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Bergson ou le vide philosophique français

mardi 17 mai 2016, par Robert Paris

La « version » de Bergson de la Physique

« Mes ouvrages successifs sur la conception de la matière anticipaient sur les conclusions de la Physique d’aujourd’hui. »

Lettre de Bergson à Capek du 3 juillet 1938

Et on nous dit souvent, comme il l’écrit lui-même plus haut modestement, que Bergson aurait été le philosophe qui aurait le mieux accompagné les grandes révolutions de la Physique, notamment quantique et relativiste. Mais rien n’est moins vrai. Il suffit de lire Bergson pour s’en convaincre.

Il est notoire que Bergson s’est trompé quant à son interprétation de la relativité restreinte (dans « durée et simultanéité »). En effet Bergson n’accepte pas qu’il puisse exister une multiplicité de durées vécues. Pour lui le temps mesuré du physicien est simplement un artefact de calcul. Pour lui, la notion de repère de référence est comme si on mesurait un mouvement par rapport à soi-même. Et ainsi de suite. Difficile de discuter sa lecture des travaux de Lorentz et Einstein : il n’y a rien compris ! En ce qui concerne le vivant, il affirme que la science ne peut le comprendre et est partisan de l’ancienne "force vitale" !

En fait, l’originalité de Bergson sera de nier tout ce que la science a découvert : la réalité de la relativité de l’impossible simultanéité objective de deux instants, la réalité du vide, la réalité des possibles, etc…

Voici comment, par exemple, Bergson estimait avoir anticipé la thèse relativiste d’Einstein !!!

« Nous ne voudrions pas allonger outre mesure cette introduction. Nous devons cependant rappeler ce que nous disions jadis de l’idée de corps, et aussi du mouvement absolu : cette double série de considérations permettait de conclure à la relativité radicale du mouvement en tant que déplacement dans l’espace. Ce qui est immédiatement donné à notre perception, expliquions-nous, c’est une continuité étendue sur laquelle sont déployées des qualités : c’est plus spécialement une continuité d’étendue visuelle, et par conséquent de couleur. Ici rien d’artificiel, de conventionnel, de simplement humain. Les couleurs nous apparaîtraient sans doute différemment si notre œil et notre conscience étaient autrement conformés – il n’y en aurait pas moins, toujours, quelque chose d’inébranlablement réel que la physique continuerait à résoudre en vibrations élémentaires. Bref, tant que nous ne parlons que d’une continuité qualifiée et qualitativement modifiée, telle que l’étendue colorée et changeant de couleur, nous exprimons immédiatement, sans convention humaine interposée, ce que nous apercevons : nous n’avons aucune raison de supposer que nous ne soyons pas ici en présence de la réalité même. Toute apparence doit être réputée réalité tant qu’elle n’a pas été démontrée illusoire, et cette démonstration n’a jamais été faite pour le cas actuel : on a cru la faire, mais c’était une illusion ; nous pensons l’avoir prouvé »

Cela n’a bien entendu rien à voir…

D’où il conclue le passage :

« (…) enfin c’est pour n’avoir pas serré de près le passage du physique au mathématique qu’on s’est trompé si gravement sur le sens philosophique des considérations de temps dans la théorie de la Relativité. » !!!!

ou encore…

« Le Temps impersonnel et universel, s’il existe, a beau se prolonger sans fin du passé à l’avenir : il est tout d’une pièce ; les parties que nous y distinguons sont simplement celles d’un espace qui en dessine la trace et qui en devient à nos yeux l’équivalent ; nous divisons le déroulé, mais non pas le déroulement. Comment passons-nous d’abord du déroulement au déroulé, de la durée pure au temps mesurable ? Il est aisé de reconstituer le mécanisme de cette opération. »

Voilà le blabla de Bergson dont on ne peut même pas discuter car il ne contient RIEN :

« Il faudrait aussi qu’il pût extraire du mouvement perçu dans l’espace, et qui participe de la divisibilité de sa trajectoire, la pure mobilité, je veux dire la solidarité ininterrompue de l’avant et de l’après qui est donnée à la conscience comme un fait indivisible : nous faisions tout à l’heure cette distinction quand nous parlions de la ligne de feu tracée par l’étoile filante. Une telle conscience aurait une continuité de vie constituée par le sentiment ininterrompu d’une mobilité extérieure qui se déroulerait indéfiniment. Et interruption de déroulement resterait encore distincte de la trace divisible laissée dans l’espace, laquelle est encore du déroulé. Celle-ci se divise et se mesure parce qu’elle est espace. L’autre est durée. Sans le déroulement continu, il n’y aurait plus que l’espace, et un espace qui, ne sous-tendant plus une durée, ne représenterait plus du temps. »

Quelques mots donc sur la notion de temps chez Bergson. Dès son ouvrage intitulé : Essai sur les données immédiates de la conscience, qui date de 1889, l’auteur s’applique à montrer qu’il y a un fossé entre le quantitatif et le qualitatif ; il écrit par exemple :

« Lorsque nous parlons de temps, nous pensons le plus souvent à un milieu homogène où nos faits de conscience s’alignent, se juxtaposent comme dans l’espace »(p. 78). Mais on a tort de céder ainsi à la pression de la spatialité. Dans un autre ouvrage « La pensée et le mouvant », il écrit :

« Ecoutons une mélodie, en nous laissant bercer par elle ; n’avons- nous pas la perception nette d’un mouvement qui n’est pas attaché à un mobile, d’un changement sans rien qui change ? Ce changement se suffit, il est la chose même. Et il a beau prendre du temps, il est indivisible » (p. 164). Ecoutons le début de l’Adagio ma non troppo du Concerto de Mozart, KW 313. »

Dans "Le possible et le réel" (1930), Henri Bergson demande :

« A quoi sert le temps ?... le temps est ce qui empêche quc tout soit donné d’un seul coup. Il retarde, ou plutôt il est retardement. Il doit donc étre élaboration. Ne serait-il pas alors le véhicule de création et de choix ? L’existence du temps ne prouverait-elle pas qu’il y a de l’indétermination dans les choses ? »

Bergson y parle du temps comme "jaillissement effectif de nouveauté imprévisible" dont témoigne notre expérience de la liberté humaine mais aussi de l’indétermination des choses. En conséquence, le possible est plus riche que le réel. L’univers autour de nous doit être compris à partir du possible , non à partir d’un quelconque état initial dont il pourrait, de quelque manière, être déduit.

Pour Bergson, comme pour Popper, 1e réalisme et l’indéterminisme sont solidaires. Mais cette conviction se heurte au triomphe de la physique moderne, au fait que le plus fructueux et le plus rigoureux des dialogues que nous ayons mené avec nature aboutit à l’affirmation du déterminisme.

La dichotomie et Bergson, dans « L’Évolution Créatrice »

Bergson, dans « Les deux sources de la morale et de la religion », établit une dichotomie entre sociétés « closes » et sociétés « ouvertes » – dichotomie recoupant les distinctions fondamentales entre religions « statique » et « dynamique », morales « close » et « ouverte ». La dichotomie entre les sources de la morale et de la religion s’explique pour Bergson par l’opposition en l’homme de ses versants social et spirituel.

C’est cette dichotomie entre temps et durée opérée par la projection de la durée dans l’espace que Bergson décline tout au long : le bruit du marteau qui frappe l’enclume, le mouvement du balancier de l’horloge, le berger qui compte ses moutons et le gradé qui fait l’appel des soldats, la mélodie que l’on entend, le sucre qui n’en finit pas de fondre dans le verre d’eau, l’étoile filante qui traverse le ciel, l’élastique sur lequel on tire, et tant d’autres. Plus qu’une simple illustration, plus même qu’un artifice pédagogique, ce recours à l’analyse concrète est un élément clé de la méthode de Bergson.
La durée, imagée comme élan vital, désigne ainsi la création imprévisible et continuelle de nouvelles formes dans l’univers, de la matière inerte à l’acte libre de la conscience humaine. Bergson décrit ainsi le développement de l’élan en forme de gerbe, de ramification, de dichotomie continue, « créant par le seul fait de sa croissance des directions différentes ».

C’est donc un même élan, suivant une simple différence de degré, qui peut faire naître la matière inorganique, le vivant végétal et animal, et la conscience humaine.

Pour Bergson, la dichotomie se révèle donc comme la voie empruntée par l’évolution générale de la vie (L’Évolution Créatrice, page 14).
« Nous appellerons loi de dichotomie celle qui paraît provoquer la réalisation, par leur seule dissociation de tendances qui n’étaient d’abord que des vues différentes prises sur une tendance simple. » Les deux sources de la morale et de la religion, Chapitre IV Bergson, page 316.

Pour Popper, dualiste lui aussi, cependant, le déterminisme ne met pas seulement en cause la liberté humaine. Il rend impossible la rencontre de la réalité qui est la vocation même de notre connaissance : Popper écrit plus loin que la réalité du temps et du changement a toujours été pour lui "le fondement essentiel du réalisme". Dans "Le possible et le réel", Henri Bergson demande "A quoi sert le temps ?... le temps est ce qui empêche que tout soit donné d’un seul coup. Il retarde, ou plutôt il est retardement. Il doit donc être élaboration. Ne serait-il pas alors le véhicule de création et de choix ? L’existence du temps ne prouverait-elle pas qu’il y a de l’indétermination dans les choses ?". Pour Bergson comme pour Popper, le réalisme et l’indéterminisme sont solidaires. Mais cette conviction se heurte au triomphe de la physique moderne, au fait que le plus fructueux et le plus rigoureux des dialogues que nous ayons mené avec nature aboutit à l’affirmation du déterminisme. L’opposition entre le temps réversible et déterministe de la physique et le temps des philosophes a mené à des conflits ouverts. Aujourd’hui, la tentation est plutôt celle d’un repli, qui se traduit par un scepticisme général quant à la signification de nos connaissances. Ainsi, la philosophie postmoderne prône la déconstruction. Rorty par exemple appelle à transformer les problèmes qui ont divisé notre tradition en sujets de conversation civilisée. Bien sûr, pour lui les controverses scientifiques, trop techniques n’ont pas de place dans cette conversation.

Le philosophe des sciences Karl Popper, auquel bien des scientifiques accordent une importance imméritée, a théorise l’existence de plusieurs mondes, ce qui justifierait, selon lui, une séparation entre corps et esprit. Il écrit ainsi dans « La connaissance objective » : « Je propose donc, comme Descartes, l’adoption d’un point de vue dualiste bien que je ne préconise pas bien entendu de parler de deux sortes de substances en interaction. Mais je crois qu’il est utile et légitime de distinguer deux sortes d’états (ou d’événements) en interaction : des états physico-chimiques et des états mentaux. »

Non ! Le dualisme de Bergson n’est pas davantage confirmé par les sciences que le dualisme de Descartes !!!

Russell écrivait que Bergson “était inapte même à comprendre un concept mathématique aussi rudimentaire que les nombres.”

Bergson persiste et signe : c’est Einstein qui n’a rien compris : “Il confond le temps et l’espace !”

Et tout cela pour finalement nous asséner que le raisonnement ne peut pas dépasser l’expérience !!! Et certains affirment que cela rejoindrait les leçons tirées de la physique quantique !!!

Quelques extraits suffisent à en donner une bonne idée. Nous pouvons dire que nous ne sommes à peu près d’accord sur rien de tout ce que Bergson écrit plus bas… Il serait difficile de répondre point par point tant l’ensemble de notre site est une réponse : contre le dualisme, contre le positivisme, contre l’empirisme, contre l’idéalisme, donc contre Bergson !

Reprécisons que tout ce que nous citons ensuite de Bergson nous semble anti-scientifique, fort peu brillant philosophiquement et même simplement ridicule…

Bergson - Durée et simultanéité, A propos de la théorie d’Einstein

« Nous prétendons que le Temps unique et l’Étendue indépendante de la durée subsistent dans l’hypothèse d’Einstein prise à l’état pur : ils restent ce qu’ils ont toujours été pour le sens commun. (…) Bref, le repos absolu, chassé par l’entendement, est rétabli par l’imagination. Du point de vue mathématique, cela n’a aucun inconvénient. (…) Que si, au contraire, on se place dans l’hypothèse d’Einstein, les Temps multiples subsisteront, mais il n’y en aura jamais qu’un seul de réel, comme nous nous proposons de le démontrer : les autres seront des fictions mathématiques. C’est pourquoi, à notre sens, toutes les difficultés philosophiques relatives au temps s’évanouissent si l’on s’en tient strictement à l’hypothèse d’Einstein, mais toutes les étrangetés aussi qui ont dérouté un si grand nombre d’esprits. »

« Nous voulons ménager toutes les transitions entre le point de vue psychologique et le point de vue physique, entre le Temps du sens commun et celui d’Einstein. Pour cela nous devons nous replacer dans l’état d’âme où l’on pouvait se trouver à l’origine, alors qu’on croyait à l’éther immobile, au repos absolu, et qu’il fallait pourtant rendre compte de l’expérience Michelson-Morley. Nous obtiendrons ainsi une certaine conception du Temps qui est relativiste à moitié, par un côté seulement, qui n’est pas encore celle d’Einstein, mais que nous jugeons essentiel de connaître. La théorie de la Relativité a beau n’en tenir aucun compte dans ses déductions proprement scientifiques : elle en subit pourtant l’influence, croyons-nous, dès qu’elle cesse d’être une physique pour devenir une philosophie. »

Bergson – Matière et mémoire

« Me voici donc en présence d’images, au sens le plus vague où l’on puisse prendre ce mot, images perçues quand j’ouvre mes sens, inaperçues quand je les ferme. Toutes ces images agissent et réagissent les unes sur les autres dans toutes leurs parties élémentaires selon des lois constantes, que j’appelle les lois de la nature, et comme la science parfaite de ces lois permettrait sans doute de calculer et de prévoir ce qui se passera dans chacune de ces images, l’avenir des images doit être contenu dans leur présent et n’y rien ajouter de nouveau. Pourtant il en est une qui tranche sur toutes les autres en ce que je ne la connais pas seulement du dehors par des perceptions, mais aussi du dedans par des affections : c’est mon corps. J’examine les conditions où ces affections se produisent : je trouve qu’elles viennent toujours s’intercaler entre des ébranlements que je reçois du dehors et des mouvements que je vais exécuter, comme si elles devaient exercer une influence mal déterminée sur la démarche finale. Je passe mes diverses affections en revue : il me semble que chacune d’elles contient à sa manière une invitation à agir, avec, en même temps, l’autorisation d’attendre et même de ne rien faire. Je regarde de plus près : je découvre des mouvements commencés, mais non pas exécutés, l’indication d’une décision plus ou moins utile, mais non pas la contrainte qui exclut le choix. J’évoque, je compare mes souvenirs : je me rappelle que partout, dans le monde organisé, j’ai cru voir cette même sensibilité apparaître au moment précis où la nature, ayant conféré à l’être vivant la faculté de se mouvoir dans l’espace, signale à l’espèce, par la sensation, les dangers généraux qui la menacent, et s’en remet aux individus des précautions à prendre pour y échapper. J’interroge enfin ma conscience sur le rôle qu’elle s’attribue dans l’affection : elle répond qu’elle assiste en effet, sous forme de sentiment ou de sensation, à toutes les démarches dont je crois prendre l’initiative, qu’elle s’éclipse et disparaît au contraire dès que mon activité, devenant automatique, déclare ainsi n’avoir plus besoin d’elle. Ou bien donc toutes les apparences sont trompeuses, ou l’acte auquel l’état affectif aboutit n’est pas de ceux qui pourraient rigoureusement se déduire des phénomènes antérieurs comme un mouvement d’un mouvement, et dès lors il ajoute véritablement quelque chose de nouveau à l’univers et à son histoire. Tenons-nous en aux apparences ; je vais formuler purement et simplement ce que je sens et ce que je vois : Tout se passe comme si, dans cet ensemble d’images que j’appelle l’univers, rien ne se pouvait produire de réellement nouveau que par l’intermédiaire de certaines images particulières, dont le type m’est fourni par mon corps. (…) Mais comment mon corps en général, mon système nerveux en particulier, engendreraient-ils tout ou partie de ma représentation de l’univers ? Dites que mon corps est matière ou dites qu’il est image, peu m’importe le mot. S’il est matière, il fait partie du monde matériel, et le monde matériel, par conséquent, existe autour de lui et en dehors de lui. S’il est image, cette image ne pourra donner que ce qu’on y aura mis, et puisqu’elle est, par hypothèse, l’image de mon corps seulement, il serait absurde d’en vouloir tirer celle de tout l’univers. Mon corps, objet destiné à mouvoir des objets, est donc un centre d’action il ne saurait faire naître une représentation.
Mais si mon corps est un objet capable d’exercer une action réelle et nouvelle sur les objets qui l’entourent, il doit occuper vis-à-vis d’eux une situation privilégiée. En général, une image quelconque influence les autres images d’une manière déterminée, calculable même, conformément à ce qu’on appelle les lois de la nature. Comme elle n’aura pas à choisir, elle n’a pas non plus besoin d’explorer la région d’alentour, ni de s’essayer par avance à plusieurs actions simplement possibles. L’action nécessaire s’accomplira d’elle-même, quand son heure aura sonné. Mais j’ai supposé que le rôle de l’image que j’appelle mon corps était d’exercer sur d’autres images une influence réelle, et par conséquent de se décider entre plusieurs démarches matériellement possibles. Et puisque ces démarches lui sont sans doute suggérées par le plus ou moins grand avantage qu’elle peut tirer des images environnantes, il faut bien que ces images dessinent en quelque manière, sur la face qu’elles tournent vers mon corps, le parti que mon corps pourrait tirer d’elles. De fait, j’observe que la dimension, la forme, la couleur même des objets extérieurs se modifient selon que mon corps s’en approche ou s’en éloigne, que la force des odeurs, l’intensité des sons, augmentent et diminuent avec la distance, enfin que cette distance elle-même représente surtout la mesure dans laquelle les corps environnants sont assurés, en quelque sorte, contre l’action immédiate de mon corps. À mesure que mon horizon s’élargit, les images qui m’entourent semblent se dessiner sur un fond plus uniforme et me devenir indifférentes. Plus je rétrécis cet horizon, plus les objets qu’il circonscrit s’échelonnent distinctement selon la plus ou moins grande facilité de mon corps à les toucher et à les mouvoir. Ils renvoient donc à mon corps, comme ferait un miroir, son influence éventuelle ; ils s’ordonnent selon les puissances croissantes ou décroissantes de mon corps. Les objets qui entourent mon corps réfléchissent l’action possible de mon corps sur eux. (…) D’où, provisoirement, ces deux définitions : J’appelle matière l’ensemble des images, et perception de la matière ces mêmes images rapportées à l’action possible d’une certaine image déterminée, mon corps. (…) D’où vient que les mêmes images peuvent entrer à la fois dans deux systèmes différents, l’un où chaque image varie pour elle-même et dans la mesure bien définie où elle subit l’action réelle des images environnantes, l’autre où toutes varient pour une seule, et dans la mesure variable où elles réfléchissent l’action possible de cette image privilégiée ? Toute image est intérieure à certaines images et extérieure à d’autres ; mais de l’ensemble des images on ne peut dire qu’il nous soit intérieur ni qu’il nous soit extérieur, puisque l’intériorité et l’extériorité ne sont que des rapports entre images. Se demander si l’univers existe dans notre pensée seulement ou en dehors d’elle, c’est donc énoncer le problème en termes insolubles, à supposer qu’ils soient intelligibles ; c’est se condamner à une discussion stérile, où les termes pensée, existence, univers, seront nécessairement pris de part et d’autre dans des sens tout différents. Pour trancher le débat, il faut trouver d’abord un terrain commun où la lutte s’engage, et puisque, pour les uns et pour les autres, nous ne saisissons les choses que sous forme d’images, c’est en fonction d’images, et d’images seulement, que nous devons poser le problème. Or, aucune doctrine philosophique ne conteste que les mêmes images puissent entrer à la fois dans deux systèmes distincts, l’un qui appartient à la science, et où chaque image, n’étant rapportée qu’à elle-même, garde une valeur absolue, l’autre qui est le monde de la conscience, et où toutes les images se règlent sur une image centrale, notre corps, dont elles suivent les variations. La question posée entre le réalisme et l’idéalisme devient alors très claire : quels sont les rapports que ces deux systèmes d’images soutiennent entre eux ? Et il est aisé de voir que l’idéalisme subjectif consiste à faire dériver le premier système du second, le réalisme matérialiste à tirer le second du premier. »

Bergson – L’évolution créatrice

« Un des objets de « L’évolution créatrice » est de montrer que le Tout est de même nature que le moi, et que l’on saisit par un approfondissement de plus en plus complet de soi-même. »

« L’histoire de l’évolution de la vie, si incomplète qu’elle soit encore, nous laisse déjà entrevoir comment l’intelligence s’est constituée par un progrès ininterrompu, le long d’une ligne qui monte, à travers la série des Vertébrés, jusqu’à l’homme. (…) De là devrait résulter cette conséquence que notre intelligence, au sens étroit du mot, est destinée à assurer l’insertion parfaite de notre corps dans son milieu, à se représenter les rapports des choses extérieures entre elles, enfin à penser la matière. (…) À ce moment précis on trouve qu’on a changé d’état. La vérité est qu’on change sans cesse, et que l’état lui-même est déjà du changement.
C’est dire qu’il n’y a pas de différence essentielle entre passer d’un état à un autre et persister dans le même état. Si l’état qui « reste le même » est plus varié qu’on ne le croit, inversement le passage d’un état à un autre ressemble plus qu’on ne se l’imagine à un même état qui se prolonge ; la transition est continue. (…)Un objet matériel, pris au hasard, présente les caractères inverses de ceux que nous venons d’énumérer. Ou il reste ce qu’il est, ou, s’il change sous l’influence d’une force extérieure, nous nous représentons ce changement comme un déplacement de parties qui, elles, ne changent pas. Si ces parties s’avisaient de changer, nous les fragmenterions à leur tour. Nous descendrons ainsi jusqu’aux molécules dont les fragments sont faits, jusqu’aux atomes constitutifs des molécules, jusqu’aux corpuscules générateurs des atomes, jusqu’à l’ « impondérable » au sein duquel le corpuscule se formerait par un simple tourbillonnement. Nous pousserons enfin la division ou l’analyse aussi loin qu’il le faudra. Mais nous ne nous arrêterons que devant l’immuable.
Maintenant, nous disons que l’objet composé change par le déplacement de ses parties. Mais, quand une partie a quitté sa position, rien ne l’empêche de la reprendre. Un groupe d’éléments qui a passé par un état peut donc toujours y revenir, sinon par lui-même, au moins par l’effet d’une cause extérieure qui remet tout en place. Cela revient à dire qu’un état du groupe pourra se répéter aussi souvent qu’on voudra et que par conséquent le groupe ne vieillit pas. Il n’a pas d’histoire. Ainsi, rien ne s’y crée, pas plus de la forme que de la matière. »

« L’état présent d’un corps brut dépend exclusivement de ce qui se passait à l’instant précédent. La position des points matériels d’un système défini et isolé par la science est déterminée par la position de ces mêmes points au moment immédiatement antérieur. En d’autres termes, les lois qui régissent la matière inorganisée sont exprimables, en principe, par des équations différentielles dans lesquelles le temps (au sens où le mathématicien prend ce mot) jouerait le rôle de variable indépendante. En est-il ainsi des lois de la vie ? L’état d’un corps vivant trouve-t-il son explication complète dans l’état immédiatement antérieur ? Oui, si l’on convient, a priori, d’assimiler le corps vivant aux autres corps de la nature et de l’identifier, pour les besoins de la cause, avec les systèmes artificiels sur lesquels opèrent le chimiste, le physicien et l’astronome. Mais en astronomie, en physique et en chimie, la proposition a un sens bien déterminé : elle signifie que certains aspects du présent, importants pour la science, sont calculables en fonction du passé immédiat. Rien de semblable dans le domaine de la vie. Ici le calcul a prise, tout au plus, sur certains phénomènes de destruction organique. De la création organique, au contraire, des phénomènes évolutifs qui constituent proprement la vie, nous n’entrevoyons même pas comment nous pourrions les soumettre à un traitement mathématique. On dira que cette impuissance ne tient qu’à notre ignorance. Mais elle peut aussi bien exprimer que le moment actuel d’un corps vivant ne trouve pas sa raison d’être dans le moment immédiatement antérieur, qu’il faut y joindre tout le passé de l’organisme, son hérédité, enfin l’ensemble d’une très longue histoire. En réalité, c’est la seconde de ces deux hypothèses qui traduit l’état actuel des sciences biologiques, et même leur direction. Quant à l’idée que le corps vivant pourrait être soumis par quelque calculateur surhumain au même traitement mathématique que notre système solaire, elle est sortie peu à peu d’une certaine métaphysique qui a pris une forme plus précise depuis les découvertes physiques de Galilée, mais qui, — nous le montrerons, — fut toujours la métaphysique naturelle de l’esprit humain. Sa clarté apparente, notre impatient désir de la trouver vraie, l’empressement avec lequel tant d’excellents esprits l’acceptent sans preuve, toutes les séductions enfin qu’elle exerce sur notre pensée devraient nous mettre en garde contre elle. L’attrait qu’elle a pour nous prouve assez qu’elle donne satisfaction à une inclination innée. Mais, comme on le verra plus loin, les tendances intellectuelles, aujourd’hui innées, que la vie a dû créer au cours de son évolution, sont faites pour tout autre chose que pour nous fournir une explication de la vie. »

« Mais alors, il ne faudra plus parler de la vie en général comme d’une abstraction, ou comme d’une simple rubrique sous laquelle on inscrit tous les êtres vivants. À un certain moment, en certains points de l’espace, un courant bien visible a pris naissance : ce courant de vie, traversant les corps qu’il a organisés tour à tour, passant de génération en génération, s’est divisé entre les espèces et éparpillé entre les individus sans rien perdre de sa force, s’intensifiant plutôt à mesure qu’il avançait. »

Bergson – La pensée et le mouvant

« Introduction

« La métaphysique date du jour où Zénon d’Élée signala les contradictions inhérentes au mouvement et au changement, tels que se les représente notre intelligence. À surmonter, à tourner par un travail intellectuel de plus en plus subtil ces difficultés soulevées par la représentation intellectuelle du mouvement et du changement s’employa le principal effort des philosophes anciens et modernes. C’est ainsi que la métaphysique fut conduite à chercher la réalité des choses au-dessus du temps, par-delà ce qui se meut et ce qui change, en dehors, par conséquent, de ce que nos sens et notre conscience perçoivent. Dès lors elle ne pouvait plus être qu’un arrangement plus ou moins artificiel de concepts, une construction hypothétique. Elle prétendait dépasser l’expérience ; elle ne faisait en réalité que substituer à l’expérience mouvante et pleine, susceptible d’un approfondissement croissant, grosse par là de révélations, un extrait fixé, desséché, vidé, un système d’idées générales abstraites, tirées de cette même expérience ou plutôt de ses couches les plus superficielles. Autant vaudrait disserter sur l’enveloppe d’où se dégagera le papillon, et prétendre que le papillon volant, changeant, vivant, trouve sa raison d’être et son achèvement dans l’immutabilité de la pellicule. Détachons, au contraire, l’enveloppe. Réveillons la chrysalide. Restituons au mouvement sa mobilité, au changement sa fluidité, au temps sa durée. Qui sait si les « grands problèmes » insolubles ne resteront pas sur la pellicule ? Ils ne concernaient ni le mouvement ni le changement ni le temps, mais seulement l’enveloppe conceptuelle que nous prenions faussement pour eux ou pour leur équivalent. La métaphysique deviendra alors l’expérience même. La durée se révélera telle qu’elle est, création continuelle, jaillissement ininterrompu de nouveauté. (…) La science positive s’adresse en effet à l’observation sensible. Elle obtient ainsi des matériaux dont elle confie l’élaboration à la faculté d’abstraire et de généraliser, au jugement et au raisonnement, à l’intelligence. Partie jadis des mathématiques pures, elle continua par la mécanique, puis par la physique et la chimie ; elle arriva sur le tard à la biologie. Son domaine primitif, qui est resté son domaine préféré, est celui de la matière inerte. Elle est moins à son aise dans le monde organisé, où elle ne chemine d’un pas assuré que si elle s’appuie sur la physique et la chimie ; elle s’attache à ce qu’il y a de physico-chimique dans les phénomènes vitaux plutôt qu’à ce qui est proprement vital dans le vivant. Mais grand est son embarras quand elle arrive à l’esprit. Ce n’est pas à dire qu’elle n’en puisse obtenir quelque connaissance ; mais cette connaissance devient d’autant plus vague qu’elle s’éloigne davantage de la frontière commune à l’esprit et à la matière. Sur ce nouveau terrain on n’avancerait jamais, comme sur l’ancien, en se fiant à la seule force de la logique. Sans cesse il faut en appeler de l’ « esprit géométrique » à l’ « esprit de finesse » : encore y a-t-il toujours quelque chose de métaphorique dans les formules, si abstraites soient-elles, auxquelles on aboutit, comme si l’intelligence était obligée de transposer le psychique en physique pour le comprendre et l’exprimer. Au contraire, dès qu’elle revient à la matière inerte, la science qui procède de la pure intelligence se retrouve chez elle. Cela n’a rien d’étonnant. Notre intelligence est le prolongement de nos sens. »

Le possible et le réel

« Pourquoi l’univers est-il ordonné ? Comment la règle s’impose-t-elle à l’irrégulier, la forme à la matière ? D’où vient que notre pensée se retrouve dans les choses ? Ce problème, qui est devenu chez les modernes le problème de la connaissance après avoir été, chez les anciens, le problème de l’être, est né d’une illusion du même genre. Il s’évanouit si l’on considère que l’idée de désordre a un sens défini dans le domaine de l’industrie humaine ou, comme nous disons, de la fabrication, mais non pas dans celui de la création. Le désordre est simplement l’ordre que nous ne cherchons pas. Vous ne pouvez pas supprimer un ordre, même par la pensée, sans en faire surgir un autre. S’il n’y a pas finalité ou volonté, c’est qu’il y a mécanisme ; si le mécanisme fléchit, c’est au profit de la volonté, du caprice, de la finalité. Mais lorsque vous vous attendez à l’un de ces deux ordres et que vous trouvez l’autre, vous dites qu’il y a désordre, formulant ce qui est en termes de ce qui pourrait ou devrait être, et objectivant votre regret. Tout désordre comprend ainsi deux choses : en dehors de nous, un ordre ; en nous, la représentation d’un ordre différent qui est seul à nous intéresser. Suppression signifie donc encore substitution. Et l’idée d’une suppression de tout ordre, c’est-à-dire d’un désordre absolu, enveloppe alors une contradiction véritable, puisqu’elle consiste à ne plus laisser qu’une seule face à l’opération qui, par hypothèse, en comprenait deux. Ou l’idée de désordre absolu ne représente qu’une combinaison de sons, flatus vocis, ou, si elle répond à quelque chose, elle traduit un mouvement de l’esprit qui saute du mécanisme à la finalité, de la finalité au mécanisme, et qui, pour marquer l’endroit où il est, aime mieux indiquer chaque fois le point où il n’est pas. Donc, à vouloir supprimer l’ordre, vous vous en donnez deux ou plusieurs. Ce qui revient à dire que la conception d’un ordre venant se surajouter à une « absence d’ordre » implique une absurdité, et que le problème s’évanouit. (…) Le tort des doctrines, – bien rares dans l’histoire de la philosophie, – qui ont su faire une place à l’indétermination et à la liberté dans le monde, est de n’avoir pas vu ce que leur affirmation impliquait. Quand elles parlaient d’indétermination, de liberté, elles entendaient par indétermination une compétition entre des possibles, par liberté un choix entre les possibles, – comme si la possibilité n’était pas créée par la liberté même ! Comme si toute autre hypothèse, en posant une préexistence idéale du possible au réel, ne réduisait pas le nouveau à n’être qu’un réarrangement d’éléments anciens ! comme si elle ne devait pas être amenée ainsi, tôt ou tard, à le tenir pour calculable et prévisible ! En acceptant le postulat de la théorie adverse, on introduisait l’ennemi dans la place. Il faut en prendre son parti : c’est le réel qui se fait possible, et non pas le possible qui devient réel. »

La perception du changement

« Si nos sens et notre conscience avaient une portée illimitée, si notre faculté de percevoir, extérieure et intérieure, était indéfinie, nous n’aurions jamais recours à la faculté de concevoir ni à celle de raisonner. Concevoir est un pis aller dans les cas où l’on ne peut pas percevoir, et raisonner ne s’impose que dans la mesure où l’on doit combler les vides de la perception externe ou interne, et en étendre la portée. Je ne nie pas l’utilité des idées abstraites et générales — pas plus que je ne conteste la valeur des billets de banque. Mais de même que le billet n’est qu’une promesse d’or, ainsi une conception ne vaut que par les perceptions éventuelles qu’elle représente. Je dis que nous sommes d’accord là-dessus. Et la preuve, c’est que, de l’avis de tous, les conceptions le plus ingénieusement assemblées et les raisonnements le plus savamment échafaudés s’écroulent comme des châteaux de cartes le jour où un fait — un seul fait réellement aperçu — vient heurter ces conceptions et ces raisonnements. (…) Puisque toute tentative pour philosopher avec des concepts suscite des tentatives antagonistes et que, sur le terrain de la dialectique pure, il n’y a pas de système auquel on ne puisse en opposer un autre, devons-nous rester sur ce terrain, ou bien ne vaudrait-il pas mieux (sans renoncer, cela va sans dire, à l’exercice de nos facultés de conception et de raisonnement) revenir à la perception elle-même, obtenir d’elle qu’elle se dilate et s’étende ? Nous disions que c’est l’insuffisance de notre perception naturelle qui a poussé les philosophes à compléter la perception par la conception, laquelle devra combler les intervalles entre les données des sens ou de la conscience et, par là, unifier et systématiser notre connaissance des choses. Mais l’examen des doctrines nous montre que la faculté de concevoir, au fur et à mesure qu’elle avance dans ce travail d’intégration, est obligée d’éliminer de la réalité une multitude de différences qualitatives, d’éteindre en partie nos perceptions, d’appauvrir notre vision concrète de l’univers : c’est même parce que chaque philosophie est amenée, bon gré mal gré, à procéder ainsi, qu’elle suscite des philosophies antagonistes, dont chacune relève quelque chose de ce que celle-là a laissé tomber. La méthode va donc contre le but qu’elle se propose : elle devait, en théorie, étendre et compléter la perception ; elle est obligée, en fait, de demander à une foule de perceptions de s’effacer afin que telle ou telle d’entre elles puisse devenir représentative des autres. — Mais supposez qu’au lieu de chercher à nous élever au-dessus de notre perception des choses, nous nous enfoncions en elle pour la creuser et l’élargir. (…) Le rôle de la philosophie ne serait-il pas de nous amener à une perception plus complète de la réalité par un certain déplacement de notre attention ? Il s’agirait de détourner notre attention du côté pratiquement intéressant de l’univers, pour la retourner vers ce qui, pratiquement, ne sert à rien. Et cette conversion de l’attention serait la philosophie même. (…) La métaphysique est née, en effet, des arguments de Zénon d’Élée relatifs au changement et au mouvement. C’est Zénon qui, en attirant l’attention sur les absurdités qui naissent de ce qu’il appelait mouvement et changement, amena les philosophes — Platon tout le premier — à chercher la réalité cohérente et vraie dans ce qui ne change pas. Et c’est parce que Kant crut que nos sens et notre conscience s’exercent ordinairement dans un Temps véritable, je veux dire dans un Temps qui change sans cesse, dans une durée qui dure, c’est parce que, d’autre part, il se rendait compte de la relativité des données usuelles de nos sens et de notre conscience, qu’il jugea la métaphysique impossible autrement que par une vision différente de celle des sens et de la conscience, — vision dont il n’apercevait d’ailleurs aucune trace chez l’homme. (…) En fixant davantage notre attention, nous nous apercevrons qu’ici même le mouvement n’exige pas un véhicule, ni le changement une substance. (…) La nature a inventé un mécanisme dont le rôle est de canaliser notre attention dans la direction de l’avenir, de la détourner du passé — je veux dire de cette partie de notre histoire qui n’intéresse pas notre action présente, — de lui amener tout au plus, sous forme de ‘souvenirs’, telle ou telle simplification de l’expérience antérieure, destinée à compléter l’expérience du moment : en cela consiste ici la fonction du cerveau. Nous ne pouvons aborder la discussion de la théorie qui veut que le cerveau serve à la conservation du passé, qu’il emmagasine des souvenirs comme autant de clichés photographiques dont nous tirerions ensuite des épreuves, comme autant de phonogrammes destinés à redevenir des sons. Nous avons examiné la thèse ailleurs. Cette doctrine a été inspirée en grande partie par une certaine métaphysique dont la psychologie et la psycho-physiologie contemporaines sont imprégnées, et qu’on accepte naturellement : de là son apparente clarté. Mais, à mesure qu’on la considère de plus près, on y voit s’accumuler les difficultés et les impossibilités. (…) Ce n’est pas seulement notre passé à nous qui se conserve, c’est le passé de n’importe quel changement, pourvu toutefois que nous ayons bien affaire à un changement unique et, par là même, indivisible : la conservation du passé dans le présent n’est pas autre chose que l’indivisibilité du changement. Il est vrai que, pour les changements qui s’accomplissent en dehors de nous, il est souvent difficile et parfois impossible de dire si l’on a affaire à un changement unique ou, au contraire, à un composé de plusieurs mouvements entre lesquels s’intercalent des arrêts. Il faudrait que nous fussions intérieurs aux choses, comme nous le sommes à nous-mêmes, pour que nous pussions nous prononcer sûrement sur ce point. Mais là n’est pas l’important. Il suffit de s’être convaincu une fois pour toutes que la réalité est changement, que le changement est indivisible, et que, dans un changement indivisible, le passé fait corps avec le présent.
Pénétrons-nous de cette vérité, et nous voyons fondre et s’évaporer bon nombre d’énigmes philosophiques. »

L’intuition philosophique

« Comment la profession de philosophe conférerait-elle à celui qui l’exerce le pouvoir d’avancer plus loin que la science dans la même direction qu’elle ? Que certains savants soient plus portés que d’autres à aller de l’avant et à généraliser leurs résultats, plus portés aussi à revenir en arrière et à critiquer leurs méthodes, que, dans ce sens particulier du mot, on les dise philosophes, que d’ailleurs chaque science puisse et doive avoir sa philosophie ainsi comprise, je suis le premier à l’admettre. Mais cette philosophie-là est encore de la science, et celui qui la fait est encore un savant. Il ne s’agit plus, comme tout à l’heure, d’ériger la philosophie en synthèse des sciences positives et de prétendre, par la seule vertu de l’esprit philosophique, s’élever plus haut que la science dans la généralisation des mêmes faits.
Une telle conception du rôle du philosophe serait injurieuse pour la science. Mais combien plus injurieuse encore pour la philosophie ! (…) Faire de la philosophie un ensemble de généralités qui dépasse la généralisation scientifique, c’est vouloir que le philosophe se contente du plausible et que la probabilité lui suffise. »

Introduction à la métaphysique

« Soit, par exemple, le mouvement d’un objet dans l’espace. Je le perçois différemment selon le point de vue, mobile ou immobile, d’où je le regarde. Je l’exprime différemment, selon le système d’axes ou de points de repère auquel je le rapporte, c’est-à-dire selon les symboles par lesquels je le traduis. Et je l’appelle relatif pour cette double raison : dans un cas comme dans l’autre, je me place en dehors de l’objet lui-même. Quand je parle d’un mouvement absolu, c’est que j’attribue au mobile un intérieur et comme des états d’âme, c’est aussi que je sympathise avec les états et que je m’insère en eux par un effort d’imagination. »

Bergson – La perception du changement

"Si le changement est continuel en nous et continuel aussi dans les choses, en revanche, pour que le changement ininterrompu que chacun de nous appelle « moi » puisse agir sur le changement ininterrompu que nous appelons une « chose », il faut que ces deux changements se trouvent, l’un par rapport à l’autre, dans une situation analogue à celle des deux trains dont nous parlions tout à l’heure. Nous disons par exemple qu’un objet change de couleur, et que le changement consiste ici dans une série de teintes qui seraient les éléments constitutifs du changement et qui, elles, ne changeraient pas. Mais, d’abord, ce qui existe objectivement de chaque teinte, c’est une oscillation infiniment rapide, c’est du changement. Et, d’autre part, la perception que nous en avons, si nous la regardons de près, nous apparaît comme n’étant qu’un aspect isolé, abstrait, de l’état général de notre personne, lequel change globalement sans cesse et fait participer à son changement la perception qui semblait d’abord invariable : en fait, il n’y a pas de perception qui ne se modifie à chaque instant. De sorte que la couleur, en dehors de nous, est la mobilité même, et que notre propre personne est mobilité encore. Mais tout le mécanisme de notre perception des choses, comme celui de notre action sur les choses, a été réglé de manière à amener ici, entre la mobilité externe et la mobilité intérieure, une situation comme celle de nos deux trains, — plus compliquée, sans doute, mais du même genre : quand les deux changements, celui de l’objet et celui du sujet, ont lieu dans ces conditions particulières, ils suscitent cette apparence particulière que nous appelons un « état ». Et, une fois en possession d’« états », nous recomposons avec eux le changement. Rien de plus naturel, encore une fois : le morcelage du changement en états nous met à même d’agir sur les choses, et il est pratiquement utile que nous nous intéressions aux états plutôt qu’au changement lui-même. Mais ce qui favorise ici l’action serait mortel à la spéculation. Représentez-vous un changement comme réellement composé d’états, et vous faites surgir du même coup toutes les difficultés, toutes les antinomies que le problème du mouvement a soulevées. Vous fermez les yeux, comme je le disais, à la réalité vraie. "

Bergson – La philosophie française

"Tels sont les deux principaux traits de la philosophie française.

En se composant ensemble, ils donnent à cette philosophie sa physionomie propre. C’est une philosophie qui serre de près les contours de la réalité extérieure, telle que le physicien se la représente, et de très près aussi ceux de la réalité intérieure, telle qu’elle apparaît au psychologue. Par là même, elle répugne le plus souvent à prendre la forme d’un système. Elle rejette aussi bien le dogmatisme à outrance que le criticisme radical ; sa méthode est aussi éloignée de celle d’un Hegel que de celle d’un Kant. Ce n’est pas à dire qu’elle ne soit pas capable d’édifier, quand il lui plaît, quelque grande construction. Mais les philosophes français semblent avoir eu généralement cette arrière-pensée que systématiser est facile, qu’il est trop aisé d’aller jusqu’au bout d’une idée, que la difficulté est plutôt d’arrêter la déduction où il faut, de l’infléchir comme il faut, grâce à l’approfondissement des sciences particulières et au contact sans cesse maintenu avec la réalité. Pascal a dit que l’ « esprit géométrique » ne suffisait pas : le philosophe doit y joindre l’ « esprit de finesse ». Et Descartes, ce grand métaphysicien, déclarait avoir consacré peu d’heures à la métaphysique, entendant par là, sans doute, que le travail de pure déduction ou de pure construction métaphysique s’effectue de lui-même, pour peu qu’on y ait l’esprit prédisposé."

Et la position de Bergson dans la société ? Un plat suivisme social et politique !

Romain Rolland relève dans son Journal :

« 22 août 1914 – Bergson prononce un discours enflammé contre l’Allemagne à l’Académie des Sciences morales, dont il est président (8 août) :

« La lutte engagée contre l’Allemagne est, dit-il, la lutte même de la civilisation contre la barbarie. Tout le monde le sent, mais notre Académie a peut-être une autorité particulière pour le dire. Vouée en grande partie à l’étude des questions psychologiques, morales et sociales, elle accomplit un simple devoir scientifique, en signalant dans la brutalité et le cynisme de l’Allemagne, dans son mépris de toute justice et de toute vérité, une régression à l’état sauvage. »
Etait-ce le rôle d’un Bergson de dire de pareilles paroles ?... »

Bergson a été encensé par la société bourgeoise et intellectuelle française, mais cela n’est pas spécialement à leur honneur...

Messages

  • Pas brillant en sciences physiques qu’il a pourtant étudiées avant de choisir la philosophie, Bergson l’est encore moins en sciences de la vie puisque, pour lui, elles ne peuvent pas exister. Il affirme que l’homme n’est outillé que pour étudier la matière inerte et comme, selon lui, la matière vivante n’a rien à voir avec la matière inerte – il n’est pas dualiste pour rien -, il érige une véritable barrière entre les deux qui l’amène à imaginer des petites passerelles étonnantes quand un domaine appartient à la fois aux deux !!! Cette conception étonnante (pas de sciences de la vie) provient sans doute du fait qu’il est très religieux et chemine, selon ses dires, du judaïsme vers le catholicisme. Cette philosophie religieuse n’est sans doute pas étrangère à son succès et au soutien continu du pouvoir à son égard.

    • Mais qu’est-ce qui vous prend M. Paris ?
      Le vide philosophique français ? De quoi parlez vous ? N’avez-vous pas entendu parler de la French Galaxy ? Deleuze, Merleau-Ponty, Canguilhem, Foucault, et maintenant Simondon et Ruyer pratiquement ignorés de leur vivant et dont on découvre aujourd’hui la richesse et la profondeur de la pensée.

      Bergson dualiste ? Peut-être, avant l’Évolution créatrice, car Bergson affronte sérieusement cette réalité que les philosophes analytiques et/ou matérialistes ont refusé de voir : il y a bien une différence entre un être vivant et un être mort. C’est pourquoi le vitalisme n’est pas mort et ne mourra pas.
      Bergson sera mis à l’Index par l’Église à cause de son "monisme" et ce n’est pas moi qui invente ceci.
      À preuve, cet extrait de votre texte, qui témoigne bien d’un monisme de Bergson. Avez-vous lu ce que vous publiez ?

      "C’est donc un même élan, suivant une simple différence de degré, qui peut faire naître la matière inorganique, le vivant végétal et animal, et la conscience humaine."

      On tente d’enseigner à nos enfants à se comporter poliment sur le net et de ne pas user d’intimidation et d’attaques "ad hominem".
      D’un côté j’ai envie de vous remercier, car vous publiez dans cet article des sommets de la philosophie non seulement française, mais universelle.
      Mais pour les critiquer, vous nous ressortez de vieilles rengaines et insultes de 1938 complètement dépassées ou encore la critique de Russell : Bergson ne savait pas ce qu’est un nombre !
      À 19 ans, Bergson est premier prix de mathématique, il sait aussi bien que Russell ce qu’est un nombre et Bergson avait en effet prévu les avancées de la physique autant relativiste que quantique.

      "Nous devons cependant rappeler ce que nous disions jadis de l’idée de corps, et aussi du mouvement absolu : cette double série de considérations permettait de conclure à la relativité radicale du mouvement en tant que déplacement dans l’espace."

      Vous dites :"Pour Bergson, comme pour Popper, le réalisme et l’indéterminisme sont solidaires. Mais cette conviction se heurte au triomphe de la physique moderne, au fait que le plus fructueux et le plus rigoureux des dialogues que nous ayons mené avec la nature aboutit à l’affirmation du déterminisme."

      Est-ce vous ou Capek qui parle ici ? Ce n’est pas clair, mais ce qui est clair c’est que cette affirmation est fausse. La physique quantique a bien introduit le concept d’intrication quantique qu’Einstein n’a jamais accepté parce qu’il implique une communication instantanée à distance. Les expériences d’Alain Aspect ont bien démontré l’existence de cette simultanéité. L’information semble voyager plus vite que la lumière. Pour tenter de l’expliquer on parle de non-spatialité. Mais si ce n’est pas spatial, qu’est ce que c’est ? Serait-ce purement temporel ? Serait-ce la "mémoire pure" dont Bergson parlait déjà dans "Matière et mémoire" ? La mémoire s’enregistre d’elle-même, automatiquement, partout, tout le temps.

      Dans l’Évolution créatrice, Bergson réalise que non seulement les êtres vivants durent, mais que l’Univers lui-même dure et est donc création continue d’imprévisible nouveauté. Nous sommes en 1907 et la science croit encore en un Univers éternel et statique. Bergson prédit l’évolution de l’Univers, création de nouveauté, le modèle standard de l’astrophysique moderne qui deviendra la théorie du Big Bang. D’ailleurs le Big Bang n’est-il pas l’équivalent en physique de l’Élan vital ?
      Mais vous vous permettez même d’écrire que Bergson n’est pas brillant en sciences de la vie et que pour lui, elles ne peuvent pas exister ! Ceci est tout simplement un mensonge. Bergson dit plutôt que pour étudier la vie, il faut s’y prendre autrement, faire appel à l’intuition et admettre que si les mathématiques fonctionnent bien pour comprendre la matière inerte, elles seront moins utiles en biologie. Peut-être même inutiles. À moins, peut-être d’inventer une nouvelle mathématique où le temps réel existe vraiment.
      La conscience est coextensive à la vie. Cette affirmation est aujourd’hui confirmée. Des virus aux humains tous les êtres cellulaires font des choix, preuve d’intention, d’agentivité, de mémoire et donc, de conscience. Et même les pluri-cellulaires sont des êtres profondément symbiotiques : la philosophie de Bergson est justement et profondément symbiotique.
      En biologie, Bergson triomphe : rien n’a de sens en biologie qu’à la lumière de l’évolution, créatrice !
      Mais les professionnels de la philosophie, en particulier les analytiques, non-continentaux, ont jeté une « fatwa » sur Bergson, on dirait même que la philo analytique et anglo-saxonne a été créée contre Bergson, si célèbre au début du 20è siècle. On venait de partout pour l’entendre au Collège de France. Même les femmes, si bien qu’on accusera la philosophie de Bergson d’être féminine et donc irrecevable. Si les femmes le comprennent, ça doit être faux ! Bergson est coupable de tout !
      C’est l’époque de l’éclipse du darwinisme.
      Sur le continent, les marxistes seront tout aussi violents envers Bergson. Les analytiques et les marxistes sont très portés sur l’excommunication. Vitalisme, dualisme, idéalisme, psychologisme sont autant de péchés capitaux, étiquettes utiles aux inquisiteurs.
      Sartre et l’intelligentsia française se convertissent à la phénoménologie : d’abord Husserl, qui déclare que « les vrais bergsoniens, c’est nous » aussi étrange que cela puisse paraître.
      Ils vont ensuite lâcher Husserl, devenu trop idéaliste, pour suivre Heidegger, apôtre de la race supérieure et du grand empire germanique. Heidegger écrit que Bergson confond le temps et l’espace, ce qui est tout simplement ridicule et exactement le contraire de la réalité.
      Tous contre Bergson, qui ne fait partie d’aucune école. Voilà ce qui s’est passé. Le résultat ? Après plus d’un siècle de biologie néo-darwinienne et de délires ultramatérialistes à la Dawkins et Dennett, la supposée science biologique est complètement corrompue, on ne peut plus se fier aux études prétendues scientifiques et le traitement du cancer rapportera bientôt 250 milliards de dollars par année. Les Monsanto-Pfitzer et Bayer de ce monde empoisonnent les sols et tous les organismes vivants suivant votre conception de la vie qui est tout simplement une négation de la vie.

      Vous devenez les alliés objectifs de la portion la plus riche des 1% qui contrôlent maintenant la planète, l’orientation de la recherche et qui cherchent maintenant par tous les moyens à cacher la vérité qui émerge ; depuis les années 70 sous prétexte de génie génétique et d’amélioration de l’humanité, nos apprentis sorciers milliardaires ont barbouillé le génome et empoisonné des millions de femmes, d’hommes et d’enfants. Les pharmaceutiques sont vos alliés objectifs et, tout comme vous, ont tout à craindre de Bergson, le plus grand philosophe du XXe siècle.

      Certains ont dit de Bergson qu’il était l’homme le plus dangereux du monde. C’est encore plus vrai aujourd’hui.

    • Merci de votre beau message indigné ! Vous connaissez certainement Bergson et la philosophie mais certainement pas la physique quantique !

      Vous dites :

      Bergson affronte sérieusement cette réalité.

      Malheureusement sa compréhension de cette réalité est dualiste et c’est un sacré écueil, non ?

  • Pouvez-vous me dire en quoi la physique quantique donnerait-elle raison au dualisme ? Aspect est-il dualiste ? Cohen-Tannoudji l’est-il ?

  • Remarquez que la dualité onde/corpuscule ou matière/énergie ou espace/temps ne mène jamais à des dualismes puisque les contraires sont imbriqués et non opposés diamétralement.

    Tout d’abord, on les a opposés diamètralement : la matière était dite particulaire donc discontinue, ponctuelle et la lumière ondulatoire donc continue et dispersée dans l’espace. Ensuite, on a compris que les deux étaient tous les deux à la fois, onde et corpuscule, localisé et étendu, c’est-à-dire tout aussi quantique l’un que l’autre, que les deux avaient une même origine, le vide quantique, un milieu qui n’obéissait pas à la constance de l’énergie ni à la directivité de l’écoulement du temps…

    En fait matière et lumière sont également des quanta, se transforment l’un dans l’autre et sont interdépendants. L’un ne peut exister sans l’autre.

  • La plus étrange des expériences quantique, celle des fentes de Young, ne mène nullement au dualisme : voir ici

  • Le physicien quantique Jean-Marc Lévy-Leblond :

    « On soumettra à la question les grandes dichotomies : vrai/faux, droit/courbe, continu/discontinu, fini/infini, global/local, élémentaire/ composé, déterminé /aléatoire, formel/intuitif, réel/fictif (...) contigu/discret, plein/vide, absolu/relatif, mobile /immobile, objectif/subjectif, certain/incertain, précis/imprécis (...) avant/après, abstrait/concret, quantitatif/qualitatif (...) On se souviendra que c’est précisément en ébranlant d’anciennes dualités que la physique est entrée dans la modernité. (...) On pressent qu’il va falloir transcender le dualisme onde/particule et penser le rapport continu /discret sur un mode plus dialectique que dichotomique. (...) L’univers entier comme sa moindre particule, soumis à la question : ‘’l’un ou l’autre’’ répondent le plus souvent : ‘’ni l’un ni l’autre ! ’’ – s’ils veulent bien répondre. »

    (dans « Aux contraires »).

    • Premièrement, je suis étonné que vous ayez publié mon commentaire et les multiples répliques que vous avez mises en ligne montrent que vous êtes prêt à engager un dialogue. Merci.

      Cependant les sujets évoqués sont multiples et complexes et il ne faut pas mélanger les choses. L’accusation de dualisme en particulier est confondante. Quand je dis que Bergson affronte sérieusement cette réalité, je parle de l’étude des êtres vivants et des rapports entre le corps et l’esprit que Bergson a approfondi en particulier dans son deuxième grand livre "Matière et Mémoire". Il y a bien une différence entre un être vivant et un être mort. Vitalisme et dualisme sont un peu la même chose : des étiquettes qui ont servi à discréditer Bergson. Il ne suffit pas de se dire "moniste" pour ensuite bulldozer la réalité vivante comme la biologie néo-darwinienne l’a fait. Bergson évite systématiquement la dichotomie sujet-objet et adoptera plutôt la dualité intérieur-extérieur. Il faut lire et relire l’extrait de Matière et Mémoire que vous citez avec beaucoup d’attention, même s’il n’y a pas là de termes compliqués, la pensée est très subtile. Bergson propose une nouvelle définition de la matière et de la perception, (donc de la connaissance) en même temps.

      "Toute image est intérieure à certaines images et extérieure à d’autres ; mais de l’ensemble des images on ne peut dire qu’il nous soit intérieur ni qu’il nous soit extérieur, puisque l’intériorité et l’extériorité ne sont que des rapports entre images." Ici, la dualité est dissoute, fusionnée, dans un processus symbiotique.

      Comme Deleuze l’a très bien compris, Bergson est plus matérialiste et moniste que la plupart de ses adversaires, mais le prix à payer est une nouvelle définition de la matière et de la perception.

      Quant à la physique quantique, je ne l’ai abordée que par rapport au débat raté Einstein-Bergson. La position de Jean-Marc Lévy-leblond en est une parmi d’autres.

      Bergson n’a pas contesté les mathématiques de la Relativité mais a plutôt contesté l’extension philosophique qui en a été faite. Elle porte sur la nature du temps, question éminemment philosophique et scientifique qui n’est toujours pas réglée. Henri Poincaré était d’accord avec Bergson.
      Dès les années 70, le prix Nobel de chimie Ilya Prigogine a démontré qu’en fait ce débat fut un faux débat.

      http://www.revue3emillenaire.com/blog/temps-duree-devenir-la-reconciliation-deinstein-et-de-bergson-par-ilya-prigogine/

      Mme Jimena Canales a publié en 2015 un merveilleux livre « The Physicist and The Philosopher : Einstein, Bergson, and the Debate That Changed our Understanding of Time » qui selon « Science » est un des meilleurs livres de science en 2015. Ce qui s’est joué en 1922 lors de ce débat, c’est la place relative de la science et de la philosophie et des sciences "humaines" dans la société. C’est aussi la naissance d’un « schisme » entre philosophie « continentale » et « analytique ».

      http://press.princeton.edu/titles/10445.html

      Je n’ai pas abordé dans mon commentaire la dualité onde-particule. C’est vous qui en parlez. Mais encore une fois, on peut envisager cette dualité sous l’angle d’un processus temporel et de la dissoudre. Ainsi le boson ou champ de Higgs est bien un processus. La masse n’est pas dans les particules mais dans un processus d’échange entre le vide (qui n’est pas vide) et ce qu’on appelle la particule. Remarquez encore une fois que Bergson a introduit la notion de "virtuel" bien avant qu’on parle du vide comme "océan de particules virtuelles".
      Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est le phénomène d’intrication quantique qu’Einstein n’a jamais accepté. Il n’est pas vrai de dire que Bergson nie l’existence de "durées multiples". Il dit plutôt que l’existence de durées multiples ne signifie pas qu’aucune simultanéité n’est possible.

      J’ai présenté en 2014 un exposé en philosophie de la biologie à l’Université Concordia à Montréal. J’en suis très fier. Lynn Margulis, Charles Peirce et la biosémiotique y sont convoqués : Symbioses, Coévolution, Immunité et Écologie. Une des plus grandes questions philosophiques : qu’est-ce qu’une signification ? Triadité plutôt que dualité.

      Cordialement

      http://fr.slideshare.net/gilstpierre/symbioses4

  • Vous soutenez qu’il serait faux de ramener Bergson au dualisme.

    Je ne suis pas le seul à le faire...

    Voici un exemple de commentaire que l’on peut lire :

    Dans Matière et mémoire, Bergson soutient une conception dualiste de l’être : l’esprit existe par lui-même, ce n’est pas un produit de l’activité biologique du cerveau. Il affirme nettement et systématiquement cette dualité.

    Bergson n’aura de cesse de combattre le parallélisme. Il y a solidarité entre le corps et l’âme, mais rien de plus. « Un vêtement est solidaire du clou auquel il est accroché ; il tombe si l’on arrache le clou ; il oscille si le clou remue ; il se troue, il se déchire si la tête du clou est trop pointue ; il ne s’ensuit pas que chaque détail du clou corresponde à un détail du vêtement, ni que le clou soit l’équivalent du vêtement ; encore moins s’ensuit-il que le clou et le vêtement soient la même chose. »** Cet argument combat la théorie selon laquelle le corps et l’âme sont liés en présence de certaines substances chimiques appliquées au corps : ils effectuent selon lui une « confusion d’abstractions », car, selon lui le cerveau est l’outil qui permet à l’esprit de connaître le monde physique et donc d’agir avec lui. Les substances chimiques affectent donc l’outil, mais nullement l’esprit lui-même. Ce serait comme un navigateur qui essaye de diriger son bateau de nuit sous un ciel couvert de nuages avec des outils qui lui permettent habituellement d’observer les étoiles.

    • J’ai effectivement commencé par la dualité onde/corpuscule que vous n’abordiez pas car c’est le seul point sur lequel on pourrait penser que le dualisme vient de la physique quantique. Pour le reste, la physique quantique n’y donne aucun point d’appui et elle pose beaucoup plus la question de l’idéalisme et du matérialisme ainsi que celle de la pensée métaphysique et de la pensée dialectique.

      Pour les autres points que vous abordez, je vais progressivement y répondre.

      Merci de nous porter la contradiction !

  • Bien sûr, vous ne pouvez pas vous contenter de ce type de commentaire de wikipedia donc je vos incite à lire un commentaire beaucoup plus sérieux qui ne dévalorise pas Bergson, qui affirme même qu’il a bien compris la physique mais affirme que Bergson serait dualiste : https://www.cairn.info/revue-philosophique-2012-2-page-191.htm

  • A Monsieur Gilles Saint-Pierre,

    Il est étonnant de vous lire, et en même temps passionnant de voir à quel point vous tenez à vos idées.

    Cependant, je suis quelque peu surpris de vos propos quant au dualisme, ou plutôt quant à votre thèse selon laquelle Bergson ne serait pas dualiste.
    Vous considérez l’article de Robert Paris comme truffé d’insultes dépassées. Or, je ne vois pas de telles insultes dans ses écrits. Cela reste donc une affirmation de votre part, fort subjective, et qu’il reste à démontrer. Vos allusions à 1938 ne permettent pas de savoir en quoi les propos de l’article incriminé relèveraient de la « rengaine ».
    Ce terme semble d’ailleurs bien plus dévalorisant que celui de « dualisme » qui vous fait tant horreur, appliqué à Bergson, alors qu’il s’agit d’une catégorisation, certes fort scolaire et qui ne se suffit pas à elle-même, mais une catégorisation qui reste pleinement philosophique.

    Il est notoire, par exemple, que Descartes passe pour être dualiste, et cela n’en fait pas un philosophe des moins reconnus par l’idéologie majoritaire prônée par les universités, particulièrement en France. Il est donc fort surprenant que vous considériez que parler du dualisme soit une insulte, qu’il s’agisse de Bergson ou de qui que ce soit d’autre, alors que le vocable de « rengaine » que vous utilisez me semble bien plus péjoratif. Mais là n’est pas l’essence de mon propos.

    Venons-en donc à l’essentiel. Car peut-être ne comprenons-nous pas le dualisme de la même manière ?

    Dans ce cas, il serait utile de préciser ce que vous entendez par « dualiste » ou « dualisme » .

    Plus intéressant encore, il serait utile de savoir comment Bergson se positionne lui-même face au dualisme. Car, il me semblait bien dans mes souvenirs que lui-même affirme son dualisme.

    J’ai pris le temps de rechercher trace de cette affirmation. J’aurais souhaité me tromper, puisqu’une mémoire, toujours matérielle et donc spatialisée et temporalisée, n’est jamais infaillible (Exit la durée, donc...).

    Cependant, je trouve très précisément que Bergson affirme de l’un de ses livres essentiel : « Ce livre [...] est nettement dualiste ». Il s’agit des toutes premières phrases de l’avant propos de Bergson lui-même concernant son propre livre Matière et mémoire :
    « Ce livre affirme la réalité de l’esprit, la réalité de la matière, et essaie de déterminer le rapport de l’un à l’autre sur un exemple précis, celui de la mémoire. Il est donc nettement dualiste. Mais d’autre part, il envisage corps et esprits de telle manière qu’il espère atténuer beaucoup sinon supprimer les difficultés théoriques que le dualisme a toujours soulevés... »
    Pour appuyer cette information, permettez d’accepter comme preuvecette archive. Ou encore ce fac-similé de la première page de cet avant-propos.
    On peut encore trouver l’ouvrage ici.

    J’espère que vous conviendrez avec moi du dualisme affirmé de Bergson ici. Il reste qu’il puisse avoir changé d’optique ou de propos, voire de thèse. Peut-être d’ailleurs Bergson désavoue-t-il lui-même cette thèse ailleurs ? Il a en effet, ici, la prudence de ne parler que du livre dont il parle dans ce paragraphe. Il se ménage ainsi la possibilité de produire d’autres écrits où il ne serait pas dualiste, mais je ne crois pas qu’il ait changé. S’il devait avoir changé, je vous prierais de nous le faire savoir, puisque vous semblez fort bien connaître l’ouvrage fort important lui aussi L’Évolution créatrice, de publication ultérieure, puisqu’il date de 1907.

    Il n’en demeure pas moins que dans sa conférence plus tardive « L’âme et le corps », de 1912, (reprise dans L’Énergie spirituelle en 1919), comme dans le premier chapitre de Matière et mémoire de 1896, il me semble que son propos soit une vaste hésitation entre la suppression des problèmes posés par le dualisme, comme il le dit lui-même, sans rejeter le dualisme. Cela l’amène à mon sens à gommer des difficultés qu’il a présentes à l’esprit, et ainsi l’amène à une grande confusion.

    Je retiens essentiellement de cette confusion sa théorie de la continuité de la matière. Cette thèse, qui n’est que thèse, est pleinement une vue de l’esprit de la part de Bergson. On sait aujourd’hui que la perception fait croire à un continuisme de la matière : ce continuisme est pleinement une projection naturelle de la perception humaine, continuisme que la conscience reprend si elle n’étaye pas cette perception d’un raisonnement philosophique pour prendre distance avec l’apparente continuité des phénomènes.

    Bien évidemment, je n’ai fait que survoler L’Évolution créatrice, mais le terme dualisme n’apparaît pas. Il semble que l’imprudence de 1896 se soit prudemment transformée ensuite chez Bergson à parler de dualité.

    Bergson semble après 1896, éviter les termes « dualisme » et « dualiste » qu’il utilise fort peu en 1896. Mais justement, sous le vocable de « dualité », il reproche, par exemple, à Kant de refuser d’admettre une dualité d’intuitions. Précisions que si Kant avait admis cela, cela aurait obligé Kant à admettre la thèse bergsonnienne de la durée... comme le laisse entendre Bergson :

    « Mais cette dualité d’intuition, Kant ne voulait ni ne pouvait l’admettre. Il eût fallu, pour l’admettre, voir dans la durée l’étoffe même de la réalité, et par conséquent distinguer entre la durée substantielle des choses et le temps éparpillé en espace. Il aurait fallu voir dans l’espace lui-même, et dans la géométrie qui lui est immanente, un terme idéal dans la direction duquel les choses matérielles se développent, mais où elles ne sont pas développées. Rien de plus contraire à la lettre, et peut-être aussi à l’esprit, de la Critique de la Raison pure. Sans doute la connaissance nous est présentée ici comme une liste toujours ouverte, l’expérience comme une poussée de faits qui se continue indéfiniment. Mais, d’après Kant, ces faits s’éparpillent au fur et à mesure sur un plan ; ils sont extérieurs les uns aux autres et extérieurs à l’esprit. D’une connaissance par le dedans, qui les saisirait dans leur jaillissement même au lieu de les prendre une fois jaillis, qui creuserait ainsi au-dessous de l’espace et du temps spatialisé, il n’est jamais question. Et pourtant c’est bien sous ce plan que notre conscience nous place ; là est la durée vraie. » L’Énergie spirituelle, chapitre IV, p. 390.

    Kant n’est donc pas bergsonien, c’est là un gros défaut pour Kant selon Bergson...
    J’aimerais me tromper concernant le continuisme de Bergson et son dualisme, et j’espère qu’en ce cas vous déploierez des arguments qui me feront changer d’avis.
    Avec mes encouragements conceptuels et philosophiques.

    • Je vous réponds rapidement. Une petite remarque.
      Mon nom est St-Pierre et non Saint-Pierre.

      Insultes et rengaines dans le texte "Bergson ou le vide philosophique français"

      1-Difficile de discuter sa lecture des travaux de Lorentz et Einstein : il n’y a rien compris ! En ce qui concerne le vivant, il affirme que la science ne peut le comprendre et est partisan de l’ancienne "force vitale" !

      Sur les questions de lamarckisme et de vitalisme, il faut reconnaître que Bergson n’est pas finaliste et que sa philosophie ne contient aucune "téléologie". Il ne fait nulle part référence à un quelconque dieu pour construire sa philosophie de la biologie. Si on peut dire que Bergson est lamarckiste et vitaliste, ce qui n’est pas si clair, il renouvelle ou réinvente ces termes. La mort fait partie de la vie (apoptose) et le vivant n’a pas de but sauf survivre et se reproduire. Rien n’est fixé à l’avance. Il croit au progrès en biologie, mais accepte et constate qu’il y a aussi des mouvements rétrogrades et des stases. L’un n’empêche pas l’autre.

      2-En fait, l’originalité de Bergson sera de nier tout ce que la science a découvert : la réalité de la relativité de l’impossible simultanéité objective de deux instants, la réalité du vide, la réalité des possibles, etc…

      La simultanéité existe et se manifeste dans l’intrication quantique. Le vide n’est pas vide comme on peut le lire sur le site "Matière et révolution" et Bergson ne nie pas la réalité des possibles mais suggère que la notion de "virtuel" est plus riche que celle de "possible".

      3-Voilà le blabla de Bergson dont on ne peut même pas discuter car il ne contient RIEN :

      Si cela n’est pas une insulte, dites-moi ce que c’est ?

      4-Mais cette conviction se heurte au triomphe de la physique moderne, au fait que le plus fructueux et le plus rigoureux des dialogues que nous ayons mené avec nature aboutit à l’affirmation du déterminisme.

      La physique quantique introduit bien un indéterminisme au niveau atomique et c’est pourquoi Einstein a déclaré : Dieu ne joue pas aux dés. Bohr a répondu : mais qui êtes-vous pour dire à Dieu quoi faire ?

      5-Russell écrivait que Bergson “était inapte même à comprendre un concept mathématique aussi rudimentaire que les nombres.”

      6-Reprécisons que tout ce que nous citons ensuite de Bergson nous semble anti-scientifique, fort peu brillant philosophiquement et même simplement ridicule…

      Encore des insultes ! Bergson est trop révolutionnaire pour vous ! Avant d’écrire "Matière et Mémoire", Bergson épluche tous les documents scientifiques concernant l’aphasie et l’amnésie.
      Cinq années de travail et d’études. Contrairement à Nietzsche et Heidegger, Bergson s’intéresse profondément à la science et c’est pourquoi il n’écrit que quatre grands ouvrages.

      7-Et la position de Bergson dans la société ? Un plat suivisme social et politique !

      La plupart de ces affirmations ne méritent même pas de commentaires. Ce sont bien des insultes. Elles ont servi à descendre Bergson de son vivant et expliquent qu’à son enterrement en 1941, comme le relate Paul Valéry, il n’y avait qu’une trentaine de personnes présentes. Bergson avait refusé l’exemption que les Nazis lui avaient accordé et avait renoncé à se convertir au catholicisme par solidarité avec les Juifs.
      http://www.academie-francaise.fr/allocution-prononcee-loccasion-de-la-mort-de-m-henri-bergson

      Bergson n’était ni de droite ni de gauche et peut être récupéré des deux côtés du spectre. Il a longtemps hésité avant de se prononcer sur les questions sociales et politiques, mais dans son dernier bouquin, il a proposé la distinction du clos et de l’ouvert qui s’applique autant à la religion, la politique, la philosophie qu’à la science. Mais surtout, il était l’ami des artistes. Il ne s’agit pas de dualités, mais de tendances. On peut être plus ou moins clos ou ouvert. Philosophe de la courbe et de la nuance.

      8-Pas brillant en sciences physiques qu’il a pourtant étudiées avant de choisir la philosophie, Bergson l’est encore moins en sciences de la vie puisque, pour lui, elles ne peuvent pas exister.

      J’ai déjà répondu à ceci et c’est bien encore une insulte. Alors M. Kletz, expliquez-moi comment vous faites pour ne voir aucune insulte dans ce texte ? Ça me dépasse. Peut-être est-ce parce qu’à force de répéter un mensonge, les gens finissent par y croire. Même les plus brillants. On a souvent reproché à la philosophie bergsonienne d’être trop optimiste.
      Bergson ne présente pas seulement une nouvelle philosophie du vivant (la durée), mais aussi une nouvelle définition de la matière (matière-image), et en même temps une nouvelle théorie de la connaissance.
      La conscience découpe le champ pratiquement infini de la réalité de façon toujours et naturellement intéressée. De l’insecte à l’homme, on ne voit ou ne perçoit que ce qui nous intéresse. Tenons-nous en aux hommes et parlons entre hommes. Il y a un aspect très sombre dans cette conception de la connaissance. Évidemment l’argent nous intéresse et quelqu’un qui par exemple gagnerait sa vie à fabriquer ou à vendre des poisons aurait tendance à ne pas voir que ce sont des poisons. Mais même celui qui n’a pas d’intérêt financier peut être aveuglé par l’intérêt. Par exemple, pour un enseignant qui a défendu pendant toute sa vie certaines conceptions, ou un intellectuel qui s’est engagé sincèrement pour une cause "nationale", ou religieuse, il sera très difficile sinon impossible d’admettre ou même de percevoir une nouvelle vérité qu’un changement de paradigme entraîne. Le dogmatisme résulte d’un profond désir de certitude (ou d’une crainte de l’incertitude) et peut se manifester autant en religion qu’en science.
      C’est bien ce qui se produit en ce moment et je suis estomaqué de voir des gens brillants et cultivés incapables de voir ce qui est pourtant évident.

      Avez-vous entendu parler de CRISPR, la nouvelle "biotechnologie" ? Il s’agit bien de la découverte de mutations "orientées" dans le génome des bactéries (40%) et des archées (90%). Elles ne sont pas orientées par Dieu, mais par les bactéries elles-mêmes. Quand elles sont envahies par un virus, ces bactéries très simples et très anciennes utilisent des ciseaux moléculaires très précis (caspases), découpent le génome du virus, en font des cassettes qui peuvent être lues dans les deux sens (palindrome). Une fois intégrées dans le génome, ces séquences constituent une défense contre l’invasion éventuelle du même virus. Elles enrichissent le génome, permettent de créer de nouvelles protéines, et peuvent être recrutées plus tard pour des fonctions nouvelles. Une domestication d’ADN ou d’ARN en quelque sorte.
      C’est l’existence d’un système immunitaire acquis ou induit complètement inattendu chez des organismes très simples et très anciens qui rend compte du fait que les génomes des eucaryotes sont immensément plus grands et plus complexes que ceux des procaryotes.

      Les virus, en retour et en coévolution ont trouvé des contre-défenses et comme dans l’hypothèse de la Reine rouge inspirée de Lewis Caroll, il y a bien une course aux armements qui crée de la nouveauté. Mais on oublie de dire que ces affrontements finissent en mariages heureux, fusionnels et permanents à travers les espèces, les siècles et les millions d’années.

      Les symbioses, une sorte de sexualité avant la sexualité et les échanges de gènes dans le monde microbien sont la règle plutôt que l’exception.
      Nous avons ici une création de nouveauté en même temps qu’une « domestication » d’altérité. Ceci rend l’idée que la nouveauté provient principalement des mutations au hasard dans le génome évoluant dépassée. C’est bien un phénomène lamarckien profondément enfoui au cœur de la génétique la plus fondamentale.
      Voilà ce qui devrait être dit en premier à propos de CRISPR.
      On l’utilise déjà dans les vaccins (gene-drive), Monsanto-Bayer s’en sert pour créer des aliments OGM qui ne seront pas identifiés comme OGM, sous prétexte qu’on utilise un mécanisme naturel.
      On a déjà utilisé CRISPR pour combattre le sida, le fameux HIV, mais les résultats ont été décevants et les corrections génétiques beaucoup moins précises que prévu. Pourquoi ?
      Il semble que le HIV connaît déjà CRISPR cas9 (la variété de CRISPR utilisée) et que le HIV l’a rapidement déjouée. Nous sommes devant des dialogues moléculaires qui se poursuivent depuis des millions d’années et nous ne comprenons pas ce langage. Ce n’est pas le code génétique. Il semble que cela ait beucoup plus à voir avec un mimétisme moléculaire entre ARN et ADN mais peut-être aussi entre structures moléculaires. Un langage d’images peut-être.
      L’agencement structurel des chromosomes selon les types cellulaires est bien spécifique mais demeure un territoire presque complètement inexploré.

      On nous dit que l’utilisation de CRISPR dans les cellules somatiques ne présente aucun danger de transmission entre les générations, la barrière de Weismann l’interdisant. Ce qui me terrifie, c’est qu’on nous raconte que le virus Zika se transmet sexuellement. Ce moustique pique-t-il directement dans les testicules ? Sinon, il ne respecte pas la barrière Weismann et est lamarckien. Je ne sais pas si vous me suivez, mais les éditeurs des plus influentes revues scientifiques comme The Lancet, The British Journal of Medicine, ou le New England Journal of Medicine ont averti qu’on ne peut plus se fier à leurs publications.
      Nous avons besoin de sciences et de philosophies ouvertes et ce n’est pas ce qu’on nous sert.

      Quand on lit un philosophe, il faut prendre le temps de lire et même de relire pour entrer dans sa philosophie. Il ne suffit pas de survoler ou de rechercher par exemple un terme comme "dualisme" dans un ouvrage. Bergson nous invite à adopter et même à créer des concepts souples, pas trop rigides. Il n’est pas question dans mon esprit de dire que Bergson est parfait et non critiquable. Et il est vrai de dire que dans "Matière et Mémoire" Bergson est dualiste. Mais j’ai souligné un passage où on voit déjà poindre chez Bergson un "monisme" qui se concrétisera dans "L’Évolution Créatrice".

      Mais, suivant son exemple, restons polis et gardons l’esprit ouvert. D’apparence simple, sa philosophie est bien "difficultueuse" et nous invite à nous méfier des mots, étiquettes qu’on pose sur la réalité. Il ne faut pas prendre la carte pour le territoire.
      Bergson s’est particulièrement intéressé à la biologie et il se trouve qu’une véritable révolution a lieu en biologie en ce moment même. Et qu’on tente de la cacher et de la retarder car il y a beaucoup d’intérêts en jeu.
      La synthèse néo-darwinienne avait exclu l’embryologie et la microbiologie et n’était pas si synthétique qu’elle le prétendait. Canguilhem et Deleuze se sont courageusement déclarés vitalistes et il se tient en ce moment même à la Royal Society de Londres des discussions pour étendre, certains diraient même renverser la théorie néo-darwinienne. Même si aucun chercheur français n’est présent, la rébellion s’organise autour d’un retour du lamarckisme, si évident maintenant dans le monde microbien, végétal et même animal, vu que nous sommes nous mêmes des hybrides procaryotes-eucaryotes.

      Le vitalisme et le lamarckisme sont-ils encore des péchés ?
      Comment un médecin pourrait-il ne pas être vitaliste ? La science n’est-elle pas une enquête toujours prête à se réorienter selon les découvertes qu’elle fait elle-même ? Qu’on parle de « nouveau matérialisme », de panpsychisme, de vitalisme ou d’organicisme, c’est bien une nouvelle philosophie que la biologie moderne nous suggère, qui rejoint partiellement des philosophies anciennes (pas seulement occidentales), du Taoïsme à Aristote, d’Héraclite à Plotin, philosophies de la souplesse où le temps réel existe et où le tiers n’est pas automatiquement exclu, dépassant la simple dialectique, philosophie des symbioses et de la coévolution d’une unité multiple et complexifiante, créative. On n’avait vu dans l’évolution biologique que la divergence, mais c’est seulement la moitié de l’affaire. L’évolution est aussi convergence. La biologie réelle n’est même pas encore née. L’accouchement s’annonce difficile car les puissances de ce monde s’y opposent. Et pourtant…

      La biologie concerne tout et ne devrait pas être un sous-ensemble de la physique. La biologie concerne l’agriculture, la médecine, la pharmacologie, la psychologie et toute les sciences humaines. Nous n’avons toujours pas de définition de la vie mais rien ne nous concerne plus que la vie. Intimement. Machinisme, mécanisme et machisme ont une racine commune et il semble bien qu’on a vu la vie et l’évolution sous un angle profondément sexiste, machiste et mécaniste.

      La science et la philosophie s’incarnent dans l’histoire autour de rivalités et d’intérêts entre individus, nations et, au XXe siècle, entre les blocs capitaliste et communiste.
      La France, demeurée néo-lamarckienne jusqu’aux années 70 s’est retrouvée un peu entre deux chaises pendant que l’Angleterre se rangeait avec l’Allemagne et les Américains derrière la théorie génétique. Ceci, je crois, ne peut être complètement étranger au schisme qui s’est produit entre philosophie analytique et continentale. Heureusement, il semble être en train de se résorber, mais on ne peut nier que cela s’est produit.

      À cause de son histoire, de Lamarck à Claude Bernard (et ses différends avec Pasteur), de l’école de Montpellier à Bergson, de Canguilhem à la French Galaxy, je pense que la France a un rôle spécial à jouer. Des institutions comme le Collège de France et France-Culture n’ont pas leurs équivalents dans le monde anglo-saxon. Elles mettent à la disposition des citoyens les plus récentes découvertes scientifiques et j’ai pu constater que ces informations sont plus difficiles à trouver en anglais. Il faut payer et encore… Questions de brevets et d’exploitation commerciale, il semble bien que les Français sont moins doués pour les « affaires », ce qui n’a pas que des aspects positifs.
      Il faut réhabiliter Lamarck, Bergson et descendre Pasteur de son piédestal. Son chien n’avait même pas la rage. Qu’on lui accorde le mérite d’avoir prouvé la non existence de la génération spontanée. Remarquons quand-même qu’il a bien fallu qu’elle se produise au moins une fois. Son contemporain, Claude Bernard défendait l’importance du « milieu intérieur » et, paraît-il que Pasteur sur son lit de mort aurait dit : Claude Bernard a raison, c’est le milieu qui compte. La Sorbonne, l’ancêtre des Universités offrait gratuitement son enseignement aux élèves doués, riches ou pauvres. Dès le départ, elle était transnationale. Partie avec quelques dizaines d’élèves au 12e siècle, elle accueillait 20,000 étudiants à la fin du Moyen-Âge et possédait la plus grande bibliothèque du monde après le Vatican. Il reste encore trace de cette histoire dans la France actuelle (éducation gratuite).

      Il n’y a pas de vide philosophique français. À mon avis, c’est plutôt le contraire.
      La modernité philosophique prétend qu’il n’y a pas de lien entre le Beau, le Vrai et le Bien, le monde est absurde et n’a pas de sens. Ça serait trop romantique, idéaliste, platonicien, dépassé et ringard. Pourtant, devant tant de corruption, de mensonges et de bassesse, on voit très bien combien et comment le laid, le faux et le mauvais sont profondément liés. Démonstration par son contraire.
      Je ne suis pas révolutionnaire, mais je vois bien qu’une révolution profonde a cours en biologie et qu’on essaie depuis longtemps de la dissimuler. Les cadres craquent. Elle implique tant d’acteurs puissants dans tant de domaines, finance, médecine, pharmacologie, agriculture, agendas politiques à toutes les échelles dans une espèce de concordisme bio-matérialiste dawkinien et quand-même principalement anglo-saxon, qu’on a l’impression d’être devant notre monstueuse création, pieuvre géante, machine désirante qui dévore ses enfants, inarrêtable, implacable. Que faire ?
      Interpréter autrement parce que c’est inévitable, parce que la science avance et la philosophie se nourrit de la science et inversement. On ne peut faire de science fondamentale sans faire de philosophie.

      https://www.dailymotion.com/video/x4trl68_la-complexite-du-vivant_school

    • Je vais vous répondre très progressivement.

      Revenons tout d’abord sur la question : Bergson est-il dualiste ou est-ce ses adversaires qui l’ont traité ainsi pour le discréditer ?

      "Ce livre affirme la réalité de l’esprit, la réalité de la matière, et essaie de déterminer le rapport de l’un à l’autre sur un exemple précis, celui de la mémoire. Il est donc nettement dualiste. Mais d’autre part, il envisage corps et esprits de telle manière qu’il espère atténuer beaucoup sinon supprimer les difficultés théoriques que le dualisme a toujours soulevés..." écrit Bergson dans "Matière et mémoire", page 1.

      Il serait quoi sinon ? Réaliste ? Certainement pas : “Le temps est le temps vécu de la conscience”. Aucun temps objectif donc ! Matérialiste encore moins.

      “Il n’y a de présent que pour une conscience”...

      Idéaliste à la rigueur puisqu’il est religieux...

      Bergson lui-même a la solution qui convient à son caractère éclectique : pas de système philosophique cohérent et global.

    • J’estime que Bergson répond à vos objections dans ce texte que vous utilisez. Il parle même de "supprimer" les difficultés théoriques…Plus loin, lisez attentivement le paragraphe suivant : "qu’il est faux de réduire la matière à la représentation que nous en avons, faux aussi d’en faire une chose qui produirait en nous des représentations mais qui serait d’une autre nature qu’elles. J’ai l’impression que vous ne comprenez pas ce qu’il veut dire. Quand on veut comprendre un philosophe, il faut lire et relire attentivement et généreusement si on ne comprend pas.

      "Ce livre affirme la réalité de l’esprit, la réalité de la matière, et essaie de déterminer le rapport de l’un à l’autre sur un exemple précis, celui de la mémoire. Il est donc nettement dualiste. Mais, d’autre part, il envisage corps et esprit de telle manière qu’il espère atténuer beaucoup, sinon supprimer, les difficultés théoriques que le dualisme a toujours soulevées et qui font que, suggéré par la conscience immédiate, adopté par le sens commun, il est fort peu en honneur parmi les philosophes.

      Ces difficultés tiennent, pour la plus grande part, à la conception tantôt réaliste, tantôt idéaliste, qu’on se fait de la matière. L’objet de notre premier chapitre est de montrer qu’idéalisme et réalisme sont deux thèses également excessives, qu’il est faux de réduire la matière à la représentation que nous en avons, faux aussi d’en faire une chose qui produirait en nous des représentations mais qui serait d’une autre nature qu’elles."

      Ensuite quand vous dites que Bergson nie le temps objectif, je ne suis pas d’accord. Attention au vocabulaire. Je pense que Bergson est en effet plus réaliste que ses contemporains.
      Bergson évite la dualité subjectif-objectif et adopte plutôt l’apparente dualité intérieur-extérieur. Ce temps supposément objectif, le temps d’Einstein en arrive à la conclusion qu’il n’y a pas de différence entre passé-présent et futur et est réversible. Ce que Bergson ne peut accepter et je suis d’accord avec lui.
      Qu’est ce qui sépare l’intérieur de l’extérieur ? Il faut penser en termes de biologie puisque nous sommes biologiques. Il n’est pas question d’adopter une position qui serait comme celle de Dieu, au-dessus de la mêlée et qu’adopte souvent le scientifique et même le philosophe. Même le savant est un être incarné, pas un pur esprit. Ce qui sépare l’intérieur de l’extérieur, c’est la membrane, qui au cours de l’évolution s’est développée en ce qu’on appelle le toucher,l’odorat, l’oeil, l’oreille, et même le cerveau. La perception.

      Gilles Deleuze et Georges Canguilhem ont développé cette approche autour du concept très riche de "milieu". Il est étonnant de constater que le milieu veut dire en même temps le centre, l’entourage ou environnement et encore le mi-lieu ou ce qui est entre l’intérieur et l’extérieur. Quand je parle d’intériorité, il s’agit bien d’une intériorité matérielle, ce que la biologie étudie, l’ADN, l’ARN, les protéines etc. bref, la chair cet état de la matière à la fois solide, liquide et gazeux.
      La thèse de Bergson est que le réel n’est pas la chose, mais le mouvement, le changement et donc un processus. Il faut penser en temps. Bergson est bien le père de la "process philosophy" moderne. Même la physique moderne conçoit aujourd’hui la matière comme un processus. Comme je vous l’ai déjà dit, le fameux boson de Higgs nous montre que ce qu’on appelle la masse (y-a-til quelque concept plus matériel que la masse) est non pas dans les particules mais dans un échange continuel entre le vide qui n’est pas vide et les particules. La matière est donc elle-même un processus.
      Quand vous parlez d’idéalisme et de religieux, encore une fois, attention au vocabulaire.
      J’y reviendrai,

    • « Ces difficultés tiennent, pour la plus grande part, à la conception tantôt réaliste, tantôt idéaliste, qu’on se fait de la matière. » dites vous. Je suppose que vous parlez de vous ou de Bergson parce que, pour ma part, je n’ai pas du tout de conception idéaliste de la matière.

    • Cette réponse démontre que vous ne comprenez pas. Bergson conteste les deux visions, le réalisme qui est la vôtre et l’idéalisme qui n’est pas la mienne ni celle de Bergson. Il tente de présenter une autre vision qui est bien entre réalisme et idéalisme et de mon point de vue, il réussit.
      "L’objet de notre premier chapitre est de montrer qu’idéalisme et réalisme sont deux thèses également excessives,"
      Remarquez qu’il ne dit pas que ces visions sont fausses (réalisme ou idéalisme) mais plutôt excessives. Subtil.
      Et voici comment il le fait :

      "Toute image est intérieure à certaines images et extérieure à d’autres ; mais de l’ensemble des images on ne peut dire qu’il nous soit intérieur ni qu’il nous soit extérieur, puisque l’intériorité et l’extériorité ne sont que des rapports entre images." Ici, la dualité est dissoute, fusionnée, dans un processus symbiotique.

    • La science contemporaine a complètement abandonné la conception vitaliste.

      Ainsi, John Maddox affirme ainsi dans « Ce qu’il reste à découvrir », un ouvrage de sciences tourné vers l’avenir :

      « Le vitalisme selon lequel les êtres vivants possèdent une qualité intrinsèque qui les distingue des objets inanimés, est mort »

  • « Le Temps impersonnel et universel, s’il existe, a beau se prolonger sans fin du passé à l’avenir : il est tout d’une pièce ; les parties que nous y distinguons sont simplement celles d’un espace qui en dessine la trace et qui en devient à nos yeux l’équivalent ; nous divisons le déroulé, mais non pas le déroulement. Comment passons-nous d’abord du déroulement au déroulé, de la durée pure au temps mesurable ? Il est aisé de reconstituer le mécanisme de cette opération. »

    Oui, c’est du blabla parce que Bergson ne nous fait pas avancer d’un pouce, à part dans la perte de… temps !
    Il ne dit pas qu’il existe ou qu’il n’existe pas !

    On ne dit pas ce qu’est le temps mais on dit qu’il se prolonge. Qu’est-ce qu’une chose dont on ignore tout mais qui se prolonge ?!!!

    D’après la physique quantique, le temps n’est pas un continuum pour la simple et bonne raison qu’il y a un minimum quantique de temps, le temps de Planck en dessous duquel on ne peut pas descendre. Donc le temps se prolonge ne veut rien dire… Le temps est discontinu tout comme tous les autres paramètres de la physique !!

    Diviser le déroulé s’il n’y a aucun déroulé, c’est du blabla…

    Ou encore :

    « Il faudrait aussi qu’il pût extraire du mouvement perçu dans l’espace, et qui participe de la divisibilité de sa trajectoire, la pure mobilité, je veux dire la solidarité ininterrompue de l’avant et de l’après qui est donnée à la conscience comme un fait indivisible … »

    Mais il n’y a aucune continuité du mouvement réel en physique quantique, aucune trajectoire, aucune divisibilité de la trajectoire justement !!!

    Voir ici

    • Le temps de Planck est 5,39 fois dix puissance moins quanrante-quatre secondes

      Et il n’y a pas davantage continuité de l’espace du fait de la distance de Planck de 1,62 fois dix puissance moins trente-cinq mètres.

      Donc aucun écoulement de temps ni trajectoire continus en physique…

    • Cet article est très intéressant. Mais n’y a-t-il pas des questions de relativité d’échelles. Tout comme à l’échelle atomique, il y a bien un indéterminisme quand on considère par exemple les électrons individuellement, à notre échelle, il y a bien un certain déterminisme quand on considère des milliards de particules. L’aspect fractal de la réalité m’intéresse beaucoup et il se manifeste à plusieurs échelles.
      C’est quand même étrange qu’Einstein qui a vraiment inspiré la physique quantique, n’ait jamais accepté cet indéterminisme que Bohr défendait.
      On peut être un "génie" et se tromper, ce n’est pas si grave.
      Je vous ai déjà dit que j’appréciais votre site si riche d’informations "up to date". Mais quand vous avez mis en ligne cet article, au mois de mai, cela m’a mis en rogne.
      Sur la question de la continuité du mouvement, on peut certes l’analyser du point de vue de la physique, c’est une chose. Mais pour un danseur, par exemple, c’est autre chose. Ma plus grande passion est la musique et là, la continuité est essentielle. Si on interprète une mélodie, il n’est pas question de penser les notes séparément. Elles sont toutes reliées dans une continuité peut-être psychologique, mais bien réelle et je dirais même essentielle. On peut dire la même chose d’une phrase.
      Je reviens à Bergson qui n’était pas que du blabla. Le CNRS a tenu il y a quelques jours à peine, un colloque interdisciplinaire autour de la question "Qu’est-ce que la vie".
      Des philosophes, des chimistes, des virologistes, des biologistes, il y en a pour une bonne douzaine d’heures. L’intervention de M.Selosse entre autres est fascinante.
      Mme Anne Fagot-Largeault ouvre le bal, avec Claude Bernard et Henri Bergson dont la pensée jouit bien en ce moment même d’une renaissance. Elle y traite précisément de ce que nous avons discuté plus haut, c.a.d. que dans l’Évolution Créatrice, Bergson considère que l’Univers lui-même dure et qu’il est donc possible de le considérer "vivant". C’est un nouveau matérialisme et c’est le prix à payer pour passer d’un dualisme à un monisme. Le colloque se termine avec un autre philosophe qui mentionne aussi Bergson de façon moins élogieuse, mais il finit tout de même par admettre que le vitalisme n’est pas mort.
      Je sais bien que dans la tradition marxiste il a été de mise de "basher" Bergson. Et même, quand ceux qu’on a appelé les "nouveaux philosophes", BHL, J-F Revel et autres se sont éloignés du marxisme, ils ont continué cette tradition. Sur son site, BHL avait en frontispice "Philosopher contre Bergson". Eh bien, il l’a fait enlever. Dernièrement. Il a même écrit un article intitulé "Du mécanique plaqué sur du vivant", ce qui est une expression de Bergson, mais il ne le mentionne pas. Je lui ai écrit à ce sujet mais je n’ai pas reçu de réponse. Cela aussi fut une pratique courante en philosophie ; emprunter à Bergson, sans le mentionner. Certains diraient du pillage.

      J’aimerais vous poser une question. Y a-t-il une différence entre un être vivant et le même être mort ?

      https://san.heraut.eu/2016/11/08/colloque-cnrs-quest-vie/

  • Si Bergson renvoyait souvent dos à dos les grands courants de pensée comme spiritualisme et le matérialisme ; au final son cœur penchait toujours pour un spiritualisme organique et vitaliste.

    Dans L’Évolution créatrice (1907), Henri Bergson adopte une position philosophique vitaliste qui se veut compatible avec les découvertes scientifiques de son temps. Il fonde l’idée que la vie est « la liberté s’insérant dans la nécessité pour la tourner à son profit ». Il développe notamment le concept d’élan vital : « Mais les causes vraies et profondes de division (du vivant) étaient celles que la vie portait en elle. Car la vie est tendance, et l’essence d’une tendance est de se développer en forme de gerbe, créant, par le seul fait de sa croissance, des directions divergentes entre lesquelles elle partagera son élan ». Il ne s’agit pas de voir dans l’élan vital un retour aux principes obscurs du vitalisme. Il fallait néanmoins un terme qui échappât aux deux principaux modes d’explication du vivant : le mécanisme et la vitalité. Bergson s’en explique dans L’Évolution créatrice : « c’est dire qu’on verra dans l’évolution tout autre chose qu’une série d’adaptations aux circonstances, comme le prétend le mécanisme, tout autre chose aussi que la réalisation d’un plan d’ensemble, comme le voudrait la doctrine de la finalité ».

    Tout en intégrant la division et la multiplicité du vivant héritées du processus évolutif, Bergson conçoit donc la vie comme ayant un élan propre et autonome, qui ne se laisserait pas réduire au déterminisme physico-chimique si on le considère du point de vue philosophique. Chez Bergson, pour qui le « mouvement est la réalité même » (La pensée et le mouvant), concevoir l’élan vital dans sa singularité est la seule voie permettant de comprendre le mouvement créateur de la vie, si différent des mouvements naturels.

    Bergson définit l’élan vital, « force créant de façon imprévisible des formes toujours plus complexes ».

    Dans l’Évolution Créatrice, il écrit : « Si la force immanente à la vie était une force illimitée, elle eût peut-être développé indéfiniment dans les mêmes organismes l’instinct et l’intelligence. Mais tout paraît indiquer que cette force est finie, et qu’elle s’épuise assez vite en se manifestant. Il lui est difficile d’aller loin dans plusieurs directions à la fois ». La vie aurait donc en elle une force et un élan, un moteur et une direction.

    Selon André Lalande, le vitalisme est une « doctrine d’après laquelle il existe en chaque être vivant un "principe vital", distinct à la fois de l’âme pensante et des propriétés physico-chimiques du corps, gouvernant les phénomènes de la vie ».

    Quelques prises de position modernes qui cassent le vitalisme de Bergson :

    François Jacob dans « La logique du vivant » :

    « Ce qu’a démontré la biologie, c’est qu’il n’existe pas d’entité métaphysique qui se cache derrière le mot vie. Le pouvoir de s’assembler, de se reproduire même appartient aux éléments qui composent la matière. »
    Toujours de Jacob :

    « Reconnaître l’unité des processus physico-chimiques au niveau moléculaire, c’est dire que le vitalisme a perdu toute fonction »

    Jean-Pierre Changeux :

    « L’identification d’événements mentaux à des événements physiques ne se présente en aucun cas comme une prise de postion idéologique, mais simplement comme l’hypothèse de travail la plus raisonnable et surtout la plus fructueuse. »

    Dans « L’évolution créatrice », Henri Bergson explique que la vie ne peut pas être réduite à des phénomènes physico-chimiques. Aucune équipe scientifique ne travaille actuellement hors d’un cadre physico-chimique en ce qui concerne le vivant.

    La base du vitalisme vient de l’existence d’un fluide vitale qui permet seulement à la nature de produire des composés organiques. Or la synthèse de composés organiques met à mal cette théorie.

    Cet ancien vitalisme est clairement oublié depuis longtemps par les biologistes.

  • Le caractère quantique de l’univers avec des quantités en dessous desquelles il n’y a pas de quantité plus petite (en termes de charge, de temps, d’espace, d’énergie, etc...) donne tort à la continuité de Bergson...

  • Dans sa préface à "Durée et simultanéité" de 1923, Bergson en reste à son point de vue sur la relativité d’Einstein : "L’analogie entre le temps et l’espace est en effet tout extérieure et superficielle."

    Ce n’est nullement ce qui en est resté pour la physique contemporaine.

  • Donnez-nous un exemple d’étude de Bergson qui est creuse, sans signification par rapport à la science contemporaine.

  • Je vous citerai de préférence « L’Evolution créatrice » :

    « Il est vrai que, dans l’univers lui-même, il faut distinguer, comme nous le dirons plus loin, deux mouvement opposés, l’un de « descente », l’autre de « montée ». Le premier ne fait que dérouler un rouleau tout préparé. Il pourrait, en principe, s’accomplir d’une manière presqque instantanée, comme il arrive à un ressort qui se détend. Mais le second, qui correspond à un travail intérieur de maturation ou de création, dure essentiellement, et impose son rythme au premier, qui en est inséparable. »

    On pourrait se dire que voilà une belle notion, quasiment dialectique au sens de Hegel, que celle de la route montante et la route descendante. C’est un peu ce dont parlait Héraclite….

    Seulement, Bergson y met du sien et on n’y retrouve ni la dialectique d’Héraclite, ni celle de Hegel, ni aucune philosophie compatible avec les sciences actuelles.

    On ne voit pas où serait ce deuxième mouvement dans le cas du ressort. D’ailleurs, le ressort lui-même ne se détend pas nécessairement de manière « presque instantanée ».

    On ne voit pas d’exemple des phénomènes scientifiques où on puisse retrouver l’image de montée et de descente, avec un mouvement ascendant presque instantané et « tout préparé » alors que le mouvement descendant serait celui qui serait créatif, inventif, comme le dit Bergson.

    Tous les mouvements et tous les changements, dans tous les sens, sont créatifs, inventifs et pas seulement celui serait ascendant et presque instantané.

    En fait, aucun mouvement n’est « presque instantané » puisque la notion de durée faible est tout à fait relative. Dans la matière, la création est sans cesse permanente puisque la matière apparaît et disparaît dans le vide quantique à réception ou émission du boson de Higgs. Du coup les deux mouvements : absorption et émission, qui sont tous deux aussi brutaux relativement, sont tout aussi créatifs l’un que l’autre. Le fait de construire de manière imaginaire « deux mouvements » répond au besoin, pour Bergson, d’affirmer qu’il y a d’un côté le hasard et de l’autre le déterminisme, deux mouvements séparés mais inséparables. C’est aussi une manière de dire que le mouvement créatif est spirituel alors que le mouvement déterministe serait lui matériel. Voilà ! L’inséparable est… séparé par Bergson et mène à un dualisme matière/esprit !!!

  • Tout l’effort intellectuel de Bergson consiste à tenter, vainement, de concilier religion et science, mais les religions juive et chrétienne, ont rejeté ses propositions et il a beau vouloir tirer des connaissances modernes des sciences une ouverture vers la dualité corps/esprit, les sciences aussi rejettent sa philosophie de la matière et de la vie.

  • Bergson écrit dans « Durée et simultanéité » :

    « Les corps, écrivions-nous, sont taillés dans l’étoffe de la nature par une perception dont les ciseaux suivent le pointillé des lignes sur lesquelles l’action passerait ». Voilà ce que dit l’analyse psychologique. Et la physique le confirme. Elle résout le corps en un nombre quasi indéfini de corpuscules élémentaires ; et en même temps elle nous montre ce corps lié aux autres corps par mille actions et réactions réciproques. Elle introduit ainsi en lui tant de discontinuité, et d’autre part elle établit entre lui et le reste des choses tant de continuité, qu’on devine ce qu’il doit y avoir d’artificiel et de conventionnel dans notre répartition de la matière en corps.

    Donc pour Bergson, l’illusion c’est la discontinuité ! Mais pour la physique contemporaine, l’illusion c’est la continuité. Et il prétend dans le même élan que « la physique le confirme » !!!

  • 12 juillet 1924

    Lettre d’Einstein à Ehrenfest :

    « Bergson s’est fourré dans le guêpier des relativistes, il a été bien imprudent ; il va y gâcher sa plume élégante. »

  • Cependant, tous les physiciens ne sont pas d’accord avec Einstein.

    « Plus récemment, feuilletant à nouveau ces pages célèbres et réfléchissant aux progrès accomplis par la science depuis le temps déjà lointain où nous les lisions pour la première fois, nous avons été frappés par l’analogie de certaines conceptions nouvelles de la Physique contemporaine avec quelques-unes des fulgurantes intuitions du philosophe de la Durée. Et nous étions d’autant plus étonnés de ce fait que la plupart de ces intuitions se trouvent déjà exprimées dans l’Essai sur les données immédiates de la conscience, le premier des ouvrages d’Henri Bergson, qui est aussi peut-être le plus remarquable, du moins à notre point de vue ; cet Essai, qui fut la thèse de Doctorat de son auteur, date en effet de 1889 et est par suite antérieur de près de quarante ans aux idées de MM. Bohr et Heisenberg sur l’interprétation physique de la Mécanique ondulatoire. »

    De Broglie, Physique et Microphysique

  • Peste ! Le soutien plein et entier de Louis De Broglie à Bergson, ce n’est pas rien !

    Mais de Broglie devait également écrire dans « Physique et Microphysique » :

    « La philosophie de Bergson devait le conduire, et l’a en fait parfois conduit, à considérer la représentation de l’étendue par l’espace géométrique homogène comme ayant, au moins en partie, le caractère fallacieux avait à ses yeux la représentation de la durée par le temps homogène des mathématiciens et des physiciens…. Bergson a beaucoup plus insisté sur le cas de la durée que sur celui de l’étendue, la représentation de l’écoulement du temps par le déplacement le long d’un axe homogène implique un abandon beaucoup plus complet de plusieurs des propriétés les plus incontestables de la réalité vécue… Laissons de côté les belles images dont le charme peut être trompeur, laissons de côté ce qui peut prêter à contestation dans la conception Bergsonienne de la durée… »

  • « Bergson est un militant convaincu du « temps universel ». Il n’y a qu’un seul temps pour toutes les choses et pour toutes les consciences et c’est ce temps qui est compris par l’homme ordinaire. La théorie de la relativité avec ses temps multiples, aussi nombreux que les positions des différents observateurs considérés, pose un problème à Bergson qui veut réconcilier les 2 points de vue. Lors de sa rencontre avec Einstein, à la Société Française de Philosophie le 6 Avril 1922, il s’interroge sur le rapport entre le temps du sens commun et celui de la théorie de la relativité en traitant l’exemple de la définition de la simultanéité. Pour Bergson, il n’y a pas d’incompatibilité entre les deux approches. Einstein prend la parole et résume le problème par la question de fond suivante : « Le temps du philosophe est-il le même que celui du physicien ? ». Il y répond alors de façon catégorique : « Il n’y a pas un temps du philosophe ; il n’y a qu’un temps psychologique différent du temps du physicien ». Étienne Klein juge la réponse de Einstein un peu « péremptoire » et, selon Prigogine et Stengers, « Einstein rejette pour incompétence le temps des philosophes ». Selon Einstein, il y a bien un temps vécu ou perçu qui est un temps psychologique et sans intérêt pour la physique, et il n’y a pas de temps des philosophes, le seul vrai temps étant celui de la physique. »

    Yves Wadier

  • Lire aussi ici la confrontation Einstein-Bergson : Ici

  • M. Einstein,

    J’aimerais savoir si vous avez lu le livre « Durée et simultanéité, à propos de la théorie d’Einstein » de M. Henri Bergson qui porte sur votre théorie de la relativité restreinte et si, le cas échéant, vous avez répondu à M. Bergson et comment. Existe-t-il un texte de vous où vous abordez cette question ? J’ai aussi cru remarquer que vous disqualifiez presque immédiatement dans vos lettres toute démarche métaphysique comme fantaisiste, peut-être pourriez-vous profiter de votre réponse pour expliciter votre rapport avec la philosophie ?

    Veuillez agréer, etc.

    Jean-François

    Cher Jean-François,

    J’ai dit à quelques reprises que ce livre contenait de « sérieuses erreurs ». En fait, j’ai rencontré Bergson, en avril 1922, à la séance de la Société française de Philosophie, peu avant la parution de son livre. Le plus ironique de cette rencontre fut qu’il crut voir dans mes propos la confirmation de ses analyses. Puis je l’ai rencontré à nouveau en 1925, à l’université de Paris. Nous nous sommes croisés à l’occasion lors de séances de la Commission Internationale de Coopération Intellectuelle, à laquelle nous appartenions tous deux et que Bergson présida un temps (il y a eu d’ailleurs quelques lettres entre nous sur l’ambition de cette commission d’œuvrer pour le progrès de la science).

    Mais en réponse à Bergson, qui s’était hasardé à oser une réponse dans son « évolution créatrice », je lui ai répondu que « c’est à la science qu’il faut demander la vérité sur le temps comme sur tout le reste ». En 1911, Bergson était opposé à ma théorie de la relativité restreinte, puis il s’est ravisé par la suite. Sans vouloir me vanter, la plupart des observateurs admettent que j’ai gagné mon débat public avec lui.

    Maintenant que nous en parlons, cela me rappelle un débat public au collège de France, où se trouvait Bergson, mais également Paul Valéry. Valéry, on le sait, fourmillait d’idées, il noircissant des milliers de pages. Au cours du débat, il m’a demandé si je me levait la nuit pour noter une idée. Je lui ai répondu : « Mais, des idées, on n’en a qu’une ou deux dans sa vie ».

    Quant à la métaphysique, je suis désolé d’avoir laissé une impression négative. C’est simplement que je suis un scientifique, et en tant que tel, j’aime bien trouver des explications logiques et mathématiques à tous les phénomènes observables. Je ne veux en rien discréditer le travail des philosophes, cependant, je me méfie de ceux qui disent posséder la science infuse.

    Albert Einstein

  • Une phrase de « L’évolution créatrice » pourrait effectivement sembler issue des l’école de Copenhague de la physique quantique, celle de Bohr et Heisenberg : « Ce qui n’a jamais été perçu est nécessairement imprévisible. »

    Bergson précise « Prévoir conssiste à projeter dans l’avenir ce qu’on perçu dans le passé, ou à se représenter pour plus tard un nouvel assemblage, dans un autre ordre, des éléments déjà perçus. Mais ce qui n’a jamais été perçu, et ce qui est en même temps simple, est nécessairement imprévisible. »

    Et là, on constate que cela n’a rien à voir avec la conception des Bohr et Heisenberg, celle issue des inégalités qui indiquent une imprédictibilité, un probabilisme qui ne peut être supprimé.

    Louis de Broglie devait d’ailleurs déclarer à la mort de Bergson : « A vrai dire, la physique relativiste apparaît bien comme étant en opposition flagrante avec les vues de Bergson, précisément parce qu’elle pousse à l’extrême limite la spacialisation de temps et la géométrisation de l’espace, par ce qu’elle est à ce point du vue un couronnement final de la physique classique. »

  • Donner raison à Bergson, ce serait accepter une dualité entre conscience humaine et matière dans laquelle les deux entités ne seraient pas imbriquées mais séparées et indépendantes. Il n’est pas vrai que les connaissances issues de la physique quantique imposent cela. En réalité, elles amènent des dualités avec des contradictions dialectiques, c’est-à-dire où les contraires s’échangent et se mélangent comme onde et corpuscule, lumière et matière, matière et vide, et on en passe. Lire ici

  • Passons à Bergson sur le mouvement…

    « Tout mouvement, en tant que passage d’un repos à un repos, est absolument indivisible. Il ne s’agit pas ici d’une hypothèse, mais d’un fait, qu’une hypothèse recouvre généralement. »

    Bergson, Matière et Mémoire
    Bergson s’est ici bien éloigné des intuitions géniales de Lucrèce :

    « Si tu penses que les atomes, principes des choses, peuvent trouver le repos et dans ce repos engendrer toujours d’autres mouvements, tu te trompes et t’égares loin de la vérité. [...] il ne peut y avoir aucun repos pour les atomes à travers le vide immense ; au contraire agités d’un mouvement continuel et divers, ils se heurtent, puis rebondissent, les uns à grande distance, les autres faiblement, et s’éloignent peu. (...) Ne sois pas surpris, à ce propos, que malgré le mouvement incessant de tous les atomes, l’univers cependant paraisse immobile dans un repos total, à l’exception des corps qui ont un mouvement propre. C’est que ces éléments échappent de beaucoup à la portée de nos sens ; puisqu’ils sont déjà invisibles par eux-mêmes, comment ne nous déroberaient-ils pas leur mobilité ? »

    Mais Bergson s’éloigne aussi des physiciens.

    « Quelques siècles avant Einstein, Galilée avait découvert l’unification du repos avec le mouvement uniforme (en ligne droite à vitesse constante). »écrit le physicien Lee Smolin dans « Rien ne va plus en physique ».

    « Le repos apparent n’est qu’une illusion due à l’imperfection de nos sens, et correspond, en réalité, à un certain régime permanent de violente agitation désordonnée. » écrit Perrin dans « Les atomes ».

    La notion classique de mouvement, s’opposant diamétralement à l’état de repos, a déjà été mise en échec dans l’antiquité par Zénon…

    Zénon prend un objet au repos et qui va entrer, de la manière et pour la raison que vous voulez, en mouvement à un instant donné. Son problème n’est pas dans la manière d’entrer en mouvement mais dans la notion même de passage du repos au mouvement au cours du temps….

    Il prend tout simplement un objet immobile qui, à un moment donné, va se mettre à se déplacer à une vitesse constante.

    Par exemple, si, jusqu’à trois heures, le corps est au repos et que c’est là qu’il entre en mouvement, Zénon s’interroge : à trois heures, on peut supposer qu’il est au repos et à trois heures dix on est sûrs qu’il est à sa vitesse V qu’il ne va plus quitter. Mais à trois heures cinq, il est aussi à vitesse V puisque, dès qu’il démarre il est à vitesse V. Mais à trois heures deux ? A trois heures une minute ? Mais à trois heures et une seconde ? Il est encore à vitesse V. A trois heures et un milliardième de seconde, il est à vitesse V. Si on peut diminuer le temps ainsi à l’infini, si l’infiniment petit du temps existe, si le temps s’écoule continûment comme on le croit couramment, un instant aussi prêt que l’on veut de trois heures, il sera déjà à la vitesse V. A la limite, à trois heures, il est déjà à la vitesse V ! Mais à trois heures pile, on a dit qu’il était à la vitesse zéro donc il est à la fois mobile et au repos. Sa situation instantanée est à la fois immobilité et mouvement. Il n’y a pas d’erreur ni de tromperie. C’est simplement que l’état instantané ne peut pas indiquer un mouvement….

    Le paradoxe de Zénon de la flèche, mobile ou au repos heurte l’idée que toute chose est soit au repos soit en mouvement. Au repos, elle n’occupe que sa dimension quand elle est immobile. Mais en un instant, elle est toujours immobile et dans l’instant suivant aussi et ainsi de suite alors elle est toujours immobile si la durée est la somme des instants.

    Il y a une dialectique du repos et du mouvement comme l’avait déjà compris Platon : « Il y a cette étrange entité de l’instant qui se place entre le mouvement et le repos, sans être dans aucun temps, et c’est là que vient et de là que part le changement, soit du mouvement au repos, soit du repos au mouvement. »

    Diderot, lui, expliquait dans ses « Pricnipes philosophiques sur la matière et le mouvement » que « Je ne sais en quel sens les philosophes ont supposé que la matière était indifférente au mouvement et au repos. Ce qu´il y a de bien certain, c´est que tous les corps gravitent les uns sur les autres, c´est que toutes les particules des corps gravitent les unes sur les autres, c´est que, dans cet univers, tout est en translation ou in nisu, ou en translation et in nisu à la fois. Cette supposition des philosophes ressemble peut-être à celle des géomètres qui admettent des points sans aucune dimension, des lignes sans largeur ni profondeur, des surfaces sans épaisseur ; ou peutêtre parlent-ils du repos relatif d´une masse à une autre. Tout est dans un repos relatif en un vaisseau battu par la tempête. Rien n´y est en un repos absolu, pas même les molécules agrégatives, ni du vaisseau ni des corps qu´il renferme. (…)Voici la vraie différence du repos et du mouvement : c´est que le repos absolu est un concept abstrait qui n´existe point en nature, et que le mouvement est une qualité aussi réelle que la longueur, la largeur et la profondeur. Que m´importe ce qui se passe dans votre tête ? que vous regardiez que la matière comme homogène ou comme hétérogène ? Que m´importe que, faisant abstraction de ses qualités, et ne considérant que son existence, vous la voyiez en repos ? Que m´importe qu´en conséquence vous cherchiez une cause qui la meuve ? Vous ferez de la géométrie et de la métaphysique tant qu´il vous plaira ; mais moi, qui suis physicien et chimiste, qui prends les corps dans la nature et non dans ma tête, je les vois existants, divers, revêtus de propriétés et d´actions, et s´agitant dans l´univers comme dans le laboratoire où une étincelle ne se trouve point à côté de trois molécules combinées de salpêtres, de charbon et de soufre, sans qu´il s´ensuive une explosion nécessaire. »

    Avant Zénon, Parménide avait eu l’intuition des contradictions dialectiques de la matière et du mouvement :

    « Il apparaît être dans cet état et n’est pas dans cet état. Il est au repos et, au même instant, est en mouvement. Il naît et périt en même temps. Il ne s’altère pas et pourtant il change. Il existe et n’existe pas. Il est simple et multiple, divisible et indivisible, unité et pluralité, localisé et non localisé, en contact et sans contact, à la fois matière et vide, lui-même et autre en même temps, à la fois possédant une taille (étendu) et sans taille (ponctuel), lié au temps et indépendant du temps, à la fois matière et interaction entre matières, à la fois décomposé en parties et non décomposable en parties, simple grandeur et pas simplement descriptible comme nombre, tel est l’univers des masses matérielles. On ne peut le décrire en cachant de telles contradictions insurmontables. »

    C’est quand même autre chose que la philosophie de Bergson !!!

    Donnons enfin la parole au physicien Michel Cassé dans « Du vide et de la création » :

    « L’activité frénétique autour du moindre électron, du moindre proton, nous éloigne à jamais de l’image paisible que la plupart des philosophes attribuent au mot « vide ». (…) Aucune particule, même « au repos », ne jouit de la pleine tranquillité. (…) ce que nous appelons communément « force » est, selon la pensée quantique, un phénomène collectif causé par l’échange d’innombrables particules virtuelles. »

    Concluons par Friedrich Engels dans l’ « Anti-Dühring » :

    « Tant que nous considérons les choses comme en repos et sans vie, chacune pour soi, l’une à côté de l’autre et l’une après l’autre, nous ne nous heurtons certes à aucune contradiction en elles. Nous trouvons là certaines propriétés qui sont en partie communes, en partie diverses, voire contradictoires l’une à l’autre, mais qui, dans ce cas, sont réparties sur des choses différentes et ne contiennent donc pas en elles-mêmes de contradiction. Dans les limites de ce domaine d’observation, nous nous en tirons avec le mode de pensée courant, le mode métaphysique. Mais il en va tout autrement dès que nous considérons les choses dans leur mouvement, leur changement, leur vie, leur action réciproque l’une sur l’autre. Là nous tombons immédiatement dans des contradictions. Le mouvement lui-même est une contradiction ; déjà, le simple changement mécanique de lieu lui-même ne peut s’accomplir que parce qu’à un seul et même moment, un corps est à la fois dans un lieu et dans un autre lieu, en un seul et même lieu et non en lui. Et c’est dans la façon que cette contradiction a de se poser continuellement et de se résoudre en même temps, que réside précisément le mouvement. Nous avons donc ici une contradiction qui se rencontre objectivement présente et pour ainsi dire en chair et en os dans les choses et les processus eux-mêmes (...)Si le simple changement mécanique de lieu contient déjà en lui-même une contradiction, à plus forte raison les formes supérieures de mouvement de la matière et tout particulièrement la vie organique et son développement. Nous avons vu plus haut que la vie consiste au premier chef précisément en ce qu’un être est à chaque instant le même et pourtant un autre. La vie est donc également une contradiction qui, présente dans les choses et les processus eux-mêmes, se pose et se résout constamment. Et dès que la contradiction cesse, la vie cesse aussi, la mort intervient. De même, nous avons vu que dans le domaine de la pensée également, nous ne pouvons pas échapper aux contradictions et que, par exemple, la contradiction entre l’humaine faculté de connaître intérieurement infinie et son existence réelle dans des hommes qui sont tous limités extérieurement et dont la connaissance est limitée, se résout dans la série des générations, série qui, pour nous, n’a pratiquement pas de fin, - tout au moins dans le progrès sans fin. »

  • Gaston Bachelard dans "La dialectique de la durée" :

    C’est sans doute dans l’ordre du discours, sur le plan même des preuves bergsoniennes qu’il faut porter nos premières critiques. Ensuite, nous pourrons passer aux enquêtes psychologiques positives ; nous nous demanderons alors si le bergsonisme a fait une juste place au négativisme psychologique, à la coercition, à l’inhibition. Quand nous aurons ainsi approfondi la psychologie de l’anéantissement, nous tenterons d’établir que l’anéantissement suppose le néant comme limite, de la même manière que la qualification suppose la substance comme support. Du point de vue fonctionnel où nous nous placerons, nous verrons qu’il n’y a rien de plus normal, rien de plus nécessaire, que de passer à la limite et de poser la détente de la fonction, le repos de la fonction, le non-fonctionnement de la fonction puisque la fonction, de toute évidence, doit souvent s’interrompre de fonctionner. C’est alors que nous sentirons l’intérêt de faire remonter le principe de la négation jusqu’à la réalité temporelle elle-même. Nous verrons qu’il y a hétérogénéité fondamentale au sein même de la durée vécue, active, créatrice, et que, pour bien connaître ou utiliser le temps, il faut activer le rythme de la création et de la destruction, de l’œuvre et du repos. Seule la paresse est homogène ; on ne peut garder qu’en reconquérant ; on ne peut maintenir qu’en [9] reprenant. Au surplus, du seul point de vue méthodologique, il y aura toujours intérêt à établir un rapprochement entre la dialectique des entités diverses et la dialectique fondamentale de l’être et du non-être. C’est donc à cette dialectique de l’être et du néant que nous ramènerons l’effort philosophique, bien convaincu d’ailleurs que ce n’est pas un accident historique qui avait conduit vers ce problème les premiers philosophes de la Grèce. La pensée pure doit commencer par un refus de la vie. La première pensée claire c’est la pensée du néant.

    Sur le plan du discours, la thèse défendue par M. Bergson dans l’Évolution créatrice revient à dire qu’il n’y a pas d’actions vraiment négatives et que par conséquent les mots négatifs ne sauraient avoir de sens que par les mots positifs qu’ils nient, toute action et toute expérience se traduisant infailliblement et de prime abord sous l’aspect positif. Or cette référence privilégiée au positif fait tort, croyons-nous, à la parfaite corrélation des mots quand on les traduit, comme il convient de le faire, dans le langage de l’action. Un concept est formé par une expérience, analysé par des actions. Et c’est en cela qu’on peut dire, par exemple, que le mot vide, prenant son sens du verbe vider, correspond à une action positive. Une intuition bien éduquée conclurait donc que le vide est simplement la disparition imagée ou réalisée d’une matière particulière sans que jamais on puisse parler d’une intuition directe du vide. Toute absence serait ainsi la conscience d’un départ. Telle est, au fond, la thèse bergsonienne. Or, s’il est bien vrai qu’on ne puisse vider que ce qu’on trouve d’abord plein, il est tout aussi exact de dire qu’on ne peut emplir que ce qu’on trouve d’abord vide. Si l’on veut que l’étude du plein soit claire et riche, il faut toujours que cette étude soit le récit plus ou moins circonstancié d’un remplissage. Bref, du vide au plein, il y a, nous semble-t-il, une parfaite corrélation. L’un n’est pas clair sans l’autre, et surtout une notion ne s’éclaircit pas sans l’autre. Si l’on nous refuse l’intuition du vide, nous sommes en droit de refuser l’intuition du plein.

    Les récentes objections de M. Bergson contre la facile clarté des méthodes intellectuelles ne nous ont pas convaincu . Nous voyons les rapports de l’intuition et de l’intelligence sous un jour plus complexe qu’une simple opposition. Nous les voyons sans cesse intervenir en coopération. Il y a des intuitions à la base de nos concepts : ces intuitions sont troubles - à tort on les croit naturelles et riches. Il y a des intuitions dans la mise en rapport de nos concepts : ces intuitions, essentiellement secondes, sont plus claires - à tort on les croit factices et pauvres. Faisons rapidement la psychologie d’un esprit scientifique tourmenté par l’idée du vide. Il a lu la longue histoire des doctrines du vide ; il pratique la difficile technique du vide, toujours anxieux des possibilités d’une micro-fuite ; il sait, sans doute, combien captieuse est la notion du vide puisque, subitement, au moment où il pensait pouvoir définir le vide de matière, il vient de voir ce vide habité par la radiation. Il est donc mieux préparé que personne à comprendre une théorie qui voudrait que le vide à un point de vue particulier soit automatiquement le plein à un autre point de vue. Mais il ne se contente pas de cet automatisme. Il pressent un problème nouveau : il cherche ou il cherchera à atteindre le vide à deux points de vue réunis ; il tentera d’écarter et la matière et la radiation. Dès lors, son concept de vide s’enrichit, se diversifie et par cela même s’éclaircit. Car aucun savant ne revendiquera pour ses idées expérimentales une clarté a priori. Il est aussi prudent que le philosophe intuitionniste. Il a la même patience. Et voici d’ailleurs tout ce qu’il faut pour les réconcilier dans une même estime : comme le dit justement M. Bergson, une intuition philosophique demande une contemplation longuement poursuivie. Cette contemplation difficile, qui doit être apprise et qui pourrait sans doute être enseignée, n’est pas loin d’être une méthode discursive d’intuition. C’est tout ce qu’il nous faut pour nous autoriser à adjoindre, comme primordiale, la psychologie de l’éclaircissement des notions à la définition logique de ces notions. Dès lors, l’équilibre s’établit entre la conceptualisation réciproque du vide et du plein et nous pouvons, non pas comme points de départ, mais comme facteurs de résumés, équilibrer les deux concepts contraires du plein et du vide.

  • Bachelard :

    En effet, du point de vue psychologique, on est frappé, en lisant l’œuvre bergsonienne, par le petit nombre de remarques où la coercition et l’inhibition pourraient trouver des éléments d’une analyse. La volonté y est toujours positive, le vouloir vivre, comme chez Schopenhauer, y est bien permanent. C’est vraiment un élan. L’être veut créer du mouvement. Il ne veut pas créer du repos.

    Sans doute il y a des arrêts, il y a des échecs ; mais la cause de l’échec, d’après M. Bergson, est toujours externe. C’est la matière qui s’oppose à la vie, qui retombe sur la vie élancée et en ralentit ou en courbe le jet. Si jamais la vie pouvait se développer dans quelque milieu subtil, se nourrir de sucs essentiels, elle achèverait d’un trait son apothéose. Ainsi la vie se brise ou se divise sur l’obstacle. Elle est une lutte où il faut toujours ruser, toujours biaiser. Vieille image née avec l’Homo faber écrasé par ses tâches.

    Mais cette matière qui nous présente de constants et multiples obstacles, cette matière autour de laquelle nous tournons, que nous assimilons et que nous rejetons dans nos efforts philosophiques pour comprendre le monde, a-t-elle vraiment, dans le bergsonisme, des caractères suffisamment nombreux pour répondre à la diversité souvent contradictoire de ses fonctions ? Il ne le semble pas. On a, tout au contraire, l’impression que la matière est, pour M. Bergson, purement et simplement égale à l’échec qu’elle occasionne. Elle est la substance de nos désillusions, de nos mécomptes, de nos erreurs. On la rencontre après l’échec, jamais avant. Elle substantialise le repos après la fatigue, jamais le repos délicatement construit sur un équilibre réel.

    Pourquoi alors ne pas prendre l’échec en soi, dans la contradiction des raisons d’agir, dans le non-fonctionnement d’une fonction qui devrait agir ? On aurait eu ainsi un exemple de désordre fondamental, d’un désordre temporel, d’un désordre spirituel.

    Il suffit d’ailleurs de creuser la psychologie de l’hésitation pour mettre à nu le tissu des oui et des non. La vie s’oppose à la vie, le corps se dévore lui-même et l’âme se ronge. Ce n’est pas la matière qui fait obstacle. Les choses ne sont que les occasions de nos tentations ; la tentation est en nous, comme une contradiction et morale et rationnelle. La crainte aussi est en nous, de toute évidence avant le danger. Comment comprendrait-on le danger sans elle ? Et la plus insidieuse des inquiétudes naît de la quiétude même. Quand rien ne m’inquiète, disait Schopenhauer, c’est cela même qui me semble inquiétant. Il suffit de dématérialiser un peu l’affectivité pour la voir onduler.

  • Là où Bergson n’est pas le seul à se tromper et ne se trompe pas de manière originale, c’est dans sa défense à tout prix de la prétendue continuité du temps...

    Voici ce qu’il écrit dans « L’évolution créatrice » :

    Mon état d’âme, en avançant sur la route du temps, s’enfle continuellement de la durée qu’il ramasse ; il fait, pour ainsi dire, boule de neige avec lui-même. A plus forte raison en est-il ainsi des états plus profondément intérieurs, sensations, affections, désirs, etc., qui ne correspondent pas, comme une simple perception visuelle, à un objet extérieur invariable. Mais il est commode de ne pas faire attention à ce changement ininterrompu, et de ne le remarquer que lorsqu’il devient assez gros pour imprimer au corps une nouvelle attitude, à l’attention une direction nouvelle. A ce moment précis on trouve qu’on a changé d’état. La vérité est qu’on change sans cesse, et que l’état lui-même est déjà du changement.

    C’est dire qu’il n’y a pas de différence essentielle entre passer d’un état à un autre et persister dans le même état. Si l’état qui « reste le même » est plus varié qu’on ne le croit, inversement le passage d’un état a un autre ressemble plus qu’on ne se l’imagine à un même état qui se prolonge ; la transition est continue. Mais, précisément parce que nous fermons les yeux sur l’incessante variation de chaque état psychologique, nous sommes obligés, quand la variation est devenue si considérable qu’elle s’impose à notre attention, de parier comme si un nouvel état s’était juxtaposé au précédent. De celui-ci nous supposons qu’il demeure invariable à son tour, et ainsi de suite indéfiniment. L’apparente discontinuité de la vie psychologique tient donc à ce que notre attention se fixe sur elle par une série d’actes discontinus : où il n’y a qu’une pente douce, nous croyons apercevoir, en suivant la ligne brisée de nos actes d’attention, les marches d’un escalier.
    Il est vrai que notre vie psychologique est pleine d’imprévu. Mille incidents surgissent, qui semblent trancher sur ce qui les précède, ne point se rattacher à ce qui les suit. Mais la discontinuité de leurs apparitions se détache sur la continuité d’un fond où ils se dessinent et auquel ils doivent les intervalles mêmes qui les séparent : ce sont les coups de timbale qui éclatent de loin en loin dans la symphonie. Notre attention se fixe sur eux parce qu’ils l’intéressent davantage, mais chacun d’eux est porté par la masse fluide de notre existence psychologique tout entière. Chacun d’eux n’est que le point le mieux éclairé d’une zone mouvante qui comprend tout ce que nous sentons, pensons, voulons, tout ce que nous sommes enfin à un moment donné. C’est cette zone entière qui constitue, en réalité, notre état. Or, des états ainsi définis on peut dire qu’ils ne sont pas des éléments distincts. Ils se continuent les uns les autres en un écoulement sans fin.

    Mais, comme notre attention les a distingués et séparés artificiellement, elle est bien obligée de les réunir ensuite par un lien artificiel. Elle imagine ainsi un moi amorphe, indifférent, immuable, sur lequel défileraient ou s’enfileraient les états psychologiques qu’elle a érigés en entités indépendantes. Où il y a une fluidité de nuances fuyantes qui empiètent les unes sur les autres, elle aperçoit des couleurs tranchées, et pour ainsi dire solides, qui se juxtaposent comme les pertes variées d’un collier : force lui est de supposer alors un fil, non moins solide, qui retiendrait les perles ensemble. Mais si ce substrat incolore est sans cesse coloré par ce qui le recouvre, il est pour nous, dans son indétermination, comme s’il n’existait pas. Or, nous ne percevons précisément que du coloré, c’est-à-dire des états psychologiques. A vrai dire, ce « substrat » n’est pas une réalité ; c’est, pour notre conscience, un simple signe destiné à lui rappeler sans cesse le caractère artificiel de l’opération par laquelle l’attention juxtapose un état à un état, là où il y a une continuité qui se déroule. Si notre existence se composait d’états séparés dont un « moi » impassible eût à faire la synthèse, il n’y aurait pas pour nous de durée. Car un moi qui ne change pas ne dure pas, et un état psychologique qui reste identique à lui-même tant qu’il n’est pas remplacé par l’état suivant ne dure pas davantage. On aura beau, dès lors, aligner ces états les uns à côté des autres sur le « moi » qui les soutient, jamais ces solides enfilés sur du solide ne feront de la durée qui coule. La vérité est qu’on obtient ainsi une imitation artificielle de la vie intérieure, un équivalent statique qui se prêtera mieux aux exigences de la logique et du langage, précisément parce qu’on en aura éliminé le temps réel. Mais quant à la vie psychologique, telle qu’elle se déroule sous les symboles qui la recouvrent, on s’aperçoit sans peine que le temps en est l’étoffe même.

  • Revenons sur la question de la durée chez Bergson :

    « Tout résumé de mes vues les déformera dans leur ensemble et les exposera, par là même, à une foule d’objections, s’il ne place de prime abord et s’il ne revient pas sans cesse à ce que je considère comme le centre même de la doctrine : l’intuition de la durée. »

    Lettre de Bergson à Harald Hoffding, 1916

    Bergson affirme même que cet « élan », ce « courant » psychologique humains vers la perception de la durée est « radicalement distinct de la matière ».

    Donc la matière ne percevrait pas la durée ?

    Ainsi, le noyau instable, qui se décompose au bout d’une durée statistiquement fixée, ne percevrait pas la durée ?

    Ainsi, l’étoile qui décompose son hydrogène et son hélium et passe ensuite à une transition brutale ne « percevrait » pas la durée.

    Ainsi, ce qui distingue la matière dite « réelle » de la matière dite « virtuelle » du vide, qui est le fait que le virtuel est éphémère, ne percevrait pas la durée ?

    Ainsi, la lumière qui est déterminée par sa fréquence, c’est-à-dire un nombre de pulsations par durée écoulée, ne percevrait pas la durée ?

    Ainsi, le temps de l’Univers, qui fait que toute structure est éphémère, ne percevrait pas la durée.

    Ainsi, la Terre, qui détruit progressivement toute structure à sa surface, ne percevrait pas la durée.

    Citons encore Bergson :

    « Tout se passe comme si un large courant de conscience avait pénétré dans la matière. »

    (Bergson, « Evolution créatrice »)

    En somme, Bergson, avec son élan psychologique de la durée, pense avoir découvert non seulement le propre de l’homme mais le propre de la conscience humaine, la preuve de sa particularité qui l’opposerait diamétralement à la matière, la preuve de la dualité, de l’existence de deux mondes : corps et esprit !

    Et ce n’est pas seulement deux mondes mais un combat entre eux, du fait de « la résistance que la vie éprouve de la part de la matière brute » !

    L’homme serait, selon Bergson, « une forme d’existence plus vaste et plus haute » !! C’est trop d’honneur !

    La matière, pour Bergson, dépendrait d’un « pur mécanisme » auquel il attribue d’étonnantes propriétés :

    « Considérer l’avenir et le passé comme calculables en fonction du présent, et prétendre ainsi que tout est donné. »

    « Le temps devient ainsi inutile. »

    (Bergson, « Mécanisme et Finalité »)

    « De sorte qu’en dernière analyse l’homme serait la raison d’être de l’organisation entière de la vie sur notre planète. »

    (Bergson, « Evolution créatrice »)

    Et dans le même ouvrage :

    « L’homme est le terme et le but de l’évolution. »

    Et de glorifier l’homme par rapport à l’animalité, du fait de « la maîtrise de la matière inerte », de « l’élan vital », de « la perception de la durée », du « noyau lumineux que nous appelons intelligence », « l’intelligence seule capable de chercher ».

    Bien entendu, chez Bergson, aucune « intelligence » de la matière « inerte », (tout e idée de dynamique de la matière dans le temps est exclue comme toute histoire de l’Univers « dans le temps » !), totale opposition entre inerte et vivant, comme dichotomie absolue entre homme et animal ! Que dire donc des hominidés précédents, des singes et autres animaux ? Que dire des dauphins ? De la matière brute ?!!!!

  • Bergson écrit :

    « Notre intelligence, telle que l’évolution de la vie l’a modelée, a pour fonction essentielle d’éclairer notre conduite, de préparer notre action sur les choses, de prévoir, pour une situation donnée, les événements favorables ou défavorables qui pourront s’ensuivre. Elle isole donc instinctivement, dans une situation, ce qui ressemble au déjà connu : elle cherche le même, afin de pouvoir appliquer son principe que "le même produit le même". En cela consiste la prévision de l’avenir par le sens commun. La science porte cette opération au plus haut degré possible d’exactitude et de précision, mais elle n’en altère pas le caractère essentiel. Comme la connaissance usuelle, la science ne retient des choses que l’aspect "répétition". Si le tout est original, elle s’arrange pour l’analyser en éléments ou en aspects qui soient "à peu près" la reproduction du passé. Elle ne peut opérer que sur ce qui est censé se répéter, c’est-à-dire sur ce qui est soustrait, par hypothèse, à l’action de la durée. Ce qu’il y a d’irréductible et d’irréversible dans les moments successifs d’une histoire lui échappe. Il faut, pour se représenter cette irréductibilité et cette irréversibilité, rompre avec des habitudes scientifiques qui répondent aux exigences fondamentales de la pensée, faire violence à l’esprit, remonter la pente naturelle de l’intelligence. Mais là est précisément le rôle de la philosophie. »

    En quoi la physique n’opèrerait pas sur les changements ? Elle qui est fondée sur la notion de transition de phase !

  • Voici ce que dit Bergson dans son introduction à « Durée et simultanéité. À propos de la théorie d’Einstein » (1922) :

    « Quelques mots sur l’origine de ce travail en feront comprendre l’intention. Nous l’avions entrepris exclusivement pour nous. Nous voulions savoir dans quelle mesure notre conception de la durée était compatible avec les vues d’Einstein sur le temps. Notre admiration pour ce physicien, la conviction qu’il ne nous apportait pas seulement une nouvelle physique mais aussi certaines manières nouvelles de penser, l’idée que science et philosophie sont des disciplines différentes mais faites pour se compléter, tout cela nous inspirait le désir et nous imposait même le devoir de procéder à une confrontation. Mais notre recherche nous parut bientôt offrir un intérêt plus général. Notre conception de la durée traduisait en effet une expérience directe et immédiate. Sans entraîner comme conséquence nécessaire l’hypothèse d’un Temps universel, elle s’harmonisait avec cette croyance très naturellement. C’étaient donc un peu les idées de tout le monde que nous allions confronter avec la théorie d’Einstein. Et le côté par où cette théorie semble froisser l’opinion commune passait alors au premier plan : nous aurions à nous appesantir sur les « paradoxes » de la théorie de la Relativité, sur les Temps multiples qui coulent plus ou moins vite, sur les simultanéités qui deviennent des successions et les successions des simultanéités quand on change de point de vue. Ces thèses ont un sens physique bien défini : elles disent ce qu’Einstein a lu, par une intuition géniale, dans les équations de Lorentz. Mais quelle en est la signification philosophique ? Pour le savoir, nous prîmes les formules de Lorentz terme par terme, et nous cherchâmes à quelle réalité concrète, à quelle chose perçue ou perceptible, chaque terme correspondait. Cet examen nous donna un résultat assez inattendu. Non seulement les thèses d’Einstein ne paraissaient plus contredire, mais encore elles confirmaient, elles accompagnaient d’un commencement de preuve la croyance naturelle des hommes à un Temps unique et universel. Elles devaient simplement à un malentendu leur aspect paradoxal. Une confusion semblait s’être produite, non pas certes chez Einstein lui-même, non pas chez les physiciens qui usaient physiquement de sa méthode, mais chez certains qui érigeaient cette physique, telle quelle, en philosophie. Deux conceptions différentes de la relativité, l’une abstraite et l’autre imagée, l’une incomplète et l’autre achevée, coexistaient dans leur esprit et interféraient ensemble. En dissipant la confusion, on faisait tomber le paradoxe. Il nous parut utile de le dire. Nous contribuerions ainsi à éclaircir, aux yeux du philosophe, la théorie de la Relativité. »

    Pourtant, Einstein lui avait déjà dit qu’il avait mal compris ses thèses...

  • Bergson :

    « Toute la philosophie moderne dérive de Descartes. »

    Bergson, La philosophie française »

    Billevesées : la pensée moderne découle de Francis Bacon !!!

    Lire ici

    Tout l’ouvrage de Bergson vise à prouver que la philosophie est française ! Il ne risque pas de citer Bacon, tout simplement parce qu’il n’est pas français !!!

  • Bonjour,

    Je tombe par hasard sur votre article et les commentaires qui suivent. Ça date un peu mais à mon avis vous comprenez Bergson de travers sur plusieurs points. Je me contente d’en relever quelques uns. Veuillez m’excuser pour le caractère peut-être confus de ce qui va suivre, mais les erreurs étant liées les unes aux autres dans une mécompréhension générale du bergsonisme (à mon opinion), il a été parfois difficile d’ordonner ma pensée.

    Vous soutenez que Bergson est dualiste.
    Ce n’est pas faux. Mais il faut préciser : Bergson est dualiste au point de vue des rapports du corps et de l’esprit chez l’individu (dans Matière et mémoire) ; il est moniste au point de vue cosmologique (en un sens, dès le chapitre IV de Matière et mémoire, et dans l’Évolution créatrice). Ces deux positions ne sont pas vraiment réconciliables et ont été pourtant toutes deux maintenues jusqu’à la fin. C’est que, comme vous le soulignez, Bergson n’est pas un penseur systématique. Pour lui, des problèmes de nature différente appellent des intuitions différentes, qui ne peuvent pas se résorber totalement en un "système de la réalité". On n’est pas obligé d’être d’accord, mais c’est une conception qui se défend.
    En tous les cas, il n’est pas correct de penser que Bergson défend une cosmologie dualiste, puisque pour lui la matière inerte correspond (dès Matière et mémoire), non pas à quelque chose de tout à fait étranger à la conscience, mais à un degré de conscience moindre. Cette conception est précisée dans le chapitre III de l’Évolution créatrice : ce que Bergson appelle "matérialité", ce n’est pas la matière elle-même mais le mouvement qui la traverse et qui tend à la répétition mécanique, à l’immobilité et au repos. Ce qu’il appelle "vie" ou "conscience", ce n’est pas un mouvement étranger à la matière, mais le mouvement qui la traverse et qui tend au changement, à la nouveauté, à la création. Cette lutte entre ces deux mouvements se fait au sein même de la matière (c’est pourquoi Bachelard a lui aussi, à mon avis, mal compris Bergson). Mais le premier mouvement n’est que l’inversion du second : il ne lui est pas étranger en nature. Il n’y a au bout du compte qu’une seule force, la conscience, qui tend au mouvement et à la création, mais qui n’étant pas infinie, doit lutter sans cesse contre son propre épuisement.
    Il est vrai que la matière est originellement créée par cette inversion. Sur ce point et ce point seulement, la cosmologie bergsonienne présente une forme de dualisme. Mais une fois que la matière est créée, c’est en son sein que se joue la lutte de la vie contre son propre épuisement. Quand Bergson dit que la vie lutte contre la matérialité, il entend que la conscience matérielle lutte contre sa propre dispersion. C’est très clair dans le chapitre III de l’Évolution créatrice, qui est probablement le sommet de son oeuvre.

    La deuxième erreur que je voudrais souligner, c’est l’idée que vous attribuez à Broglie, que la relativité générale irait complètement "contre" Bergson dans la mesure où elle spatialise le temps.
    Nous sommes d’accord (c’est communément admis) que Bergson avait mal compris la relativité générale dans son traitement de la simultanéité. Mais si la théorie d’Einstein, par certains aspects, pose effectivement problème au bergsonisme, ce n’est certes pas parce qu’elle spatialise complètement le temps. En effet une telle spatialisation du temps par la science avait été prévue par Bergson. Cette spatialisation n’est pas seulement une illusion de l’intelligence, mais une tendance de la réalité elle-même. La science ne fait que pousser cette tendance au bout. Autrement dit, la réalité ne peut pas être toute entière contenue dans les cadres de l’intelligence (ceux de la science), mais elle se prête quand même bien à ces cadres. Faire entrer la réalité dans les cadres de l’intelligence, la spatialiser autant qu’il est possible, c’est précisément la tâche que Bergson assigne à la science. Charge à la métaphysique (appuyée, mais pas seulement, sur l’intuition) de montrer ensuite que cette vision du monde est incomplète.

    Une troisième erreur : vous suggérez que Bergson n’aurait pas du tout pris en compte la loi d’entropie, c’est-à-dire la tendance intrinsèque de notre univers au désordre. Or c’est tout-à-fait faux, elle est centrale dans ce troisième chapitre de l’Évolution créatrice dont je vous parlais. Bergson l’appelle "la plus métaphysique des lois de la physique", parce que de par son caractère irréversible, elle réinjecte de la temporalité véritable dans la science. Bergson y voit la marque de l’épuisement de l’élan vital (= la conscience matérielle) : de lui-même il tend à l’organisation ; quand il s’épuise, il tend à ce que nous appelons "désordre" (il serait trop long de rentrer ici dans la critique de cette idée par Bergson, donc je simplifie).

    Encore : vous écrivez que Bergson n’aurait pas pris en compte la temporalité de l’univers. C’est une erreur majeure ! Tout la cosmologie de Bergson part de ce constat que si les processus matériels ne s’étendent pas tous simultanément dans l’espace (si je dois attendre pour que le sucre fonde dans l’eau), c’est que l’Univers doit présenter une analogie avec le temps que je sens s’écouler en moi. Bien sûr que l’Univers dure chez Bergson. Sa philosophie est incompréhensible sans cela.

    Encore : vous dite que Bergson aurait établi une distinction insurmontable entre l’homme et l’animal.
    Or c’est faux. Là encore, il faut relire le chapitre III de l’Évolution créatrice. La difficulté est qu’il y a à la fois différence de degré et de nature. Différence de degré, parce que l’homme n’est qu’une étape temporaire sur la voie du développement de la tendance vitale privilégiée dans la lignée des Vertébrés - l’intelligence. Différence de nature, certes, parce qu’avec lui cette tendance a brillamment réussi à s’exprimer, grâce (pense Bergson) à la plasticité de son appareil cérébral. Les insectes, de la même manière, représentent l’accomplissement le plus réussi de la tendance instinctive. L’intelligence, cependant, présente cet avantage qu’elle peut s’ouvrir à l’intuition (qui est l’instinct élargi) alors que l’on voit mal les insectes s’ouvrir à l’intelligence... Et de plus, qu’elle permet l’action libre au niveau individuel, et non seulement au niveau de l’espèce. C’est pourquoi Bergson peut dire que l’homme est à la pointe de l’évolution.

    Je termine sur un constat un peu plus général. Je crois que le cœur de la philosophie de Bergson, c’est sa remise en cause de la distinction entre l’un et le multiple, avec sa notion de "multiplicité qualitative" (= continuité hétérogène) qui apparaît dès l’Essai. Dès lors les vieux cadres de la métaphysique classique (continuité et rupture, dualisme et monisme, différence de degré et différence de nature, etc.) ne peuvent être appliqués que de manière maladroite à la philosophie bergsonienne. C’est de là que viennent une grande partie des erreurs et des incompréhensions. Aux yeux de Bergson, ils sont obsolètes, et tout l’effort d’une intelligence qui se met à l’écoute de l’intuition est de réussir à les dépasser.

    Cordialement,
    TB

  • Vous ne soulignez pas correctement la position de Bergson sur l’entropie :

    Bergson déclare que la loi de l’entropie (le principe de Carnot) est « la plus métaphysique des lois de la physique, en ce qu’elle nous montre du doigt, (...) la direction où marche le monde »

    Au fait, croyez-vous que la Physique contemporaine considère que le monde physique marche dans une direction donnée, fixe, ou préétablie ?

  • Pour Bergson, l’entropie est une preuve de l’opposition entre matière inerte et vie.

    L’épistémologie bergsonienne exprime un néo-vitalisme qui affirme que la durée créatrice du vivant imprévisible et irrévocable serait opposée à la croissance de l’entropie du monde de la matière inerte.

  • Donnons la citation de Bergson :

    Il en est autrement du second principe de la thermodynamique. La loi de dégradation de l’énergie, en effet, ne porte pas essentiellement sur des grandeurs. Sans doute l’idée première en naquit, dans la pensée de Carnot, de certaines considérations quantitatives sur le rendement des machines thermiques. Sans doute aussi, c’est en termes mathématiques que Clausius la généralisa, et c’est à la conception d’une grandeur calculable, l’ « entropie », qu’il aboutit. Ces précisions sont nécessaires aux applications. Mais la loi resterait vaguement formulable et aurait pu, à la rigueur, être formulée en gros, lors même qu’on n’eût jamais songé à mesurer les diverses énergies du monde physique, lors même qu’on n’eût pas créé le concept d’énergie. Elle exprime essentiellement, en effet, que tous les changements physiques ont une tendance à se dégrader en chaleur, et que la chaleur elle-même tend à se répartir d’une manière uniforme entre les corps. Sous cette forme moins précise, elle devient indépendante de toute convention ; elle est la plus métaphysique des lois de la physique, en ce qu’elle nous montre du doigt, sans symboles interposés, sans artifices de mesure, la direction où marche le monde. Elle dit que les changements visibles et hétérogènes les uns aux autres se dilueront de plus en plus en changements invisibles et homogènes, et que l’instabilité à laquelle nous devons la richesse et la variété des changements s’accomplissant dans notre système solaire cédera peu à peu la place à la stabilité relative d’ébranlements élémentaires qui se répéteront indéfiniment les uns les autres. Tel, un homme qui conserverait ses forces mais les consacrerait de moins en moins à des actes, et finirait par les employer tout entières à faire respirer ses poumons et palpiter son cœur.

  • Sciences physiques, chimiques, biologiques, évolutive, médicale, astronomique, historique et philosophique ont longtemps été des commentaires et illustration de l’Ancien Testament. Darwin, Marx, Einstein et Freud ont rompu le lien. Bergson ne rève que d’y retourner !

  • Vous dites : « pour lui la matière inerte correspond (dès Matière et mémoire), non pas à quelque chose de tout à fait étranger à la conscience, mais à un degré de conscience moindre. »

    Que peut bien vouloir dire que la pierre correspond à un degré de conscience moindre que l’homme ? C’est de l’animisme et c’est tout !

  • Bergson écrit :

    « On conçoit une infinité de degrés entre la matière et l’esprit pleinement développé ».

    Cela signifie que la matière, c’est l’esprit pas encore pleinement développé ?

    On retrouve que le but de la matière serait de construire l’esprit, vision biblique en somme !

    Mais, en tout cas, cette infinité de degrés n’existe pas…

    La science de l’évolution dit, au contraire, que toutes les espèces vivant actuellement sont aussi…. évoluées (théorie du buissonnement).

  • « Sur un terrain plat, de simples buttes font l’effet de collines ; aussi peut-on mesurer l’aplatissement de la bourgeoisie contemporaine d’après le calibre de ses esprits forts. »

    ’Le Capital’ (1867) de Karl Marx

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