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Le cocon familial, doux, protecteur, rassurant, sécurisant et valorisant…

mardi 13 janvier 2015, par Robert Paris

Le cocon familial, doux, protecteur, rassurant, sécurisant et valorisant…

« Familles je vous hais ! foyers clos ; portes refermées ; possessions jalouses du bonheur. »

André Gide dans « Les nourritures terrestres »

Plus la société est en crise, plus l’économie s’effondre, plus la population tâche de se raccrocher à ce qu’elle croit être un pilier solide, la famille… Dans l’idéologie dominante, la morale, la mode et autres modèles à deux balles de la société actuelle, la famille unie et durable reste la clé de voûte d’une vie réussie, aussi bien pour s’insérer dans la société que pour s’accomplir dans leur vie professionnelle ou être à leur tour de « bons parents » qui enverront leurs enfants sur les chemins de la réussite sociale…. Mais, en dehors de ce discours moral, du discours des média, de celui des hommes politiques, qui tous tressent des lauriers à la famille, qu’est-elle réellement ?

Loin d’être un lieu sûr, une protection de l’enfance, la famille est un moyen sûr de transmission de cette oppression et de cette violence individuelle et sociale. Pas plus que l’Etat n’est né pour protéger les citoyens, la famille n’a pas été instituée pour protéger l’enfant mais pour donner charge aux parents de rendre l’enfant adapté aux critères sociaux et aux lois des oppresseurs. Au sein de la famille, nul n’est particulièrement protégé car le mal n’est pas à l’extérieur mais tout autant à l’intérieur. Les plus opprimés, les plus menacés le sont aussi au sein de la famille et plus facilement même au sein de celle-ci.
Une femme meurt tous les deux jours battue par son compagnon, et deux enfants meurent par jour sous les coups ou mauvais traitements de leurs parents !!!

Le premier viol, la première violence, la première oppression, la première exploitation, le premier sexisme, le premier racisme, la première soumission, le premier fatalisme, le premier machisme viennent souvent au sein de la famille, et par des membres de la famille.

« La maltraitance des enfants par leurs parents est un phénomène de santé publique massif. », estime l’épidémiologiste Anne Tursz, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

« L’inceste est 10 fois plus fréquent que ce que l’on sait » selon Cédric Grouchka, membre du Collège de la Haute autorité de santé. Selon lui, « il s’agit d’un fléau de santé publique de l’ombre ».

« La famille est le lieu où s’exercent la grande majorité des violences envers les enfants et la quasi totalité des homicides d’enfants. »

Dr Muriel Salmona

Suite de son article :

« Selon les statistiques (Observatoire National de la Délinquance, 2010, par le 119, numéro d’appel pour les enfants en danger) les auteurs des violences sont très majoritairement les parents, les pères pour les violences sexuelles (81,6% des auteurs), les mères pour les négligences graves et les conditions d’éducation défaillantes (en sachant que les enfants sont le plus souvent avec leur mère), et les violences graves sont également partagées. En toute impunité, la famille peut se révéler comme une des pires zones de non-droit, et se transformer en un véritable système totalitaire où tous les droits fondamentaux des enfants peuvent être bafoués, où il est possible de commettre des crimes et des délits inconcevables sur des personnes sans défense, totalement dépendantes, et privées de liberté. L’enfant est encore trop souvent considéré comme la propriété de ses parents auxquels il doit respect et obéissance quoi qu’il arrive. Le cinquième commandement de la Bible dit : "tu honoreras ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne." (Exode, 20,12), et jusqu’au 5 mars 2002 l’article 371-1 du code civil sur l’autorité parentale commençait en stipulant : "L’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère", il a été récemment modifié et commence maintenant par : "L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant.", et l’article 371-1 précise que cette autorité parentale "appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité." Cela se traduit dans le langage courant par des expressions qui mettent en scène plus une notion de possession - "combien avez-vous d’enfants ?" - que de responsabilité -"de combien d’enfants êtes-vous parent ?". Les parents maltraitants sont dans l’ensemble protégés au nom d’un sacro-saint respect de la famille et des liens parents-enfants. De même quand l’enfant est exposé à de graves violences conjugales, on considère encore trop souvent qu’un parent violent avec son conjoint - le plus souvent le père - peut être malgré tout un bon parent même s’il terrorise et traumatise durablement l’enfant, à partir du moment où il n’exerce pas de violences physiques directes sur l’enfant. Et dans un retournement pervers, des juges (Juges des Enfants, Juges aux Affaires Familiales) peuvent tenir des propos sidérants - je les ai entendus à plusieurs reprises lors de colloques auxquels ils participaient - tels que : "si la mère n’est pas capable d’assurer sa protection, alors elle met l’enfant en danger et il faut le lui retirer et les placer". Dans les affaires de violences intra-familiales, particulièrement quand il y a séparation et procédure de divorce, la parole de l’enfant est très peu prise en compte, elle est même souvent disqualifiée sous le prétexte que cette parole serait aliénée par le parent alléguant des violences, la justice en France aimant se référer au "syndrome d’aliénation parentale" qui n’a jamais reçu de validation scientifique. Ce syndrome a été inventé par un psychiatre américain, Richard Gardner, qui dans ses ouvrages fait l’apologie de la "pédophilie". Richard Gardner y écrit que la "pédophilie" ne serait nuisible aux enfants que parce qu’elle est stigmatisée par la société. Très fréquemment, devant un enfant en grande souffrance qui présente des troubles des conduites (mises en danger, auto-mutilation, conduites à risque, fugue, alcoolisation, toxicomanie, petite délinquance, etc.), les adultes censés le prendre en charge auront recours à des discours moralisateurs et culpabilisants : "tu ne dois pas te conduire comme cela…, regarde la peine (ou au choix la honte) que tu fais à tes parents…, qui font tout pour toi… ", discours rappelant sans cesse aux enfants leurs devoirs et oublieux de leurs droits. Et dans l’ensemble la petite délinquance et les incivilités des adolescents font bien plus l’objet de réponses judiciaires que les violences graves que les adultes exercent en tant que parents. La délinquance des jeunes mineurs est souvent très médiatisées et dramatisée. Les jeunes sont stigmatisés pour leurs troubles du comportement et leurs conduites à risques. Pourtant, les chiffres de la protection judiciaire de la jeunesse le démontrent, les enfants et les adolescents subissent beaucoup plus de violences qu’ils n’en commettent : 170 500 jeunes sont pris en charge par les services de la Protection judiciaire de la jeunesse contre 92 000 jeunes au pénal, ce qui n’empêche pas certains politiciens de surfer sur la peur de jeunes de banlieue, et de prôner une justice toujours plus sévère avec des centres de rééducation fermés. Et bien que l’OMS ait reconnu en 2010 que la principale cause pour subir ou commettre des violences est d’en avoir déjà subi, régulièrement la justice des mineurs (qui heureusement privilégie en France depuis 1945 l’éducation et la prévention à la punition) est attaquée et sommée d’être plus répressive. La Justice des mineurs est une justice particulière qui s’applique non seulement aux enfants mais aussi aux adolescents jusqu’à 18 ans. Elle comprend des magistrats, des juridictions spécialisées (le juge des enfants et le Tribunal pour enfants) et des services éducatifs. Elle fonctionne selon des règles de droit et des procédures différentes de celles des adultes, qui sont adaptées aux mineurs. »

Rapport des Nations Unies pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes :

« La forme la plus courante de violence subie par les femmes est la violence physique infligée par le partenaire intime. En moyenne, au moins une femme sur trois est battue, victime de violence sexuelle ou autrement maltraitée par un partenaire intime au cours de sa vie… Plusieurs sondages mondiaux suggèrent que la moitié des femmes victimes d′homicide sont tuées par leur conjoint ou ex-conjoint ou compagnon. En Australie, au Canada, en Israël, en Afrique du Sud et aux États-Unis, 40 à 70 % des femmes victimes de meurtre ont été tuées par leur partenaire selon l′Organisation mondiale de la santé (OMS). En Colombie, une femme serait tuée par son compagnon ou ex-compagnon tous les six jours. Des centaines de femmes ont été enlevées, violées et tuées à Ciudad Juarez (Mexique) et dans ses alentours, pendant une période de 10 ans… Le meurtre pour cause de dot est une pratique brutale dans laquelle une femme est tuée par son mari ou sa belle-famille parce que sa famille ne peut pas répondre à leurs exigences concernant la dot, paiement fait à la belle-famille d′une femme lors de son mariage comme cadeau à sa nouvelle famille. Alors que les dots ou paiements de ce genre sont courants dans le monde entier, les meurtres de dot se produisent essentiellement en Asie du Sud… La pratique du mariage à un âge précoce est courante dans le monde entier, notamment en Afrique et en Asie du Sud. C′est une forme de violence sexuelle car le mariage et les relations sexuelles sont souvent imposés à de très jeunes filles, ce qui comporte des risques pour leur santé, y compris l′exposition au VIH/sida, et limite la durée de leur scolarité… Une grande partie des 500 000 et 2 millions de personnes, en majorité des femmes et des enfants, qui font l′objet de traite tous les ans à des fins de prostitution, de travail forcé, d′esclavage ou de servitude, sont victimes de membres de leur famille… Dans nombre de sociétés, les victimes de viol, les femmes soupçonnées de relations sexuelles préconjugales et les femmes accusées d′adultère sont tuées par des membres de leur famille car toute atteinte à la chasteté d′une femme entache, selon eux, l′honneur de la famille… 102 États (sur 191 examinés) ne disposent pas de dispositions juridiques spécifiques sur la violence familiale. Le viol conjugal n′est pas passible de poursuites pénales dans au moins 53 États... 55 % à 95 % des femmes qui avaient fait l′objet de violence physique conjugale n′ont jamais contacté la police. »

Etude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) :

« La forme la plus courante de violence subie par les femmes est la violence physique infligée par un partenaire intime, conjoint, ex-conjoint ou parent. »

Quelques statistiques

En France, on ne dispose pas de statistiques sérieuses sur les incestes.
Au Canada, 30% des viols sur des mineurs sont commis par les parents. 214 enfants et jeunes (0 à 17 ans) sur 100 000 y ont été victimes de violence familiale en 2009. Parmi les 15 000 enfants et jeunes victimes de violence familiale en 2009, environ les deux tiers (67 %) ont été victimes de voies de fait. Les parents étaient responsables de plus de la moitié (59 %) des voies de fait et des infractions sexuelles dans la famille sur des enfants et des jeunes en 2009. Pour chaque tranche de 100 000 enfants et jeunes au Canada en 2009, 126 ont été agressés physiquement ou sexuellement par leur père ou leur mère. Ce taux était environ trois fois plus élevé que le taux d’agressions commises par des frères et soeurs (41 pour 100 000) ou par d’autres membres de la famille (47 pour 100 000). Le taux de violence sexuelle contre des filles avait est à son plus haut niveau quand elles atteignent l’âge de 14 ans. Les données déclarées par la police ont révélé qu’en 2009, près du tiers des voies de fait et des infractions sexuelles sur des enfants et des jeunes ont été perpétrées par un membre de leur famille ; les parents ont commis plus de la moitié de ces voies de fait et infractions sexuelles dans la famille.

La forme la plus courante de violence subie par les femmes est la violence physique infligée par un partenaire intime. Celles-ci sont battues, victimes de violence sexuelle ou autrement maltraitées.

Les viols conjugaux représentent seulement 4% des viols jugés en cour d’assises. Pourtant, il s’agit d’un crime avec circonstance aggravante, qui est fréquent : 50% des viols commis sur les femmes adultes sont des viols conjugaux. Ils représentent 20% de l’ensemble des viols quand on ajoute les mineures qui représentent 60% des victimes de viols et 5% d’hommes, soit une moyenne de 40.000 viols conjugaux par an.

Et comme l’ensemble des viols condamnés en cour d’assises est de 1.356 en 2010, avec 4% de 1.356, on obtient le chiffre maximal de 52 condamnations pour viol conjugal par an [1]. 52 sur 40.000, cela fait vraiment très peu ! On peut mesurer à quel point les auteurs de ces viols conjugaux bénéficient d’une impunité quasi-totale.

Le viol entre époux n’a été reconnu qu’en 1990 ! C’est seulement en 1990 que le viol entre époux est reconnu par un arrêt de la Cour de cassation, et en 1992 que la Cour de cassation affirme que "la présomption de consentement des époux aux actes sexuels ne vaut que jusqu’à preuve du contraire".

En 1994, le Code pénal va plus loin et reconnaît comme circonstances aggravantes les viols commis par un conjoint ou un concubin. Et ce n’est qu’avec la loi du 9 juillet 2010 et son article 36 que la mention de la présomption de consentement des époux à l’acte sexuel est enfin supprimée, à propos du viol entre époux.

Le couple et la famille restent encore actuellement une zone de non-droit où sous couvert "d’amour" un droit naturel à posséder l’autre et à exercer les pires violences est toléré. Il deviennent alors un espace patriarcal totalitaire où s’exercent des privilèges inouïs en contradiction totale avec l’inaliénabilité de la personne humaine et ses droits fondamentaux.

57 % des viols sont commis sur des personnes mineures (filles et garçons) ;

67 % des viols ont lieu au domicile (de la victime ou de l’agresseur) ;

En moyenne, chaque année en France, 201 000 femmes se déclarent victimes de violences conjugales (physiques ou sexuelles).

22% des Européennes ont subi des violences physiques ou sexuelles de leur partenaire, tandis que 43% ont été victimes de violence psychologique.

27% des femmes victimes de violences conjugales physiques et/ou sexuelles se rendent chez le médecin après un épisode de violences.

La violence à l’égard des femmes est le plus souvent le fait de leur conjoint masculin. Au cours de leur vie, entre 15% de 17% des femmes ont, selon les pays, subi des violences physiques ou sexuelles de leur mari ou conjoint, et de 4% à 54% d’entre elles en ont souffert au cours de l’année précédente. Des études réalisées en Afrique du Sud, en Australie, au Canada, aux États-Unis et en Israël montrent qu’entre 40% et 70% des meurtres commis sur des femmes le sont par leur conjoint.

Entre 40% et 70% des femmes assassinées sont tuées par leur mari ou leur petit ami en Australie, au Canada, en Israël, en Afrique du Sud et aux Etats-Unis.

603 millions de femmes vivent dans des pays où la violence domestique n’est pas un crime.

Au Royaume-Uni, la totalité des coûts directs et indirects de la violence familiale, à 23 milliards de livres (27,6 milliards d’euros) par an, soit 440 livres (534 euros) par personne.

En France, 51 % des violences faites aux femmes le sont par leurs maris ou compagnons. - Au Canada, 66 % des violences faites aux femmes le sont au sein de la famille. Au Pérou, 70 % des crimes enregistrés par la police sont des femmes battues par leur mari. C’est environ 60 % des femmes turques sur l’âge de quinze ans ont été victimes de violences ou de brutalités, l’humiliation et l’humiliation du fait des hommes de leur famille, soit le mari ou fiancé ou un ami ou le père ou le père du mari.

Selon un rapport de l’OMS en 2013, 35% des femmes ont subi des violences physiques et-ou sexuelles de leur partenaire intime, ou des violences exercées par d’autres que leur partenaire, et parfois jusqu’à 71 % des femmes subissent des violences. Toujours selon ce rapport la plupart de ces violences sont commises dans le cadre de la famille et du couple, presque un tiers de toutes les femmes ayant eu une relation de couple ont subi des violences physiques et/ou sexuelles de leur partenaire intime et 38% du total des meurtres de femmes sont commis par des partenaires intimes. En France les chiffres sont impressionnants avec en 2012 : 148 femmes décédées sous les coups de leur conjoint, soit une femme tous les deux jours et demi ; dans l’enquête ENVEFF (2000) 10% des femmes déclarent avoir subi des violences conjugales dans l’année qui précède, ce chiffre passant à 25% pour les femmes les plus jeunes. Dans l’enquête CSF (2008) plus d’1 femme sur 5 (20,4%), déclare avoir subi au moins une fois dans sa vie une forme de violences sexuelles (attouchements forcés, tentative de rapports forcés, ou rapports forcés). Parmi elles, 6,8% déclarent au moins un rapport sexuel forcé au cours de leur vie (tandis que les hommes sont 6,8 % à déclarer au moins une forme de violences sexuelles au cours de sa vie et 1,6 % au moins un rapport sexuel forcé). Les femmes et les filles sont chaque année 203 000 a subir un viol ou une tentatives de viol (83 000 pour les femmes adultes, 120 000 pour les mineures) ! L’auteur des violences est dans la plupart des cas un homme, une personne connue de la victime, le plus souvent un proche. Aucun espace de vie des femmes et des filles n’est protégé. Et les espaces habituellement considérés comme les plus protecteurs - la famille, le couple - où amour, soins et sécurité devraient normalement régner, sont ceux où se produisent le plus de violences.

La famille, premier pouvoir oppressif de la société

L’idéologie dominante du « travail, famille, patrie » qui n’est pas limitée au vichysme, a toujours cours de la part de tous les partis bourgeois, des média, de l’opinion bourgeoise, petite bourgeoise, populaire et même prolétarienne. Chacun croit ou fait semblant de croire que la famille, c’est la cellule de base des êtres humains, le lieu où on est sûr d’être au chaud, d’être défendu, d’être écouté, d’être protégé contre tous les aléas de la vie, et ce d’autant plus que la vie économique, sociale et professionnelle est plus dur avec la crise. Cependant, ce discours sur la famille est tout à fait hypocrite et mensonger. La famille, c’est d’abord le haut lieu de toutes les violences et de toutes les oppressions. C’est au sein de la famille que l’on trouve les principaux cas de viol des femmes et des enfants, de violences contre les femmes et les enfants, d’oppression des individus, d’agressions, de harcèlement. Et la famille, loin de servir de sécurité dans ces cas de violences domestiques, est un moyen d’étouffer les cris, de cacher les crimes, inceste, pédophilie, femmes contraintes à des formes de prostitution domestique et autres formes de violences comme la soumission sexuelle, les coups, les attitudes humiliantes, etc...

Pour les enfants, la famille est aussi une forme de pression et de répression qui impose aux enfants une obéissance parfois abusive, parfois violente, qui écrase les goûts personnels, les choix individuels, les tendances particulières. Combien d’enfants se sont vus imposer des choix éducatifs, professionnels, pour ne pas dire sexuels, sociaux, relationnels qui leur déplaisaient ou même qu’ils haïssaient. Combien d’enfants se sont vus imposer de se taire par des méthodes de chantage et de violence ? Combien d’enfants qui ont été pris en otage que ce soit par incapacité des parents à prendre en charge des enfants, parce que les parents eux-mêmes avaient été victimes d’agressions étant enfants, ou pour d’autres raisons comme l’exploitation des enfants ?

Un des mensonges concernant la famille consiste à faire croire qu’elle protègerait des pressions et des agressions du monde extérieur. En fait, c’est la famille qui est le moyen pour l’idéologie sociale, pour la domination sociale, pour les traditions oppressives d’être imposées aux générations plus jeunes par les générations précédentes. L’oppression du conservatisme culturel, religieux, patriarcal, retardataire ne pourrait pas être imposée avec autant de succès s’il ne pouvait pas se servir de la famille pour être imposée aux enfants. C’est le cas par exemple de l’oppression des femmes. Elle est transmise par les femmes elles-mêmes, d’une génération à l’autre, au sein de la famille.

L’oppression de classe, elle aussi, se sert de la famille comme d’un moyen de défendre la stabilité sociale, la soumission sociale, l’oppression et l’exploitation. Ce sont les parents qui sont chargés d’imposer aux enfants la soumission à l’ordre social. Ce sont les parents qui sont considérés comme responsables si les enfants mineurs commettent des actes interdits par l’ordre social. C’est la famille qui justifie l’ordre social, qui fait des efforts pour que les enfants deviennent des adultes adaptés à l’ordre social, capables d’y réussir, d’en devenir des membres reconnus ou acceptés, capables de s’en accommoder ou d’y devenir des responsables. C’est la famille qui se charge de justifier tout ce qui choque les enfants dans la vie sociale.

Une part considérable de la pédophilie, de la prostitution, des violences, des meurtres, des tortures se déroulent dans le cadre familial et grâce à lui et les liens familiaux servent alors pour imposer la soumission aux victimes, pour leur faire croire même que celle-ci est normale, pour les faire taire, pour aider à cacher ces crimes à l’extérieur.

Même des familles n’ayant rien à voir avec de telles situations horribles peuvent servir, consciemment ou inconsciemment, à opprimer ceux qui en font partie en leur imposant des choix non librement consentis, que ce soit au nom de la morale, du qu’en dira-t-on, de la religion, de l’intérêt de la famille ou de l’intérêt de la personne opposé à ses choix personnels. La famille se fait alors l’auxiliaire de l’oppression, de la soumission, de la dépendance des enfants aux adultes, de la dépendance de la femme à l’homme, de l’inégalité de traitements entre les individus, entre le travail et les travaux domestiques et on passe… Nombre de gens décrivent leur enfance en famille comme idéale et parfois ils ne sont même pas conscients que c’est de là que dérivent nombre de leur problèmes d’enfants, d’adolescents et d’adultes. Les « cadavres dans les placards » de la famille se transmettent parfois ainsi, souvent inconsciemment, de génération en génération. Bien des gens ont été maltraités, se sont vus imposer des visions déformées, n’ont pas pu développer des capacités personnelles, développer des relations humaines et sociales qu’ils souhaitaient, sans en avoir conscience. Bien des gens refusent qu’on dise du mal de leur famille, idéalisent leurs parents, bien après leur enfance, leur adolescence et tout au long de leur vie car cela leur semble une manière de se défendre et de se protéger. Pourtant, ils peuvent avoir été maltraités, forcés dans leurs choix, dans leur conscience, bloqués dans leurs capacités. Il ne s’agit pas, dans cet article, d’accuser qui que ce soit, parents, enfants, encadrants, mais de réfléchir au type d’ordre défendu par la structure familiale au sein de la société.

Parce que la famille s’impose à des enfants, sans que ces derniers puissent la contester, elle a un pouvoir très fort sur les individus, pouvoir qui perdure parfois bien au-delà de la minorité de l’enfant. Autorité, respect, dépendance matérielle et morale donnent aux parents un poids sans contrepartie auprès de l’enfant et nombre de parents en usent et en abusent sans limite, et même si ce n’est que dans une petite part des cas que cela aboutit à des violences scandaleuses, à la maltraitance ou à l’exploitation infantile, la famille est toujours un lieu de domination et pas un lieu d’égalité et de liberté.

C’est la famille qui est en action quand il s’agit de convaincre un de ses individus de ne pas se révolter, de ne pas sortir des clous de ce qui est communément admis, de se conformer au modèle social généralement reconnu, de ne pas heurter l’opinion et les institutions, de ne pas se livrer à des comportements, à des choix et à des activités que la société refuse ou combat. C’est la famille qui impose les normes sociales, idéologiques, comportementales, vestimentaires, sexuelles et autres de la société. Elle est l’instrument numéro un du conformisme social.

Les parents estiment de l’intérêt de l’enfant de lui inculquer ce qui est admis par les institutions officielles, par la morale du lieu et de l’époque, celle des classes dirigeantes, et ils estiment que c’est également l’intérêt de la famille d’agir ainsi. A l’enfant, ils disent : « On s’est sacrifiés pour toi et voilà toute ta reconnaissance. »

La plupart des parents estiment avoir fait le choix d’avoir un enfant par pur altruisme alors que c’est certainement pour des raisons personnelles autant que par conformisme social, parce que cela fait partie des critères de la réussite personnelle édictés par la société. L’intérêt de l’enfant est présenté comme le but premier des parents mais cet « intérêt » s’oppose souvent aux goûts ou aux choix de l’enfant lui-même. On lui explique alors qu’il n’est pas le seul concerné par ses choix et qu’il pourrait faire des efforts pour satisfaire la famille. Le conformisme social, l’adaptation forcée aux critères du milieu social, la formation intellectuelle, morale, physique ou culturelle ayant pour but l’intégration sociale, tout cela commence au sein de la famille, ne serait pas possible sans l’appui de la famille et tout cela a pour but essentiel non le bien-être de l’individu, ni celui des membres de la famille, mais la conservation et le maintien de l’ordre social, la solidification de la domination des classes dirigeantes.

La famille est la plus vieille structure organisée de l’oppression sociale des classes dirigeantes et date de bien avant que l’Etat n’apparaisse.

Les premières formes d’organisation, jusqu’aux débuts de l’agriculture, n’ont pas connu d’Etat mais une société tribale fondée sur la direction par le groupe des chefs des grandes familles dominantes.

Les familles étaient alors à la fois le gouvernement de la société, les organes de direction, de jugement, de punition, de police, de formation, d’encadrement de la société, de punition et, éventuellement, d’élimination des coupables. Les familles étaient alors les structures économiques, sociales et politiques.

La famille n’a pas eu la même structure, le même rôle, la même forme, les mêmes buts aux différentes époques de l’histoire. Elle a changé en fonction de l’activité économique des hommes, du mode de production, des classes sociales en présence, du niveau de la lutte des classes, et en fonction de l’appartenance à tel ou tel groupe social et aussi en fonction des idéologies et coutumes imposées par les classes dirigeantes de chaque époque.

Par exemple, aujourd’hui, notre image d’une famille, c’est un groupe constitué d’un couple avec des enfants alors que, durant des décennies, la famille de paysans (l’essentiel de la population) était constituée de dix à vingt personnes vivant sous le même toit, des adultes, des enfants et petits-enfants et leurs grands parents ainsi que des personnes plus ou moins adoptées comme domestiques, aides ou esclaves intégrés à la famille.

Il y a eu des changements radicaux pour la famille comme le passage du matriarcat au patriarcat, comme le passage du commerce sexuel libre à la fidélité imposée (au moins officiellement) du couple fixe, comme la transformation introduite par la propriété privée et l’héritage, comme aussi la vie urbaine et le manque de logements des villes.

Ces différents changements se sont marqués dans la famille. Si bien qu’il est impossible de parler de tradition familiale, comme le font les passéistes, comme si la famille avait toujours représenté la même chose ou comme si revenir à l’ancienne famille était possible.

Cependant, une chose est certaine : la famille n’a jamais représenté un lieu de liberté pour les individus, ni autrefois ni aujourd’hui. Elle n’est nullement une protection pour les plus fragiles car rien ne garantit que ceux-ci y soient protégés plutôt qu’agressés.

Quelques textes sur la famille :

« Nourritures terrestres », André Gide :

« Je haïssais les foyers, les familles, tous lieux où l’homme pense trouver un repos ; et les affections continues, et les fidélités amoureuses, et les attachements aux idées – tout ce qui compromet la justice ; je disais que chaque nouveauté doit nous trouver toujours tout entiers disponibles… Au soir, je regardais dans d’inconnus villages les foyers, dispersés durant le jour, se reformer. Le père rentrait, las de travail ; les enfants revenaient de l’école. La porte de la maison s’entr’ouvrait un instant sur un accueil de lumière, de chaleur et de rire, et puis se refermait pour la nuit. Rien de toutes les choses vagabondes n’y pouvait plus rentrer, du vent grelottant du dehors. – Familles, je vous hais ! foyers clos ; portes refermées ; possessions jalouses du bonheur. – Parfois, invisible de nuit, je suis resté penché vers une vitre, à longtemps regarder la coutume d’une maison. Le père était là, près de la lampe ; la mère cousait ; la place d’un aïeul restait vide ; un enfant, près du père, étudiait ; – et mon cœur se gonfla du désir de l’emmener avec moi sur les routes. »

Textes de Prévert :

Pour Prévert, la famille, c’est « Ceux qui donnent des canons aux enfants, ceux qui donnent des enfants aux canons… »

« Vie de famille » de Prévert

« Est-ce que c’est une vie
De vivre comme on vit
Pourquoi faire
Cette vie d’enfer
Pourquoi se laisser faire
Non ce n’est pas une vie
De vivre comme nous vivons
Et cette vie, cette vie d’enfer,
C’est nous qui la changerons. »

« La lessive » dans « Paroles » de Prévert

Oh la terrible et surprenante odeur de viande qui meurt
c’est l’été et pourtant les feuilles des arbres du jardin
tombent et crèvent comme si c’était l’automne…
cette odeur vient du pavillon
où demeure monsieur Edmond
chef de famille
chef de bureau
c’est le jour de la lessive
et c’est l’odeur de la famille
et le chef de famille
chef de bureau
dans son pavillon de chef-lieu de canton
va et vient autour du baquet familial
et répète sa formule favorite
Il faut laver son linge sale en famille
et toute la famille glousse d’horreur
de honte
frémit et brosse et frotte et brosse
le chat voudrait bien s’en aller
tout cela lui lève le cœur
le cœur du petit chat de la maison
mais la porte est cadenassée
alors le pauvre petit chat dégueule
le pauvre petit morceau de cœur
que la veille il avait mangé
de vieux portefeuilles flottent dans l’eau du baquet
et puis des scapulaires… des suspensoirs…
des bonnets de nuit… des bonnets de police…
des polices d’assurance… des livres de comptes…
des lettres d’amour où il est question d’argent
des lettres anonymes où il est question d’amour
une rosette de la légion d’honneur
de vieux morceaux de coton à oreille
des rubans
une soutane
un caleçon de vaudeville
une robe de mariée
une feuille de vigne
une blouse d’infirmière
un corset d’officier de hussards
des langes
une culotte de plâtre
une culotte de peau…
soudain de longs sanglots
et le petit chat met ses pattes sur ses oreilles
pour ne pas entendre ce bruit
parce qu’il aime la fille
et que c’est elle qui crie
c’est à elle qu’on en voulait
c’est la jeune fille de la maison
elle est nue… elle crie… elle pleure…
et d’un coup de brosse à chiendent sur la tête
le père la rappelle à la raison
elle a une tache
la jeune fille de la maison
et toute la famille la plonge
et la replonge
elle saigne
elle hurle
mais elle ne veut pas dire le nom…
et le père hurle aussi
Que tout ceci ne sorte pas d’ici
Que tout ceci reste entre nous
dit la mère
et les fils les cousins les moustiques
crient aussi
et le perroquet sur son perchoir
répète aussi
Que tout ceci ne sorte pas d’ici
honneur de la famille
honneur du père
honneur du fils
honneur du perroquet Saint-Esprit
elle est enceinte la jeune fille de la maison
il ne faut pas que le nouveau-né
sorte d’ici
on ne connaît pas le nom du père
au nom du père et du fils
au nom du perroquet déjà nommé Saint-Esprit
Que tout ceci ne sorte pas d’ici…
avec sur le visage une expression surnaturelle
la vieille grand-mère assise sur le rebord du baquet
tresse une couronne d’immortelles artificielles
pour l’enfant naturel…
et la fille est piétinée
la famille pieds nus
piétine piétine et piétine
c’est la vendange de la famille
la vendange de l’honneur
la jeune fille de la maison crève
dans le fond…
à la surface
des globules de savon éclatent
des globules blancs
globules blêmes
couleur d’enfant de Marie…
et sur un morceau de savon
un morpion se sauve avec ses petits
l’horloge sonne une heure et demie
et le chef de famille et de bureau
met son couvre-chef sur son chef
et s’en va
traverse la place de chef-lieu de canton
et rend le salut à son sous-chef
qui le salue…
les pieds du chef de famille sont rouges
mais les chaussures sont bien cirées
Il vaut mieux faire envie que pitié.

« Familiale » de Prévert :

La mère fait du tricot
Le fils fait la guerre
Elle trouve ça tout naturel la mère
Et le père qu’est-ce qu’il fait le père ?
Il fait des affaires
Sa femme fait du tricot
Son fils la guerre
Lui des affaires
Il trouve ça tout naturel le père
Et le fils et le fils
Qu’est-ce qu’il trouve le fils ?
Il ne trouve rien absolument rien le fils
Le fils sa mère fait du tricot son père fait des affaires lui la guerre
Quand il aura fini la guerre
Il fera des affaires avec son père
La guerre continue la mère continue elle tricote
Le père continue il fait des affaires
Le fils est tué il ne continue plus
Le père et la mère vont au cimetière
Ils trouvent ça naturel le père et la mère
La vie continue la vie avec le tricot la guerre les affaires
Les affaires la guerre le tricot la guerre
Les affaires les affaires et les affaires
La vie avec le cimetière.

« Souvenirs de famille » ou l’Ange garde-chiourme" de Prévert :

Nous habitions une petite maison aux Saintes-Maries-de-la-Mer où mon père était établi bandagiste.

C’était un grand savant. Un homme très comme il faut et d’une rectitude de vie qui commandait le respect ; chaque matin les moustiques lui piquaient la main gauche, chaque soir il perçait les cloques avec un cure-dents japonais et des petits jets d’eau se mettaient à jaillir. C’était très beau, mais cela faisait rire mes frères, alors mon père giflait l’un d’entre eux au hasard, s’enfuyait en pleurant et s’enfermait dans la cuisine qui lui servait de laboratoire.
Là, il travaillait silencieusement et près de lui, Marie-Rose, notre vieille bonne, préparait le dîner. Des bardes de lard et des bandages herniaires traînaient sur le buffet, et des bocaux remplis de cerises à l’eau-de-vie voisinaient avec d’autres où baignaient doucement dans l’alcool des vers solitaires et des bébés inachevés.

Distraite, la vieille confondait quelquefois la cloche à fromage avec la machine pneumatique ou bien elle pressait ingénument la purée de marrons avec le tampon buvard, et quand, tant bien que mal, le repas était prêt, mon père sonnait de la trompe et tout le monde se mettait à table.

Les mouches et tous les rampants du pays grouillaient sur la nappe, et les cafards sortaient du pain en se faisant des politesses et tout ce petit peuple courait à ses affaires, se planquait sous les assiettes, plongeait dans le potage et nous croquait sous la dent.

Il y avait aussi un Prêtre ; il était là pour l’Éducation ; il mangeait.
Mon père était l’inventeur d’une jambe artificielle perfectionnée ; sa fortune était liée à celle de la Revanche ; aussi, à chaque repas, évoquait-il en hochant douloureusement la tête le calvaire des cigognes françaises captives dans les clochers de Strasbourg.
L’abbé l’écoutait avec émotion, puis, se levant d’un coup, comme un dieu qui sort de sa boîte, la bouche pleine et brandissant sa fourchette, il lançait l’anathème contre l’école sans Dieu, les ménages sans enfants, les filles sans pantalons et la capitale ivre d’ingratitude.
Et puis c’était la jambe, la fameuse jambe.

— Vous saisissez, l’abbé, disait mon père, une vraie jambe pour ainsi dire, une jambe plus vraie que nature. Une jambe de coureur, légère et douce, une jambe de plume et qui se remonte comme un réveil !
Et, me regardant, puis regardant mes frères avec une immense tendresse, il cherchait à deviner lequel d’entre nous, plus tard, aurait la chance de porter sur sa poitrine la croix des braves et sous son pantalon l’objet d’art, la délicieuse mécanique, la jambe paternelle !
D’une voix qui s’avinait peu à peu, il parlait de ma pauvre mère « morte si jeune et si belle que des inconnus en pleuraient » ; il roulait enfin sous la table en tirant la nappe comme un suaire.

On allait se coucher, le lendemain en se levait, ainsi, tous les jours, les jours faisaient la queue les uns derrière les autres, le lundi qui pousse le mardi qui pousse le mercredi et ainsi de suite les saisons.
Les saisons, le vent, la mer, les arbres, les oiseaux. Les oiseaux, ceux qui chantent, qui partent en voyage, ceux qu’on tue ; les oiseaux plumés, vidés, mangés cuits dans les poèmes ou cloués sur les portes des granges.

La viande aussi, le pain, l’abbé, la messe, mes frères, les légumes, les fruits, un malade, le docteur, l’abbé, un mort, l’abbé, la messe des morts, les feuilles vivantes, Jésus-Christ tombe pour la première fois, le Roi Soleil, le pélican lassé, le plus petit commun multiple, le général Dourakine, le Petit Chose, notre bon ange, Blanche de Castille, le petit tambour Bara, le Fruit de nos entrailles, l’abbé, tout seul ou avec un petit camarade, le renard, les raisins, la retraite de Russie, Blanche de Bastille, l’asthme de Panama et l’arthrite de Russie, les mains sur la tablé, J.-C. tombe pour la nième fois, il ouvre un large bec et laisse tomber le fromage pour réparer des ans l’irréparable outrage, le nez de Cléopâtre dans la vessie de Cromwell et voilà la face du monde changée, ainsi on grandissait, on allait à la messe, on s’instruisait et quelquefois on jouait avec l’âne dans le jardin.

Un jour, mon père reçut la Roséole de la légion d’honneur et perdit beaucoup de cheveux, il bégaya aussi un peu et prit l’habitude de parler tout seul ; l’abbé le regarda en hochant tristement la tête.
L’abbé, c’était un homme en robe avec des yeux très mous et de longues mains plates et blêmes ; quand elles remuaient, cela faisait assez penser à des poissons crevant sur une pierre d’évier. Il nous lisait toujours la même histoire, triste et banale histoire d’un homme d’autrefois qui portait un bouc au menton, un agneau sur les épaules et qui mourut cloué sur deux planches de salut, après avoir beaucoup pleuré sur lui-même dans un jardin, la nuit. C’était un fils de famille, qui parlait toujours de son père — mon père par-ci, mon père par-là, le Royaume de mon père, et il racontait des histoires aux malheureux qui l’écoutaient avec admiration, parce qu’il parlait bien et qu’il avait de l’instruction.

Il dégoitrait les goitreux et, lorsque les orages touchaient à leur fin, il étendait la main et la tempête s’apaisait.

Il guérissait aussi les hydropiques, il leur marchait sur le ventre en disant qu’il marchait sur l’eau, et l’eau qu’il leur sortait du ventre il la changeait en vin ; à ceux qui voulaient bien en boire il disait que c’était son sang.

Assis sous un arbre, il parabolait : « Heureux les pauvres d’esprit, ceux qui ne cherchent pas à comprendre, ils travailleront dur, ils recevront des coups de pied au cul, ils feront des heures supplémentaires qui leur seront comptées plus tard dans le royaume de mon père. »

En attendant, il leur multipliait les pains, et les malheureux passaient devant les boucheries en frottant seulement la mie contre la croûte, ils oubliaient peu à peu le goût de la viande, le nom des coquillages et n’osaient plus faire l’amour.

Le jour de la pêche miraculeuse, une épidémie d’urticaire s’abattit sur la région ; de ceux qui se grattèrent trop fort, il dit qu’ils étaient possédés du démon, mais il guérit sur-le-champ un malheureux centurion qui avait avalé une arête et cela fit une grosse impression.
Il laissait venir à lui les petits enfants ; rentrés chez eux, ceux-ci tendaient à la main paternelle qui les fessait durement la fesse gauche après la droite, en comptant plaintivement sur leurs doigts le temps qui les séparait du royaume en question.

Il chassait les marchands de lacets du Temple : pas de scandale, disait-il, surtout pas de scandale, ceux qui frapperont par l’épée périront par l’épée… Les bourreaux professionnels crevaient de vieillesse dans leur lit, personne ne touchant un rond, tout le monde recevait des gifles, mais il défendait de les rendre à César.
Ça n’allait déjà plus tout seul, quand un jour le voilà qui trahit Judas, un de ses aides. Une drôle d’histoire : il prétendit savoir que Judas devait le dénoncer du doigt à des gens qui le connaissaient fort bien lui-même depuis longtemps, et, sachant que Judas devait le trahir, il ne le prévint pas.

Bref, le peuple se met à hurler Barabbas, Barabbas, mort aux vaches, à bas la calotte et, crucifié entre deux souteneurs dont un indicateur, il rend le dernier soupir, les femmes se vautrent sur le sol en hurlant leur douleur, un coq chante et le tonnerre fait son bruit habituel.

Confortablement installé sur son nuage amiral, Dieu le père, de la maison Dieu père fils Saint-Esprit et Cie, pousse un immense soupir de satisfaction, aussitôt deux ou trois petits nuages subalternes éclatent avec obséquiosité et Dieu père s’écrie : « Que je sois loué, que ma sainte raison sociale soit bénie, mon fils bien-aimé a la croix, ma maison est lancée ! »

Aussitôt il passe les commandes et les grandes manufactures de scapulaires entrent en transe, on refuse du monde aux catacombes et, dans les familles qui méritent ce nom, il est de fort bon ton d’avoir au moins deux enfants dévorés par les lions.

— Eh bien, eh bien, je vous y prends, petits saltimbanques, à rire de notre sainte religion. Et l’abbé qui nous écoutait derrière la porte arrive vers nous, huileux et menaçant.

Mais depuis longtemps ce personnage, qui parlait les yeux baissés en tripotant ses médailles saintes comme un gardien de prison ses clefs, avait cessé de nous impressionner et nous le considérions un peu comme les différents ustensiles’ qui meublaient la maison et que mon père appelait pompeusement « les souvenirs de famille » : les armoires provençales, les bains de siège, les poteaux-frontière, les chaises à porteurs et les grandes carapaces de tortue.

Ce qui nous intéressait, ce que nous aimions, c’était Costal l’Indien, c’était Sitting-Bull, tous les chasseurs de chevelures ; et quelle singulière idée de nous donner pour maître un homme au visage pâle et à demi scalpé.

— Petits malheureux, vous faites pleurer votre bon ange, n’avez-vous pas honte ? dit l’abbé.

Nous éclatâmes de rire tous ensemble et Edmond, celui de mes frères à qui on attachait les mains la nuit depuis qu’il avait eu la stupide candeur de trop parler à confesse, prit la parole.

— Assez, l’abbé, assez. Gardez pour vous vos stupides histoires d’anges gardes-chiourme qui rôdent la nuit dans les chambres, allez faire vos dragonnades ailleurs et sachez qu’à partir d’aujourd’hui, dans cette maison, ce ne seront plus les coccinelles mais les punaises qui porteront le nom de bêtes à bon Dieu. J’ai dit.

Et la bagarre éclate, l’abbé lève le bras pour frapper, je me baisse et mords l’abbé à la cuisse, il hurle, je cours à la cuisine pour me rincer la bouche, je reviens et mon père arrive à son tour en hurlant.
— Vilains petits messieurs, vous ne ferez pas votre première communion ! La honte s’empare de lui, le tord en deux, lui donne un coup au foie et le jette dans un fauteuil, une touffe de cheveux à la main.

Puis, se levant subitement, il va droit à l’abbé : « Quant à vous, filez, vous n’avez pas réussi, comme c’était convenu, à faire prendre à ces enfants le messie pour une lanterne ; d’ailleurs, d’ailleurs vos plaisanteries avec Marie-Rose et …sacré nom de Dieu, foutez-moi le camp. Et tout de suite ! »

— Vous ne me le direz pas deux fois, dit l’abbé. Sa pomme d’Adam se met à rouler dans sa gorge comme une boule de naphtaline dans un vieux gilet de flanelle, il baisse le regard et s’enfuit très digne, à reculons.

— Martyr, c’est pourrir un peu, dit mon père d’une voix très douce et, enlevant son pantalon, il le plie soigneusement, le met sous son bras et descend dans le jardin en chantant à tue-tête une chanson qui nous sembla alors particulièrement effroyable.

C’était le Credo du paysan avec un petit mélange de Timélou la mélou pan pan ti mela padi la melou cocondou la Baya.

Effrayés, nous étions dans notre chambre quand Marie-Rose nous apporta une lettre et s’écroula sur le sol en hurlant : « Monsieur est parti, parti, parti !… »

Je lus la lettre à haute voix : « Mes enfants, considérez-vous comme orphelins jusqu’à mon retour peu probable. Ludovic. »
Cette lettre nous parut d’autant plus surprenante que notre père portait depuis toujours le nom de Jean-Benoît.

— C’est nous les maîtres du bordel, dit mon frère le vicieux.
J’avais dix ans, j’étais l’aîné, je devenais chef de famille et, m’accoudant à la fenêtre, je sentis la barre d’appui qui craquait sous le poids de mes responsabilités.

Nous prîmes le demi-deuil, ripolin noir jusqu’à la ceinture et guêtres blanches le dimanche, et une nouvelle vie commença, un peu différente de la précédente, mais toujours lune et soleil alternativement.

Un soir, la bonne s’enfuit après avoir étouffé le chien ; c’était sa manie d’ailleurs d’étouffer les animaux : dans le pays on l’appelait l’ogresse et le bruit courait qu’elle avait essayé avec l’âne, mais que l’âne l’avait mordue.

Un de mes frères attrapa le tétanos et mourut. On s’ennuyait épouvantablement, tous les jours ressemblaient au dimanche ; dans la rue les gens marchaient sérieusement, verticalement, et sur la plage, ils se déshabillaient, se baignaient, se noyaient, se sauvaient, se rhabillaient et se congratulaient avec une désolante ponctualité ; tout s’en mêlait, le pain sur le paillasson, le monsieur qui vient pour le gaz et les cloches pour les morts, pour ceux qui se marient.
Une ou deux fois par mois un gros propriétaire organisait des courses de taureaux : c’était ma seule distraction.

On mettait les taureaux sur un rang, derrière une corde ; un bonhomme tirait un coup de pistolet, un autre coupait la corde et les taureaux partaient au grand galop et faisaient plusieurs fois le tour de l’église. Le premier arrivé était châtré en grande pompe et prenait le titre de bœuf.

C’est un jour de courses que je regardai de très près et pour la première fois les yeux d’une petite fille. Il faisait très chaud très lourd, il y avait des gens qui sentaient la sueur et la nourriture, d’autres qui se battaient à coups de fourche et qui appelaient les taureaux par leur nom.

Un grand imbécile avait glissé sa large main dans le corsage d’une femme pour chercher, disait-il, un trèfle à quatre feuilles ; tous les voisins riaient, la femme se laissait faire, la main montait et redescendait jusqu’aux fesses, les taureaux passaient et repassaient au grand galop et la femme poussait des petits cris en remuant son dos et ses fesses. Tout le monde criait, gueulait et tous les cris s’en allaient dans la campagne, enveloppés de moustiques et de poussière.
Près de moi, une petite fille, les dents plantées dans la balustrade, regardait les taureaux courir.

Soudain elle me pince le bras jusqu’au sang, se tourne vers moi et me dit : « Regarde Hector, il est tombé. »

Un jeune taureau est allongé sur le sol, tranquille, on dirait qu’il rêve, les hommes qui ont parié pour lui jettent des pierres et des mégots sur cet animal impassible.

— C’est le taureau de ma maison, dit la petite fille en riant, il s’est laissé tomber exprès, il est rusé, il ne veut pas être châtré, et il a bien raison.

« Tu sais, les gens qu’on châtre, c’est épouvantable, ils ont les yeux éteints, ils ont de la mort sur la figure.

« Regarde mes yeux à moi, ils sont vivants, ils dansent comme ceux d’Hector, les tiens aussi, ils racontent !

« Je t’ai vu une fois à la messe, tu étais avec d’autres garçons, tu n’aimes pas ça, hein ? moi non plus, mais quand ils font marcher leur petite sonnette et que tout le monde se met à quatre pattes, je reste toujours debout, personne ne me voit, je domine.

« Il y a un prêtre qui demeure chez toi, un bœuf, quoi ! c’est terrible, tu sais, il y a des femmes qui sont prêtres, avec de grands oiseaux blancs sur la tête et un nez tout mince, tout mince, on devrait les habiller en homme, ce serait plus juste. »

Je l’écoute — avant, je n’avais jamais écouté personne — je l’écoute et je voudrais lui dire qu’elle vienne à la maison, que tout le monde est parti, que c’est moi le chef, mais la course est finie et la foule nous sépare.

Les hommes et les femmes se piétinent, il y en a qui bavent, je saigne du nez, on m’entraîne, on me couche.

Quarante de fièvre et l’abbé grand comme une tour qui cloue mon père sur l’armoire à glace, la glace se casse et au fond d’un trou la petite fille allongée dans l’herbe avec, entre les dents, un petit sachet de lavande.

Guéri, je sus son nom : elle s’appelait Étiennette, c’était la fille de l’équarisseur d’Aigues-Mortes ; moi, je l’appelais Coquillage parce qu’elle m’avait pincé dans une foule qui ressemblait à la mer.

Je pensais tous les jours à elle, mais Aigues-Mortes était pour moi une ville très lointaine et le nom même de cette ville me faisait atrocement peur.

A la maison, la liberté commençait à nous gêner, nous attendions quelque chose de nouveau, le retour de notre père, par exemple.
Un jour, j’allai chercher l’âne dans le jardin et, mes frères m’aidant, je le portai au grenier après l’avoir coiffé d’une petite casquette anglaise avec deux trous pour les oreilles.

Chaque matin nous allions rejoindre l’animal et, suivant un tour strictement établi, nous demandions tristement à la pauvre bête qui regardait par la fenêtre :

— Sir âne, sir âne, ne vois-tu rien venir ?

Si stupide, si niais que puisse paraître à un monsieur correct et instruit un semblable manège, il n’en est pas moins vrai qu’un matin, très tôt, l’âne se met à braire en agitant sa casquette, réveille toute la ville et, sautant par la fenêtre, galope à la rencontre d’un nuage de poussière qu’il ramène aussitôt sur son dos.

Le tout en cinquante-sept secondes, chronométrées par mon frère Ernest le sportif.

Le nuage de poussière, c’était notre pauvre père vêtu d’un vieux costume de sport et coiffé d’un sombrero mexicain.

Il nous regarde silencieusement et nous compte. Voyant qu’il en manque un, il écrase furtivement une larme sur sa joue comme une punaise sur un mur et, prenant le plus petit d’entre nous sous son bras, il le fesse méthodiquement.

Le petit hurle et mon père s’écrie :

— Je n’ai pas mangé depuis trois semaines, le déjeuner est-il prêt ? Le hasard. Notre vieille bonne Marie-Rose, qui ne craignait personne pour les coïncidences, est là, fidèle, au poste, un chien tout neuf dans ses bras pour remplacer l’autre.

— Monsieur est servi, murmure-t-elle avec une touchante simplicité.

— Je n’aime pas le chien, répond mon père, j’en ai mangé en Chine et je trouve cela mauvais.

Ah, sublime quroquipi, charmant quiproquo familial, ce vieux papa prodigue, cette vieille servante, ce vieil âne dans cette vieille maison avec les vieux arbres de ce vieux jardin !

Comme autrefois, le père sonne de la trompe et nous nous dirigeons au pas cadencé vers la salle à manger.

Mais sitôt le déjeuner commencé, sitôt servi le potage à la tortue, le père se lève avec de singulières lumières dans les yeux, grimpe sur le buffet et piétine sauvagement les hors-d’œuvre tout en tenant un discours assez décousu.

— De la tortue, ça, vous voulez rire ! servez-moi la tortue dans sa carapace d’origine ou alors ce n’est plus un repas de famille.

« Servez-moi la glace dans son armoire, et l’armoire dans son arbre, ou donnez-moi simplement de la jambe de poulet, mais n’essayez pas avec moi, n’essayez pas, vous dis-je, j’ai vu trop d’arbres, des arbres comme ceux d’ici, chauves l’hiver, frisés l’été, plus grands ou plus petits mais d’un bois à vous dégoûter des guéridons, et les crocodiles aussi, d’ailleurs, je ne peux plus les blairer, entendez-moi, salés, je dis les gros crocodiles, les énormes, ceux qui pleurent de honte à la vue d’un sac à main et tous les grands animaux nuisibles à l’agriculture qui vont chercher du boulot dans les manufactures.

« Et le jour de Noël, je revenais en pirogue, on ne savait pas quoi faire, rire en plein air, manger de l’homme, boire l’urine des morts, ou chanter la chanson.

« Tout nu, les jambes pareilles, je m’endors sur le sable et voilà votre mère morte qui vient manger dans ma main, brouter mon poil.

« Je gueule, je me réveille et les voilà tous autour de moi, les grands encroupés d’eau douce, les zouaves, les chiens du commissaire, les missionnaires à queue prenante.

« Ils m’ont chauffé mon bifton, mon petit ticket de quai et m’ont laissé pour mort en plein désert avec un chameau dans la gorge,
« Rendez-vous compte, salés, voyez-les opérer, ils posent un bouton de col sur le sable, le bouton brille et le nègre vient.

« Le nègre se baisse et ils lui plantent un crucifix ou un tricolore dans le dos.

« Moi qui vous cause, j’étais tout seul, comme un petit baigneur dans un pétrin mécanique, tout seul avec les autruches.

« C’est facile (qu’ils disaient) pour savoir l’heure : soufflez-leur dans les yeux.

« Ça vous casse une jambe d’un coup de patte et quand on peut en poisser une, c’est une autruche qui avance, ou qui retarde, j’en ai vu une qui avalait des réveils, ça sonnait, ça faisait peur.

« Et pourtant quand j’étais jeunot, c’était dur pour me posséder ; j’ai plongé un juteux dans le baquet aux eaux grasses, et, hoquet par hoquet, je lui ai rendu les honneurs militaires.

« Ils m’ont sapé dur, dix ans ! mais qu’est-ce que j’ai eu là-bas comme girons, ils lavaient mon linge, ils mâchaient ma viande.

« En revenant j’ai connu votre mère, je faisais Poléon à la terrasse des cafés avec un vieux chapeau mou, tout de suite je l’ai eu dur pour elle, je me suis défendu à la trouvaille, à la sauvette.

« Et puis on s’est retiré, on s’est mis au pain bénit, et je vous ai possédés, petit monde, le coup des petits jets d’eau c’était avec un soulève-plat.

« Aujourd’hui, salés, j’en ai ma claque, je suis à la traîne, ridé, foutu.
« Foutu, je suis foutu, honnête, j’suis dévoré de la légion d’honneur… »
Mais il tombe du buffet, raide, si raide qu’on dirait du meuble qu’il craque et que c’est une planche qui tombe.

La porte s’ouvre soudain et barbu, jovial, méconnaissable, l’abbé apparaît, un bonnet de police crânement posé sur la tonsure et des bandes molletières dépassant sous la soutane.

— Ça y est, dit-il, ça y est, ah, mes enfants, mes chers petits enfants !
« Être patient et être poire, ça fait deux, ça ne pouvait pas durer, enfin la fille aînée de l’Église se réveille, c’est une véritable croisade !
« Des voleurs, des Huns ! En 70 ils ont volé nos pendules pour qu’on n’entende pas sonner l’heure de la revanche, ils ont volé le plan de la femme-torpille et celui du paquetage carré.

« Des sauvages ! Ils ont tout pillé, ils ont brûlé Jeanne d’Arc et, si on les avait laissés faire, ils auraient tondu le Lion de Belfort en caniche.
« Mais heureusement que nous sommes un peu là, et que celui (avec un geste vers la suspension) qui est Là-Haut est un peu là aussi.
« Pas vrai, les enfants ? mais qu’est-ce, qu’est-ce qui se passe ? » Et se penchant sur notre père, il essaie de le ranimer et lui parle de la jambe, la fameuse jambe sur qui le pays compte.

Mais il ne suffit pas d’une histoire de jambe artificielle et sans doute imaginaire pour réveiller un homme mort. L’abbé se lève et, le petit doigt sur la couture de la soutane, récite la prière des agonisants.
Une femme passe la tête par la porte entr’ouverte, un sein lui sort du corsage, elle interpelle l’abbé.

— Viens donc, gros monstre, je te ferai la petite sœur des pauvres en ciseaux !

L’abbé interrompt sa prière, et regarde la femme en riant.
C’est la guerre, dehors le tocsin sonne. Tout le monde court, tout le monde s’embrasse, on boit, on se pince les fesses, on fait des jeunes pour la prochaine.

C’est la guerre ; le soir, deux bergers, deux idiots de village, enfermés dans une grange, se couperont la gorge pour ne pas y aller.
On ne les enterrera pas à l’église ni plus tard sous l’arc de triomphe : c’est toujours cela de gagné.

« La famille Tuyau de poêle ou Une famille bien unie » de Prévert :

Pièce de théâtre de Jacques Prévert relatant les péripéties d’une famille bourgeoise dépravée (pratiquant l’inceste, entre autres), mais se prétendant hypocritement très vertueux.

« Premier jour » de Prévert

Des draps blancs dans une armoire
Des draps rouges dans un lit
Un enfant dans sa mère
Sa mère dans les douleurs
Le père dans le couloir
Le couloir dans la maison
La maison dans la ville
La ville dans la nuit
La mort dans un cri
Et l’enfant dans la vie.

La famille bourgeoise vue par Balzac :

Lire ici : Mémoires de deux jeunes mariées de Balzac

Lire ici : Une double famille de Balzac

Lire ici La Femme de trente ans de Balzac

Lire ici Contrat de mariage de Balzac

Lire ici Eugénie Grandet de Balzac

Lire ici Physiologie du Mariage de Balzac

Roger Vitrac « Victor ou les enfants au pouvoir » :

L’action se situe le 12 septembre 1909. Victor fête ses 9 ans. Il mesure un mètre quatre-vingt-un. Il a été sage jusqu’à ce jour et souhaite à l’occasion de son anniversaire réaliser quelque chose de grand. Le souper se prépare, les voisins arrivent, mais le comportement inattendu de Victor bouscule toute la fête et c’est un vent de folie qui souffle sur cette fausse comédie de boulevard nourrie de surréalisme. Vitrac qui pose un regard révélateur sur la société bourgeoise.

Victor : J’ai neuf ans. J’ai un père, une mère, une bonne. J’ai un navire à essence qui part et qui revient à son point de départ, après avoir tiré deux coups de canon. J’ai une brosse à dents individuelle à manche rouge. Celle de mon père a le manche bleu. Celle de ma mère a le manche blanc. J’ai un casque de pompier, avec ses accessoires, qui sont la médaille de sauvetage, le ceinturon verni et la hache d’abordage. J’ai faim. J’ai le nez régulier. J’ai les yeux sans défense, et les mains sans emploi, parce que je suis trop petit. J’ai un livret de caisse d’épargne, où l’oncle Octave m’a fait inscrire cinq francs le jour de mon baptême, avec le prix du livret et du timbre ça lui a coûté sept francs. J’ai eu la rougeole à quatre ans et sans le thermomètre du docteur Ribiore, j’y passais. Je n’ai plus aucune infirmité. J’ai la vue bonne et le jugement sûr, et je dois à ces dispositions de t’avoir vu commettre, sans motif, un acte regrettable. La famille appréciera.
...

Victor est la première tragédie des temps modernes, même si elle est située dans un cadre bourgeois et si elle provoque le rire.

Encore faut-il s’entendre sur le concept de la tragédie.
Les adultes auront beau se confesser, prêter serment, il n’aura, quant à lui, d’autre issue que dans la mort. L’univers des parents est trop compromis à ses yeux pour qu’il accepte d’y pénétrer et cesse de le juger. (...)

Victor, c’est le cri de l’enfant que nous avons tué en nous – quelles que soient ses contradictions –
 ; c’est le rappel nostalgique des virtualités définitivement anéanties. (...)

Zéro de conduite théâtral qui, comme le film de Jean Vigo, dépasse la violence satirique par l’exploration onirique, la comédie de l’hypocrisie bourgeoise par le drame de l’enfance.

Un malentendu tragique se noue au cœur de la condition humaine et débouche sur la mort au terme d’une veillée qui est à la fois la folle nuit des adultes et le voyage au bout de la nuit de l’enfance.

Lire ici

Et là

Panaït Istrati dans « La jeunesse d’Adrien Zograffi »

« En général, les parents ne se doutent pas de l’agonie infligée à l’âme de l’enfant… Celui-ci – être encore exempt de tout préjugé et qui obéit uniquement à ses instincts – sent l’abîme s’ouvrir devant ses premiers pas dans la vie, se révolte et contracte une haine implacable, aussi bien contre son patron que contre sa propre famille.
Tout enfant est un révolutionnaire. Par lui, les lois de la création se renouvellent et foulent aux pieds tout ce que l’homme mûr a édifié contre elles : morale, préjugés, calculs, intérêts mesquins. L’enfant est le commencement et la fin du monde ; lui seul comprend la vie parce qu’il s’y conforme, et je ne croirai pas à un meilleur avenir que le jour où la révolution sera faite sous le signe de l’enfance.

Sorti de l’enfance, l’homme devient monstre ; il renie la vie en se dédoublant hypocritement. …

Créature fragile, toute vibrante d’émotivité, toute assoiffée de vie, l’enfant est encore livré aux brutes humaines, ignorantes et crevant d’égoïsme, qui lui cassent les reins dès qu’il tombe en leur pouvoir. Comment saurait-elle, cette face bestiale, que l’enfant est un début de vie friand de la lumière du jour, du bruissement des arbres, du clapotis des vagues, de la brise caressante, du gazouillement des oiseaux, de la liberté des chiens et des chats qui courent la rue, de la campagne embaumée, de la neige qui le brûle, du soleil qui l’étonne, de l’horizon qui l’intrigue, de l’infini qui l’écrase ? Comment se douterait-il que l’enfance est la plus douce des saisons de la vie, et que l’on peut seulement pendant cette saison-là jeter les fondations de cet édifice humain dont l’existence sera précaire dans le bonheur même ? Fondations qui doivent être faites de bonté, si l’on ne veut pas que tout l’édifice dégringole dans l’abîme !

Et comment la base de la vie serait-elle de cette trempe quand la majorité de l’humanité passe son enfance à recevoir des coups et à vivre dans la privation, dans la mortification et dans les assommantes forteresses dressées par les lois ? Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que la terre foisonne de voleurs, de criminels, d’escrocs, de maquereaux, de paresseux et d’ennemis de l’ordre, quand votre « ordre », ô maîtres, n’est fondé que sur des cruautés incompatibles avec les lois naturelles ?

Et vous êtes des législateurs – ô ogres de la belle enfance ! ô cabaretiers, épiciers, manufacturiers, grands détenteurs de terres, noires comme votre âme ! – et vous avez des académies, et des chaires de morale, et des Eglises qui prêchent la pitié au son de cloches assourdissantes, et des Parlements, et vous ignorez ce que renferme la poitrine d’un enfant, comme vous ignorez tout de cette vie qui pourrait être belle et que vous estropiez. »

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