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Edito – Et si Le Pen gouvernait en France ?

dimanche 1er mars 2015, par Robert Paris

Edito – Et si Le Pen gouvernait en France ?

En France, comme dans nombre de pays d’Europe, les grands partis classiques de la démocratie bourgeoise, de droite et de gauche, sont parvenus à se discréditer et à s’autodétruire à peu près complètement dans l’opinion. Grèce, Espagne, Italie, Portugal, Belgique ou France ont eu successivement au gouvernement leurs Sarkozy-les salaires suivis de leurs Hollande-les emplois. C’est-à-dire des gestionnaires de la crise sur le dos des classes laborieuses et au profit exclusif du grand capital. Rien d’étonnant qu’ils finissent toujours par favoriser les partis d’extrême droite puisque leur seul discours, de gauche comme de droite, pour détourner le mécontentement populaire fait appel aux démagogies classiques de l’extrême droite : démagogie anti-jeunes, anti-banlieues, anti-musulmans, anti-Roms, anti-immigrés, anti-sans papiers, anti fonctionnaire, anti-syndicale, anticommuniste et anti-ouvrière.

Mais les dérives des politiciens ne sont pas les seules à expliquer la montée de l’extrême droite liée à l’usure de la démocratie bourgeoise. Les promesses non tenues ne sont pas non plus suffisantes pour la comprendre. C’est la confiance dans le système capitaliste lui-même qui est usée, après des années où on nous a dit que le système allait se redresser suite à la crise de 2007-2008. En fait, les milliers de milliards de dollars injectés par les Etats et les banques centrales n’ont pas relancé l’économie et en rien résolue la crise. Le capitalisme ne tient plus qu’à un fil qui sera tranché par la prochaine crise financière, les sommes injectées n’ayant fait qu’accroitre la spéculation et non développer la production.

La seule réponse réelle à cette crise a consisté à faire basculer le monde vers une guerre internationale contre le « terrorisme islamique ». Là encore, gouvernements de gauche comme de droite n’ont fait ainsi que donner crédit aux thèses d’une extrême droite violemment anti-musulmane depuis longtemps.

Une autre raison pousse les politiciens, qu’ils soient de gauche ou de droite, à développer la démagogie anti-musulmane : la nécessité de diviser les travailleurs, de les opposer entre eux afin d’éviter les mouvements sociaux qui pourraient finir par exploser avec la hausse du chômage, de la misère, la baisse du niveau de vie, les réductions des droits sociaux, de la santé, de l’éducation, des services publics. Plus l’Etat abandonne son rôle social, plus il ne valorise plus que son rôle de policier et de militaire. Même s’il le justifie par la sécurité face aux attentats, l’Etat n’est plus que répressif et la démocratie bourgeoise donne de moins en moins d’illusions.

C’est dans l’entreprise, dans l’économie capitaliste, dans le travail, dans la sécurité de l’emploi, dans la sécurité de la retraite aussi que les travailleurs et les milieux populaires ont aussi de moins en moins confiance et cela contribue à déstabiliser la société bourgeoise.

Mais ce qui y contribue le plus en faveur de l’extrême droite, c’est le fait que les couches moyennes, habituels piliers de la démocratie bourgeoise, n’ont plus confiance en l’avenir. Pour elles, la situation semble devoir être de plus en plus bouchée. L’Etat qui n’a rien à refuser aux banquiers et aux capitalistes, laisse chuter les petits bourgeois et ils craignent de ne plus pouvoir vivre dans la situation de couche intermédiaire à laquelle ils tiennent. Dans ce genre de situation, les classes dirigeantes tiennent à faire basculer ces couches moyennes vers l’extrême droite.

Quand la démocratie bourgeoise et le système capitaliste ne laissent plus d’illusions aux masses populaires, les classes dirigeantes, s’estimant menacées dans leur domination, basculent dans le fascisme qui est une manière d’en finir avec les risques de révolution sociale : en détruisant la démocratie et le mouvement ouvrier. On a vécu cela plusieurs fois en Europe, en France notamment.

Bien sûr, des voix pour Le Pen ou même une présidence pour le FN, ce n’est pas encore le pouvoir fasciste en France, mais c’est un symbole d’une évolution dangereuse. Cela signifie qu’une partie de l’opinion publique a suffisamment été remontée contre les musulmans et contre les ouvriers, et cela va ensemble, même si bien des travailleurs n’en ont pas encore conscience. C’est pour affaiblir la classe ouvrière que la bourgeoisie s’attaque à sa fraction la plus exploitée, la plus facile à isoler et à désigner du doigt comme bouc émissaire des insécurités diverses qui découlent en fait toutes de la crise de la société bourgeoise.

Les politiciens des partis bourgeois classiques ont instrumentalisé de longue date la peur de Le Pen et s’en sont servis pour se discréditer ou s’affaiblir mutuellement. On se souvient, par exemple, de François Mitterrand aidant à la médiatisation de Le Pen pour diminuer les voix de la droite. Certes, le parti FN n’est pas différent de nature des autres partis bourgeois. Il n’est pas en soi ni plus sécuritaire, ni plus raciste, ni plus anti-ouvrier. Et c’est un mensonge de présenter les partis bourgeois classiques de paravent de la démocratie contre l’extrême droite. Jamais les partis bourgeois n’ont rien fait pour affaiblir ou combattre l’extrême droite et cette dernière leur doit son crédit qui est seulement constitué de leur discrédit, la gauche et la droite au gouvernement servant de repoussoir vers l’extrême droite.

Bien sûr, il n’y aurait aucune fatalité à ce que l’extrême droite rafle les voix des mécontents de milieux populaires. Il suffirait pour que cela ne se produise pas que les travailleurs soient organisés politiquement. Il suffirait qu’au travers de leurs luttes ils développent non seulement un programme revendicatif commun à toute la classe ouvrière mais aussi un programme politique pour l’avenir de la société, un programme s’adressant non seulement aux travailleurs mais aux chômeurs, aux milieux populaires et aussi aux milieux petits bourgeois, pour les unir contre le grand capital. Sauf que ce sont des syndicats réformistes attachés par mille liens à l’Etat bourgeois et à la société bourgeoise qui dirigent les luttes sociales. Et ils les dirigent d’une manière tout à fait opposée à une telle conception lutte de classe. De telle sorte que la classe ouvrière, qui n’est nullement organisée politiquement, est syndicalement attachée au char de la bourgeoisie et dans l’incapacité de s’adresser à la petite bourgeoisie pour lui proposer de s’unir contre le grand capital.

C’est cette situation qui permet à l’extrême droite d’apparaître comme la véritable opposition aux classes dirigeantes alors qu’en réalité elle n’est nullement opposée aux intérêts de la grande banque et des trusts.

Au moment où la confiance dans les patrons, dans le gouvernement, dans la justice sociale, dans le fonctionnement du système capitaliste, dans les politiciens bourgeois ont toutes chuté, au moment où la classe ouvrière devrait développer, faire connaître ses propres perspectives, au travers des mobilisations sociales et politiques, les travailleurs ne trouvent aucun moyen de développer leurs propres perspectives et de faire croitre leur confiance en eux-mêmes. Les directions syndicales sont parvenues à leur faire perdre confiance dans le fait même de faire grève et encore plus de se battre ensemble et non corporation par corporation, entreprise par entreprise et site par site. Du coup, face à la crise du capitalisme, l’affirmation que le prolétariat représente une autre perspective est intégralement absente, ce qui est la pire des catastrophe face à toutes les extrêmes droites qui ne peuvent qu’en profiter pour apparaître comme la seule alternative, se servant du fait que l’époque où l’extrême droite gouvernait la France est éloignée et a été oubliée.

Compter sur les élections pour « battre Le Pen » ou pour « battre l’extrême droite » est complètement illusoire et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ce sont les partis bourgeois classiques, de gauche et de droite, qui se chargent de favoriser les idées lepénistes, que ce soient l’idée que les Musulmans, les banlieues, les immigrés et les Roms représentent le plus grand danger. Ensuite, les partis classiques vilipendent le Front National mais ils le créditent à chaque occasion comme récemment Hollande recevant Le Pen à l’Elysée, sous prétexte des attentats.

La perspective « de gauche » contre la montée des fascismes est une illusion particulièrement dangereuse. S’unir avec la bourgeoisie « de gauche » contre un mal qui vient de la bourgeoisie elle-même, c’est se tromper d’adversaire. Toute l’histoire passée montre que la gauche n’a jamais servi à battre le fascisme mais, au contraire, à le favoriser.

Mussolini a été lancé en politique par le parti socialiste italien. Le fascisme allemand s’est développé dès 1919 sous la houlette du parti socialiste combattant contre la révolution puis a été amené au pouvoir par Hindenbourg, président élu par le parti socialiste. Franco n’a pu battre la révolution ouvrière espagnole qu’après que le parti socialiste et le parti communiste l’aient désarmée, isolée et démoralisée. Le général Pinochet, ancien chef d’état-major du socialiste Allende a été porté au gouvernement par le socialiste Allende avant même de se servir de ce poste pour faire son coup d’état fasciste contre les travailleurs mobilisés. Pétain a été élu par le parlement du front populaire qui n’avait servi qu’à dévoyer la combativité de la grève générale ouvrière de 1936 avant que les fascistes ne puissent encadrer les masses populaires en cassant les organisations syndicales.

Non seulement la gauche et la droite ne sont pas des points d’appui pour combattre des risques fascistes, mais partis de gauche et de droite peuvent très bien se passer de l’extrême droite pour fasciser la société ou se servir de la montée de l’extrême droite pour jouer eux-mêmes un rôle fasciste, ou encore s’unir à l’extrême droite pour aller au fascisme. Ces divers scénarios se sont déjà produits dans l’Histoire, y compris en France. Dans de nombreux pays, après avoir prétendu s’opposer radicalement à l’extrême droite, gauche et droite ont gouverné avec elle, comme en Italie, en Grèce, en Israël, en Ukraine, etc. Partout où le fascisme a triomphé dans le monde, que ce soit en Italie, en Allemagne, en Espagne, au Portugal, en Grèce ou au Chili, gauche et droite ont été complices et n’ont rien fait pour s’y opposer. Car la seule opposition réelle au fascisme est la classe ouvrière révolutionnaire et tous les partis bourgeois, quelque soit leur couleur politique, préfèrent mille fois le fascisme au communisme !

En fait, l’extrême droite, quand elle bénéficie de ne pas s’être discréditée en participant au gouvernement depuis longtemps, est en fait entrée partout dans le pouvoir bourgeois. Elle participe aux états-majors de la bourgeoisie, dans les hautes sphères du monde des affaires, des financiers, des banquiers, des chefs militaires, policiers, de la justice, des média, des syndicats même, des religions. Jamais la bourgeoisie n’a réellement exclus ni même combattu l’extrême droite. Et ce ne sont pas les prétendues « traditions démocratiques » qui peuvent sauver un pays des risques fascistes comme l’ont bien montré l’Italie démocratique, l’Allemagne démocratique ou la France démocratique qui ont mené à Mussolini, Hitler et Pétain, de manière tout ce qu’il y a de plus institutionnelle et « démocratique », même si c’était à la finale pour détruire la démocratie et tout droit d’organisation du prolétariat….

Ni l’Etat bourgeois, ni « la démocratie », ni la gauche ne peuvent nous défendre contre la montée du fascisme. Quand la société capitaliste bascule dans la violence, il ne sert à rien de pleurer et d’appeler de ses vœux un pacifisme des classes dirigeantes. Il faut changer de manière de lutter et de s’organiser. Il faut se préparer à des affrontements sociaux beaucoup plus radicaux. Il ne faut pas craindre de radicaliser la lutte sociale…

Certains voient dans cette évolution menaçante l’emprise d’idéologies extrémistes et veulent se raccrocher à la démocratie, au rôle de l’Etat, à la culture, à l’éducation… C’est prendre l’effet pour la cause et c’est aussi refuser de s’en prendre aux racines mêmes du fascisme qui monte : les classes dirigeantes elles-mêmes. Pour expliquer cet engouement dangereux, certains incriminent tel ou tel politicien, telle ou telle idéologie, le racisme, l’intégrisme ou la xénophobie, comme si ces idées planaient dans les airs, étaient simplement culturelles et ne se rattachaient pas à un changement économique, social et politique lié à l’évolution du rapport des classes sociales, en somme à la crise de la société capitaliste. C’est cette crise qui désillusionne les classes moyennes, qui fournit des militants à ces courants, qui leur permet d’incarner la révolte des citoyens, et ce sont les classes dirigeantes elles-mêmes qui leur fournissent les occasions, les moyens, les buts.

La base de la montée de l’extrême droite est dans la chute des classes moyennes et dans la perte des espoirs de ces classes dans un avenir économique qui se dérobe. C’est une base matérielle et non idéologique. Et même l’idéologie n’est pas fondamentalement liée à une culture ou à une communauté, même si les idéologies dépendent d’une culture et d’une communauté. Les classes moyennes ont la haine parce qu’elles sont paupérisées et elles auraient été calmes et obéissantes si elles croyaient à leur réussite dans le cadre du système.

Mais c’est d’abord les classes dirigeantes qui entretiennent l’extrême droite, ses organisations comme son idéologie. Et tout d’abord l’impérialisme. C’est l’impérialisme dominant du monde qui a eu besoin de mettre en place cette fameuse opposition entre Musulmans et non-musulmans. Et s’il l’a fait c’est fondamentalement pour occulter une autre opposition diamétrale, bien plus réelle, celle entre oppresseurs et opprimés.

Démontrer que les prolétaires sont capables de se battre contre le banquiers, les spéculateurs, les trusts et autres bandits capitalistes, c’est aussi une des manières d’entraîner derrière les travailleurs et vers le socialisme, des couches paupérisées des classes moyennes et donc de couper l’herbe sous le pied du fascisme tant qu’il est encore temps…. Inversement, si les travailleurs suivent de manière timorée les dirigeants syndicalistes ou les politiciens de gauche, s’ils se contentent de marches sans perspective et d’élections pour un faux changement, ils laisseront les fascistes offrir des fausses perspectives aux couches sociales paupérisées et toute la société humaine connaîtra à nouveau les horreurs du nazisme, ce sous-produit du capitalisme en crise.

Messages

  • Les USA reconnaissent Le Pen !

    La patronne du Front national foulait mardi soir le tapis rouge du gala annuel de Time Magazine à la faveur de son apparition dans le classement des 100 personnalités les plus influentes.

    Cette fois, Marine Le Pen est de retour aux États-Unis, et le tapis rouge a été déroulé pour elle. Littéralement : mardi soir, la patronne du Front national a foulé celui l’accueillant dans le Lincoln Center, épicentre culturel de Manhattan dans l’Upper West Side, où se tenait le Gala annuel de Time Magazinecouronnant les cent personnalités les plus influentes du monde. Son festival de Cannes à elle.

    Pendant cinq minutes, selon Europe 1, elle a joué le jeu des photographes, en robe de cocktail bleu pétrole, accompagnée de son compagnon Louis Aliot, le vice-président du FN, en smoking pour l’occasion.

  • Banaliser le Front National, c’est le pouvoir « socialiste » qui s’en charge !

    Le commentaire dans lequel le président français François Hollande compare le FN (Front national) néo-fasciste au PCF (Parti communiste français) stalinien des années 1970 est une tentative réactionnaire de donner au FN une couverture populiste de « gauche ». Il a fait la remarque lors d’une édition spéciale de l’émission d’actualité « Supplément » sur Canal plus, où il est apparu pour essayer de détourner la colère croissante face à sa politique d’austérité.

  • L’Express explique que le patronat bascule au Front National :

    Surfant sur le désarroi des petits patrons face aux difficultés, le Front national tisse peu à peu ses réseaux dans les milieux patronaux. "Au départ, c’était surtout des petits commerçants et des artisans. Mais maintenant, ce sont des chefs d’entreprise, des dirigeants, des cadres qui affluent et qui ne rechignent plus à s’afficher ouvertement", prétend Thibaut Monnier.

    Il s’agit des autres, des patrons de PME, des commerçants, bien sûr, mais aussi des chefs d’entreprise et des cadres lambda que l’on a plutôt l’habitude de croiser au Medef ou à la CGPME.

  • Madame Le Pen, considérée par la bourgeoisie comme désormais respectable, pense toujours à s’appuyer sur le racisme anti-immigrés pour développer sa politique raciale et raciste.

    La présidente du Front national, Marine Le Pen, a déclaré ce jour souhaiter "faire tendre vers zéro" la politique de l’asile, au lendemain de l’adoption définitive par le Parlement de la réforme du droit d’asile.

    "Marine Le Pen propose une rupture totale dans la politique de l’asile afin de la faire tendre vers zéro, par l’arrêt de toutes les aides sociales et de logement aujourd’hui destinées aux demandeurs d’asile pour tarir les sources, l’élargissement du nombre de pays à partir desquels la demande d’asile vers la France est interdite, la reconduite rapide et systématique à la frontière des déboutés de l’asile, et le retour de nos frontières nationales après dénonciation des accords de Schengen", plaide-t-elle dans un communiqué.

  • Qui a fait voter Le Pen, c’est le système, ce sont les classes dirigeantes ! Qui a convaincu que l’ennemi principal était les roms, les migrants, les sans papiers, les fonctionnaires, les syndicalistes radicaux, les travailleurs, les musulmans, c’est tout le personnel politique classique de gauche comme de droite ! Qui a créé la situation dans laquelle la population travailleuse ne croit plus en sa propre force, ce sont les appareils syndicaux trop liés au système pour le combattre ! Qui a discrédité la seule idée qui s’oppose aujourd’hui au nationalisme exacerbé de l’extrême droite, celle de la lutte des classes, ce sont les réformistes social-démocrates et la droite social-libérale !

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