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Raymond Lefebvre de Victor Serge

dimanche 26 février 2012, par Robert Paris

Raymond Lefebvre

de Victor Serge

Une nouvelle désolante nous parvient : Raymond Lefebvre a péri.

Il nous avait quittés vers le 15 septembre, vaillant, plein d’enthousiasme, d’impressions neuves et de projets, ne pensant qu’à l’action prochaine. Son voyage de retour comportait des risques qu’il acceptait avec bonne humeur. Il allait rentrer de Russie éprouvé, affermi par deux mois de contact avec les réalités puissantes de la révolution.

Raymond Lefebvre appartenait à la jeune génération des écrivains de la guerre ; toute une élite d’intellectuels révolutionnaires est sortie des tranchées, comprenant quelles nécessités intérieures avaient conduit la vieille société au Grand Crime et bien résolue à chercher des voies nouvelles. Dès 1917 Raymond Lefebvre, après un long séjour au front dont il revenait malade et blessé, écœuré et révolté, publiait un roman, Le sacrifice d’Abraham, et se classait dans le groupe de ces écrivains qui, avec Henri Barbusse, Duhamel1, Martinet, Noël Garnier, Henry-Jacques2, — et bien d’autres — devaient tirer la pensée française des ornières boueuses de la guerre et l’orienter, plus ou moins consciemment, vers la révolution.

Au fur et a mesure que parvenaient sur la révolution russe des informations exactes et que les masses ouvrières se pénétraient pour elle d’un plus profond enthousiasme, la jeune avant-garde socialiste à laquelle appartenait Raymond Lefebvre devenait plus nettement, plus consciemment communiste.

Pour ne pas perdre contact avec les éléments des masses les plus éprouvés par la guerre, ce groupe participait à la fondation de l’Association Républicaine des Anciens Combattants, destinée dans l’esprit de quelques arrivistes en mal de députation à leur servir de tremplin politique, mais où Raymond Lefebvre et son ami Paul Vaillant-Couturier surent accomplir une large, incessante propagande révolutionnaire, pour la Russie des Soviets d’abord, pour la formation en France d’un Parti Communiste ensuite. Raymond Lefebvre parcourut la France entière afin de parler aux soldats d’hier de la révolution nécessaire et du devoir de s’y préparer.

Ce fut son idée dominante. Nous la retrouvons dans une brochure qu’il avait publiée quelque temps avant de se rendre en Russie, sous ce titre : La Révolution ou la Mort. Ce fut aussi le thème de ses meilleurs articles publiés par l’Humanité. Pour fonder enfin la paix, — pour sauver la race française, disait-il, la révolution est nécessaire ; en dehors d’elle, point de salut. Et pour la révolution l’organisation s’impose, forte, cohérente, internationale. Cette nette intelligence de la situation révolutionnaire actuelle avait amené Raymond Lefebvre au Comité de la 3e Internationale et en avait fait au congrès de Strasbourg le défenseur le plus ardent de l’adhésion à l’Internationale Communiste. On se souvient que la police démocratique crut devoir l’arrêter à Strasbourg et qu’il fut question de le traduire en justice pour je ne sais quels propos subversifs.

Orateur puissant et disert, sachant à la fois émouvoir et convaincre, journaliste d’un talent littéraire incontestable, Raymond Lefebvre mettait au service du Communisme français une énergie précieuse.

* * *

Il vint en Russie à l’occasion du 2e Congrès de l’Internationale Communiste, muni d’un mandat du Comité de la 3e Internationale. Au congrès de Moscou il ne manqua pas de condamner en termes sévères les anciens errements de l’opportunisme socialiste français. Il préconisait l’adhésion pure et simple, sans réserves, du P. S. U. à la 3e Internationale.

Nous n’oublierons pas sa joie presque enfantine devant les grandes scènes des fêtes de Moscou. Tandis que défilaient sous les murs du Kremlin, sur la vaste place ensoleillée, toute tendue de draperies rouges, plus de deux cent mille travailleurs, hommes, femmes et enfants, armés, heureux, acclamant les communistes étrangers. Raymond Lefebvre, vêtu d’une large blouse russe, penchait à la tribune sa grande taille, comme pour embrasser plus et plus d’espace d’un coup d’œil ; et l’on sentait bien qu’il garderait pour toujours ce souvenir.

Il emporta de Russie une riche moisson d’impressions. En Ukraine il avait visité les villes dévastées par les pogroms ; il avait vu Kharkov, Moscou, Pétrograd, s’intéressant à tout. Nous suivîmes ensemble les cercueils des Communistes finlandais assassinés. Sous les fenêtres du Palais d’Hiver, il prit la parole après ces funérailles, pour crier à la foule des soldats et des ouvriers de Pétrograd : « ...Nos ennemis peuvent tuer des individus ! nous, c’est leur classe que nous tuerons ! » — Et le voici qui tombe lui aussi...

Car il est mort en communiste. Pour se tendre la main il faut, par ce temps d’abjecte dictature bourgeoise dans toutes les démocraties du monde, que les meilleurs des militants risquent maintes fois leur liberté et leur vie. A la révolution russe et à la 3e Internationale la France ouvrière avait déjà donné le sang de Jeanne Labourbe3 ; en de tout autres circonstances Raymond Lefebvre meurt vaillamment pour la même cause.

Nous saluons sa mémoire avec une profonde douleur. Mais la confiance nous reste que l’œuvre révolutionnaire de sa vibrante parole, de sa plume, de toute sa vie, sera continuée et achevée...

* * *

En même temps que notre ami Raymond Lefebvre, deux autres vaillants camarades français ont trouvé la mort. Tant qu’il nous a été possible de douter de l’étendue de la catastrophe nous nous sommes refusés à y croire. Aujourd’hui le doute n’est plus possible : Lepetit et Vergeat, délégués des Syndicats minoritaires de la Seine, sont morts, eux aussi, morts pour la révolution.

Ils avaient accompli en Russie une enquête très vaste et très consciencieuse. Accueillis partout avec joie, invités au Congrès de la 3e Internationale, ils n’avaient presque pas quitté Raymond Lefebvre. C’est enrichis d’une profonde expérience révolutionnaire, c’est complètement acquis à la révolution communiste qu’ils partirent de Russie en septembre dernier, — non sans y avoir noué de nombreuses amitiés.,

Lepetit et Vergeat appartenaient à deux tendances différentes du mouvement révolutionnaire français. Lepetit, anarchiste, ancien collaborateur du Libertaire, avait été longuement emprisonné pendant la guerre pour sa participation en 1917 à la propagande antimilitariste clandestine : car il avait été un des rares militants qui, à cette époque, osèrent tenter l’accomplissement de leur devoir révolutionnaire. Vergeat, syndicaliste-révolutionnaire, tour à tour collaborateur de l’Internationale et de la Vie Ouvrière était, bien que très jeune, des ouvriers de la première heure du Communisme français.

...Le deuil qui atteint ainsi les camarades français est terrible. Qu’ils sachent bien qu’il ne sont pas seuls à le porter et que tous les militants russes ou français de Russie qui ont eu le bonheur d’approcher et d’apprécier les trois chers disparus s’y associent profondément.

Aux noms des communistes français tombés sur le sol de la Russie rouge pour la révolution internationale, aux noms de Jeanne Labourbe et de Michel fusillés à Odessa, de Barberet4 tué au front sud, des marins français mitraillés à Sébastopol par leurs propres chefs, nous ajouterons pour ne plus les oublier, ceux de Lepetit, Vergeat, Raymond Lefebvre, péris en mer au retour d’une mission fraternelle en Russie.

Victor SERGE.

Notes

1 Georges Duhamel (1884-1966).

2 Henry-Jacques (1886-1973).

3 Jeanne Labourbe (1877-1919), née en France, émigre en Pologne, et rejoint les bolcheviks en 1905. En août 1918 elle fonde le « Groupe communiste français de Moscou ». Arrêtée à Odessa par les russes blancs alors qu’elle menait un travail de propagande pour la fraternisation entre les marins français envoyés par le gouvernement Clemenceau contre la révolution. Elle est exécutée le 2 mars 1919.

4 Henri Barberet.

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