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La matière est historique, comme la société
vendredi 3 septembre 2010, par ,
" Pour conclure maintenant tout ce que nous avons dit de la science actuelle, nous pouvons peut-être déclarer que la physique moderne n’est qu’une partie - mais aussi une partie très caractéristique - d’un processus historique général qui tend à une unification."
Le physicien Werner Heisenberg
dans "Physique et philosophie"
« A tous les niveaux, la science redécouvre le temps. »
dans « La nouvelle alliance » de Prigogine
Ilya Prigogine dans « Temps à devenir » :
« Ainsi l’univers devient. Comme l’homme, la nature devient. (…) La nouvelle formulation des lois de la nature est qu’elle rend possible des événements. »
SITE : Matière et révolution
Contribution au débat sur la philosophie dialectique
du mode de formation et de transformation
de la matière, de la vie, de l’homme et de la société
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« Les ’’lois éternelles de la nature’’ se transforment de plus en plus en lois historiques. » Friedrich Engels dans « Dialectique de la nature » (chapitre « dialectique »)
« Pour certains physiciens, tels Max Planck et surtout Ludwig Boltzmann, il (le second principe de la thermodynamique) fut surtout le symbole d’un tournant décisif. La physique pouvait enfin décrire la nature en termes de devenir ; elle allait pouvoir, à l’instar des autres sciences, décrire un monde ouvert à l’histoire. » Ilya Prigogine dans « Entre le temps et l’éternité »
« Nous ne connaissons qu’une seule science : la science de l’histoire. » Karl Marx et Friedrich Engels dans « L’idéologie allemande » (1845)
« Les constituants de la matière tangible ne représentent pas des données arbitraires de notre vie : leurs propriétés résultent de la structure globale de l’univers, et de la façon dont il a vu le jour. » Le journaliste scientifique John Maddox dans « Ce qu’il reste à découvrir »
« Je pense qu’on doit maintenant croire à un univers dans lequel il n’y a pas seulement des lois, mais aussi des événements, tout comme dans l’histoire. » explique le physicien-chimiste Ilya Prigogine dans « Temps à devenir ». La nature est marquée par des événements, c’est-à-dire des phénomènes ponctuels, non-reproductibles à l’identique et saillants, marquants par rapport à l’environnement. Ils représentent des tournants d’une situation globale, à plus grande échelle. Ce sont eux qui produisent une histoire. Un événement a l’allure d’un phénomène unique. Il est sans exemple et, apparemment, sans rationalité logique. La causalité elle-même semble prise en défaut par ces ruptures de continuité et ces événements uniques. Le paléontologue et géologue Stephen Jay Gould expose dans « La vie est belle » toute l’importance pour la compréhension du vivant de la notion d’une nature historique : « Ces animaux ont imposé à une science mal à l’aise avec de tels concepts une notion capitale : celle de l’histoire (...). Pour comprendre l’histoire, il est nécessaire de reconstruire les événements du passé eux-mêmes, dans leurs propres termes, c’est-à-dire en relatant les phénomènes uniques en leur genre qui les ont constitués. (...) Et la question de la prédiction, dont on fait grand cas dans la manière stéréotypée de présenter la science, ne peut pas être prise en considération dans le cadre des récits historiques. » « En tant que scientifique travaillant dans ce domaine historique – à essayer de connaître les causes des accidents et circonstances particulières qui ont forgé l’histoire de la vie, et à tenter, de façon plus conventionnelle, d’expliquer les traits intemporels de la théorie de l’évolution – j’ai été fort déçu par les techniques en usage dans ma discipline. Elles sont rarement adaptées et souvent néfastes lorsqu’il s’agit de comprendre les causes, nécessairement uniques, des séquences historiques contingentes. J’ai donc activement recherché d’autres clefs chez les historiens. (...) L’unicité historique a toujours été un cauchemar pour les scientifiques. Nul ne peut nier l’existence des faits (oui, les Anglais ont bien battu les Français à Azincourt en 1415, et les Twin Towers sont bien tombées le 11 septembre 2001), mais il est tout aussi exact qu’aucun principe général n’aurait permis de prévoir ces faits (...). Pensez ce que vous voulez du réductionnisme comme procédure explicative en sciences, (...) les événements historiques uniques dans les systèmes de grande complexité se produisent pour des raisons « accidentelles » et ne peuvent être expliqués par le réductionnisme classique. (...) Ainsi, si la compréhension scientifique complète inclut la nécessité d’expliquer un grand nombre d’événements contingents, alors le réductionnisme ne saurait montrer à lui seul le chemin. » expliquait le paléontologue Stephen Jay Gould dans « Le renard et le hérisson ». La généticienne Sylvie Mazan rapporte dans sa conférence intitulée « Evolution et développement : la rencontre de deux logiques pour le vivant » pour l’Université de tous les savoirs de juillet 2002 : « Dans le domaine des sciences humaines, la compréhension d’une société et de son fonctionnement implique des approches multiples, visant par exemple à la replacer dans un contexte géographique, économique ou culturel et les contraintes qu’il implique. Mais ces analyses ne sauraient exclure une approche historique, retraçant à la fois son origine et les changements qui l’ont modelée au cours du temps. Il en est de même dans le cas du monde vivant. (...) Elle est également le résultat d’une évolution, difficilement prévisible, dont il est particulièrement intéressant de retracer les étapes. Une telle approche s’inscrit donc dans une approche de type historique (...) et conduit à l’émergence d’une nouvelle discipline, située à l’interface entre la génétique du développement et les sciences de l’évolution, et souvent appelée « évo-dévo » par les généticiens. Le but principal des recherches conduites dans ce domaine est de comprendre l’évolution des formes au sein du monde vivant, en retraçant l’histoire évolutive des gènes qui contrôlent la morphogenèse au cours du développement embryonnaire. »
L’événement est fondamental pour le vivant comme l’expose le biologiste Christian de Duve dans « Singularités, jalons sur les chemins de la vie » : « Singularités, terme par lequel j’entend des événements ou des propriétés de caractère unique, singulier. L’histoire de la vie est jalonnée de telles singularités. » Cela n’est pas moins vrai pour la matière dite inerte. Chacun d’entre nous peut avoir l’impression que l’on peut répéter de nombreuses fois la même expérience : par exemple, lâcher une balle qui va tomber verticalement toujours au même endroit. C’est une illusion car jamais la position de la terre, de la lune, du soleil et des planètes, donc la gravitation, ne sera exactement identique. Les expériences sont seulement similaires. Les expériences et leurs résultats se ressemblent mais ne sont pas identiques. Les lois mathématiques peuvent être les mêmes mais cela ne suffit pas. Il faut, en plus, que ces lois aient une particularité en fait assez rare : que des valeurs initiales proches donnent, sur le long terme, des résultats proches. Tous les physiciens espéraient cependant qu’en exprimant des lois mathématiques on allait épurer la physique de ces scories du désordre naturel. Mais les divergences existent dans les équations et montrent que, hors cas exceptionnels, les lois ne permettent pas de prédire. Deux des plus grands physiciens, Albert Einstein et Henri Poincaré [1], ont montré qu’un apparent désordre [2] dominait la physique ôtant sa prédictibilité au déterminisme. « Dès que l’instabilité est incorporée, la signification des lois de la nature prend un nouveau sens. Elles expriment désormais des possibilités. Elles affirment le devenir et non plus seulement l’être. Elles décrivent un monde de mouvements irréguliers (...). Ce désordre constitue précisément le trait fondamental de la représentation microscopique applicable aux systèmes auxquels la physique avait, depuis le 19ème siècle, appliqué une description évolutionniste (...). » défend le physicien-chimiste Ilya Prigogine dans « La fin des certitudes ».
Il est impossible de savoir dans quel état va être une particule que l’on va capter, impossible de prédire à quel moment un atome excité va émettre un photon, impossible de deviner à quel moment un noyau radioactif instable va se décomposer de manière radioactive, impossible de prévoir si un photon va traverser le miroir ou se réfléchir, etc… Les physiciens espéraient que leur science allait devenir prédictible en atteignant le niveau des particules. Au contraire, plus on s’approche des particules dites élémentaires, plus l’imprédictibilité s’accroît ! Cela ne veut pas dire que l’agitation trépidante de tels phénomènes les rende inaptes à l’étude et sujets seulement à la contingence. Tout n’est pas possible, loin de là. Une loi permet de déterminer les possibles mais pas de trancher celui qui sera adopté par la dynamique. Car ce qui le choisit, c’est la loi du niveau inférieur. La dynamique est décrite seulement par des lois dites statistiques parce qu’elle découle d’un phénomène déterministe rapide imbriqué (interactif, contradictoire et combiné) dans un phénomène déterministe beaucoup plus lent. Croyant que le caractère statistique des lois menait à l’indéterminisme, les physiciens avaient déjà manifesté leur rejet de cette façon de voir face aux découvertes du physicien Ludwig Boltzmann qui étudiait l’agitation moléculaire. « Pour certains physiciens, tels Max Planck et surtout Ludwig Boltzmann, il (le second principe de la thermodynamique) fut aussi le symbole d’un tournant décisif. La physique pouvait enfin décrire la nature en termes de devenir ; elle allait pouvoir, à l’instar des autres sciences, décrire un monde ouvert à l’histoire. (...) A tous les niveaux, la science redécouvre le temps. » racontent le physicien Ilya Prigogine et la philosophe Isabelle Stengers dans « Entre le temps et l’éternité ». C’est un mode de fonctionnement que l’on appelle une crise, une « transition de phase » avec « interaction d’échelles ». Il n’est pas dans la suite logique du passé. Rien ne le laissait prévoir. Même après coup, personne ne peut prétendre qu’on aurait pu le deviner. Une expérience illustre parfaitement le fait que cette physique soit à la fois aléatoire et déterministe : celle des photons jumeaux. Deux photons lumineux appelés jumeaux sont émis en même temps dans deux directions opposées par une même source. On effectue une mesure habituellement considérée comme aléatoire : celle su spin du photon (assimilable à un moment de rotation magnétique) et on remarque que les deux photons ont des spin corrélés. Cela signifie que les mesures ne sont pas au hasard. Ou plus exactement qu’il existe un mécanisme (il reste à dévoiler lequel) déterministe par lequel la mesure de spin n’est pas n’importe laquelle. Jusque là, le spin sembler obéir seulement à une probabilité ce qui signifiait qu’individuellement il aurait agi de façon complètement désordonnée. Le fait que les deux spins des deux photons jumeaux soient corrélés rappelle que le caractère probabiliste du spin du photon montre que ce caractère probabiliste du spin ne signifie pas qu’il n’obéisse pas à des lois. Par contre, ces lois sont fondées sur un désordre collectif sous-jacent, celui du vide. C’est ce désordre qu’on appelle un peu rapidement du hasard, alors que l’ordre est appelé loi. Cette séparation n’est pas valable : la loi fonctionne sur la base du désordre et le désordre est relié à des lois ou plutôt les fonde. Parler de « pur hasard » n’est pas une aide parce que le désordre est inséparable de l’ordre. Le déterminisme strict n’est pas plus opérant. Nier le désordre et chercher des lois éternelles, fixes ne répond pas non plus au problème que nous posent les phénomènes naturels.
Depuis Newton et sa loi de la gravitation apparemment complètement prédictive, on a cru expulser complètement le hasard (plus exactement le désordre) du fonctionnement de la nature. L’obéissance à des règles mathématiques nous apparaissant diamétralement opposée au hasard. Actuellement, dans le sens opposé et dans tous les domaines des sciences, on remarque l’action d’un hasard (ou plus exactement d’une agitation désordonnée mais déterministe). Il est lui-même dû à des phénomènes interactifs qui ne sont pas au même niveau d’ordre hiérarchique que les éléments. C’est la source de ce fameux « pur hasard ». L’exemple classique est la rencontre du promeneur et de la tuile qui tombe du toit. Les deux phénomènes sont déterministes. Leur rencontre, fortuite, est la cause de la mort du promeneur, l’événement final qui apparaît du pur hasard. L’imprédictibilité du fonctionnement de la matière est assimilée par erreur à de un indéterminisme fondamental de la nature. La tuile aurait très bien pu tomber une demi minute plus tôt ou plus tard, laissant vivant le promeneur. Le « résultat final », la mort du promeneur, n’était pas programmé. Nous voilà loin de la physique ? Pas tant que cela. Le moment où un électron change de couche dans l’atome, le moment où il émet un photon, la direction de ce photon, le spin de ce photon, le moment où un noyau instable se décompose (radioactivité), le mouvement d’un photon qui traverse un nouveau milieu (se réfracte-t-il ou se réfléchit-il), tous ces phénomènes sont liés au hasard et ne sont pas prédictibles. Cependant tous ces éléments ne sont pas exactement au hasard puisqu’ils obéissent à des lois probabilistes. Le caractère probabiliste signifie que sur un grand nombre de cas, il y a des lois. La probabilité est bel et bien liée à un déterminisme, même si celui-ci ne se déroule pas au même niveau. Tout comme les « hasards » de l’Histoire sont le mode d’expression de son déterminisme, dans la matière ils sont une composante permanente de l’histoire de la matière. Dans cette histoire, un détail (la tuile qui tombe) peut devenir déterminant pour un événement brutal (la mort du promeneur) et entraîner une véritable bifurcation du cours du développement. Ainsi, en chimie-biologie, la catalyse produit de tels tournants de l’histoire d’une réaction ou d’une série rétroactive de réactions, d’une auto-organisation des réactions biochimiques. Un seuil de concentration d’une molécule fait basculer une réaction chimique dans le sens inverse. De même, une petite différence locale de concentration de matière aurait permis à Jupiter de devenir une étoile. Et cela a changé toute l’histoire de la terre. Qui sait si la vie aurait pu apparaître sur notre planète tournant autour d’un système d’étoiles doubles, avec ce que cela entraîne comme augmentation de température ? Un tout petit peu moins de matière dans le soleil qui serait resté froid et nous serions de la matière glacée sans vie, dérivant dans l’espace ! Une toute petite différence de distance des supernovae les plus proches et les noyaux lourds n’auraient pu être formés à notre proximité. Les poussières qui ont constitué le monde terrestre n’auraient pas existé…etc. Ces « hasards », ou plus exactement ces événements produits par l’interaction d’échelle, ont amené certains auteurs à reconstruire intellectuellement le sens de la vie humaine comme une nécessité métaphysique, en attribuant à une puissance supérieure la construction de toutes ces conditions incroyables qui ont donné la terre, la vie et l’homme.
Stephen Hawking apporte malheureusement sa caution à ce « principe anthropique », d’autant plus principiel qu’il n’est pas scientifique, dans « Une brève histoire du temps », affirmant que « Ce que l’on connaît comme le principe anthropique peut être résumé par la phrase : ‘’c’est parce que nous existons que nous voyons l’univers tel qu’il est.’’. (...) Le principe anthropique faible pose que dans un univers qui est grand et infini dans l’espace et/ou dans le temps, les conditions nécessaires au développement de la vie intelligente ne se rencontreront que dans certaines régions limitées dans l’espace et dans le temps. Les êtres intelligents de ces régions devraient donc ne pas être étonnés que leur voisinage dans l’univers remplisse les conditions qui sont nécessaires pour leur existence. Un peu comme une personne riche vivant dans un environnement riche sans jamais voir de pauvreté. Un exemple, de l’utilisation de ce principe anthropique faible est d’ « expliquer » pourquoi le Big bang est apparu il y a dix milliards d’années de cela : il a fallu tout ce temps aux êtres intelligents pour évoluer. (...) Peu de personnes devraient contester la validité ou l’utilité du principe anthropique faible. (...) A la question : ‘‘pourquoi l’univers est-il tel que nous le voyons ?’’, la réponse est simple : s’il avait été différent nous ne serions pas là. Les lois de la Physique, nous le savons aujourd’hui, contiennent beaucoup de nombres fondamentaux, comme la taille de la charge électrique de l’électron et le rapport des masses du proton et de l’électron. (...) Le fait remarquable est que la valeur de ces nombres semble avoir été finement ajustée pour rendre possible le développement de la vie. (...) Si le stade initial n’avait été choisi avec le plus de soin possible pour en arriver à ce que nous voyons autour de nous, l’univers n’aurait que peu de chance de contenir quelque région dans laquelle la vie pourrait apparaître. (...) Il serait très difficile d’expliquer que l’univers n’aurait dû commencer que de cette façon, à moins que ce ne soit l’acte d’un Dieu désireux de créer des êtres comme nous. » Ces conceptions anthropiques, qui font de l’homme un cas à part et le placent au centre de tout comme but de l’univers ou même de la science [3], n’ont pas plus de validité scientifique que celles affirmant que le l’univers aurait été produit uniquement dans la but de construire notre moi personnel. Cela s’appelle de l’égocentrisme. Il serait beaucoup plus légitime d’affirmer que l’Univers aurait été bâti uniquement pour permettre aux bactéries de se développer ou aux particules virtuelles d’apparaître et de disparaître dans le vide quantique. Et c’est tout aussi faux. L’astrophysicien André Brahic écrit ainsi à propos du Big Bang : « Certains n’hésitent pas à introduire dans leurs modèles des idées anthropiques : l’Homme serait le symbole, voire la finalité de cette réussite et notre existence de toute façon déterminerait le « bon » modèle cosmologique. En replaçant l’Homme au centre de l’Univers, ils ne sont apparemment pas guéris des folies du géocentrisme. »
Toute une série d’événements découpent le développement de l’Univers (apparitions de structures et de lois nouvelles). Cela n’en fait pas un déroulement linéaire pré-programmé, dans un but. Des événements au sens historique du terme. Dire que l’Univers obéit à une dynamique historique implique que c’est le déroulement des interactions qui choisit entre les possibles déterminés par les lois. Tout événement sera nécessaire mais ne sera pas le seul aboutissement qui aurait pu avoir lieu. La tuile est tombée en obéissant aux lois de la gravitation mais elle n’était pas contrainte par ce déterminisme à tomber justement sur le promeneur. Comme la physique et la chimie, la biologie est devenue une matière historique. La génétique s’est modifiée pour passer du réductionnisme [4] à une étude historique des événements marquant des transitions du fonctionnement biologique en liaison avec le milieu. Cette fin du réductionnisme dans l’étude du génome est soulignée par nombre d’auteurs [5]. La revue « Pour la science » de septembre 2000 relève ainsi que « Jusqu’au début des années 1980, les biologistes pensaient qu’à un gène correspond un seul ARN messager et une seule protéine. Il n’en est rien : un gène peut être transcrit par segments, qui sont ensuite coupés et recoupés (...) Les protéines ainsi synthétisées sont parfois modifiées. (...) La connaissance du génome humain n’est pas celle du fonctionnement cellulaire. »
« S’intéresser au génome, c’est s’intéresser aussi à ce qui n’est pas dans le génome. Et d’abord à cette association complexe entre l’ADN et les protéines (...) Les recettes du génome ne ressemblent pas aux protocoles de construction des maquettes, où l’assemblage des différentes pièces est parfaitement décrit et organisé. Le génome contient le minimum d’informations. Le « reste » résulte du fonctionnement intégré de l’ensemble de ses composants. (...) Comment les fonctions complexes des organismes émergent-elles de l’interaction variable dans le temps et dans l’espace de ces composants élémentaires ? Comment les systèmes vivants acquièrent-ils ces modes de fonctionnement dynamiques (...) Le séquençage du génome (...) a sonné le glas du modèle mécaniste de la biologie moléculaire, fondé sur l’étude des macromolécules isolées, en tant que modèle explicatif unique. » analyse Michel Morange, introduisant le numéro spécial de la revue « Pour la Science » de mars 2005. Caroll Ezzell expose, dans « Pour la science » de septembre 2000 ce qui fait défaut au tout ADN et au tout génome : « Le séquençage de l’ADN d’un être humain n’est qu’une première étape dans l’étude du fonctionnement d’une cellule ; on doit aujourd’hui explorer les protéines codées par ces gènes. Au moment où les gènes sont d’actualité, ils sont supplantés par les protéines. Un savoir est acquis : les séquences de milliers de gènes humains. Les biologistes doivent en acquérir un autre : le fonctionnement de ces gènes ; on cherche où et quand ils s’expriment et quelles sont les propriétés des protéines qu’ils codent. (...) Bien que chaque cellule de l’organisme contienne l’ensemble de l’ADN utile à la fabrication et au fonctionnement d’un être humain, beaucoup de ces gènes ne s’expriment jamais, c’est-à-dire ne sont jamais transcrits en ARN messagers, lorsque le développement embryonnaire est achevé. En outre, les gènes ne s’expriment qu’en fonction de leur situation dans les tissus et de leur rôle dans l’organisme. Par exemple, dans une cellule bêta du pancréas, le gène d’insuline s’exprime intensément, alors qu’il reste muet dans un neurone. » Michel Morange explique également que « La génétique de demain devra articuler avec cette vision mécaniste une vision historique laissant toute sa place aux aléas de l’histoire et aux bizarreries qui en ont résulté, mais aussi à des modèles physiques, dynamiques, seuls à même de décrire le fonctionnement et les dysfonctionnements des systèmes biologiques. »
Une des caractéristiques de ce processus historique est l’existence de brutales accélérations dues à des catalyses. On connaît l’importance de la catalyse en chimie et en biochimie. La génétique du vivant consiste en accélération ou décélération de l’action des gènes par la production de catalyseurs comme certaines protéines. La catalyse, phénomène considérable pour le vivant, a le même rôle fondamental dans les phénomènes de la matière inerte à toutes les échelles. Les poussières ont un rôle catalytique pour la formation des nuages et de la pluie. La fusion nucléaire est catalysée par la présence de carbone. Toutes les révolutions de la matière ont leur catalyseur qui accélère la transformation et donne un développement exponentiel aux quantités produites. La catalyse est à la base du caractère révolutionnaire de la transformation. Un petit facteur devient responsable d’une transformation qualitative et globale. Le caractère imprédictible provient de l’interaction d’échelle entre le catalyseur et le domaine sur lequel il intervient. La présence de circonstances particulières, d’un niveau inférieur, peut avoir, à un moment clef, ne influence considérable. Leur présence accélère la réaction et provoque, par réaction en chaîne, des transformations d’un niveau largement supérieur. C’est ce qu’en Histoire humaine on appelle « le rôle de l’individu dans l’Histoire » ou « le nez de Cléopatre ».
« L’explication des événements les plus simples fait intervenir toute l’histoire de l’univers. » expose l’astrophysicien Hubert Reeves dans « Patience dans l’azur ». L’Univers est devenu, pour nous, inséparable d’une histoire mouvementée. « Le Big Bang est éliminé au profit d’une vraie histoire physique. (...) L’histoire cosmologique de l’Univers semble émerger, sans fracas énergétique, d’une instabilité du vide plutôt que de la singularité du Big Bang. Du point de vue énergétique, le passage à l’existence de l’univers (matériel) serait donc un événement gratuit. Ce qui en soi n’a rien d’étonnant : l’énergie, en physique, ne permet pas de raconter d’histoire, elle ne permet pas de comprendre la dimension temporelle de l’évolution, la différence qu’elle crée entre l’avant et l’après qu’engendre l’instabilité du vide. (...) Que le vide quantique puisse engendrer de l’entropie, donc du désordre, voilà qui en révèle une propriété structurelle remarquable. (...) Dans la transition du vide à l’Univers, c’est la création autocohérente de matière qui est génératrice d’entropie. (...) L’expansion gravitationnelle, par le refroidissement progressif de type thermodynamique que les physiciens lui ont adjoint, crée la scène d’une histoire où se succèdent des événements d’un tout autre ordre : découplages, brisures de symétrie, différenciations. (...) Remontons le cours du temps du présent vers le passé (...). Plus la remontée dans le passé est importante, plus l’Univers se contracte et plus la température du fluide cosmique s’élève. Les éléments de celui-ci se décomposent alors successivement en leurs constituants de plus en plus élémentaires, les atomes sont d’abord décomposés en noyaux et électrons, ensuite, à des températures plus élevées, les noyaux se décomposent à leur tour en protons et neutrons qui, à des températures plus élevées encore, se décomposent finalement en quarks et gluons. (...) Cette histoire est caractérisée par une série de seuils bien déterminés de la température cosmique, associés aux diverses étapes de la structuration de la matière. » écrit le physicien Edgard Gunzig dans « Du vide à l’univers ».
L’étude de la matière (inerte comme vivante) est désormais une étude historique pleine de rebondissements, d’événements qui l’ont marquée de façon indélébile. L’astrophysicien Marc Lachièze-Rey décrit cette histoire de l’Univers dans son article « L’univers sans histoire ? » du Hors série de la revue Sciences et Avenir de mars 2006 : « L’univers du passé contenait des objets d’une autre nature que ceux d’aujourd’hui et présentait un aspect très différent. La cosmologie reconstitue cette longue histoire : elle ne rend pas seulement compte de la variation d’un thermomètre cosmique mais décrit véritablement l’évolution graduelle de l’univers et de son contenu, de sa nature, de ses propriétés, de son organisation. ( ..) La succession d’une ère dominée par le rayonnement électromagnétique (premier million d’années) et d’une ère dominée par la matière : les apparitions successives des première particules élémentaires (baryogenèse), des premiers noyaux (nucléosynthèse primordiale), des premiers atomes (recombinaison), puis des structures astronomiques –galaxies, étoiles, planètes – et en même temps des molécules et des petits grains de matière, enfin du système solaire. (...) Plutôt que de dire que protons et neutrons primordiaux ont formé les premiers noyaux d’atomes trois minutes après le big bang, on peut déclarer que cette nucléosynthèse s’est déroulée lorsque la température de l’univers n’était plus que de un milliard de degrés Kelvin. Cela ne revient pas du tout au même (...) Il est donc préférable de considérer l’évolution cosmique comme un enchevêtrement de plusieurs histoires aux implications mutuelles : celle de la température (refroidissement), de la densité (dilution), de l’entropie (organisation, structuration), des dimensions (expansion). » Chaque époque de crise et de transformation a laissé quelques traces fossiles. Les photons comme les particules durables sont des marques de l’histoire de l’univers qui nous renseignent sur l’état du monde à leur formation. Ce que l’on appelait des objets fixes sont ces fossiles. Cela va de l’énergie fossile du bruit de fond cosmique aux fossiles vivants et aux restes des anciennes civilisations et idéologies passées qui ont laissé leur trace, en passant par les diverses formes de la matière et de la vie. Les lois de l’histoire ne s’appliquent pas seulement à l’histoire de la société humaine. Il y a une histoire de la vie. La matière a elle aussi une histoire. Et surtout, la matière n’est rien d’autre que le château du Moyen Age, avec ses échauguettes de 1300, ses tours de guet de la guerre de cent ans, ses fenêtres au meneaux des débuts de la renaissance, ses rafistolages de l’époque classique, etc… Si on examine un château, on pensera à donner les différentes époques de construction qui expliquent telle ou telle caractéristiques de l’architecture et des intérieurs. Si on examine les mœurs d’une société ou une langue, on y remarque des apports de toutes les époques passées de la société. Il en va de même en physique de la matière ou en biochimie de la vie. Si on examine un être vivant, chacun des mécanismes biochimiques et organiques qui le composent date d’une époque différente. L’apparition de l’ARN, des protéines, du code génétique, de l’ADN, de la cellule, des multicellulaires sont des événements datant d’époques très diverses. Chez l’homme, les dents datent d’une époque, tel ou tel os d’une autre époque, telle ou telle disposition du corps comme le pouce opposable aux autres doigts ou le redressement de la colonne vertébrale sont également des événements historiques.
Le monde matériel et lumineux qui nous entoure est un bric-à-brac de matériel de toutes les époques. On se croit dans un musée de guerre où se côtoient des arcs océaniens, des haches de pierres, des kalachnikov et des lance-missiles dernier cri. Cela va de photons datant du rayonnement Big Bang à d’autres qui viennent d’être émis. Les structures matérielles (des électrons aux quarks) datent d’autres époques que les protons ou que les noyaux atomiques qui sont eux-mêmes d’époques très diverses en fonction de leur taille, les atomes, les molécules et sans parler des macromolécules du vivant. Toutes les structures de l’univers actuel (des galaxies aux molécules, des atomes et des particules à la lumière et à l’espace-temps du vide) sont nées au cours des diverses étapes de la longue existence de l’univers. La matière est marquée par des événements brutaux qui ont constitué des bouleversements, locaux ou globaux, de l’univers. Aussi bizarre que cela puisse paraître au premier abord, elles sont des produits d’une transformation qui mêle la rationalité non prédictive des lois non-linéaire aux hasards et la nécessité, transformation qui connaît des époques de changement radical et qualitatif qui ponctuent des longues phases de stagnation.
La matière a une histoire globale, celle du cosmos. Le monde, tel que nous le connaissons (solides, liquides et gaz, composés de molécules, d’atomes, de protons, de neutrons, d’électrons, de quarks et de photons), n’a pas toujours existé. Aucune matière n’est éternelle et chaque structure est née à un moment donné et est amenée à disparaître brutalement, donnant naissance à d’autres structures. La matière a connu, plusieurs fois au cours de cette longue transformation, des courtes périodes amenant des modifications complètes de sa forme et de son fonctionnement. La matière et l’anti-matière [6] ont été constituées à partir des fluctuations d’énergie du vide. Puis matière et antimatière se sont couplées pour donner le rayonnement. Ensuite, le cosmos en expansion et en voie de refroidissement est brutalement devenu transparent au rayonnement. Puis dans une phase suivante, la matière en excédent, après couplage avec l’anti-matière, s’est progressivement structurée et complexifiée, la dernière complexification donnant la vie.
Les grandes étapes historiques des états de l’univers que nous sommes capables actuellement de reconstituer sont (par ordre chronologique) : l’ère du vide [7], l’ère particulaire, l’ère protonique, l’ère nucléaire, l’ère radiative, l’ère atomique et moléculaire et l’ère stellaire, au sein de laquelle on peut distinguer l’ère du vivant. « Au début, le rayonnement est si intense qu’il possède l’énergie nécessaire pour matérialiser tous les couples particule/antiparticules possibles, qui s’annihilent aussitôt, ou qu’il détruit immédiatement. » écrit André Brahic dans « Sciences de la terre et de l’univers ». Cela nécessite que la température soit supérieure à un niveau de seuil [8]. Quand la température baisse (expansion), le niveau seuil est atteint et une grande partie des particules et antiparticules virtuelles ne sont plus matérialisées qu’occasionnellement. Les couples quark/antiquarks ne le sont plus matérialisées vers un million de milliards de degrés. Les couples qui sont matérialisés en dernier sont électron/positon jusqu’à la température de 5 milliards de degrés. « C’est seulement au bout d’un million d’années, lorsque la température est suffisamment basse, de l’ordre de 3000 °K que cesse l’empire du rayonnement sur la matière. » explique Brahic qui distingue l’ère du vide matérialisé (température T supérieure à cent mille milliards de milliards de milliards de degrés), l’ère de Planck (T supérieure à dix milliards de milliards de milliards de degrés), l’ère de grande unification (T supérieure à cent milliards de milliards de degrés), l’ère hadronique (T supérieure à mille milliards de degrés), l’ère leptonique (T supérieure à cinq milliards de degrés), l’ère radiative (T supérieure à trois mille degrés) et enfin l’ère stellaire. De multiples seuils ont été franchis entre ces ères comme au cours de ces ères. Ils correspondent à des seuils de températures
A 10.000 milliards de degrés, le rayonnement n’a plus assez d’énergie pour dissocier les couples quarks/antiquarks et les quarks sont confinés à l’intérieur des hadrons
A mille milliards de degrés, les pions s’annihilent.
à 10 milliards de degrés, les neutrinos n’interagissent plus avec les nucléons
à 5 milliards de degrés, les électrons du vide s’annihilent.
à 4000°K, les premiers atomes apparaissent.
à 3000°K, le rayonnement se découple de la matière, devenue transparente au rayonnement. L’univers est désormais dominé par la matière. Mais celle-ci est, en nombre, un milliard de fois inférieure à la matière du vide, devenue virtuelle (elle apparaît puis disparaît).
Ces seuils correspondent à des découplages entre des interactions, à des annihilations massives de particules du vide, puis à des synthèses de structures matérielles (de l’atome à l’amas de galaxies). Ces diverses étapes sont des épisodes et même des périodes « révolutionnaires » : la période inflationnaire [9] qui clôture la période de grande unification, la séparation au sein du vide entre matière et antimatière, le couplage des deux en photons, la libération de lumière au sein de la matière [10], la formation des particules de durée de vie plus élevées (virtuelles puis réelles), des quarks et des électrons, des protons collant trois quarks, des atomes couplant protons, neutrons et électrons, la libération de la gravitation, la formation des étoiles et groupes d’étoiles, la formation des molécules et des macromolécules et de la vie. Avec la formation des étoiles, une nouvelle histoire doit être racontée, celle de ces astres qui connaissent également des sauts qualitatifs en fonction de la température (celle de leur noyau). Ces températures déterminent les explosions nucléaires possibles. La transformation d’hydrogène en hélium nécessite 12 millions de degrés. La transformation d’hélium en carbone nécessite cent millions de degrés. Les étoiles massives vont au delà de la transformation du carbone. La transformation du carbone nécessite 600 millions de degrés, la transformation du néon un milliard de degrés, la transformation de l’oxygène (donnant du silicium et du soufre) deux milliards de degrés, la transformation du silicium (qui conduit au fer) quatre milliards de degrés. Au delà du fer, les réactions thermonucléaires ne permettent plus de donner de l’énergie par fusion. Du coup, l’étoile s’éteint ou implose (supernova). La contradiction entre gravitation et rayonnement d’énergie ne permet plus d’équilibrer l’étoile. L’explosion d’une supernova émet une énergie équivalente à l’énergie émise par toute une galaxie.
Il n’y a rien eu de graduel ni de continu dans tous ces changements qualitatifs que l’on appelle des transitions de phase [11]. Cette expression semble peu explosive et pourtant elle sous-entend un saut qualitatif se déroulant en un temps très court, infiniment plus court que la phase qu’il a quittée ou que celle qu’il a ouverte. Le monde a mis 300 000 ans pour être transparent au rayonnement et 100 millions d’années pour commencer à produire étoiles et galaxies mais chacune de ces transformations ont eu lieu en un instant. C’est un événement historique. Le saut d’une particule d’un état à un autre, l’émission ou l’absorption d’un photon par une particule, les diverses interactions entre particules sont des événements qui, relativement, semblent ponctuels dans le temps. Cela a d’abord poussé la physique à considérer seulement les états stationnaires successifs puisqu’il n’y a pas d’étapes entre ces états. Ce faisant, la science avait d’abord botté en touche sur le problème principal qui est le saut qualitatif..
La notion de révolution est aussi indispensable à la compréhension à la formation de la matière et de la lumière qu’à la formation de la vie, à l’apparition d’êtres vivants ayant des nouveaux plans d’organisation, ou encore à la formation du cerveau humain et de la conscience. Toutes ces étapes représentent des changements radicaux dont la survenue brutale était imprédictible, les éléments du stade nouveau n’étant pas inclus ni préparés d’avance dans l’ancien. Chaque étape a profondément bouleversé le mode de fonctionnement de l’univers et ses règles. La nouvelle structure obéit à de nouvelles lois. C’est un nouveau monde mais qui a été fabriqué avec des constituants de l’ancien en émergeant à partir des bases de l’ancien monde. Les particules virtuelles du vide quantique appartiennent à un autre niveau que les particules réelles, avec des lois différentes, mais il ne s’agit pas de deux mondes séparés. Les particules virtuelles sont instables mais elles permettent la stabilité de la structure de la particule « réelle ». Les particules « réelles » émergent de l’univers des particules virtuelles et les particules virtuelles ne sont visibles qu’en présence de particules « réelles ». Les particules appartiennent à un autre monde (quantique) que les molécules et les grandes masses de matière (classique), mais ils fondent les molécules et la matière à grande échelle. Ces derniers constituent les étoiles et les galaxies mais obéissent aussi à d’autres lois. Si la nouvelle structure n’était pas bâtie sur les briques de l’ancien monde, elle n’aurait pas pu y naître et y fonctionner et cependant, elle s’en distingue. L’unité du monde est indispensable et aucune structure ne peut venir de l’extérieur de l’univers tel qu’il était précédemment. La réutilisation des anciens matériaux pour d’autres fonctions est un mécanisme général. Le vivant est marqué par des sauts : acides nucléiques, ARN, protéines, ADN, cellule, êtres pluricellulaires.
On a longtemps glosé sur « le mystère de l’origine ». On constate qu’il n’y a pas une seule origine de la matière pas plus qu’il n’y a une seule origine de la vie ou encore une seule origine de l’homme, de la conscience, de tel ou tel type de société, mais de multiples naissances, de nombreuses explosions successives de créations, de destructions et de combinaisons. Il n’y en a même pas plusieurs entre lesquelles il s’agirait de choisir les plus importantes qui détermineraient LA matière, LA vie, LA civilisation ou celle qui déterminerait l’homme. Ils ont été créés de très nombreuses fois. Ce qu’il convient de chercher n’est pas UNE origine mais un mode de fonctionnement dynamique dans lequel la structure est fondée sur des transformations interagissant de façon collective et menant à des changements qualitatifs. Des millions de grands sauts (et des milliards de petits sauts) en ce qui concerne la matière inerte et des millions d’autres en ce qui concerne la vie. Toute structure a une naissance et une mort. Ce ne sont pas des accidents mais des discontinuités d’un processus dynamique qui maintient sans cesse la structure entre la vie et la mort. Et cela qu’il s’agisse d’une étoile, d’une galaxie ou d’une cellule, d’un être vivant. L’histoire de l’univers du vivant est aussi riche en « singularités », comme De Duve les appelle, que celle de la matière l’est en transitions de phase. Dans « Singularités », De Duve essaie de réaliser un scénario de l’histoire de la vie, qui n’est encore qu’une hypothèse de travail. Ce qui frappe, c’est non seulement la multitude des sauts, des discontinuités, mais leur quasi infinité. Il n’y a pas une apparition unique de la vie. Il n’y a même pas une apparition de l’ARN. Il y a une multitude de types d’ARN construits à des moments divers et ayant des rôles divers. Cependant, la vie n’est pas seulement un grand désordre. De Duve s’applique à montrer que tout ce qui s’est passé s’est déroulé en fonction de la nécessité, des lois chimiques : « On ne peut suffisamment souligner que tous les événements conjecturés étaient des produits exclusifs de la chimie, c’est-à-dire de manifestations reproductibles, déterministes, entièrement dépendantes des conditions physiques et chimiques existantes. » On a longtemps tenté la reconstitution d’une histoire linéaire de la vie. En vain. Elle n’existe pas. Les « trous » que l’on a constatés, on les a appelés les « chaînons manquants », mais il aurait fallu dire plutôt les chaînons inexistants. La linéarité ne peut pas décrire le mécanisme du vivant. Il n’y a pas plus de linéarité de la matière à la vie que d’une forme de vie à une autre ou d’un type de société à un autre. Le mécanisme spontané, aveugle de l’univers n’a rien de linéaire puisqu’il ne cesse de sauter d’un état à un autre, d’une structure à une autre, sans intermédiaire.
Il n’a pas été possible non plus de concevoir linéairement la dynamique de la matière. Une « simple » interaction particule-particule comporte une infinité de chaînes de réactions possibles interactives et combinées, ainsi que le montrent les schémas de Feynman. Ces chaînes d’interactions incroyablement complexes se ramènent finalement à la relation matière-matière via la lumière. Même si on parvenait à dire par quelles « étapes » la dynamique du vide a réalisé l’interaction, cela ne prouverait nullement que cette chaîne-là soit indispensable pour y parvenir, car bien d’autres peuvent parvenir au même résultat. Aucune cascade de rétroactions n’est unique. La redondance caractérise le fonctionnement de la matière et de la vie autant que les convergences. Les chemins sont, à chaque fois, multiples. La biochimie réalise elle aussi toutes les liaisons possibles et surtout toutes celles favorisées (accélérées) par des mécanismes de catalyse. La sélection destructive fait le reste du travail de structuration, en fonction de l’environnement physique, chimique et biochimique. Il en découle des milliards de milliards de tentatives de toutes sortes, en tous sens, sans objectif, sans but, sans linéarité ni logique ni physique. Entre ces « étapes » (qui n’en sont qu’une fois une « fin » réalisée), il n’y a pas de ligne directe, pas d’enchaînement simple, de « lien de cause à effet ». En fait, il n’y a pas de « fin » car il n’y a aucune justification à privilégier un résultat par rapport à un autre.
Les événements brutaux, comme la dernière tempête de 1999 [12], ont montré que c’est le choc qui produit de la nouveauté dans les structures du vivant. Le mécanisme commence à en être compris avec les protéines chaperons de choc et de stress [13]. En cas de choc, elles sont polarisées par des activités de défense et incapables, alors, de faire la police dans la variation naturelle qui caractérise fonctionnement du vivant. L’ADN n’est pas producteur de matériel biochimique pour une seule espèce. Ce sont des mécanismes de protection dits chaperons (comme les protéines Hsp) qui détruisent les molécules non souhaitées et inhibent la production d’une autre espèce. La fixité n’est pas directe et n’est obtenue que par destruction, ce qui est une vision très différente de l’espèce. Celle-ci n’est pas inscrite dans le matériel génétique mais réalisée par le fonctionnement. L’espèce n’est pas un simple héritage génétique, comme on l’a cru jusqu’à récemment, mais le produit d’une dynamique. Du coup, on comprend que le mécanisme de conservation de l’espèce puisse être lui-même inhibé dans des situations de crise, donnant naissance à de nouvelles espèces, tout comme un Etat peut se retrouver impuissant devant une révolution, donnant naissance à une société nouvelle. Ce n’est pas le seul contenu chimique du message ADN qui décide quel être va être produit, ce sont les boucles de rétroaction (avec activation et inhibitions couplées) qui régulent l’expression des gènes. D’autre part, des sauts dans la transformation progressive sont possibles par une utilisation de mécanismes biochimiques à d’autres fins. C’est un de ces sauts qui a donné naissance aux centres énergétiques de la cellule vivante (chloroplastes et mitochondries) par phagocytose d’une bactérie.
Le « résultat », l’être vivant, n’est pas plus un but du fonctionnement du processus vivant que la mort du promeneur n’était un but de la chute de la tuile du toit, dans notre exemple précédent. Le fait que ce soit un aboutissement remarquable n’en fait pas un point final du fonctionnement ni une explication de son sens. Le vide n’a pas pour but la matière, ni celle-ci pour but le vivant et enfin la vie pour but l’homme et l’homme pour but la conscience. Cette ancienne conception de la prédétermination n’a plus cours malgré les efforts parfois brilants (les propriétés « téléonomiques » dans « Le hasard et la nécessité » de Jacques Monod, par exemple). Les « étapes de la vie », loin d’être des finalités du vivant, sont seulement des singularités particulièrement importantes – discontinuités à grande échelle - dans une dynamique qui ne comporte que des discontinuités. Mais elles n’ont rien d’exceptionnel dans un développement du vivant qui connaît sans cesse des singularités multiples qui, comme les fractures de l’écorce terrestre, en contiennent à toutes les échelles. Quand nous racontons l’histoire de la vie, il ne faut pas oublier que c’est nous qui avons tendance à la présenter comme une ligne droite. Rien ne prouve qu’il n’y ait jamais des retours en arrière ou des recombinaisons du présent et du passé. Cette vision linéaire n’est nullement un produit de l’observation. Ainsi, nos observations des « étapes » de l’homme n’ont jamais permis de retrouver un pré-homme qui soit exactement à l’origine d’un homme. Faute de mieux, nous alignons les « résultats » du développement du vivant, comme si la dynamique avait un but ou une direction fixe. Pourtant ce n’est nullement ce qui découle de l’étude de l’histoire de la vie. C’est une manière de figurer un déroulement de l’histoire. Malgré la limite d’une telle présentation, malgré le défaut conceptuel d’un tel ordre par étapes, nous allons aussi lister linéairement des singularités de grande échelle auxquelles la suite du parcours a donné une importance fondamentale. Sans nullement prétendre que chaque « étape » ait entraîné directement la suivante :
1- chimie abiotique, finissant pas synthétiser les acides aminés, les pyrophosphates et les thioesters. Les éléments sont en place : composants organiques du vivant (acides aminés) et catalyseurs minéraux.
2- naissance du protométabolisme, premier ensemble de réactions catalysées par des enzymes protéiques, apparition de la chaîne glycolytique et du cycle de Krebs, formation de l’ATP.
3- formation des ARN et des membranes, naissance de la biochimie autocatalytique, naissance de la sélection du vivant
4- formation des protéines
5- constitution des premières cellules, des enzymes et des rhybozymes
6- métabolisme cellulaire
7- naissance de l’ADN transcrit en ARN par des facteurs de transcription
8- pluricellulaires
9- sexualité
Comme on l’a déjà dit au dessus, ces « étapes » sont loin de se suivre une après l’autre mais se mêlent et interagissent, reviennent maintes fois en arrière pour repartir à nouveau. Il y a répétition de cycles entre ces chaînes de réactions. De Duve considère ces singularités comme des événements, soudains et imprédictibles et cependant déterministes au sens où ils sont bel et bien les produits « nécessiares » des matériaux préexistants et de leurs lois : « On ne peut suffisamment souligner que tous les événements conjecturés étaient des produits exclusifs de la chimie, c’est-à-dire des manifestations reproductibles, déterministes, entièrement dépendantes des conditions physiques et chimiques existantes. » On parlera là d’émergence [14] de structure [15] plutôt que d’évolution continue et progressive. L’émergence d’une structure nouvelle se produit à partir d’éléments interagissant en grand nombre est une loi générale de la matière à toutes les échelles.
Pour donner une idée de cette émergence qui n’a rien du miracle de la création, prenons l’exemple d’un matériau inerte : le cristal. L’astrophysicien. Hubert Reeves raconte ainsi dans « Patience dans l’azur » : « On a beaucoup étudié en laboratoire la croissance des cristaux. Même si la substance de laquelle ils naissent contient une grande variété d’atomes différents, on verra se former des petits cristaux très purs faits d’une combinaison de deux ou trois atomes bien définis. (...) Si le nouvel arrivant est étranger au réseau cristallin, il n’arrivera pas à se loger convenablement. (...) Dans le monde des cristaux, la géométrie sert de ‘’mot de passe’’. Cette sélectivité du cristal, aucun des atomes individuels ne la possède. (...) C’est un exemple de ce que l’on appelle une ’’propriété émergente’’ de l’organisation de la matière. » Cette propriété clef-serrure des cristaux, ce processus de reconnaissance de la forme stéréoscopique, joue un rôle fondamental dans le fonctionnement du vivant, par exemple pour la production de protéines par les gènes ou encore pour la reconnaissance des bactéries par les lymphocytes de l’immunité. C’est la disposition géométrique des molécules qui sélectionne les liaisons de la biochimie. Les relations entre gène et antigène, entre protéine et gène, etc, sont de ce type. L’ADN fonctionne comme un cristal apériodique, ainsi que l’avait deviné le physicien Erwin Schrödinger dans « Qu’est-ce que la vie ». L’émergence est une règle générale à la matière, inerte comme vivante, comme le rappelle Hubert Reeves. Un grand nombre de molécules interagissant définissent un ordre thermodynamique émergent : la température. Celle-ci n’existait pas dans la molécule individuelle. Il en va de même d’un grand nombre de photons dans une cavité qui définissent une température d’équilibre (émission de corps noir). Un photon isolé n’a pas plus de température qu’une particule ou une molécule seule. La température n’est pas la seule variable émergente. Il en va de même de l’espace-temps. Un grand nombre de particules interagissant définissent un espace-temps de façon émergente. Pour une particule individuelle dans le vide, il n’existe pas d’espace-temps. On a déjà remarqué que la convection dans les fluides produisait des structures par un processus d’émergence.
Cette constatation a amené la physique quantique à un changement conceptuel considérable. Elle a introduit des révolutions à des niveaux où on ne s’attendait pas à en trouver. Tout le mécanisme de la matière est apparu comme le siège de chocs permanents. Toute transformation est décomposable en un nombre infini d’interactions entre matière, lumière et corpuscules virtuels du vide. Les interactions correspondent pour les particules aux transitions de phase que l’on observe pour la matière à grande échelle. Elles apportent le choc et la discontinuité là on ne voyait que des évolutions continues. L’interaction entre deux particules apparaît maintenant comme un événement, un choc dont l’instant est imprédictible et qui se résume ainsi : une particule émet un photon lumineux ou une particule absorbe un photon lumineux. L’étonnement est équivalent à celui provoqué par la découverte du mouvement brownien au sein d’une matière qui semblait immobile sans action extérieure ou encore à celui de découvrir qu’un atome se décompose brutalement en émettant de l’énergie radioactive. Une augmentation de l’agitation des molécules produit, à un seuil, le passage du solide au liquide puis, à un autre seuil, du liquide au gaz. Ce qui nous semble aujourd’hui une évidence était alors un choc conceptuel qui s’est étendu à tous les autres niveaux de la matière. On découvrait un mouvement permanent des molécules là où on croyait à la stabilité et à l’absence de changement. On découvrait qu’un atome pouvait spontanément se détruire. Du coup, on comprenait que la matière n’était pas figée mais changeait d’état par un saut qualitatif. Nous retrouvons les mêmes sauts d’un état à un autre de la matière à petite échelle (sauts quantiques) à la matière à grande échelle (transitions de phase), des particules (interactions) à la lumière (polarisation), et du monde quantique (relations matière/lumière) au vide (créations et annihilations brutales). Ce sont des modes emboîtés les uns dans les autres, qui coexistent et réagissent par interaction d’échelle. Les frontières de ces mondes successifs sont les constantes marquant les seuils de ces transitions. Par exemple, les 100°C de température pour passer (à pression atmosphérique) sont une frontière du liquide au gaz. La vitesse de la lumière est une frontière qui marque la transition entre matière et lumière. La constante de Planck h marque la frontière entre matière classique et quantique. La constante de structure fine [16] (alpha) marque la limite entre matière/lumière et vide. Mais toutes ces frontières sont floues. On peut très bien maintenir de l’eau liquide en dessous de O° de température dans des conditions habituelles de pression ou de la neige au dessus de 0°.
Les constantes dites universelles de la physique ont fait couler beaucoup d’encre car aucun mécanisme expliqué par les sciences ne permet de comprendre d’où elles sortent ni de les calculer à partir des lois. Le « modèle standard » ne permet pas de prédire les valeurs des masses des particules, leurs charges, etc. On avait interprété les lois comme l’expression d’une conservation (masse, énergie, moment cinétique, moment magnétique, etc…). En réalité les lois dites de conservation n’indiquent pas la fixité d’une quantité au cours du temps mais seulement au terme d’un cycle dynamique. Elles donnent une égalité entre deux quantités égales et opposées, deux pôles issus d’une révolution, d’une rupture de symétrie. La loi de « conservation de la charge » ne fait qu’indiquer qu’il est apparu autant de particules que d’antiparticules. Toute apparition d’une particule d’une charge négative suppose apparition d’une particule de charge opposée. C’est cela la seule conservation : le caractère irréductible de la contradiction. La « constance » du quanta de la microphysique peut être interprétée dans le sens que toute structure peut, à tout moment, gagner ou perdre un couple de contraires (matière et antimatière). C’est une dynamique fondée sur des liaisons et des séparations à tous les niveaux de structure. La loi de la Relativité d’Einstein peut être interprétée dans le sens que la gravitation est égale et opposée à l’expansion du vide. C’est une dynamique dans laquelle la gravitation se transforme en expansion et l’expansion se change en gravitation. Ce n’est pas un jeu de mots dialectique mais un phénomène fondamental de l’Univers. La masse est produite par une réaction à l’expansion du vide et la gravitation est une réaction du vide à l’action de la matière.
Autrefois, on croyait que l’action et la réaction s’annulaient, puisqu’elles étaient égales et opposées. Depuis la théorie de la Relativité d’Einstein, on sait que la question du temps et de l’espace signifie qu’il n’existe pas d’action à distance et, donc, qu’il ne peut y avoir simultanéité ni annulation entre action et réaction. Les deux phénomènes opposés produisent donc une dynamique et non l’absence de mouvement. Action et réaction sont contradictoires mais peuvent se combiner au lieu de s’annuler. Lorsqu’elles sont en nombre suffisant, du fait de la concentration de matière, les rétroactions peuvent mener à des phénomènes de croissance exponentielle : expansion brutale avec inflation (créations de particules) ou gravitation brutale (trou noir). La loi d’Einstein E = m c², qui indique que le rayonnement d’énergie E se matérialise en masse m et inversement la matière en énergie, est une relation entre deux pôles opposés, matière et rayonnement qui interagissent et se combinent sans cesse. La relativité généralisée indique que la réaction du vide (déformation de l’espace-temps en présence de la masse) est égale et opposée à la gravitation de la masse. La loi du vide quantique indique que l’énergie du vide est égale et opposée à sa pression. La loi de « conservation de la masse » indique que la masse de la particule est égale et opposée à la réaction du vide sur la matière. La loi de conservation de l’étoile est une interaction (plus qu’une égalité) entre gravitation et pression de rayonnement. La loi de conservation de la particule (loi de Planck [17] pour le photon et de Broglie [18] pour la particule) est une interaction (plus qu’une égalité) entre action de la particule sur le vide (onde) et action du vide sur la particule (corpuscule). On a toujours tendance à raisonner comme si la durabilité d’une structure et la constance d’une quantité était autre chose que la dynamique des relations entre deux pôles opposés [19], comme si c’était une image de la fixité du monde. On parle d’expansion de l’univers comme s’il n’y avait pas, en même temps, expansion du vide et concentration de la matière avec formation de nouvelles galaxies, absorption de petites galaxies par des grandes et absorption massive de matière par les trous noirs. Les révolutions dans les structures ne sont rien d’autre que la rupture entre ces deux pôles opposés, une rupture … de symétrie. Cette rupture est due au fait qu’il n’y avait qu’une symétrie presque réalisée, et non une symétrie exacte et fixe.
Les constantes dites universelles, correspondant au seuil des révolutions de l’histoire du cosmos, sont une marque qui nous est laissée de la transition brutale réalisée à cette époque. [20] La structure produite (électron, proton, photon ou étoile) se maintient comme un fossile, de même que le rayonnement fossile dit « Big bang ». Les fameuses constantes signifient seulement que, chez ces fossiles [21], la quantité caractérisant la transition qui leur a donné naissance a été conservée ou, plus exactement, transmise. De là sont issus aussi bien ce que l’on appelle « la vitesse de la lumière » c que la « constante de Planck ou quanta » h, la « constante de structure fine » alpha ou la constante cosmologique G. Les constantes G, h, alpha ou c indiquent les jalons historiques de la libération de la gravitation, de l’univers des particules durables et de la lumière comme 1789 marque l’avènement de la bourgeoisie et 1917, celui du prolétariat. Chacune marque un seuil de passage d’une transition. On serait en droit de se demander pourquoi on ne trouverait pas de particule de masse intermédiaire entre celles de l’électron et du proton. Eh bien, s’il n’y a pas de valeur intermédiaire, la raison en est l’histoire des révolutions. La nature, quand elle les a produit, a pratiqué un saut sans passer par des étapes graduelles. La difficulté pour le comprendre provient du fait que les particules sont autour de nous mais nous ne voyons plus la révolution qui en est à la source. Comme le disait Stephen Jay Gould dans « Aux racines du temps » : « Quand nous nous reportons aux chroniques des nations, nous sommes parfois surpris de constater que la fortune d’une bataille a influencé les destinées de millions de nos contemporains, alors que depuis longtemps la masse de la population en a oublié jusqu’au souvenir. (...) Plus étonnants et inattendus encore sont les liens mis en lumière quand nous interrogeons l’histoire de la nature. »
Les transformations de la matière ont connu des évolutions graduelles quantitatives (de petits sauts successifs du mouvement d’expansion, de la baisse de la température ou de la concentration de l’énergie) suivies de sauts qualitatifs, en passant des seuils, des révolutions. Toutes les échelles de l’ordre hiérarchique matériel (du quark au groupe d’amas de galaxies) ont été constituées successivement lors de transformations brutales qu’en physique on appelle des transitions de phase [22] ou encore des phénomènes critiques. Transition veut dire saut et situation critique et signifie qu’une petite variation peut entraîner un changement à grande échelle. Cette notion recouvre en fait la même idée que celle de révolution. Les transitions de phase sont des phénomènes courants au sein de la matière, qui y ont lieu en permanence et pas seulement lors d’épisodes très anciens de l’histoire du cosmos. Les plus simples et les plus connues des transitions de phase sont les passages d’un état à un autre, du solide au liquide et au gaz, en passant des seuils de températures. A l’interface de deux phases, ces sauts ont lieu sans arrêt. Bien d’autres transformations de ce type peuvent être cités : changement d’équilibre d’une matière en grains, changement d’ordre dans un matériau ferromagnétique, passage d’une structure à une autre dans la neige ou la glace, superfluidité, supraconductivité, etc ….
Dans ces phénomènes critiques, il y a interaction d’échelle, c’est-à-dire qu’un élément à petite échelle peut interagir à grande échelle. C’est l’équivalent en histoire de l’action des minorités dans les révolutions et du « rôle de l’individu dans l’histoire ». Cela fait que les phases révolutionnaires ont un caractère très particulier par rapport aux phases calmes. Elles jouent un rôle bien plus grand que la place qu’elles occupent dans le temps car elles déterminent les changements de structure. Elles n’obéissent pas à la même logique que les périodes dites calmes qui sont déterminées par la conservation globale de la structure. La meilleure preuve de l’existence d’un phénomène à petite échelle qui pilote l’entrée dans un phénomène à beaucoup plus grande échelle provient de l’étude des constantes. En effet, aucune loi des phénomènes à grande échelle ne permet de prédire la valeur des constantes qui y interviennent. Par exemple, les valeurs des masses des particules matérielles ne sont pas prédites par la physique quantique. La charge électrique élémentaire e ne découle d’aucune équation de l’électromagnétisme. Les valeurs des températures critiques (par exemple les températures de transition d’état, 0° et 100° à pression atmosphérique) ne sont pas prédites par les lois de la thermodynamique qui règlent ces transformations. Les valeurs de la vitesse de la lumière, de la constante de Planck ou de la constante de structure fine ne découlent d’aucune loi de la matière/lumière. Cela provient du fait que ces quantités sont des seuils du phénomène. Or ces limites, ces frontières d’un phénomène sont déterminées par un phénomène d’un autre type, se produisant de façon beaucoup plus rapide. Par exemple, la condensation de l’eau dépend de l’existence brève de noyaux de poussières permettant la condensation.
L’une des révolutions de l’histoire de la matière est celle qui a produit l’espace-temps, c’est-à-dire la structuration du vide. Le monde est né d’un univers sans matière-lumière, le vide, univers qui ne connaissait pas l’écoulement irréversible du temps, ni le déplacement régulier dans l’espace, mais une agitation désordonnée : le chaos déterministe du vide. Cet état désordonné, si on l’examine à notre niveau (la matière-lumière) obéissait cependant à des lois. Le vide a donc inventé l’histoire de la matière dans un monde prématériel qui ignorait la causalité linéaire, l’écoulement et le déplacement régulier. Ce monde à l’espace-temps désordonné, qui est à la base de l’univers matière/lumière, c’est le vide quantique. Cela explique que le monde matériel à petite échelle (quantique) soit flou et sujet à des phénomènes qui ne respectent pas l’écoulement directionnel du temps. Dans le vide, on peut circuler vers le passé, du moins sur un court déplacement, de même qu’on peut produire de l’énergie à partir du néant, à condition de la rendre très rapidement. L’apparition du temps est liée à un choc, une rupture de symétrie : c’est la première révolution de l’histoire du cosmos, celle de l’émergence de la matière/lumière. A partir de là, s’ouvre toute une histoire faite de rebondissements extraordinaires. Cela explique qu’en dehors d’une interaction matérielle, il est impossible de parler de simultanéité dans le temps de deux événements matériels indépendants, (sans que cela découle d’une incapacité ou d’une limitation des capacités de l’observateur) [23], comme l’a montré Einstein (théorie de la relativité).
Les événements qui parcourent l’histoire de la matière ont un caractère historique et il convient de mesurer toute l’ampleur de cette remarque. Un interdit a longtemps pesé contre la proposition d’utiliser des concepts de l’histoire en sciences et vice versa. Isoler l’humanité et son histoire, la vie et son histoire ou la matière et son histoire est aussi appauvrissant que d’étudier une société en dehors de son histoire. Bien sûr, chacun mesure l’importance de la conscience pour l’homme. Personne ne minimise la singularité qu’elle représente. Il ne serait pas judicieux de prêter de la conscience à la nature, par exemple en parlant de « libre arbitre » de l’électron. Par contre, isoler l’homme de son univers, sous prétexte qu’il possède une conscience qui lui est propre, voir en lui LA singularité de l’Histoire, c’est examiner le monde au travers d’un prisme trompeur. D’autant que, pour l’homme comme pour toutes les autres transformations, on a affaire à de multiples singularités et non d’une seule. Il a fallu de multiples révolutions au sein de populations animales avant d’arriver aux multiples révolutions de l’histoire des populations humanoïdes et humaines dont est issue la conscience dans sa forme actuelle. Ces singularités ne justifient certainement pas d’établir une frontière infranchissable entre l’homme et la nature ou entre les sciences dites humaines et les autres. Malgré ces barrières artificielles souvent dressées malheureusement par des scientifiques eux-mêmes, les diverses sciences se sont déjà maintes fois influencées mutuellement. Les exemples d’interfécondité des concepts scientifiques pullulent. Linéarité, continuité, stabilité, structure, organisation, ordre sont des notions génériques utilisées aussi bien dans un domaine que dans l’autre. Toute l’histoire des sciences est à rapprocher d’un effort vers l’universalité des lois et vers la compréhension d’un monde unique comme le rappelle le physicien Max Planck dans « L’image du monde dans la physique moderne » [24]. Sans tomber dans l’identité vulgaire et le réductionnisme qui ramène tout à un seul niveau, on peut très bien retrouver l’unicité du monde. Dire que des phénomènes de nature très diverses, comme la balançoire et la lumière, sont périodiques, cycliques, oscillatoires, … ne choque plus personne et ne doit rien à une volonté de tout ramener à une loi unique. Aujourd’hui, de nombreuses notions historiques mériteraient de passer, elles aussi, la frontière : toutes celles qui se rapportent au mode dynamique et aux autres changements qualitatifs. Les sciences dites « naturelles » développent des concepts valables pour l’homme. N’oublions pas que l’homme n’est pas hors de la nature ! Cela concerne les notions liées aux révolutions sociales, comme la dualité de pouvoir ou la prise de pouvoir, les contradictions de la lutte des classes, la relation entre celle-ci et des structures comme l’Etat, le rôle de l’individu, des minorités, du parti, des institutions, etc… Bien entendu, il n’y a pas de parti des électrons, ni d’armée des particules, et les états de la matière n’obéissent pas à une classe dirigeante, mais il y a une émergence de structure, des transitions de phase, des résonances, des structures dissipatives, des phénomènes non-linéaires au sein de la société humaine, comme on en trouve en physique, en biologie et dans l’évolution de la vie.
Le développement inégal et combiné, tel qu’il est développé par Marx et Trotsky, est l’une de ces notions valides dans l’un et l’autre domaine des sciences comme l’ont relevé de multiples auteurs, notamment des révolutionnaires. Ainsi, Daniel Guérin écrit dans « La révolution française et nous » que « La Révolution française nous offre ainsi un saisissant exemple de la loi dite du développement combiné dont l’application a été faite à la Révolution russe de 1917 dans « L’Histoire de la Révolution russe » de Léon Trotsky. La société ne parvient pas tout entière, en bloc, au même stade de l’évolution. Le développement inégal des formes de la propriété, des moyens de production explique ce manque de synchronisme. A l’heure présente où les civilisations industrielles se heurtent en de gigantesques mêlées d’avions et de chars (écrit en 1944), certaines populations de l’Indonésie ou du centre de l’Afrique sont encore à l’étape franchie par nous il y a plusieurs milliers d’années. »
Dire que « l’Histoire s’invite en la Matière » a des significations diverses suivant la manière dont on conçoit l’Histoire, celle des hommes, des sociétés et notamment des civilisations. Là encore, les notions de discontinuités, de transitions et de révolutions sont fondamentales et ont été masquées par des présupposés opposés. Cela sera largement développé plus loin. Aussi n’en prendrai-je ici qu’un seul exemple : celui d’une étude historique des « Origines de la civilisation » intitulée « L’Orient ancien », étude historique d’Annie Caubet et Patrick Pouyssegur. Le choix de l’ouvrage, mis à part la qualité et l’intérêt de l’étude, est de montrer que des auteurs peuvent bien raconter tout au long des pages des transitions brutales, des révolutions, des sauts qualitatifs techniques, sociaux, économiques ou politiques, cela ne les empêche pas de parsemer leur étude de remarques établissant une soi-disant continuité qui lisse tout cela, gomme l’aspect violent et novateur du changement.
Ces chocs n’ont pas échappé aux historiens qui étudient l’ancienne Mésopotamie. Ils ont vu les créations de nouvelles civilisations qui changeaient fondamentalement par rapport à leurs prédécesseurs. Ils ont raconté des modifications d’organisation sociale brutales et destructrices par rapport à l’ordre ancien. Et, cependant, ils rapportent des continuités qu’ils ont en tête. Par exemple, l’extension géographique d’une civilisation leur paraît un phénomène progressif, alors que les peuples qui passent du stade dit de la « barbarie » à la « civilisation » ont vécu un choc violent ! Ils affirment qu’il y a eu un « progrès » technologique, alors que leur récit, lui-même, montre que la nouvelle organisation sociale a dû détruire l’ancien mode de vie, l’ancien mode d’organisation, l’ancien mode de pensée, mais ils continuent à parler de progrès. En cas d’effondrement d’une société, ils constatent que, d’un seul coup, les grandes exploitations, les grandes villes sont souvent abandonnées ou détruites, sans qu’on signale ni armée ni attaque d’un voisin. Ils remarquent que des transitions brutales caractérisent les sauts de civilisation, mais ils continuent pourtant à parler en termes de continuité. Ce dernier terme ponctue l’ouvrage alors que le mot discontinuité, qui est bien plus proche du récit, en est complètement absent. Au lieu du changement brutal, nous avons là des adeptes du changement continu sur la « longue durée ». Citons ces auteurs : « Le Proche-Orient antique est un domaine gigantesque. (...) L’espace et la durée, malgré leur étendue, offrent une incontestable unité, grâce à des caractères communs qui permettent d’en organiser les éléments d’apparence disparate en une mosaïque cohérente.(...) La « longue durée », pour emprunter l’heureuse expression du grand historien Fernand Braudel, caractérise ces cultures qui se présentent comme des enrichissements successifs d’innovations et d’inventions qui s’insèrent s’agrègent, sans jamais totalement les faire disparaître, aux acquis de la tradition. »
L’auteur nous indique en introduction sa philosophie de l’histoire. Passons au récit où nous retrouvons la reconnaissance des transitions ponctuée de professions de foi en faveur du continu. « La lente évolution des chasseurs-cueilleurs du paléolithique va s’accélérer avec le changement climatique qui marque la fin de la dernière glaciation, autour de -15000. (...) A partir de -12500, des groupes entiers commencent à s’établir collectivement dans de petites unités d’habitat sédentaire : les premiers villages. (...) Le mouvement de sédentarisation se développe tout au long de la période dite natoufien, entre -12500 et -10000. (...) Un des principaux facteurs qui contribuent à la sédentarisation est sans doute la constitution de réserves alimentaires, en particulier de céréales sauvages qui, par nature, peuvent être conservées plus facilement. (...) La Natoufiens demeurent des chasseurs-cueilleurs (...) La mutation décisive qui va caractériser l’époque suivante est habituellement désignée par le sigle PPNA (en anglais néolithique A pré-poterie). Durant cette période, qui débute vers -9500 pour s’achever près d’un millénaire plus tard, autour de -8700, vont être réalisées les premières expériences de domestication et de mise en culture de céréales sauvages, principalement l’orge et le blé. (...) C’est bien l’agriculture, fondée sur l’ensemencement des champs et la moisson des plantes cultivées, que les hommes inventent alors dans cette aire privilégiée du Levant qui s’étend du Jourdain jusqu’au moyen Euphrate. Les peuplements sédentaires deviennent des communautés agricoles, assurant à une population croissante la maîtrise de ressources alimentaires régulières. L’économie de prédation fait place à une économie de production : l’homme prend possession du milieu naturel. Cette évolution est confirmée par la disparition de l’outillage microlithique et la multiplication des lames de faucille sur les sites. » Voilà plusieurs révolutions qui sont déjà qualifiées d’évolution. Voilà des mutations présentées comme des continuités. Mais poursuivons la lecture : « Quelquefois, de véritables bourgades se constituent, à l’image de Jéricho, dans la vallée du Jourdain, qui s’entoure d’un imposant mur de pierre dominée par une tour haute de plus de 8 mètres (...) De telles réalisations ne peuvent se concevoir sans une mobilisation collective de la communauté, vraisemblablement coordonnée par une autorité reconnue. (...) Au PPNA succède le PPNB à partir de -8700. (...) Le trait dominant de cette culture PPNB réside en la généralisation des constructions rectangulaires, désormais également destinées à l’habitat. (...) Les évolutions sociales qui conduisent cette structuration nouvelle de l’espace domestique s’inscrivent aussi dans l’espace communautaire. Des édifices à vocation collective, conçus selon un plan carré et aménagé avec un soin particulier, sont érigés au centre de certains sites, comme à Çayönü Tepesi ou Nevali Çori. (...) C’est un mouvement inverse qui a lieu, au début du 7ème siècle, dans les régions méridionales du Levant. Les établissements de grandes dimensions sont abandonnés au profit de petites installations (...) Le site de Çatal Hüyük connaît, autour de -7000, un essor considérable. C’est une bourgade d’une superficie d’environ 12 hectares, dont la prospérité provient de l’obsidienne, extraite des chaînes volcaniques environnantes. Une population relativement nombreuse y vit dans des maisons en brique crue (...) certaines de ces maisons sont richement décorées (...) La culture d’Obeid (Mésopotamie du Nord) est l’œuvre de communautés agricoles, qui cultivent les céréales grâce à la maîtrise probable de techniques d’irrigation rudimentaires et élèvent principalement des bovins (...). La culture d’Obeid s’étend depuis le milieu du 7ème millénaire jusqu’au début du Ive, avec six périodes successives identifiables, de l’Obeid 0 à l’Obeid 5. (...) la première phase de l’Obeid 0, qui débute vers -6500, a révélé le soubassement d’un vaste grenier à grains (...) Ce grenier servant au stockage collectif des récoltes, est la marque d’une gestion communautaire fondée sur des pratiques de solidarité. Les phases suivantes de l’Obeid 0 montrent la présence d’habitations de taille imposante. (...) L’âge d’or des sociétés villageoises fondées sur une organisation égalitaire et coopérative de la communauté est en réalité, à la fin du 6e millénaire, déjà révolu. Une nouvelle organisation sociale est en train d’émerger dans le monde obeidien (...). La période Obeid 3, qui débute vers -5300, présente déjà une évolution considérable (...) celle-ci se manifeste principalement par la construction de grands édifices (...). Leur aspect monumental ainsi que leur position dominante confèrent à ces édifices un caractère de prestige qui ne semble pour autant revêtir aucune dimension religieuse. (...) Elle signe l’apparition dans la société de relations de dépendance, marque d’une inégalité naissante (...) Cependant, si une certaine différenciation sociale s’est développée, elle ne comporte encore qu’une faible hiérarchisation. C’est la période suivante, dite d’Uruk, qui couvre l’essentiel du 4e millénaire, que cette hiérarchisation va véritablement s’imposer, à mesure que les grandes agglomérations de Basse-Mésopotamie acquièrent un caractère urbain. (...) Le site d’Uruk va connaître une croissance spectaculaire (...). Les évolutions architecturales semblent s’inscrire dans la continuité des époques antérieures. (...) C’est au cours de la dernière phase de l’époque d’Uruk, dénommée Uruk récent, qui s’étend entre -3100 et -2900, que les transformations à l’œuvre dans la société mésopotamienne vont conduire à l’éclosion d’une organisation collective et d’un mode de vie nouveaux, constitutif de la civilisation urbaine (...). La ville d’Uruk, cette gigantesque agglomération, s’étend alors sur une superficie de 250 hectares, correspondant à une population de l’ordre de 30.000 à 50.000 habitants. Ce développement considérable semble s’être accompli en un temps relativement court. » Soulignons au passage la contradiction avec la thèse introductive de « la longue durée ». Le saut dans la nouveauté, à chaque changement de période, est particulièrement frappant et marqué par le terme de « mutation » : « La hiérarchisation sociale croissante vient s’inscrire dans l’espace même de la ville. La diversification des fonctions sociales, accompagnée d’une spécialisation à plein temps de nombreuses activités, est une des caractéristiques principales qui définissent le nouveau schéma urbain. La ville est avant tout un centre économique et administratif dont la population, pour une grande part, ne participe plus à la production agricole (...). La ville est le siège privilégié du pouvoir, où la nécessité d’administrer une économie diversifiée et une société complexe va donner naissance à l’Etat. (...) Entouré d’une élite privilégiée et à la tête d’une administration qui dispose désormais de la puissance de l’écrit, le souverain incarne le nouvel ordre social. (...) La seconde moitié du 4e millénaire (est) le théâtre de cette mutation décisive des sociétés humaines que constitue l’émergence des villes. (...) Uruk atteint, au début du 3e millénaire, quelque 500 hectares, superficie considérable dépassant celle de l’Athènes du 5ème siècle, ou même celle de la Rome d’Auguste. » L’agriculture, le stockage collectif des graines, la sédentarité, le village, la ville, l’Etat sont des discontinuités successives, non de simples progrès lents. Même la progressivité de la progression géographique d’une transformation est en fait un changement brutal, car elle s’impose dans un monde fondé sur des bases complètement différentes. Parfois, une société saute d’un coup, par l’influence d’une société voisine plus avancée, plusieurs stades de la transformation. C’est le développement inégal et combiné qui caractérise ces transformations. Il s’oppose à la linéarité, selon laquelle toute société devrait nécessairement passer par les mêmes étapes intermédiaires. Destruction et construction caractérisent ces changements brutaux car, pour construire la société urbaine, il faut sortir les hommes de l’activité agricole. Pour devenir un homme sédentaire, il faut se sortir du mode de vie, d’organisation et de pensée du chasseur-cueilleur…etc, etc…
Cette notion de « développement inégal et combiné » intègre le mode de développement historique d’une structure. Celle-ci n’évolue pas globalement comme un tout mais seuls certains éléments évoluent pendant que d’autres restent identiques. Cela explique l’effet patchwork, le bric à brac historique, le mode de bricolage de la nature. De nombreux conservatismes, de multiples frottements bloquent l’essentiel des fonctionnements. Ainsi, chaque partie de notre corps a une origine qui date d’une époque différente : nos dents, notre oreille, nos os, nos poumons sont tous nés et ont évolué à des époques très différentes dans un animal différent et nous sommes un véritable patchwork, une combinaison qui utilise et réutilise dans un but parfois différent les produits de ces révolutions. La structure matérielle, l’espèce, l’organisation économique, la structure sociale n’atteint pas, ensemble, au même stade d’évolution. Toute l’histoire raconte cette discordance du développement, que ce soit celui des formes de production et des rapports de production, celui des formes de propriété et des forces productives, celui des potentialités des gènes et de leur expression inhibée. L’inégalité peut être trouvée aussi bien entre zones développées et zones retardées, organes évolués au sein d’un animal inchangé, aspects modernes plongés dans un monde antique. Les contradictions qui en découlent donnent son caractère dynamique et révolutionnaire à cette histoire.
Dans ce type de réflexion sur la société humaine, des notions tirées des sciences physiques ont parfaitement leur place, que ce soit en histoire, en sciences sociales, ou en économie, comme les transitions de phase, les effets de seuil des phénomènes critiques, l’ordre émergent, les structures dissipatives, le développement ponctué de l’évolution qualitative, l’auto-organisation des boucles de rétroaction, etc… L’une de ces notions qui ont cours dans l’un et l’autre domaine est, comme on l’a vu, celle de chaos déterministe. Mais, finalement, la principale n’est-elle pas celle de révolution ?
[1] Poincaré remarquait que, déjà pour trois corps, les lois de la gravitation n’étaient pas résolubles ! Einstein observait que le moment où la particule émet ou absorbe un photon, ou encore que le moment où un noyau radioactif se décompose en émettant une radiation, était imprédictible. Les lois de la gravitation comme celles de l’électromagnétisme allaient en effet se révéler non résolubles tout en étant déterministes. La nature obéit à des lois. On peut les formuler mais on ne peut pas en déduire la suite de l’histoire car ces lois se refusent à nous ouvrir la clef du fonctionnement. Il y avait de quoi enrager !
[2] « Une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet cousit/érable que nous ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dû au hasard...Mais, lors même que les lois naturelles n’auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrons connaître la situation initiale qu’approximativement. Si cela nous permet de prévoir la situation ultérieure avec la même approximation, c’est tout ce qu’il nous faut, nous dirons que le phénomène a été prévu, qu’il est régi par des lois ; mais il n’en est pas toujours ainsi, il peut arriver que de petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux... » expose Poincaré. Comme exemple de cette sensibilité aux conditions initiales, Henri Poincaré cite la trajectoire des cyclones (presque « l’effet papillon ») et. plus frappant encore, la conception de Napoléon par ses parents...
[3] Le biologiste Jacques Monod est dans ce cas, lui qui débute son fameux ouvrage en affirmant : « Si l’ambition ultime est bien, comme je le crois, d’élucider la relation de l’homme à l’univers, alors il faut reconnaître à la biologie une place centrale (…) » Mais Monod peut-il expliquer l’étude des particules quantiques et du vide par la même nécessité de comprendre l’homme ?
[4] Le réductionnisme est la tentative de comprendre un système en le décomposant en ses éléments plus simples et en cherchant dans le fonctionnement de ses éléments pris isolément la clef du fonctionnement dynamique global. Malgré certains succès ponctuels remarquables, cette démarche appliquée longtemps dans toutes les sciences a démontré ses limites. Elle passe à côté des phénomènes émergents, ceux pour lesquels la dynamique est collective : les propriétés du système ne sont pas le total des propriétés de chacune des parties prises isolément. Son point de vue mécaniste passe à côté de caractère historique du développement d’une matière en devenir sujette aux aléas historiques et aux sauts qualitatifs des dynamiques non-linéaires. Le réductionnisme en génétique consiste à tout expliquer par le contenu moléculaire des gènes.
[5] Par exemple, « La fin du tout-génétique » d’Henri Atlan,
[6] Selon l’électrodynamique quantique, on ne peut comprendre les interactions matière-matière et matière-lumière qu’en faisant appel à ces anti-particules que le physicien Richard Feynman appelle aussi « particules qui remontent le temps ». Toute particule de matière possède son anti-matière, c’est-à-dire son image-miroir en termes électriques, ayant les mêmes caractéristiques que la particule de matière sauf des charges opposée. Dans le monde habituel, on ne rencontre pas d’antimatière structurée mais, au sein des corpuscules de rayonnement, il y a autant de matière que d’anti-matière. En effet, les corpuscules d’interaction sont un quark plus un antiquark ou électron plus un antiélectron, etc… Le mécanisme des relations matière/antimatière est le suivant : chaque particule d’anti-matière se couple avec son double matière dès qu’elle la rencontre, constituant un photon lumineux. Le vide est également constitué de couples particule/antiparticule, qui sont virtuelles et qui se couplent et de découplent sans cesse. Quand le vide se matérialise, il y a formation d’autant de matière que d’antimatière. Cette antimatière (durable) ne dure cependant pas très longtemps si elle peut rencontrer rapidement de la matière durable, les deux structures de détruisant mutuellement dans une explosion et redonnant de l’énergie.
[7] Le vide n’est pas l’absence de tout mais une agitation sans temps et sans espace cohérents. Dans le vide, il n’y a pas de particule durable de lumière ou de matière mais seulement des particules dites virtuelles. Ce sont elles qui vont donner les structures dites réelles par processus d’auto-organisation.
[8] T >> m c²/k où k est la constante de Boltzmann
[9] « Afin d’expliquer pourquoi les outils de la cosmologie quantique permettent de créer un univers qui ressemble au nôtre et pourquoi l’Univers paraît tellement homogène, régulier et isotrope, les théoriciens ont imaginé, en appliquant les théories de grande unification, une transition de phase qui a apporté l’énergie nécessaire pour accélérer le taux d’expansion au tout début de l’histoire de l’Univers. (...) Le scénario de l’inflation peut être qualitativement comparé à une transition de phase entre deux états physiques d’un corps pur. Ainsi, l’eau liquide gèle théoriquement à 0°C mais si le refroidissement est rapide, il peut y avoir un état métastable de surfusion, l’eau restant liquide en dessous de 0°C. Puis, lorsque l’eau gèle enfin, un dégagement de chaleur remonte la température vers 0°C. Ainsi, quand l’eau gèle à la surface d’un lac ou de la mer, l’énergie libérée par le changement d’état permet à l’eau située en dessous de la couche glacée de rester liquide. (...) Parallèlement, on peut parler d’une « rupture de symétrie » car l’état de l’eau liquide est beaucoup plus symétrique que l’état solide. Pour saisir le phénomène de l’inflation, il faut comparer champs d’énergie et états physiques de l’eau. La mécanique quantique fait correspondre à l’interaction grand-unifiée un champ qui peut passer d’une valeur de haute énergie à une valeur inférieure lorsque cette interaction se dissocie en interaction nucléaire forte en interaction électrofaible (...) Ce champ peut subsister, à l’état de « surfusion » quantique en dessous de la température de dissociation, en raison de la décroissance rapide de la température due à l’expansion. » écrit André Brahic dans « Sciences de la terre et de l’univers »
[10] Auparavant, l’Univers n’était pas transparent au rayonnement ce qui signifie que la lumière était « piégée » par la matière. Dans Les étoiles, on retrouve cette lumière est piégée, car la matière est très concentrée. La lumière met un temps considérable pour se déplacer. Si le noyau de soleil s’éteint, on mettra des années pour le savoir.
[11] Contrairement à ce que suggèrerait le terme, il n’y a pas une succession d’étapes dans un changement représentant une transition de phase. On saute d’un état à un autre, qualitativement différent. Le saut n’est pas instantané mais cela n’en fait pas une transformation continue.
[12] On a en effet constaté une explosion de la biodiversité.
[13] La protéine HSP 90 de la drosophile trie les molécules ayant subi des transformations indésirables.
[14] « On appelle « émergence » une combinaison préexistante d’éléments préexistants produisant quelque chose de totalement inattendu. Un exemple classique de ce type de phénomène est celui de l’eau, dont les caractéristiques les plus remarquables sont totalement imprévisibles au vu de celles de ses deux composants, l’hydrogène et l’oxygène ; pourtant la combinaison des deux ingrédients donne naissance à quelque chose d’entièrement neuf. » expose le paléoanthropologue Ian Tattersall qui réfléchit à l’émergence du langage, car la sélection adaptive ne lui semble pas une bonne explication de son apparition : « l’apparition de la pensée symbolique ne semble nullement être le résultat d’une tendance opérant sur la longue durée, comme la sélection darwinienne l’exige. L’autre hypothèse est donc elle-ci : (...) cette innovation relève probablement de ce que l’on appelle l’émergence. » « Des phénomènes d’émergence se produisent dans toute une gamme de systèmes à l’échelle du laboratoire, depuis la mécanique des fluides jusqu’à la cinétique chimique, l’optique, l’électronique ou la science des matériaux. » rapporte Grégoire Nicolis dans « L’énigme de l’émergence ». L’ordre émergent n’apparaît pas seulement à cause des propriétés de chacun des éléments mais de leurs interactions qui s’auto organisent. C’est un ordre collectif. Il a un caractère brutal d’apparition de nouveauté structurelle. L’émergence suppose un comportement global qui n’était pas inclus dans les propriétés de chacune des parties et un comportement survenant brutalement de façon discontinue. « On dira qu’une propriété ou un processus est émergent à un niveau d’organisation donné si, bien que réductible en principe aux propriétés de ses constituants de niveau inférieur, sa survenance semble impossible à prédire a priori à partir de la connaissance que l’on a de ces propriétés. » écrit Laurent Mayet dans son éditorial du dossier « L’énigme de l’émergence » dans la revue « Science et Avenir » de juillet 2005.
[15] La vie a émergé de l’inerte. La matière a émergé du vide. Le temps et l’espace ont émergé de la matière. Les structures matérielles (des molécules aux galaxies) sont nées du temps et de l’espace…etc…
[16] Le physicien Mark Silverman écrit ainsi dans « Et pourtant il bouge » : « La combinaison sans dimension de plusieurs constantes 2π e² / h c 1/ 137 a été reconnue comme la constante de structure fine de Sommerfeld α qui détermine l’échelle d’interaction d’une particule chargée avec les champs électromagnétiques. » La frontière est donc déterminée par une interaction d’échelle. Elle est un saut qualitatif. Il n’y a pas de continuité de la particule au champ ni du champ à la particule. Les deux sont imbriquées et interactifs de multiples manières et sans continuité.
[17] E = h v
[18] E = h / p
[19] En fait, il ne peut y avoir mouvement ou changement, c’est-à-dire échange d’énergie qu’entre deux pôles, un pôle plus et un pôle moins.
[20] Dans « Les constantes dans la nature », John Barrow rappelle notamment les thèses du physicien américain Lee Smolin selon lesquelles les constantes sont le produit de brutale singularités de l’évolution de l’univers : « cette idée que les constantes de la nature soient « retraitées » quand la matière s’effondre en une singularité ».
[21] « Aujourd’hui on considère la matière comme des reliques, des fossiles du Big Bang. » article « L’archer du temps » d’interview d’Ilya Prigogine par le journal L’Humanité en avril 1985.
[22] Si autrefois la principale transition de phase connue était celle des états de la matière - par exemple, les états de l’eau, solide, liquide, gazeux -, aujourd’hui il en va tout autrement. Par la suite, on a étudié le cas, simple, de l’aimantation ferromagnétique. Pour constater finalement que ce phénomène de discontinuité, rupture de symétrie à un seuil à partir duquel un phénomène collectif entraîne un changement qualitatif des propriétés, est bien plus général à la matière. A toutes les échelles, nous connaissons des transitions de phase de la matière. « La physique quantique traite de choses (...) qui subissent des transitions de phase. » dit David Ritz Finkelstein dans « Le vide », ouvrage collectif présenté par Simon Diner et Edgard Gunzig. Tous les phénomènes concernant les particules et le rayonnement sont des changements brutaux, des transitions. L’évolution de l’Univers est actuellement attribuée par les astrophysiciens à des transitions de phase. Dans le domaine de l’histoire de évolution du vivant, la thèse qui domine est aussi celle des transitions de phase. L’évolutionniste Maynard Smith a ainsi distingué diverses transitions majeures : molécules réplicantes, molécules dans un compartiment, chromosomes, ARN comme gène et enzyme, ADN et protéines, procaryotes et eucaryotes, sexualité, différenciation cellulaire…
[23] « La question de savoir si deux événements, se passant en deux lieux distincts, sont ou ne sont pas simultanés, avait un sens physique sans qu’il soit nécessaire de demander quel était l’observateur qui procédait à la mesure du temps. Aujourd’hui il en est autrement. » explique Max Planck dans « Initiation à la physique ».
[24] « Des domaines voisins ont été réunis en un seul. Ainsi, l’acoustique a été entièrement absorbée par la mécanique, le magnétisme et l’optique ont fusionné avec l’électrodynamique (…). La connaissance de la lumière fit également un progrès quand on reconnut l’identité des radiations lumineuses et des radiations calorifiques. »
Messages
1. La matière est historique, comme la société, 27 novembre 2009, 18:36, par Robert Paris
Comprendre une histoire, ce n’est la réduire ni à des régularités sous-jacentes, ni à un chaos d’événements arbitraires, c’est comprendre à la fois cohérences et événements.
Prigogine et Stengers
2. La matière est historique, comme la société, 6 janvier 2010, 10:44, par MOSHE
Ilya Prigogine dans « Temps à devenir » :
« Ainsi l’univers devient. Comme l’homme, la nature devient. (…) La nouvelle formulation des lois de la nature est qu’elle rend possible des événements. »
3. La matière est historique, comme la société, 30 mars 2010, 11:21, par MOSHE
La matière est historique, comme la société
par Robert Paris, Tiekoura Levi Hamed
" Pour conclure maintenant tout ce que nous avons dit de la science actuelle, nous pouvons peut-être déclarer que la physique moderne n’est qu’une partie - mais aussi une partie très caractéristique - d’un processus historique général qui tend à une unification."
Le physicien Werner Heisenberg dans "Physique et philosophie"
« A tous les niveaux, la science redécouvre le temps. » dans « La nouvelle alliance » de Prigogine
Ilya Prigogine dans « Temps à devenir » :
« Ainsi l’univers devient. Comme l’homme, la nature devient. (…) La nouvelle formulation des lois de la nature est qu’elle rend possible des événements. »
1. La matière est historique, comme la société, 3 avril 2010, 11:54, par MOSHE
Le paléontologue et géologue Stephen Jay Gould expose dans « La vie est belle » toute l’importance pour la compréhension du vivant de la notion d’une nature historique : « Ces animaux ont imposé à une science mal à l’aise avec de tels concepts une notion capitale : celle de l’histoire (...). Pour comprendre l’histoire, il est nécessaire de reconstruire les événements du passé eux-mêmes, dans leurs propres termes, c’est-à-dire en relatant les phénomènes uniques en leur genre qui les ont constitués. (...) Et la question de la prédiction, dont on fait grand cas dans la manière stéréotypée de présenter la science, ne peut pas être prise en considération dans le cadre des récits historiques. »
4. La matière est historique, comme la société, 19 avril 2010, 16:26, par MOSHE
Les événements qui parcourent l’histoire de la matière ont un caractère historique et il convient de mesurer toute l’ampleur de cette remarque. Un interdit a longtemps pesé contre la proposition d’utiliser des concepts de l’histoire en sciences et vice versa. Isoler l’humanité et son histoire, la vie et son histoire ou la matière et son histoire est aussi appauvrissant que d’étudier une société en dehors de son histoire. Bien sûr, chacun mesure l’importance de la conscience pour l’homme. Personne ne minimise la singularité qu’elle représente. Il ne serait pas judicieux de prêter de la conscience à la nature, par exemple en parlant de « libre arbitre » de l’électron. Par contre, isoler l’homme de son univers, sous prétexte qu’il possède une conscience qui lui est propre, voir en lui LA singularité de l’Histoire, c’est examiner le monde au travers d’un prisme trompeur. D’autant que, pour l’homme comme pour toutes les autres transformations, on a affaire à de multiples singularités et non d’une seule. Il a fallu de multiples révolutions au sein de populations animales avant d’arriver aux multiples révolutions de l’histoire des populations humanoïdes et humaines dont est issue la conscience dans sa forme actuelle. Ces singularités ne justifient certainement pas d’établir une frontière infranchissable entre l’homme et la nature ou entre les sciences dites humaines et les autres. Malgré ces barrières artificielles souvent dressées malheureusement par des scientifiques eux-mêmes, les diverses sciences se sont déjà maintes fois influencées mutuellement. Les exemples d’interfécondité des concepts scientifiques pullulent. Linéarité, continuité, stabilité, structure, organisation, ordre sont des notions génériques utilisées aussi bien dans un domaine que dans l’autre. Toute l’histoire des sciences est à rapprocher d’un effort vers l’universalité des lois et vers la compréhension d’un monde unique comme le rappelle le physicien Max Planck dans « L’image du monde dans la physique moderne » [24]. Sans tomber dans l’identité vulgaire et le réductionnisme qui ramène tout à un seul niveau, on peut très bien retrouver l’unicité du monde. Dire que des phénomènes de nature très diverses, comme la balançoire et la lumière, sont périodiques, cycliques, oscillatoires, … ne choque plus personne et ne doit rien à une volonté de tout ramener à une loi unique. Aujourd’hui, de nombreuses notions historiques mériteraient de passer, elles aussi, la frontière : toutes celles qui se rapportent au mode dynamique et aux autres changements qualitatifs. Les sciences dites « naturelles » développent des concepts valables pour l’homme. N’oublions pas que l’homme n’est pas hors de la nature ! Cela concerne les notions liées aux révolutions sociales, comme la dualité de pouvoir ou la prise de pouvoir, les contradictions de la lutte des classes, la relation entre celle-ci et des structures comme l’Etat, le rôle de l’individu, des minorités, du parti, des institutions, etc… Bien entendu, il n’y a pas de parti des électrons, ni d’armée des particules, et les états de la matière n’obéissent pas à une classe dirigeante, mais il y a une émergence de structure, des transitions de phase, des résonances, des structures dissipatives, des phénomènes non-linéaires au sein de la société humaine, comme on en trouve en physique, en biologie et dans l’évolution de la vie.
Le développement inégal et combiné, tel qu’il est développé par Marx et Trotsky, est l’une de ces notions valides dans l’un et l’autre domaine des sciences comme l’ont relevé de multiples auteurs, notamment des révolutionnaires. Ainsi, Daniel Guérin écrit dans « La révolution française et nous » que « La Révolution française nous offre ainsi un saisissant exemple de la loi dite du développement combiné dont l’application a été faite à la Révolution russe de 1917 dans « L’Histoire de la Révolution russe » de Léon Trotsky. La société ne parvient pas tout entière, en bloc, au même stade de l’évolution. Le développement inégal des formes de la propriété, des moyens de production explique ce manque de synchronisme. A l’heure présente où les civilisations industrielles se heurtent en de gigantesques mêlées d’avions et de chars (écrit en 1944), certaines populations de l’Indonésie ou du centre de l’Afrique sont encore à l’étape franchie par nous il y a plusieurs milliers d’années. »
5. La matière est historique, comme la société, 31 mai 2010, 19:13, par MOSHE
" Pour conclure maintenant tout ce que nous avons dit de la science actuelle, nous pouvons peut-être déclarer que la physique moderne n’est qu’une partie - mais aussi une partie très caractéristique - d’un processus historique général qui tend à une unification."
Le physicien Werner Heisenberg dans "Physique et philosophie"
6. La matière est historique, comme la société, 3 juin 2010, 17:20, par MOSHE
par exemple, lâcher une balle qui va tomber verticalement toujours au même endroit. C’est une illusion car jamais la position de la terre, de la lune, du soleil et des planètes, donc la gravitation, ne sera exactement identique.
7. La matière est historique, comme la société, 29 juillet 2010, 12:47, par moshe
Ilya Prigogine dans « Temps à devenir » :
« Ainsi l’univers devient. Comme l’homme, la nature devient. (…) La nouvelle formulation des lois de la nature est qu’elle rend possible des événements.
1. La matière est historique, comme la société, 7 août 2010, 18:20, par Robert Paris
Dans cette citation, il y a à la fois la notion de devenir et celle d’événements...
Les deux sont une rupture avec la vision classique.
Première rupture avec une nature éternelle, restée la même.
La deuxième avec la notion de continuité et de déterminisme strict, donc prédicitible.
8. La matière est historique, comme la société, 4 août 2010, 10:34, par moshe
Ilya Prigogine dans « Temps à devenir » :
« Ainsi l’univers devient. Comme l’homme, la nature devient. (…) La nouvelle formulation des lois de la nature est qu’elle rend possible des événements. »
9. La matière est historique, comme la société, 7 octobre 2010, 22:12, par RP
"La science a été longue à prendre en compte des explications de type historique - et les interprétations formulées jusqu’ici ont souffert de cette omission. Elle a aussi tendu à dénigrer l’histoire lorsqu’elle y a été confrontée, considérant toute invocation de la contingence comme moins élégantes basées directement sur des "lois de la nature" intemporelles."
La vie est belle (1989), Stephen Jay Gould,