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Capitalistes juifs et fascisme en France

vendredi 18 mars 2016, par Robert Paris

Bourgeoisie française fasciste ! Et la bourgeoisie juive française ?

Par la suite, ils seront quasi tous blanchis !!!

Capitalistes juifs et fascisme en France

C’est le grand capital qui a fait le choix du fascisme en Allemagne. Il convient de le rappeler. Lire ici

Et c’est aussi le grand capital qui a fait le choix de l’antisémitisme. Lire ici

Le mythe voudrait faire croire que la bourgeoisie juive a été traitée comme le reste de la population juive et qu’elle se serait entièrement retrouvée aux côtés des Alliés contre le fascisme. Cela est faux.

Si certains éléments de la bourgeoisie juive, au lieu de se réfugier en Angleterre ou aux USA, sont restés sur place et ont collaboré avec les nazis, ce n’est pas par haine des Juifs mais par haine de prolétaires, par anti-communisme, par choix de classe… Il n’y a aucune différence alors entre eux et l’ensemble des patrons français qui, pour l’essentiel, ont collaboré sans le moindre état d’âme.

Il y a eu des grands bourgeois juifs qui ont collaboré. Prenons un exemple : Hippolyte Worms, banquier, et son associé Michel Goudchaux, tous deux juifs et tous deux capitalistes, tous deux pétainistes convaincus. Hyppolite déclarera : « Il y avait dans la banque Worms un seul aryen à 100% : Jacques Barnaud. » Cela n’empêchera pas cette banque d’être le bras financier de Pétain !

Autrefois, il faut se rappeler que la presse antisémite concentrait ses attaques sur quatre noms : Rotschild, David-Weill, Louis-Dreyfus et Worms. Les banques juives de France sont Lazard, Worms, Heine, Louis-Dreyfus et Stern. Les administrateurs de banques juifs sont David Weill, Pereire, Fould, Bloch-Lainé, Mendelsohn, Michel Goudchaux, Georges Dreyfus, René Mayer, Marcel Bloch (futur Dassault).

Hippolyte Worms, né en 1889, est le petit-fils du fondateur, prénommé également Hippolyte, de la société Worms spécialisée dans le fret maritime, la logistique et le commerce de gros. Il fonde les Services bancaires en 1928 qui deviendront la banque Worms.
Hippolyte Worms développe le groupe Worms dans les activités de construction navale dès 1916, ainsi que dans les activités financières et d’investissement. Il joue un rôle majeur dans le paysage industriel français des années 1930.
Malgré ses origines juives, il a été accusé de collaboration. Sous l’occupation, le directeur de la banque Worms est Gabriel Le Roy Ladurie. Bien que dénoncée comme juive, la banque prospère sous l’Occupation. De 1938 à 1944, les avoirs de la banque auraient été multipliés par trois.

La Banque Worms était bien introduite au sein du régime de Vichy, avec notamment Jacques Barnaud (1893-1962), responsable des relations économique franco-allemandes, Jacques Guérard, président du Comité d’organisation des assurances, devenu secrétaire général du gouvernement en avril 1942, Pierre Pucheu, employé de la banque et secrétaire d’État à l’Intérieur du gouvernement de Vichy de juillet 1941 à avril 1942 ou encore Gabriel Le Roy Ladurie, directeur de la banque de 1940 à 1944. Cette entente des cadres de la banque et de certains responsables de Vichy, partisans d’un gouvernement technocratique, avait été condamnée par des politiciens collaborationnistes, tels que Marcel Déat sous le terme de Synarchie. De 1938 à 1944, les avoirs de la banque auraient été multipliés par trois.
L’influence très étendue de la banque Worms dans la collaboration économique industrielle et financière franco-allemande a commencé bien avant l’élection d’Hitler et s’est encore accrue ensuite avec le IIIe Reich.
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Petit topo historique sur la banque qui avait un rôle pivot dans la synarchie française des années 30. La synarchie a financé des ligues fascistes puis des partis fascisants, et la banque Worms illustre parfaitement cette atmosphère de l’entre-deux-guerres, quand le capital, appelons un chat un chat, a tenté - dès les années 20 - de renverser la République avant de se rabattre sur Hitler et autres Franco, Pétain, Mussolini ou Salazar.
La banque WORMS est emblématique de ce qu’on appelle la synarchie des années 20-30. La synarchie a notamment instrumentalisé les ligues fascistes et des partis d’extrême droite des années 30 (comme le Parti populaire français, PPF), qui ont tenté au moins quatre coups d’Etat fascistes en France, comme le 6 février 1934. La synarchie, c’étaient une douzaine de gros banquiers et industriels français, résolus à peser de tout leur poids sur le gouvernement de la France. En Angleterre, Italie, Espagne ou dans le Reich, on retrouvait le même processus, toujours piloté par des banques internationales et par les banques centrales.
Rappelons que les banques centrales appartiennent à des actionnaires privés. Par exemple, en France on parlait des "200 familles", ou du "mur de l’argent" (dixit Blum), pour évoquer le pouvoir de la Banque de France. Vichy et l’emblématique Laval étaient l’incarnation de la politique synarque en France.
L’intérêt principal d’une dictature fasciste, pour ces banquiers et industriels, était que les mouvements sociaux y sont tués dans l’oeuf. Ensuite, cela leur permettait de contrôler de très près les gouvernements, via des prêts concédés aux Etats. Si les gouvernements ne suivaient pas les recommandations de la synarchie, eh bien ils étaient renversés, on arrêtait les prêts et la situation devenait vite impossible (c’est ce qui est arrivé à Blum, entre autres).

En Allemagne, la synarchie a financé le parti nazi depuis le début des années 30, afin de faire monter Hitler jusqu’où l’on sait. En Angleterre, une partie des élites (synarques) comme Lloyd Georges ou lord Halifax (ministre des Affaires étrangères de 1937 à 1941), voulaient trouver des arrangements avec Hitler, Franco, Muissolini, Salazar (Portugal) mais aussi Vichy. On reviendra sur les manipulations qui ont conduit à la défaite française face au Reich.

Les banques comme Rothschild, Lazard, la banque d’Indochine ou la banque Worms ont donc financé de nombreux groupuscules fascisants dans l’entre-deux-guerres. En 1938, le PPF de Doriot appelle ainsi à s’unir avec le Reich, contre l’URSS.

Revenons à la Banque Worms. Créée à la fin de la Première Guerre mondiale par Hippolyte Worms et le gouvernement français afin de financer l’effort de guerre, il s’agit en fait d’un conglomérat d’industries (dont la Lyonnaise des eaux, Saint Gobain, Air France...). Certains des membres de ce conglomérat sont ensuite présents dans le gouvernement de Vichy.

Le président de la banque Worms, Gabriel Leroy-Ladurie, prend contact avec l’ancien du PCF, Jacques Doriot, en 1936. Le Front populaire vient de remporter les élections, et l’heure est grave pour les banquiers et industriels français. Ils décident de créer un parti d’exrême droite, financé par le patronat, le Parti populaire français. Antisémite et antibolchévique, il prône la "révolution nationale". Pacifiste afin de mieux laisser le Reich imposer sa loi, le PPF perd rapidement son prestige, ainsi que le financement du patronat. A l’origine, il regroupait d’anciens communistes et des membres des ligues fascistes interdites, comme Solidarité française (photo du haut), Action française ou les Jeunesses patriotes.
Ensuite, la synarchie se repose sur la Cagoule, une sorte de regroupement de membres des anciennes ligues, et mise sur le duo Pétain-Laval jusqu’en 1941-1942, quand le vent commence à tourner avec l’entrée en guerre des Etats-Unis. Mais nous y reviendrons. Après cela, la synarchie se rabat sur Darlan, qui devient le n°2 du gouvernement de Vichy, successeur attendu de Pétain, avant d’être - fort opportunément - assassiné en décembre 1942. Pendant son passage à Vichy, il a fait rentrer toute une clique de la banque Worms dans le gouvernement.

On retrouve ainsi Pierre Pucheu, directeur de plusieurs sociétés du groupe Worms, dont l’usine Japy, qui a également financé des ligues fascistes. Pucheu s’est retrouvé secrétaire d’Etat à la Production industrielle puis à l’Intérieur à Vichy. Il a été le délégué à Vichy de Worms et du Comité des Forges, le puissant lobbie patronal des industries métallurgiques et sidérurgiques ( la famille Wendel, de laquelle est issu le baron Ernest Antoine Sellière, ex chef du Medef et chef aussi du fonds d’investissement Wendel, y était très importante). Ancien membre du PPF, Pucheu a été la courroie de transmission des financements du groupe Worms et de la synarchie en général vers le PPF. Il a été l’un des seuls patrons collaborationnistes fusillés, en 1944.

A Vichy, on retrouve encore Jacques Barnaud, l’un des trois directeurs généraux de la banque Worms, au poste officiel de délégué général aux Relations économiques franco-allemandes jusqu’en décembre 1942. Mais officieusement il semble qu’il assumait les fonctions d’autres membres du gouvernement comme par exemple celles de René Belin au Travail. Accusé de collaborationnisme, il a bénéficié d’un non-lieu en 1949, et rejoint la banque Worms à la demande d’Hippolyte Worms (le petit-fils du fondateur). Barnaud avait aussi crée la revue Nouveaux Cahiers à la fin des années 30. Celle-ci préconisait une collaboration économique soutenue avec le Reich. D’autres synarques notoires et collaborationnistes y ont participé, comme Georges Albertini ou Boris Souvarine.

Nous avons aussi François Lehideux (gendre de Louis Renault, il devient directeur général des usines Renault à partir de 1934), qui a été secrétaire d’Etat à la Production industrielle en 41-42. Emprisonné à la Libération pour actes de collaboration, il bénéficie lui aussi d’un non-lieu en 1949. Le groupe Renault faisait également partie du conglomérat de la banque Worms.

Un autre personnage, que j’ai déjà cité parmi les collaborateurs de la revue Nouveaux Cahiers, est un dénommé Georges Albertini, ancien dirigeant de la SFIO jusqu’en 1939, passé au Rassemblement national populaire de Marcel Déat, rassemblement antisémite, collaborationniste et raciste duquel il était le n°2. Albertini était surtout "conseiller technique permanent" de la direction du groupe Worms depuis le début de la guerre, il rejoint Hippolyte Worms à Fresnes mais aussi après avoir été libéré (il a été emprisonné pour intelligence avec l’ennemi, relâché en 1948 et amnistié en 1951) pour prendre en charge différentes revues subventionnées par le patronat et y faire de la propagande anticommuniste. Parmi ces revues, citons le Bulletin d’études et d’informations politiques internationales (BEIPI), "commandité par le patronat" français (selon une note des renseignements américains), positionné à l’extrême droite et très axé sur la propagande anticommuniste. Il est aussi parmi les fondateurs de l’Institut d’histoire sociale (IHS) en 1954, financé uniquement par la CIA comme le Sénat US le révèle en 1967, et foncièrement antibolchévique. Après la mort de Worms en 1952, Albertini était toujours rémunéré par le groupe.

Albertini est resté dans la sphère politique jusqu’à sa mort en 1983, très sollicité par certains membres de la droite comme Pompidou, Alain Madelin ou Marie-France Garaud. Sous le gouvernement de Vichy, il a été directeur général du cabinet de Déat au Travail et à la Solidarité nationale. Pendant l’Occupation il a été l’un des membres éminents, à l’instar de Marcel Déat, d’un certain Cercle européen (autoqualifié de "centre de collaboration économique européenne"), un groupe fasciste et intrinsèquement antisémite dont Louis Ferdinand Céline aurait également été membre, et c’est pour cela qu’il a été arrêté en 44.

Une note des services secrets US (le COI, futur OSS), citée par l’historienne Annie Lacroix Riz qui a eu le courage, disons-le, de faire des recherches au sujet de la synarchie des années 20-30 et de les publier, dit que les hommes de Worms à Vichy utilisent leur poste pour "collaborer pleinement avec les Allemands". La note (p. 7 du doc pdf), datée de 1942, dit ceci : "On peut s’attendre à ce que les membres de ce groupe cherchent leur propre protection en cas de victoire alliée ou allemande, et mettent leurs importantes relations internationales au service du vainqueur, quel qu’il soit. Ils oeuvreront à une paix négociée impliquant une réorganisation de l’Europe sur des bases libérales et qui les laisserait jouir de leur autorité financière, industrielle et politique."

On pourrait continuer longtemps à énumérer les imbrications entre une certaine catégorie d’industriels et banquiers français, et la collaboration, politique et économique. Le cas de la banque Worms, bien que symptomatique, est loin d’être isolé, mais il est intéressant pour aborder la période de manière un peu réaliste, pour une fois. D’ailleurs, le grand nombre de banques nationalisées après la Libération (Crédit Lyonnais, Société Générale, BNCI, Paribas, Crédit industriel et commercial...) prouve que la collaboration économique était plus que banale pendant l’"Occupation", et les SS eux-même ont dit que sans l’aide des banquiers et industriels français, il leur aurait été bien plus difficile de mettre la main sur l’économie du pays.

Il y a eu aussi des organisations juives qui ont collaboré…

Après l’occupation de Paris, en juin 1940, le consistoire se replie sur Lyon, laissant à Paris l’ACIP, Association consistoriale des israélites de Paris. Dès août 1940, l’ACIP est sollicitée par Theodor Dannecker, le représentant de la SD (branche de la Gestapo) à Paris pour se déclarer représentante officielle de la judéité française. Les attributions du Consistoire se limitant au seul culte, l’ACIP commence par se récuser mais accepte sous la pression allemande de constituer en janvier 1941 un Comité de coordination (CC) qui comprend, en plus de comité de bienfaisance de l’ACIP des représentants de la rue Amelot et de l’OSE. Dans les mois qui suivent sa création, le comité reste sous la direction prépondérante des hommes de l’ACIP, mais en mars, Dannecker avait imposé Israël Israelowicz et Wilhelm Biberstein, venus de Vienne pour être ses « hommes de liaison et de contrôle personnels ». André Baur, neveu du grand rabbin Julien Weill devient secrétaire général du Comité. À partir de juillet 1941, de fortes tensions apparaissent entre le Comité et les populations immigrées : le 20 juillet pour faire face à une manifestation de 500 femmes d’internés, Israelowicz demande la protection de Dannecker. Le Comité réussit à obtenir la libération d’un certain nombre d’internés, mais les immigrés s’éloignent de plus en plus du Comité. En août 1941, Dannecker exige 6 000 Juifs pour des « travaux agricoles » dans les Ardennes. Le Comité demande alors des volontaires exclusivement parmi les immigrés. Les volontaires sont peu nombreux et comme mesure de rétorsion, les Allemands organisent une rafle de 3 200 Juifs étrangers et 1 000 Juifs français qui sont internés à Drancy. Fin août, l’ACIP adhère officiellement au Comité.

Rajsfus écrit :

« Les représentants les plus éminents de la bourgeoisie juive
française ne se font jamais faute de se poser en maître à penser,
particulièrement lorsqu’il s’agit de montrer le droit chemin à la
jeunesse. Les porte-parole de l’establishment espèrent que les
enfants d’immigrés, nés en France, ou encore suffisamment
jeunes pour s’adapter, deviendront de bons citoyens soumis et
dociles. Ainsi, le 20 décembre 1936, six mois après les grandes
grèves de juin, l’un des dirigeants de l’Ecole du travail (ORT)
s’adresse en ces termes aux élèves :

« ... Jeunes ouvriers, vous entrez dans un milieu agité
par des remous divers, où règne une effervescence souvent
dangereuse. Votre devoir est de n’en rien connaître, de sui-
vre droit votre chemin, de travailler de votre mieux en
vous disant que votre avenir tient dans votre volonté et
votre probité, plus que dans les cahiers de revendications.
C’est à l’atelier et non dans les cortèges politiques que je
veux voir les anciens de l’Ecole du travail... » L’Univers
Israélite, 15 janvier 1937.)

De telles prises de position éclairent d’un jour cru les
intentions des Juifs français vis-à-vis de leurs « coreligion-
naires » venus de l’Europe centrale. (Les fils de ces grands
bourgeois ne fréquentent pas l’Ecole du travail. Juifs ou pas
les jeunes doivent donc apprendre très tôt que durant leur exis-
tence, il y aura toujours les patrons et les ouvriers et qu’il ne
faut pas oublier cette différence sociale.)

Cela va tellement loin que les porte-parole les plus voyants
des Juifs français (dirigeants du Consistoire, rabbins même) ne
manquent pas de s’afficher avec les hommes d’ordre de l’époque
et, particulièrement, les Croix-de-Feu du colonel de La
Rocque. Jusqu’en 1936, on invitera ces fascistes à participer
aux offices patriotiques à la synagogue de la rue de la Victoire.
Il ne s’agit pas là de rencontres de circonstance et l’on verra
des anciens combattants juifs participer à l’émeute fasciste du
6 février 1934. D’ailleurs, c’est avec la bénédiction du prési-
dent du Consistoire de Paris, Robert de Rothschild, que sera
créée, en juin 1934, l’Union patriotique des Français israélites
qui ne cachera jamais ses objectifs et, particulièrement, coller
à la droite française pour que les Juifs français ne puissent pas
être accusés d’être moins nationalistes que les autres citoyens.
Pour mieux conjurer l’antisémitisme renaissant en France, on
va donc s’allier à l’extrême droite. Plusieurs représentants de la
communauté juive française de Paris seront parmi les dirigeants
de la section parisienne des Croix-de-Feu. Assistant à une
réunion des Croix-de-Feu de Paris, le rabbin Jacob Kaplan (5),
de la synagogue de la rue de la Victoire, ira jusqu’à déclarer :
« ... Sans avoir l’honneur d’être inscrit à votre association, je
ne puis m’empêcher de me considérer comme l’un des
vôtres... »

Bien entendu, il n’est pas question de généraliser mais ces
quelques exemples prouvent au moins que les représentants de
la bourgeoisie juive française ne trahissent pas leur classe. Bien
au contraire, pourrait-on dire. Il va sans dire, pourtant, que
cet alignement sur les éléments purs et durs de la droite fran-
çaise est surtout le fait de certains porte-parole officiels. Nom-
breux également étaient les bourgeois juifs français qui se
trouvaient dans le sillage du Parti radical-socialiste d’Edouard
Herriot…

Très vite, les nazis, en accord avec les hommes de
Vichy, comprendront qu’il convient de réaliser « un Judenrat à
la française ». Xavier Vallat, Commissaire général aux Ques-
tions juives, sera chargé de trouver les hommes et les femmes
adéquats et il les trouvera. Sans trop de difficultés. Les prota-
gonistes de cette tragédie, qui n’avaient pas encore réalisé qu’ils
étaient embarqués sur le même radeau que la plupart des Juifs
résidant en France, devaient prendre leur rôle au sérieux. Tous
estimaient sans doute qu’ils étaient les représentants naturels de
ceux qu’ils appelaient leurs coreligionnaires. Tous ces notables,
presque tous français de vieille souche, étaient étroitement liés
au Consistoire israélite. Tous très pratiquants.

On peut dire qu’à des degrés divers, tant en zone nord
qu’en zone sud, les dirigeants de l’UGIF ont été, au début de
l’occupation nazie, un parfait échantillon (au sens statistique du
terme) de la bourgeoisie juive française. Leur attitude parfois
proche de la « coopération » avec les nazis et presque toujours
en conformité de vue avec le gouvernement de Vichy peut
paraître étonnante avec le recul des années. Pourtant, ces
grands bourgeois représentaient à n’en pas douter les intérêts
d’une caste qui, à aucun moment, n’a pu admettre qu’elle se
faisait berner et qu’il lui faudrait partager le sort commun des
Juifs immigrés qui leur étaient parfaitement étrangers.

Le président du Consistoire central, Jacques Helbronner,
ancien membre de Pétat-major de Pétain à Verdun, raisonne
également de la même manière, tout comme Raymond-Raoul
Lambert (futur patron de l’UGIF en zone sud) ancien secrétaire
de Clemenceau. Ils sont tous du meilleur monde et tiennent à le
rappeler mais cette insistance constante sur leur ancienne appar-
tenance au sérail ne sera jamais pour eux un gage de sécurité.
A la limite, ils ne sont plus que des témoins gênants dont il
conviendra de se débarrasser le moment venu même quand ils
auront clamé bien fort leur admiration au chef bien-aimé et leur
attachement au nouveau régime instauré à Vichy. Le 8 décem-
bre 1941, alors qu’il n’y a plus d’illusion à se faire sur la doci-
lité de Vichy envers les nazis, Jacques Helbronner écrit à
Pétain :

« ... Monsieur le Maréchal, je vous en supplie, arrêtez
cette campagne de haine : elle est affreuse, elle augmente
injustement les souffrances des Français qui pleurent avec
vous les malheurs de la patrie. Ces hommes croient en
Dieu, en sa justice éternelle... Croyez, Monsieur le Maré-
chal à mon dévouement fidèle et à ma persistante et res-
pectueuse affection... »

Des Juifs dans la Collaboration, ouvrage de Maurice Rajfus, démontre que de nombreux juifs ont participé activement à la déportation de leurs coreligionnaires pendant la guerre et rend caduque l’argument (dominant aujourd’hui) selon lequel l’État français est seul responsable de la déportation des juifs. Cette distinction entre d’un côté les juifs de France, et de l’autre l’Etat français (donc les Français non-juifs), distinction créée par Jacques Chirac le 16 juillet 1995 au Vel d’Hiv, n’a donc pas lieu d’être. Elle se révèle être ce qu’elle est : une nouvelle discrimination raciale, 50 ans après les faits, dans ce même Vélodrome d’Hiver. Avec, faut-il l’ajouter, l’assentiment officiel des représentants de la communauté juive, comme en 1942.
Aussi insupportable que cela puisse paraître, l’UGIF, ancêtre du CRIF (les juifs de France n’étaient pas représentés à l’échelon national auparavant), mis en place par Pétain et les nazis (l’UGIF était en relation directe avec la Gestapo), aida à constituer des listes de juifs à rafler et à déporter. Maurice Rajsfus témoigne autant qu’il relate les faits. Dans la préface, Pierre Vidal-Naquet explique très clairement que c’est parce qu’aucun historien (lui le premier) n’a voulu réaliser ce travail qu’un journaliste l’a entrepris.
Le livre, qui propose une somme impressionnante de documents d’archives, de témoignages et d’analyses, n’a jamais été réédité depuis 1980. Il n’a jamais été débattu dans les médias, par les politiques ou par la communauté juive. Et depuis qu’une bombe a explosé chez l’éditeur, EDI, l’auteur n’a plus jamais parlé de ce livre.
Seuls quelques exemplaires sont encore disponibles à l’achat. J’ai dû débourser la modique somme de 67 euros (plus de 400 francs) pour acquérir cet exemplaire. Cette situation est-elle normale pour un livre d’une telle valeur historique ? Notons par ailleurs qu’au moins deux autres livres sont sortis depuis sur la question, l’un en France en 2003, l’autre aux USA en 1987 (le New York Times en a fait état). Aucun média français n’a jugé utile de chroniquer ces deux publications.
Maurice Rajsfus développe dans son livre une analyse marxiste : à ses yeux, ce sont des juifs bourgeois qui ont aidé à faire déporter des juifs pauvres. La plupart des membres de l’UGIF, pour ne pas dire la quasi-totalité, étaient en effet des notables. Son analyse ne résiste cependant pas aux faits, car de nombreux notables juifs ont également été déportés. Sans doute Rajsfus cherchait-il à éviter toute accusation en antisémitisme, même si ce marxisme dogmatique pouvait aussi correspondre à son idéologie (et, dans une large mesure, à celle de Vidal-Naquet). En fait, la distinction est plutôt à faire entre juifs français et juifs étrangers, les responsables de l’UGIF étant tous français et ayant sacrifié les juifs étrangers pour protéger les juifs français.
Ce livre lève le véritable tabou qui pèse sur la participation des organisations juives de France à la déportation. L’Histoire n’a pas d’idéologie. Elle se doit d’être une science au service de la vérité, et non une vérité d’État au service d’une dictature intellectuelle. Ce tabou devrait être levé, et ne peut être levé que par les premiers concernés, à savoir le CRIF. Le CRIF compte en effet dans ses rangs, au plus haut niveau depuis de nombreuses années, et encore aujourd’hui, une personnalité qui avait accepté la carte de l’UGIF pour être couvert par cette institution (qu’il réprouvait par ailleurs). Il s’agit d’Henri Bulawko, successivement membre du comité directeur du CRIF, puis vice-président du CRIF et enfin président d’honneur du CRIF.
François Mitterrand a reçu la francisque des mains même de Pétain, un fait qui lui a été reproché quand l’information a été rendue publique par Pierre Péan. Dans le même temps, il n’y eut aucune polémique vis-à-vis de M. Bulawko, ni vis-à-vis du CRIF qui préfère mettre en avant sa création en 1943 par des groupes de résistants juifs, ce qui est tout à fait vrai aussi. Il y eut des activités de résistance au sein même de l’UGIF, de même qu’il y en avait à Vichy. Cela n’empêche pas une organisation juive comme Akadem d’écrire ceci : “On peut cependant reprocher [aux dirigeants de l’UGIF] un aveuglement quant à la réalité de la Shoah et de n’avoir pas appelé les Juifs à se défendre et à se cacher. La plus grande tâche de l’histoire de l’Union est constituée par les maisons d’enfants qui n’ont pas été dispersées à temps, et qui ont été raflées en juillet 1944.”
M. Bulawko a pu gravir tous les échelons du CRIF, jusqu’à en devenir le président d’honneur, alors qu’il avait accepté la carte d’un organisme qui a aidé à identifier puis à déporter les juifs de France, sans que cela ne dérange personne, ni au CRIF, ni dans les médias, ni parmi les politiques. Sous l’impulsion de François Mitterrand, ceux-ci ont préféré accepter de participer, année après année, au dîner annuel du CRIF.
Pourquoi la France a-t-elle dû autant se repentir devant les représentants de la communauté juive, alors que les anciens membres de l’UGIF (qui, rappelons-le, cherchaient à éviter d’être déporté) n’ont jamais eu à répondre devant aucune autorité, ni judiciaire, ni politique, et encore moins médiatique ou communautaire ? “Après la Libération, l’affaire sera étouffée et le procès public évité. Un jury d’honneur sera pourtant constitué, mais il se réunira à huis clos et ses conclusions ne seront jamais connues.” peut-on lire sur la 4e de couverture du livre de Maurice Rajsfus. Ajoutons que ce jury était présidé par Léon Meiss, président du CRIF.

Près de cinquante ans après la guerre, l’Épuration se poursuit en France et à l’étranger. Animée par Serge Klarsfeld, Simon Wiesenthal, Élie Wiesel et un grand nombre d’organisations juives dont le Congrès juif mondial, dirigé par Edgar Bronfman, et, en France, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) (…), cette Épuration suscite encore aujourd’hui de nombreuses procédures judiciaires à l’encontre d’individus réputés avoir commis des « crimes contre l’humanité », c’est-à-dire, pour parler clairement, des crimes contre les juifs. (...) Les pays les plus concernés par ce type d’affaires sont les États-Unis, le Canada, l’Allemagne, l’Autriche, la France, l’Angleterre, l’Écosse et l’Australie. La chasse aux « collabos », comme on appelle ceux qui ont collaboré avec l’Allemagne nationale-socialiste, reste ouverte mais la chasse aux « collabos » juifs, la chasse aux « juifs bruns » reste obstinément fermée.

(…)

Il reste que, dans leur volonté de chercher partout des suspects à traduire devant les tribunaux, les justiciers juifs s’abstiennent de mettre en cause ce que Maurice Rajsfus a pu appeler « une véritable internationale juive de la collaboration nécessaire [selon les Conseils juifs] avec les nazis ».

A l’exemple de Philippe Pétain et de Pierre Laval, beaucoup de responsables juifs ont collaboré par nécessité. La France avait, avec l’Angleterre, pris l’initiative d’entrer en guerre contre l’Allemagne ; l’Allemagne nous avait d’abord vaincus puis, deux ans plus tard, elle appelait tous les Européens à la croisade contre le communisme international qui, il faut bien le reconnaître, était largement d’inspiration juive. La signature d’une convention d’armistice, la nécessité de survivre, la pensée lancinante des Français retenus prisonniers en Allemagne, la lutte contre le communisme et ses méthodes terroristes, toutes ces raisons et quelques autres encore conduisaient Pétain et Laval à pratiquer une politique faite de constantes tractations avec plus fort que soi. De son côté, l’Union générale des israélites de France (UGIF) cherchait, elle aussi, à composer avec les Allemands.

Pendant l’été 1944, alors que se poursuivaient les exécutions sommaires des « collabos », commença la saison des juges, avec une justice à plusieurs vitesses : rapide pour la collaboration politique, lente pour la collaboration économique, nulle pour la collaboration juive.

Pendant qu’une justice expéditive permettait de fusiller notamment des écrivains et qu’une justice selon les normes prenait tout son temps pour examiner le dossier des constructeurs du mur de l’Atlantique, de Gaulle et les communistes toléraient qu’à de rarissimes exceptions près les juifs se jugent entre eux pour faits de collaboration. Des « tribunaux d’honneur » étaient constitués pour juger et finalement acquitter tous les juifs. Dans ces tribunaux figuraient des juifs qui avaient passé toute la guerre aux États-Unis ou en Suisse.

L’affaire de l’UGIF

(...)

L’Union générale des israélites de France (UGIF) fut fondée le 29 novembre 1941. L’UGIF-Nord commença à fonctionner en janvier 1942 et l’UGIF-Sud en mai 1942. Les responsables les plus connus en furent André Baur, Georges Edinger, Raymond Geissmann, Gaston Kahn, Raymond-Raoul Lambert, Albert Lévy et Marcel Stora. Elle fut en rapports constants avec la « Gestapo », c’est-à-dire, en fait, avec le Service de sûreté allemand (notamment Theodor Dannecker et Aloïs Brunner) et avec le Commissariat général aux questions juives établi par le gouvernement du maréchal Pétain (avec, pour responsables successifs, notamment Xavier Vallat et Louis Darquier de Pellepoix).

En 1943, certains responsables de l’UGIF furent internés à Drancy pour diverses raisons, puis déportés et ne revinrent pas de déportation mais d’autres exercèrent leurs responsabilités jusqu’à la dissolution de l’UGIF en septembre 1944, après le départ des Allemands de Paris. En août 1944, Georges Edinger fut interné quelques jours à Drancy comme suspect de collaboration puis relâché.

On pouvait – et on peut encore – reprocher à l’UGIF d’avoir contrôlé la population juive de France pour le compte des Allemands, d’avoir incité les juifs à l’obéissance aux lois allemandes et de Vichy, d’avoir coopéré à la préparation des rafles (sans en prévenir les intéressés) et d’avoir, en particulier, aidé les Allemands à se saisir des enfants juifs qui étaient hébergés dans des homes placés sous son contrôle (ce fut le cas, par exemple, pour les enfants d’Izieu).

A la date du 9 février 1943, l’effectif de l’UGIF-Nord comptait, à elle seule, neuf cent dix-neuf employés ; parmi les diverses catégories de personnel appointées en zone nord se trouvaient... vingt huissiers. En 1942, l’UGIF possédait des bureaux en quatorze villes de la zone nord, dont Paris, et en vingt-sept villes de la zone sud, dont Vichy. Il fallait également compter, à Paris et en banlieue, quelques dizaines d’établissements à caractère social (cantines, ouvroirs, dispensaires, écoles, patronages, etc.) et, en zone sud, de nombreux homes d’enfants et des fermes-écoles, particulièrement dans la Creuse.

Les fonds, considérables, provenaient, pour la zone nord, principalement des biens confisqués aux juifs par les autorités allemandes ou françaises et, pour la zone sud, principalement de l’argent distribué, en pleine guerre, par le fameux American Jewish Joint Distribution Committee. Plus connu sous le nom de « Joint » (Joseph Schwartz à Lisbonne et Saly Mayer à Berne), ce comité distribua, pendant toute la guerre, avec l’assentiment des Allemands, de considérables sommes d’argent aux juifs, y compris aux juifs de Berlin en 1944 et il envoya des colis aussi bien dans des camps de concentration que dans des ghettos. Le « Joint » avait été fondé en 1914 par le banquier Felix Warburg. L’UGIF reçut également des subsides de l’État français et bénéficia de l’aide du syndicat des banques françaises. Ce fut le cas, par exemple, à la suite d’une sanction financière d’un milliard de francs imposée par les Allemands à cause d’une série de graves attentats perpétrés contre des membres de la Wehrmacht : l’UGIF obtint un prêt qui lui permit de ne pas taxer les juifs et de ne pas recourir à son propre argent ; en fin de compte, elle ne versa aux Allemands que le quart du prêt et conserva par devers elle le reste de l’argent. Après la Libération, l’affaire de l’UGIF sera étouffée et le procès public évité. Un jury d’honneur se réunira sous la présidence de Léon Meiss, président du CRIF. Il acquittera les accusés en première instance et en appel. Les pièces du procès n’ont jamais été publiées. Personne ne sait ce que sont devenus les sept cent cinquante mille francs que s’est appropriés l’UGIF : le CRIF se les est-il, à son tour, appropriés ?

(...)

L’affaire du consistoire central

Le Consistoire central des israélites de France, fondé en 1808, quitta Paris pour Lyon en 1940. Il refusa d’abord toute représentation au sein de l’UGIF et voulut sauvegarder son indépendance et la maîtrise de ses propres fonds. Il conserva des liens privilégiés avec l’Aumônerie générale israélite et le grand rabbinat. Son président, Jacques Helbronner, entretint des rapports suivis avec le maréchal Pétain qu’il rencontra à vingt-sept reprises et en qui il voyait le « père de la patrie ». Il fut arrêté par les Allemands le 19 octobre 1943 pour des raisons obscures ; il fut déporté et ne revint pas de déportation. Son successeur fut Léon Meiss (1896-1966) qui fonda le CRIF en 1944. Le Consistoire multiplia, bien sûr, interventions et protestations en faveur des juifs mais tint jusqu’au bout à observer une attitude légaliste qui, à bien des Français non juifs, devait valoir, pour « collaboration avec l’ennemi », l’exécution sommaire, la potence ou la prison. On lui attribue parfois une protestation datée du 25 août 1942 mais ce texte, que publie S. Klarsfeld dans son Mémorial de la déportation des juifs de France (d’après des documents du CDJC de Paris), est hautement suspect ; il ne porte, en particulier, ni en-tête, ni signature ; il s’agit d’un texte dactylographié anonyme et manifestement incomplet.

Les archives du Consistoire central sont actuellement soustraites à la communication pour la période postérieure à 1937. Il faudrait, semble-t-il, attendre l’an 2037 pour les voir ouvrir aux chercheurs. Elles ont été déposées aux Archives des Hauts-de-Seine (à Nanterre) avec, peut-être, une copie à l’Université hébraïque de Jérusalem. Maurice Moch, archiviste du Consistoire central, aurait écrit un ouvrage sur le Consistoire central pendant les années 1939-1944 mais ce texte, truffé de documents, nous dit-on, n’a pu encore voir le jour.

L’affaire de Drancy

En 1939, le gouvernement Daladier avait ouvert cent quatre camps d’internement en France pour les civils allemands, y compris au stade Yves-du-Manoir à Colombes et au stade Roland-Garros. Au Vel’ d’hiv’, douze mille femmes allemandes et autrichiennes étaient internées. En août 1944, des milliers de Français suspects de collaboration allaient à leur tour être conduits au Vel’ d’hiv’ – dans des conditions, parfois, de grande violence. Les photographies, bien connues, de « juifs parqués au Vel’ d’hiv’ » sont d’ailleurs en réalité des photographies de « collabos », prises par l’AFP ou l’agence Keystone en août 1944. Il en va ainsi de toutes les guerres : les ressortissants d’une puissance belligérante hostile sont internés et l’ennemi réel ou potentiel est « neutralisé » en attendant d’être expulsé, jugé ou relâché. Les bâtiments de Drancy avaient été prévus, avant la guerre, pour être occupés par des gendarmes et leurs familles ; après la Libération, ils allaient servir à l’internement de prisonniers allemands ou de « collabos ». Entre- temps, de 1941 à 1944, Drancy avait servi de camp de transfert pour la déportation des juifs de France vers l’Est. Parmi les soixante-sept mille juifs ainsi déportés, seuls huit mille cinq cents ont été des Français de souche et, parmi ces derniers, figuraient des « sujets français » (c’est-à-dire des juifs d’Algérie) et des « protégés français » (c’est-à-dire des juifs du Maroc ou de Tunisie). On doit ces précisions à Maurice Rajsfus dont le livre sur Drancy, un camp de concentration très ordinaire 1941-1944 développe la thèse selon laquelle les juifs ont une large part de responsabilité dans l’internement de leurs coreligionnaires à Drancy, dans l’organisation et le fonctionnement du camp et dans la préparation des convois de déportés. L’auteur reproche avec raison à Georges Wellers et surtout à Serge Klarsfeld d’avoir soit atténué, soit gommé des réalités déplaisantes pour la réputation des juifs.

Progressivement, les juifs élimineront les autorités françaises et s’empareront des leviers de commande du camp de Drancy ; ils traiteront directement avec les AA (autorités allemandes) et il s’ensuivra une étonnante collaboration dont Aloïs Brunner, en particulier, ne pourra que se féliciter.

Drancy comptera successivement sept commandants juifs : le tricoteur Asken qui sera libéré en novembre 1942 avec les grands malades ; Max Blanor ; François Montel ; Georges Kohn, de mai 1942 à juin 1943 ; Robert Félix Blum ; Georges Schmidt ; Oscar Reich et Emmanuel Langberg. Le Bureau des effectifs est juif ; il établit notamment les listes de déportation. Le personnel juif se répartit en une trentaine de services. Une police juive et un tribunal juif s’installent. Une prison est sous la garde et la responsabilité de juifs. Le 24 octobre 1942 sont créés les M.S., c’est-à-dire les membres du service de surveillance. Les cadres juifs portent un brassard blanc et les policiers juifs un brassard rouge ; trois brigades sont formées avec, pour chacune, un brigadier et sept hommes. Ces autorités juives peuvent au besoin faire appel aux gendarmes français qui, eux, gardent l’enceinte du camp. Des juifs sont, par d’autres juifs, mis à l’amende ou tondus à la suite d’une décision – affichée – du tribunal juif présidé par Pierre Masse et Paul Léon. Ils peuvent être inscrits sur la prochaine liste de déportés. Les juifs eux-mêmes en viennent à parler de « Milice sémitique » ou de « Gestapolack ». Quand Robert Félix Blum constituera son directoire, on pourra dire : « Le ministère Blum II est constitué » par allusion au ministère constitué par Léon Blum en 1936. Les permissions ou les libérations peuvent dépendre du CDP (Chef de la police juive). On crée des « missionnaires », c’est-à-dire un corps de juifs chargés d’aller trouver, à l’extérieur du camp, les familles d’internés et de les convaincre d’aller rejoindre volontairement les internés à Drancy ; ces « missionnaires » sont aussi appelés familièrement des « rabatteurs » ou des « piqueurs ». René Bousquet, responsable de la police de Vichy, apprend la nouvelle et s’indigne auprès d’Oberg de pareilles méthodes (...). Des « physionomistes » juifs s’emploient à repérer des juifs ; « Ost fayer ? » (en yiddish : « As-tu du feu ? »), telle est, par exemple, la question que pose le « physionomiste » à un juif probable ; si l’homme répond, c’est qu’il est juif. En 1943, la Côte d’Azur est devenue le refuge de très nombreux juifs. Les Allemands, qui redoutent de voir de pareils ensembles d’ennemis potentiels se constituer dans une zone de plus en plus sensible vu le développement de la guerre en Méditerranée, la situation militaire et politique en Italie et la possibilité d’un débarquement dans le sud de la France, décident de lancer des opérations de police. Aloïs Brunner se fait accompagner d’Abraham Drucker, le médecin-chef du camp de Drancy, et de spécialistes juifs chargés de vérifier, sous les porches des immeubles, si les hommes interpellés sont circoncis ou non (après la guerre, des médecins alliés feront se dévêtir des suspects pour voir s’il ne s’agit pas de SS portant sous le bras la marque de leur groupe sanguin). Brunner est à tel point satisfait de l’administration juive du camp qu’il fait supprimer barbelés et matraques. La vie s’organise de mieux en mieux avec d’incessantes constructions nouvelles. A Drancy, on célèbre le culte ashkénaze et le culte sépharade. Il y a une école, un jardin d’enfants, des ateliers. Il y a « de l’argent dans le camp, beaucoup d’argent » (Adam Rutkowski, Le Monde Juif, octobre-décembre 1981, p. 143).

Il importe de plaire à la « hiérarchie juive » du camp, dispensatrice de faveurs et de sanctions. Si l’on déplaît, on risque la déportation pour ceux qui la redoutent ou la non-déportation pour ceux qui la souhaitent. On peut demeurer à Drancy ou en être libéré ; on peut obtenir une permission ou se faire détacher dans l’une des trois annexes où la vie n’est pas trop rude : « Austerlitz », « Lévitan » ou « Rue Bassano » dans le XVIe arrondissement. A l’hôpital Rotschild, il semble que la collaboration avec les autorités allemandes ait été particulièrement satisfaisante pour ces dernières.

Après la guerre, Oscar Reich sera condamné à mort et exécuté mais les autres responsables de Drancy ne connaîtront guère d’ennuis avec les nouvelles autorités françaises et les instances juives. Pour les non-juifs, il en va tout autrement. Les gendarmes de Drancy passeront en jugement et, pour certains d’entre eux, seront condamnés. Les policiers français auront des comptes à rendre.

(…)

Les conseils juifs en Europe

Dès la fin de 1939, les Allemands imposèrent la création de « Conseils juifs » pour l’administration des communautés juives de Pologne par villes, ghettos ou provinces. Certains Conseils s’efforcèrent de contrarier la politique allemande, mais la plupart apportèrent une importante contribution à l’effort de guerre allemand. Elles fournirent main-d’œuvre et produits manufacturés. Cette politique de collaboration résolue fut suivie par le fameux Mordechaï Chaïm Rumkowski, le « roi de Lodz », qui alla jusqu’à frapper sa propre monnaie, Jacob Gens de Vilno, Moshe Merin de Sosnowiec en Silésie et Efraïm Barasz de Bialystok. Ces Conseils juifs réprouvaient la lutte armée contre les Allemands et certains allèrent jusqu’à combattre les résistants. L’Allemagne eut sa « Représentation des juifs allemands du Reich », la France son « Union générale des Israélites de France », la Belgique une « Association des juifs en Belgique ». La Hollande, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et, en Grèce, Salonique eurent leurs Conseils juifs. Ceux de Hollande, de Slovaquie et de Hongrie furent particulièrement coopératifs. Grâce à leur collaboration avec les Allemands, beaucoup de juifs assurèrent largement leur subsistance ; certains comme Joinovici et, surtout, Skolnikoff bâtirent de colossales fortunes.

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