fait qu’un phénomène soit traité dans la théorie sociale ne signifie pas nécessairement qu’il ne peut pas être étudié comme un objet de psychanalyse (tout comme il n’est pas correct de dire qu’un objet que l’on examine pour ses aspects physiques ne devrait pas être considéré pour ses aspects chimiques). Cela signifie seulement que le phénomène n’est qu’un objet de la psychologie, et en particulier de la psychologie sociale, dans la mesure où les faits psychiques y jouent un rôle, qui doit déterminer les arrière-plans sociaux et les fonctions du phénomène psychique. »

Malheureusement, Fromm a seulement cité mon exclusion, mais pas mes formulations sans équivoque sur la place que la psychanalyse devrait occuper dans la recherche sociologique, et ne peut occuper qu’en montrant comment le matériel dans la tête de la l’homme est transformé en moment idéel. Cette psychanalyse et elle seule peut expliquer un comportement irrationnel, tel que le religieux et le mystique de toute nature, car elle seule est capable d’enquêter sur les réactions pulsionnelles de l’inconscient. Elle ne peut le faire de manière appropriée que si elle prend non seulement en compte les "facteurs économiques", mais également très précisément les structures inconscientes qui, en tant que telles, réagissent de manière irrationnelle, produites elles-mêmes par le biais de facteurs socio-économiques historiques et que la motivation des mécanismes inconscients ne peut en aucun cas être opposée aux mécanismes économiques, mais uniquement en tant que forces pouvant être perçues comme un intermédiaire entre l’être social et la réaction humaine. Cependant, si Fromm prétend que la psychanalyse peut faire des déclarations substantielles sur les "raisons profondes du comportement social", la société étant composée d’individus, il s’agit d’une imprécision dans la formulation qui rouvre la porte aux abus de la psychologie que Fromm veut éliminer. Dans la mesure où l’expression "comportement social" inclut le comportement des personnes dans la vie sociale, le contraste entre comportement personnel et social n’a pas de sens, car il n’y a pas d’autre comportement que le comportement social. Le comportement dans le rêve éveillé est également social, à la fois déterminé par des faits sociaux et caractérisé par des relations fantasmées avec des objets. Pour clarifier la situation ici - espérons-le de manière définitive, nous devons élargir les critiques de Fromm sur la sociologie psychanalytique officielle. Il ne s’agit pas de subtilités méticuleuses, mais de questions très générales. Il existe de très nombreux comportements sociaux chez les personnes, dans lesquels les intermédiaires décrits des mécanismes de pulsion inconscients décrits, si décisifs dans d’autres phénomènes, jouent à peine un rôle dans l’activité humaine. L’essentiel est que le comportement des petits épargnants, par exemple, en cas de faillite d’une banque ou de rébellion des agriculteurs en cas de chute du prix du grain, ne peut être expliqué par des motifs libidineux inconscients ou par la rébellion. Il est important de savoir que dans de tels cas, la psychologie ne peut faire que des déclarations sur l’influence sur le comportement, mais rien sur ses causes et ses origines.

L’essentiel est que le capitalisme ne peut pas être expliqué par la structure analytique de l’homme, mais celle-ci par l’ordre de la sexualité dans la société patriarcale. Et la société ne consiste pas seulement en des individus particuliers (ce serait une sorte de boîte de jeu de cartes), mais en une multitude d’individus, qui sont précisément déterminés dans leur vie et leur pensée par leurs rapports de production qui agissent sur eux, sur leur volonté et leurs instincts, rapports de production qui sont totalement indépendants de leur volonté et aussi de leurs pulsions ; en tout cas de telle manière que les rapports de production modifient précisément la structure pulsionnelle, par exemple dans la reproduction idéologique et structurelle du système économique, dont nous traiterons plus tard,. Donc, lorsque nous disons que nous voulons clarifier les arrière-plans, il est important de déterminer avec précision quels arrière-plans. Et c’est l’essence, en fait ce qui nous distingue des orientations contestées de la « psychologie sociale » conventionnelle : savoir que nous sommes conscients des limites et des dépendances de la psychologie, que nous avons que nous ne pouvons, par le moyen de notre représentation psychique, interpréter que des chaînons intermédiaires entre base et superstructure, que le « processus métabolique » entre la nature et l’homme. Le fait que nous clarifions également de cette manière l’effet rétroactif de l’idéologie sur la base de la structure des relations de production formées constitue un revenu supplémentaire considérablement plus important. Pourquoi cette limite précise est-elle si extrêmement importante ? Parce qu’il y a ici une frontière entre une application idéaliste et matérialiste dialectique de la psychologie dans le domaine social. Les fruits que cette clarification offre méritent qu’on donne les explications les plus épuisantes et les plus méticuleuses, qui peuvent se résumer en concluant que nous ne pouvons parler des antécédents du comportement humain hors du champ de la psyché, des lois économiques qui déterminent le processus social et des lois physiologiques qui régissent l’appareil pulsionnel, sans conclure immédiatement une alliance avec la métaphysique.

En ce qui concerne un autre thème qui cadre directement avec cette distinction, je dois contredire Fromm et les autres partisans de mes vues précédentes. Fromm estime que ma négation de l’application de la méthode psychanalytique aux phénomènes sociaux, tels que la grève, est incorrecte. D’autres amis marxistes ont objecté que l’on pouvait effectivement appliquer la méthode psychanalytique aux phénomènes sociaux, parce que ses caractéristiques essentielles sont une méthode matérialiste dialectique. Fromm lui-même pense que, dans mes travaux sociologiques et empiriques, j’aurais changé ma position "de façon heureuse". Ce n’est pas le cas. Comme par le passé, j’évite d’appliquer la méthode psychanalytique aux faits sociaux, pour la raison suivante, que je peux bien formuler ici pour la première fois de manière précise. Il est juste de dire : avec la méthode du matérialisme dialectique, nous étudions les phénomènes sociaux ; il est correct de dire : la psychanalyse est une méthode de recherche matérialiste dialectique. Par conséquent, selon le logicien abstrait, la méthode psychanalytique pourrait être appliquée "logiquement" aux phénomènes sociaux, sans causer de dommages. Mes amis ici tombent sans le vouloir dans une pensée abstraite, idéaliste-logique. Ils ont raison selon les lois de la logique abstraite ; ils commettent une erreur selon les lois de la dialectique. Coupage de cheveux en quatre ? Non, ce n’est qu’une question très simple : la méthode du matérialisme dialectique est en effet une méthode unitaire partout où nous l’appliquons. Partout s’y applique la thèse de l’unité des contraires, de la transformation de la quantité en qualité, etc. Pourtant, la dialectique matérialiste est différente en chimie en sociologie et encore en psychologie. Parce que la méthode de recherche ne flotte pas dans l’air, mais que sa particularité est déterminée par l’objet auquel elle s’applique. C’est ici que la justesse de la proposition de l’unité de la pensée et de l’être devient claire. Par conséquent, le cas spécifique de la dialectique matérialiste de la méthode sociologique ne peut pas être confondu avec le cas spécifique de la méthode psychologique. Quiconque pense que les problèmes sociologiques pourraient être résolus avec la méthode psychanalytique, qu’il le veuille ou non, pense aussi que le capitalisme devrait être étudié par les méthodes de l’analyse chimique. Cette argumentation est la même que dans la reconnaissance de la validité de la méthode psychanalytique pour les conditions sociales ; parce que le processus social concerne sans aucun doute à la fois le matériel et les personnes.

Donc, si on peut simplement effectuer l’examen par le domaine psychologique, pourquoi pas par le domaine chimique. Cet exemple montre où mène la position de Fromm si on la suit de façon rigoureuse. Fromm a tort quand il affirme que les analystes ont abouti à des résultats incorrects dans le domaine sociologique, car ils s’écartaient en sociologie de la méthode analytique. Non. Ils étaient tout à fait cohérents dans l’application de la méthode d’interprétation des contenus psychologiques significatifs, du retour des phénomènes psychologiques aux mécanismes pulsionnels inconscients dans le cas des phénomènes sociaux, tels que, par exemple, l’organisation capitaliste ou monogamique. Et c’est précisément pourquoi cela a mal tourné, parce que la société n’a pas de psyché, pas d’inconscient, pas de volonté, pas de SurMoi, comme Freud l’assume dans « Malaise dans la Civilisation » ; de cette manière, les faits réels, sur lesquels chaque application spécifique de la dialectique matérialiste est complètement dépendante, ont été introduits dans différents types de processus, où ils ne se produisent pas objectivement, et cela produit un non-sens. Il n’est pas vrai non plus, comme le suppose Fromm, qu’un même objet puisse être examiné chimiquement et physiquement en même temps. La physique ne peut pas déterminer la composition chimique, et la chimie ne peut pas déterminer la chute d’un corps ; différentes fonctions ou propriétés d’un même objet sont simplement examinées à l’aide de différentes méthodes, même si toutes deux dialectiquement matérialistes. La même chose s’applique à la sociologie. Expliquer psychologiquement et socio-économiquement le même fait social, ce n’est en réalité pratiquer de la jonglerie pseudo-scientifique. C’est de l’éclectisme de la pire espèce. Examiner les différentes fonctions d’un même phénomène avec les méthodes appropriées et reconnaître ainsi la fusion et la dépendance mutuelles de ces fonctions, c’est l’application du matérialisme dialectique. Donc, si Fromm affirme que la psychologie sociale devrait "enquêter sur les antécédents sociaux et les fonctions du phénomène psychologique", alors c’est inexact. Un exemple : le contexte social et la fonction de la religion, la moralité, etc., sont des fonctions sociologiques et économiques d’une relation de classe, de la relation ouvrier-capitaliste de la production ; ceci est déterminé par la propriété privée des moyens de production, par la différenciation entre la valeur d’utilité et la valeur d’échange de la force de travail, et donc des catégories sociologiques. En raison des mesures du pouvoir économique de la classe dirigeante, ce rapport de production est ancré dans les structures psychiques des membres de la société, en particulier dans celles de la classe dirigée, leur structure étant assistée par des institutions spéciales, telles que la famille, l’école, l’église, etc., change et se transforme de manière chronique. Nous devons ensuite faire face à un phénomène psychologique social, par exemple la relation père-fils dans sa double nature : servage plus rébellion contre l’autorité, qui découle principalement de la cohésion économique et secondairement de l’attitude émotionnelle irrationnelle. Selon la vision psychanalytique officielle, cette relation émotionnelle crée la relation père-fils, c’est-à-dire le phénomène de la relation autoritaire, par exemple, entre capitaliste et travailleur, alors qu’en réalité cette relation autoritaire est déjà présente avant la relation émotionnelle en raison de la relation de classe. La recherche avec la méthode socio-économique conduit à la divulgation de la relation de classe. La recherche avec les moyens de la psychanalyse conduit à la divulgation de ses dérivés, non pas à une clarification des fonctions sociales, mais seulement à leur intégration psychologique. Si on fait l’inverse et que l’on considère la relation entre deux individus de deux classes comme celle de deux institutions psychiques chez une même personne, alors il faut, sans être particulièrement méchant dès la naissance, se mettre d’accord sur ce qu’un éminent analyste m’a déjà dit, à savoir que la bourgeoisie ne ferait que remplir la fonction du SurMoi pour contrôler le prolétariat c’est-à-dire le « ça » de l’organisme social.

Je suis convaincu que Laforgue est une très bonne personne, mais il devait néanmoins nécessairement conclure que l’existence de la police pouvait s’expliquer par le besoin de punir les masses, puisqu’il étudie la police psychologiquement et non en tant qu’institution sociale.

J’ai appliqué les résultats psychanalytiques en sociologie à divers travaux empirico-sociologiques, sans aborder spécifiquement les problèmes de la méthode appliquée. Je souhaite maintenant les illustrer sur la base d’un exemple : la grève est un phénomène sociologique dans la phase capitaliste du développement social

La sociologie de Marx examine les processus qui conduisent à une grève, en exposant par exemple le rapport de production entre ouvriers et capitaliste, loi de l’économie capitaliste selon laquelle la force de travail est achetée et consommée en tant que marchandise par les propriétaires des moyens de production, comme tout autre marchandise ; il trouve ainsi des lois économiques, selon lesquelles la concurrence oblige les entrepreneurs à réduire les salaires, à augmenter le taux de profit, etc. Cependant, cette grève est menée par la volonté et la conscience des travailleurs concernés, c’est-à-dire que la sociologie a d’une certaine manière un représentant psychique. La psychologie doit donc pouvoir contribuer, mais comment ? Parce que cela dépend de ce sur quoi elle énonce ses affirmations. Il va maintenant immédiatement apparaître que la psychanalyse de l’inconscient d’un ou de plusieurs travailleurs en grève ne pourra rien dire sur la grève en tant que phénomène social ni sur ses "origines", et même pas beaucoup sur les motivations qui ont ému les travailleurs lors de la grève. Même lorsque nous résumons ce que les travailleurs ont en commun, à savoir la psychologie sociale, nous ne disons pas pourquoi il y a eu des grèves, c’est-à-dire que la psychologie sociale n’explique pas la grève. Car la démonstration des conflits infantiles des enfants de travailleurs avec leurs pères ou leurs mères n’a rien à voir avec la grève en cours, mais nous devons seulement et avant tout préserver soigneusement la base historique et économique commune (structure capitaliste ou économique privée de la société), d’où résultent à la fois les grèves et les conflits entre parents et enfants, si l’on essaie néanmoins d’expliquer ce que l’on trouve dans l’analyse des travailleurs, pour expliquer le phénomène de la "grève", on en arrive à la conclusion que la grève est une révolte contre le père. On ne remarque pas que « grève » et « comportement psychologique pendant la grève » sont alors assimilés. Cette différenciation est décisive. Elle est ignorée soit par l’obscurité méthodologique, soit par des motivations réactionnaires conscientes ou inconscientes, parce que la désignation sociologique a d’autres conséquences telles que la conséquence psychologique, la première conduit à la connaissance des lois de la société de classes, la seconde à leur dissimulation.

La grève peut être mêlée à l’activité psychique de l’inconscient, par exemple sous la forme d’un rêve, où la grève agit comme un reste diurne ; curieusement, c’est beaucoup moins le cas que pour d’autres phénomènes issus de la sphère de la sexualité. Mais expliquer la grève de cette manière revient au même que ce que fait l’ethnologue officiel de la psychanalyse Rohem, à savoir faire des déclarations sur les cultures primitives à partir du rêve des primitifs, plutôt que d’expliquer le contenu conflictuel des rêves à partir des cultures primitives.

Avec la psychologie, nous décrivons le comportement des travailleurs lors de la grève, pas la grève elle-même. Cependant, dans la mesure où le comportement des travailleurs détermine l’issue de la grève, des "facteurs psychologiques" jouent un rôle. Néanmoins, il est un peu différent lorsque nous sommes confrontés à une situation dans laquelle la situation sociologique et économique devrait mener à une grève, mais que celle-ci n’a pas lieu. Dans ce cas, la recherche sociologique et économique échoue si elle souhaite trouver une relation directe entre l’histoire et l’économie, car les résultats d’un processus sociologique ont été perturbés par un troisième processus. Ce troisième est un processus psychologique (socio-psychologique ou psychologique de masse), par exemple le manque de confiance des travailleurs dans les initiateurs de la grève, donc la direction, un lien avec un dirigeant syndical réformiste, le sabotage de la grève, ou la peur de l’entrepreneur. Dans d’autres cas, la peur de difficultés matérielles pendant la grève peut être décisive. Mais aussi ce comportement, qui a naturellement une influence décisive sur le cours de la lutte de classe, n’est pas lui-même directement psychologiquement explicite, mais d’une manière décisive, indirectement sociologiquement expliquée. Parce que le lien avec le dirigeant du syndicat réformiste est lui-même le résultat d’une certaine relation, finalement sociologique : dans mon cas, il peut s’agir de la cause superficielle de la peur du licenciement, dans l’autre cas, de la cause plus profonde de la peur de la rébellion contre l’autorité qui viendrait des liens infantiles avec le père. Mais d’où vient ce lien avec le père et cette peur de l’autorité ? Après tout, ils découlent de la situation familiale, qui est elle-même déterminée sur le plan socio-économique. Dans l’application de la psychologie, il ne s’agit donc toujours que de la connaissance des liens plus ou moins nombreux entre le processus économique et l’activité des hommes qui le vivent. Plus le comportement est rationnel, plus est étroit le champ de la psychologie de l’inconscient ; plus le comportement est irrationnel, plus il est vaste, plus la sociologie a besoin de l’aide de la psychologie. Cela est particulièrement vrai pour le comportement de la classe opprimée dans la lutte de classe. Le fait qu’un travailleur industriel ou tous les travailleurs industriels tentent de faire se conformer l’activité collective de la production avec une appropriation collective des richesses ne fait que montrer qu’ils respectent ainsi les simples lois élémentaires du principe du désir-discorde.

Cependant, le fait que la classe opprimée dans de larges couches, accepte, ou même soutienne, l’exploitation sous telle ou telle forme, ne peut être compris psychologiquement que dans un premier temps, et seulement indirectement sociologiquement dans le second cas. Le fait que la sociologie analytique ait jusqu’à présent suivi une procédure inverse en tentant d’expliquer psychologiquement la résistance et de lui obéir, en tant que fait qui n’exige aucune explication, tient à sa conception du principe de réalité selon lequel, chez l’adulte le principe de plaisir serait remplacé par l’adaptation des exigences de la réalité. La réalité, cependant, inclut non seulement la loi capitaliste d’exploitation, mais aussi sa propre conscience, qui est la conscience d’un état de misère et provoque donc une mauvaise adaptation. L’opinion officielle explique l’inadaptation sociale comme un comportement infantile et irrationnel. Ici, une vision du monde s’oppose à une autre vision du monde. Certes, nous ne nions pas (comme nos adversaires) notre positionnement politique. Mais nous continuons d’insister sur le fait que la différence entre ces positions politiques réside dans le fait que l’on veut nous donner une explication psychologique, soi-disant propre à la disposition de l’être humain, de ce qui devrait être expliqué sociologiquement et économiquement, et que ce qu’il convient d’expliquer concerne le sujet, sa tête, à savoir l’inhibition des processus sociologiques, et donc - et dans les deux cas - s’écarte de la réalité ; l’autre point de vue n’exclut rien, rien du tout, du champ de la capacité humaine de la connaissance, son intérêt étant précisément inversé, à savoir tout mettre à la portée de la science et à travers l’application fondamentale de la méthode du matérialisme dialectique à tous les domaines à venir dans une vision scientifique du monde et rendant ainsi superflue la pure philosophie, dans la mesure où c’est la science de l’inconnu.

En résumé, il apparaît que l’application consciente ou inconsciente du matérialisme dialectique dans le domaine de la psychologie produit les résultats de la psychanalyse clinique, que l’application de ces résultats en sociologie et en politique conduit à une psychologie sociale marxiste, tandis que l’application de la méthode psychanalytique sur les problèmes de sociologie et de politique doit aboutir à une sociologie métaphysique, psychologisante et, de plus, réactionnaire.

1] Matérialisme dialectique et psychanalyse (Sous la bannière du marxisme, 1929).

[2] Sapir : freudisme, sociologie, psychologie (Sous la bannière du marxisme, 1929, 1930).

[3] S. Laforgue ; Psychanalyse der Politik ("Mouvement psychanalytique", 1931). Ce travail a déjà fait l’objet de critiques méthodologiques et techniques de la part de Fenichel ("Psychanalytic Bewegung", 1933).

[4] T.a.p. p. 763.

[5] Pendant ce temps, Sapir n’est plus compétent en Union soviétique - comme je l’ai entendu dire - car il était étudiant de Deborin - et donc un idéaliste.

[6] Cf. pour cela : Massenpsychologie des Faschismus, (Verlag für Sexualpolitik, 1933).

[7] Zeitschrift für Sozialforschung, 1932, script 1-2.

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