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Le cerveau est-il un système critique auto-organisé ?

jeudi 24 mai 2012, par Robert Paris, Tiekoura Levi Hamed

Le cerveau humain

D’où vient que le cerveau humain nous rend intelligents ?

Les équilibres ponctués de l’évolution des espèces, un paradigme des équilibres instables de la criticalité auto-organisée. Ici l’évolution de la taille du cheval...

Bernard Sapoval dans "Universalité et fractales" :

"Les phénomènes qu’il s’agit de caractériser comme criticalité auto-organisée sont tous des phénomènes qui se produisent dans des systèmes en déséquilibre dynamique, c’est-à-dire en présence d’échange avec l’extérieur. par exemple, la percolation d’invasion (...) Il suffit du déplacement d’une particule pour que la géométrie subisse une variation importante. L’apparition de ces instabilités a constitué une surprise pour nous. par exemple, un contact électrique, constitué d’une soudure diffuse, peut présenter des fluctuations liées au mouvement de quelques atomes seulement qui, en connectant ou déconnectant un grand amas, peuvent modifier les propriétés des contacts de façon sensible. Un tas de sable peut être en équilibre (précaire) si on n’ajoute pas de sable. Par contre, si on ajoute du sable, même très lentement, le tas devient instable. Il présente des fluctuations de toutes tailles, des "avalanches". le flux est dans ce cas un flux d’énergie apporté par le sable ajouté par en haut du tas. (...) L’auto-organisation est l’apparition spontanée d’une forme ou d’une structure qui ne résulte pas d’un programme codé comme un algorithme. (...) Jusqu’au début des années 80, on considérait que les phénomènes dits critiques étaient des phénomènes qui apparaissaient dans des circonstances exceptionnelles contrôlées par un paramètre extérieur. par exemple, les phénomènes critiques autour des transitions de phase ne sont observables que si la température est proche de la température critique : pour faire bouillir de l’eau, il faut la porter exactement à 100 degrés. Un autre exemple de phénomène critique est la percolation où il existe un paramètre, la concentration, dont la valeur nous indique si le système est près ou loin de la situation critique. Ce sont des situations dites "à l’équilibre", dans lesquelles même si des fluctuations existent le système garde au cours du temps des propriétés moyennes constantes. Qu’en est-il des systèmes très loin de l’équilibre, c’est-à-dire ceux qui sont placés dans des circonstances qui maintiennent l’existence d’un flux global d’échange avec l’extérieur ? Il n’y a guère plus d’une dizaine d’années qu’on été découverts des phénomènes qui possèdent spontanément certaines caractéristiques des phénomènes critiques sans qu’apparemment il y ait besoin d’ajuster les conditions extérieures. C’est pour cette raison qu’ils ont été appelés phénomènes critiques auto-organisés. Cette généralisation et ce vocable ont été proposés par Per Bak et ses collaborateurs en 1987, mais certains cas particuliers étaient connus depuis quelques années. Le premier de ces phénomènes est la percolation d’invasion, qui cherche à représenter la pénétration de fluides dans des milieux poreux. le second phénomène de ce type est la géométrie des soudures. Cette géométrie est aussi celle que vous obtiendriez en lançant une poignée de confettis et en étudiant la figure formée par les confettis tombés sur le sol. (...) L’exemple princeps de criticalité auto-organisée développée par Bak et ses collaborateurs est la physique du tas de sable.

Qu’est-ce que l’équilibre et le non-équilibre ?

Qu’est-ce que la théorie des équilibres ponctués de Gould ?

Un système va-t-il "naturellement" vers l’équilibre ?

Qu’est-ce que la criticalité auto-organisée ?

Comment fonctionne le neurone

Comment fonctionne le cerveau humain

Notre cerveau prospère au bord du chaos

Criticalité et systèmes dissipatifs

Le cerveau est-il un système critique auto-organisé ?

d’après l’ouvrage de Per Bak intitulé « Quand la nature s’organise »

La « criticalité auto-organisée » est un regard nouveau porté sur la nature. Celle-ci est en permanence hors d’équilibre, mais organisée dans un état suspendu – l’état critique – où tout peut arriver selon des lois statistiques bien définies. Le but de la science de la criticalité auto-organisée est d’éclairer la question fondamentale suivante : pourquoi la nature est-elle complexe et non simple, comme les lois de la physique pourraient le laisser supposer ? Comment l’univers a-t-il pu commencer avec un si faible nombre de types de particules élémentaires à l’époque du big bang et déboucher sur la vie, l’histoire, l’économie et la littérature ? La thèse présentée est que l’existence de ces comportements complexes dans la nature reflète la tendance des grands systèmes comportant un grand nombre de composants à évoluer vers un état intermédiaire « critique », loin de l’équilibre, et pour lequel des perturbations mineures peuvent déclencher des événements de toutes tailles, appelés « avalanches ». En fait, la plupart des changements se produisent au cours de ces événements catastrophiques plutôt qu’en suivant un chemin graduel et régulier. Cet état extrêmement délicat évolue sans intervention d’agent extérieur et n’est déterminé que par les interactions dynamiques entre les constituants du système : on dit alors que l’état critique est « auto-organisé ».

Il était plus ou moins tacitement admis autrefois que les grands systèmes, tels que ceux que l’on rencontre en biologie ou en économie, étaient en équilibre stable, tout comme les grains de sable d’une plage plane. Dans cet état d’équilibre, de petites perturbations ou des chocs ne peuvent provoquer que des altérations mineures, ne modifiant que très légèrement l’état d’équilibre du système. La réponse du système est proportionnelle à la taille de l’impact : les systèmes en équilibre sont dits « linéaires ». La contingence n’y a pas de place et des événements mineurs ne peuvent jamais avoir de conséquences dramatiques. Aucune théorie de l’équilibre général n’a jamais été explicitement formulée en biologie, mais l’image qui prévaut est aussi fréquemment celle d’une nature « en équilibre ». La nature est vue comme quelque chose qui peut, en principe, se conserver et cette idée inspire les écologistes et les partisans de la conservation de l’environnement. Comme l’ont fait remarquer Gould et Eldridge, un équilibre apparent n’est qu’un moment de tranquillité, une stase, entre deux poussées intermittentes d’activité et de changement pendant lesquelles de nombreuses espèces s’éteignent alors que d’autres émergent. Ce phénomène est baptisé équilibre ponctué. Le concept d’équilibre ponctué semble être au cœur de la dynamique des systèmes complexes, car on ne rencontre jamais de poussées importantes et intermittentes dans les systèmes en équilibre alors qu’elles sont très fréquentes en histoire, en biologie et en économie.

L’idée des équilibres ponctués consiste à considérer l’évolution comme s’effectuant par de brusques sursauts à la place du cheminement lent et régulier suggéré par Darwin. De longues périodes de stase, ne comportant que peu d’activité en termes d’extinction ou d’émergences d’espèces nouvelles, sont interrompues par des sursauts intermittents d’activité dont les plus spectaculaires ont été d’une part l’explosion du cambrien il y a cinq cent millions d’années, qui a vu la prolifération de nouvelles espèces, familles et phyla, et d’autre part la disparition des dinosaures il y a environ soixante millions d’années. Si l’on s’intéresse à une espèce en particulier, on constate que son évolution suit un schéma identique : pendant de longs intervalles de temps, ses propriétés physiques, comme par exemple la taille du cheval ou la longueur de la trompe de l’éléphant, n’évoluent pas beaucoup ; ces périodes de calme sont cependant interrompues par des périodes beaucoup plus courtes, ou ponctuations, au cours desquelles les caractéristiques se modifient dramatiquement. Tout cela s’oppose à la vision de Darwin qui croyait profondément en un cours régulier de l’évolution.

Le cerveau humain étant capable de former des images du monde complexe qui nous entoure, il semblerait naturel de penser qu’il doit être un objet complexe. Pourtant, ce n’est pas indispensable, car nous avons vu en effet que des comportements complexes peuvent surgir de modèles ayant une architecture simple, par le biais de processus d’auto-organisation. Peut-être le cerveau est-il aussi un organe relativement simple.

Notre cerveau, à partir d’un état initial peu structuré, encode l’information sur l’environnement qui nous entoure par un processus au cours duquel il s’auto-organise dans un état critique. On peut voir une « pensée » comme étant une ponctuation, c’est-à-dire une petite ou une grande avalanche déclenchée par quelque entrée mineure consistant en une observation ou une autre pensée.

Le cerveau contient des milliers de milliards de neurones. Chaque neurone peut être connecté à un millier d’autres neurones. Les mécanismes d’activation des neurones individuels sont bien compris, mais comment des milliards de neurones peuvent-ils fonctionner ensemble pour former le processus émergent que nous appelons pensée ?

La quantité d’informations contenues dans l’ADN est suffisante pour déterminer les règles générales des connections neurales, mais largement insuffisante pour spécifier la totalité du câblage neural. Cela implique que la structure soit auto-organisée plutôt que conçue. La fonction du cerveau est créée en premier lieu par les problèmes que celui-ci se voit chargé de résoudre.

Ainsi, pour comprendre comment le cerveau fonctionne, il est important de comprendre le processus d’auto-organisation. Il ne suffit pas de prendre le cerveau à un moment donné et de cartographier toutes ses connections existantes. Pratiquement toutes les modélisations du fonctionnement cérébral, fondées sur l’étude des modèles de réseaux de neurones, ont ignoré les aspects d’auto-organisation du processus et se sont focalisées sur la conception d’un modèle de cerveau en fonctionnement, en mettant au point les connexions d’entrées et de sorties.

On peut avancer deux types d’arguments pour défendre la thèse de la criticalité du cerveau. Tout d’abord, considérez un cerveau exposé à un signal externe quelconque, ce dernier représentant par exemple une image visuelle. Le signal en entrée doit pouvoir accéder à tout ce qui est stocké dans le cerveau. Le message ne peut accéder seulement à une petite partie de ce qui y est accumulé. Il ne peut non plus interagir sur l’ensemble de ce qui est stocké en provoquant un processus arborescent qui serait explosif. Le cerveau ne peut donc ni être dans un état inférieur au niveau critique ni dans un état super-critique.

Mais on peut voir aussi cela sous un autre angle. Considérez un neurone situé quelque part dans le cerveau et un neurone de sortie situé à une distance donnée du premier. En modifiant les propriétés de ce premier neurone, par exemple en augmentant ou en diminuant la force de sa connexion avec un neurone voisin, on doit pouvoir affecter les neurones de sortie du cerveau ; sans cela, ce neurone n’aurait aucune fonction significative. Si le cerveau se trouve dans un état figé sous-critique, cette modification n’aura qu’un impact local. Si le cerveau est dans un état désordonné chaotique avec des neurones en activité partout, il est impossible de communiquer avec le neurone de sortie et d’affecter correctement son signal au milieu du bruit ambiant.

Donc, le cerveau doit fonctionner à l’état critique dans lequel les informations peuvent tout juste se propager. Dans cet état, le système possède une très grande sensibilité aux petits chocs : un unique grain de sable peut provoquer une très grande avalanche.

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