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L’irréversibilité existe-t-elle au niveau quantique ?

dimanche 11 décembre 2011, par Robert Paris

"L’irréversibilité s’inscrit dans la matière."

Prigogine dans "La fin des certitudes"

"L’irréversibilité n’est pas "créée" par des conditions macroscopiques de non-équilibre ; ce sont les conditions macroscopiques d’équilibre qui empêchent la flèche du temps, toujours présente au niveau microscopique, de se manifester par des effets macroscopiques."

Prigogine dans "Entre le temps et l’éternité"

"À tous les niveaux, nos descriptions actuelles font intervenir les notions de résonance et de collision et nous pouvons donc nous attendre à retrouver des phénomènes intrinsèquement irréversibles."

Prigogine dans un exposé sur le temps à la conférence Marc-Bloch

"La matière, c’est tout ce qui donne sa flèche au temps. La lumière, c’est ce qui tisse la trame de l’espace-temps."

Gilles Cohen-Tannoudji


"Comme nous le voyons, les théories de Prigogine, bien qu’apparemment simples, impliquent un changement quasiment révolutionnaire dans notre mode de pensée sur l’univers physique. (...) Ainsi, le comportement d’un gaz composé de particules, obéissant à des mouvements réversibles, devait être aussi soumis à des lois réversibles, et les changement apparemment irréversibles devaient être des approximations ou des illusions résultant d’une observation sur un temps trop court. Prigogine a complètement renversé cette manière de voir les choses. Il propose que les changements irréversibles sont la réalité fondamentale des entités de l’univers et que l’idée de particules microscopiques sujettes à des mouvements réversibles n’est qu’une approximation. "

Alastair Rae dans "Physique quantique, illusion ou réalité ?"

"Toute irréversibilité traduit une dissymétrie des lois de la nature par rapport au temps... Le cinéma aiguise notre intuition de l’irréversibilité. Lorsqu’une caméra a enregistré un mouvement réversible, la projection du film est tout aussi vraisemblable dans un sens que dans l’autre. Le sentiment d’absurdité ou d’émerveillement que nous pouvons ressentir en regardant passer certains films à l’envers tient à l’irréalité introduite dans l’ordre de succession des faits... L’irréversibilité est devenue sujet d’étude scientifique au dix-neuvième siècle avec la création de la thermodynamique... Les premiers travaux de mécanique statistique postulaient la réversibilité du mouvement des atomes... Mais comment expliquer qu’une dynamique microscopique réversible engendre à l’échelle macroscopique des processus irréversibles ?"

Roger Balian dans "Le temps et sa flèche" (ouvrage collectif)

L’irréversibilité existe-t-elle au niveau quantique ?

Pendant longtemps, les physiciens ont cru que l’irréversibilité ne se produisait qu’au niveau macroscopique, les chocs particulaires, les désintégrations et les effets ondulatoires leur semblant réversibles. Nous allons voir que la physique quantique relativiste, plus récente, a réintroduit l’irréversibilité au niveau quantique... Une des raisons que l’on avait de croire le monde microscopique réversible était que le changement du temps en son inverse ne changeait pas les équations. mais les équations contiennent-elles toute la vérité : des réactions conformes à la loi de Schrödinger ne se produisent pas ! Cette loi ne risque-t-elle pas d’être seulement une approximation ou une partie des lois agissant au niveau microscopique ou à un des niveaux du microscopique ? Voilà la question que nous voulons aborder ici.

L’irréversibilité signifie que certaines transformations ne peuvent pas se dérouler en marche arrière et que cela indique une "flèche du temps". On sait bien qu’en mettant en marche arrière un film, on parvient à des situations physiquement impossible. Il suffit de filmer quelqu’un en train de sauter en avant pour constater qu’il lui serait impossible de faire le même saut en arrière...

Notre vie d’humain ne peut pas plus revenir en arrière que l’évolution des espèce, ni même l’histoire des sociétés. Tout ce qu’on appelle des phénomènes historiques obéit à une flèche du temps.

Une autre notion est tout aussi fondamentale en physique, en biologie qu’en histoire des sociétés, c’est celle d’irréversibilité. Quand une structure est apparue, ce tournant n’est jamais revenu en arrière. L’univers est resté marqué par ce changement. C’est le cas pour l’apparition des diverses sortes de matière, de particules d’interaction, de structures les associant, de structures à grande échelle, de vie ou de société. Un changement révolutionnaire signifie que la transformation a produit une marque indélébile. Ainsi, Léon Trotsky remarquait dans son ouvrage « La révolution russe » que la révolution de 1917 n’avait pas fait que produire des transformations en Russie et dans le monde. Elle avait transformé de façon irréversible les relations sociales, la perception que nous avions et même les mots pour les décrire. Il en va de même en sciences. L’irréversibilité est partout présente dans la matière. C’est un caractère fondamental du processus, aussi important que la non-linéarité, l’historicité, la hiérarchisation de structures, la discontinuité, le caractère qualitatif du saut ou l’émergence. L’irréversibilité n’est pas seulement un produit du niveau macroscopique de structure de la matière. Elle est également microscopique. Gilles Cohen-Tannoudji le rapporte dans « La Matière-Espace-Temps » : « L’irréversibilité reste au cœur des phénomènes physiques, même en théorie quantique relativiste. » C’est l’irréversibilité qui fait de la matière, de la vie et de la société des produits historiques, comme le physicien-chimiste Ilya Prigogine s’est acharné à le démontrer. Si Einstein a montré que le temps n’est pas définissable par un écoulement continu, c’est lya Prigogine qui a souligné qu’il ne l’est pas non plus par une transformation réversible. Prigogine explique dans « Temps à devenir » que le temps est marqué par la fondation de structures issues du désordre et que « Les phénomènes irréversibles, loin d’être (...) le chemin vers le désordre, ont au contraire un rôle constructif extraordinaire. »

La stabilité structurelle de la matière est le produit d’un processus irréversible. Le sens de l’histoire est déterminé par sa propre construction, au fur et à mesure des bifurcations. Sans ces différentes transformations, sans ces bifurcations, l’ordre serait cyclique et n’aurait pas d’histoire. Un monde fondé sur des rétroactions ne ressemble nullement à un ordre dont l’apparition est réversible - c’est-à-dire ne laisse pas de traces...

La question de l’irréversibilité est posée au niveau quantique même si, au départ, la physique quantique ne le posait pas. Les équations fondamentales (Schrödinger par exemple) sont en effet invariantes dans le renversement du temps. Toutefois, quand on somme sur une partie des degrés de liberté d’un système, les équations dynamiques pour les autres degrés de liberté peuvent ne plus l’être.

Un exemple classique : le traitement quantique complet d’un atome couplé au champ électromagnétique, qui met en évidence la durée de vie finie de l’atome, et donc son évolution irréversible.
Il en va d’alleurs de même en Physique classique, quand on couple un petit système à un gros, et que l’on prend la limite thermodynamique.
La théorie de la décohérence implique justement la participation d’un nombre infini de degrés de liberté.

La discussion physique de la notion d’irréversibilité repose sur l’analyse des échelles de temps. Quand l’une d’entre elles diverge (exemple : le temps de Poincaré d’un système à une infinité de degrés de liberté), on est fondé à parler d’irréversibilité.
Le fait est que tout passage à la limite peut faire perdre certaines propriétés : une somme finie de fonctions analytiques est analytique, la série correspondante peut ne pas l’être (penser à la fonction de partition d’un système critique).

De surcroît, la considération parfois nécessaire de plusieurs limites exige de bien préciser la problématique physique, car les différents processus de limite ne commutent pas toujours (exemple : brisure d’ergodicité pour un ferromagnétique).

Un autre point a été souligné en physique quantique : toute mesure est source d’irréversibilité.

Mais le problème principal est ailleurs : certaines décompositions quantiques n’ont pas de transformation inverse. Il suffit, par exemple, qu’une transformation décompose un élément en trois autres pour que la recomposition soit tout à fait improbable. Or, en physique quantique relativiste, de telles transformations sont très nombreuses (désintégration du méson éta, du muon, des hypérons, du neutron, des pi,....)

Voici comment Davies pose le problème :

« L’exemple de la sphère en rotation illustre aussi le renversement du temps, car projeté à l’envers, le film montre aussi une sphère qui tourne dans l’autre sens…. Bien que dans notre monde quotidien, fait de systèmes complexes, nous remarquions immédiatement une séquence projetée à l’envers, il n’y a rien de particulièrement remarquable dans le monde microscopique concernant le renversement de la rotation. La même chose s’applique à d’autres processus familiers, comme la collision ou la désintégration de particules : elles n’ont rien de particulièrement miraculeux inversées dans le temps. Ce n’est que si le comportement de plusieurs particules est inversé que nous commençons à suspecter quelque chose. Par exemple, la désintégration spontanée du neutron en proton, électron et antineutrino laisse sceptique vue à l’envers car elle montrerait une rencontre simultanée hautement improbable, de trois particules, le proton, l’électron et l’antineutrino. Pour des processus macroscopiques, la probabilité du processus inverse est infinitésimale. »

Paul Davies dans « Les forces de la nature »

Cohen-Tannoudji écrit dans "La matière-espace-temps" : " En relativité quantique, l’irréversibilité est encore plus présente.... Tout d’abord elle intervient dans l’acte de mesure à travers la perturbation incontrôlable que nus apportons à l’objet étudié... D’autre part elle intervient par l’intermédiaire des antiparticules : des particules "remontant le temps" sont remplacées par des antiparticules qui "le descendent". Mais en plus, elle intervient à travers le recours à la statistique qu’implique le calcul de l’interaction entre deux particules élémentaires dans la sommation sur tous les chemins possibles.... Ainsi deux particules élémentaires de très haute énergie "enfermées dans une boite" vont-elles dissiper leur énergie en créant de nombreuses autres particules.... Ces particules n’ont qu’une chance infime, ridiculement faible, de venir un jour fusionner pour recréer les deux seules particules parentes... L’irréversibilité reste au cœur des phénomènes physiques, même en théorie quantique relativiste. "

Prigogine écrit dans « Entre le temps et l’éternité » : « C’est l’existence de points de résonance qui, on le sait depuis Poincaré, empêche de définir la plupart des systèmes dynamiques comme intégrables. La théorie cinétique, qui correspond au cas d’un grand système dynamique ayant des points de résonance « presque partout » dans l’espace des phases, marque donc la transformation de la notion de résonance : celle-ci cesse d’être un obstacle à la description en termes de trajectoires déterministes et réversibles, pour devenir un nouveau principe de description, intrinsèquement irréversible et probabiliste. C’est cette même notion de résonance que nous avons retrouvée au cœur de la mécanique quantique, puisque c’est elle qu’utilisa Dirac pour expliquer les événements qui ouvrent un accès expérimental à l’atome, l’émission et l’absorption de photons d’énergie spécifique, dont le spectre constitue la véritable signature de chaque type d’atome… Le monde quantique ne nous est accessible que par les événements qui l’affectent, par son devenir intrinsèquement probabiliste et irréversible. »

Georges Lochak écrit ainsi dans « Vers une microphysique de l’irréversible » (revue du palais de la découverte) : « l’idée des quanta, autrement dit l’idée que l’énergie des systèmes microscopiques ne varie que par bonds instantanés (les transitions quantiques) au cours desquels les microsystèmes passent subitement d’un état stationnaire à un autre en échangeant entre eux des parcelles d’énergie. » Il appelait donc à une microphysique irréversible.

Dans le vide quantique, le temps est réversible, mais la diffusion des particules virtuelles ne l’est pas plus que la diffusion des particules dites réelles. C’est la source de l’irréversibilité des phénomènes dissipatifs à l’échelle macroscopique, par exemple ceux entraînant un frottement. En fait, l’irréversibilité des interactions du vide quantique est à la source de la matière que nous connaissons. Cette création de matière montre déjà que le vie a une histoire : qu’il détermine une flèche du temps...

La chaos déterministe du vide permet de comprendre cette irréversibilité. Comme l’exposait Prigogine dans "Entre le temps et l’éternité" :

"Les comportements dynamiques chaotiques permettent de construire ce pont, que Boltzmann n’avait pu créer, entre la dynamique et le monde des processus irréversibles."

Le vide lui-même est réversible car c’est l’état de désordre et de hasard. Mais tout événement, comme une création/annihilation de matière, se produisant pour une ou plusieurs particules virtuelles ou réelles est, par contre, irréversible.

I. Prigogine et I. Stengers : dans "Entre le temps et l’éternité" :

"La matière se distingue de l’espace-temps en ce qu’elle est porteuse de l’entropie de l’univers. Son existence n’est plus une donnée, comme le présuppose le modèle standard, mais est le produit d’un processus irréversible de création. A la singularité initiale se substitue ainsi l’instabilité d’un Univers primordial vide, dont l’espace-temps se courberait en rayonnant la matière comme un atome excité rejoint son état fondamental en rayonnant de la lumière."

Le vide quantique est symétrique car chaque type de particule existe comme antiparticule et dans la même quantité, ce qui fait que le temps ne s’écoule pas dans un sens. Par contre, al seule existence de structures durables du vide, par exemple des particules ou des photons, signifie qu’il y a rupture de symétrie et donc irréversibilité...

On a souvent souligné que la mesure produisait une irréversibilité, ce qui est exact. Mais toute interaction en produit une aussi. En fait, il y a irréversibilité dès qu’il y a présence de matière. L’apparition d’une structure durable au sein d’un vide où rien n’est durable est une discontinuité qui représente une irréversibilité. Désormais, autour de cette particule, il y aura un temps avec une flèche....

Or, c’est le vide qui a produit cette particule et c’est cette création qui a introduit un sens du temps, en rompant la symétrie des couples particule/antiparticule du vide quantique.

Donc il y a bel et bien au sein du vide des phénomènes n’obéissant pas à la symétrie entre passé et présent.

On savait déjà que des tels phénomènes existaient dans l’univers quantique des particules comme la décomposition du méson K neutre qui n’obéit pas à ce que l’on appelle la symétrie CPT.

rappelons que CPT signifie qu’on ne change rien si on inverse tous les mouvements (P), toutes les charges (C) et le temps (T).

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