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Que signifie l’adage : « Toute philosophie est fille de son temps. »

dimanche 19 août 2018, par Robert Paris

Que signifie l’adage : « Toute philosophie est fille de son temps. »

En fait, c’est Hegel qui a écrit dans ses « Eléments de Philosophie du Droit » :

« Chacun est un fils de son temps et donc la philosophie est elle aussi une époque telle qu’elle est appréhendée dans la pensée de ce temps. »

« Fils de son temps », Hegel a en effet conscience d’être marqué par l’époque de la révolution française qu’il considère comme une révolution universelle :

« Tous les êtres pensants ont célébré ensemble cette époque. Une émotion sublime a dominé en ce temps-là, un enthousiasme pour l’esprit a parcouru le monde comme si une réconciliation réelle avec le divin était advenue. »

« Je crois qu’aucun signe des temps n’est meilleur que celui-ci : c’est que l’humanité est représentée comme si digne d’estime en elle-même ; c’est une preuve que le nimbe qui entourait les têtes des oppresseurs et des dieux de la terre disparaît. Les philosophes démontrent cette dignité, les peuples apprendront à la sentir ; et ils ne se contenteront pas d’exiger leurs droits abaissés dans la poussière, mais ils les reprendront — ils se les approprieront. »

« Messieurs ! Nous sommes situés dans une époque importante, dans une fermentation, où l’Esprit a fait un bond en avant, a dépassé sa forme concrète antérieure et en acquiert une nouvelle. »

Pour Hegel, la pensée sur le monde a un sens parce que le monde lui-même en a un :

« La raison ne peut penser et agir dans le monde que parce que le monde n’est pas un pur chaos. » écrit Georg Wilhelm Friedrich Hegel.

In english, we can read Hegel, in Elements of the Philosophy of Rights :

“Every one is a son of his time ; so philosophy also is its time apprehended in thoughts.”

Read here

“Every philosophy is the philosophy of its time, it is a link in the whole chain of spiritual development ; It can, therefore, only satisfy the interests of its time.”

“Philosophy is that which grasps its own era in thought.”

“World history is the record of the spirit’s efforts to attain knowledge of what it is in itself.”

Introduction to the History of Philosophy

Marx, A Contribution to the Critique of Hegel’s Philosophy of Right

G.W.F Hegel :

« Chaque philosophie est la philosophie de son époque, elle est un maillon dans toute la chaîne du développement spirituel ; elle ne peut donc satisfaire que les intérêts de son temps. (...) C’est pourquoi il ne peut y avoir de nos jours des platoniciens, des aristotéliciens, des stoïciens, des épicuriens. Les ressusciter signifierait vouloir ramener à un degré antérieur... On peut regarder un tel retour en arrière ... comme le refuge de l’impuissance incapable de faire face à la riche matière du développement qui exige d’être maîtrisée par la pensée et saisie en profondeur - impuissance qui cherche son salut dans la fuite et dans l’indigence. »

« La philosophie est donc un système en son développement ; il en est de même de l’histoire de la philosophie et c’est là le point principal, la notion fondamentale que ce traité présentera en cette histoire. »

« Chaque époque, chaque peuple se trouve dans des conditions si particulières, forme une situation si particulière, que c’est seulement en fonction de cette situation unique qu’il doit se décider… »

« En tant que pensée du monde, elle (la philosophie d’une époque) n’apparaît qu’à l’époque où la réalité effective a achevé son processus de formation et en a fini avec lui. »

« Le trésor de raison consciente d’elle-même qui nous appartient, qui appartient à l’époque contemporaine, ne s’est pas produit de manière immédiate, n’est pas sorti du sol du temps présent, mais pour lui c’est essentiellement un héritage, plus précisément le résultat du travail, et à vrai dire, du travail de toutes les générations antérieures du genre humain. De même que les arts de la vie extérieure, la quantité de moyens et procédés habiles, les dispositions et les habitudes de la vie sociales et politiques sont un résultats de la réflexion, de l’invention, des besoins, de la nécessité et du malheur, de la volonté et de la réalisation de l’histoire qui précède notre époque, de même ce que nous sommes en fait de sciences et plus particulièrement de philosophie nous le devons à la tradition qui enlace tout ce qui est passager et qui est par suite passé, pareille à une chaîne sacrée, ... et qui nous a conservé et transmis tout ce qu’a créé le temps passé. Or, cette tradition n’est pas seulement une vieille ménagère qui se contente de garder fidèlement ce qu’elle a reçu et le transmet sans changement aux successeurs, elle n’est pas une immobile statue de pierre, mais elle est vivante et grossit comme un fleuve puissant qui s’amplifie à mesure qu’il s’éloigne de sa source. »

Hegel, dans « Leçons sur l’histoire de la philosophie » :

« Pour que la philosophie apparaisse il faut la conscience de la liberté, et le peuple dans lequel la philosophie commence doit avoir la liberté comme principe ; pratiquement, cela est lié à l’épanouissement de la liberté réelle, la liberté politique. Celle-ci commence seulement là où l’individu se sait comme individu pour soi, comme universel, comme essentiel, comme ayant une valeur infinie en tant qu’individu ; où le sujet a atteint la conscience de la personnalité, où donc il veut affirmer sa valeur absolument pour soi. La libre pensée de l’objet y est incluse, - de l’objet absolu, universel, essentiel. Penser, cela veut dire mettre quelque chose dans la forme de l’universalité ; se penser veut dire se savoir comme universel, se donner la détermination de l’universel, se rapporter à soi. Là est contenu l’élément de la liberté pratique [...]. Dans l’histoire la philosophie apparaît donc seulement là où et en tant que se forment de libres constitutions. L’Esprit doit se séparer de son vouloir naturel, de son immersion dans la matière. »

Hegel, dans « La Phénoménologie de l’esprit » :

« Il paraît particulièrement nécessaire de faire de nouveau de la philosophie une affaire sérieuse. Pour toutes les sciences, les arts, les talents, les techniques, prévaut la conviction qu’on ne les possède pas sans se donner de la peine et sans faire l’effort de les apprendre et de les pratiquer. Si quiconque ayant des yeux et des doigts, à qui on fournit du cuir et un instrument, n’est pas pour cela en mesure de faire des souliers, de nos jours domine le préjugé selon lequel chacun sait immédiatement philosopher et apprécier la philosophie puisqu’il possède l’unité de mesure nécessaire dans sa raison naturelle - comme si chacun ne possédait pas aussi dans son pied la mesure d’un soulier. Il semble que l’on fait consister proprement la possession de la philosophie dans le manque de connaissances et d’études, et que celles-ci finissent quand la philosophie commence. »

Friedrich Engels dans « La contribution à la critique de l’économie politique de Karl Marx » :

« Ce qui distinguait le mode de pensée de Hegel de celui de tous les autres philosophes, c’était l’énorme sens historique qui en constituait la base. Si abstraite et si idéaliste qu’en fût la forme, le développement de sa pensée n’en était pas moins toujours parallèle au développement de l’histoire mondiale (...) Il fut le premier à essayer de montrer qu’il y a dans l’histoire un développement, une cohérence interne (...) Dans la Phénoménologie, l’Esthétique, l’Histoire de la philosophie, partout pénètre cette grandiose conception de l’histoire, et partout la matière est traitée historiquement, dans sa connexion déterminée, quoique abstraitement inversée, avec l’histoire. »

Comprendre une philosophie nécessite effectivement de comprendre l’époque qui l’a vue naître, les problèmes posés aux hommes à cette époque, les problèmes posés particulièrement aux penseurs aussi, y compris les scientifiques, les penseurs de la politique ou de l’économie. Ainsi, on peut difficilement percevoir ce que signifie une philosophie, par exemple une religion, sans se référer à l’époque de sa fondation.

Francis Bacon, au début du XVIIe siècle, donne au progrès (« advancement ») une perspective temporelle, en affirmant que « la vérité est fille du temps ».

La pensée de Bacon a été une base de la pensée hégélienne selon laquelle « toute philosophie est fille de son temps », elle-même reprise par Karl Marx, en ces termes : « Les philosophes ne sortent pas de terre comme des champignons, ils sont le produit de leur temps, de leur peuple dont la quintessence spirituelle s’exprime à travers les idées philosophiques... La philosophie n’est pas extérieure au monde ».

Or à chaque époque, le monde change de problèmes réels (économiques, sociaux, sociétaux, politiques, idéologiques) et aussi de problèmes philosophiques.

A une époque donnée, dans une société donnée, dans un milieu social donné, il y a une philosophie dominante déterminée pour l’essentiel par l’histoire et les besoins de la classe dirigeante.
Il y a de nombreux courants philosophiques qui ont de grandes différences entre eux et se combattent. Matérialismes contre idéalismes, logique formelle ou métaphysique contre logique dialectique, philosophies déterministes contre philosophies indéterministes, philosophies historiques contre philosophies a-historiques, philosophies du continuum ou du discontinu, du holisme ou du réductionnisme, etc…

A chaque époque sa philosophie. Quelle est la nôtre ?

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Quand la Mésopotamie démontre que la philosophie antique n’est pas née en Grèce…

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L’idéalisme philosophique

Donnons aussi la parole aux adversaires violents d’Hegel.

Arthur Schopenhauer, « Contre la philosophie universitaire » (1851) :

« Avant tout, l’éloge d’un homme aussi dénué de valeur et aussi dangereux que Hegel, qu’on vient nous donner comme le premier philosophe de ce temps-ci et de tous les temps, a été certainement, pendant les trente dernières années, la cause de l’entière dégradation de la philosophie et, par conséquent, du déclin de la haute littérature en général. Malheur à l’époque où, en philosophie, l’effronterie et l’absurdité se substituent à la réflexion et à l’intelligence ! »

« Les partisans de Hegel ont donc complètement raison quand ils affirment que l’influence de leur maître sur ses contemporains a été énorme. Avoir paralysé totalement l’esprit de toute une génération de lettrés, avoir rendu celle-ci incapable de toute pensée, l’avoir menée jusqu’à lui faire prendre pour de la philosophie le jeu le plus pervers et le plus déplacé à l’aide de mots et d’idées, façonnées par le verbiage le plus vide sur les thèmes traditionnels de la philosophie avec des affirmations sans fondement ou absolument dépourvues de sens, ou encore par des propositions reposant sur des contradictions - c’est en cela qu’à consisté l’influence tant vantée de Hegel. »

Karl Popper sur Hegel dans « La Société ouverte et ses ennemis » :

« Le succès de Hegel marqua le début de « l’âge de la malhonnêteté » (ainsi que Schopenhauer décrivait la période de l’idéalisme allemand) et de « l’âge de l’irresponsabilité » (ainsi que K. Heiden qualifiait l’âge du totalitarisme moderne) ; d’une irresponsabilité d’abord intellectuelle puis, ce fut l’une de ses conséquences, d’une irresponsabilité morale ; d’un nouvel âge régi par les magie des mots éclatants et par le pouvoir du jargon. »

Karl Marx critique Hegel

« La philosophie, et plus particulièrement la philosophie allemande, a un penchant pour la solitude, pour l’isolement systématique, pour l’austère introspection qui d’emblée l’oppose et la rend étrangère aux journaux, prompts à la riposte et au tapage, passionnés de la seule information. Saisie dans son élaboration systématique, la philosophie est impopulaire ; son tisser intime apparaît au regard du profane comme un exercice aussi peu sensé que peu pratique. On voit en elle une maîtresse de magie, dont les incantations prennent un ton de solennité du fait qu’on ne les comprend pas. Fidèle à son caractère, la philosophie n’a jamais fait le premier pas pour troquer l’ascétique soutane contre la mise légère et conventionnelle des journaux. Seulement, les philosophes ne sortent pas de terre comme des champignons ; ils sont les fruits de leur temps, de leur peuple, dont la sève la plus subtile, la plus précieuse et la plus secrète circule dans les idées philosophiques. Le même esprit qui construit les systèmes philosophiques dans les cerveaux des philosophes construit les chemins de fer avec les bras des ouvriers. »

(Karl Marx, dans l’article de tête du numéro 179 de la « Kölnische Zeitung », Rheinische Zeitung, juillet 1842)

« L’indépendance acquise par les pensées et les idées est une conséquence de l’indépendance acquise par les conditions et les relations personnelles des individus. (…) l’intérêt exclusif et systématique que les idéologues et les philosophes portent à ces pensées, donc la systématisation de celles-ci, est une conséquence de la division du travail (...). Il suffirait aux philosophes de dissoudre leur langage dans le langage ordinaire dont il est abstrait pour reconnaître en lui le langage truqué du monde réel et pour comprendre que ni les idées ni le langage ne forment un univers indépendant : ce ne sont que les expressions de la vie réelle. »

(Karl Marx, dans « L’idéologie allemande »)

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