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Privé/public : quelle politique pour les révolutionnaires ?

vendredi 15 juin 2012, par Robert Paris

Privé/public : quelle politique pour les révolutionnaires ?

Actuellement, la classe capitaliste mondiale est en voie de casser l’ensemble des services publics qu’elle avait elle-même construit dans le monde entier, avec certes des différences importantes mais une très grande communauté de buts. Que ce soient des gouvernements de gauche ou de droite, que ce soient dans des pays riches ou dans des pays pauvres, les transports, l’énergie, l’éducation, la santé et bien d’autres services publics sont en train d’être détruits pour être livrés au privé dans leur partie rentable et misérabilisée dans leur partie non rentable.

Certes cela représente un recul dans le niveau de vie des peuples et c’est donc l’un des problèmes que les révolutionnaires doivent mettre en avant dans leur propagande afin de combattre les politiques des classes dirigeantes. Cela ne signifie pas que nous cultivions des illusions sur ce qu’étaient les services réalisés par l’Etat bourgeois, que nous présentions la mise en place de ces administrations de l’Etat bourgeois comme « une conquête » ouvrière ou populaire. C’est bien entendu ce que font les réformistes, staliniens, social-démocrates, syndicalistes, nationalistes et autres. Cela consiste à faire croire que l’Etat ne serait pas bourgeois mais au service du public et détourné seulement de ce rôle collectif par les dirigeants politiques anti-public, c’est-à-dire de droite. Les dirigeants de gauche ont, au moins autant que la droite, participé, ces dernières années, à la casse des services publics. Ni la droite ni la gauche ne l’a fait en réalité pour des raisons de doctrine politique mais du fait des nécessités des classes dirigeantes face à la crise du système. Le grand capital est affamé de secteurs rentables. Le secteur public offre dans nombre de ses segments des domaines rentables non encore conquis par les intérêts privés. Or la crise du capitalisme provient justement d’une trop grande quantité de capitaux privés par rapport aux secteurs privés susceptibles d’être achetés ou de nouveaux investissements suffisamment rentables.
Telle est la source des ventes massives de secteurs publics.

Cette vente n’est pas le seul mode d’action de la privatisation du public. Le privé s’instille progressivement dans les secteurs qu’il n’est pas rentable de privatiser directement ou qu’il n’est pas d’une politique astucieuse de le faire. Ainsi, on serait bien en difficulté si on voulait distinguer dans le capital de la SNCF le capital qui est privé de celui qui ne l’est pas. Cette séparation ne correspond déjà plus à une réalité alors qu’officiellement aucun secteur de la SNCF n’a encore été privatisé.

On pourrait se dire qu’il suffirait de demander aux sociétés privées de respecter un contrat avec le public. Ce serait oublier que la privatisation suppose de nombreuses nuisances et d’abord la séparation en petites unités concurrentes d’un service qui était unifié, qu’il s’agisse du service de santé, d’éducation, d’énergie ou de transport. On a vu en Angleterre les conséquences pour la sécurité des passagers et des personnels.

La subdivision a commencé dans tous les services publics et le mélange public/privé a commencé aussi, mais la privatisation serait un coup dur pour les personnels comme pour le public.

Cela ne justifie que l’on agisse et qu’on fasse comme si le public était autre chose que l’Etat bourgeois, de longue date au service du capital privé. Il y a belle lurette que le service public est acheteur, à prix d’or, des produits du capital privé : matériel ferroviaire ou médicaments. Les sociétés privées ont depuis longtemps profité des achats d’Etat et cet acheteur ne s’est pas servi de sa puissance pour imposer ses prix au privé.
L’autre soi-disant avancée sociale du public concerne les personnels qui étaient autrefois des fonctionnaires. Une majorité ne l’est plus aujourd’hui. La division entre fonctionnaires et non-fonctionnaires a accru la division des personnels au sein du secteur public, une division qui autrefois ne concernait que l’opposition privé/public. La bourgeoisie aura bien fait ses choux gras de cette division, disant aux uns qu’ils étaient moins bien payés et aux autres qu’ils n’avaient pas la garantie de l’emploi, permettant que même de larges mobilisations comme 1995 concernent, à quelques mois de distance, séparément le privé puis le public.

Et les organisations syndicales et politiques sont loin d’avoir armé les travailleurs contre ces divisions, bien au contraire, elles ont fait leur beurre de les cultiver.

Elles ont laissé l’Etat prétendre que les fonctionnaires étaient des privilégiés et poussé les deux secteurs à agir séparément. On a laissé les démagogues affirmer qu’on payait tous parce qu’il y avait trop de fonctionnaires et qu’ils avaient des avantages. Les centrales syndicales se sont gardé de répondre en publiant les bulletins de paie des petits fonctionnaires, éboueurs, postiers, aides soignantes, instituteurs, etc… Ils n’ont pas combattu la propagande des classes dirigeantes et ils ont encore moins cherché à organiser ensemble différents secteurs dans les luttes et dans les syndicats. Au contraire, ils ont cultivé tous les corporatismes. Ils ont conseillé à chaque secteur de la classe ouvrière de se défendre seuls et ils continuent à le faire. Aux cheminots de défendre le chemin de fer. Aux hospitaliers de défendre l’hôpital. Et aux enseignants de défendre l’école. Et encore, chacun dans son secteur, son site, sa profession et sa catégorie…

Aujourd’hui, alors que le secteur public est menacé par la dette des Etats et la privatisation, on continue à faire croire que c’est une lutte séparée de celle des travailleurs du public. Loin de souligner que les situations des deux secteurs ont considérablement convergé du fait de la crise, on laisse les classes dirigeantes continuer à les opposer dans la conscience et l’organisation des travailleurs. Les suppressions d’emplois touchent déjà les salariés du public. La précarité aussi. Les attaques sur les salaires sont générales. Pourtant, il n’est toujours pas question de la part des organisations qui se réclament des salariés d’unir la classe ouvrière. Pas plus qu’on ne veut unir les salariés aux chômeurs, les salariés ayant des papiers aux sans papiers, les salariés en CDD et ceux en CDI, les grandes et les petites entreprises, etc…

« Tous ensemble » a été le slogan de 1995 mais c’était déjà un mensonge puisque la division privé/public était la plus importante de ce mouvement et en a marqué la limite, une frontière que les centrales syndicales n’avaient nullement l’intention de franchir et qu’elles n’ont pas davantage choisi de rompre aujourd’hui malgré les graves menaces sur les revenus et les emplois.

Dans ces conditions, il ne suffit même pas que tous ces salariés soient dans la rue pour une même revendication comme les retraites, il faut qu’ils soient organisés ensemble dans les mêmes comités. C’était tout le mérite des soviets d’unir des travailleurs de toutes origines et cela a eu une importance politique considérable. Car il ne faut pas oublier : les comités de salariés qui sont nécessaires, dans le public comme dans le privé, ne le sont pas seulement pour une grève, pour un mouvement, pour une manifestation mais pour donner à la classe ouvrière la pleine conscience de ses intérêts de classe. C’est le problème politique le plus important face aux politiques des classes dirigeantes. Le meilleur moyen de combattre les divisions, c’est que chaque comité unisse des secteurs privés et publics comme pouvaient le faire des AG interpro. Il nous faudra demain des collectifs, des coordinations, des comités, des conseils, des formes multiples d’organisation unissant les secteurs, les sites, les professions et unissant d’abord et avant tout public et privé. Pour cela, il importe de cesser d’isoler les revendications du privé et du public. Ce n’est pas seulement les salariés du secteur public qui doivent défendre le service public. Et ils n’ont pas besoin pour le défendre de faire croire que l’Etat bourgeois est au service de tous. Au contraire, ils doivent clairement montrer que l’Etat patron est un patron comme les autres, à combattre avec tous les autres, que la police, que l’armée, que la justice sont des instruments de l’Etat de classe et pas des « services publics » comme les autres. Il faut cesser de faire croire qu’il y aurait « un service public de la sécurité » comme on avait fait croire qu’il y avait un « service public bancaire ».

Défendre la santé collective, les transports collectifs, l’éducation collective, ce n’est pas défendre l’Etat bourgeois ni la société bourgeoise qui n’est pas « nôtre » société.

La SNCF n’a jamais été non plus « nôtre » SNCF ni l’APHP (direction des hôpitaux parisiens) « nôtre » APHP car l’Etat n’est pas au service de tous mais des classes dirigeantes.

Les réformistes s’y entendent à prétendre que l’Etat bourgeois serait une conquête de 1936, 1945 et 1968, mais pour nous l’Etat impérialiste français n’a rien d’une conquête des travailleurs. Si on vit mieux en France qu’au Mali, ce n’est pas à cause de prétendues conquêtes sociales, mais de la conquête, coloniale et néo-coloniale, de l’impérialisme français qui lui permet un peu de mieux vivre dans les métropoles afin d’y établir un peu de paix sociale et un marché en période de prospérité. Mais justement cette période est finie et ces mensonges démagogiques, loin d’aider les luttes, les entravent.

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