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Contre l’éclectisme

samedi 25 janvier 2014, par Robert Paris

Contre l’éclectisme, le relativisme et le scepticisme de l’idéologie dominante à l’égard de toute pensée globale et scientifique en philosophie

Note : à la fin du texte, une brève définition des philosophies éclectique, sceptique, relativiste.

Il est nécessaire d’abord de préciser le sens que nous donnons ici à quelques notions comme l’éclectisme qui sont définies diversement suivant les auteurs. Nous appellerons éclectique une pensée qui refuse les grands systèmes philosophiques et les accusent de sectarisme, d’intolérance, de doctrinarisme, de propension à l’idéologie creuse et propose, pour ne pas se livrer à la pensée-système, de prendre des éléments par ci par là pour fonder une pensée purement personnelle, ne se ramenant à aucun système global et permettant ainsi à chaque individu de constituer son propre menu en piochant, sur la carte des philosophies diverses, les éléments qui lui conviennent. Chacun est appelé par l’éclectisme à faire sa propre philosophie. L’éclectisme se fait ainsi défenseur de la liberté de pensée. Il affirme que les pensées-système obéissent à un prophète comme le Messie et rejettent quiconque ne les suit pas…

Celui qui défend un système global de pensée sera donc traité par l’éclectique d’être sectaire, mystique, exclusif, doctrinaire, prêtre de la foi, intégriste, métaphysicien manquant de sens du pragmatisme et idéologue sans ouverture d’esprit, de penseur se livrant à des généralisations douteuses et ne reconnaissant pas les idées officiellement acquises qui, elles, admettent l’existence de domaines séparés de la connaissance et donc acceptent leurs limites. Ceux qui prétendent repousser ces limites sont accusés par l’éclectique de développer des conceptions extravagantes soi-disant pour combler son ignorance des processus réels.

L’éclectique récuse l’efficacité de l’esprit de système. Il assure qu’un seul système de pensée ne peut pas comprendre l’ensemble du réel. Il annonce d’avance son renoncement à comprendre sous prétexte de la diversité des domaines de la connaissance comme si l’univers se divisait en fonction des divisions des universités… Mais il n’y a pas d’un côté le monde des idées et d’un autre le monde matériel, pas d’un côté le monde des lumières et de l’autre le monde de la matière, pas d’un côté le vide et de l’autre la matière, pas d’un côté l’animal et de l’autre l’homme, pas d’un côté la physique terrestre et d’un autre la physique céleste comme on l’a longtemps cru, etc, etc… Il n’y a même pas d’un côté la matière inerte et de l’autre la matière vivante, tant les propriétés de l’une et de l’autre interagissent, la matière vivante étant notamment fondée sur des propriétés quantiques comme la matière dite inerte.

Mais l’éclectique n’est pas perturbé par cette affirmation de l’unité du monde. Il a bien des répliques et d’abord celle de la modestie des capacités humaines et de la trop grande prétention de la pensée globale qui ne peut, selon lui, que tomber dans l’idéologie et la métaphysique, rendant la réalité encore plus difficile à comprendre, une fois cachée par les artifices théoriques du faiseur de systèmes.

C’est en cela que l’éclectisme rejoint le scepticisme devant l’effort de connaissance du monde, qui est une unité, un tout et pas seulement fait des divisions… L’éclectique accuse le défenseur d’un système de pensée à la fois de ne pas respecter la liberté philosophique individuelle et de ne pas être capable de ce qu’il prétend : décrire tout le réel. L’éclectique rend suspecte toute tentative d’étudier la philosophie en sciences et la science en philosophie. Il suspecte même la pensée qui passe d’une science à une autre ou de l’histoire à la philosophie et inversement.

Notre époque est caractérisée en philosophie par la même mode que dans le domaine vestimentaire, littéraire ou culinaire : par l’éclectisme. Dans cette conception, on peut tout porter, tout faire, tout dire : il suffit de prendre un peu de ceci, un peu de cela et de constituer ainsi sa garde robe ou son menu philosophique. Il n’y a pas de règle et on se gardera surtout de défendre une conception globale car cela a mauvaise presse. Cet éclectisme prend diverses formes : le relativisme mais aussi l’indifférentisme vis-à-vis de la philosophie, le scepticisme vis-à-vis de toutes, la conviction qu’il n’existe aucune vérité en philosophie et que toutes les opinions, du moment qu’elles sont suffisamment bien défendues, se valent, que le mieux est qu’aucune ne triomphe et que la seule chose à combattre serait la prétention d’une de ces philosophies de s’imposer à tous, de devenir universelle. A l’inverse, la pensée éclectique va se présenter comme plus mesurée et plus modeste, capable de reconnaître son incapacité à englober l’univers dans un système de pensée.

La pensée universaliste visant à une conception globale et à une philosophie scientifique (pas seulement à une philosophie des sciences) est très mal vue. Aujourd’hui, on est très loin de l’enthousiasme pour les grands systèmes de pensée qui semblaient caractériser les philosophies. On ignore même souvent ce que peut bien signifier une philosophie scientifique que l’on prend pour un malencontreux mélange de genres. Donner à la philosophie des concepts, des buts, des méthodes propres aux sciences semblerait parfaitement incongru….

En lieu et place d’une telle recherche d’une philosophie globale, universaliste et scientifique, on dispose d’une attitude éclectique qui examine les philosophes et leurs philosophies comme la carte d’un restaurant et déclare tranquillement qu’on peut prendre un verre de Nietzche, un peu de Wittgenstein en entrée, un plat de Sartre avec accompagnement de Bergson et, en dessert, du Heidegger… Quant aux travaux contemporains, ils sont censés se pencher sur un sujet pointu au possible, s’éloignant autant que faire se peut de toute prétention à comprendre le monde, attitude connotée comme proche du marxisme, une pensée considérée officiellement comme un échec même si la mode vient de l’intégrer simplement au menu éclectique. Il n’est nullement nécessaire pour de tels travaux philosophiques de s’intégrer dans une logique par rapport à la progression historique de la Philosophie puisque celle-ci est tout simplement niée. La conception sceptique ne reconnaît que des individualités en non une transformation historique des idées. Elle reste simplement comparative : Bergson a traité cette question de telle manière alors que Kant la traitait de telle autre. Il n’y a que des philosophies, il n’y a pas de Philosophie alors que les mêmes admettent qu’il y a « une science » ou même « un art ». Cette conception fait des auteurs des électrons libres qui auraient fort bien pu naître n’importe où, à n’importe quelle époque, avant ou après n’importe quelle étude philosophique. L’auteur étudié n’est pas considéré comme un élément d’un développement de « la philosophie ». En philosophant, les auteurs ne semblent pas étudier une matière mais développer seulement leurs points de vue librement, sans contrainte, sans nécessité de répondre aux autres développements philosophiques et aux problèmes posés par leur époque.

Le point de vue inverse va remarquer des étapes dans la pensée philosophique, des confrontations historiques comme celle avec l’avancée scientifique de la fin du Moyen Age ou celle avec la montée du protestantisme et le développement de la bourgeoisie ou encore celle des Lumières. Le point de vue historique remarque que les concepts changent progressivement et que les auteurs se répondent, transformant graduellement la pensée philosophique. Loin d’être contingente, la pensée philosophique suit des évolutions, des courants de pensée, des transformations liées à celles de la société et elle progresse dans sa compréhension du monde et des idées. Le travail des auteurs, même s’ils se contredisent pour l’essentiel, mène quelque part. Le désordre, comme dans d’autres domaines, n’est qu’apparent. Il y a une logique de l’histoire de la pensée philosophique : par exemple sur la conscience et l’inconscient, sur la liberté et la nécessité, comme il y a une logique de la pensée scientifique sur la matière et le vide, sur l’ordre et le désordre. Cette logique se développe non seulement chez un auteur mais dans les transformations dans la succession des auteurs et des idées.

La nécessité philosophique de combattre les anciens systèmes globaux en fondant soi-même un système global a eu une histoire (provenant des religions et s’enrichissant de tous les grands systèmes philosophiques liés à la révolution bourgeoise et scientifique) et cette histoire s’est interrompue lorsque la classe dirigeante a abandonné son rôle révolutionnaire de transformation du monde en considérant que cette transformation devenait synonyme des dangers révolutionnaires du prolétariat.

Du coup, la philosophie s’est résumée en études ponctuelles de tel ou tel point et a renoncé à tout schéma global universel. La nécessité d’une vision rationnelle d’ensemble ne lui apparaît plus. Elle prétend que c’est un progrès qui consisterait en l’abandon des idéologies dominatrices et en la défense de la liberté des penseurs. Elle affirme que la prétention (c’est elle qui le dit) de tout englober dans un même système a mené aux pensées dictatoriales, justifiant toutes les intolérances. Au lieu d’y voir une pensée engagée qui donne le moyen à celui qui l’étudie d’apprécier la capacité d’un système de pensée de comprendre le monde comme un tout, la pensée dominante y voit un cadre étriqué qui étouffe la liberté de chacun.

Loin de moi le désir de refuser à chaque penseur le droit d’apprécier ce qui lui plait dans chaque auteur et ce qui lui déplait. Telle n’est pas la question. La liberté de pensée n’est nullement en cause dans la conception éclectique. Elle n’est d’ailleurs pas si libre puisqu’elle s’interdit toute pensée globale et la rejette comme prétentieuse, dictatrice et incapable de réaliser ce qu’elle affirme. La thèse officielle est qu’aucune pensée ne peut chercher à comprendre l’ensemble du monde. En particulier, elle affirme que la philosophie est une somme d’opinions personnelles d’auteurs qui ne peut mener à un résultat reconnu car chacun doit être libre d’être d’accord avec qui il le souhaite du moment qu’il donne clairement ses arguments. Il est clair que les sciences ne fonctionnent nullement ainsi. Elles ont également de multiples auteurs qui se suivent et modifient les points de vue anciens, en combattant les idées précédentes comme en philosophie. Mais la science suit une progression d’idées. Elle suit une logique. Les auteurs ne font pas que cultiver des opinions personnelles, même s’ils n’en manquent pas. Ils ne font pas que défendre leur liberté individuelle de penser. Ils s’intègrent dans un cheminement vers la connaissance du monde. Même quand ils reviennent sur des polémiques anciennes, ils ne reviennent pas sur leurs pas. L’avancée des sciences a toujours frappé ceux qui l’étudient. Pourquoi n’y aurait-il pas de même une avancée de la Philosophie, cernant avec plus de clarté ses concepts, définissant plus clairement ses moyens et ses buts, se donnant des outils nouveaux, etc ? Eh bien, les courants dominants à l’heure actuelle en philosophie proclament que la Philosophie ne doit surtout pas chercher à avoir des prétentions du type scientifique sous peine de tomber dans les pires travers de l’Inquisition ou du stalinisme. Pour eux, une philosophie scientifique signifie que la philosophie aurait la prétention de commander à la science et c’est le pire danger.

Les philosophies globales sont donc considérées par eux comme des idéologies oppressives, comme des affirmations aux prétentions infinies sans justification sérieuse, comme des cadres trop immenses pour pouvoir donner des résultats concrets intéressants, etc…

Les auteurs contemporains vont donc discréditer ouvertement toute tentative de pensée globale dont le but serait de construire une conception de type scientifique. Ils opposent l’idée individuelle de l’auteur qui aurait cours en philosophie avec les lois des sciences qui ne sont pas du domaine de l’opinion. Ils affirment que la philosophie ne doit pas se mêler du domaine scientifique, sauf pour discuter de l’histoire des sciences, pour faire de l’épistémologie des sciences ou de la philosophie des sciences mais pas pour faire de la philosophie scientifique, c’est-à-dire utiliser la méthode scientifique en philosophie…. Selon les sceptiques, contrairement à ce qui se passe dans le domaine des sciences, il n’y a pas un sujet objectif d’étude pour lequel il serait question d’une progression rationnelle vers la connaissance, vers une vérité, vers des conclusions progressant dans un sens logique. Cela signifie que les philosophies diverses leur semblent aléatoires et ne sont pas un cheminement, certes erratique, mais menant quelque part. D’ailleurs, du moment qu’ils ne voient nul objectif d’une connaissance rationnelle dans la philosophie, mais seulement des opinions personnelles dans lesquelles chacun peut piocher ceci ou cela à sa guise, il n’y aurait aucune raison que la philosophie mène quelque part, résolve quelque problème, avance dans son développement et ait un résultat quelconque.

Selon eux, il n’y a pas, en philosophie, de vérification, de moyen d’observer objectivement, de connaissance rationnelle par des précepts dont on puisse s’assurer de la liaison logique, de vérités scientifiques à découvrir, de lois générales à mettre en évidence. Il n’y a même pas, d’après eux, de domaine global dont la philosophie soit le mode d’exploration. Il n’y a que des idées personnelles des auteurs qui, même lorsqu’elles se contredisent, ne signifient pas qu’il y ait vérité et erreur, comme ils l’ont interprété pour les sciences…

Les sciences contemporaines, elles-mêmes, ont tout fait pour exclure la philosophie de leur domaine d’étude. On trouve ainsi le positivisme scientifique, triomphant dans la première version de la physique quantique, celle de l’école de Copenhague, qui prétend que la science n’a pas à raisonner en termes philosophique, ne peut se poser ni répondre à aucune question philosophique.

Ayant fait des sciences un domaine quasi non humain, purement objectif, fondé sur des considérations aussi indiscutables que l’expérience et les mathématiques, sans rôle particulier de l’auteur individuel, sans création, sans imagination des scientifiques, sans subjectivité, parfois sans même des idées (pour les pragmatistes qui ne conçoivent que l’observation, que l’expérience), ils ne peuvent concevoir que la philosophie s’affirme scientifique comme elle l’avait fait lors de la grande avancée des sciences, notamment à l’époque de Galilée, de Newton et de Maxwell.

Depuis, de théorie de la connaissance, une certaine philosophie est même parvenue quasiment à se faire théorie de l’ignorance avec un goût particulier pour la thèse selon laquelle le monde ne pourra pas être connu, ou encore celle selon laquelle le monde n’existe pas réellement…

Ce grand changement ne prouve pas que l’idée de faire des systèmes globaux de la philosophie de la connaissance soit définitivement un échec mais seulement que, dans notre histoire des philosophies, nous passons par une étape de la société humaine qui recule sur ce plan philosophique en liaison à d’autres reculs des classes dirigeantes, menacées par les exploités, devant les thèses du passé (notamment religieuses et superstitieuses). Elles agissent ainsi non par souci idéologique mais pour des raisons sociales et politiques, parce qu’elles ont un besoin absolu des vieilles croyances et des vieux appareils des religions pour donner un peu de stabilité à l’édifice vermoulu de leur domination de classe…

N’oublions pas que défendre une conception d’ensemble scientifique en philosophie, c’est notamment combattre les conceptions religieuses alors que l’éclectique peut se dire scientifique en sciences et pas en philosophie…. Comme les autres éclectiques, suivant les questions, il choisit des philosophies diverses. Ce n’est pas seulement un point de vue théorique, c’est un mode d’existence. Matérialiste dans ses expériences de scientifique ou d’expérimentateur pratique, il est idéaliste pour prier dieu, pour penser aux morts, pour se marier, pour faire des enfants et les élever, pour définir sa morale et ses mœurs et il est pragmatique dans sa vie de tous les jours. L’éclectisme, déjà, est là, profondément ancré et indispensable à sa vie quotidienne.

L’intégration à la société bourgeoise est donc bel et bien un facteur déterminant de la diffusion et du triomphe de l’éclectisme. Dès que la bourgeoisie est devenue dominante, elle a cessé d’estimer que le combat contre la religion était un objectif politique, ce qu’il était quand la religion était l’arme idéologique de la féodalité. Le leitmotiv de la bourgeoisie occidentale est devenu ensuite le « penses ce que tu veux », présenté comme le nec plus ultra de la liberté alors que cela signifie seulement : penses des bêtises, on s’en moquera du moment que tu ne chercheras pas une pensée qui soit dérangeante et dont tu te serves pour combattre la domination de la bourgeoisie. On a nommé souvent cette attitude liberté d’opinion. En France, on l’a nommé laïcité. Ce n’est nullement une manière de combattre la religion mais une façon de combattre tout engagement philosophique militant. De là, les accusations contre toute théorie philosophique globale de la connaissance du monde, assimilée à un quelconque intégrisme idéologique.

Au point qu’on a complètement oublié que toutes les époques précédentes, et notamment celle du grand développement des sciences, ont cultivé l’idée, inverse, selon laquelle un grand système de pensée se doit d’être universel. De grands systèmes philosophiques se voulant une description rationnelle, et même scientifique, du monde se sont succédés, les uns idéalistes et les autres matérialistes, se sont contredits mais aussi approfondis, se répondant les uns les autres : Pythagore, Socrate, Platon, Aristote, Saint Augustin, Oreste, Galilée, Giordano Bruno, Léonard de Vinci, Pico de la Mirandola, Spinoza, Thomas Beckett, Locke, Hume, D’Holbach, Diderot, Kant, Fichte, Schelling, Hegel, Feuerbach, Saint-Simon, Fourier, Comte, Marx, Engels, Freud, pour ne citer que ceux-là…

Les auteurs philosophiques et scientifiques de l’époque ne prétendaient pas se libérer de toute conception globale mais s’y rattacher. Les travaux scientifiques semblaient alors inévitablement liés aux conceptions philosophiques, psychologiques, morales, sociales, économiques, artistiques, historiques et politiques.

Aujourd’hui, à l’inverse, la philosophie se prétend émancipée de la science et la science de la philosophie. Les grands systèmes de pensée sont présentés comme lourds, ennuyeux, faiseurs de blablas inutiles et parfois oppressifs dans leur désir de tout expliquer et de diriger toute pensée, toute étude, dans tous les domaines. Quelle prétention de vouloir englober l’univers entier dans un même système produit par un seul auteur ! Comme si une personne pouvait être en même temps spécialiste de tous ces domaines divers alors qu’on sait bien que, même dans un seul domaine, il faut un très grand nombre de spécialistes pour recouvrir la connaissance professionnelle du secteur.

Nous sommes à une époque où chaque spécialiste se garde bien d’empiéter sur les secteurs d’étude voisins, sans parler de discourir sur d’autres sujets. Quelques passerelles sont, tout au plus, autorisées au nom de l’interdisciplinarité et elles permettent d’utiliser prudemment des concepts d’un domaine à un autre avec toujours le risque d’être accusé de vouloir bâtir des conceptions générales, accusation considérée aujourd’hui comme extrêmement grave et comme invalidante.

Celui qui ne respecte pas ces règles ne peut pas pénétrer l’institution idéologique de notre époque, ne peut donc pas publier, être discuté et commenté, être connu ou reconnu. C’est en cela que le refus de tout système philosophique, devenu pensée dominante, est devenu lui-même un système et même l’un des plus contraignants et étouffant pour l’esprit.

C’est pour cela qu’il est si vivifiant de relire les thèses d’un Hegel qui ne considère nullement l’histoire des philosophies mais l’histoire de « la philosophie ». La pensée humaine paraît à Hegel comme une construction historique ayant son développement rationnel et pas un catalogue de pensées diverses, se succédant de manière entièrement désordonnée et contingente. La rationalité du développement historique n’est pas plus évident dans l’histoire de la pensée philosophique que dans l’histoire des sciences, des arts, des lettres ou dans l’histoire des espèces vivantes, dans l’histoire du cosmos, ou dans l’histoire de la terre… Dans tous ces domaines, la première impression est plutôt celle d’un grand désordre obéissant plus au hasard qu’à des lois. Et cependant, derrière cet apparent désordre, on trouve une rationalité. Hegel est l’un des philosophes qui a défendu que le développement de l’étude du réel menait à la compréhension progressive de cette rationalité.

Certes Hegel est idéaliste et il place donc les idées à la tête du monde mais il a l’immense avantage par rapport à la pensée dominante actuelle de considérer qu’il n’y a qu’un seul monde, englobant matière et pensée, qu’il faut penser comme un tout. Non seulement, il affirme ainsi que la pensée philosophique doit être scientifique mais il préconise que son développement historique ait un sens rationnel, que les idées philosophiques progressent comme les sciences progressent, qu’il existe une évolution des idées philosophiques au même titre qu’un Einstein a pu être amené à parler d’une « Evolution des idées en physique ».

Il va de soi qu’à partir du moment où la philosophie dominante a cessé de se donner un tel objectif, l’a même rejeté ouvertement et consciemment, il est devenu difficile de considérer la succession des auteurs comme un tel développement logique. Marx n’a pas eu de successeur en ce sens. Ce n’est pas dû au fait que ce penseur aurait proclamé la « fin de la philosophie ». Il s’était contenté de parler de la fin de la philosophie classique allemande et de la métaphysique (idéologie coupée de la science), ce qui est très différent. C’est la classe capitaliste qui ne veut pas développer de pensée nouvelle globale car elle tient trop à s’appuyer, partout dans le monde, sur les vieilles idéologies plus propices pour être des forces de conservation.

La philosophie d’Hegel était tellement celle de la transformation révolutionnaire, un produit de la transformation révolutionnaire réelle de l’Europe de son époque, que cela dépassait même parfois ses propres capacités sur le plan social et politique, son conservatisme personnel, et qu’il a été, quasi immédiatement après sa mort, rejeté de la philosophie officielle allemande, la bourgeoisie allemande comptant plus sur l’action politique d’un Bismarck que sur la révolution sociale. En France, il n’avait pas encore eu le temps de percer et on peut dire qu’il n’a jamais été vraiment connu, le stalinisme n’ayant pas trop cherché à le faire lire, l’anarchisme s’en moquant et le courant trotskyste, curieusement contre l’avis de Trotsky, se gardant de trop se mêler de philosophie et même de toute pensée théorique…

Pourquoi choisir Hegel parmi tous les penseurs qui ont développé une pensée globale ou parmi ceux qui ont voulu aller vers une pensée scientifique ?

La principale raison, c’est que Hegel développe une pensée dialectique. Pour tous ceux qui ne sont pas dialecticiens, les oppositions d’idées sont diamétrales : ou un penseur dit juste, ou c’est l’autre. Les contradictions entre les différents penseurs ne sont que négatives. Ils ne voient pas dans la contradiction le mode de développement, de progression, des idées et donc un fait positif. Ils opposent diamétralement les pensées diverses et donc, pour eux, tout ce qui a pu être pensé avant une idée plus juste était inutile voire nuisible. Les non dialecticiens ne conçoivent donc pas une histoire des idées et ils ne voient la vérité que comme une révélation brutale : soit une découverte, soit le génie d’un seul auteur, soit une révélation d’origine divine. Le développement des idées ne leur apparaît nullement et encore moins leur développement par le mode négatif contradictoire.

Les sciences se développement pourtant selon ce mode. Newton développe une conception corpusculaire de la lumière qui est contredite par la conception ondulatoire de la lumière de Fresnel, conception qui est élargie par la conception ondulatoire de l’électromagnétisme de Maxwell pour être ensuite contredite par la conception dualiste onde/corpuscule de la physique quantique qui intègre les deux conceptions de base au lieu de les éliminer définitivement. Ce mode de développement des idées est contradictoire au sens dialectique et non au sens diamétral. La physique du vide quantique expliquant la structure de la matière contredit encore la conception précédente en n’expliquant plus la nature (onde ou corpuscule ?) de l’objet matériel mais en faisant de celui-ci un phénomène dérivé des transformations spontanées du vide quantique. Nouvelle contradiction qui est aussi dialectique puisqu’elle intègre la physique quantique de la matière. Et ainsi de suite… On ne s’étonnera pas de retrouver dans les développements de la pensée dialectique de Hegel une idée très semblable à celle, bien plus tardive, de la dualité onde/corpuscule selon laquelle la matière à la fois est ponctuelle comme le corpuscule et occupe l’espace comme un continuum. Mais la science contemporaine donne mille exemples supplémentaires qu’Hegel et la science de son époque ne connaissaient pas. On peut ainsi citer l’unité dialectique de la matière et de l’énergie, que la physique a opposés durant de longues décennies. Ainsi la matière semblait l’ordre et l’énergie le désordre.

Ce ne sont nullement les seuls concepts qui aient connu ainsi une existence ballotée par les contradictions dialectiques. On retrouve le même cheminement dialectique dans le concept d’énergie (par rapport à celui de quantité de mouvement), dans celui de matière lui-même et dans celui de vide, il y a peu opposés l’un à l’autre de manière diamétrale et qui reconstituent dans la physique quantique leur unité dialectique. Ou encore dans celui du mouvement (voir Zénon). La science physique a été maintes fois contrainte de rapprocher deux contraires dialectique qui avaient été par erreur séparés de manière métaphysique ou formelle comme espace et temps, matière et lumière, énergie et quantité de mouvement, matière et mouvement, matière et vide ou encore hasard et nécessité. Une autre idée a connu un développement dialectique : celle de symétrie. Au travers de multiples contradictions, cette idée que le monde est symétrique a connu des révolutions diverses qui l’ont menée de l’idée que l’ordre est la symétrie à l’idée actuelle inverse selon laquelle la symétrie est le désordre et que l’ordre n’est autre que la brisure de symétrie !

La science physique est donc du domaine des débats d’idées philosophiques et fonctionne de manière dialectique. La soi-disant séparation nette entre science et philosophie n’est pas réelle. Les deux domaines sont complètement interpénétrés depuis bien longtemps et la volonté de les séparer n’a fait qu’appauvrir les deux pensées et leur enlever la moitié de leur force, comme si on contraignait un cerveau à fonctionner avec un seul hémisphère cérébral….

Il en va de même de l’étude du vivant puisque la génétique ou l’évolution des espèces sont fondés sur l’union dialectique de la conservation et de la transformation, que le développement de l’individu de l’œuf fécondé à l’individu formé et jusqu’au nouvel œuf fécondé marient sans cesse conservation et transformation de manière complètement dialectique et nullement diamétrale.

Même la géophysique ou l’étude de l’astrophysique sont des domaines où se manifeste le caractère dialectique du mode de transformation. On pense ainsi à la formation des montagnes ou à celle des étoiles ou des galaxies. La philosophie intervient donc sans cesse en sciences, même si les scientifiques en ont moins conscience aujourd’hui qu’à d’autres époques de l’histoire.

En refusant toute signification scientifique à la philosophie, la pensée dominante, ravale toute philosophie à l’opinion, lui déniant toute capacité de recherche de la vérité, sous le simple prétexte qu’en philosophie, les auteurs se contredisent et comme si ce n’était pas le cas de la pensée scientifique. Résultat : l’opinion dominante est que la science s’impose à tous comme placée au dessus de l’individu et de l’opinion individuelle alors que la philosophie ne dépend prétendument que de cette opinion individuelle et n’aurait donc aucune base rationnelle et objective. En réalité, il est aussi essentiel de reconnaître la subjectivité du savant et de la science que l’objectivité du philosophe et de la philosophie. C’est un véritable abîme artificiel qui est ainsi dressé entre sciences et philosophie et qui nuit également aux deux parties, dressées l’une contre l’autre alors qu’elles ont irrémédiablement besoin l’une de l’autre. Voilà une conception que combattait déjà Hegel.

Il y a un aspect de la philosophie éclectique que nous n’avons pas encore abordée, c’est l’accomodation, la sagesse, le pacifisme intellectuel, la modération théorique. L’éclectique récuse le combat philosophique. Il préconise que les faiseurs de systèmes abandonnent leur combat et que l’on s’entende, dans l’intérêt de tous. Les athées cesseraient ainsi de combattre la religion. Les philosophes scientifiques cesseraient de combattre pour la science. Chacun tolèrerait les autres au point de ne plus s’engager et combattre pour des points de vue philosophique. Laisser dire et laisser croire est le credo des éclectiques… Ils donnent des justifications théoriques comme le fait qu’en théorie il n’y a pas d’erreur absolue et que même l’erreur peut apprendre. Ils prétendent que la pensée-système n’est nécessaire qu’en l’absence de connaissances positives quand les hypothèses métaphysiques restent une nécessité mais, dès que la science s’appuie sur des fondements concrets, on pourrait selon eux se passer des hypothèses philosophiques. Ils affirment également que le combat philosophique n’a qu’un effet négatif, faisant monter les intolérances et les haines, les guerres de religions et les guerres philosophiques et que le heurt d’hypothèses philosophiques opposées ne mène à rien qu’à un affrontement sans fin. Hegel, au contraire, affirme que le combat à une base historique, nécessaire, et plaide pour le rôle positif du combat négatif, du combat contre la philosophie adverse. Il affirme que c’est ce combat philosophique qui est la locomotive principale de l’histoire des idées…

Extraits de « Leçons sur l’histoire de la Philosophie » de G. W. F. Hegel :

« La simple représentation qu’on se fait de l’histoire de la philosophie provient de cette constatation qu’il y a eu de nombreuses philosophies et que chacune d’elles affirme détenir la connaissance du vrai, avoir trouvé la vérité et s’en glorifie. On dit que ces nombreuses philosophies se contredisent, que par suite aucune n’est la vraie, ou bien que si l’une d’elles est vraie, l’on ne peut pas la distinguer des autres. L’on considère ceci comme une preuve, fournie par l’expérience, de ce qu’il y a de flottant, d’incertain, en philosophie. On dit que la foi dans l’esprit humain est une foi téméraire. L’autre objection est la suivante : la raison qui pense s’égare dans des contradictions, le défaut de tous les systèmes consiste simplement en ce que la raison pensante s’efforce d’appréhender l’infini, mais, ne pouvant user que de catégories finies, rend l’infini fini ; elle ne peut appréhender d’une manière générale que le fini.

Or, en ce qui concerne cette preuve, c’est une abstraction vide que de vouloir éviter d’aboutir à des contradictions. La contradiction est engendrée sans doute par la pensée ; toutefois, il est important de remarquer que de semblables contradictions ne se rencontrent pas seulement en philosophie, mais partout, qu’elles se répandent dans toutes les représentations des hommes ; mais ceux-ci n’en ont pas conscience ; ils n’en prennent conscience que dans la contradiction produite par la pensée et que la pensée seule peut résoudre.

La preuve tirée de l’expérience consiste donc à constater que les différentes philosophies se contredisent. Cette image des nombreuses philosophies qui se contredisent est la plus superficielle représentation de l’histoire de la philosophie et l’on use sottement de cette différence pour déshonorer la philosophie.

Quand on s’en tient ainsi à l’idée de plusieurs philosophies, on admet pourtant qu’il n’y a qu’une vérité et l’on en déduit que les vérités de la philosophie ne peuvent que des opinions. L’opinion est une pensée contingente. On peut dériver ce mot de mien ; une conception qui est la mienne n’a donc rien d’universel.

La représentation la plus habituelle, la plus courante, de l’histoire de la philosophie, c’est qu’elle énumère les diverses pensées et les diverses notions qu’aux temps les plus divers les hommes se sont faites sur Dieu et le monde… Mais cette conception signifie aussi que ce sont des opinions que l’histoire de la philosophie nous fait connaître. Ce qui s’oppose à l’opinion, c’est la vérité. En sa présence l’opinion pâlit. Or, c’est devant la vérité que détournent la tête ceux qui ne recherchent que des opinions dans l’histoire de la philosophie et prétendent qu’on n’y trouve que des opinions.

On trouve ici deux antagonistes qui combattent la philosophie. Jadis c’était la piété religieuse qui déclarait l’impuissance de la raison ou de la pensée à connaître le vrai. Elle a souvent dit que pour parvenir à la vérité il faut renoncer à la raison, que la raison doit s’incliner devant l’autorité de la foi ; la raison abandonnée à elle-même, penser par soi-même, mène aux abîmes du doute. Il sera question ultérieurement du rapport de la philosophie à la religion et à son histoire.

D’autre part, on dit que la raison s’est élevée contre la foi, la pensée religieuse, le dogme transmis, qu’elle a essayé de rendre le christianisme raisonnable et s’est placée tellement au-dessus que, selon elle, la sagesse, la conviction particulières seules devaient créer à l’homme l’obligation de reconnaître une chose comme vraie… Or cette subjectivité ne peut aboutir qu’à des opinions. Ainsi cette prétendue raison a fait de l’opinion ce qui doit être pour l’homme ce qu’il y a d’ultime et confirmé de son côté l’affirmation de la piété que la raison ne saurait parvenir à la vérité ; elle ajoutait seulement ceci que d’une manière générale la vérité était chose impossible à atteindre.

Nous rencontrons donc tout de suite ces conceptions. La culture générale de l’époque a pris comme principe que le vrai ne peut se connaître…. La philosophie réclame, il est vrai, comme à la subjectivité, comme absolument essentiel, par rapport à la subjectivité, la conviction personnelle, mais elle distingue si la conviction ne repose que sur des raisons subjectives, des pressentiments, des sentiments, des intuitions, etc., d’une manière générale sur l’individualité du sujet, ou bien si elle résulte de la connaissance de la nature de la chose, de la notion de l’objet. La conviction particulière du sujet n’est qu’une opinion.

Cette opposition entre l’opinion et la vérité qui est très frappante, qui est en pleine floraison de notre temps et très prononcée, nous la constatons aussi dans l’histoire de la philosophie, par exemple déjà à l’époque de Socrate et de Platon, époque de corruption de la vie grecque… Nous remarquons une opposition semblable au temps de la décadence publique et politique des Romains sous Auguste et dans la suite, par exemple dans l’épicurisme sous forme d’indifférence en matière de philosophie…

Si maintenant, relativement à l’histoire de la philosophie, nous partons de cette idée qu’on ne peut connaître la vérité, que la raison pensante n’a produit que des opinions, la signification de l’histoire de la philosophie est fort simple : c’est des particularités d’autrui ; car puisque l’opinion est ce qui est mien, n’appartient qu’à moi, et que chacun a la sienne, c’est la particularité de chaque sujet ; or ces particularités des autres sont pour moi quelque chose d’étranger, un élément extérieur, purement historique, mort. Dès lors, l’histoire de la philosophie est superflue, ennuyeuse, sans intérêt, sauf pour l’érudition…

Si l’histoire de la philosophie n’est considérée que comme une collection contingente de pensées et d’opinions, elle est inutile et n’a d’intérêt que pour l’érudition….

Cicéron, par la voix de l’épicurien, dit que l’effort de la philosophie pour parvenir au vrai est sans valeur, qu’il résulte de son histoire que les pensées diverses, les philosophies multiples qu’on a vues naître s’opposent les unes aux autres, se combattent et se réfutent. Ce fait, qu’on ne saurait nier, sert d’ordinaire de fondement pour prouver l’inutilité de la philosophie par son histoire… Ainsi, en son ensemble, l’histoire de la philosophie apparaît comme un règne non seulement de morts, mais aussi de gens tués et enterrés quant à l’esprit…

Si nous voulons déterminer de plus près la relation entre la diversité des philosophies et l’unité de la recherche de la vérité, nous verrons que cette diversité non seulement ne fait pas de tort à la philosophie, à la recherche de la vérité, mais qu’elle est nécessaire à cette étude.

Il est bon de remarquer d’abord que nous partons assurément de là que la philosophie a pour but de connaître la vérité ou de l’appréhender par la pensée. Nous devons supposer connu quel est l’objet de la philosophie ; il paraît particulier et néanmoins c’est le plus général ou plutôt l’Universel même…

L’histoire universelle n’est pas seulement romantique ; ce n’est pas une collection d’actions et d’événements contingents ; le hasard n’y règne pas ; les événements n’y sont pas des courses de chevaliers errants, des actions de héros qui se livrent à de vains combats, à des travaux et à des sacrifices inutiles pour un objet contingent ; et son activité ne disparaît pas sans laisser de traces ; mais les événements y présentent un enchaînement nécessaire. C’est aussi le cas dans l’histoire de la philosophie. Il n’y est pas question d’idées fantaisistes, d’opinions, etc, que chacun a inventées suivant son esprit particulier ou imaginées suivant son caprice ; mais puisqu’il s’agit de considérer la pure activité et la nécessité de l’esprit, il doit y avoir dans tout le mouvement de l’esprit pensant un enchaînement nécessaire et essentiel…

Nous voulons jeter d’abord sur une forêt un coup d’œil d’ensemble avant d’en connaître les divers arbres. Celui qui contemple ceux-ci d’abord ne voit pas la forêt dans sa totalité, il s’y égare et s’y trouve dans la confusion. Il en est de même des philosophies qui sont innombrables, qui se combattent et s’opposent. On se troublerait par suite si l’on voulait connaître d’abord les diverses philosophies. Les arbres nous empêcheraient de voir la forêt et les philosophies, la philosophie…

Comment expliquer cette contradiction entre l’unité de la vérité et le grand nombre des philosophies ? Que résulte-t-il de ce long travail de l’esprit humain et comment le comprendre ? Dans quel esprit traiterons-nous l’histoire de la philosophie ?...

La nature infinie de l’esprit, c’est son processus intérieur, consistant à ne pas se reposer, essentiellement à produire et à exister par sa production ; nous pouvons concevoir ce mouvement comme une « évolution » ; l’action du concret est essentiellement évolution. Il s’y trouve une différenciation et si nous appréhendons la détermination des différences qui arrivent – et le processus amène nécessairement quelque chose de nouveau – le mouvement se présente comme une évolution….

Il faut se demander ce qu’est l’évolution ; on considère cette représentation comme connue et l’on pense par suite qu’il n’y a pas à l’expliquer. Mais ce qui caractérise la philosophie, c’est précisément d’examiner ce qui est présumé connu et que chacun s’imagine déjà savoir. Ce que l’on manie et emploie sans le regarder, ce dont on se sert dans la vie ordinaire, elle l’établit, le parcourt, l’explique, car ce connu est précisément l’inconnu pour qui n’a pas la culture philosophique…

Ce qui tout de suite se présente à nous dans l’évolution, c’est qu’il doit exister quelque chose qui se développe, donc quelque chose d’enveloppé, le germe, la disposition, le potentiel… Le germe en fournit un exemple. Le germe est simple, presque un point ; même le microscope ne saurait y découvrir grand-chose ; mais cette simplicité est grosse de toutes les qualités de l’arbre. Tout l’arbre est dans le germe : les rameaux, le feuilles, leur couleur, leur odeur, leur saveur, etc. Cependant cette chose simple, le germe, n’est pas l’arbre même. Cet ensemble varié n’existe pas encore. Il importe de savoir qu’il existe quelque chose de tout simple, contenant en soi une multiplicité, qui toutefois n’existe pas encore pour soi… On peut dire après Aristote que dans le simple qui est en soi, dans la potentialité interne, la disposition, tout ce qui se développe est déjà contenu. Le développement ne produit rien de plus que ce qui est déjà en soi.

Le germe est la notion de la plante… La plante en tant que réelle est une production qui ne s’arrête pas, une production par elle-même. Sa vie est accomplie quand elle est apte à produire de nouveau un germe. Le germe est en puissance la formation complète de la plante… L’unité entre le point de départ, de celui qui produit et de celui qui est produit, est le point essentiel qu’il faut retenir de l’évolution… C’est une seule et même chose ou plutôt un seul et même contenu qu’il soit en soi, enveloppé ou déployé, existant comme tel. Ce n’est qu’une différence de forme mais tout dépend de cette différence…

C’est là aussi le mouvement de l’Idée, du rationnel. L’activité de notre esprit consiste à faire rentrer cette foule de représentations dans cette unité… Chaque détermination paraît séparée des autres, pour exister individuellement.

Cette unité de ce qui est présent, et de ce qui est en soi (comme de la plante et du germe), est l’essentiel de l’évolution…. Cette unité du divers, du germe et de ce qui se développe est l’unité de deux choses qui n’en font qu’une… L’entendement abstrait ne peur saisir cela… Dans le développement est contenue aussi la médiation, l’un n’existe que relativement à l’autre. Ce qui est en soi (le germe) est poussé à se développer, à exister, à passer à la forme de l’existence ; et l’existence ne peut apparaître que de la potentialité, du germe. Il n’existe rien en réalité sans médiation…

La racine, le tronc, les rameaux, les feuilles et les fleurs, tous ces stades différent les uns des autres. Aucune de ces existences n’est l’existence réelle de la plante (elles ne sont que traversées) parce que ce sont des états passagers qui toujours reviennent et dont l’un contredit l’autre. L’une de ces existences de la plante est réfutée par l’autre. Cette réfutation, cette négation des moments l’un par rapport à l’autre doit être remarquée ici ; mais nous devons aussi retenir fermement la vitalité une de la plante ; cette chose une, simple, se maintient dans tous les états. Toutes ces déterminations, tous ces moments sont absolument nécessaires et ont pour but le fruit, le produit de tous ces moments et le nouveau germe.

En résumé, nous sommes en présence d’un seul processus vital, enveloppé d’abord, qui passe ensuite à un être actuel et se divise en diversité des déterminations qui, comme degrés divers, sont nécessaires et forment ensemble de nouveau un système. C’est là une image de la philosophie… C’est là la notion de l’évolution, notion tout à fait générale ; c’est d’une manière générale la vitalité, le mouvement… Si quelque chose résulte d’un de ces degrés, cela constitue le point de départ d’un autre, d’une nouvelle évolution. Le dernier état de l’un des degrés est toujours le premier du suivant. Goethe dit donc quelque part à bon droit : « Ce qui est formé redevient toujours matière. »

La matière qui est formée redevient matière pour une forme nouvelle…

Ainsi l’action continue à former ce qui a été formé précédemment, le rend en soi plus déterminé, plus accompli et plus profond. Les degrés sont différents ; le degré suivant plus concret que le précédent. Le degré le plus bas est le plus abstrait… Chaque degré suivant de l’évolution est par suite plus riche, augmenté de ces déterminations et ainsi plus concret. Il n’est donc aucune pensée qui ne progresse dans son évolution.

A propos de cette évolution, on peut se demander : qu’est-ce qui évolue, quel est le contenu absolu qui se développe ; car l’évolution, pense-t-on, comme activité n’est que formelle et a besoin d’un substrat. Toutefois l’activité n’a pas d’autre détermination que l’action ; ce qui se développe ne peut donc autre chose que ce qu’est l’activité. C’est par là que se détermine aussitôt la nature générale du contenu… Ce que nous avons dit n’être que la marche de l’évolution en est également le contenu…

La philosophie assurément se meut dans les régions de la pensée pure, mais son contenu doit être conçu comme concret. Il peut être difficile de comprendre que les déterminations diverses ou distinctes ou opposées forment unité… Le mouvement seul rend l’unité vraiment concrète. C’est là d’une manière générale l’élan vital, aussi bien la vitalité naturelle que celle de l’esprit…

Dans le mouvement, il faut considérer et distinguer d’abord le passage de l’un à la dualité et en second le retour dans l’un… Ce sont là les déterminations du développement du concret ; mais pour les saisir plus aisément et se les mieux représenter, nous allons donner encore quelques exemples du concret et tout d’abord empruntés aux choses sensibles.

Les objets de la nature se présentent aussitôt à nous comme concrets. La fleur, par exemple, a diverses qualités, la couleur, l’odeur, le goût, la forme, etc., mais elles forment une unité ; aucune ne doit faire défaut ; elles ne sont pas disséminées : ici l’odeur, là la couleur, mais la couleur, l’odeur, etc., sont informées l’une dans l’autre, bien que en tant que différences. On ne peut pas non plus les combiner mécaniquement. Une feuille est de même en soi concrète ; chaque partie distincte de la feuille possède les propriétés de toute la feuille. L’or de même renferme en chaque point toutes ses qualités sans qu’elles soient séparées ou divisées ; là où il est jaune, il a aussi son poids spécifique ; il n’est pas à un endroit jaune et n’a pas à un autre son poids spécifique.

Nous admettons pour le sensible cette concrétion comme immédiate ; ce n’est que quand il s’agit de l’esprit, de la pensée qu’il importe de saisir le divers comme opposé. Nous ne trouvons pas contradiction ni troublant que l’odeur de la fleur soit autre chose que sa couleur, que odeur et couleur s’opposent, tout en étant unies. Nous ne les opposons pas. C’est plutôt l’entendement, le penser de l’entendement qui en vient à déterminer en quelle mesure les éléments divers s’opposent et comment ils peuvent se concevoir comme incompatibles.

Si nous parlons par exemple de la matière ou de l’espace, nous avons que la matière est composée, que l’espace est composée, que l’espace est continu, ininterrompu. Je peux remplir l’espace diversement, mais non l’interrompre. D’autre part, nous pouvons partout dans l’espace poser des points, le rendre pointillé. Il en est de même de la matière ; elle est partout composée, donc partout divisible, jusqu’aux atomes, et pourtant elle est partout continue, une continuité en soi. Néanmoins nous parlons d’atomes. Nous disposons ainsi d’une double détermination de la matière : de sa divisibilité et de sa continuité. Mais l’entendement dit : elle est ou continue ou pointillée, atomistique ; il oppose nettement ces deux déterminations ; la raison écarte ces deux déterminations comme opposées, tout en disant : tout continu est atome et tout atome est continu.

Prenons un exemple dans une sphère plus haute. Nous disons de l’homme qu’il a la liberté, la détermination opposée étant la nécessité. Si l’esprit est libre, il n’est pas soumis à la nécessité ; et voici l’antithèse : sa volonté, sa pensée, etc., sont déterminées par la nécessité et ne sont donc pas libres.

On dit alors que l’un exclut l’autre. Nous considérons les déterminations diverses, en ces opinions, comme s’excluant réciproquement et ne formant rien de concret. Or, la vérité, c’est l’unité des antinomies ; nous devons dire que l’esprit en sa nécessité est libre, qu’il ne possède sa liberté qu’en elle, et que sa nécessité consiste en sa liberté.

Ainsi s’unifie le divers. Toutefois il n’est pas aisé de parvenir à cette unité, l’entendement ne le saurait ; cependant il faut faire effort pour y parvenir et la posséder. Il est toujours plus facile de dire que la nécessité exclut la liberté et vice versa que de tenir ferme le concret…

La diversité des philosophies pend aussitôt un autre sens ; car le divers n’apparaît plus, ainsi qu’on le comprend d’ordinaire, comme quelque chose de fixe, composé d’éléments indifférents les uns aux autres, quelque chose d’autonome, de multiple, etc., mais le divers doit être considéré comme en mouvement – mouvement qui rend fluides toutes les différences fixes et les réduit à des moments passagers.

Ainsi est anéanti et remis en sa place d’un coup tout le bavardage sur la diversité des philosophies, comme si le divers était quelque chose d’arrêté, de fixe, dont les éléments demeurent séparés…

Comme l’objet de la philosophie est la pensée pure, elle est une science et non un agrégat de connaissances, ordonné d’une certaine manière, mais un développement de la pensée en soi et pour soi nécessaire. Toutefois elle doit tenir compte de la nécessité qui fait se produire la pensée dans le temps. Car ce sont là des leçons d’histoire. Nous devons donc nous conformer à l’attitude historique, c’est-à-dire recueillir ces divers aspects comme ils se sont succédé et comme ils sont apparus, suivant cette forme de production, séparés les uns des autres, comme contingents ; mais nous devons faire remarquer aussi ce qu’il y a de nécessaire dans leur apparition.

C’est là le sens, la signification de l’histoire de la philosophie. La philosophie tire son origine de l’histoire de la philosophie et inversement. La philosophie et l’histoire de la philosophie sont l’image l’une de l’autre. Etudier cette histoire, c’est étudier la philosophie elle-même et notamment la logique...

Le premier phénomène de la pensée, c’est que le penser apparaît comme quelque chose de particulier, d’attaché à une personne particulière. Outre cela que nous pensons, qu’il y a des pensées, on trouve des perceptions sensibles, des instincts, des inclinations, des déterminations de la volonté, etc. Il y a encore d’autres facultés ou activités de l’âme qui possèdent les mêmes droits que la pensée. A cet égard la pensée est une chose particulière à côté d’autres choses particulières. Mais en philosophie il faut se représenter tout différemment le penser, la pensée. La pensée, c’est l’activité qui a pour objet le général…

La pensée ne revient qu’à l’homme, mais non seulement à l’homme comme individu isolé, comme sujet ; nous devons la comprendre essentiellement au sens objectif. La pensée, c’est le général ; déjà dans la nature, ses espèces et ses lois, nous constatons qu’il y a des pensées, mais non pas seulement sous la forme de la conscience, mais en soi et pour soi, et de même objectives. La raison universelle n’est point subjective. La pensée est ce qu’il y a de substantiel, de vrai par rapport à l’individuel qui est momentané, passager, éphémère…

Le deuxième phénomène dont il a déjà été question est le phénomène historique, à savoir que les déterminations de la pensée sont apparues à telle époque, en tel pays, chez tel individu en sorte que leur apparition a l’apparence d’une succession contingente ; on a dit déjà précédemment la façon dont ce phénomène se remet au point. Nous recueillons les pensées historiquement, comme elles se sont présentées chez les individus particuliers, etc., c’est une évolution dans le temps, mais conforme à la nécessité interne de la notion…

La succession des philosophies a un caractère de nécessité ; aucune philosophie ne peut précéder par suite le moment de son apparition. Au quinzième comme au seizième siècle, on est revenu aux anciennes philosophies, ce qui était nécessaire au cours de la civilisation chrétienne. Toutefois, quand des philosophies périmées ressuscitent, ce sont comme des momies d’une pensée ancienne… La progression de la philosophie est nécessaire. Toute philosophie a dû nécessairement apparaître à l’époque de son apparition ; toute philosophie est apparue au moment qu’il fallait ; aucune n’a dépassé son temps, toutes ont appréhendé par la pensée l’esprit de leur époque… Les philosophies ont rendu conscient ce qui en leur temps concernait la religion, l’Etat, etc. C’est pourquoi il n’est point sain de croire qu’une ancienne philosophie se répète…

Les différentes philosophies se sont non seulement contredites, mais aussi réfutées ; on peut donc poser la question : quelle est alors la signification de cette réfutation réciproque ? La réponse est donnée par ce qui vient d’être dit… en concevant l’activité de l’esprit comme une évolution… La réfutation se présente dans tout développement, comme quand l’arbre sort du germe. La fleur, par exemple, est la réfutation des feuilles ; elle paraît être l’existence suprême, véritable de l’arbre ; mais la fleur est réfutée par le fruit. Le fruit qui vient en dernier lieu renferme tout ce qui l’a précédé, toutes les forces qui se sont développées antérieurement. Il ne peut parvenir à se réaliser sans être précédé par les degrés antérieurs. Les degrés se séparent dans les existences naturelles ; car la nature, d’une manière générale, est la forme de la division. Cette succession, cette réfutation existe aussi dans l’esprit, mais les degrés précédents demeurent dans l’unité. La dernière, la plus récente philosophie doit donc contenir les principes des philosophies antérieures… Dans la mesure donc où les philosophies se montrent réfutées, il faudra également qu’elles se montrent conservées…

Voilà ce que signifie la réfutation des philosophes. La détermination, par exemple, de la philosophie atomistique, c’est que l’atome est l’absolu, l’indivisible, l’un… L’atome est l’être pour soi, tout abstrait, le simple… Dans ce sens, nous ne sommes plus des atomistes ; le principe atomistique a été réfuté. Le principe théorique est bien dans une unité mais il ne l’est plus en cette abstraction…

En ce qui concerne l’assertion que les philosophies ont été réfutées et sont périmées, nous dirons que la vérité s’est pourtant maintenue… Réfuter signifie donc seulement que la philosophie d’une époque est, il est vrai, le point de vue supérieur de la Raison évoluant dans sa disposition du moment, mais qu’aucune ne peut prétendre avoir atteint un point de vue suprême qu’aucune autre ne dépassera. L’exclusivisme d’une philosophie de ce genre n’a consisté qu’à se considérer comme le point de vue ultime, pour la fin dernière de la philosophie.

La progression – c’est ce qui s’appelle réfutation – signifie donc uniquement qu’une philosophie de ce genre a été ramenée à n’être qu’un degré de l’évolution, une division de la totalité.

La forme supérieure de la négation consiste à unir en une totalité les diverses philosophies en sorte qu’aucune ne demeure en son indépendance, mais que toutes paraissent être les parties d’une philosophie unique… L’histoire de la philosophie nous fera connaître des nœuds de ce genre où sont combinées ces particularités, ces philosophies. La philosophie de Platon offre un exemple d’un tel nœud. Prenons les dialogues de Platon, nous verrons que quelques uns parmi leurs caractères rappellent les Eléates, les autres les pythagoriciens, d’autres Héraclite et toutefois la philosophie de Platon, en combinant ces philosophies, en a transfiguré ainsi les insuffisances. Ce n’est pas une philosophie éclectique mais une pénétration, une union absolue, véritable de ces philosophies. Un autre nœud de ce genre est la philosophie alexandrine que l’on a dénommée aussi bien néo-platonicienne, néo-pythagoricienne, néo-péripatéticienne, elle a en effet combiné ces diverses philosophies opposées…

Il en est ainsi des principes stoïcien et épicurien. Le stoïcisme fait de la pensée un principe ; mais l’épicurien déclare vrai le principe directement opposé : le sentiment, le plaisir ; pour l’un donc c’est le général, pour l’autre le particulier, l’individuel ; pour le premier, c’est l’homme pensant, pour le second l’homme sensible. Leur réunion seule forme la totalité de la notion, l’homme d’ailleurs se composant de deux éléments, du général et du particulier, de la pensée et de la sensibilité. Leur union est la vérité ; mais elles se manifestent l’une après l’autre, en s’opposant. Le scepticisme est le principe négatif s’élevant contre les deux précédents ; il écarte le caractère exclusif de l’un et de l’autre ; mais où il se trompe, c’est quand il croit les avoir anéantis ; car tous deux sont nécessaires.

Ainsi l’essence de l’histoire de la philosophie, c’est que des principes exclusifs deviennent des moments, des éléments concrets et se conservent pour ainsi dire en un nœud…

Quelques définitions

Le relativisme cognitif épousant un point de vue selon lequel « la connaissance est le produit d’une construction qu’elle ne saurait pour cette raison être tenue pour objective, et un relativisme culturel affirmant que les normes et les valeurs sont propres à chaque « « culture » ou « sous-culture » et qu’elles ne peuvent par suite être considérées comme fondées objectivement ».

Le scepticisme (du grec skeptikos, « qui examine ») est au sens strict une doctrine selon laquelle la pensée humaine ne peut déterminer une vérité avec certitude. Il ne s’agit pas de rejeter la recherche, mais au contraire de ne jamais l’interrompre en prétendant être parvenu à une vérité absolue. Son principal objectif n’est pas de nous faire éviter l’erreur, mais de nous faire parvenir à la quiétude (ataraxia), loin des conflits de dogmes et de la douleur que l’on peut ressentir lorsqu’on découvre de l’incohérence dans ses certitudes. Le scepticisme affirme que l’homme ne peut trouver ni une réponse aux questions philosophiques, ni une certitude concernant les réponses aux questions philosophiques et énigmes de la nature et de l’univers, même si elles existent.

On nomma d’abord éclectiques les philosophes d’Alexandrie qui, pour se composer un système, avaient choisi dans chacune des sectes de philosophes grecs ce qui leur paraissait le plus sage. Potamon et Ammonius Saccas furent les premiers. Cette secte, qui s’attacha surtout à la conciliation de Platon et d’Aristote, donna bientôt naissance au nouveau platonisme, avec lequel on la confond ordinairement, et dont Plotin est le principal représentant. C’est le nom d’éclectisme qu’adopta l’école de Victor Cousin en France dans le domaine de l’histoire de la philosophie. Il s’agit de « faire sortir de l’étude des systèmes... un système qui soit à l’épreuve de la critique ». Chaque école de philosophie se trouve ainsi soit condamnée soit justifiée. Néanmoins, seule la méthode historique est éclectique. Victor Cousin présente sa philosophie comme un spiritualisme, parce qu’elle prend parti dans l’histoire pour les philosophies de la raison. Il distingue l’éclectisme du « syncrétisme aveugle » de l’école d’Alexandrie, lequel consisterait seulement à rapprocher des systèmes contraires.

Messages

  • Le leitmotiv de la bourgeoisie occidentale est devenu ensuite le « penses ce que tu veux », présenté comme le nec plus ultra de la liberté alors que cela signifie seulement : penses des bêtises, on s’en moquera du moment que tu ne chercheras pas une pensée qui soit dérangeante et dont tu te serves pour combattre la domination de la bourgeoisie.

    On a nommé souvent cette attitude liberté d’opinion.

    En France, on l’a nommé laïcité.

    Ce n’est nullement une manière de combattre la religion mais une façon de combattre tout engagement philosophique militant.

  • Nous sommes à une époque où chaque spécialiste se garde bien d’empiéter sur les secteurs d’étude voisins, sans parler de discourir sur d’autres sujets. Quelques passerelles sont, tout au plus, autorisées au nom de l’interdisciplinarité et elles permettent d’utiliser prudemment des concepts d’un domaine à un autre avec toujours le risque d’être accusé de vouloir bâtir des conceptions générales, accusation considérée aujourd’hui comme extrêmement grave et comme invalidante.

    Celui qui ne respecte pas ces règles ne peut pas pénétrer l’institution idéologique de notre époque, ne peut donc pas publier, être discuté et commenté, être connu ou reconnu. C’est en cela que le refus de tout système philosophique, devenu pensée dominante, est devenu lui-même un système et même l’un des plus contraignants et étouffant pour l’esprit.

  • La philosophie d’Hegel était tellement celle de la transformation révolutionnaire, un produit de la transformation révolutionnaire réelle de l’Europe de son époque, que cela dépassait même parfois ses propres capacités sur le plan social et politique, son conservatisme personnel, et qu’il a été, quasi immédiatement après sa mort, rejeté de la philosophie officielle allemande, la bourgeoisie allemande comptant plus sur l’action politique d’un Bismarck que sur la révolution sociale. En France, il n’avait pas encore eu le temps de percer et on peut dire qu’il n’a jamais été vraiment connu, le stalinisme n’ayant pas trop cherché à le faire lire, l’anarchisme s’en moquant et le courant trotskyste, curieusement contre l’avis de Trotsky, se gardant de trop se mêler de philosophie et même de toute pensée théorique…

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