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La décohérence ou le passage quantique/classique

samedi 1er octobre 2016, par Robert Paris

Comment la théorie de la décohérence explique le passage entre le monde classique de la matière et le monde quantique ?

La théorie de la décohérence tente d’expliquer pourquoi les lois qui régissent le monde de l’infiniment petit (niveau microscopique de la matière obéissant aux lois dites quantiques) ne se vérifient pas à notre échelle (niveau macroscopique, n’obéissant pas aux lois quantiques). Cela signifie chercher à comprendre comment la matière adopte un comportement classique quand un grand nombre de quanta sont en jeu dans les interactions alors qu’aux niveaux fondamentaux de la matière le comportement est toujours quantique, aussi bien au niveau de la matière, de l’énergie et des interactions (discontinu, sans trajectoire, non local, à la fois ondulatoire et corpusculaire, avec superposition d’états, effets tunnel, non-séparabilité et sauts quantiques, un mélange dialectique de hasard et de lois obéissant aux inégalités d’Heisenberg qui déterminent des paramètres corrélés et imposent le flou quantique). Toutes les propriétés précédemment citées disparaissent au niveau macroscopique qui obéit, au contraire, aux règles de la physique classique (trajectoires continues, échanges continus, localité, ou ondulatoire ou corpusculaire, pas de superposition d’état, pas d’effet tunnel, pas de paramètres corrélés et dont la précision est limitée, pas de non-séparabilité, pas de flou quantique, pas de sauts).

Pas de trajectoires au niveau quantique

Superposition d’états

Dualité onde/particule

Inégalités d’Heisenberg

Discontinuité quantique

Sauts quantiques

Non-séparabilité quantique

Comment ces quanta perdent-ils leurs particularités quantiques quand ils interagissent en grand nombre ? Ils décohèrent ! Ils perdent les états superposés contenus dans la fonction d’onde en devenant un seul état actuel. Ils deviennent classiques !

La situation apparemment ubuesque des passages quantique/classique a été illustrée par une expérience de pensée : celle du « chat de Schrödinger ». lire ici sur ce chat…

La théorie de la décohérence étudie les interactions entre un système quantique et son environnement dont la conséquence est la suppression des phénomènes dits " d’interférences ", phénomènes physiques mis en évidence pour le première fois dans l’expérience des fentes de Young en 1801. voir ici l’expérience des fentes de Young

Au niveau atomique les particules font cavalier seul, elles ont peu ou pas du tout d’interactions avec l’environnement, on peut dire qu’elles sont en « cohérence » avec le monde quantique.

Notre monde, lui, est composé de milliards de particules élémentaires. Et plus il y a de particules, plus les interactions entre elles sont fréquentes, bien évidemment. Ces interactions brisent en quelque sorte la symétrie du monde quantique : il se produit alors ce qu’on appelle la « décohérence ».

C’est donc cette brisure de symétrie qui provoque la transition entre le monde microscopique et notre univers réconfortant de solidité... et de permanence. Un système décohère d’autant plus rapidement suivant le nombre d’atomes qui le compose, c’est pourquoi à notre échelle ce phénomène est inobservable, nous ne pouvons pas voir par exemple un objet qui serait a mi chemin entre cohérence et décohérence.

La théorie de la décohérence s’attaque donc au problème de la disparition des états quantiques superposés au niveau macroscopique. Son objectif est de démontrer que le postulat de réduction du paquet d’onde est une conséquence de l’équation de Schrödinger, et n’est pas en contradiction avec celle-ci.

L’idée de base de la décohérence est qu’un système quantique ne doit pas être considéré comme isolé, mais en interaction avec un environnement possédant un grand nombre de degrés de liberté. Ce sont ces interactions qui provoquent la disparition rapide des états superposés.

En effet, selon cette théorie, chaque éventualité d’un état superposé interagit avec son environnement ; mais la complexité des interactions est telle que les différentes possibilités deviennent rapidement incohérentes (d’où le nom de la théorie). On peut démontrer mathématiquement que chaque interaction « déphase » les fonctions d’onde des états les unes par rapport aux autres, jusqu’à devenir orthogonales et de produit scalaire nul. En conséquence, la probabilité d’observer un état superposé tend rapidement vers zéro.

Seuls restent observables les états dit « purs », correspondant aux états observables macroscopiquement, par exemple - dans le cas du Chat de Schrödinger - mort ou bien vivant.

Les interactions et l’environnement dont il est question dans cette théorie ont des origines très diverses. Typiquement, le simple fait d’éclairer un système quantique suffit à provoquer une décohérence. Même en l’absence de tout éclairage, il reste au minimum les photons du fond diffus cosmologique qui provoquent également une décohérence, bien que très lente.

Naturellement, le fait de mesurer volontairement un système quantique provoque des interactions nombreuses et complexes avec un environnement constitué par l’appareil de mesure. Dans ce cas, la décohérence est pratiquement instantanée et inévitable.

Donc, pour la théorie de la décohérence, l’effondrement de la fonction d’onde n’est pas spécifiquement provoquée par un acte de mesure, mais peut avoir lieu spontanément, même en l’absence d’observation et d’observateurs. Ceci est une différence essentielle avec le postulat de réduction du paquet d’onde qui ne spécifie pas comment, pourquoi ou à quel moment a lieu la réduction, ce qui a ouvert la porte à des interprétations mettant en jeu la conscience et la présence d’un observateur conscient. Ces interprétations deviendront sans objet si la théorie de la décohérence devient suffisamment complète pour préciser ces points.

La théorie de la décohérence a été introduite par H. Dieter Zeh en 1970. Elle a reçu ses premières confirmations expérimentales en 1996.

Serge Haroche et David J. Wineland, ainsi que leurs collaborateurs, ont réussi à réaliser une expérience mettant en évidence le phénomène de décohérence.

Klein expose dans « Petit voyage dans le monde des quanta » comment ils ont démontré ce phénomène de décohérence en isolant d’abord un atome (grâce à un dispositif permettant de multiples interactions avec des photons lumineux obligeant cet atome à rester dans un volume restreint) :

« Pour voir un atome, les physiciens procèdent comme notre cerveau (qui reçoit les photons réfléchis par un objet, puis reconstitue une image de l’objet), sauf qu’ils utilisent la lumière d’un laser plutôt que celle du soleil ou de la lampe. Excité par le faisceau laser, l’atome diffuse des photons dans différentes directions. Ces photons sont focalisés à l’aide d’instruments optiques appropriés puis sont détectés par des photo-détecteurs très sensibles. L’atome apparaît alors comme une petite tâche lumineuse dont le diamètre, déterminé par la longueur d’onde de la lumière utilisée, est de l’ordre du micromètre (un millionième de mètre), c’est-à-dire dix mille fois plus grand que la taille de l’atome (un dix-milliardième de mètre). L’observation ne donne donc aucune information sur la structure même de l’atome (on ne devine même pas la présence du noyau), mais seulement sur sa position moyenne. Cela est toutefois suffisant – du moins dans certaines conditions – pour distinguer les atomes les uns des autres. On peut ainsi isoler et piéger dans le vide un, deux ou plusieurs atomes en les soumettant à des forces produites par de subtiles configurations de champs électromagnétiques. »

Murray Gell-Mann dans « Le quark et le jaguar » :

« Quelle est l’explication sous-tendant la décohérence, quel est le mécanisme qui, faisant que la somme des termes d’interférence est nulle, permet d’assigner des probabilités ? C’est l’enchevêtrement de ce qui est suivi dans les histoires à gros grain avec ce qui est ignoré ou sursommé. (...) La mécanique quantique nous dit que que, dans la sommation, sous des conditions appropriées, les termes d’interférence disparaissent entre histoires impliquant des destins différents pour ce qui est ignoré. (...) Prenez l’exemple de la célèbre expérience dans laquelle un photon en provenance d’une source minuscule a la liberté de passer par l’une ou l’autre des deux fentes d’un écran sur son trajet vers un point donné d’un détecteur - ces deux histoires interfèrent et on ne peut leur assigner de probabilités. Dire par quelle fente est passée le photon n’a donc aucun sens. (...) Nous pouvons (...) illustrer la généralité de la décohérence avec un autre exemple : une description approximative de l’orbite d’un objet dans le Système solaire. La taille de l’objet peut aller de la grosse molécule à la planète (...) Considérez des histoires à gros grain dans lesquelles les destins de toutes les autres choses de l’Univers sont sursommées, comme le sont les propriétés internes de l’objet lui-même, ne laissant que les positions de son centre de masse à tout instant, de sorte que seules de petites régions de l’espace soient considérées et que toutes les possibilités de position au sein de chacune de ces régions soit sursommée. Enfin, supposez que l’histoire à gros grain sursomme tout ce qui se produit la plupart du temps, pour ne suivre que la position approximative de l’objet sur une séquence discrète d’instants séparés par de cours intervalles de temps. (...) Les histoires (qui spécifient les positions du centre de masse de l’objet dans le Système solaire à certains instants particuliers du temps) décohèrent à cause des interactions répétées de l’objet avec des choses sursommées, comme les photons du rayonnement de fond. (...) Puisque la mécanique quantique est correcte, pourquoi la planète mars n’est-elle pas répandue de manière diffuse sur toute son orbite ? (...) Les photons en Provenance du Soleil que Mars disperse sont également sursommés, contribuant à la décohérence des différentes positions de la planète, et ce sont justement ces photons qui permettent aux humains de voir Mars. (...) des mécanismes de décohérence de ce genre rendent possible l’existence du domaine quasi classique qui inclut notre expérience commune. Ce domaine se compose d’histoires à gros grain décohérentes, que l’on peut envisager comme formant une structure arborescente. (...) la décohérence (donnant naissance à une ramification d’histoires en éventualités distinctes avec des probabilités bien définies) n’est pas l’unique propriété importante du domaine quasi classique qui inclut notre expérience quotidienne. (...) Comment la planète mars peut-elle suivre une orbite déterministe classique alors que les volées aléatoires de photons qu’elle rencontre ne cessent de la souffleter ? La réponse est que plus lourd sera l’objet, moins il manifestera un comportement erratique et plus il suivra son petit bonhomme d’orbite. »

Lire encore :

La décohérence quantique de Serge Haroche

Commentaire de Matière et Révolution

wikipedia

CNRS

Expérience de décohérence quantique
Pour entrer dans la théorie

Observation de la décohérence

La décohérence prise sur le vif

Guido Bacciagaluppi

Roland Omnès

Messages

  • Je suis très sceptique en ce qui concerne la prétention que la décohérence expliquerait la réduction des états superposés en un état pur lors de la mesure. Les interactions multiples du milieu menant à une perte de cohérence entre les états superposés doivent logiquement mener aussi à une perte de cohérence de chacun des états purs. Si ce n’était pas le cas, cela voudrait dire que cet état pur maintient une cohérence avec l’appareil de mesure lors de la mesure. Dans ce cas, il serait possible en théorie de prédire lequel des états sera effectivement mesuré à partir de la seule connaissance de l’appareil de mesure. Ce qui n’est clairement pas le cas.

  • Je vais aller plus loin que mon précédent commentaire et cela va expliquer mon pseudonyme de « Terre à terre ». Le seul type logique d’explications à l’effondrement de la fonction d’ondes de plusieurs états superposés à un état pur unique lors de la mesure qui ne soit pas de nature métaphysique est celui de la répartition des états superposés dans des endroits différents de l’espace (et du temps). Ce qui est mesuré est un des états situé dans une des zones d’un patron complexe d’interférence dans l’espace et dans le temps. La fonction d’onde est une représentation mathématique abstraite correspondant à ce patron concret d’interférence.

    De façon symbolique, c’est équivalent à mesurer un des états d’ombre ou de lumière inclus dans le patron d’interférence d’une onde de lumière traversant les deux fentes de Young. Le maintien d’une conception matérialiste de l’univers nécessite l’adoption d’un tel type d’explications. L’absence de ce type d’explications dans le monde des physiciens quantiques a pour conséquence une immense pression pour l’adoption d’une vision subjectiviste ou d’une vision informationnelle purement pragmatique, visions qui ont d’ailleurs tendance à se répandre actuellement.

  • ’’Au niveau atomique les particules font cavalier seul, elles ont peu ou pas du tout d’interactions avec l’environnement, on peut dire qu’elles sont en « cohérence » avec le monde quantique.

    Notre monde, lui, est composé de milliards de particules élémentaires. Et plus il y a de particules, plus les interactions entre elles sont fréquentes, bien évidemment. Ces interactions brisent en quelque sorte la symétrie du monde quantique : il se produit alors ce qu’on appelle la « décohérence ».

    C’est donc cette brisure de symétrie qui provoque la transition entre le monde microscopique et notre univers réconfortant de solidité... et de permanence. Un système décohère d’autant plus rapidement suivant le nombre d’atomes qui le compose, c’est pourquoi à notre échelle ce phénomène est inobservable, nous ne pouvons pas voir par exemple un objet qui serait a mi chemin entre cohérence et décohérence.’’

    Ce passage de ’’votre’’ article est un copie colle d’un article que j’ai ecrit en 2006 sur le site de futura-science dont voici le lien :

    https://www.futura-sciences.com/sciences/dossiers/physique-introduction-physique-quantique-188/page/6/

    Donald Nadon

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