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Stéphane Hessel et ses amis de la Françafrique au ministère de la coopération (1974-1976) : Pierre Abelin, Chirac, Giscard et l’empereur - dictateur Bokassa

jeudi 14 mars 2013, par Robert Paris

Stéphane Hessel et ses amis de la Françafrique au ministère de la coopération (1974-1976) : Pierre Abelin, Chirac, Giscard et l’empereur - dictateur Bokassa

Parmi les hommages rendus à Stéphane Hessel, canonisé depuis sa mort par la gauche gouvernementale, on trouve un éloge droite-gauche à Chatellerault, dont celui de Jean Pierre Abelin, fils de Pierre Abelin (1909-1977) :

Hier, à l’instar de nombreuses formations politiques, la section locale du Parti socialiste a tenu, par communiqué à rendre hommage à la mémoire de Stéphane Hessel « homme de gauche, à l’engagement infatigable, qui était et demeurera un repère pour nos valeurs socialistes. Résistant, déporté, diplomate, fonctionnaire international engagé dans la lutte anti-coloniale, défenseur des Droits de l’homme et des sans-papiers, militant au PS, il a été de tous les combats ».

Jean-Pierre Abelin, lui, convoqua ses souvenirs à l’heure de la disparition du premier des Indignés. « Je veux rendre un hommage particulier à Stéphane Hessel, nous a-t-il indiqué. Mais aussi me souvenir d’un point d’histoire : De juin 74 à janvier 76, Stéphane Hessel, fut le directeur de cabinet de Pierre Abelin, alors ministre de la Coopération. »

Giscard élu président en 1974 nomme Chirac premier ministre, et Pierre Abelin mnistre de la coopération, c’est-à-dire ministre de la Françafrique.

C’est l’apothéose des relations entre la France de Giscard et Bokassa. Un aspect du travail de S. Hessel pour Giscard d’Estaing est donc lié à Bokassa, dictateur de la République centrafricaine (RCA) de 1966 à 1979 qui se proclama empereur Bokassa 1er en décembre 1976.

Hessel ne fut pas indigné par ce qu’il faisait à l’époque au service d’Abelin-Chirac-Giscard et donc de Bokassa.

L’extrait suivant du livre de R-J Lique donne une idée des horreurs dont Hessel fut complice et qu’il couvrit jusqu’à sa mort en bon serviteur de la Françafrique

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Extrait de Bokassa 1er la grande mystification (Afrique contemporaine volume 16)

Giscard et son « cher parent »

1974. Valéry Giscard d’Estaing peut encore se délecter du parfum enivrant de ses nouvelles fonctions de président de la République française quand Bokassa s’offre le plus long séjour de sa carrière à l’étranger, du 15 septembre au 9 novembre en France et en Suisse. Deux mois hors de son pays, qui lui permettent toutefois d’être reçu à l’Elysée par Giscard, et d’inviter ce dernier en visite officielle en Centrafrique. Si Bokassa fut reçu à Paris avec tous les honneurs en 1969, aucun président français, ni de Gaulle ni Pompidou ne lui ont fait la joie de se rendre sur ses terres, Giscard, qui les connaît bien puisqu’il chasse en RCA depuis des années, accepte et dépêche, pour préparer cède visite, son ministre de la Coopération, Pierre Abelin. Ce dernier se rend à Bangui pour préparer le voyage de Giscard et en profite pour assister aux cérémonies de l’indépendance de la RCA, le 1er décembre 1974.

A Paris, quand il a rencontré Bokassa, Giscard lui a promis de se pencher sur le chemin de fer, et la France a décidé de s’engager à nouveau sur le projet d’exploitation de l’uranium de Bakouma.

Le jour de la fête de l’indépendance, en présence du représentant français, le ministre Abelin, Bokassa fait un discours grandiose, qui est consacré pour les trois quarts à la France. L’auditoire centrafricain a pu se demander si l’on était à Paris pour le 14 juillet ou à Bangui le 1er décembre. Après avoir dénoncé les sourires diplomatique des "faux-amis", Bokassa explique à ses compatriotes toute la profondeur des relations franco-centrafricaines : « Nous voulons une amitié sincère et loyale à l’exemple de celle qui nous lie à la France et au peuple français. (...) En effet, en plus de l’indépendance qu ’elle nous a octroyée dans la paix la plus totale sous l’impulsion du feu Général De Gaulle, la France, ce grand et beau pays, ce pays où le principe de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ne sont pas de vains mots, la France dis-je, continue comme hier sous le feu président Pompidou et encore plus aujourd’hui sous le président Valéry Giscard d’Estaing, ami personnel de la République centrafricaine, à nous dispenser une aide que nous sommes en droit de qualifier de généreuse et réaliste car celle-ci est pure de toute intention et de tout calcul. »

La rencontre avec Giscard à Paris a dû perturber Bokassa au plus haut point car, un peu plus tard, il laisse parler son cœur en ces tenues : « Pour rendre un solennel hommage à la France et à l’action personnelle de Mon­sieur le président Valéry Giscard d’Estaing, Grand Ami et Parent de la République centrafricaine, je me fais ici le porte-parole de mon peuple unanime en proclamant, ce jour, ce grand Français, Citoyen d’Honneur de la Répu­blique centrafricaine. »

Si le peuple était "unanime", ce n’était sans doute pas le cas dans l’armée. Deux jours après ce discours, le 3 décembre, soupçonné de complot, le général Lingoupou est arrêté, et Bokassa le fait exécuter le 27 décembre à Ngaragba. « Dans la discrétion à l’égard de l’étranger », dira-t-il à son procès. Rien ne devait donc s’opposer au mémorable voyage en Centrafrique de Giscard d’Estaing, en mars 1975, pour le sommet franco-africain et en visite officielle en RCA.

Ce sommet sera grandiose. Bokassa boit du petit lait. Il est enfin reconnu comme un chef d’Etat digne des grands de la classe, par Paris et par ses pairs africains qui daignent se déplacer chez lui.

Le premier sommet des chefs d’Etat africains franco­phone avait eu lieu à Paris en novembre 1973, sous la présidence de Georges Pompidou et il y fut surtout ques­tion de relancer une unité africaine, sous la coupe de Paris, alors que l’OCAM (Organisation commune Africaine cl Malgache, dont le siège du Secrétariat général était à Bangui), battait de l’aile. 1973, c’était aussi l’époque où les pays africains, comme la Mauritanie, Madagascar, le Cameroun, le Congo, le Dahomey, commençaient à de­mander la révision des accords de coopération avec Paris, qu’ils jugeaient désuets sur certains points. Pas la RCA.
En aucun cas, ce deuxième sommet de Bangui ne devait aborder les questions politiques : un unique mot d’ordre, en rester aux seules questions économiques et do coopération. Giscard ne venait-il pas de rétablir un Minis­tère de la Coopération à part entière pour bien marquer son intérêt pour l’Afrique ?

Arrive donc, ce 5 mars 1975 à Bangui, un Giscard d’Estaing, le premier des neuf chefs d’Etat attendus. Il vient en visite officielle en RCA. Sitôt son brillant discours d’arrivée proclamé (Salut l’Afrique, salut Africains et Africaines, etc), que va faire le Président français en attendant ses pairs ? Se plonger dans les réalités du pays, dans quelques dossiers ?

Arrivé le mercredi après-midi, il s’envole dès le jeudi matin pour N’Délé, dans la résidence de Bokassa, haut lieu de chasse pour ne revenir sur Bangui que le vendredi matin, quelques heures avant l’ouverture du Sommet, Bokassa confirmera ce fait : « en 1975, la conférence du Bangui s’est ouverte avec un jour de retard et Valéry Giscard d’Estaing en a profité pour chasser à N’Délé, à cinq cents kilomètres de la capitale. Pendant ce temps-là, les ministres Foùrcade et Abelin travaillaient. Les autres chefs d’Etat étaient aussi étonnés que moi de voir avec quelle facilité le président français s’affranchissait de ses tâches pour satisfaire sa passion... »

La passion de Giscard pour la chasse semble en effet bien irrésistible. Le Centrafrique est une mine d’or pour qui aime tuer les animaux sauvages. On y trouve tout ou presque : des éléphants quasiment partout, des rhinocéros, (dont les troupeaux furent décimés au début du siècle, mais reconstitués justement dans la réserve de N’délé), des hippopotames dans l’Oubangui, de très belles espèces d’antilopes, les cobs de Buffon, toutes sortes de gazelles, les phacochères, les girafes, toutes les espèces de singes y compris le gorille, les lions bien sûr, des panthères, la hyène tachetée, le chacal, des chats tigres, des lynx, une multitude de reptiles. Un catalogue qui n’est pas exhaustif. Et comme le rappelait Marchés Tropicaux, « le Maréchal Bokassa a été le premier bénéficiaire de la visite du président de la République française qu’il connaissait à vrai dire depuis longtemps pour ses exploits cynégétiques ; il lui a réservé un accueil enthousiaste et l’a comblé de marques d’honneur et de respect » Va pour le respect du chasseur. Dix ans après la chute de Bokassa, Giscard n’osera plus aller tirer le gibier en Centrafrique mais continuera discrètement ses exploits au Cameroun voisin.

Sur les histoires de chasse de Giscard, Bokassa fut intarissable.
« Tout a commencé dans les années 1971-72 quand il est venu en Centrafrique chasser sur le territoire de son ami Jean Laboureur », rappella Bokassa dans La Manipulation. Et plus loin : « j’ai, vous le savez, la même passion et je crois que, sur ce terrain, notre entente a été immédiate et totale ». Si totale que les années passant, Giscard dispose alors en Centrafrique, avec un français, Marc Pechenart, d’une gigantesque zone de chasse, bapti­sée le "triangle Rafaï, Zemio et Djéma", de quelque 2 000 000 d’hectares, dira Bokassa. « Les derniers temps, le président français avait parfaitement réglé tout ce qui concernait ses séjours en Centrafrique. Il me saluait à l’arrivée et au départ, mais ne restait que quelques heures à Bangui ou à Berengo. Tantôt, il rejoignait son territoire de chasse avec le Cesna de Marc Pechenart, tantôt avec un hélicoptère de la flotte aérienne basée à Ndjaména, au Tchad... », expliqua-t-il encore avant de poursuivre : « Valéry Giscard d’Estaing était maître absolu dans son territoire. Lui, ses parents, amis et invités tuaient autant de bêtes qu’ils le voulaient. En huit ans, je pense qu’il a personnellement inscrit au moins cinquante éléphants à son tableau de chasse. Comment le savoir avec exactitude, puisqu ’il était dispensé des impôts et taxes, déclarations et contrôles. ».

Giscard, en RCA, n’a donc pas vraiment le temps de voir ce qui s’y passe, il chasse. Au sommet de Bangui, il écoutera quand même les plaintes de Bokassa concernant l’enclavement dramatique de son pays, et trouvera le temps de lui promettre son chemin de fer : « La France, déclara-t-il, est bien consciente de l’impérieuse nécessité de cette entreprise (...). Elle est prête pour sa part contribuer à sa réalisation, à la fois sur le plan bilatéral et multilatéral (...) ; l’aide de la France à la RCA sera accrue... ». Bokassa, ivre de bonheur, lance alors à son peuple : « Nous sommes déjà désenclavés ».

Le sommet s’achève sur un communiqué final insipide, qui condamne le désordre économique mondial, réaffirme la nécessaire parité du Franc CFA avec le Franc français, et ambitionne de réformer la poussiéreuse coopé­ration franco-africaine. Question politique, question droits de l’homme. Rien. A voir qui entouraient Giscard à ce sommet, l’on comprend aisément l’absence de débats politiques : autour de la table, à côté du Général major Habyarimana du Rwanda, du général Sangoulé Lamizana de Haute-Vdta, du Lieutenant-colonel Seyni Kountche du Niger, le maréchal Bokassa ne dépareillait guère. Les militaires étaient en nombre, malgré la présence des civils Houphouët Boigny de Côte d’Ivoire et Léopold Sedar Senghor du Sénégal. La presse crut pouvoir déceler, à la fin de ce sommet, la naissance du nouveau style de coopéra­tion façon Giscard : une coopération "faite de chaleur, de dialogue, et de défense des intérêts du Tiers-monde..."

Bokassa est au fait de sa gloire : maréchal président à vie, couvert d’éloges, respecté. Mêmes les petites gens, comme le Maire de la Ville de Montmorency en France, lui font une cour démesurée. Là-bas, Bokassa y a élu résidence. Monsieur le maire a saisi l’occasion de ce sommet historique pour faire remettre à Bokassa la mé­daille Vermeil de sa ville, et l’en déclarer "citoyen d’hon­neur", à l’issue d’un discours irrésistible : « Permettez-moi de vous adressez mes plus vives félicitations, mes vœux les plus affectueux à l’occasion de votre 54ème anniver­saire. Mes compliments également à la République centrafricaine pour avoir choisi un Président aussi universellement estimé, aussi hautement qualifié pour assurer à tous les habitants de ce pays un avenir heureux dans la paix et la prospérité... » Beaucoup, à la chute de Bokassa, ont dû ravaler de tels discours. En attendant, Bokassa, lui, s’en délectait et les faisait relire des heures durant à la radio.

Au troisième sommet franco-africain, qui a eu lieu à Paris, en mai 1976, les questions politiques pointent le bout du nez, mais pas sur le plan intérieur. On redoute, Houphouet Boigny en tête, la poussée des Soviétiques en Afrique, depuis leur implantation en Angola. Giscard conclut par un étonnant « L’Afrique doit être laissée aux Africains ». Cette préoccupation sera encore à l’ordre du jour du quatrième sommet qui a lieu en avril 1977 à Dakar. Giscard insista : « tout Etat africain a droit à la sécurité à l’inté­rieur de ses frontières, quelles que soient ses options politiques ». Bokassa, absent du sommet, est alors empe­reur, et l’on ne voit donc toujours pas à Paris pourquoi "ses options politiques" poseraient problème. Au sommet de mai 1978 qui se tient à Paris, le 5ème du genre, Bokassa est là, bien présent, à tel point que Jeune Afrique écrira qu’il aurait pu faire partie de la délégation française, tant les points de vue étaient concordants. Il gêne quand même un peu son entourage en remerciant sans mesure tous ses pairs de l’aide qu’ils lui ont apportée pour son sacre. Paris n’a malgré tout pas dérogé aux règles du protocole : Bokassa 1er, arrive en quatrième position, derrière les présidents ivoiriens, sénégalais et gabonais. Giscard d’Estaing a, semble-t-il, déjà flairé le mauvais impact qu’ont pu avoir les cérémonies du sacre sur la population française, d’autant qu’au moment de ce sacre, la presse ne s’était pas privée de souligner toutes les cautions et garanties bancaires accor­dées par la France "officieuse", mais si proche de l’officielle. S’il y a de la gêne, il y a encore des rencontres, comme ce déjeuner de Bokassa à l’Elysée fin septembre 1978, où sont à la même table, l’empereur, Valéry Giscard d’Estaing, son ministre de la Coopération Robert Galley et le général Bigeard, président de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale française, qui connaît bien la RCA pour avoir commandé un temps les troupes françaises basées à Bouar. A sa sortie de l’Elysée, au bras de l’impératrice Catherine, Bokassa confirme que les relations entre les deux capitales sont toujours au beau fixe, en remerciant « du fond du cœur son très cher parent, le président Valéry Giscard d’Estaing, pour les entretiens très fructueux » qu’ils ont eus ensemble.

En janvier 1979, alors que les premières émeutes meurtrières éclatent à Bangui, c’est Henri Maïdou, Pre­mier ministre de l’Empire, qui, à l’invitation de son homo­logue français, Raymond Barre, fait le voyage à Paris. Mêmes éloges, mêmes discours. Le secrétaire d’Etat fran­çais aux Affaires étrangères, Olivier Stirn évoque "la coopération exemplaire" entre les deux pays. Pour le désenclavement du pays, la France promet de participer au développement du réseau routier et fluvial ainsi qu’à la modernisation de l’aéroport de Bangui. Maïdou repart aussi avec des projets de protection de l’agriculture, et la confirmation que la subvention française au projet interna­tional de financement de l’atelier-pilote d’uranium de Bakouma sera "très importante". Aucun chiffre ne per­mettant d’évaluer l’effort financier de la France n’a été rendu public, révèle l’Agence France-Presse. Mais il n’y a pas la moindre ombre au tableau des relations bilatérales.

Le soutien financier de la France

Comment la France aide-t-elle donc l’Empire en ce début d’année 1979, avant que le régime ne devienne "brutal et méprisant’ ?

La Mission de coopération française en a dressé un bilan, à la fin de l’exercice 1978. Le long catalogue des prêts de la Caisse centrale de coopération économique
française (CCCE) laisse voir que c’est sous la période de de Gaulle que la RCA en a le plus bénéficié, atteignant 725 millions de F.CFA pour l’année 1969. Au total, de 1960 à fin 1978, la RCA avait bénéficié pour un peu plus de 5,05 milliards de F.CFA de prêts de la Caisse centrale. C’est peu, mais ce n’est évidemment pas l’essentiel de l’assis­tance financière qui passe par ce canal. Quant aux coopérants affectés en RCA, ils étaient officiellement 399 en 1960, ont atteint un maximum de 598 en 1968 (Etait-ce pour remer­cier Bokassa d’avoir voulu se lancer avec ses parachutistes à l’assaut de Paris afin de sauver le général de Gaulle pendant la révolte estudiantine du mois de mai ?), et sont tombés à 369 en 1979. Si réduction il y a eu, on était loin d’un désengagement sensible.

Le chapitre "subvention" du rapport de la Mission de coopération se révèle par contre beaucoup plus significatif sur ce qu’il faut entendre par "coopération exemplaire". Pour l’année 1978, l’Empire a reçu quelque 5,1 milliards de F.CFA de subventions, dont 2.950 millions au titre de l’assistance technique, 1 milliard d’aide budgétaire di­recte, 180 millions d’aide militaire, et 440 millions de subventions d’équipement. Pour un budget centrafricain qui avoisinait les 20 milliards de FCFA, l’aide française équivalait à peu près à sa moitié. A ces subventions, s’ajoutaient les "avances du Trésor français" au Trésor public centrafricain, avances qui, la plupart du temps, étaient passées aux pertes et profits. Le rapport de la Mission de coopération précise : « Ces avances permettent le plus souvent le paiement des arriérés envers la compa­gnie Air Afrique ou envers la COFACE (Compagnie française d’assurances pour le Commerce extérieur, orga­nisme qui "couvre" les investissements outre-mer). De 1972 à 1978, ces avances ont représenté 1395 millions de
Francs CFA, mais une partie de ces montants a pu être annulée par des conventions d’assistance financière. En 1978, une avance de 400 millions de Francs CFA a été consentie pour permettre l’apurement de certaines dettes envers Air Afrique ».

On apprend aussi que, pour 1978, la COFACE a généreusement "couvert" et apporté sa garantie à des commandes publiques centrafricaines aux fournisseurs privés français, pour un montant de quelque 8.550 mil­lions de F.CFA. A ces aides diverses s’ajoutaient celles de la coopération indirecte, qui passe par des organismes comme l’Institut Pasteur, l’ORSTOM (Office de la recher­che scientifique et technique outre-mer ), de plus de quatre cents millions de F.CFA en 1978. L’aide budgétaire di­recte, sur huit ans, de 1970 à 1978, a atteint 11.150 millions de F.CFA. A cette aide publique, s’ajoutent aussi toutes les participations du secteur privé ou parapublic français, comme les engagements du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA).

La France n’aura cessé ses perfusions financières à la RCA de Bokassa qu’à partir du 23 mai 1979, jour où il est mis fin à la coopération militaire, puis du 17 août de la même année, quand Paris décide d’interrompre « toute aide, à l’exception de l’aide humanitaire et alimentaire ». Peut-on s’enorgueillir d’avoir été, comme en 1977, en plein délire impérial le premier partenaire de l’empereur, avec 5,7 milliards de F.CFA d’aide publique bilatérale, (56,2 % du total reçu par la RCA), 2.350 millions d’aide multilatérale (23,6 % du total des prêts accordés au Centrafrique), et une aide budgétaire directe de quelque 2 milliards de F.CFA par an en moyenne depuis 1975 ?

En cette même année 1977, sitôt l’empire créé, le Premier ministre Ange Patasse se montra inquiet, sentant
bien que cette nouvelle donne pouvait poser problème aux partenaires traditionnels du Centrafrique. Il fut vite rassuré par la voix d’une certaine Madame Chassagne, Directrice au développement du ministère de la Coopération : « La France continuera l’action de coopération entreprise pour le développement de l’Empire centrafricain ».

A la chute du régime, la France de Giscard fut malme­née comme jamais dans l’opinion internationale. Peu glorieuse, la politique africaine de l’Elysée attirait com­passion, tristesse ou dégoût. De Bruxelles à Genève, en passant par Paris ou New-York, ce ne fut que sarcasmes dans les colonnes de la presse.
« La situation de la France paraît bien délicate. C’est la France qui a déboulonné Bokassa, mais c ’est elle aussi qui l’avait soutenu, même à un moment où il était bien évident que l’empereur était un tyran particulièrement cruel », rappelait cruellement à l’époque le journal La Libre Belgique, alors que la Tribune de Lausanne répon­dait comme en écho qu’il « était grand temps d’agir ». On s’interrogeait aussi, comme dans Le Matin de Genève, sur les subtilités de Giscard : « La diplomatie giscardienne, le sait-on, ne brille guère par ses vertus morales. Au nom d’un réalisme dont on discerne mal les finalités, elle multiplie les bavures sans pourtant s’en émouvoir. Com­plaisance envers Macias Nguema, envers Somoza, envers le régime cambodgien pro-vietnatnien, de peur de déplaire à Moscou et à Hanoï ; voilà un tableau de chasse peu reluisant »

Au Maroc, le journal El Bayane se fait le porte-parole des tiers-mondistes, refusant toute excuse à la compromis­sion : « Bokassa quant à lui n’était que le valet de la France, du début jusqu’à la fin. Une certaine France, certes... Celle de l’impérialisme et du néocolonialisme
qui considérait le pays de Jean-Bedel comme "le porte-avion " stratégique de l’Afrique et qu’il fallait donc con­trôler absolument ».

Après avoir soutenu pendant des années un régime indéfendable, refusant de garder le colis encombrant qu’était devenu Bokassa pour le faire juger sur le territoire français, Giscard aggrava le tollé général en faisant débarquer le successeur de l’empereur des soutes d’un avion militaire français. En France, mais aussi et surtout en Afrique, on supporta mal ce "droit d’ingérence" fort déplacé de la part de celui qui déclarait il y a peu qu’il fallait « laisser l’Afrique aux africains ».

« Après le Centrafrique, vers quel Etat Valéry Giscard d’Estaing va-t-il diriger ses avions ? On ne poursuit pas une telle politique sans avoir des intentions bien arrêtées. Les Français aimeraient les connaître », ironisait le Matin de Paris. « Quel que soit le fond du problème, écrivait pour sa part, le quotidien algérien El Moujahid, quelle que soit la satisfaction que l’on éprouve à apprendre la chute d’un tyran sanglant, il reste que l’on se demande de quel droit un pays, quel qu’il soit, peut se permettre de faire "valser" les gouvernements d’un autre Etat théoriquement indé­pendant, par une grossière ingérence dans ses affaires intérieures »

Le résultat fut sans appel pour Valéry Giscard d’Estaing : discrédité à l’extérieur, allait alors commencer pour le président français un long, très long calvaire, avec le scandale des diamants. Le dossier des diamants n’est pas l’objet de ce livre, et à y regarder de près, les cadeaux de Bokassa peuvent n’apparaître que comme un épiphénomène dans les relations franco-centrafricaines. Ils coûtèrent pour­tant très probablement le second mandat présidentiel qu’avait convoité Giscard d’Estaing. Non pas tant en
raison de l’importance et de la valeur des diamants offerts par Bokassa à Giscard et à ses frères, que par la maladresse avec laquelle le président français tenta de se blanchir aux yeux de son opinion publique.

Lancée par le Canard Enchaîné au début du mois d’octobre 1979, quelques jours seulement après le renversement de Bokassa, l’affaire des diamants a sans doute davantage passionné les Français que les cas de torture en Centrafrique. Plus de dix ans après, le dossier n’était pas clos et faisait encore l’objet de polémique entre Giscard d’Estaing et quelques uns des principaux protago­nistes, dont certains ont payé jusqu’à l’emprisonnement, comme l’ami de Bokassa, Roger Delpey. Delpey, le "pri­sonnier de Giscard", passa plus de six mois en prison en 1980. On l’accusa de collusion avec une puissance étran­gère, en l’occurrence la Libye. Delpey était avant tout l’homme qui en savait trop et que l’on pensait être à l’origine du scandale des diamants. Dans son livre La Manipulation, Delpey martèle avec force les questions qui ont laminé Giscard d’Estaing : combien a-t-il reçu de diamants, pour quelle valeur et à quel titre ? Où sont passés les archives de Bérengo, la résidence de Bokassa, "démé­nagées" par les services secrets français au moment du retour au pouvoir de Dacko en 1979 ? Delpey qui, en fait, n’était pas le premier informateur du Canard Enchaîné, sortit finalement de prison avec un non-lieu sous le bras, le dossier étant perdu d’avance pour le président français.
Giscard pourtant ne fut pas le seul à recevoir des cadeaux Made in Centrafrique. L’ambassadeur de Schonen évoquait ceux offerts à Madame Pompidou en 1970. A l’époque Bokassa retombait dans les bras de la France, et avait invité le ministre Bourges et Jacques Foccart aux cérémonies de l’indépendance. L’ambassadeur écrivit qu’il
fit remettre à ses hôtes,« à l’intention de Madame Pompidou des bijoux faits d’or et de diamants provenant de Centrafrique ». Giscard paya pour avoir nié sans finesse l’évidence de ses amitiés appuyées avec un régime tor­tueux. Si Bokassa s’imposa à de Gaulle et à Pompidou, rien n’obligeait leur successeur à se jeter gaiement dans les bras d’un partenaire dont la conduite ne faisait qu’empirer. L’uranium de Bakouma paraissait-il si stratégique pour le bien-être des Français ? L’histoire n’a guère voulu suivre cette logique-là.

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