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Qui a fondé le PC (SFIC, section de France d’une internationale) et non pas PCF (parti communiste français puisqu’un communiste, internationaliste, ne peut pas être français !)

jeudi 13 novembre 2014, par Robert Paris

Ce sont quelques rares militants restés révolutionnaires et internationalistes pendant la première guerre mondiale qui vont être le centre de la reconstruction d’un mouvement communiste en France :

« En France, ce sont Loriot et ses amis qui se rapprochent le plus des véritables internationalistes, ainsi que le Français Henri Guilbeaux qui publie à Genève la revue Demain. »

Lénine, Les tâches du prolétariat dans notre révolution

« Peu après mon arrivée à Paris, je rencontrai Monatte, un des rédacteurs du journal syndicaliste La Vie ouvrière. Petit, maigrichon, énergique, ancien maître d’école, puis correcteur de profession, avec l’inévitable casquette à visière sur le côté, Monatte fit, dès le début, tomber la conversation sur les questions fondamentales du mouvement. Pas une seconde, il n’admit la réconciliation ave le militarisme et le pouvoir bourgeois. Mais où est la voie du salut ?… Par l’intermédiaire de Monatte, je fis la connaissance — qui devait devenir plus intime par la suite — du journaliste Rosmer ; du secrétaire de la Fédération des Métaux.. ; du journaliste Guilbeaux, plus tard condamné à mort par contumace ; du secrétaire de la Fédération du Tonneau, « le père Bourderon », de la militante pacifiste Louise Saumoneau ; de l’instituteur Loriot et de bien d’autres. Les anarcho-syndicalistes restés fidèles à leur drapeau, tentaient d’expliquer la faillite de l’Internationale par l’influence néfaste du Marxisme et du Parlementarisme. Mais le passage général des dirigeants syndicalistes de la C.G.T. dans le camp gouvernemental était une négation trop visible du point de vue anarchiste, d’autant plus que, dans les rangs du Parti socialiste, les voix de l’opposition se faisaient entendre de plus en plus. Loriot et Saumoneau étaient membres du Parti. »

Léon Trotsky, Guerre et révolution tome II

Qui a fondé le PC (parti communiste de France) et non pas PCF (parti communiste français puisqu’un communiste ne peut pas être français !)

Ce n’est pas Marcel Cachin ! Ce n’est pas Frossard ! Ce n’est pas Maurice Thorez ! Connaissez-vous Monatte, Rosmer, Guilbeaux ou Loriot ? Alexandre Blanc et Raffin-Dugens. Sûrement pas et pourtant... Sûrement pas parce que le stalinisme, contre-révolutionnaire, s’est empressé d’exclure les véritables révolutionnaires, traités de trotskystes !

Aujourd’hui, le PCF est un parti nationaliste français et les travailleurs ne savent même plus ce que voulait dire SFIC ni ce que signifie faire partie d’une internationale !!!

A ceux (les staliniens) qui veulent faire croire que Marcel Cachin est le véritable fondateur du parti communiste en France

Ce que disait Loriot de Marcel Cachin en 1924

Le lancement d’un courant communiste en France, celui qui soutient la révolution russe d’octobre 1917 et la politique révolutionnaire de Lénine et Trotsky, provient de plusieurs sources et pas seulement de l’aile gauche de la SFIO : le Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI), qui comprend également des syndicalistes non membres du parti socialiste, le groupe communiste français de Russie, les comités syndicalistes révolutionnaire (CSR), du groupe syndicaliste, antiguerre et révolutionnaire de la Vie Ouvrière animé par Pierre Monatte, ou encore le mouvement Clarté (initié par l’écrivain Henri Barbusse) mais essentiellement du Comité de la troisième Internationale s’appuyant sur le Bulletin communiste. Ses principaux animateurs – Boris Souvarine, Fernand Loriot, Pierre Monatte, Albert Treint et Alfred Rosmer.

Le « Comité pour la reprise des relations internationales », devient en mai 1919 le « Comité de la IIIe Internationale » qui délègue Rosmer à Moscou pour le IIe congrès de la Troisième Internationale que l’on appellera aussi ‘’Internationale Communiste’’ (IC). Rosmer va rester en Russie dix-sept mois pendant lesquels il fréquentera tous les dirigeants bolcheviques, notamment Trotsky et Lénine et les dirigeants de l’IC comme Zinoviev avec qui les rapports seront toujours tendus. Il est admis au Comité exécutif de l’IC et siège à la Commission des problèmes internationaux qu’il préside à plusieurs reprises et à la commission syndicale. Il entre au « petit bureau » du comité exécutif aux côtés de Zinoviev, Radek, Boukharine et Béla Kun instances de l’IC, mais également la Belgique et de la Suisse. Rosmer travaillait essentiellement au sein des instances de l’IC. Ses prises de position furent nettes. Dans les discussions internes, s’il avait des divergences tactiques, ou d’autres plus profondes, il ne souhaitait pas les exposer à l’extérieur : il n’était pas question de nuire à l’action de l’IC avec laquelle il était en accord sur les points essentiels.

Tous les noms de militants communistes de France qui précèdent sont supprimés de l’histoire officielle du parti communiste de France, à partir du moment qu’il devient stalinien car ils sont successivement exclus…Les noms reconnus comme ceux de fondateurs du PC (section française de l’IC) sont ceux de personnages hostiles à la révolution russe et au communisme, des patriotes pro-guerre mondiale comme Cachin. Il n’avait été qu’à reculons à l’invitation au congrès de l’Internationale communiste à Moscou où il affirmait n’être venu que « comme observateur »…

À partir de 1920, Boris Souvarine est un des animateurs de ce comité, avec Fernand Loriot, Pierre Monatte et Charles Rappoport. Ils militent pour que la SFIO quitte la Deuxième Internationale, ce qui est acquis au congrès de Strasbourg en février 1920, puis adhère à la Troisième Internationale. Peu après le congrès de Strasbourg, Loriot, Monatte et lui sont arrêtés en liaison avec la grève des cheminots de 1920 et sont incarcérés à la prison de la Santé, bénéficiant cependant d’un régime qui leur permet de communiquer largement avec l’extérieur.

Fernand Loriot est arrêté comme Boris Souvarine et Pierre Monatte en mai 1920 pour son militantisme révolutionnaire, notamment leur engagement au sein du Comité de la Troisième Internationale, nouveau nom du CRRI, qui défend l’adhésion de la SFIO à l’Internationale communiste. Bien qu’interné à la prison de la santé, il participe à la création en décembre 1920 de la SFIC, futur Parti communiste français, lors du congrès de Tours. Loriot est membre du premier comité directeur, où il a le poste de secrétaire international (numéro 2 du parti).

Après quelques mois de relative stabilité, la direction de la SFIC se divise entre trois tendances, la « droite » qui milite pour le retour à l’unité du mouvement socialiste, le « centre » auquel appartient le secrétaire général Frossard et la « gauche », dont Treint devient l’un des principaux animateurs. Son intransigeance, son ardent militantisme en faveur des thèses de la direction de l’Internationale communiste en font l’un des protagonistes incontournables de la crise qui secoue le PCF jusqu’à la fin de l’année 1922. Le conflit entre tendances se cristallise autour de deux points : la discipline dans le Parti et l’application de la tactique du front unique, voulue par la direction de l’IC. Éliminé de la direction du parti communiste SFIC au terme du deuxième congrès national tenu à Paris en octobre 1922, Treint devient cependant cosecrétaire général du Parti communiste quelques semaines après. Malgré les pressions de l’IC le centre et la gauche ont été incapables de collaborer, au point d’amener le parti communiste au bord de la scission. Il faut tout le poids des dirigeants de l’IC pour imposer, lors du quatrième congrès mondial de l’IC (5 novembre/5 décembre 1922), une solution de conciliation entre les deux tendances qui offre dans les faits le contrôle du Parti communiste à son aile gauche autour de Loriot, Rosmer, Souvarine et Treint.

Alfred Rosmer était l’un des principaux fondateurs du courant communiste en France :

Dans sa préface à la première édition de Moscou sous Lénine, Albert Camus écrivait : « Rosmer, en ces temps tortueux, a suivi la voie droite, à égale distance du désespoir qui finit par vouloir sa propre servitude et du découragement qui tolère la servitude d’autrui. C’est ainsi qu’il n’a rien renié de ce qu’il a toujours cru. »

Cette voie droite, Alfred Rosmer l’emprunta très jeune et ne s’en écarta pas. Alfred Griot, qui choisit pour nom de plume « Rosmer » emprunté à un personnage du dramaturge suédois Ibsen, naquit en 1877 aux Etats-Unis, où son père exerçait la profession d’artisan coiffeur. Rosmer avait huit ans lorsque son père décida de revenir en France pour y ouvrir un salon de coiffure à Montrouge, dans la banlieue parisienne.

Le jeune Rosmer passa par la suite un concours lui permettant de devenir employé aux écritures à la mairie de Paris, et s’engagea vite dans l’activité militante. Dans un premier temps, il s’intéressa aux idées anarchistes, puis se rapprocha du courant syndicaliste révolutionnaire, alors majoritaire au sein de la CGT. Il fut l’un des collaborateurs de la Vie ouvrière fondée en 1909 par Pierre Monatte. Rosmer fut chargé de la rubrique concernant l’international, car il parlait couramment l’anglais. Il se mit à l’apprentissage des langues, et en apprit plusieurs, notamment le russe et l’italien. Sa curiosité et sa culture étaient considérables, constamment au service de ses idées, sans aucune ambition de « carrière ».

Dans la tourmente qui accompagna la marche à la première guerre mondiale, puis lors de son déclenchement en 1914, Rosmer montra à quel point ses convictions étaient solidement enracinées. La déclaration de guerre avait en effet provoqué un véritable cataclysme au sein du mouvement ouvrier. Dans tous les pays belligérants, la majorité des dirigeants des partis socialistes, mais aussi les dirigeants anarchistes et syndicalistes, retournèrent leur veste, piétinant sans vergogne les déclarations contre la guerre qu’ils avaient faite quelques semaines, voire quelques jours auparavant, et se rangèrent derrière la fraction la plus va-t-en guerre dans chaque camp. Certains socialistes devinrent ministres, d’autres mirent, avec zèle, leur plume et leur réputation au service de la propagande belliciste. Bien peu résistèrent à la vague de chauvinisme qui submergea le mouvement ouvrier international. En France Alfred Rosmer fut de ceux-là avec le noyau de responsables de la Vie ouvrière, dont Pierre Monatte.
Pendant la guerre, il continua ses activités militantes, animant des petits groupes internationalistes, participant aux tentatives de regroupements, comme celui qui se créa après la conférence de Zimmerwald (septembre 1915). Ce fut à cette époque qu’il rencontra nombre de militants pacifistes ou révolutionnaires qui, eux aussi, avaient tenu face au chauvinisme et au nationalisme. Parmi eux, il y avait les militants russes Léon Trotsky et Martov, qui publiaient à Paris et en russe le journal Nache Slovo (Notre parole). De ces rencontres, naîtra une solide amitié entre Rosmer et Trotsky.

Après la révolution russe d’octobre 1917, c’est tout naturellement qu’Alfred Rosmer s’engagea dans le mouvement communiste. Il participa, en tant que délégué au second congrès de la Troisième internationale - l’Internationale communiste - qui se tint en Russie en juillet 1920, et fut élu à la direction de l’Internationale. Pendant dix-sept mois, il participa à ses travaux. Il y retourna également à plusieurs reprises entre 1922 et 1924.

A son retour en France, en octobre 1921, il adhéra au Parti communiste qui s’était constitué quelques mois plus tôt. Il en fut l’un des dirigeants, faisant partie de son aile gauche. Il fut, durant une courte période, à la direction de son quotidien l’Humanité. Mais le Parti communiste en France, tout comme les différents partis affiliés à l’Internationale communiste, subissait les répercussions de la main mise de la bureaucratie en URSS, sur la direction du Parti soviétique, puis sur celle de l’Internationale communiste et de L’Etat soviétique. En octobre 1924. Alfred Rosmer, Pierre Monatte et quelques-autres furent exclus du Bureau politique, puis du Parti communiste lui-même.
Dès lors, Rosmer mena le combat contre la dégénérescence qui gagnait à la fois le Parti communiste et l’Etat soviétique et qui allait aboutir à la victoire de Staline et de ses partisans. Il s’opposa sans relâche et sans défaillance au stalinisme qu’il considérait comme une perversion criminelle de l’idéal communiste. En 1925, il collabora à la création et à la rédaction de la revue de son ami Pierre Monatte, la Révolution Prolétarienne, qui se voulait hors de tout parti et regroupait des marxistes, des syndicalistes révolutionnaires et des anarchistes.

Partageant les idées de Trotsky et son analyse de la situation, il rejoignit son combat. Il fut à ses côtés, le soutenant pour affronter les embûches et les traquenards mis en place par Staline et ses hommes de main, l’aidant personnellement, lui et sa famille à de multiples reprises. Toutefois, s’il fut présent dans le mouvement trotskyste à la fin des années 20, il s’en tint à l’écart au milieu des années 1930. C’est ainsi qu’il mit, en 1938, à la disposition des partisans de la IVème Internationale sa maison de Perrigny, dans la région parisienne, pour permettre la réunion de la conférence qui décida de sa fondation. Mais il ne participa pas à cette réunion.

Pendant cette période, il s’attela à la rédaction d’une monumentale « Histoire du mouvement ouvrier pendant la première guerre mondiale » dont le premier tome vit le jour en 1935. En 1937, Alfred Rosmer participa activement aux travaux du comité mis en place aux USA pour rétablir la vérité sur les procès de Moscou, afin de mettre bas l’échafaudage de mensonges et de calomnies dressé contre Trotsky et ses partisans par la machine de propagande stalinienne. Trotsky avait choisi Rosmer comme tuteur de son petit-fils qui se trouvait en France. En 1939, Rosmer et sa compagne Marguerite amenèrent ce petit-fils à Mexico, rencontrèrent Trotsky quelque temps avant son assassinat, puis se rendirent aux Etats-Unis où ils furent contraints de séjourner pendant toute la guerre.

Rosmer rapporte dans "Moscou sous Lénine" : "Au Parti communiste et à l’Humanité, la plupart des dirigeants et rédacteurs étaient restés au Parti non par conviction mais par calcul ; on se plaignait - dans le privé - de “ Moscou ”, on trouvait ses rappels insupportables ; on rusait avec l’Internationale communiste au lieu de s’expliquer franchement. Des 21 conditions d’admission et des décisions du 2e congrès, celles qu’on avait le plus volontiers acceptées c’étaient ce qui concernait la participation aux élections et à l’activité parlementaire ; un siège de député était convoité, non en tant que poste de combat, aussi exposé que d’autres, mais parce que c’était une position confortable, aux avantages multiples ; le vieux parti socialiste, trop souvent, continuait. On complotait dans les coins, quand on se savait entre compères et qu’on parlait à cœur ouvert ; on s’ingéniait à trouver les moyens de “ paraître ” être d’accord avec les décisions de l’Internationale communiste. Là aussi l’hypocrisie était de règle. Car la masse, elle, restait attachée à la Révolution russe et à l’Internationale communiste. Elle résistait à la critique incessante qu’en faisaient les agents de la contre-révolution, les journaux de la bourgeoisie, les leaders réformistes de la C.G.T. ; des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires installés maintenant à Paris s’efforçaient, par une information tronquée et truquée de tromper les ouvriers, de les détourner des soviets. Mais les critiques, les récits, les insinuations venant de syndicalistes et d’anarchistes la troublaient, l’inquiétaient. (...) La politique de front unique (préconisée par l’IC) mit le parti en état de crise. La quasi-totalité de sa direction le déclara inacceptable ; elle vit là une occasion de se dresser ouvertement contre la direction de l’Internationale communiste. Le parti incontestablement le moins communiste se montrait le plus exigeant. L’examen de la composition de sa direction permettait de déceler aisément ce que cachait ce paradoxe. Elle comprenait surtout des journalistes, des députés, plusieurs d’entre eux venant du vieux parti ; elle était faiblement liée au mouvement syndical ; chez les plus sincères il y avait beaucoup de verbalisme ; la grande majorité de ses membres supportait mal les critiques de l’Internationale communiste. La tactique allait leur permettre, pensaient-ils, de prendre une aisée revanche, dans un débat où ce seraient eux qui dénonceraient l’ “ opportunisme ” et l’incohérence de la direction de l’Internationale communiste. La presse du parti chargea à fond ; nul exposé honnête de la tactique mais des critiques de tout genre, ironiques ou indignées. Le Comité directeur se réunit pour en discuter. La résolution adoptée ne se bornait pas à déclarer “ impossible ” l’application de la tactique en France ; elle “ estimait ” qu’elle présentait pour l’Internationale des “ dangers contre lesquels des garanties devaient être prises ”. Assuré ainsi de recevoir une large approbation, le secrétaire du parti, Frossard, convoqua une conférence extraordinaire des secrétaires fédéraux. Elle se tint à Paris le 22 janvier 1922.

Il y avait dans le parti une tendance de gauche, comprenant surtout les nouvelles recrues, sincèrement attachée et dévouée à la Révolution russe ; c’est elle qui avait imposé l’adhésion à l’Internationale communiste, et elle était toujours disposée à approuver ses décisions ; cette fois elle le fit sans enthousiasme. Cependant un de ses membres monta à la tribune pour défendre la tactique que, l’un après l’autre, les secrétaires fédéraux condamnaient (46) ou approuvaient (12) mollement. Il le fit de telle façon que son intervention fut une véritable catastrophe. C’est lui, qui en cette occasion, lança la formule destinée à devenir célèbre : “ plumer la volaille ”. Il ne comprenait pas que le front unique provoquât tant d’émoi ; ce n’était expliquait-il qu’une habile manœuvre permettant de dépouiller les partis socialistes et les syndicats réformistes de leurs adhérents qu’on arracherait un à un comme les plumes d’un poulet. Comme on peut l’imaginer, la “ volaille ” ainsi prévenue, s’agita, railla, cria, pour la plus grande joie de la galerie et la consternation des amis du candide "plumeur".

Devant ce désarroi provoqué par l’incompréhension, réelle ou feinte, une discussion générale s’imposait. La direction de l’Internationale communiste avait, par avance, décidé de réunir un Comité exécutif élargi. Ces Comités élargis qui devinrent de pratique courante, étaient, en fait, de petits congrès. Aux membres réguliers du Comité exécutif se joignaient les délégations spécialement envoyées par les sections ; cela faisait une centaine de participants. Celui-ci tint séance du 21 février au 4 mars 1922, au Kremlin, dans la salle Mitrofanovsky, celle où s’était réuni le premier congrès qui, en mars 1919, avait proclamé la 3e Internationale. Les débats furent très intéressants ; le cadre et le caractère en excluaient toute rhétorique, tout bavardage ; il fallait être précis et capable d’avancer des arguments sérieux pour justifier les positions prises, les interprétations formulées, surtout les accusations lancées. Les Français, qui avaient été particulièrement agressifs, ne tardèrent pas à s’en apercevoir. Ceux d’entre eux qui étaient le plus disposés à une conciliation, au moins de forme, soutinrent la thèse que la tactique du front unique était, pour la France, sans objet. Ils affirmaient que les “ dissidents ” - c’étaient ceux qui avaient quitté le parti après le vote d’adhésion à la 3e Internationale - n’étaient plus qu’un groupe minuscule ; ils n’avaient réussi qu’à emmener avec eux la grande majorité des députés ; leur journal n’avait qu’un faible tirage, “ tandis que nous, avec l’Humanité, nous touchons toute la classe ouvrière ” ; et il en est de même dans les syndicats : la scission, voulue par les chefs réformistes, leur a été funeste.

Il y avait quelque chose de vrai dans ces affirmations, mais le tableau était quand même bien trop optimiste. La scission syndicale, devenue définitive au début de l’année, avait pleinement démontré que Jouhaux et ses amis ne s’étaient maintenus à la direction de la Confédération générale du Travail qu’au moyen de manœuvres et de fraudes. Ils ne gardaient avec eux qu’un effectif restreint, non négligeable cependant. Et l’unité du front prolétarien n’en restait pas moins nécessaire car elle permettait, de surcroît, de ramener au syndicat et dans l’action les ouvriers qui, impatientés et découragés, avaient quitté les organisations syndicales ; on en comptait déjà plus d’un million.

Les irréductibles formaient un groupe hétéroclite qui manifestait un gauchisme inconsistant, surtout verbal. Ils furent bien embarrassés quand Trotsky - c’est lui qui avait été chargé du rapport - montra, par des citations prises dans leurs articles, écrits à Paris mais qu’ils n’avaient pas le courage de reprendre à leur compte à Moscou, que leur soi-disant intransigeance révolutionnaire ne révélait rien d’autre que leur détachement - volontaire ou non - du mouvement ouvrier, une interprétation erronée de la tactique proposée, et une hostilité foncière à l’égard de l’Internationale communiste. (...) L’ancien parti socialiste avait voté l’adhésion à l’Internationale communiste à une énorme majorité, ainsi que nous l’avons vu, au Congrès de Tours, fin décembre 1920. Le Parti communiste se trouva donc formé d’une très grande portion de l’ancien parti, les “ dissidents ” ayant gardé surtout avec eux la majorité des parlementaires et une partie des cadres - “ la parure du Parti ”, disait Jean Longuet. La base, une base saine, ardente, comprenant des éléments nouveaux, les jeunes, les anciens combattants, des syndicalistes et un faible contingent d’anarchistes, allaient au communisme avec enthousiasme [37].

Nous avons vu cependant que les délégations envoyées à Moscou en juillet de l’année suivante, au congrès de l’Internationale communiste et à celui de l’Internationale syndicale rouge, eurent une attitude singulière. Le premier congrès du Parti, tenu à Marseille en décembre 1921 avait révélé quelque chose de trouble, d’inquiétant, dans le fonctionnement du Parti, de déplaisantes manœuvres souterraines. Sans une discussion préalable qui aurait pu le justifier ou l’expliquer, Boris Souvarine, alors à Moscou, délégué du Parti au Comité exécutif de l’Internationale, n’avait pas été réélu au Comité directeur. Là-dessus ses camarades de tendance avaient donné, séance tenante, leur démission. Première crise. L’Internationale communiste blâma les démissionnaires pour s’être retirés ; elle blâma davantage la direction pour sa manœuvre et exigea la réintégration des démissionnaires.

Vint alors la tactique du front unique. J’ai montré comment elle fut accueillie. Cependant au Comité exécutif élargi les opposants avaient déclaré se soumettre aux décisions de l’Internationale, et quelques mois plus tard, Frossard, qui cette fois avait consenti à faire le voyage de Moscou, déclara en conclusion de la discussion : “ C’est... pour ces raisons... que la délégation de la majorité du Parti français s’engage à rapporter au Parti les résolutions qui vont être prises, à les expliquer, à les commenter, à les défendre, à faire en sorte que, dans le plus court délai, elles soient pourvues de leur sanction pratique, et j’espère, vous me permettrez de finir par là, j’espère qu’au 4e Congrès de l’Internationale communiste ce ne sera pas la question française qui retiendra plus particulièrement l’attention de l’Internationale. ” Et il rentra à Paris avec une motion pour le prochain congrès du Parti signée Frossard-Souvarine. C’est donc l’accord entre gauche et centre, le pivot de la combinaison sur laquelle le Parti communiste français a été édifié.

Le 2e Congrès du Parti doit se réunir à Paris le 15 octobre, peu avant le 4e Congrès de l’Internationale communiste qui, selon l’espoir exprimé par Frossard, n’aura plus à s’occuper de la sempiternelle question française. L’envoyé de l’Internationale est Manouilsky. Pour sceller définitivement l’accord, il organise des entrevues avec les représentants des deux tendances. Il propose l’égalité de représentation des tendances centre et gauche au Comité directeur, le délégué de l’Internationale devant aider à résoudre les conflits qui pourraient se produire quand les membres des deux tendances resteraient intransigeants et figés sur leurs positions. Le centre refuse : le Parti communiste ne serait plus indépendant, dit-il ; c’est le représentant de l’Internationale qui deviendrait l’arbitre et déciderait. La gauche revendique la majorité. Le prestige et l’autorité de Manouilsky sont si faibles que le congrès s’ouvre sans qu’il ait pu obtenir un accord.

Après les premiers débats, le scandale éclate. L’adjoint de Frossard au secrétariat, Ker, est à la tribune pour son rapport. C’est un bon travailleur, capable, sympathique, conciliant. À la stupeur générale, il se lance dans un violent réquisitoire contre la gauche, caractérisant les pourparlers avec le délégué de l’Internationale comme un complot ourdi dans la coulisse. C’est une déclaration de guerre, mais que ce soit lui qui en ait été chargé, c’est là surtout ce qui étonne. Tous les débats vont être dominés par cette offensive. Que veut le centre ? C’est lui qui occupe les postes de commande ; Frossard est au secrétariat ; Cachin à la direction de l’Humanité ; la grande majorité du Comité directeur lui appartient. Mais l’adhésion à l’Internationale communiste lui pèse ; il est constamment en désaccord avec ses décisions. Cependant il se garde de se dresser ouvertement contre l’Internationale ; tout au contraire, après avoir manifesté des velléités de résistance, il s’incline, proteste humblement de son inaltérable fidélité. Aujourd’hui veut-il aller plus loin ? En conclusion des débats, il recueille la majorité des mandats, une majorité très faible : 1.698 contre 1.516 à la gauche ; beaucoup s’abstiennent, 814, marquant ainsi leur mécontentement. Néanmoins le centre revendique tout le pouvoir. Il gouvernera seul “ en accord avec l’Internationale ” - bien qu’il soit en désaccord ici avec l’homme qui la représente [38].
Que signifie exactement ce jeu compliqué ? Point n’est besoin d’être dans les secrets de la direction pour imaginer ce qui s’y passe. On connaît les hommes qui supportent mal l’autorité de l’Internationale ; quelques-uns, d’ailleurs, l’avouent. Mais celui qui prépare et dirige toutes ces manœuvres, maître en faux-fuyants et en dérobades, c’est le secrétaire du Parti lui-même, Frossard. Il n’a pas quarante ans, mais c’est déjà un vieux routier du Parti ; pendant la guerre, il s’est approché de la tendance zimmerwaldienne. Merrheim qui avait eu l’occasion de le bien connaître le considérait comme un compagnon peu sûr ; il se hâta d’ailleurs de passer chez Longuet dès que celui-ci eut organisé sa tendance minoritaire dans le Parti socialiste ; il y avait là beaucoup de députés ; on critiquait la politique de guerre du gouvernement, mais on votait les crédits pour la guerre ; c’était une position sans danger et sans risques et qui devint profitable quand les minoritaires l’emportèrent et disposèrent des postes. Cachin reçut la direction du quotidien ; Frossard le secrétariat du Parti.

Je les avais rencontrés tous deux à Moscou, lors du 2e Congrès de l’Internationale quand ils y avaient été envoyés “ pour information ”. Frossard se tenait derrière Cachin qu’il laissait s’exposer seul aux rebuffades. Par la suite, le même jeu continua, lorsque l’Exécutif les mandait à Moscou. Tous deux commençaient par refuser énergiquement de faire le voyage. Quand les messages se faisaient insistants, Frossard laissait Cachin se débattre, sachant qu’il céderait et qu’ainsi il pourrait, lui, se dérober. En effet, Cachin, après avoir protesté, crié qu’il n’irait pas, se mettait en route préparant déjà, pour apitoyer ses critiques, des tirades sentimentales qu’il appuierait d’une larme à l’œil.

C’est Frossard qui, par hasard, me révéla sa technique. Au cours du seul voyage qu’il fit à Moscou comme secrétaire du Parti, il avait pris un engagement ferme au sujet du congrès constitutif de la Confédération Générale du Travail Unitaire qui allait se tenir à Saint-Étienne : il réunirait les délégués appartenant au Parti avant le congrès pour élaborer ensemble programme et tactique, et interviendrait lui-même au congrès. Il fit tout cela, prudemment comme toujours, mais il le fit. Les débats étaient assez durs. Sachant qu’ils n’obtiendraient pas la majorité, les anarchistes et les “ syndicalistes purs ” qui, par suite de circonstances fortuites, dominaient le secrétariat et la commission exécutive de la C.G.T.U., étaient agressifs, attaquaient le Parti communiste et ses membres. L’un de ceux-ci, secrétaire d’une Union départementale importante, leur tenait tête mais assez maladroitement. Tandis qu’il parlait, Frossard vint près de moi et me dit : “ Je l’ai trop remonté, le frère ! ” Sur le moment, sa confidence - que j’étais surpris qu’il me fît car il n’y avait aucune espèce d’intimité entre nous - m’amusa. Mais plus tard, jugeant d’ensemble le développement du Parti communiste français, sous tant d’aspects si décevant, et même lamentable, elle me fournit la clé des incidents répétés, des crises successives : Frossard, restant dans la coulisse, “ remontait les frères ”. Il les avait remontés pour le 3e Congrès de l’Internationale communiste et pour le premier congrès de l’Internationale syndicale rouge ; il avait “ remonté ” le trop docile Ker pour le congrès de Paris ; surtout il “ remontait ” les nouveaux dirigeants de la C.G.T.U., sympathisants communistes et désireux d’adhérer à l’Internationale syndicale rouge mais qu’il était facile de troubler et d’inquiéter avec les “ oukases ” de Moscou ; c’était là son gros atout ; une C.G.T.U. hostile rendrait difficile la formation d’un véritable parti communiste [39].
Cette fois la crise revêtait un caractère si aigu qu’il devenait nécessaire d’en finir avec des manœuvres et des dérobades qui créaient une situation insupportable. Pour préparer les débats du congrès, une commission d’une importance exceptionnelle par le nombre et par le choix des délégués fut formée : les délégations y étaient représentées par leurs membres les plus qualifiés, la délégation russe ayant donné l’exemple en désignant Lénine, Trotsky, Zinoviev et Boukharine. Lénine n’y vint pas, mais il suivit de près ses débats. C’est dans son sein que se régla le sort du Parti communiste français. Il se présentait devant elle en morceaux : le centre, avec sa prétention de gouverner seul, formulée mollement à Paris et déjà mal assurée à Moscou ; la gauche, profondément attachée à l’Internationale communiste, mais trop faible pour s’emparer de la direction comme l’avaient fait les Italiens ; enfin cette “ droite ” dont j’ai déjà, à propos de la discussion sur le front unique, signalé le gauchisme verbal, non moins hostile que le centre à l’Internationale et, en fait, marchant avec lui. N’ayant adhéré au Parti qu’après mon retour en France, dans les derniers mois de 1921, je pouvais juger les uns et les autres avec assez de détachement ; les dangers de la méthode adoptée en 1920 pour former les partis communistes apparaissaient clairement ; même Zinoviev les voyait et les signalait, écrivant dans son rapport : “ Nous avons dans notre parti d’autant plus de centrisme, de social-démocratie, que nous avons accueilli de plus nombreuses fractions de l’ancien mouvement social-démocrate. ” Le Parti communiste français n’était donc pas le seul dans son cas mais ce qui le caractérisait fâcheusement, c’était l’hypocrisie de nombre de ses dirigeants [40]. Le jour où je devais parler devant la commission nous venions de recevoir le plus récent numéro du Bulletin communiste où, en ce moment même, on avait l’impudence de reprendre les critiques anciennes de la tactique de l’Internationale. Ceci me fournit une entrée en matière qui, du coup, liquida les droitiers ; pendant la lecture, ils baissaient la tête, sentant la réprobation unanime de la commission. Aux représentants du centre, je posai la question : “ Vous prétendez exercer seuls la direction et en accord avec l’Internationale. Mais qui peut avoir confiance en vos déclarations ? ” Ici, quelques-uns d’entre eux grognèrent. Parlant en fin de séance, Trotsky prit à partie, nommément, Ker, dont il venait d’apprendre qu’il était franc-maçon - ce que beaucoup d’entre nous ignoraient. Comment peut-on être communiste et franc-maçon ? demanda Trotsky ; pour lui, c’était absolument incompatible.

La discussion se poursuivit durant plusieurs séances. Je ne signalerai qu’un accident, bref mais important, qui marqua la dernière. La délégation du centre était, en fait assez hétérogène. À côté des vieux routiers de la politique et du Parti, il y avait des éléments nouveaux, venus au socialisme après la guerre et à cause de la guerre. Le plus remarquable d’entre eux était Renaud Jean ; il s’efforçait d’ailleurs, de rester hors tendance. Parti à la guerre paysan, immobilisé par une grave blessure ; il avait beaucoup lu et appris pendant sa convalescence. Il écrivait bien, exprimant avec forces les colères des hommes qui avaient souffert dans les tranchées et en étaient revenus résolus à chasser les gouvernants et à renverser le régime responsable de l’inutile massacre. Ses origines paysannes le portaient, en partie à son insu, à opposer les paysans qui avaient fait la guerre dans les tranchées aux ouvriers des usines, bénéficiaires de sursis d’appel. Le fait qu’il prétendait à une position personnelle, indépendante, montrait clairement qu’il ne donnait pas au communisme et à l’Internationale une adhésion sans réserve. Enfin, il voulait être, avec ostentation, le militant irréprochable. Tous ces détails sont nécessaires pour l’intelligence de l’incident qui éclata en fin d’une longue séance. L’ordre du jour était épuisé quand un délégué des Jeunesses communistes demanda la permission de poser une question. “ Notre Fédération, dit-il, reçoit des subsides de l’Internationale des Jeunesses communistes ; il nous apparaît normal qu’une section de l’Internationale soit aidée par le centre ou par d’autres sections. Or, certains camarades, et en particulier le camarade Renaud Jean, nous attaquent à ce sujet. Je demande que, dans cette commission, des voix autorisées lui rappellent qu’il s’agit là d’une manifestation de solidarité toute naturelle dans une organisation internationale. ” A peine cette demande a-t-elle été formulée que Renaud Jean se lève, s’avance vers la table où siège le bureau, commence une explication embrouillée que Trotsky interrompt un peu rudement en disant que l’Internationale communiste n’a rien de commun avec une foire où les paysans madrés se livrent à leurs marchandages. Interloqué, Renaud Jean se retire. La séance est levée dans une certaine gêne. Sans doute Trotsky aurait pu expliquer plus posément - comme il le fit le lendemain dans un entretien particulier. Mais il était deux heures du matin, un mouvement d’impatience pouvait se comprendre, on avait hâte de se séparer. Le moment était aussi mal choisi que possible pour soulever une question qui n’était certes pas sans importance et méritait d’être discutée. Renaud Jean n’était pas seul à penser que, dans ce domaine, l’Internationale communiste devait agir avec discernement et surveiller de près l’emploi des fonds mis à la disposition des sections. Il montra, d’ailleurs, beaucoup moins de scrupules par la suite, car il ratifia toutes les sottises et tous les crimes de la direction de l’Internationale, d’abord zinoviéviste puis stalinienne, les “ tournants ”, les “ procès de Moscou ”, les purges, la famine provoquée pour réduire les paysans ukrainiens, les meurtres des tueurs. Peut-être trouvait-il parfois la dose trop forte car de temps à autre le bruit se répandait que Renaud Jean avait quitté le Parti ; mais il n’en était rien, la résistance de Renaud Jean s’était bornée à quelques grimaces avant d’avaler l’amer breuvage.

En séance publique, Trotsky fit son rapport. Il ne cherchait pas à minimiser les difficultés de la tâche devant laquelle se trouvait l’Internationale. “ Nous avons maintenant devant nous, dit-il, une question importante et bien difficile. ” Étudiant les luttes intérieures du Parti, la polémique des fractions, il s’est reporté au discours prononcé par lui, dix-huit mois auparavant, à l’Exécutif élargi ; rien n’a changé ; le fait le plus frappant c’est que “ nous piétinons toujours sur la même place ”. Et à son tour il était amené à constater que trop du vieux Parti socialiste était resté dans le jeune Parti communiste. “ Nous avons entraîné avec nous, à Tours, beaucoup d’habitudes, de mœurs qui ne veulent pas céder la place aux attitudes et aux mœurs de l’action communiste. ”

Un problème particulièrement difficile c’était celui du rapport du Parti avec les syndicats. Le syndicalisme révolutionnaire avait de profondes racines dans le mouvement ouvrier français ; il avait fallu la Révolution d’Octobre et la création de l’Internationale communiste pour faire disparaître l’hostilité de principe des syndicalistes à l’égard des partis politiques. Cependant si l’hostilité avait disparu, une certaine méfiance subsistait que la politique de la direction du Parti n’était pas faite pour dissiper ; bien au contraire. Aussi, même chez les syndicalistes qui avaient adhéré au Parti restait-on réservé quand à l’intervention du Parti dans les grèves. D’autre part, si les grèves et l’action ouvrière devaient se dérouler sans la participation du Parti, celui-ci ne pourrait jamais devenir un parti communiste. Pour des raisons diverses, la direction du Parti suivait ici la ligne de moindre résistance, c’est-à-dire qu’elle s’effaçait complètement devant les syndicats. Ce ne pouvait être une solution. Que le problème fût particulièrement ardu, nul ne le savait mieux que moi ; je voyais les syndicalistes les mieux disposés à l’égard du Parti s’en écarter quand ils constataient que trop souvent il se comportait comme l’ancien parti socialiste, quand ils remarquaient que de jeunes militants délaissaient le travail syndical pour une activité électoraliste qui leur vaudrait un siège au Parlement.
La politique du Parti n’était pas seulement passive ; loin de chercher à atténuer les divergences, à rapprocher les points de vue, à trouver les bases d’une entente pour une action commune, elle les entretenait, les avivait pour pouvoir faire pression sur Moscou. Cependant on ne pouvait pas prétendre que, grâce à cette division du travail entre parti et syndicats, tout allait pour le mieux dans le mouvement ouvrier français. Trotsky énuméra des exemples de grèves perdues, de lourds échecs qu’il aurait été possible d’éviter.

Après de longues délibérations au cours desquelles furent examinées et discutées l’activité du Parti, les particularités du mouvement ouvrier, les luttes des fractions, la presse, la question paysanne, la politique coloniale, la commission élabora un programme d’action. Elle reconnut unanimement que les membres du Parti adhérant à la franc-maçonnerie et à la Ligue des droits de l’homme devaient immédiatement abandonner “ ces machines de la bourgeoisie créées pour endormir la conscience de classe des prolétaires ”. Exceptionnellement, et pour permettre au Parti de sortir de l’impasse où il s’était enfoncé, elle proposait que le Comité directeur fût constitué selon la proportionnelle sur la base des votes du congrès de Paris, les titulaires devant être désignés par les délégations elles-mêmes. Les représentants des trois tendances déclarèrent alors accepter la résolution sans réserve ; tous protestèrent de leur attachement et de leur dévouement à l’Internationale communiste.

Notes

[37] À la fin de la guerre, le Parti socialiste, réduit à 34.000 adhérents au lieu de 100.000 en 1914, connut une période de fiévreuse croissance. En quelques mois il reçut 150.000 nouveaux membres.

[38] C’est Cachin qui vint le dire à la tribune : “ Au nom du centre, je déclare que nous prendrons seuls la direction du Parti. ”

[39] Dans un article sur le congrès de Paris publié par le Bulletin communiste du 9 novembre 1922, M. Chambelland écrivait : “ Je me suis souvenu qu’avant Saint-Étienne, Monmousseau n’avait pas de mots assez durs pour qualifier Frossard qui, par personnage interposé, essayait de dresser, pour les besoins de sa politique, le mouvement syndical contre Moscou, et je me suis demandé si Monmousseau et ses amis allaient consentir à jouer, sous la même influence, le même rôle ici et à Moscou. ”

[40] “ La tendance du centre en France est une survivance de l’ancienne mentalité social-démocrate, mais elle s’affuble d’un masque en acceptant tout ce qu’on lui demande. ” (Discours de Boukharine à la commission.)"

Alfred Rosmer rapporte dans "Moscou sous Lénine" : "Au Parti communiste et à l’Humanité, la plupart des dirigeants et rédacteurs étaient restés au Parti non par conviction mais par calcul ; on se plaignait - dans le privé - de “ Moscou ”, on trouvait ses rappels insupportables ; on rusait avec l’Internationale communiste au lieu de s’expliquer franchement. Des 21 conditions d’admission et des décisions du 2e congrès, celles qu’on avait le plus volontiers acceptées c’étaient ce qui concernait la participation aux élections et à l’activité parlementaire ; un siège de député était convoité, non en tant que poste de combat, aussi exposé que d’autres, mais parce que c’était une position confortable, aux avantages multiples ; le vieux parti socialiste, trop souvent, continuait. On complotait dans les coins, quand on se savait entre compères et qu’on parlait à cœur ouvert ; on s’ingéniait à trouver les moyens de “ paraître ” être d’accord avec les décisions de l’Internationale communiste. Là aussi l’hypocrisie était de règle. Car la masse, elle, restait attachée à la Révolution russe et à l’Internationale communiste. Elle résistait à la critique incessante qu’en faisaient les agents de la contre-révolution, les journaux de la bourgeoisie, les leaders réformistes de la C.G.T. ; des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires installés maintenant à Paris s’efforçaient, par une information tronquée et truquée de tromper les ouvriers, de les détourner des soviets. Mais les critiques, les récits, les insinuations venant de syndicalistes et d’anarchistes la troublaient, l’inquiétaient. (...) La politique de front unique (préconisée par l’IC) mit le parti en état de crise. La quasi-totalité de sa direction le déclara inacceptable ; elle vit là une occasion de se dresser ouvertement contre la direction de l’Internationale communiste. Le parti incontestablement le moins communiste se montrait le plus exigeant. L’examen de la composition de sa direction permettait de déceler aisément ce que cachait ce paradoxe. Elle comprenait surtout des journalistes, des députés, plusieurs d’entre eux venant du vieux parti ; elle était faiblement liée au mouvement syndical ; chez les plus sincères il y avait beaucoup de verbalisme ; la grande majorité de ses membres supportait mal les critiques de l’Internationale communiste. La tactique allait leur permettre, pensaient-ils, de prendre une aisée revanche, dans un débat où ce seraient eux qui dénonceraient l’ “ opportunisme ” et l’incohérence de la direction de l’Internationale communiste. La presse du parti chargea à fond ; nul exposé honnête de la tactique mais des critiques de tout genre, ironiques ou indignées. Le Comité directeur se réunit pour en discuter. La résolution adoptée ne se bornait pas à déclarer “ impossible ” l’application de la tactique en France ; elle “ estimait ” qu’elle présentait pour l’Internationale des “ dangers contre lesquels des garanties devaient être prises ”. Assuré ainsi de recevoir une large approbation, le secrétaire du parti, Frossard, convoqua une conférence extraordinaire des secrétaires fédéraux. Elle se tint à Paris le 22 janvier 1922.

Il y avait dans le parti une tendance de gauche, comprenant surtout les nouvelles recrues, sincèrement attachée et dévouée à la Révolution russe ; c’est elle qui avait imposé l’adhésion à l’Internationale communiste, et elle était toujours disposée à approuver ses décisions ; cette fois elle le fit sans enthousiasme. Cependant un de ses membres monta à la tribune pour défendre la tactique que, l’un après l’autre, les secrétaires fédéraux condamnaient (46) ou approuvaient (12) mollement. Il le fit de telle façon que son intervention fut une véritable catastrophe. C’est lui, qui en cette occasion, lança la formule destinée à devenir célèbre : “ plumer la volaille ”. Il ne comprenait pas que le front unique provoquât tant d’émoi ; ce n’était expliquait-il qu’une habile manœuvre permettant de dépouiller les partis socialistes et les syndicats réformistes de leurs adhérents qu’on arracherait un à un comme les plumes d’un poulet. Comme on peut l’imaginer, la “ volaille ” ainsi prévenue, s’agita, railla, cria, pour la plus grande joie de la galerie et la consternation des amis du candide "plumeur".

Devant ce désarroi provoqué par l’incompréhension, réelle ou feinte, une discussion générale s’imposait. La direction de l’Internationale communiste avait, par avance, décidé de réunir un Comité exécutif élargi. Ces Comités élargis qui devinrent de pratique courante, étaient, en fait, de petits congrès. Aux membres réguliers du Comité exécutif se joignaient les délégations spécialement envoyées par les sections ; cela faisait une centaine de participants. Celui-ci tint séance du 21 février au 4 mars 1922, au Kremlin, dans la salle Mitrofanovsky, celle où s’était réuni le premier congrès qui, en mars 1919, avait proclamé la 3e Internationale. Les débats furent très intéressants ; le cadre et le caractère en excluaient toute rhétorique, tout bavardage ; il fallait être précis et capable d’avancer des arguments sérieux pour justifier les positions prises, les interprétations formulées, surtout les accusations lancées. Les Français, qui avaient été particulièrement agressifs, ne tardèrent pas à s’en apercevoir. Ceux d’entre eux qui étaient le plus disposés à une conciliation, au moins de forme, soutinrent la thèse que la tactique du front unique était, pour la France, sans objet. Ils affirmaient que les “ dissidents ” - c’étaient ceux qui avaient quitté le parti après le vote d’adhésion à la 3e Internationale - n’étaient plus qu’un groupe minuscule ; ils n’avaient réussi qu’à emmener avec eux la grande majorité des députés ; leur journal n’avait qu’un faible tirage, “ tandis que nous, avec l’Humanité, nous touchons toute la classe ouvrière ” ; et il en est de même dans les syndicats : la scission, voulue par les chefs réformistes, leur a été funeste.

Il y avait quelque chose de vrai dans ces affirmations, mais le tableau était quand même bien trop optimiste. La scission syndicale, devenue définitive au début de l’année, avait pleinement démontré que Jouhaux et ses amis ne s’étaient maintenus à la direction de la Confédération générale du Travail qu’au moyen de manœuvres et de fraudes. Ils ne gardaient avec eux qu’un effectif restreint, non négligeable cependant. Et l’unité du front prolétarien n’en restait pas moins nécessaire car elle permettait, de surcroît, de ramener au syndicat et dans l’action les ouvriers qui, impatientés et découragés, avaient quitté les organisations syndicales ; on en comptait déjà plus d’un million.

Les irréductibles formaient un groupe hétéroclite qui manifestait un gauchisme inconsistant, surtout verbal. Ils furent bien embarrassés quand Trotsky - c’est lui qui avait été chargé du rapport - montra, par des citations prises dans leurs articles, écrits à Paris mais qu’ils n’avaient pas le courage de reprendre à leur compte à Moscou, que leur soi-disant intransigeance révolutionnaire ne révélait rien d’autre que leur détachement - volontaire ou non - du mouvement ouvrier, une interprétation erronée de la tactique proposée, et une hostilité foncière à l’égard de l’Internationale communiste. (...) L’ancien parti socialiste avait voté l’adhésion à l’Internationale communiste à une énorme majorité, ainsi que nous l’avons vu, au Congrès de Tours, fin décembre 1920. Le Parti communiste se trouva donc formé d’une très grande portion de l’ancien parti, les “ dissidents ” ayant gardé surtout avec eux la majorité des parlementaires et une partie des cadres - “ la parure du Parti ”, disait Jean Longuet. La base, une base saine, ardente, comprenant des éléments nouveaux, les jeunes, les anciens combattants, des syndicalistes et un faible contingent d’anarchistes, allaient au communisme avec enthousiasme [37].

Nous avons vu cependant que les délégations envoyées à Moscou en juillet de l’année suivante, au congrès de l’Internationale communiste et à celui de l’Internationale syndicale rouge, eurent une attitude singulière. Le premier congrès du Parti, tenu à Marseille en décembre 1921 avait révélé quelque chose de trouble, d’inquiétant, dans le fonctionnement du Parti, de déplaisantes manœuvres souterraines. Sans une discussion préalable qui aurait pu le justifier ou l’expliquer, Boris Souvarine, alors à Moscou, délégué du Parti au Comité exécutif de l’Internationale, n’avait pas été réélu au Comité directeur. Là-dessus ses camarades de tendance avaient donné, séance tenante, leur démission. Première crise. L’Internationale communiste blâma les démissionnaires pour s’être retirés ; elle blâma davantage la direction pour sa manœuvre et exigea la réintégration des démissionnaires.

Vint alors la tactique du front unique. J’ai montré comment elle fut accueillie. Cependant au Comité exécutif élargi les opposants avaient déclaré se soumettre aux décisions de l’Internationale, et quelques mois plus tard, Frossard, qui cette fois avait consenti à faire le voyage de Moscou, déclara en conclusion de la discussion : “ C’est... pour ces raisons... que la délégation de la majorité du Parti français s’engage à rapporter au Parti les résolutions qui vont être prises, à les expliquer, à les commenter, à les défendre, à faire en sorte que, dans le plus court délai, elles soient pourvues de leur sanction pratique, et j’espère, vous me permettrez de finir par là, j’espère qu’au 4e Congrès de l’Internationale communiste ce ne sera pas la question française qui retiendra plus particulièrement l’attention de l’Internationale. ” Et il rentra à Paris avec une motion pour le prochain congrès du Parti signée Frossard-Souvarine. C’est donc l’accord entre gauche et centre, le pivot de la combinaison sur laquelle le Parti communiste français a été édifié.

Le 2e Congrès du Parti doit se réunir à Paris le 15 octobre, peu avant le 4e Congrès de l’Internationale communiste qui, selon l’espoir exprimé par Frossard, n’aura plus à s’occuper de la sempiternelle question française. L’envoyé de l’Internationale est Manouilsky. Pour sceller définitivement l’accord, il organise des entrevues avec les représentants des deux tendances. Il propose l’égalité de représentation des tendances centre et gauche au Comité directeur, le délégué de l’Internationale devant aider à résoudre les conflits qui pourraient se produire quand les membres des deux tendances resteraient intransigeants et figés sur leurs positions. Le centre refuse : le Parti communiste ne serait plus indépendant, dit-il ; c’est le représentant de l’Internationale qui deviendrait l’arbitre et déciderait. La gauche revendique la majorité. Le prestige et l’autorité de Manouilsky sont si faibles que le congrès s’ouvre sans qu’il ait pu obtenir un accord.

Après les premiers débats, le scandale éclate. L’adjoint de Frossard au secrétariat, Ker, est à la tribune pour son rapport. C’est un bon travailleur, capable, sympathique, conciliant. À la stupeur générale, il se lance dans un violent réquisitoire contre la gauche, caractérisant les pourparlers avec le délégué de l’Internationale comme un complot ourdi dans la coulisse. C’est une déclaration de guerre, mais que ce soit lui qui en ait été chargé, c’est là surtout ce qui étonne. Tous les débats vont être dominés par cette offensive. Que veut le centre ? C’est lui qui occupe les postes de commande ; Frossard est au secrétariat ; Cachin à la direction de l’Humanité ; la grande majorité du Comité directeur lui appartient. Mais l’adhésion à l’Internationale communiste lui pèse ; il est constamment en désaccord avec ses décisions. Cependant il se garde de se dresser ouvertement contre l’Internationale ; tout au contraire, après avoir manifesté des velléités de résistance, il s’incline, proteste humblement de son inaltérable fidélité. Aujourd’hui veut-il aller plus loin ? En conclusion des débats, il recueille la majorité des mandats, une majorité très faible : 1.698 contre 1.516 à la gauche ; beaucoup s’abstiennent, 814, marquant ainsi leur mécontentement. Néanmoins le centre revendique tout le pouvoir. Il gouvernera seul “ en accord avec l’Internationale ” - bien qu’il soit en désaccord ici avec l’homme qui la représente [38].
Que signifie exactement ce jeu compliqué ? Point n’est besoin d’être dans les secrets de la direction pour imaginer ce qui s’y passe. On connaît les hommes qui supportent mal l’autorité de l’Internationale ; quelques-uns, d’ailleurs, l’avouent. Mais celui qui prépare et dirige toutes ces manœuvres, maître en faux-fuyants et en dérobades, c’est le secrétaire du Parti lui-même, Frossard. Il n’a pas quarante ans, mais c’est déjà un vieux routier du Parti ; pendant la guerre, il s’est approché de la tendance zimmerwaldienne. Merrheim qui avait eu l’occasion de le bien connaître le considérait comme un compagnon peu sûr ; il se hâta d’ailleurs de passer chez Longuet dès que celui-ci eut organisé sa tendance minoritaire dans le Parti socialiste ; il y avait là beaucoup de députés ; on critiquait la politique de guerre du gouvernement, mais on votait les crédits pour la guerre ; c’était une position sans danger et sans risques et qui devint profitable quand les minoritaires l’emportèrent et disposèrent des postes. Cachin reçut la direction du quotidien ; Frossard le secrétariat du Parti.
Je les avais rencontrés tous deux à Moscou, lors du 2e Congrès de l’Internationale quand ils y avaient été envoyés “ pour information ”. Frossard se tenait derrière Cachin qu’il laissait s’exposer seul aux rebuffades. Par la suite, le même jeu continua, lorsque l’Exécutif les mandait à Moscou. Tous deux commençaient par refuser énergiquement de faire le voyage. Quand les messages se faisaient insistants, Frossard laissait Cachin se débattre, sachant qu’il céderait et qu’ainsi il pourrait, lui, se dérober. En effet, Cachin, après avoir protesté, crié qu’il n’irait pas, se mettait en route préparant déjà, pour apitoyer ses critiques, des tirades sentimentales qu’il appuierait d’une larme à l’œil.

C’est Frossard qui, par hasard, me révéla sa technique. Au cours du seul voyage qu’il fit à Moscou comme secrétaire du Parti, il avait pris un engagement ferme au sujet du congrès constitutif de la Confédération Générale du Travail Unitaire qui allait se tenir à Saint-Étienne : il réunirait les délégués appartenant au Parti avant le congrès pour élaborer ensemble programme et tactique, et interviendrait lui-même au congrès. Il fit tout cela, prudemment comme toujours, mais il le fit. Les débats étaient assez durs. Sachant qu’ils n’obtiendraient pas la majorité, les anarchistes et les “ syndicalistes purs ” qui, par suite de circonstances fortuites, dominaient le secrétariat et la commission exécutive de la C.G.T.U., étaient agressifs, attaquaient le Parti communiste et ses membres. L’un de ceux-ci, secrétaire d’une Union départementale importante, leur tenait tête mais assez maladroitement. Tandis qu’il parlait, Frossard vint près de moi et me dit : “ Je l’ai trop remonté, le frère ! ” Sur le moment, sa confidence - que j’étais surpris qu’il me fît car il n’y avait aucune espèce d’intimité entre nous - m’amusa. Mais plus tard, jugeant d’ensemble le développement du Parti communiste français, sous tant d’aspects si décevant, et même lamentable, elle me fournit la clé des incidents répétés, des crises successives : Frossard, restant dans la coulisse, “ remontait les frères ”. Il les avait remontés pour le 3e Congrès de l’Internationale communiste et pour le premier congrès de l’Internationale syndicale rouge ; il avait “ remonté ” le trop docile Ker pour le congrès de Paris ; surtout il “ remontait ” les nouveaux dirigeants de la C.G.T.U., sympathisants communistes et désireux d’adhérer à l’Internationale syndicale rouge mais qu’il était facile de troubler et d’inquiéter avec les “ oukases ” de Moscou ; c’était là son gros atout ; une C.G.T.U. hostile rendrait difficile la formation d’un véritable parti communiste [39].
Cette fois la crise revêtait un caractère si aigu qu’il devenait nécessaire d’en finir avec des manœuvres et des dérobades qui créaient une situation insupportable. Pour préparer les débats du congrès, une commission d’une importance exceptionnelle par le nombre et par le choix des délégués fut formée : les délégations y étaient représentées par leurs membres les plus qualifiés, la délégation russe ayant donné l’exemple en désignant Lénine, Trotsky, Zinoviev et Boukharine. Lénine n’y vint pas, mais il suivit de près ses débats. C’est dans son sein que se régla le sort du Parti communiste français. Il se présentait devant elle en morceaux : le centre, avec sa prétention de gouverner seul, formulée mollement à Paris et déjà mal assurée à Moscou ; la gauche, profondément attachée à l’Internationale communiste, mais trop faible pour s’emparer de la direction comme l’avaient fait les Italiens ; enfin cette “ droite ” dont j’ai déjà, à propos de la discussion sur le front unique, signalé le gauchisme verbal, non moins hostile que le centre à l’Internationale et, en fait, marchant avec lui. N’ayant adhéré au Parti qu’après mon retour en France, dans les derniers mois de 1921, je pouvais juger les uns et les autres avec assez de détachement ; les dangers de la méthode adoptée en 1920 pour former les partis communistes apparaissaient clairement ; même Zinoviev les voyait et les signalait, écrivant dans son rapport : “ Nous avons dans notre parti d’autant plus de centrisme, de social-démocratie, que nous avons accueilli de plus nombreuses fractions de l’ancien mouvement social-démocrate. ” Le Parti communiste français n’était donc pas le seul dans son cas mais ce qui le caractérisait fâcheusement, c’était l’hypocrisie de nombre de ses dirigeants [40]. Le jour où je devais parler devant la commission nous venions de recevoir le plus récent numéro du Bulletin communiste où, en ce moment même, on avait l’impudence de reprendre les critiques anciennes de la tactique de l’Internationale. Ceci me fournit une entrée en matière qui, du coup, liquida les droitiers ; pendant la lecture, ils baissaient la tête, sentant la réprobation unanime de la commission. Aux représentants du centre, je posai la question : “ Vous prétendez exercer seuls la direction et en accord avec l’Internationale. Mais qui peut avoir confiance en vos déclarations ? ” Ici, quelques-uns d’entre eux grognèrent. Parlant en fin de séance, Trotsky prit à partie, nommément, Ker, dont il venait d’apprendre qu’il était franc-maçon - ce que beaucoup d’entre nous ignoraient. Comment peut-on être communiste et franc-maçon ? demanda Trotsky ; pour lui, c’était absolument incompatible.

La discussion se poursuivit durant plusieurs séances. Je ne signalerai qu’un accident, bref mais important, qui marqua la dernière. La délégation du centre était, en fait assez hétérogène. À côté des vieux routiers de la politique et du Parti, il y avait des éléments nouveaux, venus au socialisme après la guerre et à cause de la guerre. Le plus remarquable d’entre eux était Renaud Jean ; il s’efforçait d’ailleurs, de rester hors tendance. Parti à la guerre paysan, immobilisé par une grave blessure ; il avait beaucoup lu et appris pendant sa convalescence. Il écrivait bien, exprimant avec forces les colères des hommes qui avaient souffert dans les tranchées et en étaient revenus résolus à chasser les gouvernants et à renverser le régime responsable de l’inutile massacre. Ses origines paysannes le portaient, en partie à son insu, à opposer les paysans qui avaient fait la guerre dans les tranchées aux ouvriers des usines, bénéficiaires de sursis d’appel. Le fait qu’il prétendait à une position personnelle, indépendante, montrait clairement qu’il ne donnait pas au communisme et à l’Internationale une adhésion sans réserve. Enfin, il voulait être, avec ostentation, le militant irréprochable. Tous ces détails sont nécessaires pour l’intelligence de l’incident qui éclata en fin d’une longue séance. L’ordre du jour était épuisé quand un délégué des Jeunesses communistes demanda la permission de poser une question. “ Notre Fédération, dit-il, reçoit des subsides de l’Internationale des Jeunesses communistes ; il nous apparaît normal qu’une section de l’Internationale soit aidée par le centre ou par d’autres sections. Or, certains camarades, et en particulier le camarade Renaud Jean, nous attaquent à ce sujet. Je demande que, dans cette commission, des voix autorisées lui rappellent qu’il s’agit là d’une manifestation de solidarité toute naturelle dans une organisation internationale. ” A peine cette demande a-t-elle été formulée que Renaud Jean se lève, s’avance vers la table où siège le bureau, commence une explication embrouillée que Trotsky interrompt un peu rudement en disant que l’Internationale communiste n’a rien de commun avec une foire où les paysans madrés se livrent à leurs marchandages. Interloqué, Renaud Jean se retire. La séance est levée dans une certaine gêne. Sans doute Trotsky aurait pu expliquer plus posément - comme il le fit le lendemain dans un entretien particulier. Mais il était deux heures du matin, un mouvement d’impatience pouvait se comprendre, on avait hâte de se séparer. Le moment était aussi mal choisi que possible pour soulever une question qui n’était certes pas sans importance et méritait d’être discutée. Renaud Jean n’était pas seul à penser que, dans ce domaine, l’Internationale communiste devait agir avec discernement et surveiller de près l’emploi des fonds mis à la disposition des sections. Il montra, d’ailleurs, beaucoup moins de scrupules par la suite, car il ratifia toutes les sottises et tous les crimes de la direction de l’Internationale, d’abord zinoviéviste puis stalinienne, les “ tournants ”, les “ procès de Moscou ”, les purges, la famine provoquée pour réduire les paysans ukrainiens, les meurtres des tueurs. Peut-être trouvait-il parfois la dose trop forte car de temps à autre le bruit se répandait que Renaud Jean avait quitté le Parti ; mais il n’en était rien, la résistance de Renaud Jean s’était bornée à quelques grimaces avant d’avaler l’amer breuvage.

En séance publique, Trotsky fit son rapport. Il ne cherchait pas à minimiser les difficultés de la tâche devant laquelle se trouvait l’Internationale. “ Nous avons maintenant devant nous, dit-il, une question importante et bien difficile. ” Étudiant les luttes intérieures du Parti, la polémique des fractions, il s’est reporté au discours prononcé par lui, dix-huit mois auparavant, à l’Exécutif élargi ; rien n’a changé ; le fait le plus frappant c’est que “ nous piétinons toujours sur la même place ”. Et à son tour il était amené à constater que trop du vieux Parti socialiste était resté dans le jeune Parti communiste. “ Nous avons entraîné avec nous, à Tours, beaucoup d’habitudes, de mœurs qui ne veulent pas céder la place aux attitudes et aux mœurs de l’action communiste. ”

Un problème particulièrement difficile c’était celui du rapport du Parti avec les syndicats. Le syndicalisme révolutionnaire avait de profondes racines dans le mouvement ouvrier français ; il avait fallu la Révolution d’Octobre et la création de l’Internationale communiste pour faire disparaître l’hostilité de principe des syndicalistes à l’égard des partis politiques. Cependant si l’hostilité avait disparu, une certaine méfiance subsistait que la politique de la direction du Parti n’était pas faite pour dissiper ; bien au contraire. Aussi, même chez les syndicalistes qui avaient adhéré au Parti restait-on réservé quand à l’intervention du Parti dans les grèves. D’autre part, si les grèves et l’action ouvrière devaient se dérouler sans la participation du Parti, celui-ci ne pourrait jamais devenir un parti communiste. Pour des raisons diverses, la direction du Parti suivait ici la ligne de moindre résistance, c’est-à-dire qu’elle s’effaçait complètement devant les syndicats. Ce ne pouvait être une solution. Que le problème fût particulièrement ardu, nul ne le savait mieux que moi ; je voyais les syndicalistes les mieux disposés à l’égard du Parti s’en écarter quand ils constataient que trop souvent il se comportait comme l’ancien parti socialiste, quand ils remarquaient que de jeunes militants délaissaient le travail syndical pour une activité électoraliste qui leur vaudrait un siège au Parlement.
La politique du Parti n’était pas seulement passive ; loin de chercher à atténuer les divergences, à rapprocher les points de vue, à trouver les bases d’une entente pour une action commune, elle les entretenait, les avivait pour pouvoir faire pression sur Moscou. Cependant on ne pouvait pas prétendre que, grâce à cette division du travail entre parti et syndicats, tout allait pour le mieux dans le mouvement ouvrier français. Trotsky énuméra des exemples de grèves perdues, de lourds échecs qu’il aurait été possible d’éviter.

Après de longues délibérations au cours desquelles furent examinées et discutées l’activité du Parti, les particularités du mouvement ouvrier, les luttes des fractions, la presse, la question paysanne, la politique coloniale, la commission élabora un programme d’action. Elle reconnut unanimement que les membres du Parti adhérant à la franc-maçonnerie et à la Ligue des droits de l’homme devaient immédiatement abandonner “ ces machines de la bourgeoisie créées pour endormir la conscience de classe des prolétaires ”. Exceptionnellement, et pour permettre au Parti de sortir de l’impasse où il s’était enfoncé, elle proposait que le Comité directeur fût constitué selon la proportionnelle sur la base des votes du congrès de Paris, les titulaires devant être désignés par les délégations elles-mêmes. Les représentants des trois tendances déclarèrent alors accepter la résolution sans réserve ; tous protestèrent de leur attachement et de leur dévouement à l’Internationale communiste.

Notes

[37] À la fin de la guerre, le Parti socialiste, réduit à 34.000 adhérents au lieu de 100.000 en 1914, connut une période de fiévreuse croissance. En quelques mois il reçut 150.000 nouveaux membres.
[38] C’est Cachin qui vint le dire à la tribune : “ Au nom du centre, je déclare que nous prendrons seuls la direction du Parti. ”
[39] Dans un article sur le congrès de Paris publié par le Bulletin communiste du 9 novembre 1922, M. Chambelland écrivait : “ Je me suis souvenu qu’avant Saint-Étienne, Monmousseau n’avait pas de mots assez durs pour qualifier Frossard qui, par personnage interposé, essayait de dresser, pour les besoins de sa politique, le mouvement syndical contre Moscou, et je me suis demandé si Monmousseau et ses amis allaient consentir à jouer, sous la même influence, le même rôle ici et à Moscou. ”

[40] “ La tendance du centre en France est une survivance de l’ancienne mentalité social-démocrate, mais elle s’affuble d’un masque en acceptant tout ce qu’on lui demande. ” (Discours de Boukharine à la commission.)"

L’acceptation des 21 conditions de la IIIe Internationale et la nouvelle dénomination de « Communiste » n’ont pas changé d’emblée la nature de la direction du Parti. Quelques mois après, le IIIe Congrès de l’IC accuse les dirigeants français d’être de « détestables opportunistes ». L’intervention de Paul Faure, l’un des dirigeants de la minorité au Congrès de Tours, montre à quel point le « bolchevisme » néophyte de ses adversaires ne lui faisait pas peur : « Laissez-moi vous dire que vous n’êtes pas des inconnus pour moi : je vous connais assez bien pour vous avoir fréquentés souvent. Et quand je vous vois vous instituer, à une heure fixe, communistes éprouvés, je souris et je passe ». Il faut dire que Paul Faure était à même de juger ses anciens amis Marcel Crachin, Frossard et Cie, qui sont passés par les mêmes écoles du réformisme et du social-patriotisme pendant la guerre, que lui-même.

Frossard, premier secrétaire général du nouveau parti, devait déclarer ultérieurement à quel point même les exigences draconiennes des « 21 conditions » étaient sans prise sur l’opportunisme congénital des dirigeants nouvellement communistes. « Nous ne parvenions pas à prendre au sérieux les 21 conditions ».

En fait, les dirigeants de l’Internationale Communiste n’ignoraient pas cette triste réalité. Lénine qui avait l’habitude de dire qu’on n’attrape pas un opportuniste avec des formules, savait parfaitement qu’aucune condition, si draconienne soit-elle, n’écarterait d’emblée tous les réformistes de l’Internationale. Mais dans l’esprit des bolcheviks, la scission du Congrès de Tours, n’était pas l’aboutissement de la lutte pour un parti révolutionnaire en France, elle n’en était que le commencement.

Le nouveau PC dans son ensemble, et ses dirigeants en particulier, héritaient des lourdes tares du long passé social-démocrate réformiste du PSU. Il fallait une transformation profonde des mours, des pratiques, de la politique du Parti, transformation qui signifiait combat, combat de longue haleine.

Vous ne connaitrez jamais le parti de Monatte et Rosmer, car ces noms sont effacés de sa biographie. De même que vous ne verrez plus un parti dont la direction était en prison pour avoir combattu des interventions militaires impérialistes dans la Ruhr et au Maroc. Celui qui se dit aujourd’hui communiste vise à participer au gouvernement bourgeois et signe le rapport Quilès selon lequel la France n’est en rien responsable du massacre génocidaire du Rwanda (signature de Buffet). Il a, au gouvernement, cautionné toutes les politiques d’austérité contre les travailleurs et bien des politiques impérialistes sans même les dénoncer verbalement... Bien entendu, ses militants ne ressemblent en rien aux militants de l’UMP. Mais, justement, ses militants servent de caution à une politique bourgeoise qui ne s’oppose que formellement à celle des autres partis bourgeois.
Il faut rappeler que le stalinisme naissant a été dénoncé dès les années 1920 par des militants communistes, qui furent pour cela exclus par la bureaucratie. La dictature capitaliste d’État exercée en URSS contre les travailleurs a été critiquée comme telle par de nombreux communistes, par des fondateurs du parti comme Loriot, Souvarine et Monatte, par des communistes anti-staliniens de tous pays, par des luxemburgistes, des conseillistes, d’autres marxistes, des socialistes révolutionnaires, des communistes démocratiques, etc.
À l’inverse, le parti stalinien a eu des positions opposées aux intérêts des travailleurs et opposées aux principes du communisme, en particulier en renonçant à toute perspective révolutionnaire (comme on l’a vu en 1936, 1945 et 1968), en soutenant le pacte Hitler-Staline au début de la Seconde guerre mondiale, en votant les pleins pouvoirs au « socialiste » Guy Mollet pour écraser la révolte algérienne dans les années cinquante, pour finir par adhérer au Programme commun de gestion du capitalisme avec le PS dans les années 1970, jusqu’au gouvernement Jospin. Même après la fin de l’URSS en 1991, en l’absence d’un bilan de fond et d’une véritable remise en cause politique et historique, il n’y a pas eu de retour possible du PCF vers le communisme qui était porté par ses véritables fondateurs, les militants du Comité de la 3e Internationale. Il ne reste donc pour ainsi dire rien du Congrès de Tours.

Mais l’objectif d’auto-émancipation des travailleurs, d’un monde libéré du capitalisme, de l’exploitation par le travail salarié et des États, reste pleinement d’actualité : à l’opposé du stalinisme, le projet communiste reste celui d’une communauté humaine mondiale, d’« une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ». Pour y arriver, « l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », et non celle d’un parti autoritaire, séparé des masses par la professionnalisation et la confiscation des tâches politiques.

"Ainsi finit le drame, le vrai drame de la révolution, la tragédie politique de la classe ouvrière française, tragédie de tout son passé et avertissement pour l’avenir. Aucun autre prolétariat n’est aussi riche en souvenirs historiques, car aucun n’a eu une destinée aussi dramatique que le prolétariat français. Mais ce passé pèse sur lui comme une terrible menace pour l’avenir. Les morts se cramponnent aux vivants. Chaque étape a légué, avec son expérience, ses préjugés, ses formules vidées de leur contenu, ses sectes qui ne veulent pas mourir. "

Léon Trotsky - 1922

Bilan d’une période

25 mars 1923
Léon Trotsky

La France impérialiste est, en ce moment, la puissance dirigeante du continent européen et, en dehors de ce continent même, d’une très appréciable grandeur. Ce seul fait confère une haute importance au prolétariat français et à son parti. La révolution européenne n’aura vaincu sans retour que lorsqu’elle sera maitresse de Paris [1]. Et la victoire du prolétariat sur le continent décidera à peu près automatiquement du sort du capital anglais. Enfin, l’Europe révolutionnaire, à laquelle se joindront tout de suite les peuples opprimé de l’Asie et de l’Afrique, saura tenir à l’oligarchie capitaliste qui règne sur l’Amérique un langage laconique et persuasif. La clef de la situation européenne et, dans une large mesure mondiale, est donc entre les mains de la classe ouvrière française.
L’Internationale communiste a suivi avec une attention concentrée la vie intérieure du parti français, précisément parce qu’elle assignait à ce parti un rôle historique considérable. L’ouvrier français a été, le long du chemin de l’histoire, trompé plus que n’importe quel autre ; le parti communiste français doit être d’autant plus sévère et intransigeant envers lui-même. A cet égard, de grands succès ont déjà été obtenus, que l’on peut, en un certain sens, qualifier de définitifs. Sous l’aspect de la lutte des fractions, et des cénacles, sous l’aspect des scissions et des exclusions, c’est en réalité l’armement révolutionnaire du parti français qui s’est lente. ment accompli au cours des deux dernières années. Et le parti doit s’attaquer, avec ses armes, au métal de l’Etat militariste le plus puissant. Les succès acquis dans cette voie, qui n’est encore que celle des préliminaires, se concrétisent en quelque sorte dans le départ de Frossard et les adhésions de Monatte et de Barbusse.

L’ancien secrétaire général du parti et, dans une certaine mesure, son inspirateur, l’inspirateur en tout cas de sa politique officielle, Frossard, représentait les éléments du passé parlementaire du parti qui tentaient de s’adapter au nouveau coup de barre à gauche, décisif, de l’avant garde prolétarienne. Pourvu d’une certaine souplesse et d’une certaine mobilité de pensée, inventif, ingénieux, éloquent doué de qualités précieuses, utiles à tout le monde et notamment aux révolutionnaires, mais qui, pour la politique parlementaire, se suffisent à elles mêmes , Frossard semble s’être sérieusement imaginé qu’il pourrait, grâce à elles, louvoyer jusqu’à la fin des temps entre l’Internationale communiste et les ennemis de celle ci, bénéficier devant la classe ouvrière de l’autorité du communisme et la préserver des « exagérations » de Moscou. Opposant ses improvisations diplomatiques, habiles dans le sens de l’équivoque, de la réticence, du double jeu, à la ligne de conduite principielle de l’Internationale communiste, Frossard ne pouvait pas ne pas aboutir dès ses premiers pas à la confusion. Sa position est le mieux caractérisée par ce fait que, quelques heures avant de démissionner du parti communiste, il ne savait pas encore lui même s’il se rendrait à Moscou pour y participer en qualité de membre de l’Exécutif à la direction de l’Internationale communiste ou s’il allait passer aux ennemis de cette Internationale.

Mais la physionomie personnelle de Frossard ne doit pas nous faire perdre de vue ce qu’a de typique le frossardisme. Nous avons eu en Italie un conflit avec le camarade Serrati qui s’est mis, pour un temps assez long, avec sa fraction, en dehors de l’Internationale communiste. Le développement politique si orageux de l’Italie a de nouveau poussé aujourd’hui les maximalistes et leur leader vers l’Internationale communiste. Nous espérons que la fusion sera, cette fois, solide. En Allemagne, nous avons eu un épisode classique avec Paul Lévi. Lévi s’insurgea contre la tactique, évidemment erronée, suivie en mars 1921 [2] par le parti communiste allemand, et réussit à prouver en quelques semaines qu’il ne lui manquait, pour se placer parmi les ennemis de la révolution prolétarienne, qu’un bon prétexte. Nous avons observé des faits semblables, quoique moins achevés, moins saisissants, dans les partis tchécoslovaque et norvégien.
Une chose est frappante au premier abord : c’est qu’on trouve dans tous ces conflits, en tête des scissionnistes ou des hésitants, les chefs les plus renommés, c’est à dire des hommes qui tout au moins en apparence ont dirigé le mouvement pour Moscou et pour la III° Internationale. Serrati fut le leader incontesté du parti italien jusqu’en septembre 1919 ; Paul Lévi fut le président du parti communiste allemand ; et son imitateur Friesland, le secrétaire général de ce parti ; Frossard, le secrétaire général du parti français [3]. Ces répétitions de faits attestent que nous ne sommes pas en présence de hasards, mais d’une règle, qu’il n’est pas, en fin de compte, si difficile d’expliquer.
Dans les pays de vieux capitalisme ayant d’anciennes traditions social démocrates, la formation d’un parti communiste équivalait à la rupture avec un long passé réformiste, nationaliste, parlementaire. Mais les milieux socialistes dirigeants, les grands noms, les autorités, appartenaient entièrement à ce passé. Et même les socialistes qui, avant la guerre, ou pendant la guerre, se situaient à l’extrême-gauche de leurs partis, c’est à dire dans l’opposition à la politique social démocrate officielle, étaient en grande majorité les prisonniers de ce passé. Leur opposition aux Scheidemann et aux Renaudel était oratoire, littéraire, formelle, verbale, mais n’était ni effective, ni révolutionnaire. Lorsqu’après la guerre un mouvement invincible entraîna les masses prolétariennes à gauche, vers le combat avec la bourgeoisie, les éléments socialistes d’opposition pensèrent que leur heure était venue, que la masse approuvait leurs critiques et se préparait à suivre leurs instructions. En réalité, leur situation et leur politique rappelaient fortement celles des libéraux modérés dans les révolutions. Le premier sursaut populaire parait toujours aux libéraux prouver leur raison et leur force ; mais dès le lendemain ils constatent avec horreur que les masses, tout au moins les masses révolutionnaires, ne font pas grande différence, entre les maîtres d’hier et les adversaires modérés de ces derniers. Alors les libéraux se jettent dans les bras de la réaction.

Si les équivoques leaders de l’opposition social démocrate se trouvèrent à la tête des partis communistes, c’est que la fraction réellement révolutionnaire de la classe ouvrière n’avait pu éduquer et former en quelques mois de nouveaux chefs. Et il faut bien reconnaître que, dans les premières années de l’Internationale communiste, nous avons eu à la tète de plusieurs de nos partis tantôt des révolutionnaires ne possédant pas toujours une suffisante maîtrise d’eux-mêmes, tantôt des demi révolutionnaires toujours hésitants, mais jouissant d’une certaine autorité et en possession des routines politiques. De là dérivaient et dérivent encore, en partie quoique la situation se soit sensiblement améliorée , les difficultés intérieures, les frottements et les conflits au sein de l’I.C. Les leaders à demi centristes craignaient par dessus tout d’être poussés hors de l’ornière dissimulée par un radicalisme apparent de la légalité. Aussi se refusaient ils à poser révolutionnairement les questions et à appliquer les méthodes effectives de préparation à l’insurrection prolétarienne. Ils invoquaient l’« autonomie nationale ». Pourtant l’analogie qualitative de la politique de Paul Lévi, de Frossard et de quelques autres montre qu’il ne s’agissait pas de particularités des situations nationales dont nous devons, naturellement, tenir le plus grand compte mais d’une tendance parfaitement internationale, d’un centrisme de gauche, tout disposé à s’assimiler le rituel de l’Internationale communiste et à avaler, sans broncher, vingt et une conditions et plus à la seule condition réelle que rien ne changeât par ailleurs. Frossard était le représentant achevé de cet esprit. C’est pourquoi sa démission du parti et le départ de ses amis posent un jalon important dans la voie de la création du parti révolutionnaire du prolétariat français.

Si Frossard n’est aucunement, nous l’avons vu, l’incarnation d’une particularité nationale, la raison pour laquelle il a réussi pendant si longtemps à tromper les autres et à se tromper lui-même sur sa mission politique doit être pourtant recherchée dans les particularités de la situation politique en France. Au contraire de l’Allemagne vaincue et de l’Italie à demi vaincue, la France victorieuse a traversé les années les plus critiques de l’après guerre sans connaître de grands ébranlements politiques. Et quoique les forces principales qui mènent les pays à la révolution soient les mêmes en France qu’en Allemagne ou qu’en Italie, leur manifestation y est moins brutale, moins orageuse, plus voilée. La formation de l’avant garde prolétarienne en France s’est donc effectuée lentement, jusqu’à ces derniers mois. L’impression était, de l’extérieur, que l’ancien parti socialiste évoluait peu à peu vers le communisme, après s’être débarrassé à Tours de son lest le plus compromettant. Mais, en réalité, à Tours, Renaudel et Longuet avaient été abandonnés par quantité de leurs amis et disciples qui, le cœur navré, espéraient acheter par leur sacrifice des emplois dirigeants dans le parti communiste et contraindre ce parti à respecter, par reconnaissance, leur bonne vieille routine. Par suite de la lenteur des mouvements politiques en France et du conservatisme de l’après guerre, la gauche même du socialisme français, telle qu’elle s’était formée au comité de la III° Internationale, dans le sein du parti, était encore remarquablement amorphe et disparate. Et ce fait, qui n’a pas été également compris par tous les camarades, a souvent empêché l’Internationale d’adopter contre la politique de Frossard et de ses amis une attitude plus énergique. Dès 1921 et dès la première moitié de 1922, le groupe Frossard donnait de bonnes raisons pour que l’on rompit avec lui. Mais, à l’époque, la rupture n’eût pas été comprise par la grande majorité des membres du parti, la nouvelle scission se fût accomplie au hasard et, enfin, l’Internationale eut rassemblé dans la gauche un groupe assez disparate ayant lui même besoin d’une épuration intérieure [4]. Il fallait donc, d’abord, donner aux éléments de gauche le temps d’envisager nettement leurs tâches, d’acquérir une cohésion idéologique, de rassembler autour d’eux un grand nombre de membres du parti et c’est seulement ensuite que ce travail idéologique, critique et éducatif, de l’Internationale, pouvait être achevé par de grandes mesures énergiques d’organisation, d’un caractère « chirurgical ».

A cet égard, la lenteur du développement politique de la France a eu pour le parti communiste un côté positif. La gauche ne s’est pas trouvée en présence de grandes épreuves politiques avant d’avoir pu s’y préparer sérieusement. En Italie, le moment de la scission du parti socialiste ne fut pas choisi en vertu de considérations tactiques, mais déterminé par la terrible capitulation des dirigeants du parti au cours des événements de septembre 1920 [5]. En France, le moment de la rupture dépendait dans une large mesure de l’Internationale communiste. Il est vrai que certains camarades, dans le parti français même, voulaient forcer les événements, trouvant trop irrésolue, trop patiente et même erronée la tactique de l’Exécutif dans la question française. Y eut il des fautes partielles de notre part ? Il y en eut sans doute, mais nous pouvons, aujourd’hui, jetant un coup d’œil sur la période écoulée, dire en toute certitude que la tactique de l’Exécutif a été juste dans son ensemble, dans ses méthodes et dans son application ralentie correspondant au rythme du développement intérieur de l’avant garde prolétarienne en France. C’est pourquoi notre parti français, après une profonde crise intérieure, après s’être débarrassé d’éléments étrangers, a conservé l’écrasante majorité de ses effectifs, toute son organisation et son organe central, l’Humanité, dont l’importance est en France beaucoup plus grande que dans beaucoup d’autres pays. Il faut noter ici que le parti français et l’Internationale doivent beaucoup à Marcel Cachin, qui eut des malentendus avec l’Internationale, mais se plaça résolument, au moment décisif, du côté de la révolution [6].

L’opération chirurgicale entreprise par le parti français était certainement difficile et paraissait à quelques camarades trop risquée. Il s’agissait d’une rupture définitive et simultanée du parti avec l’opinion publique bourgeoise et ses institutions les plus équivoques, franc maçonnerie, Ligue des droits de l’homme, presse radicale, etc. L’opération chirurgicale tirant à sa fin, Frossard, qui hésitait encore, jeta un coup d’œil autour de lui et se convainquit qu’il n’avait rien à faire dans ce parti. Et, par la porte même par laquelle il venait de sortir, avec les francs maçons et les ligueurs des droits de l’homme, deux hommes entrèrent Monatte et Barbusse.

L’adhésion de Monatte est aussi peu un épisode personnel que le départ de Frossard. Monatte a représenté pendant et depuis la guerre, avec plus d’intransigeance et de force que quiconque, les traditions du syndicalisme révolutionnaire à l’époque de son apogée. La méfiance à l’égard de la politique et des partis tenait une grande place dans ses traditions. Méfiance qui ne manquait pas de raisons historiques. Au cours des dernières années, Monatte avait été l’ami fidèle de la révolution russe, inébranlable dans les moments les plus difficiles. Il observait pourtant le parti communiste français avec une défiance aiguë et demeurait à l’écart. Et ce n’est que lorsque le parti eut montré qu’il ne reculerait pas devant les mesures les plus rigoureuses pour affermir son caractère prolétarien et révolutionnaire que Monatte prit sa carte. C’était plus qu’un geste personnel. Ce geste signifiait que le parti a surmonté la défiance de toute une catégorie de travailleurs révolutionnaires français. Il y aura vraisemblablement encore dans le parti, qui comprend des éléments d’une éducation politique différente, des frottements intérieurs ; mais le caractère vraiment prolétarien du parti est désormais assuré, ce qui veut dire que son avenir révolutionnaire l’est aussi.

L’adhésion de Barbusse a un caractère plus individuel. Barbusse ne représente pas de traditions révolutionnaires d’avant guerre. En revanche, il incarne mieux que personne la conscience indignée de la génération de la guerre. Président de l’Association républicaine des anciens combattants, Barbusse avait conservé, jusqu’à ces derniers temps son indépendance formelle à l’égard du parti communiste, exprimant par là l’indignation profondément révolutionnaire, mais politiquement imprécise, des masses ouvrières et paysannes d’après guerre. Mais, quand les rapports politiques se précisèrent, quand les rhéteurs pacifistes et les dilettantes de la révolution revinrent à leurs origines bourgeoises, Barbusse franchit le seuil du parti en disant : « Me voici ! » Il attestait ainsi que, pour tout ce qui pense et s’indigne, pour tout ce qui reste de la génération de la guerre, il n’y a pas d’issue spirituelle en dehors du parti communiste. On sent dans le lyrisme contenu de la lettre de Barbusse à l’Humanité une véritable passion révolutionnaire. Nous félicitons le parti français d’avoir fait cette conquête.

A peine Frossard et ceux qui le suivent étaient ils apparus de l’autre côté des frontières du parti que les événements connexes à l’occupation de la Ruhr mettaient le parti communiste français en présence de sérieuses épreuves politiques. Et le parti montrait que, débarrassé d’éléments inassimilables, il s’était affermi, il avait grandi par là même. La répression n’a fait qu’accroître sa cohésion morale. Les plus grandes difficultés l’attendent encore, mais on peut déjà dire avec confiance, en toute certitude, qu’un parti communiste authentique existe, vit et grandit en France.

Notes

[1] Les dirigeants de I’I.C, après la guerre, comptaient que l’Allemagne serait la plaque tournante de la révolution européenne. Mais la révolution française était bien entendu nécessaire pour compléter cette victoire sur le continent.

[2] Trotsky exprime ici l’opinion, qui était également celle de Lénine, que Paul Levi avait raison sur le fond dans les critiques qu’il faisait de l’action de mars. Les souvenirs sur Lénine de Clara Zetkin attestent que Lénine, au lendemain du 3° congrès de l’I.C. , espérait encore regagner Levi qu’il avait en haute estime, et qu’il fit tous ses efforts pour que la porte du parti allemand et de l’I.C. lui restât ouverte après son exclusion pour indiscipline.

[3] En réalité, le parallèle établi ici par Trotsky entre Serrati, Paul Levi, Friesland et Frossard est difficilement soutenable. On sait que Serrati, vétéran socialiste, revint au communisme peu avant sa mort. Levi retourna à la social-démocratie, y soutint en 1923 la nécessité de la dictature du prolétariat, et jusqu’à sa mort, en 1930, fut l’inspirateur de son aile gauche. Frossard, lui, revint à la S.F.I.O., qu’il quitta sur la droite en 1935 pour rallier les « néos » : il fut nommé conseiller national par Vichy en 1940. De même, s’il est possible de considérer avec Trotsky que Frossard ne fut qu’« en apparence » un dirigeant du mouvement pour la III° Internationale, cette affirmation est très contestable pour Serrati et fausse pour Levi qui s’était prononcé dès 1917 pour la scission de la socialdémocratie et qui fut l’artisan du ralliement des indépendants à l’I.C. Lénine, qui le connut en Suisse en 1916, affirmait, après son exclusion de l’I.C., qu’il était, à cette époque, un « véritable bolchevik ». Le cas de Friesland, dans ce cadre, est unique : c’est comme prisonnier de guerre en Russie en 1917 qu’il vint « à la politique » et au communisme, c’est comme candidat de l’aile gauche, irréductible adversaire de Levi, qu’il devint secrétaire général du P.C.A. en août 1921. Après sa rupture, en décembre de la même année, il allait revenir à la social démocratie et fut, après la deuxième guerre mondiale, bourgmestre de Berlin Ouest sous son nom d’Ernst Reuter.

[4] Trotsky donne ici très clairement les raisons pour lesquelIes les dirigeants de l’I.C. se sont efforcés d’éviter que ne se produise, en France, un « nouveau Livourne ». Elles sont également exposées sans ambiguïté dans les documents publiés par Jules Humbert Droz dans L’Œil de Moscou à Paris.

[5] Les dirigeants du P.S.I. de Serrati s’étaient refusés à engager la lutte pour le pouvoir au moment des grandes grèves des métallos de Turin en septembre 1920. C’est leur attitude à cette époque qui a déterminé la direction de l’I.C., Lénine autant que Zinoviev, à adopter une attitude dure et à cautionner, à Livourne, la scission sur une frontière passant entre la « gauche » et le « centre », alors qu’en France, au même moment, elle passait entre la « droite » et une fraction du « centre ». Trotsky justifie ici de son mieux une décision qui coûta fort cher au mouvement italien.

[6] Trotsky ne devait plus jamais écrire ni vraisemblablement penser - que Cachin, pour lequel il avait un profond mépris, avait été, à un moment quelconque de se carrière, « du côté de la révolution ».

Voici ce qu’écrivait l’Internationale communiste en juillet 1920 :

A tous les membres du P. S. français
A tous les prolétaires conscients de France

(De la part du Comité exécutif de l’Internationale Communiste)

26 juillet 1920

A une énorme majorité, le dernier Congrès du Parti Socialiste français a décidé de se retirer de la 2e Internationale, considérée maintenant par tous les travailleurs conscients du monde entier comme une organisation de traîtres. Mais ce même Congrès, par une majorité des deux tiers des voix environ, a repoussé l’adhésion immédiate à l’Internationale Communiste et s’est borné, par une résolution à double sens, à décider d’entrer en relations avec la 3e Internationale en même temps, d’organiser les partis qui se placent entre la 2e internationale et la 3e Internationale.

Deux délégués de la majorité du Congrès, Marcel Cachin et Frossard, sont venus en Russie pour entamer des pourparlers, conformément à la décision du Congrès précité. Le Comité Executif de l’Internationale Communiste, avec la participation de délégués d’Italie, d’Angteterre, d’Amérique, d’Autriche, de Hongrie, de Bulgarie, d’Allemagne et autres pays, a consacré deux séances à l’examen des questions qui se posaient, par suite de l’arrivée de Cachin et de Frossard. De plus, le Comité Central a eu avec les délégués du Parti Socialiste français un certain nombre d’entretiens. Nous avons reçu les trois rapports écrits, qui sont publiés en toutes langues, dans la presse officielle de l’Internationale Communiste. Nous avons invité les camarades Frossard et Cachin au 2e Congrès mondial de l’Internationale Communiste, en leur octroyant une voix consultative. Nous avons entendu Cachin et Frossard dans la Commission du Congrès. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste considère naturellement de son devoir de se comporter de la façon la plus bienveillante à l’égard de toute délégation de parti ou de groupe qui désire rompre avec la 2e Internationale et qui a l’intention d’entrer dans les rangs de l’Internationale Communiste.
Nous sommes reconnaissants au Parti Socialiste français de ce que, par l’envoi de ses délégués, il nous a donné la possibilité de nous expliquer avec vous ouvertement, franchement, comme il convient à des révolutionnaires. Vous apprendrez par la suite quelle est notre opinion sur la situation en France. Notre réponse, nous en sommes convaincus, sera imprimée en France, lue et discutée avec la plus grande attention par tous les ouvriers conscients.
Deux circonstances constituent pour nous la pierre angulaire de notre appréciation de la situation du Parti Socialiste en France :

1.
Le rôle que joue actuellement la bourgeoisie française) dans le monde ;

2.
La situation intérieure du Parti socialiste français.

La bourgeoisie française rempart de la réaction mondiale
La bourgeoisie française, par une série de circonstances, joue actuellement, sans contredit, le rôle le plus réactionnaire qui soit dans le monde entier. La bourgeoisie française est devenue le rempart de la réaction mondiale. Le capital impérialiste français, aux yeux de l’univers entier, a assumé le rôle de gendarme international. Plus que toutes les autres, la bourgeoisie française a travaillé à étouffer la République soviétiste prolétarienne en Hongrie. La bourgeoisie française a toujours joué et joue encore le principal rôle dans l’organisation de la guerre de brigandage contre la Russie soviétiste. La bourgeoisie française joue le rôle du plus infâme bourreau dans les Balkans. Enfin, la bourgeoisie française a assumé la principale « tâche » dans l’étouffement de la révolution prolétarienne qui se développe en Allemagne. C’est elle qui a eu le principal rôle dans l’élaboration du traité de Versailles, traité de rapine. Elle envoie les troupes nègres occuper les villes allemandes. En réalité, elle est entrée en alliance avec la bourgeoisie allemande contre la classe ouvrière allemande. Il n’est pas de monstruosité que n’ait commis le gouvernement de la bourgeoisie française. La révolution mondiale, en son développement, n’a pas de plus cruel ennemi que le capitalisme français.

Cela impose aux ouvriers français et à leur Parti un devoir international très important. L’Histoire a voulu qu’une tâche très noble mais d’une grande responsabilité vous incombe, à vous, prolétaires français, celle de repousser l’assaut de la bourgeoisie la plus furieuse et la plus follement réactionnaire. La situation du P. S. en France
Mais le Comité exécutif de l’Internationale Communiste constate avec regret — et ici nous allons parler du deuxième point des circonstances indiquées plus haut — que la situation intérieure du Parti Socialiste français est dans l’état le moins favorable à l’accomplissement de la mission historique que la marche des événements lui impose.
L’avant-garde du prolétariat français sera absolument d’accord avec nous si nous disons que, pendant les quatre années de la guerre impérialiste, nulle part le socialisme impérialiste, nulle part, si ce n’est en Allemagne, le socialisme n’a été aussi bassement trahi que dans votre pays par l’ancienne majorité du Parti.

La conduite des chefs de cette ancienne majorité : Renaudel, Thomas et autres, après le 4 août 1914, n’a pas été meilleure que la conduite ignoble et traîtresse des Scheidemann et des Noske en Allemagne. Ces chefs n’ont pas seulement voté les crédits de guerre, mais encore ils ont mis au service de la bourgeoisie impérialiste toute la presse et tout l’appareil du Parti. Ces chefs du Parti socialiste français ont empoisonné l’âme du soldat et de l’ouvrier. Ils ont aidé la bourgeoisie impérialiste à soulever dans tout le pays une vague boueuse d’abject chauvinisme. Ils ont aidé la bourgeoisie à instituer dans les fabriques et les usines un régime despotique et à annuler les lois les plus modérées pour la défense du travail. Ils ont pris la responsabilité entière de la tuerie impérialiste. Ils ont pris place dans le gouvernement bourgeois. Ils ont exécuté les plus méprisables commissions des meneurs de l’Entente. Quand la révolution éclata en Russie, en février 1917, Albert Thomas, au nom du Parti français, fut envoyé chez nous par les impérialistes français pour persuader les ouvriers et les soldats russes de la nécessité de continuer la tuerie impérialiste. Ainsi, des socialistes français ont aidé à organiser la lutte de la garde blanche russe proclamant la guerre contre la classe ouvrière et paysanne. Quant à l’ancienne minorité de votre Parti, elle n’a jamais mené contre cette majorité abjecte la lutte de principe, la lutte vigoureuse et claire, la lutte révolutionnaire qu’elle avait le devoir de mener. Devenue majorité, elle a persisté jusqu’à ce jour dans une politique équivoque, sans netteté et sans énergie, tristement opportuniste.

Albert Thomas, Renaudel, Jouhaux et consorts continuent encore comme à l’heure actuelle à jouer le rôle odieux des valets de la bourgeoisie. Dans vos rangs, non seulement les social-patriotes avérés, mais encore beaucoup d’autres représentants du « centre » Longuet et autres, continuent jusqu’à présent à affirmer que la guerre impérialiste et de brigandage de 1914-1918 a été pour la France une guerre de défense nationale. Votre Parti personnifié par sa majorité centriste n’a pas encore dit clairement jusqu’ici aux ouvriers de France que la récente guerre mondiale, tant du côté de la bourgeoisie allemande que de la bourgeoisie française, fut une guerre de pillage, une guerre d’assassins, une guerre de brigandage ? Les discours prononcés par Longuet, Faure, Pressemane et certains autres de vos chefs, au Congrès de Strasbourg sur la défense nationale, ne se différencient guère de ceux des social-patriotes. Nous devons vous le dire sincèrement camarades, la situation intérieure du Parti socialiste français est pire que celle du Parti indépendant allemand. Vous êtes en retard, même relativement au développement allemand. Vous n’avez pas encore fait ce que les indépendants allemands ont fait en 1916. Dans votre Parti restent toujours, comme autrefois, des traîtres tels que Albert Thomas, qui n’a pas honte d’occuper un haut emploi dans cette ligue de brigandage qu’est la Société des Nations. Dans votre Parti se trouvent encore des personnages comme Pierre Renaudel, le serviteur le plus zélé de la bourgeoisie française. Vous vous comportez encore patiemment à l’égard des traîtres à la cause ouvrière, tels que Jouhaux et ses adeptes, qui ont fait renaître maintenant l’internationale jaune des syndicats !

Dans vos rangs, vous supportez des hommes qui, sur les ordres des capitalistes de l’Entente, jouent la comédie de l’organisation du Bureau International du Travail. Dans votre Parti restent membres, au même titre que les autres, des députés qui ont l’ignominie de s’abstenir de voter lorsque la Chambre des députés s’est prononcée sur le honteux et sanglant traité de Versailles.

Reconnaissez, camarades, qu’une telle situation à l’intérieur du Parti n’est pas de nature à vous permettre d’accomplir la mission que l’histoire vous a dévolue.

Il n’est pas étonnant, camarades, que, dans de telles conditions, la majorité officielle actuelle du Parti socialiste français, qui se figure être internationaliste et révolutionnaire, mène, en fait une politique d’hésitations et d’équivoques. Examinons les points les plus importants de votre « activité présente » : 1° Votre travail parlementaire ; 2° Votre presse ; 3° Votre propagande dans l’armée et dans les villages ; 4° Votre attitude à l’égard des syndicats ; 5° Votre manière d’envisager les actes récents de violence qui ont été commis par le gouvernement français ; 6° Vos rapports avec l’aile gauche communiste de votre propre Parti et 7° votre attitude à l’égard de l’Internationale.

Le Groupe parlementaire

I. — Le travail parlementaire de votre fraction socialiste à la Chambre des Députés continue à ne pas être révolutionnaire, socialiste prolétarien. Chaque député socialiste agit à sa guise. La fraction parlementaire en entier n’obéit pas au Parti et exécute ses décisions uniquement quand elles lui plaisent. Elle ne sert pas de porte-voix aux masses prolétariennes qui brûlent d’indignation contre la lâche conduite de la bourgeoisie française et elle ne lui rend aucun compte de ses actes. Elle ne dénonce pas les crimes du gouvernement français. Elle ne fait pas de propagande parmi la masse innombrable des anciens combattants. Elle ne se donne pas pour tâche de montrer aux masses laborieuses de France le caractère scélérat de la tuerie impérialiste qui vient de finir. Elle ne se préoccupe pas de l’armement du prolétariat.

En un mot, non seulement elle ne prépare pas la révolution prolétarienne, mais encore, par tous les moyens, elle la sabote. Un grand nombre de vos députés restent, comme auparavant, non pas des lutteurs politiques de la classe ouvrière, mais des politiciens. Par leur conduite, ils provoquent chez les masses ouvrières de France, de la répulsion pour tout travail parlementaire, amenant ainsi de l’eau au moulin anarchiste. Par son opportunisme, votre fraction parlementaire ne fait que nourrir et fortifier les erreurs et les préjugés de l’anarchisme.

La conduite de vos députés engendre chez les masses prolétariennes le mépris des parlementaires intrigants, hommes qui se disent socialistes et qui, en fait, sont les amis des pires adversaires de la classe ouvrière.

La Presse et la propagande

II. — Vos quotidiens, et en première ligne l’Humanité et le Populaire ne sont pas des feuilles prolétariennes révolutionnaires. Nous n’y voyons pas une propagande suivie, systématique en faveur de l’idée de la révolution prolétarienne. Tout au plus y trouve-t-on quelques mots secs, sur la dictature du prolétariat. Mais ces mots dans votre littérature de propagande journalière restent sans vie et sans âme. Vos organes ressemblent souvent, comme deux gouttes d’eau, à ceux de la bourgeoisie française. Vous y réservez la place principale aux bagatelles parlementaires et aux petits événements de la vie du monde bourgeois. Vos organes ne savent pas et ne veulent pas être les véritables porte-parole de la colère révolutionnaire des masses prolétariennes en effervescence. Vos organes ne décrivent pas les misères nées de la guerre et que supportent seules les masses travailleuses de la France. Vos organes se bornent à des protestations sèches, pédantes, platoniques ; votre organe de propagande parmi les paysans a été abandonné par vous aux mains de Gompère-Morel le social-patriote bien connu. Il est indispensable que vous renonciez à l’inadmissible méthode de représentation proportionnelle qui ouvre les organes de votre presse aux articles empoisonnés des Renaudel et Cie.

III. — Il faut en dire autant de votre propagande parmi les paysans et les soldats. Ou cette propagande n’existe pas, ou elle n’a qu’un caractère essentiellement réformiste (le journal que vous avez créé pour les paysans — le seul qui existe — vous en avez confié la direction au social-traître Gompère-Morel). Où et quand votre Parti a-t-il expliqué aux soldats français leur devoir révolutionnaire de prolétariat ? Autant que nous le sachions, nulle part et jamais. Les forces de la réaction en France sont telles que les socialistes en France ne peuvent pas le faire légalement, le devoir de tout journal prolétarien conscient consiste à compléter la propagande clandestine et à remplir ainsi son devoir envers la classe ouvrière de son pays et envers les prolétaires du monde entier. Le Parti et les Syndicats
IV. — Votre attitude envers les syndicats est tout à fait équivoque. Non seulement vous ne menez pas une lutte systématique contre les idées social-patriotes des chefs de la Confédération Générale du Travail, mais vous les soutenez. Quand Jouhaux et Cie aident la bourgeoisie à reconstituer, à Amsterdam, l’Internationale jaune des syndicats, quand ce même Jouhaux, avec Albert Thomas, se rendent à la Conférence Internationale du Travail, organisée par les impérialistes, quand les leaders de la Confédération font perfidement échouer la grève du 21 juillet 1919, vous ne déclarez pas la guerre, vous n’arrachez pas le masque à ces infâmes traîtres, vous ne les clouez pas au pilori devant la France entière. Non, vous continuez la « collaboration » avec eux. Tout au plus vous arrive-t-il de les gourmander, mais vous ne luttez pas contre eux. Vous ne vous assignez pas la tâche d’arracher les syndicats à l’influence néfaste des agents du capital. Dans les dernières grandes grèves de mai, quand le gouvernement emprisonnait et que les compagnies révoquaient, un des vôtres, Paul-Boncour, parlant à la Chambre, reprochait seulement au gouvernement d’oublier l’attitude patriotique de Jouhaux du 2 août 1914 et les grands services rendus par lui pendant la guerre et après. Le « Complot » et les Communistes français

V. — La bourgeoisie française vient de commettre des actes de violence inouïe, particulièrement contre l’aile gauche du mouvement ouvrier français. Elle emprisonne Loriot, Monatte, Souvarine et une foule d’autres camarades. Qu’avez-vous fait pour repousser cette attaque des capitalistes français ? Pourquoi ne sonnez-vous pas le tocsin ? Pourquoi vous bornez-vous à une propagande purement philanthropique ?

VI. — Votre attitude envers l’aile gauche communiste de votre propre Parti laisse beaucoup à désirer. Vous ne cherchez pas à vous rapprocher des communistes français. Au contraire, vous organisez la lutte contre eux. Vous mettez à l’ordre du jour l’entrée à l’Internationale Communiste, mais en même temps vous ne faites rien ou presque rien pour un rapprochement fraternel avec les éléments communistes de votre pays. 2e et 3e Internationales

VII. — Voyons enfin votre attitude envers l’Internationale. Vous êtes restés dans les rangs de la 2e Internationale, l’Internationale jaune des traîtres, jusqu’au moment où les indépendants allemands en sont sortis ; vous y êtes restés jusqu’à ce que les ouvriers français aient obligé les chefs des centres socialistes à rompre avec elle. Vous avez envoyé vos délégués à la fameuse conférence de Berne. Certains d’entre eux y ont, il est vrai, défendu la révolution russe, mais ils ont tout fait aussi pour sauver la 2e Internationale agonisante. Vous avez tenté de créer le nouveau courant intermédiaire des reconstructeurs. A l’heure actuelle, vous ne parlez toujours pas de votre entrée dans l’Internationale Communiste. Vous avez décidé de sortir de la 2e Internationale et, en, même temps, vous vous déclarez solidaires avec les partis socialistes belges, c’est-à-dire avec Vandervelde, qui est le chef de la 2e Internationale. Vous dites que vous êtes décidés à entrer dans la 3e Internationale, et vos délégués officiels (Mistral, Caussy) ont signé une déclaration claire lors du coup d’Etat de Kapp, ensemble avec le bureau de la 2e Internationale, appelant les prolétaires allemands à défendre la république avec Noske et Scheidemann. Ou vous taisez son existence, ou vous menez contre elle une sorte d’agitation. Dans le rapport qui nous a été remis à Moscou par votre représentant Frossard, vous continuez encore à expliquer votre non-adhésion à la 3e Internationale par le fait que les partis les plus forts de l’Europe occidentale n’y sont pas encore entrés. Mais, vous ne devez pas oublier que si par « les plus forts partis ». de l’Europe occidentale, vous entendez les partis contaminés par le social-patriotisme, nous vous répondons que nous n’en n’avons pas besoin et que nous ne les accepterons jamais dans les rangs de l’Internationale Communiste. Mais les partis vraiment révolutionnaires d’Europe et d’Amérique sont dans nos rangs. L’Internationale Communiste est une force si grande que, pour certains socialistes, elle est devenue une mode. Quelques partisans du « centre » commencent à se nommer communistes et supposent qu’on peut entrer dans la 3e Internationale continuant de mener en fait la politique mi-réformiste d’autrefois. Ceci, l’Internationale Communiste ne peut l’admettre. Nous ne permettons pas de mettre de l’eau dans notre vin révolutionnaire. L’Internationale Communiste doit rester l’association internationale de combat des ouvriers communistes. Les Syndicats français
Nous allons passer à présent aux questions que votre représentant Frossard nous a posées dans son premier rapport écrit.
Ce rapport, entre autres choses, nous demande quelle est notre attitude à l’égard des syndicats français. Cette question est très importante et il est nécessaire de s’y arrêter.

Par nos thèses et par d’autres documents officiels de l’Internationale Communiste, vous savez que nous sommes résolument opposés à quelques communistes de « gauche » qui proposent de sortir sans combat des syndicats réactionnaires et de leur opposer l’organisation de nouvelles unions ouvrières.

C’est notre pensée, non seulement en ce qui concerne les syndicats social-démocrates jaunes Legien et consorts, mais aussi à l’égard des syndicats français à la tête desquels sont Jouhaux et consorts. Nous sommes contre la sortie des révolutionnaires et des communistes des syndicats, même si ces derniers ont encore le malheur de suivre Legien et Jouhaux.

Les révolutionnaires et les communistes doivent être la où sont les masses ouvrières. Les Communistes russes ont été pendant longtemps en minorité dans les organisations professionnelles, mais ils ont su lutter pour leurs idées au sein des organisations ouvrières même purement réactionnaires.

Nous demandons à nos partisans en France de ne pas abandonner les rangs des syndicats en aucun cas. Au contraire, s’ils veulent accomplir leur devoir devant l’Internationale Communiste, ils sont obligés d’intensifier leur travail au sein des syndicats jaunes professionnels. La 2e Internationale, qui était une organisation politique, est tombée comme un château de cartes. La nouvelle Internationale d’Amsterdam, celle des syndicats jaunes, est en ce moment plus dangereuse et plus nuisible pour la révolution mondiale que la Société des Nations. Par l’intermédiaire de Legien, de Gompers et de Jouhaux, la bourgeoisie tente de faire de l’Internationale d’Amsterdam le même instrument de ses buts qu’ont été pendant la guerre les partis socialistes du monde entier.

Ceci nous impose, à nous Communistes, l’obligation de fixer davantage notre attention sur le mouvement syndicaliste. Nous devons, coûte que coûte, arracher ces syndicats des mains des capitalistes et des social-traîtres. Et pour cela, nous devons être dans ces syndicats ; pour cela nous devons y envoyer nos meilleures forces.
Nos partisans resteront dans les syndicats, mais ils n’y agiront pas comme des éléments épars. L’action communiste intérieure
Dans chaque syndicat, dans chaque section de syndicat, nous devons organiser un groupe en un petit groupement communiste. Sur le terrain de la lutte quotidienne, nous devons démasquer les Jouhaux grands et petits. Nous devons ouvrir les yeux de tous les membres du syndicat. Nous devons expulser des syndicats les leaders social-patriotes. Nous devons, par une lutte longue et persévérante, arracher syndicat après syndicat à l’influence des social-traîtres et des syndicats jaunes du type Jouhaux. Par une longue action, les bolcheviks russes ont su accomplir cette tâche. A la veille de la révolution d’octobre, ils étaient encore en minorité dans les syndicats. Ayant pris le pouvoir, ayant donné aux travailleurs conscients de nouveaux moyens de propagande, les bolcheviks russes ont pu, bientôt après la révolution, conquérir l’énorme majorité dans les syndicats. C’est cette voie que doivent suivre les Communistes et les Révolutionnaires dans le monde entier.

Si, dans son rapport de Moscou, Frossard déclare : « La Confédération Générale du Travail ne fera pas la révolution sans nous (le Parti), nous ne la ferons pas sans eux (les syndicats). » Cette phrase est pour le moins insuffisamment claire. Il nous est impossible de faire la révolution avec ceux qui ne veulent pas. Vous ne ferez pas la révolution prolétarienne avec ces messieurs Jouhaux, qui ont donné toutes leurs pensées, tous leurs efforts, pour faire échouer la révolution prolétarienne. Vous la ferez en dépit de Jouhaux et contre lui, de même qu’en dépit et contre Albert Thomas et Pierre Renaudel. Si vous purifiez le Parti de l’opportunisme, si vos députés au Parlement se mettent à faire de la propagande communiste, si vous expulsez les jaunes des rangs de votre Parti, si, en un mot, vous devenez Communistes, les travailleurs non organisés, tout aussi bien que les membres des syndicats, marcheront avec vous contre Jouhaux ; plus vite vous vaincrez les préjugés du syndicalisme plus vite vous vous débarrasserez de l’opportunisme.

Les syndicats rouges ont commencé à s’organiser dans une série de pays. Sur l’initiative du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, les syndicats, les Confédérations du Travail d’Italie, de Russie et les syndicats de gauche d’Angleterre, ont fondé une Triple-Alliance qui convoquera pour août ou septembre un Congrès international de syndicats rouges, en opposition a l’Internationale d’Amsterdam des syndicats jaunes. Soutenez cette entreprise en France. Obtenez que vos syndicats s’associent à l’Internationale des syndicats rouges et rompent, une fois pour toutes, avec les syndicats jaunes. Telle doit être, en France, la tâche des vrais révolutionnaires.
La question des exclusions

Frossard nous demande, dans son rapport, sur un ton de demi-reproche, si nous continuons à demander d’exclure du Parti certaines personnes déterminées.

Cette question a sans doute une grande importance, mais elle n’est pas l’unique facteur qui décide de notre attitude envers vous. Oui, nous vous le disons ouvertement, vous êtes des retardataires, même par comparaison avec les Indépendants allemands. Tandis que les Indépendants allemands ont enfin posé la question de l’exclusion de Kautsky, et, par suite, des Kautskistes, vous donnez droit de cité dons votre Parti à Albert Thomas, Renaudel, c’est-à-dire aux Noske et aux Scheidemann français. Oui, nous vous le déclarons catégoriquement : malgré la lutte menée pair Longuet en faveur de la Révolution russe et malgré son adhésion en paroles à la dictature du prolétariat, la position doctrinale et l’action générale de Longuet dans la presse et au Parlement ressemble comme deux gouttes d’eau à la propagande de Kautsky en Allemagne. Oui, il faudra rompre avec toute une série de vos chefs de droite, gangrenés jusqu’à la moelle par le réformisme.
Mais la question principale n’est pas celle de l’exclusion de certaines personnes, c’est la question de la rupture avec la tradition réformiste. L’Internationale Communiste ne vous demande pas de « faire » immédiatement la révolution soviétiste. Ceux qui présentent à vos yeux sous ce jour les exigences de l’Internationale Communiste dénaturent la vérité.

Nous ne réclamons qu’une chose : c’est que dans votre travail quotidien, dans la presse, dans les syndicats, au Parlement, dans les réunions publiques, vous fassiez systématiquement, continuellement, une propagande honnête et franche en faveur de l’idée de la dictature du prolétariat et du Communisme, c’est que vous déblayiez la voie à la révolution prolétarienne, que vous luttiez honnêtement contre les idées bourgeoises réformistes. Les conditions d’adhésion
Pour conclure, nous allons formuler quelques points précis qui nous semblent essentiels et sur lesquels nous attendrons de vous une réponse claire et précise. Nous confirmons entièrement notre réponse aux Indépendants allemands qui a été imprimée dans la presse Communiste de Paris. Celle réponse s’adresse à vous et à la majorité du Parti Socialiste français.

1.
Le Parti Socialiste français doit changer radicalement le caractère de sa propagande quotidienne dans la presse, dans le sens que nous avons indiqué plus haut.

2.
Dans la question des colonies, il est nécessaire que la ligne de conduite des partis de tous les pays où la bourgeoisie domine sur les peuples coloniaux soit bien claire et très nette. Ce parti français doit dévoiler sans pitié les agissements des impérialistes français dans les colonies et y aider non seulement en paroles, mais en fait, tout mouvement libérateur, y reprendre le mot d’ordre : que les impérialistes abandonnent les colonies, développer dans les masses ouvrières de France les sentiments fraternels envers la population laborieuse des colonies, mener dans l’armée française une propagande systématique contre l’oppression des colonies.

3.
Dévoiler la fausseté et l’hypocrisie du social-pacifisme. Démontrer systématiquement aux ouvriers que sans le renversement révolutionnaire du capitalisme nul arbitrage, nul projet de désarmement n’éviteront à l’humanité de nouvelles guerres impérialistes.

4.
Le Parti socialiste français doit commencer l’organisation des éléments révolutionnaires communistes au sein de la Confédération Générale du Travail afin de lutter contre les social-traîtres, chefs de cette Confédération.

5.
Le Parti socialiste doit obtenir, non pas en paroles, mais en fait, la complète subordination de la fraction parlementaire.

6.
La majorité actuelle du Parti socialiste français doit rompre radicalement avec le réformisme et débarrasser ses rangs de ces éléments qui ne veulent pas suivre la nouvelle voie révolutionnaire.

7.
Le Parti français doit aussi changer son nom et se présenter devant le monde entier comme le Parti Communiste de France.

8.
A l’heure où la bourgeoisie décrète l’état de siège pour les ouvriers et leurs chefs, les camarades français doivent reconnaître la nécessité de combiner l’action légale avec l’action illégale.

9.
Le Parti socialiste français, de même que tous les partis qui désirent adhérer à la IIIe Internationale, doivent considérer comme strictement obligatoires toutes les décisions de l’Internationale communiste. L’Internationale communiste se rend très bien compte des conditions diverses dans lesquelles les travailleurs des différents pays sont contraints de lutter.

Voici l’essentiel, camarades, de ce que nous voulions vous dire.
Vos délégués, Cachin et Frossard, à la veille de leur départ, nous ont déclaré officiellement qu’ils acceptent les conditions posées par l’Internationale communiste. Ils ont déclaré que, de retour en France, ils proposeront au Parti socialiste français de rompre radicalement avec la vieille tactique des réformistes et d’en venir aux méthodes communistes.

Conclusion

Inutile d’ajouter que nous serons fort heureux si le mouvement ouvrier français s’engage enfin dans la vraie voie révolutionnaire. Nous suivrons avec une extrême attention la marche ultérieure des événements dans le Parti socialiste français. Et le Congrès donnera pleins pouvoirs à son Comité exécutif pour admettre votre Parti dans les rangs de l’Internationale communiste, si les conditions posées par le Congrès sont acceptées par vous et réellement observées.
Nous vous prions de nous faire connaître la véritable réponse de tous les ouvriers français.

Camarades, nous vous avons exprimé ouvertement nos opinions sur toute une série de questions à l’ordre du jour. Nous savons que, seuls un petit nombre de vos chefs s’associeront pleinement à tout ce que nous avons dit. Mais nous sommes persuadés que l’immense majorité des ouvriers conscients, des socialistes sincères et des syndicats révolutionnaires de France sera de cœur avec nous. Quelque forme que prennent dans l’avenir prochain nos relations ultérieures, nous avons la ferme conviction que le prolétariat français constituera un puissant Parti Communiste et occupera une des premières places dans la famille internationale du prolétariat luttant pour sa liberté.
Il n’est pas possible que la classe ouvrière révolutionnaire de France, avec ses splendides traditions révolutionnaires, sa haute culture, son esprit de sacrifice et son magnifique tempérament combatif, ne crée pas un puissant Parti Communiste à l’heure où commence l’agonie de la société bourgeoise.

Camarades, l’année prochaine le prolétariat international fêtera le cinquantenaire de la Commune de Paris, cette grande insurrection des travailleurs dont la révolution prolétarienne de Russie est la continuatrice. Nous souhaitons de tout cœur au prolétariat français que ce cinquantième anniversaire de la Commune de Paris le trouve organisé en un puissant Parti Prolétarien Communiste, continuateur des meilleures traditions des communards parisiens et prêts à se lancer à l’assaut de la citadelle capitaliste.

Vive la classe ouvrière de France !

Vive le Parti Communiste de France, puissant et uni !

Salut fraternel.

Le Bureau du IIe Congrès Mondial de l’Internationale Communiste G. ZINOVIEV, LENINE, G.-M. SERRATI, Paul LEVI, A. ROSMER.
Moscou, 26 juillet 1920.

Sur le parti socialiste français Léon Trotsky 22 juillet 1920 Conditions de l’admission dans la 3e Internationale

I
Les social-patriotes et leurs inspirateurs bourgeois font remarquer que les guides de la 3e Internationale, appelés quelquefois « Moscou », ou « les bolcheviks », posent des exigences dictatoriales aux autres partis concernant l’exclusion de leurs membres, les changements dans la tactique, etc., comme conditions à l’admission dans la, 3e internationale.

Les socialistes du centre (les Kautskiens, les Longuettistes) y répètent ces accusations, dans une forme un peu délayée, en essayant de piquer au vif les sentiments nationaux des ouvriers de tel ou tel pays, en éveillant chez eux le soupçon que quelqu’un tâche de les commander « du dehors ».

En réalité, les accusations et les insinuations de cette sorte expriment l’altération, due à la mauvaise foi bourgeoise, ou bien la non-compréhension, bourgeoisement bête, de l’essence même de l’Internationale Communiste, qui ne présente nullement un ensemble des associations ouvrières et socialistes existant en différents pays, mais forme une organisation internationale intégrale et autonome poursuivant des buts définis et exactement formulés par des moyens révolutionnaires également définis.

L’organisation de chaque pays, en adhérant à la 3e Internationale, non seulement se soumet à sa direction générale, vigilante et exigeante, mais elle acquiert elle-même le droit de prendre une part active dans la direction de toutes les autres parties de l’Internationale Communiste.

L’adhésion à l’Internationale poursuit non les buts d’une étiquette internationale, mais les tâches de combat révolutionnaires. Par conséquent, elle ne peut en aucun cas se baser sur des omissions, des malentendus ou des obscurités du langage. L’Internationale Communiste rejette avec mépris les conventions qui paralysaient de haut en bas les relations à l’intérieur de la 2e Internationale et qui étaient basées sur le fait que les chefs de chaque parti national faisaient semblant de ne pas s’apercevoir des déclarations et des actions opportunistes et chauvines des chefs des autres partis nationaux, dans l’espoir que ces derniers leur rendront la pareille.
Les relations entre les partis « socialistes » nationaux n’étaient qu’une misérable reproduction des relations entre les diplomaties bourgeoises à l’époque de la paix armée. C’est justement grâce à cela que, au moment où les généraux, capitalistes ont rejeté la diplomatie capitaliste, le mensonge conventionnel diplomatique des partis « fraternels » de la 2e Internationale a été remplacé par le militarisme ouvert de ses chefs.

La 3e Internationale est une organisation de l’action révolutionnaire de l’insurrection prolétarienne internationale. Les éléments qui se déclarent prêts à entrer dans la 3e Internationale, mais s’insurgent, en même temps, contre l’imposition, « du dehors », des conditions de cette entrée, démontrent par cela même leur entière inutilité et leur incapacité du point de vue des principes et des méthodes d’action de la 3e Internationale. La création d’une organisation de la lutte pour la dictature du prolétariat n’est possible qu’à la condition que, dans la 2e Internationale, ne seront admises que les collectivités qui sont pénétrées du véritable esprit de l’insurrection prolétarienne contre la domination de la bourgeoisie et qui, par conséquent, sont intéressées elles-mêmes à ce que, dans leur milieu aussi bien que dans le milieu des autres collectivités politiques et professionnelles qui travaillent avec elles, soient absents non seulement les traîtres et les délateurs, mais aussi les sceptiques sans volonté, ces éléments des éternelles hésitations, ces semeurs de panique et de confusion dans les idées. Et on ne peut y arriver que par un nettoyage continuel et obstiné de ses rangs des fausses idées, des fausses méthodes d’action, et de leurs porteurs.
Les conditions que la 3e Internationale pose et continuera à poser à toute organisation qui entre dans ses rangs sont justement destinées à servir ce but.

Je le répète : l’Internationale Communiste n’est pas un ensemble des partis ouvriers nationaux. Elle est le parti communiste du prolétariat international. Les communistes allemands ont le droit et sont obligés de demander carrément la raison pour laquelle Turati se trouve dans leur parti. Les communistes russes ont le droit et sont obligés, en examinant la question, de l’admission dans la 3e Internationale des social-démocrates indépendants d’Allemagne et du parti socialiste français, de poser les mêmes conditions qui, de leur point de vue, garantiront notre parti international contre la liquéfaction et la décomposition. Mais toute organisation qui entre dans l’Internationale Communiste acquiert, à son tour, le droit et la possibilité d’une influence active sur la théorie et la pratique des bolcheviks russes, spartakistes allemands, etc., etc.

II
Dans sa réponse, qui épuise la matière, adressée au parti indépendant allemand, le Comité exécutif de l’Internationale Communiste identifie, en principe, les indépendants allemands avec les longuettistes français. C’est absolument vrai. Mais, lorsque la question touchant le parti socialiste français est posée d’une façon plus pratique, il est nécessaire, à côté des traits fondamentaux de ressemblance, d’établir également les différences.

Le fait que le parti socialiste français a marqué, dans son ensemble, des aspirations vers la 3e Internationale, amène par lui-même, de prime abord, des craintes naturelles. Ces craintes ne peuvent qu’augmenter, si l’on compare, d’une façon plus positive, la situation du socialisme en France avec sa situation en Allemagne.
La vieille social-démocratie allemande s’est divisée actuellement en trois branches : 1° la social-démocratie ouvertement gouvernementale et chauvine d’Ebert-Scheidemann ; 2° le parti « indépendant » dont les chefs officiels essaient de rester dans les cadres de l’opposition parlementaire, pendant que les masses brûlent de se jeter dans une insurrection ouverte contre la société bourgeoise, et 3° le Parti Communiste faisant partie de la 3e Internationale.

En examinant la question de l’entrée du parti indépendant dans la 3e Internationale nous constatons d’abord la non-conformité susmentionnée entre la conduite des chefs officiels et les aspirations des masses. Cette non-conformité est le point d’application de notre levier. En ce qui concerne la social-démocratie de Scheidemann, qui passe actuellement, avec la formation d’un gouvernement purement bourgeois, à la semi-opposition, il n’est pas même question, pour nous, d’admettre ce parti dans la 3e Internationale ou d’entrer, dans une mesure quelconque, en pourparlers avec lui. Cependant, le parti socialiste français n’est nullement une organisation équivalente au parti indépendant allemand dans son état actuel, car aucune scission ne s’est produite dans le parti socialiste français, et les Ebert, Scheidemann et Noske français y conservent tous leurs postes responsables.

Pendant la guerre, la conduite des chefs du parti socialiste français n’a pas été pour un iota au-dessus de la conduite des social-traîtres allemands les plus patentés. La trahison de classe a été ici, comme de l’autre côté, également profonde. Quant aux formes de son expression, du côté français elles ont été encore plus criardes et vulgaires que dans le camp de Scheidemann. Mais alors que la social-démocratie indépendante allemande avait rompu, sous la pression des masses, avec ses Scheidemann, — MM. Thomas, Renaudel, Varenne, Sembat, etc..., restent, comme par le passé dans les rangs du parti socialiste français. Ce qui est pourtant le plus essentiel, c’est la manière véritable, effective, pratique des guides officiels du parti socialiste français de considérer la lutte révolutionnaire pour la prise du pouvoir. Guidé par des longuettistes, le Parti socialiste non seulement ne se prépare pas à cette lutte par tous les moyens d’agitation et d’organisation, ouvertement ou clandestinement, mais au contraire, en la personne de ses représentants, il suggère aux masses la pensée que l’époque actuelle de désorganisation et de ruine économiques n’est pas favorable à la domination de la classe ouvrière. En d’autres termes, le parti socialiste français, sous l’impulsion des longuettistes, impose aux masses ouvrières une tactique de passivité et d’attente, leur inculque la pensée que la bourgeoisie, aux époques des catastrophes impérialistes, est capable de sortir le pays de l’état du chaos économique et de la misère, et de préparer de cette façon, les conditions « favorables » pour la dictature du prolétariat. Il est inutile de dire que si la bourgeoisie réussissait ce qu’elle ne peut réussir en aucun cas, c’est-à-dire la renaissance économique de la France et de l’Europe, le parti socialiste français aurait encore moins de raisons, de possibilités et d’intérêt qu’il n’en a aujourd’hui, pour appeler le prolétariat au renversement révolutionnaire de la domination bourgeoise.

En d’autres termes, dans sa tactique capitale, le parti socialiste français guidé par des longuettistes, joue un rôle contre-révolutionnaire. Il est vrai que, contrairement à l’exemple du parti de Scheidemann, le parti socialiste français est sorti de la 2e Internationale. Mais si l’on prend en considération que cette sortie a été entreprise sans aucun préjudice à l’union avec Renaudel, Thomas et tous les autres serviteurs de la guerre impérialiste, ils devient parfaitement clair que pour une partie très considérable des représentants du socialisme officiel français, la sortie de la 2e Internationale n’a rien de commun avec le reniement de ses méthodes, mais n’est qu’une simple manœuvre faite pour continuer à tromper les masses des travailleurs.

Pendant la guerre, le parti socialiste français s’opposait avec une telle obstination au socialisme kaiserien de Scheidemann, qu’à l’heure qu’il est, il est devenu très malaisé, non seulement pour Longuet, Mistral, Pressemane et autres partisans du centre, mais même pour Renaudel, Thomas, Varenne, de rester dans le cercle de la 2e Internationale, face à face avec Ebert, Scheidemann et Noske, comme s’ils étaient dans une communion d’idées très étroite avec ces derniers. De cette manière, la sortie de la cuisine de Huysmans était dictée au socialisme officiel français par les suites de sa position patriotique. Il est vrai qu’il a fait tout son possible pour donner à son refus patriotique d’une collaboration immédiate avec Noske et Scheidemann l’air d’un geste dicté également par l’internationalisme. Mais la phraséologie des résolutions de Strasbourg ne saurait non seulement abolir, mais même atténuer la valeur du fait que dans les rangs de la majorité de parti de Strasbourg ne figurent pas les communistes français, mais que tous les chauvins connus s’y trouvent. Le parti indépendant d’Allemagne, opposé comme organisation à la social-démocratie patriote, est forcé de mener contre cette dernière une lutte ouverte idéologique et politique dans la presse et dans les réunions et par cela même, malgré le caractère archi-opportuniste de ses journaux et de ses chefs, il collabore à rendre révolutionnaires les masses des travailleurs ; en France, au contraire, nous observons ces derniers temps un rapprochement croissant entre l’ancienne majorité et l’ancienne minorité longuettiste et la suppression, entre elles, de toute lutte idéologico-politique et organisationnelle.

Dans ces conditions, la question de l’adhésion du parti socialiste français à la 3e Internationale présente encore plus de difficultés et de dangers que celle de la social-démocratie indépendante allemande. III
Nous devons poser au parti socialiste français, en tant qu’il soulève actuellement, sur un terrain pratique, la question de son entrée dans la 3e Internationale, des questions absolument claires et nettes, définies par les considérations exposées ci-dessus. Il n’y a que les réponses franches et nettes, confirmées par le « parti », c’est-à-dire, en fait, par la partie responsables de celui-ci, qui peuvent prêter un contenu réel à la question de l’entrée du parti des socialistes français dans l’organisation communiste internationale.

Ces questions pourraient être, par exemple, les suivantes :

1.
Reconnaissez-vous toujours, comme par le passé, pour le parti socialiste, le devoir de la défense nationale à l’égard de l’État bourgeois ? Considérez-vous comme admissible de soutenir la république bourgeoise française dans ses conflits militaires possibles avec d’autres États ? Trouvez-vous admissible le vote de crédits militaires aussi bien actuellement, que dans le cas d’une nouvelle guerre mondiale ? Renoncez-vous catégoriquement au mot d’ordre si traître de la défense nationale. Oui ou non ?

2.
Considérez-vous comme admissible la participation des Socialistes, aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre, au gouvernement bourgeois ? Considérez-vous comme admissible un appui, direct ou indirect, prêté au gouvernement bourgeois par la fraction socialiste du parlement ? Trouvez-vous possible de souffrir plus longtemps dans les rangs de votre parti les gens indignes qui vendent leurs services politiques aux gouvernements capitalistes, aux organisations du capital, à la presse capitaliste, en qualité d’agents responsables de la ligue de brigands, appelée la Ligue des Nations (Albert Thomas), de rédacteurs de la presse bourgeoise (A. Varenne), d’avocats ou de défenseurs parlementaires des intérêts capitalistes (Paul-Boncour), etc., etc. ? Oui ou non ?

3.
Vu la violence exercée par l’impérialisme français sur une série de peuples faibles, et surtout sur les peuples coloniaux arriérés de l’Afrique et de l’Asie ; considérez-vous comme votre devoir une lutte irréconciliable avec la bourgeoisie française, son parlement, son armée, dans les questions du pillage mondial ? Vous engagez-vous à soutenir, par tous les moyens à votre disposition, cette lutte partout où elle surgit, et avant tout dans la forme d’une insurrection ouverte des peuples coloniaux opprimés contre l’impérialisme français ? Oui ou non ?

4.
Considérez-vous comme nécessaire l’ouverture immédiate d’une lutte systématique et sans merci contre le syndicalisme officiel français, qui s’est orienté entièrement du côté de la concorde économique, de la collaboration des classes, du patriotisme, etc., et qui remplace systématiquement la lutte pour l’expropriation révolutionnaire des capitalistes au moyen de la dictature du prolétariat par un programme de la nationalisation des chemins de fer et des mines par l’État capitaliste ? Considérez-vous comme un devoir pour le parti socialiste de soulever — dans une liaison étroite avec Loriot, avec Monatte, avec Rosmer — dans les masses ouvrières une agitation énergique dans le but de nettoyer le mouvement professionnel français de Jouhaux, Dumoulin, Merrheim et autres traîtres à la classe ouvrière ? Oui ou non ?

5.
Trouvez-vous possible de souffrir dans les rangs du parti socialiste les prédicateurs de la passivité qui paralysent la volonté révolutionnaire du prolétariat, en lui inculquant la pensée que le « mouvement actuel » n’est pas favorable pour la dictature ? Considérez-vous, au contraire, comme de votre devoir de dénoncer aux masses ouvrières la tromperie d’après laquelle le « mouvement actuel », dans l’interprétation des agents de la bourgeoisie, convient toujours uniquement à la domination de la bourgeoisie ; avant-hier, parce que l’Europe traversait la période d’une puissante montée industrielle qui faisait baisser le nombre des mécontents ; hier, parce qu’il s’agissait de la défense nationale ; aujourd’hui, parce qu’il faut guérir les plaies causées par les exploits de la défense nationale ; demain, parce que le travail reconstructeur de la bourgeoisie aura amené une nouvelle guerre, et, avec elle, le devoir de la défense nationale. Pensez-vous que le parti socialiste doit commencer sans retard une véritable préparation, sociologique et organisatrice, de la poussée révolutionnaire contre la société bourgeoise, dans le but de s’emparer, dans le temps le plus court, du pouvoir d’État ? Oui ou non ?

Les groupements dans le mouvement ouvrier français et les tâches du communisme français

I
A l’époque précédant la guerre, le parti socialiste français se présentait, sur ses sommets directeurs, comme l’expression la plus complète et la plus achevée de tous les côtés négatifs de la 2e Internationale : l’aspiration continuelle vers la collaboration des classes (le nationalisme, la participation à la presse bourgeoise, les votes de crédits et de confiance à des ministères bourgeois, etc.) ; attitude dédaigneuse ou indifférente à l’égard de la théorie socialiste, c’est-à-dire des tâches fondamentales sociales-révolutionnaires de la classe ouvrière ; le respect superstitieux à l’égard des idoles de la démocratie bourgeoise (la république, le parlement, le suffrage universel, la responsabilité du ministère, etc., etc.) ; l’internationalisme ostentatoire et purement décoratif, allié à une extrême médiocrité nationale, au patriotisme petit-bourgeois et, souvent, à un grossier chauvinisme.

II
La forme la plus éclatante de protestation contre ces côtés du parti socialiste fut le syndicalisme révolutionnaire français. Comme la pratique du réformisme et du patriotisme parlementaires se dissimulaient derrière les débris d’un faux marxisme, le syndicalisme tâchait d’opposer son opposition au réformiste parlementaire par une théorie anarchiste, adaptée aux méthodes et aux formes du mouvement professionnel de la classe ouvrière.

La lutte contre le réformisme parlementaire se transformait en lutte non seulement contre le parlementarisme, mais aussi contre la « politique » en général, en la pure négation de l’État comme tel. Les syndicats ont été proclamés la seule forme révolutionnaire légitime et véritable du mouvement ouvrier. A la représentation à la substitution parlementaire de la classe ouvrière, opérée dans les coulisses, on opposait l’action directe des masses ouvrières, et le rôle décisif était attribué à la minorité capable d’initiative, en qualité d’organe de cette action directe.

Cette brève caractéristique du syndicalisme montre qu’il s’efforçait à donner l’expression aux besoins de l’époque révolutionnaire qui s’approchait. Mais les erreurs théoriques fondamentales (celles de l’anarchisme) rendaient impossible la création d’un solide noyau révolutionnaire, bien soudé au point de vue idéologique et capable de résister effectivement aux tendances patriotiques et réformistes.
La chute social-patriotique du socialisme français se produisit tout à fait parallèlement à la chute du parti socialiste. Si, à l’extrême-gauche du parti, le drapeau de l’insurrection contre le social-patriotisme fut déployé par un petit groupe ayant à sa tête Loriot, à l’extrême-gauche du socialisme le même rôle échut au petit (à son début) groupe Monatte-Rosmer : entre ces deux groupes s’établit bientôt le lien nécessaire idéologique et organisateur.

III
Nous avons indiqué ci-dessus que la majorité longuettiste, sans force et sans moelle, se confond avec sa minorité renaudelienne.

En ce qui concerne ce qu’on appelle la minorité syndicaliste, qui, au dernier congrès des syndicats à Lyon, atteignait, pour certaines questions, un tiers des délégués présents, elle représente un courant encore très peu formé, dans lequel les communistes révolutionnaires se trouvent à côté des anarchistes, qui n’ont pas encore rompu avec les vieilles superstitions, et des « longuettistes » du socialisme français, les « réconciliateurs ». Dans cette minorité sont encore très fortes les superstitions anarchistes contre la prise du pouvoir d’État, et chez beaucoup se cachent, sous de pauvres superstitions, tout simplement la peur devant l’initiative révolutionnaire et l’absence de la volonté d’agir. C’est du milieu de cette minorité syndicaliste qu’est sortie l’idée de la grève générale comme moyen pour la réalisation de la nationalisation des chemins de fer. Le programme de la nationalisation, mis en avant, d’accord avec les réformistes, comme mot d’ordre de la collaboration avec les classes bourgeoises, s’oppose essentiellement comme un problème concernant toute la nation au pur programme de classe, c’est-à-dire à l’expropriation révolutionnaire des capitaux des chemins de fer et autres par la classe ouvrière. Mais justement le caractère réconciliateur et opportuniste du mot d’ordre imposé à la grève générale paralyse l’élan révolutionnaire du prolétariat, amène le manque d’assurance et les hésitations dans son milieu et le force de reculer, indécis, devant l’application d’un des moyens aussi extrêmes que la grève générale, qui lui demande les plus grands sacrifices, au nom de buts purement réformistes, propres au radicalisme bourgeois.

Il n’y a que la manière claire et nette employée par les communistes pour poser les problèmes révolutionnaires qui pourra apporter la clarté nécessaire à la minorité syndicaliste elle-même, la nettoyer des superstitions et des compagnons de hasard, et, ce qui est le principal, fournir un programme précis d’action aux masses révolutionnaires prolétariennes.

IV
Des groupements purement intellectuels semblables à « Clarté » apparaissent comme très symptomatiques pour une époque pré-révolutionnaire, quand une petite et la meilleure partie des intellectuels bourgeois, pressentant l’approche d’une très profonde crise révolutionnaire, se détache des classes dominantes entièrement pourries et se met à la recherche d’une autre orientation idéologique. Conformément à leur nature intellectuelle, les éléments de cette sorte, naturellement enclins à l’individualisme, à la division en groupements séparés fondés sur les sympathies et les opinions personnelles, sont incapables de créer, et encore moins d’appliquer un système précis d’opinions révolutionnaires, et, par conséquent, ramènent leur travail à une propagande abstraite et purement idéaliste, teintée d’un communisme délayé par des tendances purement humanitaires. Sincèrement sympathiques au mouvement communiste de la classe ouvrière, les éléments de ce genre se détachent néanmoins souvent du prolétariat au moment te plus aigu, lorsque les armes de la critique sont remplacées par la critique des armes, pour restituer ensuite au prolétariat leurs sympathies, quand il aura la possibilité, ayant pris le pouvoir dans ses mains, de développer son génie créateur dans le domaine de la culture. La tâche du communisme révolutionnaire est l’explication aux ouvriers avancés de la valeur purement symptomatique des groupements de cette sorte, et la critique de leur passivité idéaliste et de leur médiocrité. Les ouvriers avancés ne peuvent en aucun cas se grouper en qualité de chœur attaché aux solistes intellectuels, — ils doivent créer une organisation autonome, qui fera son travail indépendamment du flux et du reflux des sympathies même de la meilleure partie des intellectuels bourgeois V
Actuellement en France est nécessaire, de pair avec une révision radicale de la théorie et de la politique du socialisme parlementaire français, une révision décisive de la théorie et de la pratique du syndicalisme français, afin que ses superstitions survivantes n’entravent pas le développement du mouvement communiste révolutionnaire.

1.
Il est manifeste que la « négation » continue de la politique et de l’État de la part du syndicalisme français serait une capitulation devant la politique bourgeoise et l’État capitaliste. Il ne suffit pas de renier l’État, il faut s’en emparer pour le surmonter. La lutte pour la possession de l’appareil de l’Etat est la politique révolutionnaire. Renoncer à elle, c’est renoncer aux tâches fondamentales de la classe révolutionnaire.

2.
La minorité possédant l’initiative, à qui la théorie syndicaliste abandonnait la direction, en la mettant, en fait, au-dessus des organisations professionnelles des masses de la classe ouvrière, ne saurait exister sans prendre une forme. Mais si l’on organise régulièrement cette minorité, capable d’initiative, de la classe ouvrière ; si on la lie ensemble par une discipline intérieure répondant aux besoins inexorables de l’époque révolutionnaire ; si on l’arme d’une juste doctrine, d’un programme, construit scientifiquement, de la révolution prolétarienne, — on n’obtiendra rien d’autre que le parti communiste, se trouvant au-dessus des syndicats aussi bien que de toutes les autres formes du mouvement ouvrier, les fécondant au point de vue des idées et donnant la direction à tout leur travail. 3.
Les syndicats qui groupent les ouvriers d’après les branches de l’industrie ne peuvent pas devenir les organes de la domination révolutionnaire du prolétariat. La minorité possédant l’initiative (le parti communiste) ne peut trouver cet appareil que dans les soviets embrassant les ouvriers de toutes les localités, de toutes les branches de l’industrie, de toutes les professions, et par là-même mettant au premier plan les intérêts fondamentaux, communs, c’est-à-dire social-révolutionnaires, du prolétariat.

VI

De là vient une nécessité de fer de créer un parti communiste français qui doit dissoudre entièrement en lui-même aussi bien l’aide révolutionnaire du parti socialiste actuel que le détachement révolutionnaire du syndicalisme français. Le parti doit créer son propre appareil parfaitement autonome, rigoureusement centralisé, indépendant aussi bien du parti socialiste actuel que de la C. G. T. et des syndicats locaux.

La situation actuelle des communistes français qui représentent, d’un côté, une opposition intérieure de la C. G. T., et, d’un autre côté, du parti socialiste, transforme le communisme français en une sorte de facteur privé d’autonomie, en une sorte de complément négatif des organes fondamentaux existants (du parti et des syndicats) et le prive de la force combative nécessaire, de la liaison immédiate avec les masses et de l’autorité directrice.

De cette période préparatoire, le communisme français doit sortir à tout prix.

Le moyen d’en sortir est le commencement immédiat de la construction d’un parti communiste centralisé et, avant tout, la création sans retard, dans les centres principaux du mouvement ouvrier, de journaux qui, à la différence des publications hebdomadaires actuelles, seraient non des organes d’une critique de l’organisation intérieure et d’une propagande abstraite, mais ceux de l’agitation révolutionnaire directe et de la direction politique de la lutte des masses prolétariennes.
La création d’un parti communiste militant en France est aujourd’hui une question de vie et de mort pour le mouvement révolutionnaire du prolétariat français.

Voici le texte fondateur du congrès de Tours :

Résolution communiste du Congrès de Tours (25 au 30 décembre 1920)

Après quatre années de massacre mondial, et deux ans de prétendue paix, pendant lesquels la bourgeoisie n’a cessé de poursuivre une guerre contre-révolutionnaire et impérialiste contre le peuple russe et les peuples d’Asie opprimés, le Parti socialiste constate l’impossibilité où se trouve le capitalisme de survivre au bouleversement économique et social qu’il a provoqué.

Les insatiables appétits de la classe bourgeoise et l’évolution fatale du monde industriel ont engendré l’impérialisme ; et la concurrence des impérialistes rivaux suscite la guerre en permanence. Dans le sang de millions de prolétaires, la coalition impérialiste des Alliés a vaincu la coalition adverse et a cru s’assurer l’hégémonie mondiale. Maîtresse des colonies d’Asie et d’Afrique, elle impose sa volonté aux anciens États neutres, elle réduit en esclavage les peuples de l’Europe centrale par des traités consacrant le triomphe de sa force et son « droit » de spoliation, de pillage à outrance.

Mais la Russie révolutionnaire a mis en question l’omnipotence de la coalition impérialiste victorieuse. Refusant de subir la loi du capitalisme, elle a renversé le régime bourgeois, transmis le pouvoir au prolétariat, exproprié les expropriateurs, entrepris l’instauration de la société communiste. Elle a résisté victorieusement aux assauts de la contre-révolution internationale et, à son exemple, s’organise dans tous les pays la résistance à l’oppression du capital.

En même temps se développent les inéluctables conséquences de la guerre impérialiste. La rivalité des oligarchies capitalistes concurrentes disloque le faisceau des impérialismes associés. La ruine des Etats, le déséquilibre des budgets, l’inflation de la circulation fiduciaire, succédant à la destruction d’innombrables vies humaines et d’inappréciables richesses, portent à son comble le désordre économique. La paralysie des échanges internationaux, le tarissement de la production, la croissance irrésistible du coût de la vie, exaspèrent les antagonismes de classes. Les contradictions minant le capitalisme atteignent une virulence mortelle pour le vieux régime.
Dans le chaos général où la bourgeoisie aveugle continue de rechercher la domination et le profit, le prolétariat gagne chaque jour en clairvoyance, prend conscience de sa mission révolutionnaire et engage le combat libérateur contre ses maîtres.

Pendant quatre années, les peuples, aveuglés par de monstrueuses légendes, fanatisés par des haines factices, égarés par le mensonge et l’erreur, que la bourgeoisie a créés et entretenus grâce à la toute-puissance corruptrice de l’argent et à la toute-puissance coercitive de l’Etat, se sont entr’égorgés dans une lutte fratricide insensée. Trompés par les dirigeants de la IIme Internationale, en même temps que par les gouvernants bourgeois, ils ont cru, les uns et les autres, défendre une juste cause, leur patrie, la justice, le droit, la civilisation ; ils ont cru acheter de leur sang la paix perpétuelle et assurer, par leurs sacrifices, le salut des générations nouvelles.

Ils mesurent actuellement l’immensité de leur aberration. Ils comprennent que des dizaines de millions d’hommes sont morts pour la satisfaction des intérêts bourgeois. Ils n’aperçoivent ni paix, ni justice, ni civilisation ; ils ne voient que guerres, exploitation, barbarie. Et les générations nouvelles subissent le sort de celles qui ont cru les sauver.

Chaque prolétaire comprend aujourd’hui que son ennemi est dans son propre pays, et que la seule, l’unique guerre légitime est celle des exploités contre leurs exploiteurs. Dans chaque prolétariat, une élite consciente s’est organisée en parti politique, qui dirige la classe opprimée dans sa lutte contre la classe privilégiée. Ces partis socialistes ou communistes se sont groupés dans une nouvelle Internationale, sur l’initiative des socialistes clairvoyants, qui surent ne jamais renoncer à la lutte contre le régime capitaliste, et sous l’égide de la première révolution prolétarienne victorieuse.

Le Parti socialiste français proclame que cette nouvelle Internationale, l’Internationale Communiste, est l’interprète qualifié des aspirations des masses exploitées de toute la terre et le guide sûr, éprouvé, de l’avant-garde prolétarienne.

Conscient du rôle historique qui lui incombe à l’heure où les destinées du prolétariat sont en jeu sur le front mondial de la lutte des classes, le Parti décide d’entrer dans l’Internationale communiste qui coordonne les efforts de toutes les organisations prolétariennes révolutionnaires et dirige leur action libératrice.

Le Parti se déclare pleinement solidaire de la République des Soviets, qui ne lutte pas seulement pour le salut des prolétaires de Russie, mais encore pour l’affranchissement du prolétariat mondial. Il affirme que le devoir primordial des travailleurs de tous les pays est d’assurer, par tous les moyens, la sauvegarde de la révolution sociale commencée en Russie, et d’entreprendre contre l’impérialisme, contre le régime capitaliste, une guerre sans merci, dont l’issue sera l’émancipation intégrale du travail.

THÈSES I. — La prise du pouvoir par le prolétariat et la dictature prolétarienne

Le Parti, considérant l’impuissance du capitalisme à reconstruire le monde tombé en ruines, doit envisager les conditions dans lesquelles le prolétariat pourra se substituer à la bourgeoisie et fonder la société communiste.

L’expérience de l’Histoire et des révolutions en cours montre péremptoirement que la transformation sociale ne peut s’accomplir dans les cadres du régime actuel et dans la légalité établie par ce régime pour sa sauvegarde. S’il est vrai que l’embryon d’un système social naît et commence son développement au sein du système qu’il doit remplacer et dans lequel il puise sa première substance, cette coexistence devient impossible dès que les formes sociales naissantes rencontrent dans le milieu une entrave à leur évolution. La lutte de classes se poursuit alors hors de la légalité condamnée et pour l’élaboration de la légalité nouvelle.

La première phase de la lutte révolutionnaire revêt un caractère différent suivant la situation intérieure du pays, la forme et le degré de résistance des forces en présence mais son objectif invariable doit être la prise intégrale du pouvoir politique par le prolétariat. Tous les conflits sociaux tel que celui qui vient d’obliger le gouvernement italien à reconnaître le contrôle des ouvriers sur la production ne sont que des préludes à cet acte indispensable au développement de la révolution.

La valeur révolutionnaire de cette première réduction des privilèges de la bourgeoisie trouve rapidement ses limites dans le fait de l’existence d’une bourgeoisie toujours maîtresse de l’Etat, libre de s’organiser pour la résistance, d’exercer sa force corruptrice et appelée à codifier elle-même les mesures qui lui sont imposées.

Seule, la possession intégrale du pouvoir politique sans compromission avec les représentants du capital et du socialisme petit-bourgeois, permettra au prolétariat de fonder l’ordre social nouveau sur la propriété collective, le travail obligatoire et la suppression des classes.

La prise du pouvoir ne signifie nullement la substitution, dans les organismes de l’Etat capitaliste, des communistes aux bourgeois, mais bien la destruction de l’Etat bourgeois et son remplacement par un appareil essentiellement différent.

La mainmise sur l’Etat par le prolétariat donne à la classe ouvrière l’instrument de la domination bourgeoise ; elle ne supprime immédiatement ni la bourgeoisie ni les classes, ni par conséquent la lutte de classes qui prend au contraire sa forme la plus aiguë. Le prolétariat ne peut faire face aux nécessités de cette lutte et la mener victorieusement qu’en exerçant sa dictature sous le mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux Conseils des travailleurs ».

La dictature du prolétariat n’est pas un régime, mais un moyen, le seul qui permette à la classe ouvrière de briser la résistance de la bourgeoisie et d’instaurer le régime communiste.
Le Congrès est d’accord avec l’Internationale communiste pour constater l’impossibilité de passer sans transition de l’Etat bourgeois au Communisme sans Etat.

L’Etat est un appareil de classe au service de la classe dominante ; il ne peut disparaître qu’avec les classes elles-mêmes. La substitution des rapports de production socialiste aux rapports de production capitaliste n’est pas immédiate. C’est l’œuvre d’un laps de temps au cours duquel l’existence d’un Etat prolétarien est inévitable et nécessaire. La dictature du prolétariat s’exerce pendant cette période pour l’établissement des nouveaux rapports sociaux qui feront automatiquement disparaître, avec la dictature elle-même et les classes, l’Etat qui est, pendant la période transitoire, l’instrument de domination de la classe ouvrière.

II — Le Parti Communiste et la révolution prolétarienne

Le Congrès, d’accord avec la IIIe Internationale, rejette de la façon la plus catégorique la conception d’après laquelle le prolétariat peut accomplir sa révolution sans posséder son parti politique indépendant. Toute lutte de classe est une lutte politique. Le pouvoir politique ne peut être pris, organisé et dirigé autrement que par un parti politique. C’est seulement lorsque le prolétariat possède comme guide un parti organisé et expérimenté, ayant des buts strictement définis et un programme concret d’action politique intérieure et extérieure, que la conquête du pouvoir politique devient autre chose qu’un épisode accidentel et sert de point de départ à la longue élaboration de la société communiste.

Le Parti socialiste ou communiste est nécessaire à la classe ouvrière, non seulement jusqu’à la conquête du pouvoir, mais pendant toute la période de la dictature et jusqu’à la disparition totale des classes.

III. — Le Parlementarisme

Le Parti considère le Parlement comme un appareil essentiellement bourgeois, « une machine d’oppression et d’asservissement entre les mains du capital dominateur », absolument incompatible avec le régime prolétarien, dont la forme est la République des Conseils de travailleurs. La prise du pouvoir politique ayant pour objet, non la conservation des rouages de l’Etat bourgeois fonctionnant sous la direction des communistes, mais la destruction totale de tout le mécanisme d’Etat du capitalisme, le Parlement disparaîtra avec la prise du pouvoir politique par la classe ouvrière. De même doivent disparaître, pour faire place aux institutions prolétariennes, toutes les institutions communales ou régionales de la bourgeoisie.
Ainsi la IIIe Internationale, le Parti, repousse le parlementarisme comme forme de la dictature de classe du prolétariat ; il nie la possibilité de conquérir les Parlements pour réaliser la Révolution.
Le Parti considère que, dans certaines conditions déterminées, notamment dans la période pré-révolutionnaire et au début de l’agitation révolutionnaire, à la condition expresse que les élus soient placés sous le contrôle efficace et la dépendance totale du Parti, la tribune du Parlement bourgeois peut être utilisée pour la propagande révolutionnaire du Parti. Les communistes entrent au Parlement non pour y faire un travail organique, mais pour y démasquer les ennemis du prolétariat, sans crainte de transgresser les règlements établis et d’encourir les sanctions disciplinaires prévues.

Envoyés au Parlement pour aider de l’intérieur à la destruction du régime capitaliste, ils ne sauraient se laisser influencer par le reproche de ne faire qu’une action négative et de ne rien opposer de concret au travail législatif de la bourgeoisie. Ils ne sont pas des législateurs parmi d’autres législateurs, mais des porte-paroles communistes envoyés dans le camp ennemi. Ils ne s’inspirent, en toutes circonstances, que des décisions du Parti qu’ils ne sauraient enfreindre sans être exclus.

La campagne électorale doit être menée, non pour la recherche du maximum de mandats parlementaires, mais pour la mobilisation des masses autour des mots d’ordre de la révolution prolétarienne.
Tout en reconnaissant que, dans les conditions ainsi définies, l’entrée des socialistes au Parlement bourgeois est nécessaire, tout en déclarant que les socialistes français peuvent actuellement utiliser cette tactique, le Congrès estime que la situation révolutionnaire d’un pays peut faire apparaître comme inutile l’action au sein du Parlement. Cela a lieu, par exemple, lorsque l’action révolutionnaire extérieure se développe au point où l’influence du Parlement sur les événements devient nulle, et notamment lorsque existent les conditions nécessaires au passage immédiat à la lutte ouverte pour le pouvoir.
La IIIe Internationale rappelle justement que l’importance de cette question du parlementarisme est relative et ne saurait être en aucun cas un motif de schisme communiste.

IV. — Le Parti et les Syndicats

L’organisation syndicale est, pour la classe ouvrière, une impérieuse nécessité, soit qu’on envisage les intérêts matériels immédiats de cette classe et sa lutte contre le patronat, soit que l’on songe à l’organisation de la révolution dont la grève générale est un des moyens.

Pendant une période de l’Histoire, ce syndicalisme est réformiste, il recherche des compromis qui laissent intactes les bases du régime capitaliste et les privilèges essentiels des exploiteurs du travail, mais au fur et à mesure que se précise l’impuissance du réformisme et que le prolétariat sent davantage l’oppression de l’appareil social, il évolue et doit évoluer vers les concepts révolutionnaires.

Le syndicalisme français, après avoir été réformiste pendant la presque totalité du XIXe siècle, s’affirmait révolutionnaire au début du XXe. Il croyait atteindre ses objectifs par l’action directe et la grève générale. Il visait en somme au même but que le socialisme : la suppression du salariat. Mais un revirement, qui avait commencé avant la guerre, s’est accentué pendant celle-ci, et le syndicalisme a subi la même régression que le socialisme.

L’afflux dans les syndicats de vastes contingents de travailleurs encore inéduqués, la constitution d’un fonctionnarisme permanent plus enclin aux pratiques de la diplomatie industrielle qu’à celles de la force révolutionnaire, la tendance des nouveaux syndiqués à ne parer au renchérisse ment de la vie que par le relèvement des salaires, tout cela a contribué à ramener le syndicalisme français dans les voies du réformisme.

Cette déviation s’est manifestée par des actes d’indéniable collaboration de classe, pendant la guerre, lors de l’acceptation de « l’union sacrée », et depuis, par la participation à des entreprises dirigées par les Etats capitalistes, telles que la Conférence de Washington et le Bureau du Travail de Genève.

Mais les événements accentuent de jour en jour la faillite d’une telle politique. De jour en jour, les prolétaires syndiqués comprennent mieux que la classe possédante est incapable de remettre en marche, au lendemain du cataclysme mondial, l’appareil de la production ; de jour en jour, ils discernent mieux que leur misère devient plus profonde malgré les majorations de salaires toujours inférieures au renchérissement de la vie. De jour en jour, ils saisissent mieux qu’ils forment une classe, que cette classe ne se libérera qu’en ruinant tout l’édifice capitaliste et que le syndicalisme ne renferme pas en soi tous les éléments et toutes les possibilités de la société communiste.
Le syndicalisme doit redevenir ce qu’il a été déjà en France, un facteur réel de révolution. Il n’y aboutira qu’en œuvrant toujours plus largement aux idées communistes et qu’en coopérant avec le Parti socialiste à la conquête du pouvoir politique et à la formation de l’Etat prolétarien.

Par son adhésion à l’Internationale syndicale de Moscou, il marquera qu’il veut collaborer avec l’Internationale politique, coordonner son action avec l’action de cette dernière, poursuivre la même œuvre avec les masses d’ouvriers qu’il recrute. En pénétrant dans ses organismes, en gagnant à leurs idées les travailleurs qui y sont déjà, les communistes préparent cette indispensable et indissoluble alliance.

V. — La Solidarité internationale

Le Parti déclare que la tâche primordiale du prolétariat, à l’heure présente, est d’imposer aux gouvernements bourgeois la paix immédiate avec la République des Soviets.

Le sabotage de l’entreprise militaire dirigée depuis trois ans contre la Russie révolutionnaire est le plus sacré des devoirs. La fabrication et le transport des armes, munitions, approvisionnements de toutes sortes, destinés aux ennemis des Soviets, doivent être paralysés par tous les moyens. A l’immensité du crime perpétré contre le peuple russe doit correspondre l’immensité de l’effort de solidarité prolétarienne internationale, propre à sauvegarder les conquêtes révolutionnaires du prolétariat russe dont bénéficiera le prolétariat mondial.

Cette préoccupation essentielle doit dominer toutes les autres. La presse et les orateurs du Parti doivent lui accorder la place principale dans leur propagande, et intensifier l’agitation qui engendrera l’action des masses. Les socialistes doivent exiger que cette question soit inscrite en tête de l’ordre du jour de chaque assemblée syndicale afin que chaque groupement ouvrier envisage l’application de moyens efficaces pour étouffer l’action contre-révolutionnaire de la bourgeoisie.
La propagande en vue d’éclairer le prolétariat quant aux conséquences désastreuses de son apathie et aux responsabilités qu’il assume en alimentant la guerre contre-révolutionnaire ne peut s’adresser exclusivement aux travailleurs des fabriques d’armes, des usines de munitions, des poudreries, des transports, qui ne sauraient réaliser le boycottage des agresseurs de la Russie soviétique sans l’appui actif de l’ensemble des organisations ouvrières. C’est la classe ouvrière tout entière qui, s’inspirant des exemples de la classe ouvrière italienne, doit entreprendre le sabotage systématique du concours matériel apporté par nos gouvernants aux assassins du peuple russe.

Le groupe socialiste parlementaire doit publier, du haut de la tribune de la Chambre, les horreurs de la guerre et du blocus contre-révolutionnaires. La presse socialiste doit, par une campagne retentissante, susciter l’indignation et la colère publiques contre l’attentat sans nom dont un peuple de 180 millions d’âmes est la victime. Les sections et fédérations du Parti doivent entretenir une agitation sans répit. Toutes les formes de protestation doivent être utilisées, afin de créer une atmosphère favorable aux actes qui acculeront le gouvernement français, principal bourreau de la Russie, à renoncer à ses entreprises scélérates.

En même temps que seront mis en œuvre tous les moyens pratiques de paralyser la fabrication et le transport du matériel de guerre, le Parti envisagera toute autre mesure susceptible de manifester la volonté de paix de la classe ouvrière, comme par exemple le refus collectif de payer l’impôt, et tels moyens que suggéreront les circonstances. Le Parti proclame sa résolution d’organiser une lutte implacable contre l’impérialisme et la contre-révolution qui supplicient plus de la moitié de l’Europe et achèvent de la ruiner,

VI. — La question agraire

La question agraire se présente en France sous un aspect particulier, du fait de l’extrême morcellement de la propriété foncière. Le Parti doit la traiter sans esprit dogmatique, et tracer sa ligne de conduite à l’égard de la population paysanne avec la préoccupation d’en gagner à la révolution la fraction la plus déshéritée, et d’en neutraliser la majeure partie.

La socialisation des moyens de production agricole ne saurait être réalisée suivant le même processus que celui des moyens de production industrielle. Le mode d’exploitation du sol en commun ne peut être imposé par contrainte, et ne se généralisera que sous l’influence de l’exemple offert par les expériences du travail collectif accomplies sur de grands domaines agricoles.

La grande propriété terrienne exploitée par un personnel de techniciens et de salariés, au service de propriétaires capitalistes, est seule destinée à être expropriée au lendemain de la prise du pouvoir par le prolétariat. Ces grandes propriétés, ainsi que les domaines de l’Etat, des départements, des communes, seront exploitées et gérées en commun par les Conseils des travailleurs agricoles. Par l’utilisation des méthodes et de l’outillage modernes perfectionnés, elles atteindront une productivité qui sera la meilleure propagande par le fait en faveur de la généralisation du système de culture collective. L’Etat prolétarien prodiguera ses concours de toute nature pour aider, encourager et soutenir toutes les entreprises de culture en commun, les coopératives de production agricole, les communes agraires.
L’extinction de la propriété moyenne, celle des exploitants employant quelques salariés, sera progressivement réalisée par la force des choses à mesure que s’intensifiera la production collective. La monopolisation des moyens de répartition et d’échange par l’Etat prolétarien, en privant les propriétaires moyens de la possibilité de spéculer, en fixant le prix des denrées, supprimera peu à peu la raison d’être de la propriété moyenne en réduisant les avantages qui y sont attachés. L’attraction qui s’exercera inévitablement des grandes entreprises collectives modèles sur le prolétariat agricole privera graduellement de ses salariés la propriété moyenne, qui perdra son caractère d’exploitation capitaliste et jusqu’à la possibilité de prolonger son existence sous la forme où elle aura survécu.
Les petits propriétaires, fermiers et métayers n’employant pas de salariés, et le prolétariat agricole proprement dit, devant être les bénéficiaires immédiats de la révolution, forment la couche de la population rurale la plus accessible à la propagande socialiste. Les premiers, qui auront dans le régime capitaliste à supporter le poids toujours croissant des servitudes fiscales, le coût toujours plus élevé du matériel et des engrais, seront attirés au socialisme par la perspective de l’abolition d’un régime de spoliation et de confiscation, dépouillant le travailleur des fruits de son travail, et de la création d’un nouvel ordre social leur garantissant la jouissance des biens qu’ils produisent. Les propriétaires ruraux, comme ceux des villes, viendront au socialisme pour en finir avec l’exploitation de l’homme par l’homme, pour abroger la loi d’airain des salaires, pour assurer à leur vie le bien-être et la sécurité.

En organisant systématiquement une inlassable propagande inspirée de ce programme, le Parti déjouera les tentatives bourgeoises visant à dresser la paysannerie contre la classe ouvrière. Il réalisera l’unité spirituelle du prolétariat des villes et des campagnes, gage de la victoire de la révolution communiste.

VII. — L’organisation des femmes et des jeunes

Le Parti doit accorder une attention spéciale à la partie la plus déshéritée du prolétariat, le prolétariat féminin. La guerre, en accroissant considérablement cette catégorie de prolétaires, a créé la possibilité d’y recruter pour le socialisme des contingents importants. Une propagande particulière, s’adressant aux femmes prolétaires, doit être entreprise par des méthodes appropriées, pour faire comprendre aux exploitées que le socialisme seul les libérera, en réalisant leur affranchissement économique, pour les grouper, les organiser et les éduquer politiquement. Le plan de cette propagande et les moyens de la faire pénétrer dans les milieux du travail féminin devront être établis par une conférence nationale des femmes socialistes, déléguées par les Fédérations. Le Comité central du Parti devra convoquer cette assemblée, qui élira un organisme permanent chargé de diriger la propagande socialiste parmi les femmes, et auquel le Parti donnera son concours moral et son appui matériel.

Le Parti s’attachera aussi à fortifier l’organisation des Jeunesses socialistes qui doivent devenir une pépinière de militants. Il prendra toutes dispositions propres à donner aux jeunes l’éducation doctrinale qui fera d’eux des propagandistes et les rendra aptes à former de nouveaux cadres pour le prolétariat. Des écoles socialistes seront créées, d’après les expériences fructueuses réalisées dans d’autres pays, afin de ne pas laisser les jeunes livrés à des études de hasard, et de mettre à leur portée les travaux des éducateurs socialistes.

VIII. --- Les conditions d’admission

Le Parti considère comme légitimes et indispensables les conditions posées par l’Internationale communiste pour éviter l’affiliation d’éléments anti-communistes.

Il ne suffit pas, en effet, de déclarer qu’on est d’accord sur les principes généraux du socialisme marxiste. Il importe aussi d’être d’accord sur la tactique à suivre pour mettre ces principes en application, en tenant compte, conformément à la condition 16, des circonstances de temps et de lieu où est placé le Parti. En formulant avec l’autorité et l’expérience que donnent au communisme russe plusieurs années de pratique révolutionnaire les règles essentielles de cette tactique, la IIIe Internationale a pesé clairement les bases de cet accord.

Comme le 2e Congrès de l’Internationale communiste, le Parti pense qu’une propagande vraiment communiste doit, par tous les moyens, être systématiquement portée partout où il y a des prolétaires. La nécessité de la dictature du prolétariat doit nettement ressortir de cette propagande, qui doit dénoncer avec une égale vigueur le régime capitaliste et le réformisme avoué ou masqué. La diffusion des idées communistes doit être assurée avec un soin tout particulier dans les campagnes.

Tout ce qui porte l’estampille officielle du Parti (journaux, brochures, etc.) doit être rédigé par des communistes sûrs. La presse et les services d’éditions doivent dépendre du Comité central du Parti.
Le Parti doit être constitué d’après le principe de la centralisation démocratique. La discipline la plus stricte, acceptée par tous ses membres, doit y régner. Les organes directeurs doivent y détenir une autorité incontestée basée sur la confiance des militants. Tous les éléments non encore acquis au communisme doivent être écartés de ces organismes et, d’une façon générale, des postes comportant des responsabilités.

L’expérience a démontré que la collaboration des communistes et des réformistes est incompatible avec l’action révolutionnaire.

L’Internationale communiste a justement rappelé ce que cette collaboration a coûté à la République des Soviets de Hongrie. Aucune direction n’est praticable lorsque ceux qui doivent exercer cette direction sont irréductiblement divisés. La direction rationnelle d’un Parti n’est possible que si la confiance des militants place à sa tête des hommes entièrement et loyalement d’accord sur la charte doctrinale et tactique de ce Parti.

Vouloir, sous prétexte de représentation proportionnelle, imposer la collaboration entre communistes et non-communistes, c’est vouer d’avance le Parti à l’inaction et à l’impuissance, c’est faire d’un instrument de lutte de classes et de révolution un agglomérat amorphe de plus en plus soumis à l’influence bourgeoise. L’âpre lutte qui met aux prises, dans tous les partis socialistes du monde, les communistes et les réformistes ne peut être considérée comme une divergence d’opinion secondaire et momentanée, pouvant se résoudre par la confrontation des idées.

Le Parti, en plein accord avec l’Internationale communiste, se déclare donc résolu à suivre une politique exclusivement communiste. Il appliquera immédiatement cette résolution en désignant des représentants de même tendance au Comité central et aux journaux du Parti.

Le Parti est pleinement d’accord avec l’Internationale communiste pour dénoncer l’impérialisme colonial et pour prendre activement le parti des populations subjuguées par le capitalisme européen dans leur lutte contre l’oppression sous toutes ses formes.

Le Parti est résolu à observer les décisions de l’Internationale communiste et de son Comité exécutif, dont tous les documents seront publiés par ses soins. S’il est vrai que chaque parti est, dans son propre pays, le meilleur juge de la situation intérieure de ce pays et des possibilités d’action de son prolétariat, qu’il est de ce fait le plus qualifié pour former le jugement de l’Internationale communiste sur ce point, il est non moins vrai que chaque parti n’est qu’une des unités des forces prolétariennes mondiales étroitement solidaires, que l’Internationale doit diriger si elle veut être autre chose qu’un simple appareil enregistreur. A la garantie que toute décision n’est prise qu’en pleine connaissance de cause doit nécessairement correspondre la garantie du respect et de l’exécution des décisions prises.
Le Parti décide de placer sous la direction de son Comité central ses représentants élus dans les assemblées de l’Etat bourgeois. Il retient la suggestion donnée par le 2e Congrès de l’Internationale communiste en ce qui concerne le contrôle à exercer en tout temps pour que les éléments étrangers au communisme ne puissent séjourner dans le Parti.

Le Parti considère que les exceptions prévues à l’article 20 des conditions « en ce qui concerne les représentants de la tendance centriste nommés à l’article 7 » doivent s’appliquer au Parti français dans les circonstances présentes. Ces exceptions valent également pour les délégués au Congrès visés à l’article 21 qui déclareront s’incliner devant les décisions du Parti.

Comme l’Internationale communiste enfin, le Parti décide d’entreprendre une propagande persévérante dans toutes les organisations prolétariennes (syndicats, coopératives et autres groupements) en vue de les gagner au communisme.
C’est par la coordination de toutes les forces ouvrières sous l’impulsion du communisme que s’organisera l’action des masses pour la prise du pouvoir.

Ainsi, le problème des rapports du Parti avec les syndicats trouve sa solution logique. Le Parti groupe les militants de toutes les organisations prolétariennes qui acceptent ses vues théoriques et ses conclusions pratiques. Tous, obéissant à sa discipline, soumis à son contrôle, propagent ses idées dans les milieux où s’exercent leur activité et leur influence. Et lorsque la majorité, dans ces organisations, est conquise au communisme, il y a entre elles et le Parti coordination d’action et non assujettissement d’une organisation à une autre.

Le Parti considère que l’Internationale syndicale d’Amsterdam, qui pratique la collaboration de classes et participe à l’œuvre contre-révolutionnaire de la Société des Nations capitalistes, et dont la politique s’identifie à celle de la IIe Internationale, est historiquement condamnée au sort de celle-ci. Les communistes lutteront énergiquement pour arracher à son influence les syndicats révolutionnaires et pour contribuer à la formation de la nouvelle Internationale syndicale de Moscou.

Mais, d’accord avec le 2e Congrès de l’Internationale communiste, le parti condamne toute tentative de scission syndicale. Ce sont les Centrales syndicales elles-mêmes qui devront, en abandonnant l’Internationale d’Amsterdam, entrer dans l’Internationale syndicale de Moscou.

A dater du Congrès, le Parti se nommera « Parti socialiste, Section française de l’Internationale communiste ». Il fera valoir, auprès du Comité exécutif de l’Internationale communiste, les raisons qui militent pour l’acceptation provisoire de ce titre.

Voici ce qu’écrivait, dans « Moscou sous Lénine », Alfred Rosmer sur son voyage à Moscou en 1920 :

« Au début de 1920, j’étais à Toulon chez mon ami Marcel Martinet quand une lettre de Paris vint m’annoncer que j’avais été désigné par le Comité de la 3e Internationale pour aller en Russie soviétique. Le temps pressait ; je devais être prêt à me mettre en route dans une semaine. C’était plus de temps qu’il ne m’en fallait pour faire mes préparatifs. Pour moi comme pour tous ceux auprès de qui j’avais vécu les longues années de ce qu’on appelait alors la grande guerre, la Révolution d’Octobre avait été la révolution attendue - la révolution qui suivrait la guerre - elle était l’aube d’une ère nouvelle, une autre vie commençait ; tout ce qui lui était antérieure n’avait plus d’attrait : je me désintéressais de mes livres, brochures, collections, travaux préparés ; j’étais mieux que prêt : impatient de partir.
Ce voyage de Moscou n’avait cessé d’être dans nos pensées, particulièrement dans les miennes puisque j’étais désigné d’avance comme le voyageur. Mais c’était alors une entreprise difficile, surtout pour les Français. De toutes les nations, la France de Clemenceau et de Poincaré s’était montrée la plus enragée contre la République des soviets. Clemenceau s’était vanté de l’isoler du monde, la traitant en pestiférée qu’un “ cordon sanitaire ” devait entourer, à la fois pour l’étouffer et pour protéger les peuples contre la contagion. Nous étions réduits à envier ceux qui, Anglais ou Américains pour la plupart avaient la possibilité de franchir les obstacles de toutes sortes qui, en fait, constituaient le “ cordon ”.

Cependant, nous étions capables de déceler le vrai du faux dans la masse d’informations que publiaient les journaux. La Révolution d’Octobre avait pris la bourgeoisie par surprise ; ses représentants, même ceux qui n’étaient pas stupides, n’y pouvaient rien comprendre. Comment ce petit noyau d’émigrés que le gouvernement provisoire avait autorisé à rentrer en Russie pourrait-il se maintenir au pouvoir ? Un cauchemar, certes, mais qui ne durerait que quelques jours.
Les correspondants des journaux installés jusque-là à Petrograd s’étaient transportés dans les capitales des pays voisins, à Riga, à Stockholm, à Varsovie, d’où ils télégraphiaient chaque jour de sombres histoires : Lénine avait fait exécuter Trotsky : puis, c’était le contraire, une autre révolution de palais où Lénine était l’exécuté et Trotsky le fusilleur car tout tournait autour de ces deux noms qui s’étaient tout de suite détachés des autres. Leur ignorance leur faisait accueillir les rumeurs les plus fantaisistes, et si d’aventure ils avaient pu apprendre où pénétrer la vérité, ils savaient bien que leurs patrons ne leur permettraient pas de la dire.

Il faut avoir lu à l’époque les dépêches et les commentaires qui les accompagnaient pour se faire une idée précise de la colère haineuse dans laquelle la Révolution d’Octobre plongeait la bourgeoisie ; contre eux, pour les abattre, elle estimait que tous les moyens étaient bons ; du reste la famine allait inévitablement s’étendre sur le pays et en ce fléau elle puisait une sorte de consolation. Dans le train qui me ramenait de Marseille à Paris à l’expiration d’une permission, je me trouvai dans le voisinage de trois majors le jour où les journaux avaient dû se résoudre à annoncer que les bolchéviks s’étaient emparés du pouvoir. En proie à la plus vive indignation, mes voisins se relayaient pour accabler d’injures grossières les chefs de l’insurrection dont ils ignoraient jusqu’alors même les noms - et c’était, pour eux, un grief supplémentaire. Puis, en guise de conclusion, l’un d’eux s’écria : “ Mais comme ils vont crever de faim ! Ils n’ont pas de vivres pour trois jours ! ”

Nous étions immunisés contre les mensonges variés des correspondants de Riga et d’ailleurs parce que nous, nous les connaissions bien ces “ inconnus ” ; leurs noms et leurs idées nous étaient familiers. Les uns avaient vécu en France, pendant la guerre, au premier rang Trotsky, de novembre 1914 jusqu’au jour de son expulsion (septembre 1916) par le ministre de l’Intérieur, Malvy, collègue des ministres socialistes Guesde et Sembat ; puis Antonov-Ovséenko, administrateur du quotidien que publièrent à Paris, durant toute la guerre, les socialistes russes de diverses tendances qui s’étaient rassemblés sur la plate-forme de l’opposition à la guerre impérialiste et de la défense de l’internationalisme prolétarien ; Dridzo-Losovsky, Manouilsky, d’autres encore. Nous nous étions rencontrés pour la première fois à l’automne de 1914, quand une circonstance fortuite permit de constater que nous avions, sur les grands problèmes posés par la guerre, une position fondamentale identique. Tchitchérine et Litvinov étaient à Londres ; Lénine et Zinoviev en Suisse. Le contact s’était établi entre les socialistes de tous les pays fidèles à l’internationalisme aux conférences de Zimmerwald (septembre 1915) et de Kienthal (avril 1916). Nous nous amusions des erreurs que, dans leur ignorance, commettaient les journalistes de la “ grande presse ”, s’égarant dans les biographies, faisant d’extraordinaires mixtures ; même les photographes se trompaient dans l’identification des personnages de leurs clichés [1].

Malgré tout, il arriva, certain jour, que notre confiance dans la solidité du nouveau régime résistait difficilement à la précision des dépêches annonçant la chute de Petrograd, ou encore la débâcle de l’armée rouge devant la poussée victorieuse d’un des généraux de la contre-révolution ; l’attentat contre Lénine, le 30 août 1918, quand le doute ne nous fut plus permis, nous plongea dans l’angoisse et l’inquiétude ; la contre-révolution allait-elle finalement l’emporter ?

À l’époque où se place mon voyage vers la République soviétique, le printemps de 1920, la situation était devenue si favorable, le régime avait si bien résisté à tous les assauts que ses adversaires les plus acharnés s’étaient vus contraints d’avouer qu’ils s’étaient lourdement trompés dans leur appréciation du bolchévisme ; ils n’y avaient vu qu’un soulèvement préparé par une poignée de démagogues s’assurant, par suite de circonstances exceptionnelles, une facile victoire mais qu’il serait non moins facile d’abattre, et ils avaient la désagréable surprise de se heurter à un mouvement capable de créer un ordre nouveau, solidement enraciné déjà dans le sol de ce qui était hier l’empire des tsars. Pour la première fois depuis Octobre le soviet des ouvriers, des paysans et des soldats respirait librement ; dans un immense et prodigieux effort, la République s’était libérée de la triple menace qui pendant trois années avait pesé sur elle ; Ioudénitch, Koltchak, Dénikine, et, derrière eux, les bourgeoisies alliées, avaient été successivement repoussés. Le cordon avait été rompu en un point ; le traité conclu avec l’Estonie donnait à la République des soviets une fenêtre sur l’Europe, et par là, sur le monde. L’Angleterre, suivant l’Amérique, avait renoncé à toute intervention ouverte : la protestation ouvrière était même devenue si forte que Lloyd George préparait l’opinion britannique à la conclusion d’un accord commercial avec les soviets. Seule, la France s’obstinait, entretenant en Pologne un état d’esprit belliqueux et chauvin. À peine reconstituée cette Pologne voulait déjà s’annexer l’Ukraine. Mais à quel prix cette libération du pays révolutionnaire avait été obtenue, on ne le mesura exactement que plus tard.

En France, la poussée révolutionnaire qui se développa dès la fin des hostilités entraîna, à côté des ouvriers, des paysans, des intellectuels, des couches de la petite bourgeoisie, ceux des anciens combattants, nombreux, qui, éclopés ou indemnes, rentraient au foyer avec l’idée bien arrêtée d’un compte à régler : le gouvernement et le régime qui les avaient réduits pendant quatre ans à la vie bestiale des tranchées et des assauts pour le “ Communiqué ” devraient payer ! La bourgeoisie était désemparée : elle restait interdite devant les conséquences de la guerre qu’elle n’avait pas même entrevues ; elle avait perdu la foi dans son destin.

Cette poussée révolutionnaire si forte en étendue et en volonté claire fut freinée par les hommes qui dirigeaient alors partout dans le monde les organisations syndicales et les partis socialistes. Profitant de l’inexpérience des nouveaux venus ils réussirent, masquant leurs manœuvres par des phrases démagogiques, à les détourner de toute action révolutionnaire. Les effectifs avaient considérablement grossi ; en France, le Parti socialiste était passé de 90.000 membres en juillet 1914 à 200.000, et la C.G.T., réduite au début de la guerre, par le seul fait de la mobilisation, à des syndicats squelettiques, pouvait, pour la première fois dans son histoire, prétendre être une organisation de masses avec ses deux millions de syndiqués réguliers. Il suffisait donc, disaient les chefs réformistes, de rester unis pour être forts, pour être capables d’imposer aux gouvernants, sur chaque problème important, la volonté de la classe ouvrière. On affirmait, en paroles, sa solidarité avec la Révolution russe, mais il ne serait pas nécessaire, ajoutait-on, dans les nations démocratiques d’Occident, de recourir à la violence car ici un ordre nouveau pourrait être instauré par la simple réalisation d’un programme économique élaboré par les organisations ouvrières et que gouvernants et patrons devraient accepter. Ainsi seraient évitées les dures luttes, les souffrances, la misère qui étaient le lot des pays ravagés par des révolutions. J’eus l’occasion de constater plus tard, au cours de mon voyage à travers l’Europe, qu’il était relativement aisé de duper, par un tel mirage, les hommes dont la guerre avait fait des révolutionnaires ; à quoi bon se battre encore si le but peut être atteint sans combat ? Ainsi, en France, Jouhaux et ses amis de la direction confédérale qui s’étaient compromis à fond dans l’union sacrée, dans la guerre jusqu’au bout dont on voyait maintenant les immenses et vains sacrifices qu’elle avait exigés, réussirent à se maintenir à la tête de la C.G.T., tandis qu’au Parti socialiste les chefs du temps de guerre, écartés, n’étaient remplacés que par des éléments peu sûrs, soucieux avant tout de suivre le courant.

Au début de 1920, la première grande grève d’après guerre, celle des cheminots, montra que la poussée révolutionnaire restait néanmoins très forte ; elle trouvait assez souvent sa juste expression dans les directions nouvelles que s’étaient données les organisations locales en opposition au réformisme camouflé des dirigeants confédéraux. Leur maturité était parfois remarquable. J’avais pu, durant mon séjour à Toulon, suivre de près l’activité de l’Union départementale des syndicats. Quand la grève des cheminots éclata, je fus frappé par l’intelligence dont témoigna le secrétaire de cette Union dans la préparation et l’organisation du soutien à donner aux grévistes. Il exposa avec clarté la signification de la grève, montra les développements qu’elle pouvait prendre dans une situation générale objectivement révolutionnaire, et il prévoyait les mesures de répression que le gouvernement ne manquerait pas de prendre ; pour assurer la continuation de l’action ouvrière, il formait sans plus attendre des équipes de remplaçants au Comité de grève. Tout cela dit et fait très simplement, sans rien de l’emphase assez fréquente chez les habitants de cette région. Surprises par la soudaineté du mouvement et par son ampleur, par la fermeté et la discipline qui marquaient son développement, les compagnies cédèrent rapidement. Elles devaient prendre leur revanche trois mois plus tard, aidées alors par le gouvernement, et par les dirigeants de la C.G.T. qui sabotèrent une grève de solidarité qui leur avait été imposée….

Chliapnikov était alors à Berlin ; il y était venu en qualité de délégué de la C.G.T. russe au congrès du syndicat allemand des métaux. Il prolongeait son séjour, profitant de la rare occasion pour recueillir le maximum d’informations sur cet Occident qui restait coupé de Moscou, et pour questionner les pèlerins impatients de continuer leur route mais bloqués à Berlin. Il m’avait donné rendez-vous au siège du syndicat et, quand il vint me chercher, je trouvais qu’il m’avait fait attendre bien longtemps ; mais il arrivait tout réjoui, et me dit en riant : “ Savez-vous qui j’avais dans mon bureau ? Cachin et Frossard. ” Ce n’était pas pour moi une compensation à mon attente ni un motif de réjouissance. Cachin était le directeur de l’Humanité, Frossard secrétaire du Parti socialiste ; le congrès de ce parti tenu à Strasbourg avait décidé de les envoyer à Moscou “ pour information ” avant de se prononcer sur l’adhésion à la 3e Internationale, se bornant provisoirement à se retirer de la 2e Internationale. Je n’avais de sympathie ni pour l’un ni pour l’autre ; Cachin était un homme sans caractère ; il avait été ultra-chauvin au début de la guerre, faisant les commissions du gouvernement français auprès de Mussolini, puis il avait suivi le courant et se donnait maintenant comme bolchévisant, bien qu’il eût, dans ses articles, condamné l’insurrection d’Octobre et, au fond, détestât les bolchéviks. De Frossard il suffit de dire ici qu’il était une médiocre imitation de Briand ; parti de sympathies zimmerwaldiennes il finit ministre de Laval et même de Pétain ; nous le retrouverons au cours de ce récit…

Nous arrivâmes à Pétrograd au début de la soirée, d’une soirée qui devait ne pas finir : on était à l’époque des nuits blanches. Nous en avions déjà fait l’expérience sur le bateau. Le golfe de Finlande n’était pas encore entièrement déminé, le bateau devait longer prudemment les côtes. Tout était étrange ; le passage à travers les îles Aaland à l’allure ralentie du pilote spécial qui nous guidait ; la nuit qui ne venait pas... on ne pouvait se résoudre à aller s’enfermer dans sa cabine pour y dormir. À Pétrograd moins encore. À peine étions-nous arrivés qu’Ivan était accouru porteur d’un texte que je devais corriger sur l’heure. C’était, selon lui, un morceau admirable et il était sûr que je serais content de le connaître. Au cours de nos conversations, je lui avais dit et répété qu’il me paraissait impossible de faire un parti communiste avec les chefs du Parti socialiste, surtout ceux du type Cachin, qui avaient abandonné le socialisme et trahi les ouvriers aux heures critiques de la guerre, s’étaient transformés en chauvins forcenés ; si, secoués par la Révolution russe, ils s’étaient plus ou moins sincèrement ressaisis, ç’avait été avant tout pour rester à la direction du Parti. Or, le fameux texte était un projet de lettre ouverte aux membres du Parti socialiste français, rappelant et condamnant sans ménagement et sans rien oublier le reniement de leurs dirigeants ; le Congrès s’adresserait ainsi à la classe ouvrière par-dessus la tête des chefs du Parti. Il était visiblement destiné à “ préparer ” le retour en France des deux émissaires, Cachin et Frossard. Je ne pouvais m’échauffer là-dessus, et surtout je voulais m’occuper d’autre chose. Victor Serge arriva juste à temps pour me libérer : “ Laissez donc cela, me dit-il ; c’est notre travail. ” (…)

Comme nous rentrions à l’hôtel, l’intendant me dit que Trotsky avait téléphoné, me demandant d’aller le voir dès que je serais libre ; le voyage était déjà tout arrangé ; je devais aller d’abord au Kremlin. L’auto quitta bientôt la ville et ce fut alors à travers la campagne, une course folle ; c’était la manière de conduire habituelle des chauffeurs moscovites comme je le vis par la suite, mais sur une chaussée en mauvais état cela provoquait d’incessants soubresauts ; la route traversa plusieurs villages aux isbas plantées en bordure de larges avenues. Nous roulions à cette allure depuis sans doute une demi-heure quand nous nous engageâmes à travers bois et, bientôt, la voiture ralentit : Trotsky était sur le bord de la route, avec son fils aîné, Léon. J’avais eu raison de ne pas m’inquiéter : je n’avais pas devant moi un malade.

La maison où la famille était logée avait été l’habitation princière d’un riche Moscovite. L’immense salon du rez-de-chaussée avait été transformé en musée public ; on y avait rassemblé toutes les toiles trouvées dans la maison : pas de peintures rares d’ailleurs, d’inévitables Canaletto. Trotsky et les siens disposaient au premier étage de deux grandes pièces où la vue s’étendait au loin dans la campagne environnante jusqu’aux collines qui, à l’horizon, bordaient la plaine. L’escalier d’honneur avait été condamné ; le gel avait endommagé partout la tuyauterie de sorte que le confort de ce “ palais ” n’était que très relatif. Ce n’était habitable que l’été ; on accédait à l’étage par une sorte d’échelle, “ juste ce qui convenait pour les nouveaux “ maîtres ” soviétiques ”, selon le commentaire ironique de Trotsky.

Il m’avait accueilli par un reproche amical : “ Eh ! bien, vous ne vous êtes pas pressé de venir ; des révolutionnaires, des journalistes nous arrivaient de partout sauf de France. ” Quand nous fûmes tous autour de la table pour le repas du soir, Natalia Ivanovna remarqua : “ Nous voilà de nouveau comme à Paris. - Oui, dis-je, mais il s’est passé quelque chose dans l’intervalle. ” Et nous évoquâmes nos souvenirs du temps de la guerre ; la pension de la rue de l’Amiral-Mouchez, la petite maison de Sèvres à la lisière du bois, le modeste logement de la rue Oudry et l’insupportable surveillance policière qui précéda l’expulsion. Nous eûmes deux pleines journées pour essayer de répondre aux questions que nous nous posions mutuellement. Trotsky m’interrogeait sur les hommes qu’il avait connus à Paris. Deux d’entre eux, Monatte et Loriot étaient en prison depuis trois mois et allaient passer devant les Assises : inquiet des progrès du communisme, Millerand avait imaginé un “ complot contre la sûreté de l’Etat ” - formule habituelle pour ces sortes d’opérations policières. Une grève des cheminots mal engagée, et confiée pour l’organisation de la solidarité ouvrière aux dirigeants de la C.G.T. qui, au fond, ne souhaitaient que l’échec, avait fourni au gouvernement le prétexte qu’il attendait pour mettre en prison les militants socialistes et syndicalistes qui, en France, s’étaient fait les défenseurs de la Révolution d’Octobre et de l’Internationale communiste. Sur les événements eux-mêmes, je n’avais pas grand-chose à lui apprendre : les deux années qu’il avait passées à Paris lui avaient permis de connaître du dedans la politique française et ses hommes et, bien entendu, le développement des diverses tendances existant à l’intérieur de la C.G.T. et du Parti socialiste. Il lui suffisait de prendre un paquet de journaux de temps à autre pour se mettre tout à fait au courant…

Pour les petites histoires, j’avais trouvé à Moscou un informateur excellent : Henri Guilbeaux. Parti pour Genève en 1915 comme pacifiste et “ rollandiste ”, il avait évolué progressivement jusqu’au bolchévisme sous l’influence des révolutionnaires russes qu’il avait rencontrés en Suisse. Il connaissait personnellement bon nombre de leaders soviétiques, et il était empressé à recueillir racontars et anecdotes, portant plus d’intérêt aux individus qu’aux idées, mû par des sympathies et des antipathies également prononcées ; il était avant tout un écrivain…

J’avais retrouvé à Moscou Jack Tanner ; jusqu’en 1914, c’est lui qui nous envoyait des “ Lettres de Londres ” pour la Vie ouvrière ; je l’avais revu à Paris pendant la guerre ; il était venu travailler dans une usine de la banlieue parisienne [10]. Il représentait, avec Ramsay, ces “ Shop Stewards Committees” (comités de délégués d’atelier) qui s’étaient développés et avaient pris une grande importance au cours de la guerre en réaction contre l’attitude de la majorité des dirigeants trade-unionistes ralliés à la politique de guerre du gouvernement. J’étais avec eux en plein accord. La lutte au sein les syndicats réformistes n’était pas pour eux chose nouvelle ; ils en avaient toujours été partisans ; et comme moi ils avaient été jusqu’alors toujours réfractaires au parlementarisme et au parti politique.
Une vive sympathie nous rapprochait d’autres délégués bien qu’entre eux et nous certaines divergences persistaient ; John Reed et ses amis américains étaient d’accord avec les bolchéviks sur la question du parti, mais ils ne voulaient à aucun prix entendre parler du travail dans les syndicats réformistes. Wijnkoop, délégué des “ tribunistes ” hollandais (social-démocrates de gauche qui tenaient leur nom de leur journal De Tribune), se séparait nettement des “ gauchistes ” Pannekoek et Görter ; il trouvait intolérable la seule présence à Moscou de “ centristes ”, de socialistes opportunistes comme Cachin et Frossard, venus pour “ information ”. À chaque occasion il protestait brutalement contre leur présence : “ Ils ne sont pas à leur place ici ”, s’écriait-il….

Trotsky, répondant à Paul Lévi, déclarait :

« Nous voyons combien grande est l’influence des tendances antiparlementaires, dans les vieux pays du parlementarisme et de la démocratie, par exemple en France, en Angleterre et ailleurs. En France il m’a été donné de constater par moi-même, au début de la guerre, que les premières voix audacieuses contre la guerre, au moment où les Allemands étaient aux portes de Paris, s’élevèrent d’un petit groupe de syndicalistes français. C’étaient les voix de mes amis Monatte, Rosmer, et d’autres. Il ne pouvait être question alors de parler de la formation d’un parti communiste : de tels éléments étaient trop peu nombreux. Mais je me sentais un camarade parmi des camarades dans la compagnie de Monatte, de Rosmer et de leurs amis dont la plupart avaient un passé anarchiste. Mais que pouvait-il y avoir de commun entre moi et Renaudel qui, lui, comprenait très bien le besoin du parti.

“ Les syndicalistes français mènent leur travail révolutionnaire dans les syndicats. Quand je discute cette question avec Rosmer, nous avons un terrain commun. Les syndicalistes français, en défi aux traditions de la démocratie et à ses déceptions, disent : “ Nous ne voulons pas de partis politiques, nous sommes partisans de syndicats ouvriers et d’une minorité consciente qui, dans leur sein, préconise et applique les méthodes d’action directe. ” Qu’entendaient les syndicalistes français par cette minorité ? Cela n’était pas clair à eux-mêmes ; c’était un présage du développement ultérieur qui, en dépit des préjugés et des illusions, n’a pas empêché ces mêmes syndicalistes de jouer un rôle révolutionnaire en France et de rassembler cette petite minorité qui est venue à notre congrès international.

“ Que signifie exactement cette minorité pour nos amis ? C’est la fraction d’élite de la classe ouvrière française, une fraction qui a un programme clair et une organisation propre, une organisation dans laquelle toutes les questions sont discutées, où on prend aussi des décisions et où les membres sont liés par une certaine discipline. Par voie de simple conséquence de la lutte contre la bourgeoisie, de sa propre expérience et de l’expérience des autres pays, le syndicalisme français sera amené à créer le Parti communiste. »

Notes

[1] Dans la docte Revue des Deux Mondes, Charles Benoist, pour paraître informé, avait écrit : “ Lénine ou Zederblum ? ” Puis il rectifia, non sans dépit : “ Il paraît que décidément il s’appelle Oulianov. ”
(

Voici ce que Monatte écrivait en 1922 :

Déclaration suite au congrès de Paris du PCF

Pierre Monatte

Novembre 1922

Au lendemain du congrès communiste de Paris, le désarroi est grand parmi les communistes français, qu’ils soient ou non membres du parti. Pour tout le monde, le parti entre en décomposition ; les militants de toutes fractions l’ont constaté et les journaux l’ont proclamé avec une joie bruyante. Le parti se désagrège, les fractions le constituant se détachent les unes des autres, mais sans se rendre compte des raisons pour lesquelles ils s’éloignent et sans apercevoir la route qui s’ouvre devant chacun d’eux.

Dans ce brouillard d’octobre 1922, nous croyons utile à quelques-uns de faire entendre notre voix. Parmi nous, les uns sont membres du parti, d’autres ne le sont pas, mais tous nous sommes des syndicalistes révolutionnaires, c’est-à-dire que nous attribuons au syndicat le rôle essentiel dans la lutte révolutionnaire pour l’émancipation du prolétariat et que nous donnons au parti un rôle auxiliaire et non un rôle directeur.

En parlant nous obéissons à un double motif. 1°) Nous désirons que le foyer de décomposition n’étende pas ses ravages au mouvement syndical ; 2°) nous voulons empêcher que l’on exploite le syndicalisme révolutionnaire en faveur d’une tendance du parti au moment précis où elle tourne le dos à la Révolution.

La rupture qui vient de se produire entre le centre et la gauche du parti communiste [1] est-elle le fait de questions de personnes. En ce cas elle serait accidentelle et fortuite. Ou bien trahit-elle un état permanent de déséquilibre et devait-elle arriver presque forcément ? Dans le premier cas elle est guérissable ; dans le second, elle ne peut que devenir plus profonde et la rupture d’aujourd’hui annoncerait la scission de demain.

Le congrès de Marseille de l’an dernier, plus tard le Conseil national, puis le congrès de Paris sont là pour démontrer que depuis longtemps une crise grave travaille sinon les couches profondes du parti, au moins la croûte des membres influents qu’ils soient des militants ardents et sincères ou des élus, des aspirants élus et leur clientèle. Nous laisserons à la gauche politique le soin de raconter les diverses phases des discussions et des tractations poursuivies avec le centre à la Commission mixte. Nous n’en connaissons que ce qui a été écrit ou dit publiquement mais cela suffit largement pour nous permettre de penser qu’en cette circonstance le Centre n’a fait semblant de conclure une alliance que pour pouvoir mieux la déchirer. En toutes langues cela s’appelle une trahison [2].

La signification exacte peut difficilement apparaître à ceux qui n’ont pas assisté à ce congrès et qui n’ont pas constaté par eux-mêmes la frappante insuffisance du sentiment internationaliste chez la plupart de ces délégués à un congrès communiste, à ceux qui n’ont pas senti quelle hostilité sourde les animait contre Moscou et contre l’idée révolutionnaire.

Ce congrès marque le triomphe des adversaires de la Révolution [3]. Il n’est pas de déclarations hypocrites capables de donner le change.
Pour nous qui mettons la Révolution russe [4] au-dessus de tous les différends de tactique et de doctrine, nous estimons que c’est notre devoir de mettre en garde les ouvriers et les vrais révolutionnaires qui sont dans le Parti, et de leur demander si c’est en faveur de la rupture avec Moscou qu’ils avaient mandaté leurs délégués à ce congrès ?
Tous les courants qui vont vers un même but sont des alliés, qu’ils le veuillent ou non et si l’un d’eux vient à se briser, ses voisins et ses alliés n’en sont pas renforcés mais affaiblis. C’est pourquoi le syndicalisme révolutionnaire risque d’être affaibli et non d’être renforcé par la crise du parti, comme il a été affaibli quand les anarchistes ont ouvert leur campagne violente contre la dictature du prolétariat et contre les hommes et les méthodes de la Révolution russe.

Aujourd’hui en la personne du centre, qui n’est pour une large part qu’une fraction fardée et masquée de la droite, c’est le vieux parti qui renaît, qui continue, le parti de l’impuissance parlementaire et de la faillite démocratique. Ses préoccupations électorales, l’importance qu’il accorde aux problèmes nationaux qu’il regarde d’ailleurs par le petit bout de la lorgnette, tout en témoigne.

Avec la Gauche politique et avec Moscou nous ne sommes point d’accord sur le rôle du syndicalisme, mais de ce côté les positions sont franches, tandis qu’elles ne le sont pas de l’autre côté. Il ne suffit pas de proclamer la reconnaissance de l’autonomie syndicale, pour pratiquer celle-ci. Des exemples trop nombreux ont montré que l’autonomie syndicale organique ne servait souvent de prétexte que pour soumettre en fait les syndicats à l’influence de l’Etat ou de groupements de politiciens, comme le cas de la rue Lafayette. Il importe que la C.G.T.U. ne tombe point non plus sous l’influence d’une politique extérieure faite sous le couvert de l’autonomie syndicale et qu’elle ne laisse point exploiter des préventions légitimes.
Pour conclure, nous demandons aux militants syndicalistes d’autant plus faciles à abuser qu’ils ne suivent pas de près la vie du parti de regarder avec attention et de voir quels sont ceux qui se trouvent dans la bonne direction.

Nous demandons aux ouvriers et aux révolutionnaires qui sont dans le Parti si c’est bien leur pensée qui a été exprimée par leurs délégués au congrès, ou bien si une fois de plus, les hommes qui encadrent le parti, les anciens et les futurs candidats à quelque fonction électorale, l’ont entraîné sans qu’il s’en doute ou même en faisant violence à ses sentiments profonds, hors du chemin qui mène à la révolution.
Dans cette hypothèse, la plus vraisemblable d’ailleurs, ils diront avec nous que ce n’est pas l’Exécutif de Moscou qui peut créer le véritable parti communiste, mais les ouvriers communistes d’ici restés trop longtemps silencieux dans les rangs du parti.

Pierre Monatte, Robert Louzon, Maurice Chambelland, Ferdinand Charbit, L. Clavel, Y. Orlianges.

Notes

[1] Alors que l’I.C. avait arbitré le 15 octobre en faveur d’une direction à parité par le centre et la gauche du PCF, Cachin déclara le 20, après les votes au congrès (centre 1698 mandats, gauche 1516 et 814 abstentions) : « au nom du centre, nous prenons seuls la direction du parti ».

[2] Monatte avait ajouté ici : « Et l’on peut dire qu’un haut-le-cœur général a ponctué le discours de Ker », phrase biffée par R. Louzon.

[3] Louzon a fait changer « de Moscou » pour « de la Révolution ».

[4] Louzon a ici retiré « et de l’Internationale Communiste ».

Lire encore sur le groupe des communistes de France à Moscou

Les conditions d’adhésion à l’Internationale communiste

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