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La journée d’action syndicale du 31 mars et après…

vendredi 1er avril 2016, par Robert Paris

La journée d’action syndicale du 31 mars et après…

A voir les grèves et manifestations du 31 mars en France, on pourrait se demander si la lutte de classe, la contre-offensive, ne redeviendraient-elles pas la stratégie des dirigeants syndicaux face aux attaques patronales et gouvernementales ? Poisson d’avril ! Ce n’est nullement le cas et il n’y a aucune raison de s’illusionner là-dessus ! Il ne suffira pas des promenades syndicales pour faire reculer l’attaque gouvernementale même s’il a suffi du simple refus de la droite de sa réforme constitutionnelle pour que le gouvernement l’abandonne ou du simple refus du patronat pour que le gouvernement abandonne la taxation des dividendes en 2014, de même qu’il a abandonné la réforme du plafond des rémunérations et des retraites chapeau ou l’exigence d’embauches en échanges des crédits-impôts. Tout comme la réforme de la finance, des banques et du grand capital, promise après l’effondrement de 2007-2008, n’a toujours pas vu le jour et tous ces grands réformateurs ne s’y risquent pas ! Tous ces reculs ont eu lieu sans grande mobilisation sociale de la droite et du patronat.

Il n’en va pas de même quand il s’agit de la classe ouvrière. Il ne suffit pas du mécontentement des dirigeants syndicaux pour que le gouvernement recule. Et la stratégie syndicale ne mène pas non plus à des reculs sérieux, ni patronaux ni gouvernementaux.

Une journée nationale, fût-elle réussie, n’est pas le coup d’arrêt nécessaire, ni pour remballer la loi El Khomri, ni pour arrêter la rafale d’attaques anti-sociales, anti-ouvrières et liberticides appelées « les lois de réforme ». Les journées nationales sur la loi retraites n’avaient pas suffi à faire reculer Sarkozy. Celles sur la loi Macron n’ont pas eu plus d’effet. Non seulement cette loi n’a pas été retirée mais toutes les autres se sont précipitées derrière, démontrant que les journées syndicales ne font peur à personne…

Et l’offensive anti-sociale continue : même si le gouvernement le dément, il veut supprimer 16.000 lits d’hôpital en trois ans, il veut toujours supprimer massivement des RTT, les 35 heures, et surtout supprimer massivement des emplois et des dépenses, sur le dos des personnels et des malades. Il a privatisé le transport de cars et compte en faire autant du transport sur rails. Il privatise à tout va. Il supprime massivement des services publics et ce sont les plus démunis qui y perdent santé, éducation, énergie et transports.

Voilà toute l’efficacité des négociations syndicales et des journées d’action censées animées ces collaborations avec le patronat et le gouvernement.

Pourtant, il peut sembler aux travailleurs et aux jeunes que les syndicats, cette fois, ont organisé une grande révolte dans la grève et dans la rue. Sauf que…

Sauf que la révolte éclatait le 9 mars et que les dirigeants syndicaux ont reporté la riposte au 31.

Sauf qu’entre temps, ils ont organisé des lâchers de vapeur plutôt que faire en sorte que tout converge.

Sauf qu’il y a eu la grève nationale à La Poste le 23 mars, la grève nationale dans l’Hôpital public le 28 mars (programmée trois jours avant !), la grève des contrôleurs aériens le 21 mars, la grève SNCF le 9 mars, la grève des infirmiers-anesthésistes le 21 mars, la grève RATP le 9 mars, la grève Air France et fonctionnaires le 27 mars, la grève des inspecteurs du permis le 23 mars, la grève des douanes le 24 mars, la grève des dockers et agents portuaires le 24 mars, la grève d’Air France le 27 mars, etc, etc….

On peut avoir l’impression que les centrales syndicales ont tout fait pour que la grève soit la plus puissante possible ce 31 mars. Mais la réalité sur le terrain est différente des proclamations et de l’apparence rendue par les média.

Par exemple, sur le terrain, à la SNCF, la CGT certes appelait à une journée massive le 31 mais elle avait appelé déjà à la grève le 9 et puis elle diffusait un planning des négociations avec la direction, avec à chaque épisode des actions des cheminot appelées par la CGT. Cela signifiait pour tout cheminot qu’il n’avait pas besoin nécessairement d’entrer en grève le 31 puisqu’il allait y avoir bien d’autres occasions de perdre son salaire en s’arrêtant…

De même, les agents de l’hôpital public pouvaient bien se mettre en grève le 31 mais on les avait plutôt incités à le faire le 28 mars, trois jours avant, en montrant que la lutte contre la loi Hirsch était bien séparée de la lutte contre la loi El Khomri, alors qu’en fait toutes ces lois font bel et bien partie de la même offensive.

Dès le 9 mars, les centrales syndicales avaient clairement montré au patronat et au gouvernement qu’elles jouaient leur jeu de manière classique, encadrant « les troupes » sans permettre que la pression soit canalisée et lancée directement contre les adversaires, sans s’ppuyer sur un courant de masse, sans prendre le risque que la lutte sociale s’embrase et déborde le cadre classique des relations bien tempérées entre syndicats, patrons et gouvernement, celui des salons où on négocie.

En effet, loin de s’appuyer sur l’élan de révolte contre la loi El Khomri pour unir tous ceux qui veulent donner un coup d’arrêt à toutes les contre-réformes, unir les cheminots qui luttent contre la privatisation ou réforme Pépy, les hospitaliers contre la réforme Hirsch, les agents d’EDF et d’Areva menacés par la faillite du nucléaire, les enseignants ou encore le secteur privé menacé par des licenciements collectifs facilités par le gouvernement, les syndicats ont bien démontré le 9 mars qu’il ne s’agissait nullement pour eux d’entrer en révolte. Ils ont effectivement déposé des préavis de grève mais n’ont appelé nulle part à la grève, à part dans l’enseignement supérieur. Ils ont fait semblant et ils n’ont ainsi trompé que les travailleurs et les jeunes mais pas le patronat ni le gouvernement, lesquels ont parfaitement compris le message. Hommes politiques, média, militants syndicalistes, gauche, gauche de la gauche, extrême gauche se sont bien gardés de souligner la contradiction… Tous ont affirmé en cœur que la seule qui compterait serait le nombre que l’on serait en grève et en manifestation, derrière les consignes et les appels des dirigeants syndicaux.

C’est-à-dire derrière quelle perspective ? Celle de séparer la lutte contre la loi El Khomri de celle contre les autres attaques qui en sont inséparables : la loi Touraine contre la santé, la loi Valls contre les libertés, la loi Eckert contre les petits épargnants, la loi Hirsch, la loi Pépy, la loi CICE (sur le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), loi Cazeneuve (sur l’immigration et l’asile), la loi Hollande (sur le chômage, dite « boite à outils »), la loi Ayrault (ou loi retraites 2014 aggravant les dispositifs de Sarkozy), et bientôt la loi Sapin sur les fonds de pension pour livrer aux spéculateurs l’argent de nos retraites ! Sans compter la privatisation du permis de conduire, de Pôle Emploi, du recouvrement des impôts et on en passe…

Ensuite, le fait de ne pas mettre en cause l’état d’urgence, les lois qui font de la France un pays de plus en plus policier, un pays qui ne recrute plus que pour l’armée et la police, qui n’est mobilisé que pour la guerre, « intérieure et extérieure » comme le répètent Hollande, Valls et Cazeneuve….

Les directions syndicales ont donc tout fait pour isoler les luttes les unes des autres, que les cheminots continuent à se battre seuls, les hospitaliers seuls, les Air France seuls, les Areva seuls, les EDF seuls, les salariés des entreprises privées qui suppriment des emplois seuls, et ainsi de suite… C’est cela qu’ils appellent des luttes d’ensemble !!!

En fait, les dirigeants des centrales syndicales qui détiennent grâce à leur rôle de tampon social des places, des fonds, une position dans la société bourgeoise, ne craignent pas moins que le patronat et le gouvernement bourgeois que les travailleurs ne débordent, ne sortent des rails

Faut-il s’en étonner quand on sait que l’essentiel des moyens financiers, politiques et organisationnels dont les centrales syndicales de salariés disposent provient des classes dirigeantes et pas des travailleurs ? On vient par exemple d’apprendre que l’Unédic, qui n’a pas assez d’argent pour les chômeurs, dépense des sommes importantes en faveur des organisations syndicales sous la rubrique « contribution au dialogue social » : chaque syndicat, salarié comme patronal, touche ainsi 469.000 euros, d’où un total de 4 millions d’euros volés aux chômeurs et le MEDEF touche 1.407.000 euros sans qu’aucun syndicat ne s’en offusque. Et ce n’est qu’un exemple des multiples manières de distribuer de l’argent aux syndicats pour les inciter à collaborer au dialogue, c’est-à-dire à devenir collaborationnistes, que ce soit sous prétexte de formation des militants, d’entraide, d’entente sociale ou de cogestion des organismes paritaires.

Voilà ce qui explique les stratégies syndicales qui empêchent le mouvement social de s’étendre, de prendre son ampleur, de généraliser les luttes et de mener à l’auto-organisation des salariés.

Le fait que le capitalisme n’ait plus de perspective à offrir à la société ne signifie pas que les syndicats se sentent plus les coudées franches pour développer des perspectives sociales indépendantes. Et cela pour une simple et bonne raison : les syndicats ne représentent plus du tout une perspective sociale autre que le capitalisme et n’envisagent pas plus le socialisme que ne le font les dirigeants politiques bourgeois dits « socialistes ». Au moment même où le capitalisme n’a plus de capacité de retrouver une dynamique, est totalement incapable de se relancer, les dirigeants syndicaux sont plus que jamais attachés à ce système et ne conçoivent leur intervention que dans son cadre. Ils sont plus réformistes que jamais alors que le système ne peut nullement se réformer.

Certes, les gouvernants n’ont que le mot de « réforme » à la bouche mais ce n’est nullement pour réformer le fonctionnement des banques, des trusts, de bourses et du grand capital. Les syndicats n’osent même pas représenter ce type de réforme là et se contentent de faire croire qu’il y aurait une réforme possible au sein du capitalisme et dans laquelle les salariés pourraient acquérir des droits nouveaux. Mensonge ! Baratin ! Billevesées !

Le capitalisme n’envisage l’avenir que comme une agression de plus en plus violente contre les droits, le bien-être, les moyens distribués aux salariés. Ce n’est pas seulement la loi El Khomri qui fait reculer le droit du travail vers les relations de classe d’un passé ancien, c’est toute la politique des gouvernants, dans le monde entier, qui mène à l’attaque violente contre les droits et le niveau de vie des travailleurs, des retraités et des chômeurs. Et ce n’est pas une mauvaise politique qu’il suffirait de combattre mais une nécessité pour un système capitaliste complètement effondré. C’est pour cela que la démocratie bourgeoise laisse de plus en plus place à une politique d’extrême droite, d’une politique violente vis-à-vis des peuples comme des travailleurs, d’une politique de guerre à outrance, intérieure et extérieure.

Et, dans ces conditions, le syndicalisme, comme l’un des éléments de la démocratie bourgeoise et de l’entente relative des classes exploiteuse et exploitée, est en bout de course. L’accommodation du mouvement ouvrier à la domination capitaliste est complètement dépassé, du moment que le capital privé n’investit plus pour employer de la main d’œuvre et développer la production. Dans les mois et années à venir, démocratie et capitalisme vont être de moins en moins compatibles. Il ne suffira pas que les syndicats avalent toutes les couleuvres et acceptent de négocier ce qui n’est pas du tout négociable, il sera inévitable que les classes dirigeantes souhaitent de plus en plus de se passer de toute démocratie bourgeoise et, du coup, aussi des syndicats. Certes, les travailleurs devront se battre aussi pour défendre la démocratie mais ils devront le faire sur leurs propres bases de classe et donc surtout pas derrière les dirigeants syndicaux qui, eux, sont attachés par mille liens à l’Etat bourgeois et à la classe dirigeante.

Dans la période qui vient, il est indispensable que des militants ouvriers prennent leur indépendance vis-à-vis des appareils syndicaux même s’il est logique que ces appareils rendent la chose plus difficile que jamais.

Il est indispensable qu’apparaissent des militants ouvriers capables de permettre à la classe ouvrière d’intervenir sur le plan politique, des militants qui aient conscience que la perspective n’est pas de défendre des droits au sein du système mais de renverser celui-ci. Il est indispensable que ces militants sachent que l’Etat n’est pas au dessus des classes sociales. Ce n’est pas Hollande, ce n’est pas Sarkozy qui sont entièrement du côté des patrons, c’est tout l’Etat et tous ceux qui prétendent le gouverner. En faisant comme si l’Etat était le point de rencontre de toutes les influences des classes opposées, les syndicats contribuent au principal mensonge politique et social qui plombent les travailleurs.

Dans les grèves et manifestations du 31 mars, les travailleurs et les jeunes se sont mouillés mais pas les dirigeants syndicaux, au sens où ils ne se sont nullement engagés dans une lutte rompant radicalement avec le passé de collaboration de classe, bien au contraire.

Certains diront : vos critiques des centrales syndicales ne sont pas fausses mais leur journée peut nous servir à lancer une action plus déterminée, plus générale, plus forte. Peut-être mais à condition de cesser de suivre ces faux dirigeants des luttes qui ne sont que les organisateurs de toutes les défaites…

A ceux qui nous disent que la seule possibilité, c’est de nous promener derrière les centrales syndicales, la meilleure réponse est la parole fameuse de Blanqui :

"La réaction n’a fait que son métier en égorgeant la démocratie. Le crime est aux traîtres que le peuple confiant avait acceptés pour guides et qui l’ont livré à la réaction... Oh ! Ce sont là de grands coupables et entre tous les plus coupables, ceux en qui le peuple trompé par des phrases de tribun voyait son épée et son bouclier ; ceux qu’il proclamait avec enthousiasme, arbitres de son avenir. Malheur à nous, si, au jour du prochain triomphe populaire, l’indulgence oublieuse des masses laissait monter au pouvoir un de ces hommes qui ont forfait à leur mandat !...
Discours, sermons, programmes ne seraient encore que piperies et mensonges ; les mêmes jongleurs ne reviendraient que pour exécuter le même tour, avec la même gibecière ; ils formeraient le premier anneau d’une chaîne nouvelle de réaction plus furieuse !...
Mais, pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d’arbres de la liberté, par des phrases sonores d’avocat, il y aura de l’eau bénite d’abord, des injures ensuite, enfin de la mitraille, de la misère toujours. Que le peuple choisisse !"

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