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La nature (et notamment la vie) n’a pas de but, pas de plan, pas de dessein

jeudi 17 août 2017, par Robert Paris

La nature (et notamment la vie) n’a pas de but, pas de projet, pas de programme, pas de dessein intelligent, pas de principe directeur, pas de plan, pas de finalité, pas d’architecte, pas de prédestination, pas de téléologie ni de téléonomie, pas de schéma préexistant, pas de pouvoir au-dessus d’elle, pas d’objectif prédéterminé, pas de direction imposée, pas de causes finales, pas de tendance dirigée, pas de morale, pas de sens (ni destructif, ni constructif) et même pas de tendance au perfectionnement ou à la complexité

Cet article contredit Aristote qui affirme : « La nature ne fait rien sans objet. »

Darwin, dans « L’Origine des espèces » :

« Il est si facile de cacher notre ignorance sous des expressions telles que plan de création… Ces savants ne semblent pas plus s’étonner d’un acte miraculeux de création que d’une naissance ordinaire. Mais croient-ils réellement qu’à d’innombrables époques de l’histoire de la terre certains atomes élémentaires ont reçu l’ordre de se constituer soudain en tissus vivants ? Admettent-ils qu’à chaque acte supposé de création il se soit produit un individu ou plusieurs ? Les espèces infiniment nombreuses de plantes et d’animaux ont-elles été créées à l’état de graines, d’ovules ou de parfait développement ? Et, dans le cas des mammifères, ont-elles, lors de leur création, porté les marques mensongères de la nutrition intra-utérine ? À ces questions, les partisans de la création de quelques formes vivantes ou d’une seule forme ne sauraient, sans doute, que répondre. Divers savants ont soutenu qu’il est aussi facile de croire à la création de cent millions d’êtres qu’à la création d’un seul ; mais en vertu de l’axiome philosophique de la moindre action formulé par Maupertuis, l’esprit est plus volontiers porté à admettre le nombre moindre, et nous ne pouvons certainement pas croire qu’une quantité innombrable de formes d’une même classe aient été créées avec les marques évidentes, mais trompeuses, de leur descendance d’un même ancêtre. »

Darwin écrit au biologiste américain Alpheus Hyatt en 1872 :

« Après mûre réflexion, je me suis déterminé à penser que l’évolution n’a pas intrinsèquement tendance au progrès.", par opposition au philosophe Herbert Spencer, inventeur de l’expression "la survie du plus apte" qui écrivait : "Le progrès n’est pas accidentel, c’est une nécessité. »

Stephen Jay Gould :

« L’idée de progrès est une idée pernicieuse, ancrée dans la culture, impossible à tester, inopérante, il faut la remplacer si nous souhaitons comprendre les structures de l’histoire. »

Stephen Jay Gould :

« La théorie darwinienne de l’évolution se distingue radicalement des autres théories de l’évolution du 19ème siècle par son refus implicite d’une idée de progrès qui serait inhérente à l’évolution. »

François Jacob dans « Le jeu des possibles » :

La conception darwinienne a une conséquence inéluctable : le monde vivant aujourd’hui, tel que nous le voyons autour de nous, n’est qu’un parmi de nombreux possibles. Sa structure actuelle résulte de l’histoire de la terre. Il aurait très bien pu être différent. Il aurait même pu ne pas exister du tout !... La sélection naturelle opère à la manière non d’un ingénieur, mais d’un bricoleur ; un bricoleur qui ne sait pas encore ce qu’il va produire, mais récupère tout ce qui lui tombe sous la main, les objets les plus hétéroclites, bouts de ficelle, morceaux de bois, vieux cartons pouvant éventuellement lui fournir des matériaux ; bref, un bricoleur qui profite de ce qu’il trouve autour de lui pour en tirer quelque objet utilisable. … Tout au long de l’Origine des espèces, Darwin insiste sur les imperfections de structure et de fonction du monde vivant. Il ne cesse de souligner les bizarreries, les solutions étranges qu’un Dieu raisonnable n’aurait jamais utilisées. Et l’un des meilleurs arguments contre la perfection vient de l’extinction des espèces. On peut estimer à plusieurs millions le nombre des espèces animales vivant actuellement. Mais le nombre des espèces qui ont disparu après avoir peuplé la terre à une époque ou une autre doit, d’après un calcul de G.G. Simpson, s’élever à quelques cinq cents millions au moins…
Comme l’a souligné Claude Levi-Strauss, les outils du bricoleur, contrairement à ceux de l’ingénieur, ne peuvent être définis par aucun programme. Les matériaux dont il dispose n’ont pas d’affectation précise. Chacun d’eux peut servir à des emplois divers. Ces objets n’ont rien de commun si ce n’est qu’on peut en dire : "ça peut toujours servir." À quoi ? Ça dépend des circonstances. [...] L’évolution procède comme un bricoleur qui pendant des millions et des millions d’années, remanierait lentement son oeuvre, la retouchant sans cesse, coupant ici, allongeant là, saisissant toutes les occasions d’ajuster, de transformer, de créer. »

Paul Janet dans « Les causes finales » :

« Il arrive souvent que le même organe remplit plusieurs fonctions, et réciproquement que la même fonction est accomplie par différents organes. « On pourrait citer parmi les animaux inférieurs de nombreux exemples d’un même organe remplissant à la fois des fonctions très distinctes. Ainsi le canal alimentaire respire, digère et excrète chez les larves de la Libellule et chez le poisson Cobitis. On peut retourner l’hydre comme un gant : la face extérieure digérera et l’estomac respirera. De même, dans le règne animal, deux organes distincts remplissent parfois simultanément des fonctions identiques chez un seul individu. On peut citer comme exemple certains poissons pourvus d’ouïes ou de branchies qui respirent l’air dissous dans l’eau, en même temps qu’ils respirent l’air atmosphérique par leur vessie natatoire, ce dernier organe ayant un conduit pneumatique destiné à le remplir et étant divisé par des cloisons essentiellement vasculaires. La vessie natatoire des poissons est bien le meilleur exemple qu’on puisse trouver pour démontrer avec évidence qu’un organe construit originairement pour un but, celui d’aider à la flottaison, peut se transformer en un autre ayant un tout différent objet, c’est-à-dire la respiration. » (Darwin, Origine des espèces) »

H. Spencer dans « Principles of Biology » :

« De quelque manière que ce principe soit formulé, sous quelque forme de langage qu’il soit dissimulé, l’hypothèse qui attribuerait l’évolution organique à quelque aptitude naturelle possédée par l’organisme, ou miraculeusement implantée en lui, est antiphilosophique. C’est une de ces explications qui n’expliquent rien, un moyen d’échapper à l’ignorance par un faux semblant de science. La cause assignée n’est pas une vraie cause, c’est-à-dire une cause assimilable à des causes connues : ce n’est pas une cause qui puisse être signalée quelque part, comme apte à produire des effets analogues. C’est une cause qui n’est pas représentable à l’esprit ; une de ces conceptions symboliques illégitimes qui ne peuvent être transformées par aucun processus mental en conceptions réelles. En un mot, l’hypothèse d’un pouvoir plastique persistant, inhérent à l’organisme, et le poussant à se déployer en formes de plus en plus élevées, est une hypothèse qui n’est pas plus tenable que celle des créations spéciales, dont elle n’est, à vrai dire, qu’une modification, n’en différant qu’en ce qu’elle transforme un processus fragmenté en processus continu, mais de part et d’autre avec une égale ignorance de sa nature. »

Darwin dans son « Autobiographie » :

« Bien que je n’aie pas beaucoup réfléchi au sujet de l’existence d’un Dieu personnel jusqu’à une période de ma vie considérablement plus tardive, je donnerai ici les vagues conclusions auxquelles j’ai été conduit. Le vieil argument du dessein dans la nature, tel que l’avance Paley, qui autrefois me semblait si concluant, s’est effondré, à présent que la loi de Sélection Naturelle a été découverte. Nous ne pouvons plus désormais faire valoir que, par exemple, la superbe charnière d’un bivalve a dû être fabriquée par un être intelligent, comme la charnière d’une porte l’est par l’homme. Il semble qu’il n’y ait pas plus de dessein dans la variabilité d’un être organique et dans l’action de la Sélection naturelle qu’il n’y en a dans le sens où souffle le vent. »

Stephen Jay Gould, dans « Le pouce du panda » ou « Les grandes énigmes de l’évolution » :

« Les orchidées élaborent leurs systèmes complexes à partir des composants communs aux fleurs ordinaires, organes généralement conçus pour des fonctions très différentes. (…) Les orchidées n’ont pas été fabriquées par un ingénieur idéal ; elles ont été conçues à ‘aide d’un nombre limité d’éléments disponibles. Elles doivent donc être les descendants de fleurs ordinaires. (…) Nos manuels aiment illustrer l’évolution en citant comme exemples les adaptations les mieux réussies : le mimétisme du papillon prenant l’apparence presque parfaite d’une feuille morte, ou celui d’une espèce comestible prenant l’apparence d’un parent vénéneux. Mais cette adaptation idéale est un mauvais argument pour l’évolution (…) Les arrangements bizarres et les solutions cocasses sont la preuve de l’évolution (…) Ernst Mayr a montré comment Darwin, en défendant l’évolution, a fait appel, avec logique, aux organes et aux distributions géographiques les plus dénuées de sens. »

Le duc d’Argyll à Darwin :

« J’ai dit à M. Darwin, en référence à certains de ses travaux remarquables sur la « Fertilisation des orchidées », sur « Les vers de terre » et de nombreuses autres observations qu’il fit sur des inventions merveilleuses en faveur d’un dessein intelligent dans la nature – j’ai dit qu’il était impossible de regarder ces choses sans considérer qu’elles étaient l’effet et l’expression de l’esprit. Je n’oublierai jamais la réponse de Darwin. Il me regarda très durement et dit « Eh bien, cette impression m’a souvent traversé l’esprit avec une force irrésistible » et, en secouant la tête confusément, il ajouta : « elle semble s’en être allée. »

Stephen Jay Gould dans « La vie est belle » :

« L’évolution de la vie à la surface de la planète est conforme au modèle du buisson touffu doté d’innombrables branches et continuellement élagué par le sinistre sécateur de l’extinction. Elle ne peut du tout être représentée par l’échelle d’une inévitable progrès. »

Stephen Jay Gould dans « Quand les poules auront des dents » :

« La vie n’est pas une saga du progrès : elle est plutôt une histoire de bifurcations et de méandres compliqués, avec des survivants temporaires qui s’adaptent aux transformations du milieu local et n’approchent guère de la perfection »

Stephen Jay Goud dans « La vie est belle » :

« L’histoire de la vie ressemble à un gigantesque élagage ne laissant survivre qu’un petit nombre de lignée, lesquelles peuvent ensuite subir une différenciation ; mais elle ne ressemble pas à cette montée régulière de l’existence, de la complexité et de la diversité, comme on le raconte traditionnellement. (...) Pour les spécialistes, l’évolution est une adaptation aux conditions changeantes de l’environnement et non pas un progrès. »

Certes, Darwin a reconnu des « avantages évolutifs » dans certaines transformations qui donnaient la primauté à telle ou telle espèce sur d’autres. Cela ne signifie pas que ces transformations soient apparues « pour donner » la primauté à telle ou telle espèce. C’est confondre une interaction avec la « relation de cause à effet ». Voir ici les méfaits de la conception de « la relation de cause à effet »

C’est au nom de cette fameuse « relation de cause à effet » qu’on prétend à chaque transformation du vivant en rechercher la cause, comme s’il s’agissait d’un but. En fait, il faut plutôt en rechercher les moyens, le mode, la manière dont cette transformation pouvait se faire, éventuellement comment celle-ci pouvait être plus favorisée qu’une autre possibilité, mais pas pour dire que l’effet a été voulu par la cause !

Certes, on sait maintenant qu’il existe des « gènes architectes » qui « pilotent » la construction du corps, mais François Jacob rappelait lors du premier exposé de l’Université de tous les savoirs, le 1er janvier 2000 :
« Ces gènes qui mettent en place le plan d’un être humain sont les mêmes que ceux qui fonctionnent chez une mouche ou un ver. »

Certes, préexiste l’ADN à partir duquel se construisent les protéines mais cette prétendue « base de la génétique » est une molécule passive qui doit d’abord être activée et ne l’est qu’en fonction des protéines qu’elle rencontre.

Le matériel génétique, dont l’action ne doit pas être exprimée comme celle d’un « programme génétique » du type ordinaeur, ne doit donc pas non plus être conçu comme porteur à lui seul de la génétique qui est une structure d’auto-organisation des interactions. Chaque gène doit donc être perçu non comme un individu mais comme une boucle de rétroaction qui interagit avec d’autres boucles. Ces diverses boucles peuvent produire des structures stationnaires instables. Ce sont des réseaux de rétroactions couplés. C’est un ordre génétique. On conçoit ainsi que l’ordre génétique n’est pas programmé, inscrit d’avance mais construit par la dynamique des interactions entre boucles de rétroaction des gènes.

Certes, il existe une évolution darwinienne mais elle ne doit pas être prise comme une action en vue d’un but : le perfectionnement, le succès, le développement, la complexité et encore moins la formation d’un jardin pour l’Homme. Il n’y a aucun but du progrès et même pas le fait d’évoluer conçue comme un but en soi. Bien des espèces n’évoluent pas ou peu et elles se maintiennent parfois très bien. Le bénéfice évolutif n’est pas dans le fait d’avoir beaucoup évolué mais d’être capable d’évoluer si le changement de cadre extérieur ou des autres espèces impose un changement rapide de l’espèce ou de son mode de vie.

Certes, il y a une loi de la sélection naturelle mais cela n’est pas une prédestination de l’évolution puisque cela ne peut pas prédire du tout le sens de l’évolution et que cela ne fait que trier entre diverses évolutions possibles.

L’évolution ne suit aucun modèle préétabli ce qui explique qu’on ne puisse nullement prédire les suites de l’évolution des espèces. Aucune théorie ne permet de prédire que telle ou telle nouvelle espèce devrait apparaître dans tel ou tel délai.
On connaît l’adage fameux selon lequel la vie ne peut être comprise qu’au regard de l’évolution. Cela peut sembler un principe directeur du vivant mais ce n’est en fait que l’expression du caractère dialectiquement contradictoire du vivant. La vie n’a pu se conserver globalement qu’en changeant structurellement. Ce n’est pas vrai qu’au niveau des espèces. C’est vrai au niveau d’un individu, d’une cellule, d’une structure biochimique.
Le changement serait donc le fondement de la structure de la vie. Certes mais cela n’en fait pas un principe directeur car cela serait aussi le principe directeur de toutes les structures émergentes fondant un ordre sur un désordre sous-jacent et ce modèle est celui de toutes les structures de la matière, qu’elles soient inertes ou vivantes….

Quand Darwin parle de progrès, c’est toujours relativement à des conditions données d’existence, données qui peuvent changer et faire de l’espèce très bien adaptée une espèce pas du tout adaptée et donc très faible devant les agressions du nouveau milieu :

« La sélection naturelle agit exclusivement au moyen de la conservation et de l’accumulation des variations qui sont utiles à chaque individu dans les conditions organiques et inorganiques où il peut se trouver placé à toutes les périodes de la vie. Chaque être, et c’est là le but final du progrès, tend à se perfectionner de plus en plus relativement à ces conditions. » (dans l’Origine des espèces »)

Il n’y a, chez Darwin, aucune tendance à un progrès dans l’absolu.

Il en va de même des notions d’espèce supérieures et inférieures :

« Mais pourra-t-on dire, si tous les êtres organisés tendent ainsi à s’élever dans l’échelle, comment se fait-il qu’une foule de formes inférieures existent encore dans le monde ? Comment se fait-il qu’il y ait, dans chaque grande classe, des formes beaucoup plus développées que certaines autres ? Pourquoi les formes les plus perfectionnées n’ont-elles pas partout supplanté et exterminé les formes inférieures ? Lamarck, qui croyait à une tendance innée et fatale de tous les êtres organisés vers la perfection, semble avoir si bien pressenti cette difficulté, qu’il a été conduit à supposer que des formes simples et nouvelles sont constamment produites par la génération spontanée. La science n’a pas encore prouvé le bien fondé de cette doctrine, quoi qu’elle puisse, d’ailleurs, nous révéler dans l’avenir. D’après notre théorie, l’existence persistante des organismes inférieurs n’offre aucune difficulté ; en effet, la sélection naturelle, ou la persistance du plus apte, ne comporte pas nécessairement un développement progressif, elle s’empare seulement des variations qui se présentent et qui sont utiles à chaque individu dans les rapports complexes de son existence. Et, pourrait-on dire, quel avantage y aurait-il, autant que nous pouvons en juger, pour un animalcule infusoire, pour un ver intestinal, ou même pour un ver de terre, à acquérir une organisation supérieure ? Si cet avantage n’existe pas, la sélection naturelle n’améliore que fort peu ces formes, et elle les laisse, pendant des périodes infinies, dans leurs conditions inférieures actuelles. Or, la géologie nous enseigne que quelques formes très inférieures, comme les infusoires et les rhizopodes, ont conservé leur état actuel depuis une période immense. » (dans l’Origine des espèces »)

Ce qui est général au vivant, ce sont des propriétés qui ne mènent pas à une espèce bien particulière mais à de très nombreuses espèces très différentes. La variation, le hasard, le désordre, le changement en tout sens, les transformations grandes et petites compensent considérablement les contraintes, notamment celles des lois génétiques.

Quant à l’adaptation, elle s’adapte à un milieu lui-même susceptible de changements considérables et donc la tendance à l’adaptation, dans les limites à cette idée soit juste, est elle-même très relative et peut avoir des effets en sens divers et même inverses les unes des autres.

Concluons avec quelques extraits de la critique de Madeleine Barthélemy-Madaule des conceptions philosophiques de Jacques Monod et François Jacob dans « L’idéologie du hasard et de la nécessité » :

« Monod écrit dans « Le Hasard et la Nécessité » : « La pierre angulaire de la méthode scientifique est le postulat de l’objectivité de la Nature. C’est-à-dire le refus systématique de considérer comme pouvant conduire à une reconnaissance « vraie » toute interprétation des phénomènes des phénomènes donnée en termes de causes finales, c’est-à-dire de « projet »… » « L’objectivité cependant nous oblige à reconnaître le caractère téléonomique des êtres vivants, à admettre que, dans leurs structures et performances, ils réalisent et poursuivent un projet. Il y a donc là, au moins en apparence, une contradiction épistémologique profonde. » Cette contradiction, Monod pense l’expliquer, donc la résoudre… Avant de chercher des raisons, il convient de s’attarder aux exemples. Ils fourmillent dans les deux livres de F. Jacob (« La Logique du vivant ») et de J. Monod (« Le Hasard et la Nécessité »). Et les deux auteurs ont parfaitement conscience de la double référence de leur langage. Au passage cité dans « Le Hasard et la Nécessité » répond une page de la « La Logique du vivant » où l’on trouve signalée « l’opposition » qui « n’a fait que croître entre, d’un côté, l’interprétation mécaniste de l’organisme et, de l’autre, l’évidente finalité de certains phénomènes comme le développement d’un œuf adulte et le comportement d’un animal ». Comme Monod, Jacob pense que cette apparente contradiction a disparu « avec la description de l’hérédité comme un programme chiffré dans une séquence de radicaux chimiques ». Ce qui nous intéresse ici, ce n’est pas, répétons-le, de discuter cette conclusion, mais de relever la relation etre cette contradiction et l’ambiguïté du discours scientifique qui se veut objectif dans une forme subjective. « A l’intention d’une Psyché s’est substituée la traduction d’un message. L’être vivant représente bien l’exécution d’un dessein, mais qu’aucune intelligence n’a conçu. Il tend vers un but, mais qu’aucune volonté n’a choisi. » (« La Logique du vivant ») Déjà le discours est maître du savant ; en effet, ne devrait-il pas dire pour être fidèle à lui-même : « L’être vivant semble bien représenter l’exécution d’un dessein, semble bien tendre vers un but » ? (…) F. Jacob peut écrire : « Par projet s’entend le plan qui dirige dans le détail la formation d’un organisme. » Néanmoins cet emploi ne fait pas oublier que le projet objectif est fils du projet subjectif par le biais d’un quasi-transfert… Je lis encore : « Dans un être vivant tout est agencé en vue de la reproduction. » Le « envue » nous renvoie au but et au projet subjectifs…. A mesure que diminuent les puissances subjectives monte la vertu des puissances objectives. C’est ainsi que le programme que personne, bien entendu, n’a programmé, donne des « instructions », se manifeste pour déterminer, limiter, varier, et, en fin de compte, fixer lui-même « son degré de souplesse et la gamme des variations possibles. » De même, le message que personne n’a émis et qui n’est qu’une « succession de symboles » dont rend compte la sélection, rend compte lui-même de l’organisme. Et encore : « Le message génétique, le programme de l’organisme actuel, apparaît donc comme un texte sans auteur, qu’un correcteur aurait revu pendant pus d’un milliard d’années, qu’il aurait amélioré, affiné, complété sans relâche, en éliminant peu à peu toute imperfection. » (« La Logique du vivant ») (…) Monod voit bien où est la question résiduelle lorsqu’il confesse le trouble persistant du spectateur averti qui s’étonne que le processus soit « gauchi, orienté dans une direction exclusive : la multiplication des cellules », même si les lois mécaniques ne sont pas violées. Pourquoi les bactéries ont-elles « sans interruption cherché désespérément à se reproduire » ? (« La Logique du vivant ») Pourquoi ce « rêve » de la bactérie ? Je reprends ici le terme heureux de Jacob cité par Monod. « Soustrait au contrôle interne de la cellule, le programme génétique reste asujetti à une régulation externe. Non parce qu’une main mystérieuse guide la destinée de la bactérie, mais parce qu’un individu bactérien fait partie d’une population, celle qui habite un tube à essai, une flaque d’eau ou un intestin de mammifère. Il représente alors un simple élément dans un système de niveau supérieur fonctionnant avec une autre logique. C’est à l’intérieur de ce système que s’exerce une régulation sur le programme génétique. » (« La Logique du vivant ») Eclairons ces lignes par un passage de Monod : « Mais tout projet particulier, quel qu’il soit, n’a de sens que comme partie d’un projet plus général. Toutes les adaptations fonctionnelles des êtres vivants comme aussi tous les artefacts façonnés par eux accomplissent des projets particuliers qu’il est possible de considérer comme des saspects ou des fragments d’un projet pimitif unique qui est la conservation ou la multiplication de l’espèce. » (« Le Hasard et la Nécessité ») Chaque système téléonomique s’explique donc par intégration dans un système plus vaste, jusqu’à ce qu’on parvienne à la source du « rêve ». Ce ne serait pas au couple humain primitif, mais aux bactéries que le Dieu de la Genèse aurait dit : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre, et soumettez-la. » (Genèse, I, 28) Mais non, Dieu n’a pas parlé : « Sans pensée pour le dicter, sans imagination pour le renouveler, le programme génétique se transforme en se réalisant. » (« La Logique du vivant ») (…) C’est ainsi sans doute que nos savants se projettent dans un discours subjectif sur le système vivant objectif. Mais ils le savent ; ils nous le disent ; ils nous donnent même l’instrument nécessaire à la mesure exacte de l’écart entre l’expression apparente et sa visée réelle… Le terme « projet », pivot de leur discours, est comme le raccourci de cette ambiguïté parfaitement maîtrisée par la conscience des auteurs… Cependant, il faut bien s’arrêter à l’ultime ou initial projet de multiplication des espèces, mais en se gardant de le comprendre « en termes des causes finales, c’est-à-dire de « projet ». » (« Le Hasard et la Nécessité ») Et voici la balle qui change à nouveau de camp. Qui veut multiplier les espèces ? Dieu ? Nous savons que non. Mais nous savons aussi que le postulat d’objectivité qui veille au grain - « Postulat pur, à jamais indémontrable, car il est évidemment impossible d’imaginer une expérience qui pourrait prouver la non-existence d’un projet, d’un but poursuivi, où que ce soit dans la nature » (« Le Hasard et la Nécessité ») – Nous interdit également de récuser le projet divin. (…) Lorsque Jacob écrit : « En exorcisant le génie de la nécessité, la théorie de l’évolution libère le monde vivant de toute transcendance, de tout facteur échappant, dans sa cause, à la connaissance. Il n’y a plus rien qui, par essence, s’oppose à l’analyse et à l’expérimentation. », nous applaudissons… Mais que comprendre alors de l’analyse de la « cellule bactérienne » par Jacob : « Quel peut être alors le but de la bactérie ? Que cherche-t-elle à produire qui justifie son existence, détermine son organisation et sous-tend son travail ? A cette question, il n’y a apparemment qu’une réponse et une seule. Ce que cherche à produire sans relâche une bactérie, ce sont deux bactéries. Voilà, semble-t-il, son seul dessein, sa seule ambition. » (« La Logique du vivant ») (…) La sélection valeur médiatrice. C’est par elle que la mutation fortuite va s’intégrer au tout de la nécessité… Mais pourquoi la sélection sélectionne-t-elle ? La question demeure. La réponse est dans la notion de « compatibilité » avec le tout ; cela signifie possibilité de conserver, de renforcer (quantité), d’enrichir (qualité) ce tout. « Les seules mutations acceptables sont donc celles qui, à tout le moins, ne réduisent pas la cohérence de l’appareil téléonomique, mais plutôt le renforcent encore dans l’orientation déjà adoptée ou, sans doute bien plus rarement, l’enrichissent de possibilité nouvelles. » (« Le Hasard et la Nécessité ») Par le moyen de la sélection, sa servante, la téléonomie accepte ou rejette la mutation. »

Effectivement, Monod a choisi de dire que la vie est téléonomique :

« Toute performance ou structure téléonomique [c’est-à-dire, finalisée] d’un être vivant, quelle qu’elle soit, peut en principe être analysée en termes d’interactions stéréospécifiques [c’est-à-dire, par figure et par mouvement] d’une, de plusieurs, ou de très nombreuses protéines. »

« Nous choisirons arbitrairement de définir le projet téléonomique essentiel comme consistant dans la transmission, d’une génération à l’autre, du contenu d’invariance caractéristique de l’espèce. (…) Il faut insister sur le fait qu’il ne s’agit pas seulement des activités liées à la reproduction proprement dite, mais de toutes celles qui contribuent, fût-ce très indirectement, à la survie et à la multiplication de l’espèce. »

Voilà ce qui va structurer toute la pensée de Monod sur la biologie : elle serait porteuse d’un « projet » préexistant. Malheureusement, le terme risque fort d’être surtout sujet à de fausses interprétations car, dans notre langage quotidien, projet suppose volonté consciente ayant bâti ce projet, point de vue qui va pourtant s’avérer inverse de celui de Monod.

Par contre, on ne peut qu’être d’accord quand Monod écrit :

« Les structures complexes auxquelles sont attachées des propriétés fonctionnelles sont construites par l’assemblage stéréospécifique, spontané, de leurs constituants protéiniques. Il y a apparition d’ordre, différenciation structurale, acquisition de fonctions à partir d’un mélange désordonné de molécules individuellement dépourvues de toute activité, de toute propriété fonctionnelle intrinsèque autre que de reconnaître les partenaires avec lesquels ils vont constituer la structure. (…) La structure achevée n’est nulle part, en tant que telle, préformée. Mais le plan de la structure est présent dans ses constituants eux-mêmes. (…) L’information est présente mais inexprimée dans les constituants. La construction épigénétique d’une structure n’est pas une création, mais une révélation. »

On ne voit rien là qui justifie le « projet » préexistant de la conception téléonomique du vivant, bien au contraire…

Rappelons que "téléonomie" est un terme inventé par Jacques Monod dans les années 1970. Il désigne le concept scientifique de finalité. Des grecs "telos" ou "teleos" = fin, but et "nomos" = loi. Ceci pour ne pas confondre avec "téléologie" de "logos" = raison, parole.

Avec la téléonomie, Monod place une loi, un programme, un projet, un but au-dessus de la nature sans pour autant placer un dieu au-dessus de la matière.

Depuis Monod, le « tout génétique » a été abandonné, et les développements de l’épigénétique et de l’évolution-développement notamment ont complètement modifié la perspective. Il n’empêche que les partisans du dessein, du plan, du projet et du programme continuent de sévir…

Du moment qu’on raisonne en « pour », en « ce que cherche la bactérie », en projet, en but, on ne peut qu’aller dans le mur dans l’étude de la nature, qu’il s’agisse d’un électron ou d’un être vivant.

« Existe-t-il un programme génétique ? » par Thomas Heames :

« La première utilisation de la notion de programme appliqué à la génétique se trouve dans un article fondateur de François Jacob et Jacques Monod publié en 1961 dans « Journal of Molecular Biology » et intitulé « Mécanismes génétiques du contrôle de la synthèse des protéines ». Cet article majeur de l’histoire de la biologie, comporte en conclusion le passage suivant : « Le génome contient non seulement une série de plans, mais aussi un programme coordonné de synthèse des protéines, ainsi que les moyens de contrôler son exécution. » (…) Cette « téléonomie » reçut, on le sait, toutes les faveurs de Monod et Jacob. Avec ces outils, reparler de but en biologie, sans encourir la critique de finalisme, semblait possible à nouveau. Et c’est sous l’égide du programme génétique que la biologie moléculaire va accomplir une marche longtemps triomphante. (…) Certes, l’expression des gènes se révéla vite plus complexe que prévu : un gène pouvait influer sur plusieurs caractères, pouvait donner plus variants ; le pari implicite était que la vision déterministe permettrait néanmoins de l’expliquer à terme. (…) Comme toute théorie dominante, celle du programme génétique finit par subir différentes vagues de contestation, d’une intensité croissante. »

Rappelons au passage une autre des erreurs de Monod :

« La taille de l’ADN interdit sans doute à tout jamais que l’on puisse modifier notre génome ».

Les conceptions erronées de Monod dans « Le Hasard et la Nécessité »

Concevoir les lois de la nature comme des règles POUR arriver à un but, c’est renoncer à la démarche scientifique qui consiste à étudier COMMENT fonctionne la nature et non à lui prêter une volonté

La thèse d’un monde conçu d’avance pour l’homme et la conscience

L’évolution ne suit aucun modèle préétabli

L’idée que la vie, c’est de l’information propose une cybernétique qui réhabilite en quelque sorte la notion de but et de finalité dans un système

Darwin était contre voir dans la vie un but préétabli

La nature va vers le plus complexe ?

L’évolution darwinienne est-elle le triomphe des espèces supérieures, les plus aptes, les plus adaptées, les plus évoluées et les plus fortes ?

Comme le dit Einstein, la vie (comme la matière), c’est simplement qu’il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre… La transformation a, dialectiquement, pour condition la transformation...

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