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Remercions Staline

mercredi 5 mars 2014, par Robert Paris

Remercions Staline

par P. Monatte

La déclaration de Staline a frappé de stupeur tous les milieux ouvriers ; et même les autres. Elle est importante, certes, aussi bien d’un point de vue historique et même humain que d’un point de vue intérieur de parti ou de mouvement ; d’une telle importance qu’elle fera date, grand date.

Par elle, le 15 mai 1935 marquera dans l’histoire.

N’est-ce pas un événement capital que d’entendre le grand chef de l’Internationale communiste proclamer qu’il « comprend et approuve la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité », cette politique imposée à un gouvernement réactionnaire par l’état-major de l’armée ?

On peut mesurer l’importance historique de l’événement et admirer le spectacle qui est offert au monde entier sans pour cela être surpris. Une foule d’événements avaient annoncé ce qui arrive. Non seulement depuis des mois, mais depuis des années. Nous avons marqué ces événements au fur et à mesure qu’ils se produisaient. Mais les actes, qui ne mentent pas, eux, ne parlent pas pour tout le monde. On se fie aux paroles qui les contredisent, qui les cachent. Cependant il arrive un jour où il est difficile, sinon impossible, d’agir d’une certaine manière et de parler d’une autre. Il faut dire ce qu’on fait et faire ce qu’on dit. C’est ce qui vient d’arriver à Staline. Remercions le pour sa franchise, pour son cynisme.

Ainsi, il n’y aurait que deux alternatives : devancer Hitler, faire la guerre préventive, écraser presque à coup sûr l’Allemagne hitlérienne ; ou bien attendre l’attaque d’Hitler dans quelques années, avec de sérieuses chances d’être alors battus.

Nous repoussons ces deux hypothèses. Que les états-majors militaires regardent le monde avec les mêmes yeux, c’est naturel. Aveugle, qui s’en étonne. Mais que les grands chefs de la révolution mondiale raisonnent comme les militaires, nous ne le comprenons pas. Loin de comprendre et à plus forte raison de l’approuver, nous disons fermement que nous ne marchons pas plus en 1935 qu’en 1914 contre le militarisme prussien. Aveugle qui ne comprend pas que les travailleurs de France, d’Allemagne, de Russie, de partout, doivent briser le cercle infernal où veulent les enfermer Staline et Laval, Vorochilov et Weygand, Hitler et Mussolini.

Dès 1919, nous avons dit que le traité de Versailles devait fatalement engendrer de nouvelles causes de guerre. Les causes sont à la veille de produire leurs effets. Hitler est le produit du traité de Versailles. On ne le détruira pas sans détruire ses racines. Mais on n’arrachera pas ces racines sans refaire un monde sans frontières, sans faire prévaloir l’esprit de classe sur l’esprit national.

Pendant que la diplomatie franco-russe préparait la guerre contre Hitler, comme il y a quelques dizaines d’années, elle avait préparé la destruction du militarisme allemand, la bureaucratie de la III° Internationale, interprète du patriotisme russe, préparait, elle, le moral de la classe ouvrière ; elle enrichissait le catéchisme communiste d’un chapitre sur la patrie. Tout le monde a pu entendre dans les réunions électorales communistes réciter ce nouveau chapitre, chanter ces nouveaux couplets, hélas ! bien vieux, non seulement pour Cachin, enfin à son aise, ou pour Vaillant-Couturier, content de retrouver bientôt son bel uniforme, mais pour tous ces jeunes gens qui nous reprochaient d’avoir été, lors de la dernière guerre, de simples zimmerwaldiens et non pas des défaitistes révolutionnaires.

Staline croyait sans doute la préparation des esprits assez avancée pour pouvoir parler comme il l’a fait et satisfaire ainsi aux demandes du gouvernement français. Il savait pouvoir compter sur la servitude des bons bureaucrates professionnels du parti communiste français. Il savait qu’ils obtempèreraient. Il supposait que les suiveurs suivraient. Il s’est mis le doigt dans l’œil en pensant que c’était là tout le mouvement révolutionnaire français.

18 mars 1936

Les déclarations et les révélations de Staline Politique extérieure

Qu’enseigne l’expérience de la Mongolie ?

Dans l’interview accordée par Staline à Roy Howard [1], ce qui est essentiel, c’est l’affirmation de l’inéluctabilité de l’intervention de l’U.R.S.S. en cas d’agression japonaise contre la république populaire de Mongolie. Cette affirmation est‑elle juste au fond ? Nous pensons que oui. Non pas seulement parce qu’il s’agit de la défense d’un Etat faible contre un brigand impérialiste : si elle était guidée uniquement par ce genre de considérations, l’U.R.S.S. devrait être toujours en guerre contre tous les pays impérialistes du monde. L’U.R.S.S. est trop faible pour mener à bien une telle tâche, et, ajoutons‑le, cette faiblesse est la seule justification du « pacifisme » de son gouvernement.

Mais la question de la Mongolie est celle des positions stratégiques futures du Japon dans une guerre contre l’U.R.S.S. Ici, il faut fermement trancher jusqu’où on peut céder. Il y a quelques années, l’Union soviétique a cédé au Japon le chemin de fer de l’Est chinois qui est aussi une position stratégique de la plus haute importance. Cet acte fut alors célébré par l4Internationale Communiste comme une manifestation volontaire de pacifisme. En réalité, c’était un acte de faiblesse imposé. L’I.C. avait mené la révolution chinoise de 1925‑27 à la ruine grâce à la politique du « front populaire ». Cela a délié les mains de l’impérialisme. Ayant cédé une ligne de chemin de fer stratégique extrêmement importante, le gouvernement soviétique a, par là même, facilité les coups de force du Japon en Chine du Nord, ainsi que ses attaques actuelles en Mongolie. Aujourd’hui, il doit être clair, même pour un aveugle, que, lors de la cession du chemin de fer, il s’agissait non pas de pacifisme abstrait (ce qui eût été dans ce cas une simple stupidité et une trahison), mais d’un rapport de forces défavorable : la révolution chinoise avait été écrasée, l’Armée et la Flotte rouges n’étaient pas prêtes à la lutte. Actuellement, la situation du point de vue militaire s’est sans doute suffisamment améliorée pour que le gouvernement soviétique juge possible d’en venir à un veto catégorique dans la question de la Mongolie. On ne peut que saluer le renforcement des positions de l’U.R.S.S. en Extrême‑Orient, ainsi que l’attitude plus critique du gouvernement soviétique vis‑à‑vis de la capacité qu’aurait le Japon, déchiré par les contradictions, à mener une grande et longue guerre. Il faut cependant noter que la bureaucratie soviétique, très audacieuse face à ses propres travailleurs, est facilement prise de panique face à ses adversaires impérialistes : le petit-bourgeois ne se gêne pas avec le prolétaire, mais il craint le grand bourgeois.

La formule officielle de la politique extérieure de l’U.R.S.S. largement répandue par l’Internationale communiste est : « Nous ne voulons pas un pouce de terre étrangère, mais nous ne céderons pas un pouce de notre territoire. » Dans la question de la Mongolie, cependant, il ne s’agit nullement de la défense de « notre territoire » : la Mongolie est un Etat indépendant. La défense de la révolution, comme on le voit même dans ce petit exemple, ne se réduit pas à la défense des frontières. La véritable méthode de défense consiste à affaiblir les forces de l’impérialisme et à renforcer les positions du prolétariat et des peuples coloniaux dans le monde entier. Un rapport de forces défavorable peut obliger, pour sauver la base principale de la révolution, à céder à l’ennemi beaucoup de « pouces » de territoire, comme cela fut fait à Brest‑Litovsk et aussi en particulier dans le cas de la cession du chemin de fer de l’Est chinois. Et au contraire, un rapport de forces plus favorable impose à l’Etat ouvrier l’obligation de venir en aide au mouvement révolutionnaire dans les autres pays, non seulement moralement, mais aussi, si nécessaire, à l’aide de la force armée les guerres émancipatrices sont un élément constitutif des révolutions émancipatrices. L’expérience de la Mongolie réduit ainsi en miettes l’idéologie du pacifisme conservateur qui s’appuie sur les frontières historiques comme sur les Tables de la Loi. Les frontières de l’U.R.S.S. ne sont que les tranchées provisoires de la lutte des classes. Elles n’ont même pas de justification nationale. Le peuple ukrainien, pour prendre un seul exemple parmi tant d’autres, est divisé en deux par des frontières d’Etats [2]. Si la situation s’était développée de façon favorable, l’Armée rouge aurait été tenue de venir en aide à l’Ukraine occidentale opprimée par les bourreaux polonais. Il n’est pas difficile d’imaginer quelle gigantesque impulsion l’unification de l’Ukraine ouvrière aurait donné au mouvement révolutionnaire en Pologne et dans l’Europe entière. Les frontières de tous les Etats ne sont que les chaînes des forces productives. La tâche du prolétariat n’est pas le maintien du statu quo, c’est‑à‑dire éterniser les frontières, mais au contraire leur abolition révolutionnaire dans le but de créer les Etats‑Unis socialistes d’Europe et du monde entier. Pour qu’une telle politique internationale devienne possible, sinon dans l’immédiat, tout au moins dans l’avenir, il faut que l’Union soviétique elle‑même s’affranchisse de la domination de la bureaucratie conservatrice avec sa religion du « socialisme dans un seul pays ».

Quelle est la cause des guerres ?

A Howard qui lui demande la cause des dangers de guerre, Staline répond selon la tradition : « Le capitalisme. » Pour sa démonstration, il invoque la dernière guerre, qui « surgit du désir d’opérer un nouveau partage du monde ». Mais il faut noter que, dès que Staline passe de la dernière guerre à la prochaine, de réminiscences théoriques confuses à la politique réelle, le capitalisme disparaît alors immédiatement et cède la place à diverses cliques malintentionnées, incapables de comprendre les avantages de la paix. A la question : « La guerre est‑elle évitable ? », Staline répond : « Je considère que les positions des amis de la paix se consolident. Les amis de la paix peuvent travailler ouvertement (!), ils s’appuient sur la puissance de l’opinion publique et ils ont à leur disposition des instruments tels que, par exemple (!!), la S.D.N. C’est à l’avantage des amis de la paix ( ... ) Pour ce qui est des ennemis de la paix, ils sont contraints de travailler en secret. C’est au désavantage des ennemis de la paix. Cependant il n’est pas exclu que justement à cause de cela (?) ils puissent se décider à une aventure militaire, comme à un acte de désespoir. »

Ainsi l’humanité se divise‑t‑elle non en classes ni en Etats impérialistes hostiles les uns aux autres, mais en « amis » et « ennemis » de la paix, c’est‑à‑dire en justes et en pécheurs. La cause des guerres (au moins pour l’avenir, sinon pour le passé), ce n’est pas le capitalisme qui engendre des contradictions insurmontables, mais la mauvaise volonté des « ennemis de la paix » qui « travaillent secrètement », alors que les esclavagistes français, britanniques, belges et autres travaillent au grand jour. Mais c’est précisément parce que les ennemis de la paix, tels les esprits des ténèbres, travaillent secrètement, que, dans un accès de désespoir, ils peuvent se lancer dans une aventure. Qui a besoin d’une telle bouillie philosophique ? Dans le meilleur des cas, elle peut convenir à quelque société de vieilles ladies pacifistes.

L’accord entre les Soviets et la France, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire en son temps, donne à la France des garanties infiniment plus importantes qu’aux Soviets. Dans les pourparlers avec Paris, Moscou a manqué de fermeté, ou, autrement dit, Laval a trompé Staline. Les événements en rapport avec la Rhénanie [3] confirment qu’avec une appréciation plus réaliste de la situation, Moscou pouvait chercher à obtenirde la France des garanties incomparablement plus sérieuses, dans la mesure où des traités peuvent en général être considérés comme des « garanties » à l’époque actuelle des brusques retournements de situation, de crises, de ruptures et de regroupements incessants. Mais, comme il a déjà été dit, la bureaucratie fait preuve de beaucoup plus de fermeté dans la lutte contre les ouvriers avancés que dans les pourparlers avec les diplomates bourgeois.

Quelle que soit pourtant l’appréciation du pacte franco-soviétique, pas un révolutionnaire conscient n’a dénié, ni ne dénie à l’Etat soviétique le droit de rechercher un appui complémentaire pour l’inviolabilité de ses frontières dans un accord provisoire avec l’impérialisme français ou avec tout autre impérialisme. Mais pour cela il n’est nullement besoin de dire que ce qui est noir est blanc et de rebaptiser « amis de la paix » des brigands sanguinaires. Prenons un seul exemple, celui du nouvel allié, la bourgeoisie française : ayant conclu un traité avec les Soviets, elle présente cet acte sans aucun lyrisme, très sobrement, sans compliments, et même avec une nuance permanente d’avertissement à l’adresse du gouvernement soviétique. Aussi blessante soit‑elle, il faut dire la vérité : Laval, Sarraut [4] et consorts font preuve de beaucoup plus de dignité et de fermeté dans la défense des intérêts bourgeois que Staline et Litvinov [5] au service de l’Etat ouvrier.

Il est difficile en vérité d’imaginer une plus sinistre stupidité que la division des brigands internationaux en amis et en ennemis de la paix ! On pourrait encore en un certain sens parler d’amis et d’ennemis du statu quo, mais ce n’est pas du tout la même chose. Le statu quo n’est pas l’organisation de la « paix », mais celle de la basse violence d’une minorité sur l’écrasante majorité de l’humanité. Le statu quo se maintient grâce à une guerre incessante à l’intérieur des frontières sacrées et hors de leurs limites (l’Angleterre dans l’Inde et en Egypte, la France en Syrie, de La Rocque [6] en France). La différence entre les deux camps, d’ailleurs extrêmement instables, réside dans le fait que certains des brigands jugent aujourd’hui plus raisonnable de conserver les frontières existantes de la violence et de l’esclavage les armes à la main, tandis que les autres préféreraient les faire sauter au plus tôt. Le rapport même entre plans et appétits se modifie sans cesse. L’Italie est pour le statu quo en Europe, mais pas en Afrique ; cependant toute atteinte aux frontières en Afrique se répercute aussitôt en Europe. Hitler ne s’est décidé à faire pénétrer ses troupes en Rhénanie que parce que Mussolini avait réussi à massacrer quelques dizaines de milliers d’Abyssins. Où classer l’Italie ? Avec les amis ou avec les ennemis de la paix ? Et cependant, la France attache beaucoup plus de prix à l’amitié avec l’Italie qu’à l’amitié avec l’Union soviétique. Entre‑temps, l’Angleterre recherche l’amitié de l’Allemagne.

Les « amis de la paix » travaillent ouvertement (qui pourrait le croire ?) et ont à leur disposition des « instruments » tels que, par exemple, la « Société des nations ». Et quels autres « instruments » ont encore les amis de la paix, en dehors de la Société des nations ? Sans doute l’Internationale communiste et le comité Amsterdam‑Pleyel [7]. Staline n’a pas cité ces « instruments » supplémentaires, en partie parce qu’il ne leur accorde pas lui­-même une telle importance, en partie pour ne pas effrayer son interlocuteur sans nécessité. Mais la Société des nations, qui sombre aux yeux de l’humanité tout entière, est définitivement transformée par Staline en rempart de la paix, en soutien et en espoir des peuples.

Pour utiliser la contradiction impérialiste entre la France et l’Allemagne, il n’était nullement besoin d’idéaliser l’allié bourgeois ou la combinaison impérialiste qui se couvre momentanément de l’enseigne de la Société des nations. Le crime n’est pas dans telle ou telle transaction avec les impérialistes, mais dans le fait que le gouvernement soviétique, et avec lui l’Internationale communiste, embellissent honteusement les alliés épisodiques et leur Société, trompant les ouvriers par des mots d’ordre de désarmement et de « sécurité collective », et qu’ils se font ainsi l’agence politique des impérialistes devant les masses ouvrières.

Le programme du parti bolchevique, élaboré par Lénine en 1919, répondait à toutes ces questions avec une clarté et une simplicité remarquables. Mais qui donc au Kremlin pense à ce document ? Même le programme éclectique de l’Internationale communiste, compilé par Boukharine en 1928, est aujourd’hui gênant pour Staline et consorts. C’est pourquoi nous jugeons utile de citer le programme du parti bolchevique sur la question de la Société des nations et des amis de la paix. Voilà ce qu’il dit :

« L’offensive croissante de la part du prolétariat et plus particulièrement ses victoires dans différents pays, renforcent la résistance des exploiteurs et provoquent la création de nouvelles formes d’organisation internationale des capitalistes (Société des nations, etc.) qui, en organisant à l’échelle mondiale l’exploitation systématique de tous les peuples de la terre, dirigent leurs premiers efforts vers l’écrasement immédiat des mouvements révolutionnaires du prolétariat de tous les pays.

Tout cela conduit inévitablement à la combinaison de la guerre civile à l’intérieur des différents Etats avec des guerres révolutionnaires menées aussi bien par les pays prolétariens qui se défendent que par les peuples opprimés contre le joug des puissances impérialistes.

Dans ces conditions, les mots d’ordre de pacifisme, de désarmement international en régime capitaliste, d’arbitrage, etc., sont non seulement des utopies réactionnaires, mais aussi une mystification directe des travailleurs et qui tend à désarmer le prolétariat et à le détourner de la tâche de désarmer les exploiteurs. »

C’est justement ce rôle criminel que jouent Staline et l’Internationale communiste : ils sèment des utopies réactionnaires, trompent les travailleurs et désarment le prolétariat.

Le « malentendu comique » sur la révolution mondiale

Personne n’obligeait Staline à satisfaire la curiosité de Howard en ce qui concerne la question de la révolution mondiale. Si Staline a donné une interview en tant que chef officieux de l’Etat ‑ et c’est ce qui ressort de ses déclarations au sujet de la Mongolie ‑, il aurait pu renvoyer son interlocuteur à Dimitrov [8] pour tout ce qui concernait la révolution mondiale. Mais non, Staline est entré dans les explications. A première vue, on ne comprend guère pourquoi il s’est ainsi compromis par des déclarations cyniques et hélas tout à fait insensées sur la révolution mondiale. Mais il est poussé sur cette pente glissante par une irrésistible nécessité, celle de se démarquer par rapport au passé.

« Votre déclaration signifie‑t‑elle que l’U.R.S.S. renonce dans une mesure quelconque à ses plans et desseins de faire la révolution mondiale ? », demande son interlocuteur.

‑ « Nous n’avons jamais (!) eu de semblables plans et desseins. »

‑ « Mais (…) »

‑ « Ceci résulte d’un malentendu. »

‑ Howard : « D’un malentendu tragique ? »

‑ Staline « Non, comique, ou plutôt tragi‑comique. »

On est gêné de seulement lire et recopier ces lignes tant elles sont déplacées et indécentes. A qui est destinée cette... subtilité ? Même les dames pacifistes n’en voudront pas.

« Quels dangers, demande Staline, les Etats environnants peuvent‑ils voir dans les idées des citoyens soviétiques si ces Etats sont fermement en selle ? » Oui, mais alors, nous demandons : « Et s’ils n’y sont pas bien ? » Et c’est précisément la question. C’est précisément parce que la situation de la bourgeoisie est chancelante qu’elle craint les idées soviétiques pas celles de Staline, celles qui ont conduit à la création de l’Etat soviétique. Pour rassurer la bourgeoisie, Staline ajoute un argument supplémentaire : « L’exportation de la révolution ? C’est une absurdité. Chaque pays, s’il le désire, fera lui‑même sa révolution ; et s’il ne le veut pas, il n’y aura pas de révolution. Notre pays, par exemple, a voulu faire sa révolution, et il l’a faite... » Et ainsi de suite, sur le même ton édifiant, plein de suffisance. De la théorie du socialisme dans un seul pays, Staline est entièrement et définitivement passé à la théorie de la révolution dans un seul pays. Si le « pays » le veut, il la fait ; s’il ne le veut pas, il ne la fait pas. Voyez, « nous, par exemple, nous avons voulu »... Mais, avant de vouloir, « nous » avons importé d’autres pays les idées du marxisme et utilisé l’expérience révolutionnaire étrangère. « Nous » avons eu, pendant des dizaines d’années, notre émigration dans d’autres pays qui dirigeait la lutte révolutionnaire en Russie. Pour donner un caractère planifié et actif à l’échange d’expériences entre les pays et à leur soutien révolutionnaire réciproque, « nous » avons organisé l’Internationale communiste en 1919. « Nous » avons proclamé plus d’une fois l’obligation pour le prolétariat victorieux dans un pays de venir en aide aux peuples insurgés par des conseils, par des moyens matériels, et, si possible, par la force armée. Toutes ces idées (et, soit dit en passant, elles portent les noms de Marx, Engels, Lénine, Luxembourg et Liebknecht !) sont exposées dans les plus importants documents programmatiques du parti bolchevique et de l’Internationale communiste. Staline proclame « Tout cela est un malentendu ! Tragique ? Non, comique ! » Ce n’est pas pour rien que Staline déclarait récemment que c’était une « joie » de vivre en Union soviétique : aujourd’hui, l’Internationale communiste elle‑même, de personne sérieuse qu’elle était, est devenue comique. Et comment pourrait‑il en être autrement puisque le caractère international de la révolution n’est tout simplement qu’une « absurdité » ?

Staline aurait produit sur son interlocuteur une impression bien plus convaincante s’il n’avait pas calomnié le passé (« Nous n’avons jamais eu de tels plans ni de telles intentions ») mais avait au contraire ouvertement opposé sa propre politique aux anciens « plans » et « intentions » mis aux archives. Staline aurait pu lire à Howard la citation que nous avons reproduite ci‑dessus, et prononcer à ce sujet à peu près ce bref discours :

« Aux yeux de Lénine, la Société des nations était l’organisation de la répression sanglante des travailleurs. Nous, nous voyons en elle un instrument de paix. Lénine parlait de l’inéluctabilité des guerres révolutionnaires. Nous, nous pensons que l’exportation de la révolution est une absurdité. Lénine stigmatisait l’union du prolétariat avec sa bourgeoisie comme une trahison. Nous, nous poussons de toutes nos forces le prolétariat français dans cette voie. Lénine fustigeait le mot d’ordre du désarmement en régime capitaliste comme une véritable mystification des travailleurs. Nous, nous bâtissons toute notre politique sur ce mot d’ordre. »

Et Staline aurait pu conclure ainsi :

« Votre malentendu comique réside dans le fait que vous nous prenez pour les continuateurs du bolchevisme, alors que nous sommes ses fossoyeurs. »

Une telle déclaration aurait dissipé les derniers soupçons de la bourgeoisie mondiale et aurait définitivement assuré la réputation de Staline en tant qu’homme d’Etat. Malheureusement, il n’ose pas encore recourir à un langage aussi franc. Le passé le lie, les traditions le gênent, le spectre de l’Opposition l’effraie. Nous accourons au secours de Staline. Suivant notre règle, dans ce cas précis, nous disons ce qui est.

Notes

[1] Troy Howard (1883‑1964), était l’un des plus grands journalistes de la fameuse chaîne américaine « Scripps‑Howard Newspapers ». Il avait interviewé Staline le 11 mars 1936 à Moscou, et les déclarations de Staline à cette occasion avaient suscité beaucoup de commentaires. L’Humanité en avait publié le texte intégral dans son numéro du 6 mars 1936, et c’est à sa traduction que renvoient toutes les citations de Staline dans le texte ci‑dessus.

[2] Une importante partie du territoire peuplé par des Ukrainiens était incluse dans les frontières de la Pologne.

[3] Le gouvernement nazi de Hitler venait de décider unilatéralement la dénonciation du pacte de Locarno et la remilitarisation de la Rhénanie.

[4] Albert Sarraut (1872‑1962), dirigeant du parti radical et dignitaire de la franc‑maçonnerie, auteur de la célèbre formule « Le communisme, voilà l’ennemi », avait, en qualité de ministre de l’intérieur, pris en 1934 l’arrêté expulsant Trotsky de France pour la seconde fois. Il était président du conseil depuis le mois de janvier et c’était donc lui qui avait assumé la responsabilité de la politique française pendant la crise internationale ouverte par la remilitarisation de la Rhénanie.

[5] Maksim M. Wallach, dit Litvinov (1876‑1951), vieux‑bolchevik, avait longtemps vécu en émigration à Londres où il représentait le parti bolchevique à l’extérieur. Vice‑commissaire aux affaires étrangères en 1921, commissaire en 1931, il avait mené toute la politique de rapprochement avec Londres et Paris.

[6] Le colonel comte François Casimir de La Rocque (1886‑1946), officier mis à la retraite en 1928, avait fondé l’organisation des anciens combattants des Croix‑de-­Feu, puis les Volontaires nationaux.

[7] Les comités Amsterdam‑Pleyel avaient été constitués dans la campagne des deux congrès organisés pour le compte de l’I.C. par Willi Münzemberg, le congrès d’Amsterdam « contre la guerre » en 1932, et le congrès de la salle Pleyel à Paris « contre le fascisme » en 1933.

[8] Gueorgui Dimitrov (1882‑1949), militant socialiste bulgare en 1903, député en 1909, dirigeant de la centrale syndicale liée aux « tesnjaki » avait été l’un des fondateurs du P.C. bulgare. Il était représentant clandestin de l’I.C. en Allemagne en 1933 quand Hitler l’avait impliqué dans l’affaire de l’incendie du Reichstag : il avait été acquitté en septembre de la même année. Il était revenu en U.R.S.S. en février 1934 et était devenu secrétaire général de l’I.C. au moment du VII° congrès en été 1935.

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