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Il y a cent ans, l’écrivain pacifiste Romain Rolland dénonçait les bourgeoisies occidentales qui jetaient le monde dans la guerre de 1914-1918

jeudi 13 février 2014, par Robert Paris

Alors qu’une nouvelle chute du capitalisme nous prépare de nouveaux lendemains guerriers, les cent ans de la première guerre mondiale méritent qu’on se penche sur cette période de campagne chauvine organisée par la classe dirigeante pour constater l’incapacité des prétendues élites (intellectuelles ou pas) à résister aux volontés guerrières des classes bourgeoises… Romain Rolland fait exception à la règle !

Il y a cent ans, l’écrivain pacifiste Romain Rolland dénonçait les bourgeoisies occidentales qui jetaient le monde dans la guerre de 1914-1918

Vevey, le 31 juillet 1914 – 3h30 – Un télégramme du Conseil fédéral affiché à la gare de Vevey annonce « la mobilisation complète en Russie et l’état de guerre proclamé en Allemagne ». C’est un des plus beaux jours de l’année, un soir merveilleux. Les montagnes flottent dans une légère brume lumineuse et bleutée… l’air est délicieux, le parfum des glycines flotte dans la nuit ; et les étoiles brillent d’un éclat si pur ! C’est dans cette paix divine et cette tendre beauté que les peuples d’Europe commencent le grand égorgement.

Samedi 1er août 1914 – On apprend le matin l’assassinat de Jaurès… Grand esprit, cœur généreux ; je l’admirais, tout en ayant pour lui un mélange singulier de sympathie (pour sa bonté réelle, pour son humanité), et d’antipathie (pour son opportunisme socialiste qui rendait souvent équivoque son attitude politique) ; mais c’était justement là ce qui faisait de lui un homme de gouvernement, le seul, peut-être du socialisme français. Cet assassinat me rappelle avec une intensité singulière, une conversation me rappelle avec une intensité singulière, une conversation dont je fus témoin il y a quelques années (lors de l’affaire d’Agadir) ; le visage implacable de Péguy disant dans sa petite loge des « Cahiers de la Quinzaine », avec un éclair de haine dans les yeux : « dès la déclaration de guerre, la première chose que nous ferons, sera de fusiller Jaurès. Nous ne laisserons pas derrière nous ces traîtres pour nous poignarder dans le dos. »

Quand on est, comme nous, incapable de toute haine de race, quand on estime autant le peuple qu’on va combattre que le peuple qu’on défend, quand on sait la folie criminelle et stupide de cette guerre, et quand on sent en soi un monde de pensée, de beauté, de bonté qui veut s’épanouir, n’est-ce pas la pire horreur d’être forcé de l’égorger pour une cause monstrueuse ? Ah ! la mort de Jaurès n’est pas le plus lamentable. Il tombe du moins martyr de sa mission…

3-4 août 1914 – L’Allemagne envahit le Luxembourg, lance un ultimatum à la Belgique. Je suis accablé. Je voudrais être mort. Il est horrible de vivre au milieu de cette humanité démente, et d’assister, impuissant, à la faillite de la civilisation. Cette guerre européenne est la plus grande catastrophe de l’histoire, depuis des siècles, la ruine de nos espoirs les plus saints en la fraternité humaine.

Le pire est de sentir que non seulement il n’y a pas de progrès mais qu’il y a un retour en arrière. En 1870, du moins, une élite d’hommes s’étaient élevés contre la guerre, Bebel ne cessa de protester contre l’annexion de l’Alsace-Lorraine. Le fait saillant, cette fois-ci, c’est que les socialistes de tous les pays, sans une hésitation, ont pris parti pour la guerre. Le premier, le « Vorwaerts », au nom des socialistes allemands, affirme son loyalisme impérialiste. Et à la suite, Vaillant déclare, au nom des socialistes français, qu’ils marcheront contre les Allemands. Hervé réclame sa place au premier rang des armées… Jaurès, s’il eût vécu ?... Le comique de cette situation paradoxale : les socialistes italiens de Pise, venant acclamer les prêtres français qui vont rejoindre leur corps et tous ensemble chantent la Marseillaise !

5-7 août 1914 – Le fait le plus caractéristique de cette convulsion européenne est, comme je l’ai dit, « l’unanimité » pour la guerre, - unanimité des partis même les plus opposés à la guerre nationale, par définition même et par essence morale : tels les socialistes et les catholiques. Les socialistes de tous les pays sont également convaincus qu’en prenant part à la guerre, ils défendent la liberté de leur cause menacée. Les prêtres catholiques de tous les pays exhortent leurs fidèles au combat. Le cardinal de Paris Amette lance un mandement guerrier ; et il en est de même non seulement des évêques allemands mais des évêques serbes orthodoxes de Hongrie qui engagent leurs paroissiens à marcher contre leurs frères de Serbie…

Toute communication est interrompue du 2 au 10 août. Le 10 août nous arrivent quelques lettres de Paris. Très grand ordre, rien ne se perd. La première lettre qui me parvient est de Louis Gillet, 1er août. Il est plein de fureur guerrière. Ce doux homme dur sera un dur soldat :

« … Ah ! secouons une bonne fois ce nuage de germanisme, cette épaisseur de vulgarité qui pèse sur le monde. Peut-être que ces gens-là ont besoin d’une grande humiliation. Serons-nous assez forts, cette fois, pour la leur donner ? Verrons-nous Metz délivrée, nos vives couleurs vibrer sur la flèche de Strasbourg ? … »

Pauvre garçon, qui rêve de délivrer le monde du pangermanisme, pour y substituer le panslavisme ! Est-ce la peine de « casser les deux têtes de l’aigle » austro-allemande, comme il le « désire furieusement », pour donner pâture à l’aigle moscovite ?)…

Le vieux Lavisse, dans un article du « Temps » (N° du 11 août), « se réjouit de n’être pas mort avant d’avoir vu cette guerre », et « se promet de faire dans quelques mois une conférence aux étudiants de Strasbourg, dans leur université »…

22 août 1914 – Henri de Régnier chante « le coq gaulois, de son bec héroïque », qui crèvera « les yeux de l’aigle germanique ». Maeterlinck demande à s’engager comme volontaires. Bergson prononce un discours enflammé contre l’Allemagne à l’Académie des Sciences morales, dont il est président (8 août) :

« La lutte engagée contre l’Allemagne est, dit-il, la lutte même de la civilisation contre la barbarie. Tout le monde le sent, mais notre Académie a peut-être une autorité particulière pour le dire. Vouée en grande partie à l’étude des questions psychologiques, morales et sociales, elle accomplit un simple devoir scientifique, en signalant dans la brutalité et le cynisme de l’Allemagne, dans son mépris de toute justice et de toute vérité, une régression à l’état sauvage. »

Etait-ce le rôle d’un Bergson de dire de pareilles paroles ?...

L’historien Karl Lamprecht, de Leipzig, prétend démontrer que la guerre présente est la dernière lutte du germanisme et du slavisme latin (Slaves d’Autriche) contre la barbarie orientale, et « qu’une ligne droite conduit des luttes contre les Huns et les Turcs jusqu’à la lutte actuelle. »

Ainsi, chacun prétend que sa cause est celle de la liberté contre la barbarie…

25 août 1914 – Patrie, idole sanglante ! Ils prétendent tous deux (Allemagne et France) qu’ils aiment l’Alsace-Lorraine et qu’elle est de leur sang. Ce n’est pas vrai. Ils ne l’aiment pas. Ils ne l’aiment pas pour elle, mais pour eux-mêmes, pour leur orgueil. Autrement, commenceraient-ils par la détruire ? Ils l’assassinent tous deux pour l’arracher à l’autre…

En France, Barrès se vante, « pour sa part, Dieu merci, grâce à sa province et à sa famille qui lui ont ouvert la voie droite, et qui l’ont préparé de naissance à discerner ce qu’il y a d’ignoble dans la masse germanique, de n’avoir jamais partagé l’erreur de ceux qui se mettaient à l’école de ces pédants peints en barbares. J’ai toujours, ajoute-t-il, connu les Allemands comme dénués de fierté chevaleresque ». (« Echo de Paris », 25 août.)

28 août 1914 – Une belle lettre héroïque de Louis Gillet (11 août). On croit entendre un volontaire des armées de la Révolution avant Jemmapes ou Valmy :

« … L’essentiel est de ne pas rester inutile, et de prendre sa part à cette guerre sublime. Ah ! mon ami, si les dépêches ne mentent pas, si nous ne vivons pas dans un rêve, dans une illusion créée par un mauvais génie, à quel spectacle nous assistons ! Quelle expiation pour l’Allemagne ! Quel enseignement pour tous les peuples, quel châtiment de l’orgueil, et quelle punition pour le vainqueur qui a su si mal user de la victoire et qui ne s’en est servie que pour l’injustice, la violence et la cupidité. » …
29 août 1914 – La scission s’accentue entre la Suisse française et la Suisse allemande…

30 août 1914 – Je bous intérieurement lorsque j’entends l’un de ces représentants (de la grande vieille bourgeoisie de Genève réunis pour dénoncer la destruction de Louvain) dire qu’il ne faut point se presser, qu’on connaît mal les faits, qu’il faut attendre, attendre ; puisqu’aujourd’hui encore, après un mois de lectures et de méditation, on ne sait pas encore exactement els causes de la guerre, comment se prononcer sur l’incendie de Louvain, une semaine après ?...

Edmond Perrier, de l’Académie des Sciences, directeur du Museum, croit nécessaire (feuilleton du « Temps », 26 août) de reprendre pour son compte la thèse d’Armand de Quatrefages : que les Prussiens ne sont pas des Aryens, mais descendent en droite ligne des hommes préhistoriques, appelés Allophylles par les anthropologistes, mélangés aux Slaves dans le bassin de la Vistule, et constituent ainsi la race mixte des Prusci ou Prützi, belliqueux, astucieux, vindicatifs, cruels, additionnés plus tard de chevaliers barbares de l’ordre Teutonique, et plus tard encore de protestants français :

« Tels sont les éléments troubles, faits de violence, de perfidie, de rancune, de barbarie, et d’un piétisme qui apparaît de la façon la plus anachronique dans les discours du Kaiser, dont est constituée la race prussienne et qui explique l’inconscience avec laquelle se représentants les plus autorisés ont tenu dans ces derniers temps un langage et une attitude qui ont soulevé l’unanime indignation des puissances européennes. L’homme de l’âge de pierre est demeuré tellement vivant parmi les maîtres des Germains que, si développée qu’en fût la voûte, le crâne moderne, dont la base, reflet de la puissance des appétits, rappelle le mieux le crâne de l’homme fossile de la Chapelle-aux-Saints, est celui du prince de Bismarck. »

Ainsi, la science, à son tour, s’enrégimente au service de la haine de races.

Le philosophe Eucken prend parti dans la lutte pour l’Allemagne, champion du progrès humain.

Les socialistes allemands sont enrôlés dans la politique de conquête prussienne ; aucun des cent onze députés n’a fait d’opposition, au Reichstag. Un ordre du ministre de la guerre autorise les distributions des journaux et ouvrages socialistes jusque dans les casernes…

De son côté, Gustave Hervé se porte garant du patriotisme de son parti. « Nous sommes la garde républicaine, disciplinée, fanatique, patriotique. Le ministre n’a pas voulu que j’aille à la guerre, il y a cinq semaines. Et à présent, la frontière vient vers moi. »

12 septembre 1914 – La haine continue de grossir dans le cœur des hommes de lettres français : Barrès, qui intitulait un de ses récents articles : « La botte pleine de crottin », dans celui d’aujourd’hui (« Echo de Paris », 14 septembre), délire d’une fureur bilieuse : « La France a le dessus contre la Bête… La France a saisi la Bête… La défaite du Mal, de la Barbarie, de la Bête… »

Le « journal de Genève » du 22-23 septembre publie, en supplément, un long article de moi : « Au-dessus de la Mêlée », qui est en même temps qu’un hommage à la jeunesse héroïque d’Europe, un réquisitoire contre les auteurs criminels de cette guerre et un appel à l’union des esprits européens. Ces paroles de paix tombent au plus fort des combats furieux livrés sur l’Aisne depuis dix jours et des fureurs soulevées par l’incendie de Reims...

PRO ARIS

Septembre 1914.[1]
Parmi tant de crimes de cette guerre infâme, qui nous sont tous odieux, pourquoi avons-nous choisi, pour protester contre eux, les crimes contre les choses et non contre les hommes, la destruction des œuvres et non pas celle des vies ? Plusieurs s’en sont étonnés, nous l’ont même reproché, — comme si nous n’avions pas autant de pitié qu’eux pour les corps et les cœurs des milliers de victimes qui sont crucifiées ! Mais de même qu’au-dessus des armées qui tombent plane la vision de leur amour, de la Patrie, à qui elles se sacrifient, — au-dessus de ces vies qui passent passe sur leurs épaules l’Arche sainte de l’art (et de la pensée des siècles. Les porteurs peuvent changer. Que l’Arche soit sauvée ! À l’élite du monde en incombe la garde. Et puisque le trésor commun est menacé, qu’elle se lève pour le protéger.

J’aime à voir que, d’ailleurs, ce n’est pas dans les pays latins que ce devoir sacré a pu jamais cesser d’être tenu pour le premier de tous. Notre France, qui saigne de tant d’autres blessures, n’a rien souffert de plus cruel que de l’attentat contre son Parthénon, la cathédrale de Reims, Notre-Dame de France. Les lettres que j’ai reçues de familles éprouvées, de soldats qui, depuis deux mois, supportent toutes les peines, me montrent (et j’en suis fier, pour eux et pour mon peuple) qu’aucun deuil ne leur fut plus lourd. — C’est que nous mettons l’esprit au-dessus de la chair. Bien différents en cela de ces intellectuels allemands qui, tous, à mes reproches pour les actes sacrilèges de leurs armées dévastatrices, m’ont répondu, d’une voix : « Périssent tous les chefs-d’œuvre, plutôt qu’un soldat allemand !... »

Une œuvre comme Reims est beaucoup plus qu’une vie : elle est un peuple, elle est ses siècles qui frémissent comme une symphonie dans cet orgue de pierre ; elle est ses souvenirs de joie, de gloire et de douleur, ses méditations, ses ironies, ses rêves ; elle est l’arbre de la race, dont les racines plongent au plus profond de sa terre et qui, d’un élan sublime, tend ses bras vers le ciel. Elle est bien plus encore : sa beauté qui domine les luttes des nations, est l’harmonieuse réponse faite par le genre humain à l’énigme du monde, — cette lumière de l’esprit, plus nécessaire aux âmes que celle du soleil.

Qui tue cette œuvre assassine plus qu’un homme, il assassine l’âme la plus pure d’une race. Son crime est inexpiable, et Dante l’eût puni d’une agonie éternelle de sa race, — éternellement renouvelée. Nous qui répudions l’esprit vindicatif de ce cruel génie, nous ne rendons pas un peuple responsable des actes de quelques-uns. Il nous suffit du drame qui se déroule sous nos yeux, et dont le dénouement presque infaillible doit être l’écroulement de l’hégémonie allemande. Ce qui le rend surtout poignant, c’est que pas un de ceux qui constituent l’élite intellectuelle et morale de l’Allemagne, — cette centaine de hauts esprits et ces milliers de braves cœurs, dont aucune grande nation ne fut jamais dépourvue, — pas un ne se doute vraiment des crimes de son gouvernement ; pas un, des atrocités commises en Wallonie, dans le Nord et dans l’Est français, pendant les deux ou trois premières semaines de la guerre ; pas un, (cela semble une gageure !) de la dévastation volontaire des villes de Belgique et de la ruine de Reims. S’ils venaient à envisager la réalité, je sais que beaucoup d’entre eux pleureraient de douleur et de honte ; et de tous les forfaits de l’impérialisme prussien, le pire, le plus vil, est d’avoir dissimulé ses forfaits à son peuple : car, en le privant des moyens de protester contre eux, il l’en a rendu solidaire pour des siècles ; il a abusé de son magnifique dévouement.

Certes, les intellectuels sont coupables, eux aussi. Car si l’on peut admettre que les braves gens qui, dans tous les pays, acceptent docilement les nouvelles que leur donnent en pâture leurs journaux et leurs chefs, se soient laissés duper, on ne le pardonna pas à ceux dont c’est le métier de chercher la vérité au milieu de l’erreur et de savoir ce que valent les témoignages de l’intérêt ou de la passion hallucinée ; leur devoir élémentaire (devoir de loyauté autant que de bon sens), avant de trancher dans ce débat affreux, dont l’enjeu était la destruction de peuples et de trésors de l’esprit, eût été de s’entourer des enquêtes des deux partis. Par loyalisme aveugle, par coupable confiance, ils se sont jetés tête baissée dans les filets que leur tendait leur impérialisme. Ils ont cru que le premier devoir pour eux était, les yeux fermés de défendre l’honneur de leur État contre toute accusation. Ils n’ont pas vu que le plus noble moyen de le défendre était de réprouver ses fautes et d’en laver leur patrie...

J’ai attendu des plus fiers esprits de l’Allemagne ce viril désaveu qui aurait pu la grandir, au lieu de l’humilier. La lettre que j’écrivis à l’un d’eux, au lendemain du jour où la voix brutale de l’Agence Wolff proclama pompeusement qu’il ne restait plus de Louvain qu’un monceau de cendres, — l’élite entière d’Allemagne l’a reçue en ennemie. Elle n’a pas compris que je lui offrais l’occasion de dégager l’Allemagne de l’étreinte des forfaits que commettait en son nom son Empire. Que lui demandais-je ? Que vous demandais-je à tous, artistes d’Allemagne ? — D’exprimer tout au moins un regret courageux des excès accomplis et d’oser rappeler à un pouvoir sans frein que la patrie elle-même ne peut se sauver par des crimes et qu’au-dessus de ses droits sont ceux de l’esprit humain. Je ne demandais qu’une voix, une seule qui fût libre... Aucune voix n’a parlé. Et je n’ai entendu que la clameur des troupeaux, les meutes d’intellectuels aboyant sur la piste où le chasseur les lance, cette insolente Adresse où, sans le moindre essai pour justifier ses crimes, vous avez, unanimement, déclaré qu’ils n’existaient point. Et vos théologiens, vos pasteurs, vos prédicateurs de cour, ont attesté de plus que vous étiez très justes et que vous bénissiez Dieu de vous avoir faits ainsi... Race de pharisiens ! Quel châtiment d’en haut flagellera votre orgueil sacrilège !... Ah ! vous ne vous doutez pas du mal que vous aurez fait aux vôtres ! La mégalomanie, menaçante pour le monde, d’un Ostwald ou d’un H.-S. Chamberlain[2], l’entêtement criminel des quatre-vingt-treize intellectuels à ne pas vouloir voir la vérité, auront coûté plus cher à l’Allemagne que dix défaites.

Que vous êtes maladroits ! Je crois que de tous vos défauts, la maladresse est le pire. Vous n’avez pas dit un mot, depuis le commencement de cette guerre, qui n’ait été plus funeste pour vous que toutes les paroles de vos adversaires. Les pires accusations qu’on ait portées contre vous, c’est vous qui en avez fourni, de gaieté de cœur, la preuve ou l’argument. De même que ce sont vos Agences officielles qui, dans l’illusion stupide de nous terroriser, ont lancé, les premières, les récits emphatiques de vos plus sinistres dévastations, — c’est vous qui, lorsque les plus impartiaux de vos adversaires s’efforçaient, par justice, de limiter à quelques-uns de vos chefs et de vos armées la responsabilité de ces actes, en avez rageusement réclamé votre part. C’est vous qui, au lendemain de cette ruine de Reims, qui, dans le fond du cœur, devait aussi consterner les meilleurs d’entre vous, au lieu de vous excuser, vous en êtes, par orgueil imbécile, vantés[3]. C’est vous, malheureux, vous, représentants de l’esprit, qui n’avez point cessé de célébrer la force et de mépriser les faibles, comme si vous ne saviez pas que la roue de la fortune tourne, que cette force un jour pèsera de nouveau sur vous, ainsi qu’aux siècles passés, où du moins vos grands hommes conservaient la ressource de n’avoir pas abdiqué devait elle la souveraineté de l’esprit et les droits sacrés du droit !... Quels reproches, quels remords vous vous préparez pour l’avenir, ô conducteurs hallucinés, qui menez vers le fossé votre nation qui vous suit, ainsi que les aveugles trébuchants de Brueghel !

Les tristes arguments que vous nous avez opposés, depuis deux mois !

1° La guerre est la guerre, dites-vous, c’est-à-dire sans mesure commune avec le reste des choses, au delà de la morale, de la raison, de toutes les limites de la vie ordinaire, une sorte d’état surnaturel, devant quoi il ne reste qu’à s’incliner sans discuter ;

2° L’Allemagne est l’Allemagne, c’est-à-dire sans mesure commune avec le reste des peuples ; les lois qui s’appliquent aux autres ne s’appliquent pas à elle, et les droits qu’elle s’arroge de violer le droit n’appartiennent qu’à elle. C’est ainsi qu’elle peut, sans crime, déchirer ses promesses écrites, trahir ses serments donnés, violer la neutralité des peuples qu’elle a juré de défendre. Mais elle prétend, en retour, trouver dans les peuples qu’elle outrage « de chevaleresques adversaires » ; et que cela ne soit pas et qu’ils osent se défendre, par tous les moyens et les armes qui leur restent, elle le proclame un crime !...

On reconnaît bien là les enseignements intéressés de vos maîtres prussiens ! Artistes d’Allemagne, je ne mets pas en doute votre sincérité ; mais vous n’êtes plus capables de voir la vérité ; l’impérialisme de Prusse vous a enfoncé sur les yeux et jusque sur la conscience, son casque à pointe.

« Nécessité ne connaît pas de loi. »... Voici le Onzième Commandement, le message que vous apportez aujourd’hui à l’univers, fils de Kant !... Nous l’avons entendu plus d’une fois, dans l’histoire : c’est la fameuse doctrine du Salut Public, mère des héroïsmes et des crimes. Chaque peuple y a recours, à l’heure du danger ; mais les plus grands sont ceux qui défendent contre elle leur âme immortelle. Il y a quelque quinze ans, lors de ce fameux procès où l’on vit opposé un seul homme innocent à la force de l’État, nous l’avons, nous Français, affrontée et brisée, l’idole du Salut Public, quand elle menaçait, comme disait notre Péguy, « le salut éternel de la France ».
Écoutez-le, celui que vous venez de tuer, écoutez un héros de la conscience française, écrivains qui avez la garde de la conscience de l’Allemagne !

« Nos adversaires d’alors, écrit Charles Péguy, parlaient le langage de la raison d’État, du salut temporel du peuple et de la race. Et nous, par un mouvement chrétien profond, par une poussée révolutionnaire et ensemble traditionnelle de christianisme, nous n’allions pas à moins qu’à nous élever à la passion, au souci du salut éternel de ce peuple. Nous ne voulions pas que la France fût constituée en état de péché mortel. »

Ce n’est pas votre souci, penseurs de l’Allemagne. Vous donnez votre sang bravement, pour sauver sa vie mortelle. Mais de sa vie éternelle vous ne vous inquiétez pas... Certes, l’heure est terrible. Votre patrie, comme la nôtre, lutte pour l’existence ; et je comprends et j’admire l’ivresse de sacrifice qui pousse votre jeunesse, comme la nôtre, à lui faire un rempart de son corps contre la mort. « Être ou ne pas être... », dites-vous ? — Non, ce n’est pas assez ! Être la grande Allemagne, être la grande France, dignes de leur passé, et sachant se respecter soi-même et l’une l’autre, même en se combattant : voilà ce que je veux. Je rougirais de la victoire, si ma France l’achetait au prix dont vous payez vos succès sans lendemain. En même temps que les batailles sur les plaines de Belgique et les coteaux crayeux de Champagne se livrent, une autre guerre a lieu dans les champs de l’esprit ; et parfois une victoire d’en bas est une défaite, en haut. La conquête de la Belgique, Malines, Louvain et Reims, les carillons de Flandre, sonneront dans votre histoire un plus lugubre glas que les cloches de Iéna ; et les Belges vaincus vous ont ravi la gloire. Vous le savez. Votre fureur vient de ce que vous le savez. À quoi bon essayer vainement de vous tromper ? La vérité finira par se faire jour en vous. Vous avez beau l’étouffer. Un jour, elle parlera. Elle parlera par vous, par la bouche d’un des vôtres, en qui se sera réveillée la conscience de votre race… Ah ! qu’il paraisse enfin, qu’on l’entende, le génie libérateur et pur, qui vous rachète ! Celui qui a vécu dans l’intimité de votre vieille Allemagne, qui l’a tenue par la main dans les ruelles tortueuses de son passé héroïque et sordide, qui a respiré ses siècles d’épreuves et de hontes, se souvient et attend : car il sait que si jamais elle ne fut assez forte pour supporter la Victoire sans trébucher, c’est à ses pires heures qu’elle se régénère ; et ses plus hauts génies sont fils de la douleur.

Septembre 1914.


Depuis que ces lignes furent écrites, j’ai vu naître l’inquiétude, qui peu à peu chemine dans les consciences des braves gens d’Allemagne. D’abord, un doute secret, refoulé par l’effort têtu pour croire aux mauvaises raisons, ramassées dans le ruisseau par leur gouvernement — documents fabriqués pour prouver que la Belgique avait renoncé elle-même à sa neutralité, fausses allégations — (en vain démenties, quatre fois, par le gouvernement français, par le généralissime, par l’archiprêtre et l’archevêque, par le maire de Reims) — accusant les Français d’avoir usé de la cathédrale de Reims pour un objet militaire. À défaut d’arguments, leur système de défense est parfois d’une naïveté déconcertante :

« Est-il possible, disent-ils, qu’on accuse d’avoir voulu détruire des monuments artistiques le peuple le plus respectueux de l’art, celui auquel on inculque ce respect dès l’enfance, celui qui a le plus de manuels et de collections d’histoire de l’art, le plus de cours d’esthétique ? Est-il possible qu’on accuse des actes les plus barbares le peuple le plus humain, le plus affectueux, le plus familial ! »

Il ne leur vient pas à l’idée que l’Allemagne n’est pas faite d’une seule race d’hommes et qu’à côté de la masse docile, qui est née pour obéir, pour respecter la loi, toutes les lois, il y a la race qui commande, qui se croit au-dessus des lois, qui les fait et défait, parce qu’elle se dit la force et la nécessité (Not…) — C’est ce mauvais mariage de l’idéalisme et de la force allemande qui mène à ces désastres. L’idéalisme est femme, femme éprise, qui, comme tant de ces braves épouses allemandes, est en adoration devant son seigneur et maître, et se refuse à supposer même qu’il puisse avoir jamais tort.

Il faudra bien pourtant, pour le salut de l’Allemagne, qu’elle en arrive un jour à la pensée du divorce, ou que la femme ait le courage de faire entendre sa voix dans le ménage. Je sais déjà quelques esprits qui commencent à réclamer les droits de l’esprit contre la force. Dans ces derniers temps, maintes voix d’Allemagne sont venues jusqu’à nous, par lettres, protestant contre la guerre et déplorant avec nous les mêmes injustices. (Je ne les nommerai point, pour ne pas les compromettre.) — Il n’y a pas très longtemps, je disais à la Foire sur la Place qui encombrait Paris, qu’elle n’était pas la France, Je le dis aujourd’hui à la Foire allemande : « Vous n’êtes pas la vraie Allemagne. » Il en existe une autre, plus juste et plus humaine, dont l’ambition n’est pas de dominer le monde par la force et la ruse, mais d’absorber pacifiquement tout ce qu’il y a de grand dans les pensées des autres races et d’en rayonner en retour l’harmonie. Celle-là n’est pas en cause. Nous ne sommes pas ses ennemis. Nous sommes les ennemis de ceux qui ont presque réussi à faire oublier au monde qu’elle vivait encore.

1. Écrit après le bombardement de la cathédrale de Reims.

2. Quand j’ai écrit ceci, je ne connaissais pas encore l’article monstrueux de Thomas Mann (dans la Neue Rundschau de novembre 1914), s’acharnant, dans un accès de fureur d’orgueil blessé, à revendiquer comme un titre de gloire pour l’Allemagne tout ce dont l’accusent ses adversaires, — osant écrire que la guerre actuelle était la guerre de la Kultur allemande « contre la civilisation », proclamant que la pensée allemande n’avait pas d’autre idéal que le militarisme, et se faisant un étendard de ces vers qui sont l’apologie de la force opprimant la faiblesse :

3.
Denn der Mensch verkümmert im Frieden,
Müssige Ruh ist das Grab des Muts.
Das Gesetz ist der Freund des Schwachen,
Alles will es nur eben machen.
Möchte gern die Welt verflachen,
Aber der Krieg lässt die Kraft erscheinen...
(« L’homme dépérit dans la paix. Le repos oisif est le tombeau du cœur. La loi est l’amie du faible ; elle veut tout aplanir ; si elle pouvait, elle aplatirait le monde ; mais la guerre fait surgir la force... »)

Ainsi, dans une arène, un taureau, fou de rage, se rue tête baissée sur l’épée que lui tend le matador, et s’enferre.

4. Comme l’écrit un de ces jeunes « pédants de barbarie » (ainsi les appelle justement Miguel de Unamuno) « on a le droit de détruire, quand on a la force de créer » (Wer stark ist zu schaffen, der darf auch zerstören). — Friedr. Gundolf : Tat und Wort im Krieg, publié dans la Frankf. Zeit. du 11 octobre. — Cf. l’article du vieux Haus Thoma, dans la Leipziger Illustrierte Zeitung, du 1er octobre.

26 septembre 1914 – Albert de Mun, jusqu’alors assez généreux, apostrophe par leur nom (Barrès ne l’ose pas) Vandervelde et Anatole France « qui font appel à l’amitié du peuple français pour l’ennemi vaincu. » Et dans un article intitulé « Delenda Carthago » (25 septembre), il dit : « C’est une campagne qui commence, il faut y couper court… Pas d’amitié possible. Seul l’écrasement définitif. »

Stephan Zweig me fait parvenir un article de lui, paru dans le « Berliner Tagblatt » (du 20 septembre) : « An die Freunde in Fremdland. » Il y dit adieu à ses amis étrangers, pour suivre la patrie. Je lui envoie mon article « Au-dessus de la Mêlée » avec ces mots : « Je suis plus fidèle que vous à notre Europe, cher Stefan Zweig, et je ne dis adieu à aucun de mes amis. »

29 septembre 1914 – La fureur bêtise germanophobe a encore monté, à Paris. Frédéric Masson déclare que désormais, « rien des barbares, rien de leur littérature, de leur musique, de leur art, de leur science, de leur culture, ne doit souiller notre esprit, notre intelligence et notre cœur. Il faut, par la loi, par la persuasion, par la force et, au besoin, par la violence, imposer une règle qui est la règle même du patriotisme. Messieurs de l’art sans patrie iront, s’il leur plaît, entendre du Wagner en Allemagne ; tant pis si leur retour est accidenté. On ne jouera plus Wagner en France. » (Echo de Paris, 27 septembre.)

Herbert Eulenberg me fait parvenir une « Antwort » an R.R. parue dans la « Koelnische Zeitung » du 17 septembre, où il accuse les Belges d’avoir commencé. Je reçois une lettre d’un professeur Dekker, Oherleherer à une école supérieure allemande qui déclare que « c’est l’Angleterre qui fait la guerre, que ce sont les Belges qui ont brûlé Louvain, et les canons français qui ont démoli Reims. » Après quoi, « vive la guerre ! » Deux autres lettres, d’un jeune directeur d’orchestre, Walter Braunfels et de sa femme qui est fille du sculpteur Hildebrand ; ils proclament que « les soldats allemands sont les héritiers héroïques, non d’Attila, mais de Beethoven ! »

3 octobre 1914 – Avec la merveilleuse organisation de l’Allemagne et son esprit de caserne, les intellectuels allemands viennent de publier collectivement, en toutes les langues, un « Appel aux nations civilisées », dont plusieurs exemplaires me sont envoyés… Il nous faut bien admettre ce qu’ils déclarent publiquement : que le militarisme et la culture allemande ne font plus qu’un. Ce ne sera point de notre faute si l’un et l’autre partagent le même sort. Il ne se trouvera donc pas un seul homme pour sauver la pensée de son peuple !

Frédéric Masson, de l’Académie française, redouble, dans l’ « Echo de Paris » (5 octobre) de fureur teutonicide. Dans un article « Dehors les Barbares ! » il s’indigne qu’on ait osé défendre Wagner contre ses prescriptions.

De l’autre côté du Rhin, l’écrivain Strohl propose de boycotter toutes les œuvres littéraires françaises et anglaises jusqu’à ce que les Anglais et les Français s’amendent.

A noter ces loufoqueries, j’ai un singulier amusement mêlé de dégoût. L’élire européenne : l’ilote ivre…

Dès la déclaration de guerre, tous les Allemands, hommes, femmes, enfants, qui se trouvaient en France (et ils étaient nombreux), ont été faits prisonniers et expédiés ça et là dans des camps de concentration… Des jeunes filles du monde, des hommes distingués, des vieillards, doivent depuis deux mois coucher sur la paille (je le sais par des lettres), et les prises sont à peu près égales des deux côtés…

Saint-Saëns, trop heureux de l’exemple donné par l’imbécile Frédéric Masson, « tombe » à son tour Wagner (Echo de Paris, 6 octobre) : « … Après les massacres de femmes et d’enfants, comment peut-il se trouver des Français pour entendre Wagner ? Iriez-vous applaudir un merveilleux chanteur s’il avait insulté votre mère ? »

16 octobre 1914 – De Miguel de Unamuno (Salamanque, 9 octobre) :

« C’est avec un grand plaisir que j’ai reçu votre lettre… Je vous envoie mon soutien à votre protestation contre le bombardement de Reims… signé Miguel de Unamuno. P.S. – A la fin de presque quatorze années de rectorat, on vient de me destituer violemment et sans me dire pourquoi…

Le pasteur Adolf Keller m’écrit (11 octobre) :

« … Je vous envoie ces pages comme une preuve que l’Allemagne idéaliste existe toujours et n’est pas écrasée tout à fait par le militarisme ni étouffée dans une hypnose générale… Ceux qui appartiennent à l’humanité doivent se saluer par-dessus les marées de sang qui séparent les peuples. »

Et voilà ce que Barrès et ses semblables rêvent d’écraser, d’humilier ! Ce Barrès, délirant d’orgueil stupide, qui ose écrire aujourd’hui cette sottise : « La puissance germanique sera brisée, morcelée, et les Allemands eux-mêmes baiseront nos genoux en nous remerciant de les avoir guéris de leur délire d’orgueil ! » (Echo de Paris, 21 octobre)…

Le professeur Aulard, mon collègue à la Sorbonne, me dénonce dans Le Matin du 23 octobre, sous le titre « Germanophilie déplacée » ; mes articles du « Journal de Genève » lui semblent hérétiques ; il éprouve le besoin de se désolidariser, lui et la Sorbonne, de mes opinions… La perfidie d’Aulard déclenche contre moi la campagne des journaux de droite et de gauche. L’ « Action française » et « L’Intransigeant » me traitent de métèque et de Suisse… « La Croix » a le bouquet dans un entrefilet intitulé « Un pilier de la civilisation » :

« Dans le Journal de Genève, le Suisse ( !) Romain Rolland, qui a professé naguère en Sorbonne, à titre étranger ( !!) des cours rétribués librement par ses élèves ( !!!) morigène doucement « ses amis allemands » et blâme avec vigueur les alliés qui « ébranlent les piliers de la civilisation » en se faisant aider par les Cosaques, des Marocains, des Soudanais, des Sikhs… Cette allusion aux armées qui ébranlent les piliers s’appliquerait tout naturellement aux destructeurs des cathédrales ; mais dans la cacophonie intellectuelle de M. Romain Rolland ce sont les Alliés que cela regarde. M. Aulard lui-même, le pacifiste d’autrefois, n’hésite pas à flétrir dans Le Matin l’attitude de ce pilier d’impudence qui se croit un pilier de la civilisation. »

Quand j’interpellais Hauptmann par un « Etes-vous les fils de Goethe ou d’Attila ? », la presse française a retenu : « Il les appelle les fils de Goethe ! » et la presse allemande : « Il nous appelle les fils d’Attila ! »

Bergson refuse de prendre part au Cahier projeté ensemble sur Reims et Louvain… On remarquera que sa lettre de refus est du 25 octobre, deux jours après l’article d’Aulard dans Le Matin. Il considère que c’est aux neutres de protester, et non pas aux Français qui n’ont qu’à se défendre. Il croit que toute polémique avec les Allemands nous diminuerait… Il me demande de ne pas publier sa lettre.

Chaque courrier m’apporte un tas de basses invectives de la presse française, ameutée contre moi… Ce docteur de Paris, qui, après m’avoir injurié, ajoute : « Je n’ai rien lu de vous, je n’ai pas le temps, mais ce que dit Le Matin me suffit pour vous connaître… » !...

Justice soit rendue à quelques socialistes allemands ! On a seulement connaissance, à la fin octobre, d’une déclaration du 10 septembre, signée de Karl Liebnecht, Rosa Luxemburg, Franz Mehring et Clara Zetkin : ils désavouent les tentatives de Sudekum et Richard Fischer pour défendre la guerre actuelle, et ils ajoutent que l’état de siège actuel leur interdisait d’exprimer leur opinion. Ils affirment que quatorze socialistes, au Reichstag, ont refusé les crédits de guerre (plus trois autres qui n’assistaient pas à la séance)…

A propos des attaques contre moi en France, Stefan Zweig me dit que lui-même est attaqué en Autriche, pour m’avoir fait connaître et pour avoir toujours défendu mon esprit de justice.

10 novembre 1914 – Heinrich Roeffel, sujet hollandais, infirmier volontaire. A Châlons, on le déshabille complètement. On voit dans son carnet le nom de Mannesmann. Un officier supérieur ordonne de le faire fusiller…

André Gide me répond longuement. Il trouve trop dangereux le désir (exprimé dans mon article « Au-dessus de la mêlée ») « de vouloir demeurer à la fois neutre et français. »

D’Ernest Psichari, petit-fils de Renan, qui a été tué récemment, L’Echo de Paris rappelle ces lignes (de « L’Appel des Armes ») qu’il qualifie de « touchantes » : « Mon Dieu, faites que je tue beaucoup d’ennemis !... »

Le pasteur évangélistewurtembourgeois, Schrenk, établit, dans un article sur « La guerre et le Nouveau Testament », que « ni Jean-Baptiste, ni Jésus, ni les Apôtres n’ont entendu supprimer le militarisme. » Et il se trouve des pasteurs de Suisse française pour l’approuver (voir le pasteur Charles Correvon, de Neuchâtel, dans le « Journal religieux » de Neuchâtel, 14 novembre).

Les jeunes théologiens de l’école libérale de Rischl et de Jatho s’enrôlent volontairement comme soldats. Ainsi Kübel, rédacteur de la « Chronik der christilichen Welt », à Francfort, et Zurhellen, de Francfort, ainsi que les plus fervents adeptes du christianisme social et du pacifisme. C’est bien la faillite complète des églises chrétiennes, protestantes et catholiques. Je ne l’oublierai point…

Henri Guilbeaux publie, dans « La Bataille Syndicaliste » du 13 novembre, une « Lettre ouverte à R.R. », qui est la plus vigoureuse défense qu’on ait faite de moi. Et Dunois, dans l’Humanité du 15 novembre, donne, avec la même sympathie, une longue analyse de mon « Inter arma caritas », sous le titre « Un nouvel appel de R.R. »

La maladresse allemande : le bon Stefan Zweig m’adresse, sans doute pour m’éclairer, un numéro de la « Neue Rundschau » de Berlin (novembre 1914). On y trouve un premier article de Thomas Mann : « Gedanken im Kriege », qui est bien le plus terrible que j’aie encore lu d’un intellectuel allemand. Il commence par distinguer la « Kultur » de la « Civilisation »… Il décrit l’extase où la guerre a jeté les artistes allemands, leur renaissance morale. La guerre a été une purification, une délivrance… Il compare la France à une femme qui vous provoque et qui crie dès qu’on la touche…

26 décembre 1914 – Barrès, déposant sur le bureau de la Chambre un projet pour une fête nationale de Jeanne d’Arc, n’oppose pas seulement le culte français de Jeanne d’Arc au culte allemand d’Odin et des Walkyries ( !), il a l’effronterie de voir dans l’alliance franco-anglaise l’expression de la Pucelle, « l’accomplissement de sa pensée totale ». Car, « sa mission complète, c’était de défendre avec les Anglais la civilisation… ». Comme s’il ne savait pas que, dans la pensée de Jeanne d’Arc, Anglais voulait dire ennemis…

Les intellectuels français et les intellectuels allemands ont, comme je le pressentais, échangé leurs positions. Ceux-ci se calment à mesure que les autres extravaguent. Deux catholiques français connus, le journaliste Julien de Narfon et le député Charles Dupuy, font paraître une brochure : « La guerre rédemptrice », près de laquelle le Manifeste des 93 paraît un modèle de modération. Narfon démontre d’abord que l’Eglise autorise la guerre, l’enjoint même, quand la cause est juste. Ceci posé, il prouve que la guerre faite par la France est sainte…

Février 1915. ─ Un écrivain hindou, qui habite en Angleterre où il s’est marié, le Dr. Ananda K. Coomaraswamy, me dédie un très bel article qu’il m’envoie de Britford (Salisbury). « Une politique mondiale pour les Indes » (paru dans The New Age, 24 déc. 1914). ─ J’en détache quelques lignes :
« Ceux qui oublient que les princes hindous sont les créatures des résidents anglais, que les troupes hindoues sont prises dans les races amoureuses de la guerre et habituées à épouser aveuglément les querelles de leurs maîtres, peuvent s’imaginer que l’Inde est avec les Alliés. Il est certain, d’autre part, que les Hindous vivant en Angleterre aiment leur pays d’adoption. Quoi d’étonnant, si l’on réfléchit qu’aux Indes les lettres sont ouvertes à la poste, et que la déportation sans jugement se fait, en temps de paix ! ─ Je dois dire que la répartition de l’Europe est un problème qui ne concerne pas l’Inde. Notre idéal racial n’étant pas en danger, nous n’avons pas l’excuse des Allemands ou des Alliés pour abandonner l’idéal de l’humanité. Nous qui croyons que la civilisation n’a d’autre but que de rendre les hommes plus artistes, plus aimants et plus sages, nous n’avons même pas l’excuse des penseurs européens pour compromettre l’indépendance de notre pensée. Il se peut qu’entre deux maux, pour nous, le moindre soit l’Angleterre ; il se peut que notre coopération dans cette guerre nous serve politiquement..., Mais tout ceci n’a pas de rapports étroits avec nos intérêts permanents... Cette guerre européenne marque une crise dans l’histoire de la culture occidentale. Elle a démontré la déloyauté et l’hypocrisie de la Chrétienté. La culture de l’Europe est sur le point de se renouveler. Après la guerre, l’Europe va entrer dans une période d’activité créatrice où elle essaiera de réaliser enfin dans sa vie extérieure les vérités découvertes dans l’âge précédent. Ce sera quelque chose d’analogue à l’évolution sociale des Indes après les Upanishads et Buddha. Mais cette activité ne peut être partielle ; il y faut la coopération de l’Asie. Le militarisme, le capitalisme, l’industrialisme, l’impérialisme, ne pourraient être abolis en Europe et survivre en Asie. Donc l’Inde doit jouer son rôle dans le monde. Il y a en ce moment une guerre mondiale des cœurs et des esprits, un universel Kulturkampf, d’où va surgir la civilisation de l’humanité. Et nous, Hindous, nous devons y prendre part. Sans doute, l’Inde moderne semble morte ; elle n’a ni âme ni caractère. Mais pour retrouver cette âme, il lui faut chercher autre chose que sa propre vie et son propre bonheur. Elle ne se retrouvera elle-même qu’en se donnant tout entière. Qu’elle ne travaille ni pour les Hindous ni contre les Anglais, mais pour tous les hommes, et qu’elle rende à l’Europe le bien pour le mal ! Si en ce moment elle n’est plus créatrice, du moins elle a la sagesse du passé ; elle tient dans ses mains la science de la paix, qui, loin d’inculquer l’inaction, enseigna à Arjuna à combattre de toute sa force, tout en tenant son esprit au-dessus de la mêlée, et lui montra la vanité passagère de la vie et la nécessité du combat désintéressé. L’Inde n’a pas seulement formulé la philosophie la plus profonde de l’univers, mais elle a essayé de construire un organisme social, la théocratie brahmine, sur les bases de la philosophie et de l’amour. En Europe, les artistes, les sauveurs et les philosophes ont été regardés comme n’étant pas pratiques, seulement parce que ceux qui prétendent l’être ne songent pas à les prendre pour guides : c’est pourquoi l’histoire des trois derniers siècles de l’Europe a été celle d’une marche en avant sans direction... Qu’a accompli la religion de l’Europe ? Elle s’est condamnée elle-même par l’état actuel de la société européenne, en temps de paix comme en temps de guerre. Sa religion est du temps... Pour la religion du temps, Dieu, mon prochain, et moi-même, faisons trois ; et pour la religion de l’Éternité ils ne sont qu’un. Sans cette religion de l’Éternité qui est celle du vrai Christ, de Lao-Tse, des Upanishads et de la Baghavadgita, il ne peut y avoir de paix. Le temps approche où l’Europe découvrira en elle-même cette religion de l’Éternité... Je ne sais si l’Europe pourra trouver toute seule le chemin qu’il y mène ; mais je sais quelle n’a pas trop de répugnance ni trop de fierté pour demander notre aide, et que si nous ne sommes pas avec elle nous serons contre elle... Nous avons une politique mondiale ; et en la suivant, nous recouvrerons notre héritage ; nous devons prendre tout ce que nous avons de meilleur et de plus profond, surtout notre philosophie, notre passion, notre musique, et nous devons donner tout cela au monde, sans rien conserver, dans la sûre conviction que peu importe ce qu’il adviendra de l’Inde, pourvu que ses fruits soient mis en un sol fertile. Nous devons détruire l’idée que la civilisation est un objet d’importation d’une partie du monde dans l’autre, excuse banale de tout empire anglais ou allemand ; nous devons la remplacer par la coopération de l’univers entier dans l’évolution d’une nouvelle humanité, à la fois nationale et internationale, d’une culture variée suivant les lieux, mais qui soit essentiellement la civilisation de tous et la creation consciente de tous. »

Avril 1915 – Gabriele d’Annunzio célèbre Garibaldi, à Quarto, près de Gênes (8 mai). Cet homme, qui est le mensonge littéraire incarné, ose se poser en Jésus ! Il « loue » Jésus, et refait le Serment sur la Montagne, pour exciter l’Italie à violer ses traités et à faire la guerre à ses alliés d’hier :

« … Bienheureux les jeunes qui sont affamés et assoiffés de gloire, car ils seront rassasiés !

« Bienheureux les miséricordieux, car ils auront à essuyer un sang resplendissant, à panser une douleur rayonnante !

« Bienheureux ceux qui ont le cœur pur : bienheureux ceux qui reviennent avec la victoire… » etc…

L’autre grand menteur des lettres, qui n’a pas comme le premier l’excuse d’être dupe de son verbe, Barrès, célèbre (6 mai, Echo de Paris) la France conquérant la rive gauche du Rhin, pour le bonheur des conquis. « Honneur aux Soldats de France, qui, rendant au monde la paix, se trouvent travailler, au prix de leur sang, pour le bonheur même des fils et petits-fils de leurs ennemis ! »

Junius, plus franc, laisse à d’autres le cliché de « la dernière guerre », de « la guerre pour la paix », et nous annonce avec satisfaction la guerre perpétuelle (Echo de Paris, 4 mai)…

Les journaux allemands donnent des extraits de l’enquête de « Svenska Dagbladet », en opposant ma réponse à celle du chimiste anglais, sir William Ramsay, qui, dans le même numéro, répond :

« … Je crains que l’horreur de tout le monde civilisé pour la déchéance morale des Allemands, telle qu’elle se manifeste en Belgique, France et Russie occupées, ne rende extrêmement invraisemblable la reprise des rapports internationaux avec des individus de cette race, avant que plusieurs générations aient passé…. »

10 avril 1915 - LETTRE AU JOURNAL
« SVENSKA DAGBLADET » DE STOCKHOLM [1]

La pensée européenne de demain est aux armées. Les bruyants intellectuels qui s’insultent d’un camp à l’autre ne la représentent nullement. La voix des peuples qui reviendront de la guerre, après en avoir éprouvé l’atroce réalité, fera rentrer dans le silence ces hommes qui se sont révélés indignes d’être les guides spirituels du genre humain. Alors, parmi ceux-ci, plus d’un saint Pierre pleurera, entendant le chant du coq, et disant : « Seigneur, je t’ai renié ! »

Les destins de l’humanité l’emportent sur ceux de toutes les patries. Rien ne saura empêcher les liens de se reformer entre les pensées des nations ennemies. Celle qui s’y refuserait se suiciderait. Car par ces liens circule le flot de vie.

Mais ils n’ont jamais, au plus fort de la guerre, été rompus complètement. La guerre a même eu l’avantage douloureux de grouper à travers l’univers les esprits qui se refusent à la haine des nations. Elle a trempé leurs forces, elle a soudé en un bloc de fer leurs volontés. Ils se trompent, ceux qui pensent que les idées de libre fraternité humaine sont à présent étouffées ! Elles se taisent, sous le bâillon de la dictature militaire (et civile) qui règne dans toute l’Europe. Mais le bâillon tombera, et elles feront explosion. Je souffre pour les millions d’innocentes victimes, aujourd’hui sacrifiées sur les champs de bataille. Mais je n’ai aucune inquiétude pour l’unité future de la société européenne. Elle se réalisera. La guerre d’aujourd’hui est son baptême de sang.

R. R.

10 avril 1915.

1. Le journal Svenska Dagbladet avait adressé aux principaux intellectuels d’Europe une enquête au sujet des résultats qu’aurait la guerre, pour « la collaboration internationale dans le domaine de l’esprit. » Il se demandait, « avec anxiété, dans quelle mesure il serait possible, une fois la paix conclue, de rétablir les relations entre savants, écrivains, artistes des différentes nations ».

20 mai 1915 – La « Bataille Syndicaliste » du 19 mai s’efforce de publier mon article : « Littérature de guerre ». La censure en coupe cinq ou six morceaux, tout ce qui peut donner à penser qu’il y a aussi des vices et des folies, en dehors d’Allemagne.

13 juin 1915 – Tu ne tueras point.

Le père Janvier, moine Dominicain, orateur en quelque sorte officiel, prêchant à Notre-Dame, dans ses conférences de carême condamne le pacifisme : « C’est, dit-il, un rêve caressé par des esprits sans clairvoyance, qui, sous prétexte de concorde universelle, exposent la société à des surprises désastreuses. »

Mgr. Pierre Battifol, membre de l’ « Union pour l’Etude du Droit des gens d’après les principes chrétiens », traite le pacifisme d’ « abdication et de berquinade ». (Le Correspondant, 10 octobre 1914.)

La « Théologie de Clermont » (VI p. 119) dit : « La guerre est autorisée par la religion, vu qu’elle est indispensable à l’existence des sociétés. »

Quant au pape Benoît XV, à en croire le correspondant du « Journal de Genève » (18 juin), « bien loin de faire profiter les personnages de sa cour de faveurs ou dispenses, il est le premier à les encourager à remplir strictement leur devoir militaire. » Une anecdote semble même montrer qu’au besoin il leur force la volonté.

On évalue à 20.000 les ecclésiastiques français sous les armes, à 20.000 les ecclésiastiques italiens enrôlés dans l’armée. C’est environ le tiers de l’ensemble du clergé.

Dans « Christentum un Gegenwart », feuille évangélique allemande : « En toute modestie, nous arrivons à cette vérité souvent exprimée et qui, dans ce temps de guerre, doit nous remplir de fierté et d’un joyeux sentiment de responsabilité, c’est qu’il existe chez l’Allemand une profondeur de sentiment moral, à laquelle les autres peuples n’ont, pour le moment, rien d’équivalent à opposer. »

A lire, bien sûr, l’ouvrage fameux de Romain Rolland, « Au-dessus de la mêlée »

La presse patriotarde

14 août 1914

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE

L’histoire dira un jour, en toute vérité, que la France, qui avait depuis quarante-quatre ans les meilleures, les plus puissantes, les plus légitimes raisons de faire la guerre, a refoulé dans son cœur les sentimens qui devaient l’y pousser et n’a reculé devant aucun sacrifice, si ce n’est celui de son honneur, pour assurer le maintien de la paix. Hier encore, en parfait accord avec l’Angleterre et la Russie, elle continuait à servir de son mieux cette grande cause et elle cherchait loyalement le moyen de la faire triompher. Est-ce à dire qu’elle avait renoncé, dans le secret de son cœur, aux réparations nécessaires ? Non certes ; ce serait la mal connaître que de le penser ; mais ne s’attribuant pas le droit de déchaîner la guerre générale et de mettre l’Europe entière à feu et à sang pour la réalisation de son seul intérêt, elle attendait l’intervention de cette justice immanente des choses dont on lui avait parlé autrefois et à laquelle elle croyait.

Cependant les années s’écoulaient ; la génération qui a vu la guerre de 1870-1871 perdait peu à peu ses derniers représentans ; des générations nouvelles survenaient, et on pouvait craindre qu’elles n’eussent d’autres préoccupations et d’autres pensées ; les vieux souvenirs de fer et de sang commençaient peut-être à s’atténuer et, par momens, le doute s’emparait des âmes les mieux trempées. À tort, comme l’événement l’a prouvé. L’heure si longtemps attendue et désirée a sonné subitement ; la guerre a éclaté sans que nous en soyons responsables ; elle nous a été déclarée. Alors, on s’est mis à chanter partout en France : « Le jour de gloire est arrivé ! » Nous avons été récompensés de notre longue attente, car la guerre s’est présentée à nous dans des conditions telles que, même dans nos rêves, nous n’aurions jamais pu en imaginer de plus favorables. Elle est sortie de l’infatuation de nos adversaires poussée jusqu’à la démence. Si une fée tutélaire était venue nous dire : « La guerre est certaine, inévitable, prochaine : comment préférez-vous, comment souhaitez-vous qu’elle s’engage ? » qu’aurions-nous pu répondre, sinon en exprimant le désir que, dès le premier moment, la Russie, notre alliée, et l’Angleterre, notre amie, marchassent résolument avec nous ; que l’Italie, notre sœur latine, désapprouvant l’agression dont nous aurions été l’objet, refusât de s’y associer et proclamât sa neutralité en attendant mieux ; que des puissances, petites par leur territoire, mais très grandes par le cœur, fussent provoquées et envahies au mépris de la foi jurée, de manière à ce que leur cause se confondit avec la nôtre et à ce que l’opinion du monde civilisé, se prononçant en leur faveur, mit également son espoir en nous ? Nous aurions demandé que ces mille « forces impondérables » dont Bismarck connaissait la valeur fussent de notre côté. Eh bien ! tous ces vœux dont la réalisation totale paraissait si difficile que nous n’aurions pas osé les exprimer, tous ont été exaucés. En l’espace de quatre jours, l’Allemagne a soulevé contre elle la conscience universelle par ses impostures, ses violations du droit, ses procédés grossiers, ses brutalités criminelles. Le mince vernis de civilisation qui recouvrait, d’ailleurs assez mal, sa barbarie foncière s’est effrité. Le reître d’autrefois, sans pudeur, sans pitié, est apparu au monde étonné, mais non pas du tout épouvanté. Le monde a couru aux armes, et les premiers coups portés ont raffermi sa confiance. Nous ne savons pas ce que sera la suite de la campagne, mais elle ne pouvait mieux commencer. Le plan que l’Allemagne avait lentement, mystérieusement, sournoisement préparé, dès le premier jour de son exécution, a éprouvé un premier et grave échec. Nous ne nous faisons aucune illusion : la formidable partie est à peine engagée, et nous savons très bien qu’elle sera difficile, pénible, marquée d’incidens divers. Mais nous le disons hardiment : toutes les chances sont de notre côté. En guise de cordiaux, son gouvernement soutient l’Allemagne avec des mensonges : nous n’avons besoin que de la vérité.

Il est certain aujourd’hui que l’Allemagne avait très expressément préparé l’attentat qu’elle vient de commettre. On a pu croire au premier moment et elle a essayé de faire croire qu’elle avait été entraînée à la guerre par les seules obligations de son alliance envers l’Autriche. L’Autriche avait déclenché la fatalité qui avait tout emporté. On a su depuis qu’il n’en était rien. Le premier acte de la sanglante tragédie qui se poursuit a bien été l’ultimatum adressé par l’Autriche à la Serbie, et le ton en était tel que toute l’Europe a compris, sauf peut-être l’Autriche elle-même, qu’un pareil début devait conduire en quelques jours à la guerre générale. Qu’a dit alors l’Allemagne ? Elle a assuré que, si elle approuvait la forme et le fond du document austro-hongrois, elle ne l’avait connu qu’après coup. C’est le premier mensonge de la série. Depuis, l’ambassadeur d’Angleterre à Vienne a fait savoir à son gouvernement, à la suite d’une information digne de confiance, que le texte de l’ultimatum avait été envoyé à Berlin avant de l’être à Belgrade et, si on a pu se tromper à Vienne sur les suites que devait avoir une aussi injurieuse provocation, on ne l’a certainement pas fait à Berlin. On y a nié la complicité parce que tout mauvais cas est niable, mais elle est aujourd’hui solidement établie. Dès ce moment d’ailleurs, le gouvernement allemand avait commencé sans bruit sa mobilisation, allant bien au delà de ces premières précautions qu’un gouvernement prudent doit toujours prendre quand apparaît un danger sérieux. Ce qui s’est passé par la suite permet d’affirmer que la volonté de guerre était déjà arrêtée à Berlin et qu’on ne s’en laisserait détourner par rien.

L’Europe n’était pas encore renseignée alors comme elle l’a été par la suite et quand l’empereur Guillaume, interrompant sa croisière du Nord, s’est rendu précipitamment à Berlin, l’amour de la paix était si grand partout qu’on a cru, qu’on a voulu croire que, partageant ce sentiment, il saurait lui donner satisfaction. On s’était fait de l’empereur Guillaume l’image d’un souverain pacifique, qui s’était proposé d’achever par la paix ce que ses aïeux avaient commencé par la guerre, et avait d’ailleurs assez de sagesse pour ne pas exposer au sort des batailles l’édifice prodigieux, presque miraculeux, de la grandeur allemande. Cette idée qu’on avait de lui n’était peut-être pas inexacte jusqu’à ces derniers temps, mais les hommes changent avec les circonstances et, depuis quelques mois surtout, les voyageurs revenus d’Allemagne en rapportaient des impressions assez différentes de celles d’autrefois. On n’entendait parler que de guerre de l’autre côté du Rhin. Le parti pangermaniste y devenait de plus en plus exigeant et violent. L’armée, comme nous en avons eu la sensation très nette au moment des honteux scandales de Saverne, se sentait devenue maîtresse, et son arrogance n’avait plus de bornes. Sous ces influences grandissantes, le caractère de l’empereur s’altérait : on racontait qu’il ne vivait plus qu’avec son cabinet militaire, dans un cercle borné et dans une atmosphère fiévreuse et surexcitée. On était parvenu à le convaincre que la guerre était nécessaire, et que, plus on la retarderait, plus on perdrait des avantages dont on disposait encore. La Russie grandissait démesurément ; la France était irréconciliable ; le prestige de l’Allemagne demeurait encore, mais la crainte qu’elle inspirait avait diminué ; il fallait de nouvelles victoires pour relever un niveau qui tendait à baisser. Nous n’inventons rien : ce sont là les raisons qu’on a données au Reichstag pour légitimer la guerre. L’incident austro-serbe n’y a tenu qu’une place tout à fait secondaire : le danger dont l’Allemagne est menacée a seul été sérieusement invoqué. C’est bien une guerre préventive qu’on entend faire. On la propose froidement comme la solution d’un problème de géométrie ou d’algèbre, sans songer qu’on opère sur des hommes, que des milliers de vies précieuses vont s’éteindre, que des flots de larmes vont couler des yeux des mères, des veuves, des orphelins. L’Empereur s’est laissé entraîner. On l’appelait l’empereur de la paix, et c’était un beau titre ; mais il a dérivé peu à peu du côté de la guerre et le moment est venu où, ses résistances ayant fléchi, il s’est vu ou cru obligé de tirer cette épée bien aiguisée dont il n’avait guère parlé jusqu’alors que par métaphore. Sa faiblesse n’est pas une excuse : peut-être aurait-il pu en trouver une dans sa bonne foi si, à partir du moment où sa résolution guerrière a été prise, il n’avait pas mis une aisance dans le mensonge qui porte une atteinte fâcheuse à son caractère. Il sait mieux que personne que la France a voulu la paix : que ne dit-il qu’il a voulu la guerre ? L’aveu du moins serait sincère et l’honneur de l’Allemagne s’en trouverait mieux . On sait quels misérables prétextes elle a invoqués pour justifier son agression. Des aviateurs français ont volé sur la Belgique ! Un d’eux même est allé jusqu’à Nuremberg et il y a laissé tomber des bombes ! Nous plaignons M. de Schœn, que nous avons toujours connu galant homme, — et il n’y a aucune raison de croire qu’il a cessé de l’être parce qu’il a exécuté à la lettre les instructions de son gouvernement, — nous le plaignons d’avoir eu à articuler des griefs dont il connaissait la fausseté. On a dit qu’il s’était beaucoup promené dans la rue qui sépare l’ambassade d’Allemagne du ministère des Affaires étrangères, espérant être l’objet d’une avanie ou d’un attentat. Si le fait est vrai, il prouve que M. de Schœn, sentant sans doute la rougeur lui monter au front dans l’accomplissement de la mission qui lui était imposée, se dévouait pour fournir à son gouvernement un prétexte qui aurait pu être enfin décemment invoqué. Mais le calme de la population de Paris, son sang-froid, sa maîtrise d’elle-même ont déjoué ce calcul, comme ont été déjoués tous ceux qui avaient pour objet de rejeter sur la France la responsabilité d’une provocation dont l’Allemagne supportera tout le poids devant la conscience du genre humain.

De nombreuses provocations avaient d’ailleurs précédé la dernière. D’où vient que partout en France, on entend le même mot sur toutes les lèvres : « Cela ne pouvait plus durer ainsi, il fallait en finir ? » C’est que, depuis quelques années, la politique de l’Allemagne à notre égard avait complètement changé. On parle beaucoup de Bismarck en ce moment ; et on lui attribue, dans son origine, la politique dont nous avons vu le développement et dont le dénouement se manifeste aujourd’hui. C’est lui faire tort. Certes, Bismarck était un homme dur, rude, sans aucune générosité ; son esprit caustique avait contre ses victimes des ricanemens impitoyables ; mais il était supérieurement intelligent et avait fort bien compris que, si on peut fonder un grand État par la guerre, ce n’est pas par elle qu’on l’entretient et le fait vivre. Deux exemples illustres pouvaient, dans leur contraste, lui servir d’enseignement : ceux de Napoléon et de Frédéric. Napoléon, le plus grand des deux, malgré tout, et de beaucoup, s’est perdu à la manière du joueur qui remet sans cesse sur le tapis le gain qu’il a réalisé par un merveilleux coup de fortune. Frédéric, au contraire, a su s’arrêter à temps, et ce qu’il avait conquis sur les champs de bataille, il l’a organisé sagement, administré habilement, consolidé fortement dans la paix. Bismarck a profité de la leçon et, après 1871, il n’a plus fait la guerre : il s’est contenté de faire de la diplomatie, c’est-à-dire des alliances et s’est montré aussi grand par sa prudence qu’il l’avait été d’abord par son audace. Qu’il ait eu une velléité agressive en 1875, nous le voulons bien ; mais mieux inspiré que ses successeurs, il s’est arrêté tout net devant l’opposition de l’Angleterre et de la Russie. Qu’a-t-il fait, qu’a-t-il dit ensuite, aussi longtemps qu’il a été maître ? Il n’a pas cessé de répéter à nos ambassadeurs que s’il avait dû faire, pour constituer l’unité allemande, la guerre de Danemarck, la guerre d’Autriche et finalement la guerre de France, il ne voulait pas nous laisser croire qu’il était notre ennemi toujours et partout et que nous le trouverions sans cesse en face de nous, contre nous, un grand sabre à la main. Il a vu que, à tort ou à raison, nous nous engagions volontiers dans la politique coloniale et, comme il y trouvait d’ailleurs un avantage pour la tranquillité de l’Allemagne, bien loin de nous gêner dans notre expansion extra-européenne, il nous y a encouragés ; et pourquoi ne pas dire qu’il nous y a aidés quelquefois par une action diplomatique discrète et efficace ? Cela ne nous faisait pas oublier, et Bismarck s’en doutait, mais cela permettait d’entretenir entre les deux pays des rapports corrects, courtois, où ils trouvaient l’un et l’autre leur bénéfice.

Telle a été la première période, et elle a été longue, de nos relations avec l’Allemagne après la guerre. Mais une autre, bien différente, a succédé. Il semble, en vérité, que, depuis quelques années, l’Allemagne, renonçant à la politique de détente bismarckienne, se soit appliquée à nous donner l’impression qu’elle était notre irréconciliable ennemie sur tous les points du globe. Nous ne pouvions rien faire, nous ne pouvions aller nulle part, sans y rencontrer son opposition maussade, hargneuse et jalouse. Il fallait toujours lui faire sa part, il fallait lui donner des compensations, et, même quand nous lui avions fait sa part et donné de larges compensations, qui ne lui étaient nullement dues, elle continuait de nous gêner, de nous entraver, de nous harceler sur le terrain qu’elle avait promis de nous abandonner. A ses yeux, notre installation y était restée précaire ; elle devait nous y remplacer un jour ; en croyant travailler pour nous, nous travaillions pour elle ; nous lui dégrossissions sa tâche à venir. Telle a été son attitude à notre égard, et il faut croire que sous des formes différentes, elle a été à peu près la même à l’égard des autres puissances, puisque l’Allemagne a si bien réussi à former contre son intolérable hégémonie la plus complète et la plus solide coalition qu’on ait encore vue. C’est le phénomène dont nous venons d’être témoins. L’Allemagne, qui s’était crue habile, a si mal choisi son moment et son prétexte pour faire la guerre que, du coup, elle a séparé d’elle un de ses alliés, et elle s’est si inconsidérément conduite à l’égard de l’Angleterre, qu’elle espérait détacher de nous, qu’elle a rivé d’une manière indestructible les liens déjà très forts qui unissaient Londres à Paris. Les Allemands, qui ont un fonds de naïveté dans leur outrecuidance, sentaient bien la haine générale monter contre eux et ils en demandaient quelquefois le motif avec une sorte de surprise. Ils ne comprenaient pas, ils ne comprennent peut-être pas encore pourquoi ils sont odieux ; mais le fait est là, incontestable. Les causes ? Il y en a de grandes, et nous en avons indiqué quelques-unes. Il y en a de plus petites, que leur multiplicité ne rend pas moins efficaces. La grossièreté, la brutalité, la cruauté de leurs procédés sont une des plus actives. Nous comprendront-ils, si nous leur disons que leur conduite est indigne envers l’impératrice douairière de Russie, à laquelle ils ont interdit le passage par leur territoire pour rejoindre Saint-Pétersbourg ; envers M. Jules Cambon qui a été accrédité longtemps auprès d’eux et qu’ils ont traité comme un colis encombrant, précieux d’ailleurs, car ils lui ont fait payer très cher son voyage ; envers le grand-duc Constantin sur lequel ils ont abattu leur lourde main ; contre l’infortuné Samain qu’ils ont assassiné ; contre un pauvre curé lorrain qu’ils ont fusillé sans que nous sachions pourquoi ; contre deux pauvres enfans qu’ils ont fusillés aussi, mais cette fois nous en connaissons le motif : à la manière du chevalier d’Assas, ces petits patriotes auraient crié : « Attention, voilà les Prussiens ! » Que tout ce sang innocent retombe sur leurs têtes ! C’est, dit-on, pour faire peur en montrant de quoi ils sont capables, que les Allemands se conduisent ainsi : ils ne réussissent qu’à faire horreur.

Nous avons dit que, pour conserver la fidélité de ses alliés, l’Allemagne aurait dû choisir une autre occasion et un autre motif de guerre que ceux qu’elle a invoqués. Nous ne parlons pas de l’Autriche-Hongrie. Dans la forme, c’est pour elle que l’Allemagne a brûlé ses vaisseaux ; l’Autriche-Hongrie ne pouvait donc pas l’abandonner. Il semble pourtant qu’après avoir commis la folle imprudence de son ultimatum à la Serbie, elle ait éprouvé quelque hésitation quand elle en a vu les conséquences. On assure qu’au tout dernier moment elle avait accepté en principe une proposition conciliante de l’Angleterre, qui n’a pas eu de suite parce que l’Allemagne, l’Allemagne seule, a refusé de s’y rallier. L’Autriche a laissé pendant si longtemps son ambassadeur à Paris, où sa situation, en s’y prolongeant, avait quelque chose de si ridicule et de si inconvenant qu’on se demande s’il n’y avait pas encore dans son esprit une vague espérance d’échapper à la guerre contre nous. Peut-être l’a-t-elle encore, car s’il y a eu rupture des relations diplomatiques, il n’y a eu de déclaration de guerre ni d’un côté, ni de l’autre. Nous avons dû demander des explications à Vienne. Il était de notoriété publique et nous savions pertinemment que l’Autriche avait détaché des troupes à l’Ouest et les avait mises à la disposition de l’Allemagne. Le comte Berchtold a cherché à équivoquer sur le caractère de ces mouvemens ; mais les faits n’étaient pas contestables. Nous avons rappelé notre ambassadeur de Vienne et l’ambassadeur autrichien a quitté Paris : hâtons-nous de dire que tout cela s’est passé dans les formes les plus courtoises, avec la politesse qu’emploient entre elles les nations depuis longtemps civilisées et les hommes simplement bien élevés. Mais l’Autriche n’était plus libre : l’Allemagne la tenait et ne la lâchait pas. Heureusement, ni l’Allemagne, ni l’Autriche ne tenaient l’Italie. L’Italie ne s’était engagée envers elles que pour une guerre défensive, c’est-à-dire une guerre où nous aurions été les agresseurs, et elle s’était engagée envers nous à ne pas participer à une agression dont nous serions l’objet. Certes, l’Italie ne pouvait pas hésiter : il était bien clair que, dans le cas actuel, ce n’était pas la France qui était l’agresseur. Elle a beaucoup trop d’esprit pour s’arrêter aux billevesées inventées par l’Allemagne d’aviateurs français qui auraient volé sur la Belgique et lancé des bombes sur Nuremberg : il faut être Allemand pour s’y laisser prendre. De même, si le comte Szécsen est resté trop longtemps à Paris dans l’espoir que nous finirions par le congédier, ce qui permettrait de dire que c’était la France qui avait déclaré la guerre, c’est encore là une invention au seul usage de l’Allemagne, non pas de l’Italie, qui sait le fond des choses. L’Italie devait donc rester neutre. Que serait-il arrivé pourtant et l’Italie n’aurait-elle pas pu reprendre sa liberté si la diplomatie allemande avait su arranger les choses de manière à ce qu’un intérêt italien, bien clair, bien net, bien puissant, fût engagé dans la partie en jeu ? Aurions-nous pu nous étonner si l’Italie n’avait pas sacrifié cet intérêt ? La tentation pour elle aurait été très forte. Mais c’est tout le contraire qui est arrivé : l’Italie a été invitée à prendre part à une action militaire infiniment dangereuse pour elle et dont le succès aurait compromis son intérêt le plus évident. On voit mal l’Italie s’engager dans une guerre dont le résultat est plus que douteux pour aider l’Autriche à devenir maîtresse de l’Adriatique. Aussi aucune considération à côté, aucune objurgation, aucune promesse, aucune menace, — car on ne les lui pas épargnées, — n’ont-elles pu la décider à rompre la neutralité. En dehors de l’avantage matériel que nous y trouvons, nous sommes heureux de voir l’Italie refuser de prendre les armes contre nous : c’est une grande joie dans le présent, c’est une grande espérance pour l’avenir et peut-être pour un avenir très prochain.

Mais c’est surtout avec l’Angleterre que le gouvernement allemand a poussé l’inconséquence à ses limites extrêmes. Jusqu’au dernier moment, il a espéré que l’Angleterre, elle aussi, resterait neutre. C’était difficile à obtenir de la part d’un pays qui était ouvertement notre ami, qui avait depuis quelques années déjà l’habitude d’une vie politique commune avec nous et qui attachait un intérêt puissant au maintien de l’équilibre actuel, non seulement en Europe, mais dans le monde. Quoi qu’elle eût fait, l’Allemagne ne serait pas parvenue à détacher tout à fait l’Angleterre de nous. Elle l’a essayé cependant, et les arguments qu’elle a employés pour cela sont précisément ceux que nous lui aurions perfidement soufflés, si nous en avions eu le moyen. Sir Edward Grey a déclaré à l’ambassadeur allemand que l’Angleterre ne laisserait pas écraser la France. — A Dieu ne plaise ! a répondu l’ambassadeur allemand, nous n’avons l’intention d’enlever à la France aucune parcelle de son territoire. — Mais ses colonies ? a demandé sir Edward Grey. — Sur ce point, l’ambassadeur allemand a interrogé son gouvernement, qui a déclaré ne pas pouvoir répondre. Du coup, l’Angleterre a été édifiée. Si nous étions vaincus, — qu’on nous pardonne cette hypothèse devenue invraisemblable ! — nous aimerions sans doute mieux, nous Français, que l’Allemagne nous enlevât quelques colonies qu’une de nos provinces métropolitaines. Mais l’Angleterre ? Ce n’est plus la France qui est sa rivale à travers les mers, c’est l’Allemagne. La puissance coloniale de la France est devenue un élément de l’équilibre général ; l’Angleterre la connaît et s’en accommode ; elle aurait d’autres préoccupations, si elle voyait l’Allemagne occuper dans la Méditerranée le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Et ces préoccupations seraient aussi partagées par l’Italie. Nous ne saurions trop remercier l’Allemagne d’avoir mis, cette fois par exception, une naïve franchise à faire connaître ses intentions. Dans quelle mesure celles de l’Angleterre en ont-elles été influencées, on a pu s’en douter quand on l’a vue s’empresser, pour commencer, de prendre le Togoland à l’Allemagne : la réponse était spirituelle et vraiment pleine d’à propos. L’Angleterre a aussitôt développé et précisé les déclarations qu’elle avait déjà faites à notre endroit. Au début, elle s’était contentée de dire qu’elle ne nous laisserait pas écraser, ce qui est un terme vague, et qu’elle défendrait nos côtes septentrionales contre une agression allemande, de manière à nous assurer toute liberté d’action dans la Méditerranée. C’était beaucoup, mais pourquoi ne pas l’avouer ? ce n’était pas encore tout ce que nous attendions de nos amis. Sir Edward Grey déclarait d’ailleurs que l’Angleterre gardait pour la suite sa liberté de faire ou de ne pas faire. Aurait-elle fait davantage ? Il y a tout lieu de le croire ; en effet, lorsque le gouvernement allemand a proposé de s’engager envers elle à respecter nos côtes septentrionales, sir Edward a répondu que c’était insuffisant. Il semble donc bien que, dès ce moment, ses attentions allaient plus loin et, s’il ne le disait pas plus expressément, c’est sans doute parce qu’il y avait, dans le ministère anglais, des divergences dont la démission de lord Morley et de M. John Burns a été la manifestation discrète. Au sur- plus, l’Angleterre n’a pas tardé à sortir des demi-mesures et l’Allemagne lui en a imposé l’obligation en refusant de prendre un engagement au sujet de la neutralité de la Belgique. Ce n’était pas une goutte d’eau, mais bien toute une cataracte qui faisait enfin déborder le vase.

On sait à quel point cette question tient au cœur de l’Angleterre : l’intérêt et l’honneur ne lui permettent pas d’y apporter la moindre hésitation, de laisser s’y introduire la moindre équivoque. L’intégrité et l’indépendance de la Belgique sont des dogmes fondamentaux de sa politique. Elle a donc demandé à la fois à la France et à l’Allemagne si elles respecteraient la neutralité belge. Nous avons répondu affirmativement : nous sommes une nation honnête, nous nous regardons comme liés par les traités où nous avons mis notre signature. L’Allemagne a refusé de répondre et, cette fois encore, l’Angleterre a été éclairée. Le gouvernement allemand a essayé de causer, de négocier ; il a affirmé que, si la Belgique était violée, cela ne tirerait nullement à conséquence et que, les choses une fois finies, la Belgique redeviendrait vierge comme devant ; il a fait à l’Angleterre des offres qu’il jugeait engageantes. Sir Ed. Grey a répondu que l’Angleterre ne marchandait jamais quand il s’agissait de ses intérêts et de ses obligations. Cette fière réponse n’a laissé aucun doute à l’Allemagne sur la résolution britannique : au surplus, l’Angleterre lui a adressé un ultimatum en lui donnant seulement quelques heures pour y répondre. La réponse n’étant pas venue, l’Angleterre a déclaré la guerre à l’Allemagne. L’indignation s’est emparée du pays tout entier, et M. Asquith l’a exprimée dans des termes si vigoureux qu’il est allé jusqu’à qualifier d’ « infâmes » les propositions de Berlin. Et aussitôt l’union de tous les partis s’est faite en Angleterre, comme elle s’était faite en France, comme elle s’est faite en Russie. La question irlandaise qui, hier encore, menaçait de déchaîner la guerre civile, a disparu de l’horizon. — Vous pouvez retirer toutes les troupes qui sont en Irlande, a dit M. Redmond : nous nous chargeons de défendre nos côtes nous-mêmes. — Et M. Bonar Law, au nom de l’opposition, a déclaré : « Nous combattons pour la base même de la civilisation dont l’Europe est garante. Il ne s’agit pas ici d’une lutte sans importance : c’est peut-être la plus grande que l’Angleterre ait eu à soutenir et l’issue en est certaine. C’est le napoléonisme une fois de plus, mais, Dieu merci, autant que nous le sachions, il n’y a pas cette fois de Napoléon. » Il n’y a pas non plus de Bismarck assurément, ni de Moltke probablement, ni même de Roon, semble-t-il, du moins autant que nous le sachions, comme s’exprime M. Bonar Law. Quoi qu’il en soit, l’Angleterre est engagée : elle ne reculera plus.

Que dire de la Russie ? C’est à elle, la première, que l’Allemagne a déclaré la guerre, et c’est à cause d’elle que nous la faisons nous-mêmes à l’Allemagne. L’autre jour, dans une audience qu’il lui a accordée, l’empereur Nicolas a embrassé notre ambassadeur, M. Maurice Paléologue. « J’embrasse la France en votre personne, » a-t-il dit. La France venait de donner une preuve éclatante de sa fidélité à une alliance qu’elle a contractée il y a près d’un quart de siècle. Depuis lors, la confiance des deux pays l’un dans l’autre ne s’est jamais démentie : on vient de voir combien elle était justifiée. La nôtre est si grande que, on a pu le remarquer, lorsque notre gouvernement est venu, dans un grand, très noble et très beau langage, demander aux Chambres de voter les crédits qui nous permettaient de soutenir la lutte, pas une voix ne s’est élevée pour demander à connaître le texte précis de nos engagemens avec la Russie. On n’a vu qu’une chose, à savoir que l’Allemagne avait déclaré la guerre à notre alliée : il n’est venu à l’idée de personne de mesurer l’étendue du concours que nous avions à lui donner. Les deux pays se défendront l’un l’autre avec la totalité de leurs forces, et l’empereur Nicolas a déclaré qu’il ne ferait pas la paix aussi longtemps qu’il y aurait un soldat allemand sur le sol français. La résolution de la Russie, comme la nôtre, comme celle de l’Angleterre, est unanime. Les explications que M. Sazonow a données à la Douma ont été couvertes d’applaudissemens. Nulle part une voix dissidente ne s’est élevée. Il n’y a en Russie qu’un seul cœur.

C’est un beau spectacle, qui révèle un grand peuple, mais que nous avons donné nous aussi. Si l’Allemagne a compté sur nos divisions, habituellement si profondes, son erreur a été grande et elle a été bientôt dissipée. Comme par enchantement, tous les Français se sont trouvés d’accord, et les pacifistes les plus forcenés, les socialistes unifiés les plus antimilitaristes ont fait bloc contre l’abominable agression dont la patrie était l’objet. Un crime odieux a coûté la vie à M. Jaurès au moment où, comme nous tous, il s’inclinait devant l’obligation qui nous était imposée et témoignait sa confiance à un gouvernement auquel il avouait n’avoir aucun reproche à faire. Ses obsèques ont eu lieu avec recueillement et, sur le cercueil de l’homme qui avait si souvent maudit la guerre, il n’est pas jusqu’à M. Jouhault, le représentant de la Confédération générale du travail, de la fameuse C. G. T., qui n’ait annoncé qu’il allait partir pour la frontière et a juré que tout le monde ferait son devoir. Pas un mot imprudent, pas un cri déplacé. L’Allemagne a refait partout l’union des âmes. Dans la France entière le sentiment est le même. Tout le monde comprend que, comme l’ont dit les ministres anglais, l’heure est grave et que la lutte qui va s’ouvrir sera terrible, mais chacun a fait résolument le sacrifice que le devoir lui impose et notre mobilisation s’est faite dans un ordre admirable. Personne ne s’est demandé par quelles mains était tenu en ce moment le drapeau national : il n’y a plus de partis, il n’y a que des Français, et tous ont couru au drapeau. Plus de ces manifestations comme celles qui, en 1870, ont laissé un remords dans nos mémoires. Nous avons toujours été un peuple vaillant, nous sommes devenus un peuple sérieux. « Nous sommes sans reproche, a dit M. le Président du Conseil, nous serons sans peur. »

De ces vertus guerrières, nous aurions voulu être les premiers à donner l’exemple au monde, si ce n’était pas la Belgique qui l’eût fait. Mieux vaut pour l’honneur de l’humanité qu’il ait été donné par un peuple de quelque 7 millions d’habitans contre un autre qui en a plus de 60. Cette disproportion numérique montre avec plus d’éclat ce que peut la force morale au service d’une juste cause. L’Allemagne avait préparé dans le recueillement et le silence un plan de guerre dont l’exécution ne pouvait se faire que par la violation de la neutralité belge. Ce plan, sinon dans les détails, au moins dans son ensemble, est si simple qu’il est apparu à la fois à tous les esprits. Notre frontière commune avec l’Allemagne est courte et bien défendue ; nous y avons accumulé les ouvrages d’art, les fortifications ; nous y avons concentré nos meilleures troupes, ces troupes de couverture qui, au milieu d’une population animée du patriotisme le plus ardent, sont toujours entraînées et toujours prêtes. Si nous connaissons notre force, l’Allemagne ne l’ignore pas, et elle vient de prouver combien elle la redoute. Son plan a consisté à tourner à l’Ouest notre aile gauche, par un grand mouvement qui ne pouvait s’accomplir que sur le territoire belge. Dans la confiance que nous inspirait, bien à tort, on vient de le voir, la sainteté du droit, nous n’avions pas défendu notre frontière avec la Belgique comme notre frontière avec l’Allemagne. La tentation devait donc être grande pour celle-ci de violer la neutralité belge : elle tournait ainsi notre ligne principale de défense et, en même temps qu’elle l’aurait fait sur cette ligne, elle nous aurait attaqués à gauche et par derrière. Nous aurions été pris entre les branches d’un immense étau. Mais il fallait pour cela de deux choses l’une : ou que la Belgique s’y prêtât, ou que sa résistance fût brisée.

Le plus probable, et de beaucoup, est que l’Allemagne comptait sur la réalisation de la première hypothèse ; si cependant c’était la seconde qui se présentait, elle ne s’en embarrassait guère et, quoiqu’elle eût signé le traité de 1839 qui garantissait la neutralité de la Belgique, elle ne se sentait nullement liée par sa parole : la disproportion de force numérique entre l’armée belge et la sienne lui permettrait de vaincre la résistance qui lui serait opposée. Si elle lui était opposée, ne serait-ce pas d’ailleurs seulement pour la forme ? Est-ce que la Belgique pouvait avoir la prétention d’arrêter l’Allemagne ? Est-ce que David pouvait, dans notre siècle de fer, frapper une fois de plus Goliath au front et le renverser ? Dans cette douce confiance, l’Allemagne a commencé, pour se faire la main, par violer la neutralité du Luxembourg ; puis, ainsi que l’a dit M. le Président de la République, elle « a outrageusement insulté la noble nation belge, » en lui demandant la liberté de traverser son territoire. La réponse a été ce qu’elle devait être, indignée et résolue. L’Allemagne a passé outre, elle est entrée en Belgique, et comptant la traverser aussi facilement qu’une toile d’araignée, elle a mis le siège devant Liège. « En voyant son indépendance menacée, a dit le roi Albert qui s’est montré aussi grand que son peuple dans ces circonstances tragiques, la nation a frémi, ses enfans ont bondi à la frontière ! » et l’armée belge, composée sur ce point de 40 000 hommes, a mis en déroute l’armée allemande qui en avait plus de 100 000. Certes, l’histoire de la Belgique est belle et glorieuse ; nous n’en connaissons guère qui soit de nature à attirer sur une nation plus d’estime, de sympathie et de respect ; mais rien dans cette histoire n’est comparable à l’héroïque défense de Liège dont le monde vient d’être le témoin ému et émerveillé. L’Europe avait garanti la neutralité de la Belgique, et la France et l’Angleterre sont en marche pour la défendre, mais, sans attendre davantage, la Belgique a frappé elle-même un coup qui, à lui seul et pour toujours, consacre cette neutralité : personne désormais n’aura plus l’imprudence de la violer. Sans doute, l’armée allemande revient à la charge, mais nous avons confiance. Les Anglais ont débarqué sur le continent et ils avancent ; nous sommes entrés en Belgique et nous avançons : qui sait si nous n’assisterons pas bientôt à un Waterloo retourné où Belges, Anglais et Français combattront ensemble contre l’arrogance et la mauvaise foi germaniques ? Quoi qu’il en soit, la prodigieuse défense de Liège, si même elle n’a retardé que de quelques jours la marche de l’armée allemande, aura brisé le plan de son état-major et nous aura permis de terminer notre mobilisation : ce sont deux conséquences du plus grand prix.

Et pendant que ces faits éternellement glorieux pour la Belgique se passaient chez elle, nous sommes entrés en Alsace. Un premier combat nous a permis de repousser les Allemands à Altkirch, de nous emparer de la ville, de courir à Mulhouse et d’y entrer. Les Allemands ont couru aussi, mais en sens inverse : ils ont fui devant nos baïonnettes. Heureuse la troupe française qui, la première, a fait entendre notre clairon aux échos de l’Alsace et retentir sous ses pas le sol sacré d’une province qui nous est si chère ! Les dépêches racontent que les paysans d’Alsace ont aussitôt, sur ce point de la frontière, renversé les poteaux qui marquaient la séparation d’avec la vieille patrie. Quel Français n’aurait-il pas voulu être là ? Ceux surtout qui, comme nous, ont pris part à la guerre de 1870 et gardé au fond de l’âme la douleur muette, mais toujours aussi vive, de l’arrachement brutal, sentiront en eux, avec un tressaillement de joie, un renouveau d’espérance. On connaît l’admirable gravure que Raffet a intitulée le Réveil : un tambour, superbe et farouche, bat aux champs et des fantômes sortent lentement de terre avec des figures étonnées qui se raniment, encore à moitié morts et déjà à moitié vivans. Ces fantômes se réveillent aussi dans nos cœurs ; nous reconnaissons parmi eux des figures aimées ; mais il est encore trop tôt pour leur tendre les bras. Nos enthousiasmes doivent rester prudens. Les Allemands sont revenus si nombreux que nous avons dû évacuer Mulhouse ; mais nous sommes restés en Alsace, nous reviendrons à Mulhouse, et nous ne nous arrêterons pas là. Il faut s’attendre à des péripéties diverses dans cette guerre, ne pas s’enorgueillir quand elles seront favorables, surtout ne pas se décourager quand elles ne le seront pas. Ce n’en est pas moins pour nous une grande force morale que ces premiers succès, et il est, tout de même, permis d’y voir une promesse.

Jusqu’ici, notre territoire a résisté à l’invasion. Nous sommes entrés en Belgique pour défendre la neutralité d’un pays héroïque et généreux. Nous sommes entrés en Alsace, c’est-à-dire chez nous, pour y exercer la revendication du droit foulé aux pieds. Dans les conditions où elle s’engage, la guerre ne peut pas mal finir, et cela seul importe, mais elle ne pouvait pas non plus débuter plus heureusement : et nous dirons avec M. le Président de la République, dans le message concis, robuste et fort qu’il a adressé aux Chambres : « Haut les cœurs et vive la France ! »

Francis Charmes.

Messages

  • Une illustration du basculement des prétendues élites intellectuelles : Anatole France qui écrivait autrefois "On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels et les banquiers."

    Voici ce qu’il est devenu en 1914 : lire ici

  • De son ami Guilbeaux :

    L’assassinat de Jean Jaurès, par Henri Guilbeaux.

    La guerre tant redoutée, mais à laquelle personne presque n’osait croire, montra tout d’un coup son visage hideux.

    Les derniers jours de juillet étaient sinistres. À chaque heure parvenaient des informations peu rassurantes, en dépit de leur ton optimiste. Les clameurs des vendeurs d’éditions spéciales des journaux faisaient rebondir l’inquiétude accumulée. L’homme de la rue passait calme en apparence, mais rongé d’anxiété. Il pensait à son travail, à sa femme, à ses enfants qu’il lui faudrait peut-être quitter subitement. L’atmosphère des bars et des bistrots était plus surchauffée encore et des discussions avinées et sans fin tumultuaient autour du mastroquet en bras de chemise et enchanté des événements qui lui valaient une augmentation sensible de ses bénéfices. Tous ceux qui avaient dans les mains une industrie de guerre ou en rapport avec les fournitures de l’armée ne se sentaient pas de joie.

    Le tumulte augmenta encore lorsque parut le décret de mobilisation générale affiché simultanément partout. Ce n’était pas encore la guerre, mais cette fois on la sentait inévitable. Et déjà les stratèges en chambre assignaient scientifiquement à la guerre une durée de quelques mois. La gare de l’Est, qui happait les soldats mobilisés, était devenue une véritable centrale d’émotion. Les saccades que l’on entendait autour de la tour Eiffel, engendrées par le poste de T.S.F., redoublaient et se faisaient plus nerveuses.

    Et le soir du 31 juillet, sur les dix heures, on entendit tout d’un coup une sinistre et rauque clameur unanime : Édition spéciale ! Assassinat de Jean Jaurès ! Je n’oublierai jamais le retentissement de cette clameur en moi, la marée montante de cette rumeur dans Belleville ! Chaque fois que s’élevait la vague, toute ma poitrine bondissait, tout mon cœur battait et je sentais partout un fourmillement d’aiguilles. La déclaration de guerre, postérieure de quelques heures, suscita en moi une émotion d’intensité incomparablement moins forte que l’assassinat de Jean Jaurès.

    Je n’avais pas pour Jean Jaurès le culte des militants socialistes, Jaurès avait imprimé au Parti Socialiste et à l’Internationale une direction opportuniste. Mais ce bourgeois socialisant était peut-être le seul homme véritablement honnête et le seul député français de valeur, possédant une connaissance profonde de l’histoire contemporaine et capable de tirer par avance les conséquences d’une fait politique, social ou diplomatique. La voix de Jaurès était celle de la fraternité, de la justice ; au marxisme dont il n’était pas un adhérent résolu, exclusif, mais où il puisait le meilleur et le plus solide de son argumentation, il ajoutait quelque chose de cet idéal un peu vague et humanitaire de 1848. Mais Jaurès voyait bouger les tentacules de l’impérialisme. Sans s’inquiéter de l’exaspération produite chez les représentants de l’état-major, de la finance et de la diplomatie qui le faisaient souiller chaque jour, il dénonçait les menées impérialistes, les louches tractations, les traités secrets, les alliances contre nature et dirigées contre la paix des peuples. Jaurès était le champion de la liberté, de la fraternité, de la réalisation des principes des Droits de l’Homme plus qu’un révolutionnaire. « Il faut apprendre à cette jeune démocratie le goût de la liberté, – a-t-il écrit quelque part, – elle a la passion de l’égalité, elle n’a pas, au même degré, la notion de la liberté, qui est beaucoup plus difficile et beaucoup plus longue à acquérir. Il faut donner aux enfants du peuple, par un exercice suffisamment élevé de la faculté de penser, le sentiment de la valeur de l’homme et par conséquent du prix de la liberté, sans lequel l’homme n’est pas. » L’idéal de Jaurès était très apparenté à celui de Romain Rolland. L’un et l’autre, le premier sur le plan littéraire, le second sur le plan politique, ont défendu des idées sensiblement les mêmes.

    Devant un parti opportuniste, désemparé, prêt à la trahison, le gouvernement fit preuve d’une grande adresse. Il enleva le corps de Jaurès. Sur les murs de Paris il fit afficher une proclamation officielle dans laquelle était déplorée la mort du grand tribun auquel il fit faire à ses frais des funérailles officielles. Ceux qui, chaque jour, avaient dénoncé l’agent de l’Allemagne, affirmant non pas une, mais deux fois, que c’est le devoir de tout gouvernement soucieux de ses responsabilités de flanquer dix balles dans la peau de Jaurès, le jour de la mobilisation, célébrèrent le grand Français ! Ironie de l’histoire : l’avenue d’Allemagne devint avenue Jean Jaurès !

    Henri Guilbeaux, Du Kremlin au Cherche-Midi, Paris, Gallimard, 1933, pages 11-13.

  • « Aux peuples assassinés », par Romain Rolland.

    Les horreurs accomplies dans ces trente derniers mois ont rudement secoué les âmes d’Occident. Le martyre de la Belgique, de la Serbie, de la Pologne, de tous les pauvres pays de l’Ouest et de l’Est foulés par l’invasion, ne peut plus s’oublier. Mais ces iniquités qui nous révoltent, parce que nous en sommes victimes, voici cinquante ans,—cinquante ans seulement ?—que la civilisation d’Europe les accomplit ou les laisse accomplir autour d’elle.

    Qui dira de quel prix le Sultan rouge a payé à ses muets de la presse et de la diplomatie européennes le sang des deux cent mille Arméniens égorgés pendant les premiers massacres de 1894-1896 ? Qui criera les souffrances des peuples livrés en proie aux rapines des expéditions coloniales ? Qui, lorsqu’un coin du voile a été soulevé sur telle ou telle partie de ce champ de douleur,—Damaraland ou Congo—a pu en supporter la vision sans horreur ? Quel homme « civilisé » peut penser sans rougir aux massacres de Mandchourie et à l’expédition de Chine, en 1900-1901, où l’empereur allemand donnait à ses soldats, pour exemple, Attila ; où les armées réunies de la « Civilisation » rivalisèrent entre elles de vandalisme contre une civilisation plus ancienne et plus haute ?(1) Quel secours l’Occident a-t-il prêté aux races persécutées de l’Est européen : Juifs, Polonais, Finlandais, etc ?(2) Quelle aide à la Turquie et à la Chine tentant de se régénérer ? Il y a soixante ans, la Chine, empoisonnée par l’opium des Indes, voulut se délivrer du vice qui la tuait : elle se vit, après deux guerres et un traité humiliant, imposer par l’Angleterre le poison qui rapporta en un siècle, dit-on, à la Compagnie des Indes Orientales, onze milliards de bénéfice. Et même après que la Chine d’aujourd’hui eût accompli son effort héroïque de se guérir en dix ans de sa maladie meurtrière, il a fallu la pression de l’opinion publique soulevée pour contraindre le plus civilisé des États européens à renoncer aux profits que versait dans sa caisse l’empoisonnement d’un peuple. Mais de quoi s’étonner, quand tel État d’Occident n’a pas renoncé encore à vivre de l’empoisonnement de son propre peuple ?

    « Un jour, écrit M. Arnold Porret, en Afrique, à la Côte d’Or, un missionnaire me disait comment les noirs expliquent que l’Européen soit blanc. C’est que le Dieu du Monde lui demanda : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » Et il en est devenu blême(3). »

    « La civilisation d’Europe est une machine à broyer, a dit en juin dernier, à l’Université impériale de Tokio, le grand Hindou Rabindranath Tagore(4). Elle consume les peuples qu’elle envahit, elle extermine ou anéantit les races qui gênent sa marche conquérante. C’est une civilisation de cannibales ; elle opprime les faibles et s’enrichit à leurs dépens. Elle sème partout les jalousies et les haines, elle fait le vide devant elle. C’est une civilisation scientifique et non humaine. Sa puissance lui vient de ce qu’elle concentre toutes ses forces vers l’unique but de s’enrichir… Sous le nom de patriotisme elle manque à la parole donnée, elle tend sans honte ses filets, tissus de mensonges, elle dresse de gigantesques et monstrueuses idoles dans les temples élevés au Gain, le dieu qu’elle adore. Nous prophétisons sans aucune hésitation que cela ne durera pas toujours… »

    « Cela ne durera pas toujours… » Entendez-vous, Européens ? Vous vous bouchez les oreilles ? Écoutez-donc en vous ! Nous-mêmes, interrogeons-nous. Ne faisons pas comme ceux qui jettent sur leur voisin tous les péchés du monde et s’en croient déchargés. Dans le fléau d’aujourd’hui, nous avons tous notre part : les uns par volonté, les autres par faiblesse ; et ce n’est pas la faiblesse qui est la moins coupable. Apathie du plus grand nombre, timidité des honnêtes gens, égoïsme sceptique des veules gouvernants, ignorance ou cynisme de la presse, gueules avides des forbans, peureuse servilité des hommes de pensée qui se font les bedeaux des préjugés meurtriers qu’ils avaient pour mission de détruire ; orgueil impitoyable de ces intellectuels qui croient en leurs idées plus qu’en la vie du prochain et feraient périr vingt millions d’hommes, afin d’avoir raison ; prudence politique d’une Eglise trop romaine, où saint Pierre le pêcheur s’est fait le batelier de la diplomatie ; pasteurs aux âmes sèches et tranchantes, comme un couteau, sacrifiant leur troupeau afin de le purifier ; fatalisme hébété de ces pauvres moutons… Qui de nous n’est coupable ? Qui de nous a le droit de se laver les mains du sang de l’Europe assassinée ? Que chacun voie sa faute et tâche de la réparer !—Mais d’abord, au plus pressé !

    Voici le fait qui domine : l’Europe n’est pas libre. La voix des peuples est étouffée. Dans l’histoire du monde, ces années resteront celles de la grande Servitude. Une moitié de l’Europe combat l’autre, au nom de la liberté. Et pour ce combat, les deux moitiés de l’Europe ont renoncé à la liberté. C’est en vain qu’on invoque la volonté des nations. Les nations n’existent plus, comme personnalités. Un quarteron de politiciens, quelques boisseaux de journalistes parlent insolemment, au nom de l’une ou de l’autre. Ils n’en ont aucun droit. Ils ne représentent rien qu’eux-mêmes. Ils ne représentent même pas eux-mêmes. « Ancilla ploutocratiæ… » disait dès 1905 Maurras, dénonçant l’Intelligence domestiquée et qui prétend à son tour diriger l’opinion, représenter la nation… La nation ! Mais qui donc peut se dire le représentant d’une nation ? Qui connaît, qui a seulement osé jamais regarder en face l’âme d’une nation en guerre ? Ce monstre fait de myriades de vies amalgamées, diverses, contradictoires, grouillant dans tous les sens, et pourtant soudées ensemble, comme une pieuvre… Mélange de tous les instincts, et de toutes les raisons, et de toutes les déraisons… Coups de vent venus de l’abîme ; forces aveugles et furieuses sorties du fond fumant de l’animalité ; vertige de détruire et de se détruire soi-même ; voracité de l’espèce ; religion déformée ; érections mystiques de l’âme ivre de l’infini et cherchant l’assouvissement maladif de la joie par la souffrance, par la souffrance de soi, par la souffrance des autres ; despotisme vaniteux de la raison, qui prétend imposer aux autres l’unité qu’elle n’a pas, mais qu’elle voudrait avoir ; romantiques flambées de l’imagination qu’allume le souvenir des siècles ; savantes fantasmagories de l’histoire brevetée, de l’histoire patriotique, toujours prête à brandir, selon les besoins de la cause, le Væ victis du brenn, ou le Gloria victis… Et pêle-mêle, avec la marée des passions, tous les démons secrets que la société refoule, dans l’ordre et dans la paix… Chacun se trouve enlacé dans les bras de la pieuvre. Et chacun trouve en soi la même confusion de forces bonnes et mauvaises, liées, embrouillées ensemble. Inextricable écheveau. Qui le dévidera ?… D’où vient le sentiment de la fatalité qui accable les hommes, en présence de telles crises. Et cependant elle n’est que leur découragement devant l’effort multiple, prolongé, non impossible, qu’il faut pour se délivrer. Si chacun faisait ce qu’il peut (rien de plus !) la fatalité ne serait point. Elle est faite de l’abdication de chacun. En s’y abandonnant, chacun accepte donc son lot de responsabilité.

    Mais les lots ne sont pas égaux. À tout seigneur, tout honneur ! Dans le ragoût innommable que forme aujourd’hui la politique européenne, le gros morceau, c’est l’Argent. Le poing qui tient la chaîne qui lie le corps social est celui de Plutus. Plutus et sa bande. C’est lui qui est le vrai maître, le vrai chef des États. C’est lui qui en fait de louches maisons de commerce, des entreprises véreuses(5). Non pas que nous rendions seuls responsables des maux dont nous souffrons tel ou tel groupe social, ou tel individu. Nous ne sommes pas si simpliste. Point de boucs émissaires ! Cela est trop commode ! Nous ne dirons même pas—Is fecit cui prodest—que ceux qu’on voit aujourd’hui sans pudeur profiter de la guerre l’ont voulue. Ils ne veulent rien que gagner ; ici ou là, que leur importe ! Ils s’accommodent aussi bien de la guerre que de la paix, et de la paix que de la guerre : tout leur est bon. Quand on lit (simple exemple entre mille) l’histoire récemment contée de ces grands capitalistes allemands, acquéreurs des mines normandes, rendus maîtres de la cinquième partie du sous-sol minier français, et développant en France, de 1908 à 1913, pour leurs gros intérêts, l’industrie métallurgique et la production du fer, d’où sont sortis les canons qui balayent actuellement les armées allemandes, on se rend compte à quel point les hommes d’argent deviennent indifférents à tout, sauf à l’argent. Tel le Midas antique, qui, tout ce qu’il touchait, ses doigts le faisaient métal… Ne leur attribuez pas de vastes plans ténébreux ! Ils ne voient pas si loin ! Ils visent à amasser au plus vite et le plus gros. Ce qui culmine en eux, c’est l’égoïsme antisocial, qui est la plaie du temps. Ils sont simplement les hommes les plus représentatifs d’une époque asservie à l’argent. Les intellectuels, la presse, les politiciens,—oui, même les chefs d’Etat, ces fantoches de guignols tragiques, sont, qu’ils le veuillent ou non, devenus leurs instruments, leur servent de paravent(6). Et la stupidité des peuples, leur soumission fataliste, leur vieux fond ancestral de sauvagerie mystique, les livrent sans défense au vent de mensonge et de folie qui les pousse à s’entre-tuer…

    Un mot inique et cruel prétend que les peuples ont toujours les gouvernements qu’ils méritent. S’il était vrai, ce serait à désespérer de l’humanité : car quel est le gouvernement à qui un honnête homme voudrait donner la main ? Mais il est trop évident que les peuples, qui travaillent, ne peuvent suffisamment contrôler les hommes qui les gouvernent ; c’est bien assez qu’ils aient toujours à en expier les erreurs ou les crimes, sans les en rendre, par surcroît, responsables ! Les peuples, qui se sacrifient, meurent pour des idées. Mais ceux qui les sacrifient vivent pour des intérêts. Et ce sont, par conséquent, les intérêts qui survivent aux idées. Toute guerre qui se prolonge, même la plus idéaliste à son point de départ, s’affirme de plus en plus une guerre d’affaires, une « guerre pour de l’argent », comme écrivait Flaubert.—Encore une fois, nous ne disons pas qu’on fasse la guerre pour de l’argent. Mais quand la guerre est là, on s’y installe, et on trait ses pis. Le sang coule, l’argent coule, et on n’est pas pressé de faire tarir le flot. Quelques milliers de privilégiés, de toute caste, de toute race, grands seigneurs, parvenus, Junkers, métallurgistes, trusts de spéculateurs, fournisseurs des armées, autocrates de la finance et des grandes industries, rois sans titre et sans responsabilité, cachés dans la coulisse, entourés et sucés d’une nuée de parasites, savent, pour leurs sordides profits, jouer de tous les bons et de tous les mauvais instincts de l’humanité,—de son ambition et de son orgueil, de ses rancunes et de ses haines, de ses idéologies carnassières, comme de ses dévouements, de sa soif de sacrifice, de son héroïsme avide de répandre son sang, de sa richesse intarissable de foi !…

    Peuples infortunés ! Peut-on imaginer un sort plus tragique que le leur !… Jamais consultés, toujours sacrifiés, acculés à des guerres, obligés à des crimes qu’ils n’ont jamais voulus… Le premier aventurier, le premier hâbleur venu s’arroge avec impudence le droit de couvrir de leur nom les insanités de sa rhétorique meurtrière, ou ses vils intérêts. Peuples éternellement dupes, éternellement martyrs, payant pour les fautes des autres… C’est par-dessus leur dos que s’échangent les défis pour des causes qu’ils ignorent et des enjeux qui ne les concernent point ; c’est sur leur dos sanglant et piétiné que se livre le combat des idées et des millions, auxquels ils n’ont point part (aux unes pas plus qu’aux autres ; et seuls, ils ne haïssent point, eux qui sont sacrifiés ; la haine n’est au cœur que de ceux qui les sacrifient… Peuples empoisonnés par le mensonge, la presse, l’alcool et les filles… Peuples laborieux, à qui l’on désapprend le travail… Peuples généreux, à qui l’on désapprend la pitié fraternelle… Peuples qu’on démoralise, qu’on pourrit vivants, qu’on tue… O chers peuples d’Europe, depuis deux ans mourants sur votre terre mourante ! Avez-vous enfin touché le fond du malheur ? Non, je le vois dans l’avenir. Après tant de souffrances ; je crains le jour fatal où, dans la déconvenue des espoirs mensongers, dans le non-sens reconnu des sacrifices vains, les peuples recrus de misère chercheront en aveugles sur quoi, sur qui se venger. Alors, ils tomberont eux aussi dans l’injustice, et seront dépouillés par l’excès de l’infortune jusque de l’auréole funèbre de leur sacrifice. Et du haut en bas de la chaîne, dans la douleur et dans l’erreur, tout s’égalisera… Pauvres crucifiés, qui se débattent sur la croix, à côté de celle du Maître, et, plus livrés que lui, au lieu de surnager, s’enfoncent comme un plomb dans la nuit de la souffrance ! Ne vous sauvera-t-on pas de vos deux ennemis : la servitude et la haine ?… Nous le voulons, nous le voulons ! Mais il faut que vous le vouliez aussi. Le voulez-vous ? Votre raison, ployée sous des siècles d’acceptation passive, est-elle capable encore de s’affranchir ?…

    Arrêter la guerre qui est en cours, qui le peut aujourd’hui ? Qui peut faire rentrer dans sa ménagerie la férocité lâchée ? Même pas ceux peut-être qui l’ont déchaînée,—ces dompteurs qui savent bien qu’ils seront dévorés !… Le sang est tiré, il faut le boire. Soûle-toi, Civilisation !—Mais quand tu seras gorgée, et quand, la paix revenue, sur dix millions de cadavres, tu cuveras ton ivresse abjecte, te ressaisiras-tu ? Oseras-tu voir en face ta misère dévêtue des mensonges dont tu la drapes ? Ce qui peut et doit vivre aura-t-il le courage de s’arracher à l’étreinte mortelle d’institutions pourries ?… Peuples, unissez-vous ! Peuples de toutes races, plus coupables, moins coupables, tous saignants et souffrants, frères dans le malheur, soyez-le dans le pardon et dans le relèvement ! Oubliez vos rancunes, dont vous périssez tous. Et mettez en commun vos deuils : ils frappent tous la grande famille humaine ! Il faut que dans la douleur, il faut que dans la mort des millions de vos frères vous ayez pris conscience de votre unité profonde ; il faut que cette unité brise, après cette guerre, les barrières que veut relever plus épaisses l’intérêt éhonté de quelques égoïsmes.

    Si vous ne le faites point, si cette guerre n’a pas pour premier fruit un renouvellement social dans toutes les nations,—adieu, Europe, reine de la pensée, guide de l’humanité ! Tu as perdu ton chemin, tu piétines dans un cimetière. Ta place est là. Couche-toi !—Et que d’autres conduisent le monde !

    2 novembre, Jour des Morts, 1916.

  • BRAVO pour cet article !

    Moi, personnellement je viens seulement de comprendre les révoltes de Léon Tolstoï face à son Eglise orthodoxe en regardant les documentaires "Apocalypse, première et deuxième guerre mondiales". Et je me suis aussi révoltée contre mon ex-Eglise catholique en voyant surtout ces malheureux soldats dans les tranchées qui priaient le même Dieu, le même Jésus-Christ et ayant pour plusieurs belligérants la même foi catholique. Tous ces pauvres soldats étaient encouragés par leur Clergé respectif, pour aller se battre pour la Patrie !!! Alors que si, au contraire, ces différents clergés avaient criés haut et fort qu’aucun chrétien ne peut prendre les armes sous peine d’excommunication, sous peine de désobéir au Christ qui a dit d’aimer nos ennemis, de tendre la joue gauche, que celui qui prend l’épée périra par l’épée...il y aurait eu bien peu d’hommes pour se battre car la majorité était des croyants ! Pas de soldats, pas de guerre !! Le père Zabelka qui a bénit les bombardiers en 45, l’a bien dit dans son témoignage émouvant : les différentes dénominations chrétiennes n’ont jamais pris au sérieux, les commandements de Jésus-Christ et ces guerres sont arrivées en grande partie à cause d’un christianisme qui l’a cherché : deux mille ans de massacres, de violence, de tortures, de condamnation ! Avec un commandement de ne pas tuer !! Et ces pauvres petits dont on ne parle pas, des êtres innocents, ces millions de chevaux enrôlés eux aussi, qu’on a pu voir éventré sur les champs de bataille !!

  • J’aimerais savoir si vous m’autorisez à prendre des extraits de ce beau texte pour l’ouvrage sur lequel je travaille actuellement et dont le premier chapitre sera consacré à la Première guerre mondiale. Cette guerre qui me touche d’ailleurs personnellement. Ma grand-mère maternelle a été violée en été 1918 par un gendarme. Ces gendarmes qui étaient des volontaires et il paraît qu’ils pouvaient tuer certains pauvres soldats qui ne voulaient pas se faire tuer et tuer. Ensuite ma mère a été abandonnée...

    N’auriez vous pas un beau texte sur Jean Jaurès ?

    Merci d’avance

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      Voici par exemple un texte de Jaurès :

      « Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état de l’apparent repos, porte en elle la guerre, comme la nuée dormante porte l’orage. Tant que, dans chaque nation, une classe restreinte d’hommes possèdera les grands moyens de production et d’échange, tant qu’elle possèdera ainsi et gouvernera les autres hommes, tant que cette classe pourra imposer aux sociétés qu’elle domine sa propre loi, qui est la concurrence illimitée, la lutte incessante pour la vie, le combat quotidien pour la fortune et le pouvoir… ; tant que cela sera, toujours cette guerre politique, économique et sociale des classes entre elles, des individus entre eux, dans chaque nation, suscitera des guerres armées entre les peuples. »

      (discours du 7 mars 1895 de Jaurès à la Chambre des députés)

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