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Un système va-t-il "naturellement" vers l’équilibre ?

samedi 19 novembre 2011, par Robert Paris

"Au cours des dernières décennies, une nouvelle science est née, la physique des processus de non-équilibre. Cette science a conduit à des concepts nouveaux tels que l’auto-organisation et les structures dissipatives qui sont aujourd’hui largement utilisés dans des domaines qui vont de la cosmologie jusqu’à l’écologie et aux sciences sociales, en passant par chimie et la biologie. La physique de non-équilibre étudie les processus dissipatifs, caractérisés par un temps unidirectionnel, et ce faisant elle confère une nouvelle signification à l’irréversibilité.... L’irréversibilité ne peut plus être attribuée à une simple apparence qui disparaîtrait si nous accédions à une connaissance parfaite. Elle est une condition essentielle de comportements cohérents de milliards de milliards de molécules. Selon une formule que j’aime a répéter, la matière est aveugle à l’équilibre là où la flèche du temps ne se manifeste pas ; mais lorsque celle-ci se manifeste, loin de l’équilibre, la matière commence à voir ! Sans la cohérence des processus irréversibles de non-équilibre, l’apparition de la vie sur la Terre serait inconcevable. La thèse selon laquelle la flèche du temps est seulement phénoménologique est absurde. Ce n’est pas nous qui engendrons la flèche du temps. Bien au contraire, nous sommes ses enfants.... Pour la grande majorité des scientifiques, la thermodynamique devrait se limiter de manière stricte à l’équilibre. Pour eux, l’irréversibilité associée à un temps unidirectionnel était une hérésie... Après mon exposé, le plus grand expert en la matière fit le commentaire suivant : "je suis étonné que ce jeune homme soit tellement intéressé par la physique de non équilibre. Les processus irréversibles sont transitoires. Pourquoi alors ne pas attendre et étudier l’équilibre comme tout le monde ?"
J’ai été tellement étonné que je n’ai pas eu la présence d’esprit de lui répondre : "Mais nous aussi nous sommes des êtres transitoires. N’est il pas naturel de s’intéresser à notre condition humaine commune ?" Contrairement aux systèmes soit à l’équilibre soit proches de l’équilibre, les systèmes loin de l’équilibre ne conduisent plus à un extremum d’une fonction telles que l’énergie libre où la production d’entropie. En conséquence, il n’est plus certain que les fluctuations soient amorties. Il est seulement possible de formuler les conditions suffisantes de stabilité que nous avons baptisé "critère général d’évolution". Ce critère met en jeu le mécanisme des processus irréversibles dont le système est le siège. Alors que à l’équilibre et près de l’équilibre, les lois de la nature sont universelles, loin de l’équilibre elles deviennent spécifiques, elles dépendent du type de processus irréversibles. Cette observation est conforme à la variété des comportements de la matière que nous observons autour de nous. Loin de l’équilibre, la matière acquiert de nouvelles propriétés où les fluctuations, les instabilités jouent un rôle essentiel : la matière devient active. "

Ilya Prigogine

Un système va-t-il "naturellement" vers l’équilibre ?

Le film

Qu’est-ce que l’équilibre et le non-équilibre ?

Structures issues du non-équilibre

Qu’est-ce qu’un système auto-organisé ?

Les systèmes dynamiques

Ilya Prigogine et le non-équilibre

Ordre et désordre, équilibre et non-équilibre

Les systèmes auto-organisés et le non-équilibre

Gilles Deleuze :

"On sait bien que...une langue est en fait un système. Les physiciens diraient : un système par nature loin de l’équilibre, c’est un système en perpétuel déséquilibre."

Il y a un a priori idéologique de "la tendance à l’équilibre" comme un a priori du continu ou du linéaire, et il est aussi faux. Il n’y a pas de "tendance naturelle" vers l’équilibre plus que de tendance naturelle vers le continu ou vers le le linéaire. Bien des auteurs avaient confondu les lois avec une telle tendance à l’équilibre... "Tout le monde convient qu’il y a équilibre entre deux corps quand les produits de leurs masses par leurs vitesses virtuelles, c’est-à-dire par les vitesses avec lesquelles ils tendent à se mouvoir, sont égaux de part et d’autre." écrivait Jean le Rond d’ Alembert.

En fait, l’équilibre est une morale bien plus qu’une observation liée à l’étude de la nature.

La physique souligne bien des forces contraires, mais celles-ci, en se combattant, ne mènent pas à un monde mort, sans mouvement. Le combat continue...

Einstein souligne que c’est la dynamique qui permet de maintenir un système : "La vie, c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre."

Ainsi, en physique, l’étude étant devenue celle des interactions plus que celle des objets, il devient absurde de parler d’équilibre.

Ilya Prigogine écrit dans « Temps à devenir » :

« On a découvert que quand vous allez loin de l’équilibre, par exemple, en considérant une réaction chimique, que vous empêchez d’arriver à l’équilibre, se produisent des phénomènes extraordinaires que personne n’aurait cru possibles ; par exemple, des horloges chimiques. Une horloge chimique, qu’est-ce que c’est ? Prenons un exemple : vous avez des molécules qui de rouges peuvent devenir bleues. Comment imaginez-vous voir ce phénomène ? Si vous pensez que les molécules vont au hasard, vous allez voir des flashes de bleu, puis de flashes de rouge. Mais il se produit, loin de l’équilibre, dans d’importantes classes de réactions chimiques, des phénomènes rythmiques. Tout devient bleu, puis tout devient rouge, puis tout devient bleu, c’est-à-dire qu’une cohérence naît, qui n’existe que loin de l’équilibre. (…) Donc, loin de l’équilibre, se produisent des phénomènes ordonnés qui n’existent pas près de l’équilibre. Si vous chauffez un liquide par en-dessous, il se produit des tourbillons dans lesquels des milliards de milliards de molécules se suivent l’une l’autre. De même, un être vivant, vous le savez bien, est un ensemble de rythmes, tels le rythme cardiaque, le rythme hormonal, le rythme des ondes cérébrales, de division cellulaire, etc. Tous ces rythmes ne sont possibles que parce que l’être vivant est loin de l’équilibre. Le non-équilibre, ce n’est pas du tout les tasses qui se cassent ; le non-équilibre, c’est la voie la plus extraordinaire que la nature ait inventée pour coordonner les phénomènes, pour rendre possibles des phénomènes complexes.

Donc, loin d’être simplement un effet du hasard, les phénomènes de non-équilibre sont notre accès vers la complexité. Et des concepts comme l’auto-organisation loin de l’équilibre, ou de structure dissipative, sont aujourd’hui des lieux communs qui sont appliqués dans des domaines nombreux, non seulement de la physique, mais de la sociologie, de l’économie, et jusqu’à l’anthropologie et la linguistique. »

Que connaissons-nous comme systèmes :
 le système nerveux
 le système climatique
 le système cardiaque
 le système du vivant
 le système cérébral
 un fluide qui s’écoule
 la chimie de réaction-diffusion et réactions oscillantes
 l’atome
 l’étoile
 l’être vivant
 le systèmes quantiques
 les systèmes auto-organisés
 les systèmes dynamiques
 les systèmes économiques
 les systèmes sociaux
 les systèmes écologiques
etc...

Aucun ne va jamais vers l’équilibre...

Dans les systèmes dynamiques, la structure globale est fondée sur l’agitation interne et les échanges avec l’extérieur.

Certains confondent l’existence d’une structure et de constantes avec l’équilibre, alors que cette structure et ces constantes proviennent de changement internes permanents et brutaux, de sauts. Par exemple, un système quantique saute sans cesse d’un état à un autre, mais il parvient ainsi à maintenir certaines constantes.

En réalité, l’équilibre n’existe que comme approximation dans des cas très particuliers... C’est le cas de systèmes qui seraient totalement isolés de l’extérieur... Il faut cependant différencier l’équilibre local et l’équilibre global.

Il peut y avoir équilibre à un niveau fondé sur le déséquilibre à un autre.

L’équilibre (ou le déséquilibre) peut être mécanique, thermodynamique, chimique, particulaire, ...

A l’équilibre thermodynamique et à son voisinage, l’uniformité spatiale et la stationnarité temporelle sont la règle. Les fluctuations autour de ces états sont bien contrôlées et en un certain sens triviales. Les propriétés de transport sont gouvernées par un principe de réponse linéaire. A l’inverse, dès que l’on s’intéresse à des situations hors équilibre, (en présence de contraintes extérieures, ou au cours de relaxation extrêmement lentes – dynamique vitreuse), on constate à toutes les échelles l’émergence de comportements collectifs qui donnent naissance à des formes et des dynamiques complexes, fractales ou multi-fractales ainsi qu’à des propriétés de transport anormales. Les fluctuations autour de ces comportements globaux sont le plus souvent singulières ; elles présentent des évènements extrêmes significatifs qui peuvent dominer les effets moyens et sont très sensibles aux effets de taille finie.

Hors équilibre, les fluctuations –spatiales et temporelles - peuvent alors devenir extrêmement importantes et il n’est plus du tout évident de définir le comportement « typique » du système comme une moyenne sur ces fluctuations. Comment par exemple définir la résistance à la rupture d’un matériau lorsque celle-ci est entièrement dictée par le défaut le plus important ? Comment faire une prévision météorologique lorsque celle-ci est sensible à une petite perturbation locale ? Comment établir une stratégie de gestion de risque sur les marchés hautement volatiles ? Un des enjeux de la physique du 21ème siècle sera de développer les formalismes permettant de caractériser la statistique des fluctuations observées dans ces systèmes hors équilibre. Il s’agira en particulier d’être en mesure (i) de définir clairement la notion de comportements « typiques », (ii) de reproduire les mises à l’échelle de ces comportements dits typiques et (iii) d’étendre la notion de théorèmes fluctuation-dissipation dans ces systèmes hors équilibre.

L’état stationnaire d’un système maintenu loin de l’équilibre ne peut pas être décrit par les lois fondamentales de la thermodynamique et de la physique statistique (par exemple, le courant transporté dans une barre de métal en contact avec deux thermostats à des potentiels ou des températures différentes). Il n’existe aujourd’hui aucune théorie générale des systèmes hors d’équilibre : on ne dispose ni d’une description macroscopique à partir de fonctions d’états (qui remplaceraient l’entropie ou l’énergie libre), ni de principe combinatoire à l’échelle microscopique (qui généraliserait la loi de Boltzmann et la fonction de partition). Toutefois, des avancées remarquables ont été accomplies durant la dernière décennie : ces résultats, appelés théorèmes de fluctuation, montrent que l’on peut quantifier les fluctuations atypiques d’un système hors d’équilibre par des fonctions de grandes déviations, qui pourraient jouer un rôle analogue à celui des potentiels thermodynamiques. En outre, les fonctions de grandes déviations vérifient des relations de symétrie remarquables (dues notamment à Gallavotti, Cohen, et Jarzynski) qui généralisent, loin de l’équilibre, les relations d’Einstein et d’Onsager (qui ne sont valides qu’au voisinage de l’équilibre).

Les systèmes fondés sur des rétroactions produisent des structures, mais celles-ci ne sont pas des équilibres stables. Ils sautent d’un niveau à un autre brutalement. Par exemple, l’histoire de la terre est celle de tels sauts brutaux dus à des causes internes ou externes.

Le cerveau n’est pas un équilibre entre les deux hémisphères, mais un combat permanent entre eux...

La vie de la cellule n’est pas un équilibre entre gènes et protéines de la vie et de la mort, mais un combat permanent entre eux.

Dans tous les cas précédemment cités, le seul équilibre possible est la fin de la dynamique, c’est-à-dire la mort...

Même un objet qui semble immobile est sujet aux mouvement brownien des molécules issu de l’agitation particulaire permanente, lui-même causé par l’agitation énergétique du vide quantique qui ne cesse jamais. La mort n’existe pas à ce niveau. Jamais le vide n’atteint un équilibre stable. Il est sans cesse sujet à des sautes d’énergie...

Une dynamique peut admettre bien plus qu’un ou quelques points d’équilibre, mais une infinité. C’est l’attracteur de cette dynamique. Et cela peut être un attracteur étrange...

Ilya Prigogine et Isabelle Stengers dans « La nouvelle alliance » :

"Donc, loin d’être simplement un effet du hasard, les phénomènes de non-équilibre sont notre accès vers la complexité. Et des concepts comme l’auto-organisation loin de l’équilibre, ou de structure dissipative, sont aujourd’hui des lieux communs qui sont appliqués dans des domaines nombreux, non seulement de la physique, mais de la sociologie, de l’économie, et jusqu’à l’anthropologie et la linguistique. "

Ilya Prigogine dans « Temps à devenir »

La loi n’est pas "simplement" l’équilibre. Hegel disait déjà :

"La loi ne va pas au-delà du phénomène. Au contraire, le royaume des lois est l’image "calme" du monde existant ou émergeant."

"Plusieurs choses sont en interaction par leurs propriétés. (...) Le phénomène est dans l’unité de l’apparence et de l’existence. Cette unité est la loi du phénomène. La loi est donc le positif dans la médiation de ce qui apparaît. C’est le reflet du phénomène dans son identité avec lui-même. Cette identité, le fondement du phénomène qui constitue la loi, est un moment propre du phénomène... La loi est donc non au-delà du phénomène, mais présente en lui immédiatement. Le royaume des lois est le reflet tranquille du monde existant ou phénoménal."

Hegel dans "La doctrine de l’Essence"

Commentaire de Lénine sur cette phrase dans "Cahiers sur la dialectique de Hegel" :

"C’est une définition remarquablement juste (en particulier, le mot "tranquille"). La loi prend ce qui est tranquille - et c’est pourquoi la loi, toute loi, est étroite, incomplète, approximative."

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