dimanche 2 avril 2017, par
La manifestation du mardi 4 avril à Kourou
Quelques images précédentes de la mobilisation du peuple de Guyane
Toute la population mobilisée, la grève générale avec blocage complet de toute activité, des comités dans toutes les entreprises, le contrôle de la lutte et des négociations, une liaison de toutes les luttes entre elles par des collectifs (de la santé aux chômeurs, en passant par les routiers et les agriculteurs), le lien avec les jeunes organisés et mobilisés, voilà qui distingue la lutte actuelle en Guyane de toutes les habituelles promenades syndicales et autres journées d’actions que l’on a connues en France. Cela ne veut pas dire que la bourgeoisie et l’Etat français aient dit leur dernier mot et toutes les tromperies du réformisme et de la répression sont encore possibles !
Il convient de remarquer tout d’abord le caractère spontané du déclenchement de cette révolte. Même s’ils présentent les choses autrement, les syndicats de Guyane n’étaient pas à l’initiative du mouvement et ne l’ont rejoint qu’au bout d’une semaine cruciale dans laquelle la lutte avait déjà manifesté son caractère de masse, de blocage de toute la Guyane, de liaison entre toutes les catégories sociales de travailleurs et avec les comité de jeunes encagoulés qui étaient un point important de liaison et d’action.
Les syndicats guyanais n’ont pu jouer un rôle déterminant dans la lutte qu’en appelant à la grève générale. On remarquera là aussi une grande différence avec les mouvements de ces dernières années en France métropolitaine puisque les divers mouvements sociaux qui y ont eu lieu, lorsqu’ils concernaient l’ensemble des travailleurs ou un secteur tout entier comme l’hôpital public ou la SNCF, n’étaient faits que de journées d’action, sinon de mouvements localisés mais jamais de grève générale. On remarquera aussi que les dirigeants des syndicats guyanais n’ont aucun geste d’appel à l’égard des travailleurs des Antilles ou de la métropole.
En tout cas, le mouvement en Guyane a eu un caractère suffisamment inquiétant aux yeux des classes dirigeantes françaises et du gouvernement que ces derniers ont estimé qu’ « il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu », qu’ « il faut montrer de la patience et de la compréhension », qu’ « il ne faut pas montrer trop de fermeté au risque de durcir le mouvement ».
Les média ont particulièrement relevé le geste de la ministre de l’Outremer prenant sur elle de s’excuser auprès du peuple guyanais pour avoir d’abord négligé, et même méprisé, le mouvement de lutte et le peuple lui-même en ne négociant pas immédiatement et en prétendant d’abord seulement menacer et réprimer.
Là aussi, cela montre que les classes dirigeantes françaises ont pris la mesure des risques que représentaient une telle révolte sociale, unissant toutes les catégories du peuple travailleur et jusqu’à la jeunesse, des ouvriers aux employés, des routiers aux agriculteurs, des travailleurs de la santé aux chômeurs, etc. Le fait d’entrer en grève générale, de tout bloquer, entreprises comme routes, aéroport comme arianespace, a aussi montré la « détermination du peuple guyanais », un slogan sans cesse repris dans les manifestations diverses et rassemblements.
C’est tout cela qui a manqué pendant des années dans les manifestations, rassemblements, grèves et journées d’action programmées par les syndicats, d’une manière pas du tout affolante pour les classes dirigeantes. On remarquera que la Guyane est un tout petit petit, un gros département en étendue mais pas énorme en population, et il a réussi à davantage se faire craindre que d’énormes mouvements nationaux comme ceux des retraites, des cheminots, des hospitaliers, de la loi El Khomri, etc.
Que la ministre de l’outremer se soit excusée, que le gouvernement annonce une enveloppe de un milliard, qu’il recule sur certaines revendications ne signifient nullement que le mouvement soit déjà victorieux mais que les classes dirigeantes ont eu peur, qu’elles ont voulu reculer pour en finir avec une lutte qui pourrait donner des idées non seulement dans les autres Dom-Tom mais aussi en métropole.
A-t-on vu un ministre s’excuser ou un gouvernement reculer face aux mobilisations organisées par les intersyndicales depuis la lutte des retraites, les luttes des cheminots, des hospitaliers, de la loi El Khomri, les a-t-on vus ne pas vouloir jeter de l’huile sur le feu, vouloir avoir l’air compréhensifs, c’est-à-dire avoir peur de la montée de la mobilisation sociale ? Pas du tout ! On a vu exactement l’inverse… On les a vu provoquer les grévistes, les insulter, les dégrader dans l’opinion, les discréditer publiquement et démontrer ainsi que les appareils syndicaux ne leur faisaient pas peur. L’absence de mobilisation spontanée, l’absence de caractère explosif de la lutte, l’absence de liaison inter-entreprises, l’absence de liaison avec les jeunes, l’absence de liaison avec les chômeurs, l’absence de liaison avec les banlieues, l’absence de liaison avec les paysans, avec les routiers et on en passe, voilà qui caractérisait à chaque fois les stratégies syndicales.
Qu’il suffise de rappeler les déclarations de 2010, lors du mouvement des retraites, qui a mené dans le mur, celles du dirigeant CGT Bernard Thibaut qui affirmait qu’un appel à la grève générale n’était pas possible, n’était pas souhaitable ou encore qu’il serait absurde et que les autres dirigeants syndicaux disaient des choses pires encore…
Le 5 octobre 2010, le secrétaire général de la CGT Bernard Thibaut déclare à l’AFP : « Personne ne peut prétendre faire participer sous la même forme plusieurs dizaines de millions de personnes, de la signature d’une pétition à la participation à une multitude d’initiatives locales, voire aux manifestations lors des journées interprofessionnelles. Qui dit mouvement social dit de multiples formes pour y participer ».
Bernard Thibaut le 7 octobre 2010 sur RTL : ’« Cela ( la grève générale) n’a jamais été pratiqué dans l’histoire sociale de notre pays (...) C’est un slogan pour moi tout à fait abstrait, abscons. Cela ne correspond pas aux pratiques par lesquelles on parvient à élever le niveau du rapport de forces. »
Eh bien, les travailleurs et le peuple guyanais viennent de montrer que la grève générale n’a rien d’irréaliste, rien d’absurde, rien d’abstrait, que ce n’est pas un slogan creux, abscons, et autres idioties bureaucratiques.
Ce mouvement social qui allait exploser avec la remise en cause des retraites, toute la classe dirigeante le craignait, mais les dirigeants syndicaux autant que les autres. Le journal « Le Monde » écrivait en janvier 2009 : « A l’Elysée comme au Parti socialiste, dans les syndicats comme dans les milieux patronaux, tout le monde redoute une explosion du chaudron social. »
Bien sûr, c’est le caractère social explosif de la situation de la Guyane qui a poussé à une telle révolte massive et presque unanime. Bien sûr, cette situation est plus catastrophique qu’en métropole. Bernard Lama peut ainsi déclarer : « À Kourou on envoie des satellites. Mais nous sommes les derniers à avoir Internet ! »
La situation explosive est marquée non seulement par la grève générale, par le blocage des entreprises et des routes mais aussi par une manifestation monstre de mardi dernier qui a été déclaré par les autorités locales comme « la plus grosse manifestation de son histoire » et où environ une personne sur dix habitants était dans la rue.
Un autre point mis à part le caractère massif, le caractère interprofessionnel, le caractère radical, le caractère spontané, mérite d’être souligné : c’est l’auto-organisation.
De nombreux groupes, comités, collectifs, mouvements, piquets de barrage se sont constitués et ils dépassaient largement les organisations déjà constituées, syndicats ou autres. L’exemple du groupe des « 500 frères » et de celui des « Toukans », groupes de personnes encagoulées tenant les rues et mobilisées au départ contre l’insécurité est remarquable. Sa liaison très rapide avec le mouvement ouvrier, avec le mouvement des agriculteurs, avec celui des amérindiens, avec celui des routiers, l’est aussi. Et il y a eu bien d’autres organisations spontanées de jeunes, de travailleurs et d’autres, de nombreux collectifs comme « Mayouri pou sové la Gwiyann », comme le « Collectif pour un recteur guyanais », etc.
Il est très significatif que les ministres aient voulu imposer des négociations secrètes alors que les collectifs ont imposé la transparence et l’ouverture des négociations aux média. On se souvient que dans les mouvements en France, les appareils syndicaux français ont toujours mené des négociations secrètes, y compris quand ils étaient conspués lors de celles-ci par les personnels en grève comme dans le mouvement des hôpitaux.
Au départ la situation de la Guyane était très inquiétante, avec des mouvements de colère des communautés les unes contre les autres, dans une région où les milieux populaires sont divisés en un très grand nombre de communautés différentes, non seulement par la couleur mais par l’origine, des Amérindiens aux Laotiens, etc. Le mouvement a déjà eu un succès : il a unifié ces populations, qui se retrouvent ensemble sur les barrages, mangent et boivent ensemble, ont appris à se connaître et à s’apprécier, et sont unifiés par leur lutte commune contre le pouvoir d’Etat français.
Ce dernier a prétendu avoir proposé un programme ambitieux pour la Guyane mais, en fait, seul le MEDEF guyanais s’est déclaré satisfait, ce qui en dit long sur ceux qui vont bénéficier du milliard d’euros proposé. A part les entreprises, cet argent ira surtout à la répression : prison, police, justice, répression de toutes sortes, sans améliorer fondamentalement santé, enseignement, emploi, etc…
Ce n’est pas un hasard si l’ensemble du collectif a rejeté le prétendu « plan ambitieux pour la Guyane ». Ce plan avait surtout pour but de diviser les collectifs du mouvement en satisfaisant les uns et pas les autres. Si le MEDEF a déclaré que ses revendications avaient été satisfaites pour l’essentiel, il a aussi affirmé ne pas vouloir se désolidariser du mouvement d’ensemble. Il va de soi que le simple fait de déclarer que lui était satisfait, c’est déjà une manière de dire au pouvoir français qu’il se désolidarise en fait même s’il ne peut pas le faire trop ouvertement. La suite de la lutte ne peut que distinguer ainsi les faux amis et les ennemis.
Mais le mouvement de la Guyane n’a pas posé que des questions sociales multiples n’a pas fait que souligner une véritable révolte sociale générale : il a également montré une révolte anticoloniale. Si les Guyanais se sont estimés insultés, méprisés par le pouvoir de Paris, c’est pour cette raison. S’ils ont été délaissés, oubliés, mis à l’écart, c’est pour cette raison. Il y a une dimension anticoloniale dans le mouvement actuel, dimension que les média continentaux se gardent de rendre compte ! Et ne parlons pas des hommes politiques français qui sont tous fiers de dire que la Guyane, c’est la France alors qu’il est évident qu’aucune loi sociale, qu’aucun droit, qu’aucun avantage social ne s’applique à l’identique en Guyane et en France continentale ! Les Guyanais sont encore aujourd’hui traités en colonisés et il ne faut pas le cacher !
Cela ne signifie pas que la lutte en Guyane doive être dirigée par des nationalistes petits-bourgeois comme l’ont été toutes les luttes de la décolonisation dans le monde. Cela ne signifie pas que la lutte doive être d’abord nationale avant d’être sociale. Cela ne signifie pas que la lutte soit une lutte de race, une lutte de couleur de peau, ni une lutte nationaliste et pas une lutte sociale ! Non ! Cela signifie que les travailleurs doivent non seulement avoir à leur programme de profondes transformations sociales de la société mais aussi une transformation profonde, un changement radical, par rapport aux mentalités colonialistes, racistes, méprisantes vis-à-vis du peuple guyanais.
Il faut en finir avec tous les travers coloniaux de la domination de la Guyane, comme des autres DOM et TOM, avec toutes les formes d’oppression nationale et raciale qui subsistent avec le néo-colonialisme actuel. Il ne suffit pas que la ministre de l’outremer soit d’origine ultramarine pour que cela prouve que le colonialisme n’existe plus. A la grande époque coloniale, l’Ivoirien Houphouët-Boigny pouvait être ministre d’Etat mais le peuple ivoirien était bel bien sous l’esclavage colonial et traité pire que des chiens !
On ne pourra pas réformer la situation de la Guyane par rapport à la France, pas plus qu’on ne pourra réformer la situation économique et sociale en pleine crise mondiale du capitalisme.
Le gouvernement français peut parvenir à calmer une partie de la population guyanaise en cédant un peu ou en faisant semblant de le faire, mais il faut avoir conscience que, dans les DOM-TOM ou en métropole, les questions qui se posent, qu’elles soient économiques, sociales ou politiques, nécessitent bien autre chose que de gentilles négociations réformistes.
Elles nécessitent d’employer à grande échelle les méthodes qui viennent d’être mises en route en Guyane, celles de l’insurrection des masses populaires.
Elles nécessitent que les masses exploitées et opprimées s’auto-organisent et ne craignent pas de déborder les appareils réformistes politiques et syndicaux. Elles nécessitent que les masses travailleuses prennent la tête des luttes, se lient aux agriculteurs, aux jeunes, aux banlieues, aux chômeurs, à tous ceux qui sont révoltés contre les politiques des gouvernants, des trusts, des banques et de toutes les classes dirigeantes.
La Guyane va-t-elle aller plus loin dans sa lutte, on ne peut encore le dire mais la lutte sociale, en Guyane et ailleurs, devra aller plus loin, devra remettre en question la domination des exploiteurs et de leurs Etats. Elle a montré en Guyane qu’elle en a la force, qu’elle peut en prendre l’initiative et qu’elle a les moyens de se faire craindre des classes dirigeantes.