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L’univers obéit-il à la loi des nombres ?

jeudi 6 février 2014, par Robert Paris

L’univers obéit-il à la loi des nombres ?

On se souvient de la fameuse phrase de Galilée affirmant un tel pouvoir des mathématiques sur la nature. D’autres scientifiques ou philosophes ont également défendu une thèse du même type et certains comme Pythagore ont même érigé les mathématiques en religion. On pourrait sembler devoir leur donner raison quand on constate à quel point les mathématiques ont envahi les sciences. Bien entendu, notre propos n’est pas de contester l’utilisation des mathématiques dans un certain nombre de domaines des sciences comme la physique. Ce serait ridicule de refuser cet outil pour construire, pour transformer, pour utiliser les matériaux et leurs propriétés. Mais la question philosophique posée dans notre question n’est pas celle-là. Il ne s’agit pas de savoir si c’est une bonne idée d’utiliser les mathématiques en sciences mais de se demander si la nature obéit à des lois mathématiques, à des équations, ce qui est très différent. L’astrophysicien observe le monde par son télescope mais n’a pas besoin de penser que son instrument est dominant sur le fonctionnement du monde. Nous ne cherchons pas ici à savoir si les hommes avaient raison de reconnaître la nécessité des nombres pour étudier la nature mais de savoir si la nature, elle, a besoin de nombres pour faire marcher son fonctionnement, si elle obéit aux lois des nombres, ce qui est très différent.

Et, tout d’abord, les nombres font-ils partie intégrante de la nature ? Les y a-t-on trouvés en l’observant ? Sont-ils une donnée objective de la réalité ou une construction intellectuelle de l’homme ? Observation ou création ? Y répondre n’est pas aussi simple qu’il y a paraît car il y a forcément à un moment donné une observation et aussi à un moment une création sans que cela nous dise laquelle est la première, laquelle est fondamentale dans l’apparition des nombres, dans leur utilisation, dans leur découverte par l’homme. Quand l’homme découvre la forêt d’Emeraude, il découvre une donnée objective, une réalité. Quand l’homme découvre la mer, là encore il s’agit d’un fait objectif. Mais quand l’homme découvre les trois dimensions de l’espace ? Quand l’homme découvre le nombre d’Avogadro, la charge de l’électron, le nombre de Planck ou le nombre d’or, le nombre d’électrons dans un atome donné, est-ce du même type que de découvrir l’Amérique ?

Toute découverte par l’homme a sa part de construction intellectuelle mais il est très différent d’imaginer un monde et de le rencontrer.
Bien sûr, certains auteurs affirment que l’observation de la réalité serait à la base de toutes les découvertes mathématiques, en particulier sur les nombres. Par exemple, ils affirment que les lois des nombres entiers ressortent de constatations sur le nombre des moutons ou des humains, que les produits sont issus des constatations sur les surfaces de terre (la surface du rectangle étant la longueur multipliée par la largeur). La mesure du nombre pi peut provenir de la mesure du pourtour d’un cercle en rapport à son diamètre. Les calculs qui ont permis d’affiner le calcul ne seraient qu’une confirmation que le calcul numérique reflète une réalité de l’observation, du cercle en l’occurrence.

Mais ce discours cache un fait très important : le nombre reste un concept, une abstraction produite par l’imagination humaine. Le cercle lui-même n’est pas véritablement une construction du dessin. On ne peut pas dessiner le cercle mathématique mais une simple approximation.

D’ailleurs, les nombres sont très loin d’avoir été découverts en une fois. Ils ont été créés au travers de multiples travaux des mathématiciens. Ils ont été l’objet de multiples découvertes et de multiples créations. Il est remarquable qu’à chaque fois, les nouveaux nombres aient été loin de crever les yeux, même des spécialistes des mathématiques. Ils ont même déclenchés de nombreuses polémiques lors de leur création, comme les autres idées neuves en mathématiques (du type des géométries alternatives). Les mathématiques n’ont jamais cessé de découvrir de nouveaux type de nombres et nous serions absolument incapables de citer toute la liste des sortes de nombres sortis de l’imagination fertile des mathématiciens. Et nous serions bien incapables de trouver des observations de la nature qui permettraient d’expliquer leur découverte, qu’il s’agisse des nombres « négatifs », « relatifs », « rationnels », « irrationnels », « imaginaires », « complexes », « transcendants », « quantiques », « transfinis », « hypercomplexes », « surréels », « non constructibles » et même « normaux ».

D’ailleurs, les nombres entiers dits « naturels » (0, 1, 2, 3, etc…) ne découlent pas plus directement de la nature et de son observation que les autres…

On peut croire que l’on a observé un mouton, deux chèvres, quatre champs et trois maisons mais c’est une illusion ou une manière de concevoir les choses et pas seulement de les observer.

En effet, parler de « deux moutons » nécessite de supposer qu’un mouton égale un autre mouton, ce qui est très loin d’être une vérité d’observation.

La base de toute mathématique du nombre est que un égale un et que trois égale trois ou encore que que 1,2 vaille toujours pareil.

Pas besoin de longs raisonnements pour comprendre que, dans la réalité, un homme n’égale pas un autre homme ni une maison une autre maison, ni même un mouton un autre mouton…

Dès lors dire que « un plus un égale deux » serait une évidence d’observation, c’est exact à partir du moment où on admet que « un égale un », ce qui, par contre, n’a rien d’une observation !

Nous constatons même, au contraire, que deux objets issus d’une fabrication, qu’elle soit naturelle ou humaine, ne peuvent être identiques. Même deux vrais jumeaux ne le sont pas.
D’ailleurs, une fois les nombres définis, quelque soit le type de nombre et les calculs sur eux définis ou étudiés, il reste que la question des nombres et des lois qu’elles peuvent décrire sont loin d’avoir été épuisés.

En effet, les mathématiques sont loin d’en être resté à l’idée qu’un nombre a une valeur fixe, entièrement définie, complètement précisée, inchangée et inchangeable.

Elles ont défini bien d’autres sortes de nombres, élargissant ainsi considérablement la notion de nombre comme on va le voir.

Elles ont inventé des entités comprenant plusieurs nombres, des ensembles, des matrices et autres outils possédant des propriétés multiples accouplées aux nombres comme les vecteurs. Elles ont inventé les relations entre nombres comme les fonctions. Elles ont inventé des nombres pour décrire des relations comme dans les graphes.

Et surtout, elles ont sauté à une nouvelle sorte de réalité en prenant des nombres changeants : les variables. Ce qui est complètement contradictoire par rapport à la notion de départ du nombre qui est infiniment précis et complètement inchangé. Ils ont même inventé des variables aléatoires qui peuvent varier au hasard…

Et c’est loin d’être fini. Des variables on a tiré les fonctions dépendant de la variable. Le résultat est à nouveau un nombre variable qui prend une valeur nouvelle pour chaque valeur nouvelle de la variable.

Cela n’a pas suffi à décrire la réalité et on trouvé nécessaire de fabriquer des variations de ces fonctions en mathématisant les variations des variables. Etudier les variations des paramètres, par rapport à étudier les valeurs de ces paramètres, c’est aussi différent que d’étudier la vitesse au lieu de la position ou l’accélération au lieu de la vitesse.

Ensuite, on inventé des nombres très bizarres : aussi proches que l’on veut de zéro sans valoir zéro. Ce sont les différentielles. On a supposé une variation du paramètre égal à ce différentiel. On a ensuite différencié les fonctions. On a même construit des équations qui n’utilisaient plus directement des nombres mais seulement les différentiels des nombres et des fonctions. C’est ce que l’on appelle les équations différentielles.

En réalité, les sciences n’utilisent pas des équations employant directement les paramètres physiques mais seulement leurs différentiels. Ce sont des équations dites différentielles.

Les lois de l’électromagnétisme, de la gravitation, des fluides, des frottements, des diverses interactions sont toutes des équations différentielles…. On va voir dans la suite qu’il ne s’agit donc pas d’établir directement la valeur des paramètres physiques mais seulement de leurs variations.

Lorsqu’on ne connait que des équations différentielles, il n’est possible que de trouver des solutions à une constante près. Il faut donc connaître des conditions initiales.
Or, si l’essentiel des lois approximatives sont linéaires, les lois réelles sont non linéaires ce qui fait qu’elles peuvent présenter des phénomènes dits de sensibilité aux conditions initiales : si on change un tant soit peu ces conditions, la dynamique change complètement sur le long terme. C’est le chaos déterministe.

Il faut d’ailleurs remarquer que les équations différentielles ont souvent plusieurs solutions et la dynamique saute de l’une à l’autre, ce qui signifie que les équations ne suffisent pas à dire ce qui va se passer exactement. Si la nature ne disposait pas d’autre chose que des équations pour savoir se comporter, elle serait bien embarrassée.

Parfois, nous-mêmes sommes bien embarrassés de ne disposer que de ces équations différentielles car nous n’avons qu’une série de solutions possibles sans pouvoir trancher sur laquelle choisir et pourquoi. Par exemple, l’électromagnétisme de Maxwell nous mène à un moyen bien pratique pour savoir d’où vient l’énergie qui est le vecteur de Poynting ? Or nos équations ne nous permettent pas de trancher entre les diverses valeurs possibles. Nous pouvons seulement choisir la plus simple et la plus pratique puis constater qu’elle marche (heureusement !) sans être capables de prouver que ce soit la vraie valeur…

Comme nous l’avons précédemment remarqué, on ne peut considérer la seule obéissance aux lois des nombres, que si les phénomènes dépendent d’objets qui peuvent être considérés comme identiques. C’est surtout valable du coup quand il y en a un grand nombre, comme les molécules d’un gaz, et que les lois deviennent des lois statistiques, c’est-à-dire qu’elles ne décrivent pas des comportements individuels mais collectifs. En fait, c’est le désordre individuel qui créée, par émergence, des lois statistiques. Ces lois ne s’appliquent pas au niveau individuel.

Par exemple, inutile d’appliquer les lois des gaz à une molécule unique. Les lois des fluides, notamment, ne s’appliquent que pour un très grand nombre de molécules alors qu’une seule molécule n’a même pas de valeur attribuée pour sa température ou sa pression, sans même parler de relation entre ces paramètres et avec le volume occupé. Pour un nombre considérable de molécules, par contre, ces paramètres émergent des interactions et on peut mettre en valeur des lois mathématiques. Dire que la nature obéit à ses lois n’est pas la bonne manière de présenter les choses. Il faudrait plutôt dire que des paramètres émergent des interactions, paramètres qui sont reliés par des relations numériques. Mais ce n’est pas en appliquant ces relations que ces paramètres ont été fondés ou calculés par la nature…

Que la numérisation des problèmes nous aide est incontestable mais la nature n’en a sans doute nul besoin comme nous allons le montrer.

Notre intelligence humaine nous a donné les capacités de numériser, à condition de les cultiver convenablement. Ce n’est pas un argument suffisant pour considérer ses calculs comme un « produit naturel ». Certes notre intelligence est un produit des capacités de notre cerveau, élément de l’univers matériel naturel. Mais cela ne prouve pas que la nature matérielle dans son ensemble passe par des mécanismes de calcul du même type.

Tous les êtres vivants ne comptent pas et pourtant ils parviennent à savoir se comporter. Et ne parlons pas de la matière inerte. Pouvons-nous penser que la matière compte, nous allons venir à cette question.

Est-ce que la Lune est sans cesse en train de résoudre les équations de la gravitation pour en déduire ses positions successives autour de la Terre ? Et la Terre de même autour du Soleil ?

Si les corpuscules, matériels et lumineux, devaient calculer leurs mouvements, leurs quantités caractéristiques, leurs positions au moyen de ces équations, il faudrait qu’ils disposent aussi des connaissances au moins sur les calculs que font les corpuscules voisins. Or, les corpuscules de matière ne sont pas en contact avec leurs voisins. Ils sont seulement en relation avec le vide quantique qui les sépare. Il interagit avec ce vide, le modifie. Et c’est cette modification qui modifie aussi la suite des événements pour le corpuscule voisin. Il n’y a donc pas transmission directe d’informations d’un corpuscule de matière à un autre, pas de possibilités d’échanger des données de calcul de l’un à l’autre. Impossible donc de préparer les mouvements suivants en fonction des mouvements des corpuscules voisins. Et ne parlons pas de deux masses distantes comme la Terre et le Soleil, ou le Soleil et l’ensemble de la Galaxie…

De tels calculs ne sont pas nécessaires à la matière qui se comporte en fonction des interactions, que les équations ne font que modéliser d’une manière très particulière, numérique. Les interactions entre corpuscules, ou entre masses, entre charges, etc., ne sont pas des interactions entre nombres…

Le pur point de vue des équations est une manière idéaliste de voir le monde. L’équation est un effet de la réalité et non l’inverse.

Nous n’avons aucune raison de penser que dans notre marche nous calculions des équations du mouvement pour garder notre équilibre et envoyer successivement nos jambes en avant. Nous n’avons aucune raison de penser que le vélo résout les équations de l’équilibre dynamique instable de sa rotation. Le cycliste lui-même n’a nul besoin de faire de tels calculs (heureusement !) pour rouler à vélo…

Bien sûr, de nombreux exemples ont été donnés selon lesquels des fonctionnement naturels permettent de retrouver certains nombres particuliers comme Pi ou le nombre d’Or. Cela ne signifie pas que la nature effectue des calculs ou résout des équations mais seulement que la simplicité des mécanismes d’interaction mène à des rapports classiques qui se reproduisent comme le nombre Pi qu’on retrouve dans tous les rapports entre ce qui est droit et ce qui est circulaire (en une, deux ou trois dimensions).

Bien sûr, il y a des calculs à faire pour envoyer une fusée dans l’espace et quitter l’attraction terrestre. Mais la Lune n’en a pas pour autant besoin de faire des calculs de trajectoire, seulement de laisser les masses interagir avec l’espace qui les entoure qui est modifié dans ses propriétés par la proximité de la Terre, des planètes et du Soleil.

Nos sciences effectuent certes des calculs nécessaires pour utiliser à notre profit les fonctionnements naturels mais cela ne signifie pas que l’inverse soit vrai : que ces fonctionnement aient besoin pour agir de résoudre ces équations.

Dire qu’une loi mathématique est valide dans un domaine des sciences ne veut pas dire que son équation décrive entièrement le fonctionnement en question. Cela veut seulement dire que les relations quantitatives y correspondent (généralement approximativement) à une certaine échelle, dans un domaine particulier de valeurs, et pas en dehors de ce domaine. Que se passe-t-il en dehors de ce domaine de valeurs ? Eh bien, c’est une autre loi qui entre en action. Et entre les deux ? Eh bien, entre les deux il y a un désordre imprédictible. Ce désordre n’est pas une simple gêne pour le calcul. Il est en fait la base même de la mise en place de la loi.

La loi n’est que la part ordonnée de la réalité qui, elle, est un mélange dialectique d’ordre et de désordre. L’ordre émerge au lieu d’être préexistant. L’équation a le défaut d’apparaître comme préexistante alors que les paramètres qu’elle relie ne sont même pas préexistants et que eux-mêmes sont émergents !

Il n’y a jamais d’ordre pur dans les fonctionnements naturels mais toujours une interpénétration de l’ordre et du désordre.

Les lois donnent une apparence selon laquelle tout l’univers serait ordre.

Bien sûr, on peut opter pour des lois statistiques qui décrivent uniquement des probabilités, qui utilisent des variables aléatoires, qui intègrent numériquement le désordre et le hasard. Mais, dans ce cas, on revient à la question philosophique de départ : on admet en effet que la loi n’est que statistique et que 1 n’est égal à 1 qu’à cause du très grand nombre d’objets du même type. Ey donc que les simples calculs numériques ne décrivent pas la réalité.

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