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Marx-Engels et la révolution américaine

vendredi 3 février 2017, par Robert Paris

La guerre civile aux États-Unis par K. Marx - F. Engels

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À ABRAHAM LINCOLN, PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
Der Social-Demokrat, 30 décembre 1864.

Monsieur,

Nous complimentons le peuple américain à l’occasion de votre réélection, à une forte majorité [1].

Si la résistance au pouvoir des esclavagistes a été le mot d’ordre modéré de votre première élection, le cri de guerre triomphal de votre réélection est : mort à l’esclavage !

Depuis le début de la lutte titanesque que mène l’Amérique, les ouvriers d’Europe sentent instinctivement que le sort de leur classe dépend de la bannière étoilée. La lutte pour les territoires qui inaugura la terrible épopée, ne devait-elle pas décider si la terre vierge de zones immenses devait être fécondée par le travail de l’émigrant, ou souillée par le fouet du gardien d’esclaves ?

Lorsque l’oligarchie des trois cent mille esclavagistes osa, pour la première fois dans les annales du monde, inscrire le mot esclavage sur le drapeau de la rébellion armée ; lorsque à l’endroit même où, un siècle plus tôt, l’idée d’une grande république démocratique naquit en même temps que la première déclaration des droits de l’homme [2] qui ensemble donnèrent la première impulsion à la révolution européenne du XVIII° siècle - lorsque à cet endroit la contre-révolution se glorifia, avec une violence systématique, de renverser « les idées dominantes de l’époque de formation de la vieille Constitution » et présenta « l’esclavage comme une institution bénéfique, voire comme la seule solution au grand problème des rapports, entre travail et capital », en proclamant cyniquement que le droit de propriété sur l’homme représentait la pierre angulaire de l’édifice nouveau [3] - alors les classes ouvrières d’Europe comprirent aussitôt, et avant même que l’adhésion fanatique des classes supérieures à la cause des confédérés ne les en eût prévenues, que la rébellion des esclavagistes sonnait le tocsin pour une croisade générale de la propriété contre le travail et que, pour les hommes du travail, le combat de géant livré outre-Atlantique ne mettait pas seulement en jeu leurs espérances en l’avenir, mais encore leurs conquêtes passées. C’est pourquoi, ils supportèrent toujours avec patience les souffrances que leur imposa la crise du coton [4] et s’opposèrent avec vigueur à l’intervention en faveur de l’esclavagisme que préparaient les classes supérieures et « cultivées », et un peu partout en Europe contribuèrent de leur sang à la bonne cause.

Tant que les travailleurs, le véritable pouvoir politique du Nord permirent à l’esclavage de souiller leur propre République ; tant qu’ils se glorifièrent de jouir - par rapport aux Noirs qui, avaient un maître et étaient vendus sans être consultés - du privilège d’être libres de se vendre eux-mêmes et de choisir leur patron, ils furent incapables de combattre pour la véritable émancipation du travail ou d’appuyer la lutte émancipatrice de leurs frères européens [5].

Les ouvriers d’Europe sont persuadés que si la guerre d’Indépendance américaine a inauguré l’époque nouvelle de l’essor des classes bourgeoises, la guerre anti-esclavagiste américaine a inauguré l’époque nouvelle de l’essor des classes ouvrières. Elles considèrent comme l’annonce de l’ère nouvelle que le sort ait désigné Abraham Lincoln, l’énergique et courageux fils de la classe travailleuse, pour conduire son pays dans la lutte sans égale pour l’affranchissement d’une race enchaînée et pour la reconstruction d’un monde social.

Signé au nom de l’Association internationale des travailleurs par le Conseil central [6].

Notes

[1] À propos de la rédaction de cette adresse, cf. Marx à Engels, le 2 décembre 1862. l. c., tome VIII, p. 114. Il serait évidemment abusif d’étendre cet éloge de Marx à tous les présidents des États-Unis. Marx vise en effet, à féliciter Lincoln pour son action anti-esclavagiste, qui permit de passer de la première phase de la guerre civile (plan constitutionnel de la sauvegarde de l’Union) au plan révolutionnaire pour l’abolition de l’esclavage des Noirs. (N. d. T.)

[2] Le 4 juillet 1776, les délégués des treize colonies anglaises d’Amérique du Nord proclamèrent l’indépendance, au Congrès de Philadelphie. Ils créèrent une république indépendante, après avoir fait sécession de l’Angleterre. Même si la proclamation des droits de l’homme et du citoyen correspond à un grand pas en avant de l’histoire - par rapport au régime antérieur à la révolution bourgeoise - elle n’est pas une conquête définitive, ni même une libération véritable. On le voit au simple fait que cette proclamation laissait subsister l’esclavage d’une fraction considérable de la population. Marx en a fait la critique dans la Question juive, dès 1844, du point de vue de l’émancipation totale de la révolution socialiste. Cf. à propos de la question noire : « Le foyer du racisme moderne : c’est le capital (aux USA : le Nord, et non le Sud) », in Fil du Temps, N° 1, pp. 77-79.

[3] Cf. discours de Bright, le 19.12.1862, à Birmingham.

[4] En Angleterre, aucune classe ne souffrit davantage des conséquences de la crise cotonnière que le prolétariat : Cf. par exemple les articles de Marx : « La misère ouvrière en Angleterre » et « La misère des ouvriers du coton », in : Die Presse, 27 septembre et 4 octobre 1862.

Pour les ouvriers anglais, et tout spécialement ceux qui travaillaient dans l’industrie textile, la pénurie du textile signifiait le chômage, ou, dans le meilleur des cas, le chômage partiel. En 1862, les trois cinquièmes de l’industrie textile furent arrêtés en Angleterre, et soixante-quinze pour cent des ouvriers du textile furent touchés par le chômage qui dura plus de deux ans. Par exemple, à Stockport, six mille salariés étaient sans travail, six raille autres employés partiellement, et cinq mille travaillaient à plein temps. En novembre 1862, 35,9 % de la population de Glossopp étaient assistés ou vivaient de la charité publique.

[5] Dans la Misère de la Philosophie, Marx s’en prend à Proudhon qui, dans toute catégorie économique, s’efforce de séparer le bon côté du mauvais, afin de ne retenir que le bon. Or, dit Marx, « ce qui constitue le mouvement dialectique, c’est précisément la coexistence de deux côtés contradictoires, leur lutte et leur fusion en une catégorie nouvelle : rien qu’à poser le problème d’éliminer le mauvais côté, on coupe court au mouvement dialectique ». C’est ainsi que, dès 1847, Marx montre que la lutte féconde entre l’esclavage et le travail libre donne naissance à une catégorie nouvelle : le travail salarié (libre et forcé), qui permet l’industrialisation à une échelle immense et la lutte pour le socialisme, Cf. Misère de la Philosophie, chap. II, §2, 4° observation.

[6] Suit la liste des signataires, responsables de l’A.I.T. (N. d. T.)

[7] À propos de la réaction de Marx à la réponse de Lincoln, cf. Marx à Engels, des 6 et 10 février 1865, I.c., vol. VIII, pp. 144, 152. Marx est visiblement satisfait que Lincoln ait été sensible à l’appui donné aux forces révolutionnaires américaines par les classes ouvrières anglaises et Marx et Engels. On sait que Lassalle, grand agitateur politique, ne s’intéressa en rien à la guerre civile américaine (et Marx le note dans sa lettre du 10 février 1865). Il est caractéristique de la méthode marxiste que l’intérêt va, non pas au succès populaire immédiat, mais aux événements fondamentaux et révolutionnaires qui influencent l’évolution sociale générale, en essayant d’y intervenir pratiquement avec les forces disponibles à chaque fois. (N. d. T.)

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