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Rétroaction du lent et du vif

mercredi 31 mars 2010, par Robert Paris, Tiekoura Levi Hamed

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« Un comportement transitoire particulièrement riche apparaît lorsque dans un système une évolution rapide succède à une période de mouvement lent. On peut obtenir un comportement de ce type si le système est placé au départ dans un état instable ou marginalement stable. Il existe également une autre possibilité (...) un régime d’induction caractérisé par une très faible vitesse de la variable pertinente se trouve brutalement interrompu par une violente explosion déclenchée à un instant caractéristique (combustion, réactions autocatalytiques, lasers). »

Prigogine et Nicolis dans « A la recherche du complexe »

« Concrètement cela se produit lorsque des réactions se développent dans le temps de manière « explosive » et lorsque des couplages entre réactions s’établissent, par exemple à la suite d’une rétroaction entre le produit final d’une chaîne de réactions et la réaction d’entrée. Le déclenchement explosif de l’influx nerveux satisfait évidemment à cette condition de non-linéarité. »
Jean-Pierre Changeux dans « L’homme neuronal »

« Quand le temps de relaxation du système est supérieur au temps de l’observation ou de l’interaction, le système n’agit plus comme un système à l’équilibre. (...) Il peut exister des temps de relaxation très supérieurs aux temps microscopiques (adsorption de protéines aux interfaces, polymères, verres structuraux, verres de spins) ; le phénomène peut posséder une irréversibilité intrinsèque (liée à des phénomènes dissipatifs) qui nécessite l’introduction d’une modélisation fondamentalement hors d’équilibre (milieux granulaires, fragmentation, phénomènes de croissance, avalanches, tremblements de terre). (...) Depuis une dizaine d’années, grâce à l’accumulation de résultats expérimentaux (verres de spins, vieillissement des polymères plastiques, milieux granulaires,...), à l’étude théorique des phénomènes de croissance de domaines (simulation et résultats exacts), et à la dynamique des modèles de spins (avec désordre gelé), il apparaît qu’il existe une certaine forme d’universalité des propriétés de non-équilibre. (...) Pour tout système, au moins deux échelles de temps caractérisent la dynamique du système : un temps de réorganisation locale (temps moyen de retournement d’un spin pour les modèles de spins), que l’on peut appeler temps microscopique, et un temps d’équilibration. »
Pascal Viot dans « Dynamique moléculaire »

Débutons, à titre d’exemple par un premier phénomène d’interaction du lent et du rapide : la conscience. Les interactions entre rapide et lent dans la formation de la conscience sont exposées par le neuroscientifique Antonio R. Damasio dans « Le sentiment même de soi » :
« La conscience nécessite une brève mémoire de l’ordre d’une fraction de seconde, exploit trivial pour le cerveau humain dont la mémoire à court terme pour les faits peut durer près de soixante secondes. (…) Le temps est par essence ce qui permet d’établir le lien causal entre l’image d’un objet et sa possession par vous (votre conscience). Le temps écoulé est infime si on le mesure avec un bon chronomètre, mais il est en vérité extrêmement long si vous y pensez en vous plaçant du point de vue des neurones qui rendent tout cela possible, et dont les unités de temps sont bien plus petites que celles de votre esprit conscient – les neurones sont excités et se déclenchent eux-mêmes en quelques millisecondes seulement, alors que les événements dont nous sommes conscients dans notre esprit se produisent en l’espace de nombreuses dizaines, centaines et milliers de millisecondes."

Connaissons-nous, autour de nous ’autres exemples de ce type de rétroaction. Oui, mais nous ne le savons généralement pas. La rétroaction du lent et du rapide permet à la fois le guidage global et la guidage précis. C’est ce qui permet à la molécule de se situer par rapport à une chaîne ADN puis de trouver l’attache précise nécessitée. le phénomène s’appellera alors l’intermittence. Dans le domaine de l’inerte, on retrouve cette même règle. par exemple, en physique quantique, on aune rétroaction du précis-lent (la particule qui a une vitesse faible) et de l’imprécis-rapide (l’onde de polarisation qui se déplace à la vitesse de la lumière). Nous allons voir dans la suite qu’il s’agit d’une mécanisme d’une grande généralité.

Faute d’un univers fondé sur l’interaction du continu et du discontinu comme on le dit souvent [1] à tort, on découvre un monde basé sur la rétroaction du lent et du rapide. Il suffit, pour s’en convaincre, de rappeler que ce qui fonde notre univers est la rétroaction des quanta de la matière et de la lumière (émission/absorption de rayonnement par les particules) et la rétroaction des quanta et du vide c’est-à-dire des particules éphémères. Dans les deux cas, il s’agit d’une rétroaction du lent et du rapide. Ces relations entre particules de masse et de lumière sont à la base aussi bien de l’électromagnétisme, du nucléaire (fort et faible) et probablement de la gravité. Or ce qui distingue avant tout ces deux phénomènes, c’est la vitesse : la masse est lente et la lumière est rapide (300.000 kilomètres par seconde). Remarquons que nous entendons par lumière ou rayonnement ce qu’en physique on appelle bosons, c’est-à-dire des particules d’interaction entre particules de masse. Tous les systèmes qui perdent de l’énergie et en reçoivent à nouveau brutalement, c’est-à-dire quasiment tous les phénomènes matériels, sont fondés sur cette rétroaction du rapide et du lent, productrice de chaos déterministe. Par exemple, le pendule encensoir [2] est un simple pendule et, pourtant, il a un mouvement extraordinairement complexe, imprédictible, chaotique. C’est un pendule simple mais son mouvement est modifié par une transformation à période régulière de la taille de la corde. Le chaos est, dans ce cas, fondé sur un gain d’énergie donné par la réduction de la longueur de la corde. La période du pendule est de 10,5 secondes alors que le temps de raccourcissement de la corde est de 0,45 secondes. Si l’acquisition d’énergie se déroulait dans un temps qui n’était pas beaucoup plus court que le temps caractéristique du phénomène, il n’aurait aucun caractère saltatoire. C’est parce que l’apport d’énergie a lieu dans un temps beaucoup plus court que le temps caractéristique du phénomène qu’il y a saut parce qu’il y a interaction d’échelle.

Les changements brutaux et à grande vitesse de la matière sont également indispensables à la compréhension du vivant, de l’épigénétique par rapport au génétique, du neurone par rapport au réseau neuronal, du cerveau comme du cœur, de tout le corps humain ou encore des phénomènes matériels. C’est d’un seul coup et non graduellement qu’a lieu un changement d’état de la matière, des interactions de particules, d’atomes ou de molécules, par exemple lorsqu’un gaz devient liquide puis solide comme dans tout phénomène de cristallisation ou dans toute autre transition de phase. De même, une nouvelle structure des réactions chimiques du fait d’une modification des conditions de départ, ou d’une nouvelle forme de la molécule liée à un mouvement ultra-rapide d’une partie extrêmement petite, parfois un seul atome. Partout, la dynamique est fondée sur cette interaction du lent et du rapide : mouvement lent de l’électron par rapport au photon, mouvement lent du noyau atomique et mouvement rapide des électrons périphériques, imbrication des réactions chimiques lentes et rapides, rapidité de la brisure des molécules par rapport au temps pour que deux molécules adéquates se rencontrent, etc… Lent et rapide ne font pas que s’opposer. Ils se couplent, comme dans le cas des oscillateurs chimiques qui sont des réactions en boucle. En physiologie, les exemples sont légion même si le couplage le plus connu du lent et du rapide est la rétroaction du système nerveux (influx électrique et passage des neurotransmetteurs dans les synapses – rapide) et du système endocrinien (transport des hormones dans la sève, le sang et autres fluides – lent). L’ADN est sujet au même type d’interaction entre son mécanisme endogène (synthèse des protéines – rapide) et exogène (action de l’environnement – lent). Ainsi, une protéine qui va rétroagir sur l’ADN se déplace lentement le long de la macromolécule avant de réagir rapidement avec un gène. Cette contradiction-combinaison de deux mouvements, de deux rythmes, d’ordre et de désordre est appelée l’intermittence par les spécialistes. Les deux réactions, endogène et exogène, peuvent se coupler puisque la synthèse des protéines agit sur l’environnement qui peut réagir à nouveau, positivement ou négativement sur l’ADN. On parle alors de rétroactions. Les réactions sont alors couplées, comme la vibration du noyau atomique en liaison avec le mouvement électronique. Il en va de même de la modification de l’organisation sociale. Elle est pleine de mouvements contradictoires imbriqués, lents et rapides. Elle peut, du coup, stagner, ou changer très lentement, durant de longues périodes, puis, brutalement, faire un saut vers une autre structure ou disparaître. Il est bien nécessaire de réhabiliter l’importance des interactions brutales, aussi bien pour les particules de la physique, les cellules vivantes, les macromolécules de la génétique, l’évolution des espèces, les neurones du système nerveux, la conscience et la société humaines.

Bien entendu, rapide, brutal ou radical sont des termes qui n’ont de sens que relatif. On les compare ainsi à la dynamique dans laquelle ces événements apparaissent. Un changement de structure du climat s’établit aussi brutalement et rapidement (toujours relativement aux durées caractéristiques du phénomène). L’apparition ou la disparition d’une espèce ne sont rapides que relativement à la durée de celle-ci. La mise en route d’une glaciation n’est un instant que par rapport à la durée de cette période. Le saut d’un état matériel à un autre est instantané relativement aux durées caractéristiques du phénomène matériel en question. Les durées et les vitesses en jeu changent dans chaque cas comme les objets concernés et leurs interactions. Mais à chaque fois, c’est de longs moments d’immobilité qui sont ponctués par de courtes périodes de rupture brutale. C’est ce rythme de l’évolution bien différent de celui retenu jusque là par les biologistes, que le géologue et évolutionniste Stephen Jay Gould qualifiait d’ « équilibre ponctué », qui règle le fonctionnement de la matière.

Très lente l’évolution des êtres vivants ? Stephen Jay Gould constate de longues périodes où il n’y a aucun changement et, par contre, une nouvelle espèce apparaît très vite (relativement) et d’un seul coup. C’est pour cela que l’on parle d’ « explosion » du Cambrien. Dans le domaine des suppressions d’espèces, David Raup, Roger Lewin et Richard Leakey insistent sur l’importance des vagues brutales d’extinctions. Walter Gehring montre qu’il peut suffire d’une seule mutation sur un seul gène, à condition qu’il s’agisse d’un gène maître parmi les gènes architectes dits homéotiques. Ces derniers pilotent des milliers d’autres gènes homéotiques, responsables de la construction de la structure du corps lors du développement embryonnaire. Très lente la construction d’une structure du vivant ? Il suffit de voir à quelle vitesse est produite une structure aussi complexe que le cerveau, à chaque fois qu’un petit être humain recommence cette œuvre impressionnante. Les liaisons chimiques responsables du vivant se font et se défont à très grande vitesse. Quant à celle des modifications de structures des connexions neuronales lors de la pensée, elle est impressionnante.

C’est de façon quasi immédiate que des changements radicaux ont lieu, alors que des durées considérables se sont écoulées quasi sans changement. Ce caractère apparemment ponctuel est lié à la rapidité du phénomène qui vient comme s’enchâsser dans le phénomène lent précédent. Des processus ponctuels nous en connaissons un grand nombre qui ont un effet à grande échelle : une mutation sur un seul couple de bases d’un gène, un mouvement d’un seul atome dans une macromolécule, un grain entraînant la formation de pluie ou un noyau permettant une cristallisation, etc … Ces interruptions, ces bifurcations, ces destructions sont indispensables pour que la matière soit cette horloge interactive dont le dynamisme a produit la vie et la conscience. Sans les ruptures rapides d’une dynamique plus lente, l’écoulement du temps lui-même n’aurait pas de base réelle. Sans discontinuité, pas de marque de durée. Une simple horloge tic-tac nécessite un mouvement régulier (rotation ou pendule) couplé à un choc qui marque les « tic ». Un phénomène régulier et continu, sans rupture, ne définirait pas un temps [3] car, sans jalons, aucun instant ne se distinguerait d’un autre, n’enclencherait de nouvelles chaînes de réactions. Le physicien-chimiste Ilya Prigogine explique ainsi dans « La complexité, vertiges et promesses » : « Le temps s’explique avec les bifurcations : le passé correspond à une trajectoire au travers de points de bifurcation et le futur comprend des bifurcations dont nous ne savons pas quelle sera la direction. » Une des horloges, à mécanisme ponctué, les plus importantes de la matière est constituée par les désintégrations radioactives des atomes instables [4]. Pourtant ces désintégrations sont brutales, non périodiques, imprédictibles. Mais elles rythment la matière.

Beaucoup pensent que nos modes de mesure du temps reposeraient sur des phénomènes réguliers, fixes, périodiques et prédictibles. Et surtout sur des actions continues et lentes. C’est le contraire. On peut dire que toutes les horloges que nous utilisons pour mesurer le temps sont fondées sur des processus brutaux, imprédictibles et probabilistes interagissant avec un processus plus lent. Cela va de l’horloge permettant de mesurer l’âge des roches qui est fondée sur la décomposition radioactive d’éléments lourds dans un état instable. C’est par exemple le cas de la mesure du temps au carbone 14 fondée sur la statistique de demi vie : durée au bout de laquelle, en moyenne, la moitié de cet élément s’est décomposé par radioactivité. Rappelons que ce processus est imprédictible tout en obéissant à des lois. C’est également le cas pour des temps plus à notre échelle avec les horloges électriques classiques. Le mécanisme est cette fois fondé sur l’électricité. Le parcours des charges électriques dans un fil conducteur est, là aussi, un processus qui donne des valeurs de probabilité du nombre d’électrons dans un temps donné mais aucune prédiction exacte. Les électrons arrachés aux atomes du métal conducteur donnent des moyennes mais il est impossible de prédire ce que va faire chaque électron de chaque atome à un moment donné. L’arrachage d’un électron est un choc brutal, tout autant que la décomposition radioactive. Passons maintenant à de durées plus courtes, celles correspondant à la précision d’une seconde. C’est le cas, par exemple, de l’horloge au césium. Celle-ci est fondée, comme toutes les horloges donnant une telle précision, sur les sauts quantiques de l’atome. On se souvient qu’un atome (un noyau et des électrons liés) saute d’un état dans un autre en émettant ou en absorbant des photons). Un saut quantique, voilà encore un phénomène discontinu, brutal et imprédictible. C’est pourtant ce phénomène qui va être stimulé (par irradiation des atomes de césium par un rayonnement micro-onde d’une fréquence correspondant à celle du césium) pour donner une moyenne de sauts quantiques d’apparence assez régulière. En effet, en une seconde il y aura en moyenne 9 192 631 770 sauts (des transitions entre deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium). On parvient à une précision de moins d’une seconde toutes les trois millions d’années. On peut encore améliorer notre précision de mesure sur la seconde avec des horloges atomiques à « atomes froids ». On a diminué l’agitation permanente des atomes et, du coup, l’erreur de ces horloges est d’une seconde tous les vingt millions d’années ! Et pourtant, c’est toujours sur des sauts quantiques de l’atome que reposent ces mesures précises. Le désordre est fondateur de l’ordre et le rapide agit sur le lent. Le caractère probabiliste de la nature ne repose pas sur un indéterminisme de l’univers. C’est une erreur d’interprétation [5] qui a amené à émettre l’idée que les inégalités d’Heisenberg correspondaient à une absence d’obéissance à des lois [6]. Les physiciens Banesh Hoffman et Michel Paty écrivent ainsi dans « L’étrange histoire des quanta » : « Le fait qu’une particule quantique a une certaine probabilité d’être dans un état donné ne doit pas être considéré comme la traduction d’une ignorance mais celle d’une propriété de la particule. » Les théoriciens de la physique quantique parlent d’ « incertitude quantique » mais ce n’est pas une simple incertitude de la mesure. C’est l’agitation désordonnée du vide qui engendre une impossibilité d’aller au delà d’une certaine précision dans la mesure des phénomènes matière-lumière. En fait, le vide ne fait pas que désordonner la matière, il la construit. Les phénomènes matière-lumière sont engendrés par le désordre du vide. Dans le domaine macroscopique, l’incertitude ne provient pas non plus d’un défaut des instruments ou d’une incapacité des hommes. Les théoriciens du chaos déterministe insistent autant sur son obéissance à des lois (déterminisme) que sur le fait que ces lois sont imprédictibles. Ce n’est pas une incapacité de l’homme qui limite la possibilité de prédiction mais la nature de ces lois, qui tendent à diverger (croissance exponentielle d’une petite différence initiale).

Non seulement la nature obéit à des lois quantiques mais elles sont d’une grande précision. Certains calculs de Feynman de l’électrodynamique quantique ont une précision incroyable. Les limites de la physique quantique définissent des temps encore plus précis et dont la précision donne même le frisson : le temps dit de Planck, en dessous duquel aucune expérience matière/lumière n’est théoriquement possible. Il est quasi inimaginable : un cent millionième de milliardième de milliardième de milliardième de seconde. Là encore, cette horloge incroyablement précise est basée sur une agitation et non sur une régularité : l’agitation quantique du vide, mouvement imprédictible, brutal, non linéaire et discontinu.

Pourquoi le temps ne pourrait-il plus être imagé par un axe de coordonnée, par un déroulement continu, comme l’ont longtemps admis les physiciens ? Cela permettrait de diviser ce temps en intervalles en fonction de la durée de l’action envisagée ce qui suppose une linéarité du temps, c’est-à-dire que les durées s’additionnent ou peuvent être multipliées arbitrairement. La physique relativiste et quantique donne de multiples arguments contre un temps linéaire et continu. Le premier d’entre eux provient du lien entre temps et matière. Le temps ne s’écoule pas au même rythme près des masses, comme l’a montré la Relativité d’Einstein. Le second argument provient du fait que l’on ne peut pas étudier ce qui se passe sur des durées arbitrairement petites. C’est une conséquence de la physique quantique. Plus on veut intervenir dans un temps court, plus il faut une énergie importante. C’est la fameuse inégalité d’Heisenberg. La totalité de l’énergie de l’univers qui est finie permet seulement d’intervenir dans un intervalle de temps appelé temps de Planck. En dessous des dimensions de Planck, il n’existe pas de matière permettant d’intervenir sur les fluctuations des ondes électromagnétiques du vide. Par conséquent, un intervalle de temps n’est pas une somme d’intervalles arbitrairement petits. Un épisode de temps ne peut s’écouler en fractions aussi petites qu’on le souhaite puisqu’il faut s’arrêter aux limites quantiques de Planck. Cela résulte d’une discontinuité fondamentale du temps. Un intervalle n’est défini que par la taille de la singularité, et est inversement proportionnel à la taille de cette singularité. C’est ce qu’exprime la relation quantique énergie multiplié par temps égale constante de Planck. Le plus petit intervalle possible correspond à la plus grande énergie. Celle-ci est limitée pour un phénomène matière-lumière. Elle ne l’est pas au sein du vide mais le temps du vide est désordonné et peut même revenir en arrière. Les fluctuations du vide peuvent être porteuses d’une énergie illimitée à condition que ce soit dans un intervalle de temps inversement proportionnel. On peut donc descendre en dessous du temps de Planck mais à condition de renoncer aux lois qui régissent la matière-lumière. La conservation de l’énergie comme celle des autres facteurs globalement fixes (charge électrique, spin, moment électrique, isospin…), qui n’existe pas au niveau du vide, n’est que le bilan global du processus dans lequel cette conservation est bel et bien violée en permanence. La conservation suppose la transformation de la même manière que la lutte des classes fonde l’ordre de la classe dirigeante. Mais cet ordre, même s’il dure, ne supprime jamais la lutte sous-jacente qui finit toujours pas exploser. Malgré la « continuité de l’Etat », la discontinuité des luttes de classes finit toujours pas réapparaitre. Bien creusé, vieille taupe, comme le dit Karl Marx.

La discontinuité est une notion fondamentale de la physique de la matière, puisque celle-ci adopte finalement un processus du type de celui du boson de Higgs. Ce boson passant d’une particule du vide à une autre et lui transmettant la propriété « matière » de la masse, introduit en effet la discontinuité au fondement même. Elle signifie en effet qu’une particule matérielle n’est pas une particule fixe mais, surtout, elle suppose qu’il y a une rupture. Une particule est matérielle puis une autre l’est. Et, entre les deux, une particule a perdu son boson de Higgs et l’autre ne l’a pas encore gagné. La matière apparaît et disparaît ainsi. La matière rend sa propriété au vide qui lui avait transmise. La matière est donc sans cesse créée et détruite. Il y a des cycles vide-matière-vide. La matière n’est qu’un état transitoire du vide. En termes ordre/désordre, cela suppose des cycles désordre-ordre-désordre dans lesquels le choc du passage à l’ordre est la matière. La matière est donc liée à un phénomène se déclenchant rapidement au sein d’un phénomène plus lent.

La question de la vitesse est déterminante dans cette physique. Déjà elle détermine les différentes familles d’objets physiques que l’on peut rencontrer. Il y a les plus lents (que l’on appelait autrefois la matière et qui se nomment les particules de masse). Il y a les plus rapides (les fluctuations du vide encore appelés particules virtuelles et qui semblent bien réelles tant leur intervention est indispensable à la compréhension de cette physique). Et entre les deux, il y a les phénomènes qui se déplacent à la vitesse limite des deux zones : la vitesse dite de la lumière c. C’est celle des corpuscules de lumière ou de toute interaction (sans masse) entre deux particules de matière. Les quatre interactions de la matière (gravitationnelle, électromagnétique, faible et forte) sont fondées sur des bosons (comme le photon lumineux), c’est-à-dire sur des phénomènes beaucoup plus rapides que l’interaction matière/matière qui sont du type matière/lumière. C’est un boson tellement plus rapide que la lumière/matière habituelle, le boson de Higgs qui serait à l’origine de la masse des particules matérielles. Les relations matière/matière sont des cycles matière/lumiè-re/matière/lumière donc des interactions entre phénomène rapide et lent. La relation « onde-corpuscule » de la particule (matérielle comme lumineuse) est typique de la dialectique du lent et du rapide, du ponctuel et de l’étendu. Une autre interaction ultra-rapide nous semble quasi insaisissable, celle des neutrinos. Enfin, nous verrons que le mécanisme indispensable pour comprendre la matière est celui des corpuscules du vide, appelés « virtuels ». Ce sont les plus rapides, les plus fugitifs. Au point qu’aucune expérience matérielle ne permet de les mesurer même si leur présence est indispensable dans les interactions comme l’ont montré les diagrammes de Feynman.

Pourquoi imager les interactions fondamentales de la physique comme des « boucles de rétroaction du lent et du rapide » ? Quel est le lent et quel est le rapide ? Examinons la relation fondamentale de notre univers, celle entre matière et lumière. En l’occurrence, le lent est la matière (toute particule de masse a une vitesse très inférieure à celle de la lumière) et le rapide la lumière (vitesse maximale c). La réaction peut revenir en boucle. Il suffit que la particule, ou l’atome, réabsorbe le photon émis. La boucle est une rétroaction positive si la particule ou l’atome est capable d’émettre des photons de la même fréquence de vibration (ou couleur) que ceux qui tombent sur la particules (ou l’atome). Il y a alors émission stimulée et regroupement de bosons sur une onde cohérente.

Les rétroactions, ou couplages d’un phénomène lent et d’un phénomène rapide, concernent tous les domaines. Il suffit de comparer la durée de la mise en liaison des ions + et – avec la durée ce cette liaison, de la mise en liaison des particules virtuelles + et – avec la durée de cette liaison, de la liaison matière/lumière, mise en liaison d’une protéine et d’un gène qui va être ainsi activé, etc… La réentrée dans le cycle est beaucoup plus rapide que la durée de celui-ci dans tous les cas suivants : effet Larsen, émission stimulée, réseau neuronal, interaction matière/lumière ou onde des cellules pace-makers du cœur. Ce ne sont pas des phénomènes marginaux dans chacun des domaines considérés mais, au contraire, le fait principal. Par exemple, la boucle de rétroaction est la source de la dualité onde/corpuscule. Les réentrées matière/lumière causent le phénomène de cohérence que l’on constate en physique quantique, dès que le nombre de particules est faible. La cohérence c’est cette espèce de don d’ubiquité qui fait que la particule est en plusieurs positions possibles dès qu’on se trouve en situation dite quantique, alors qu’en cas de décohérence, on est en situation dite classique et chaque particule semble avoir une position définie. La frontière entre classique et quantique est donc fondée sur le phénomène de la décohérence. Deux chercheurs en physique quantique qui l’ont montré récemment, Serge Haroche et Jean-Michel Raimond expliquent : « La séparation radicale, l’opposition logique, entre niveau microscopique (ou plutôt quantique) et niveau macroscopique (ou plutôt classique) était plus que gênant. Encore une fois il n’y a qu’un monde. Il y a bien une « transition » du quantique au classique qui est due à la décohérence. » Lorsqu’il y a un trop grand nombre de particules de matière, l’interaction entre la particule de matière et le vide (l’agitation quantique de celle-ci qui produit le nuage de polarisation déterminant la probabilité de présence de la particule), fondée sur les boucles de rétroaction entre matière et vide est perturbée : il y a décohérence. Et on constate ici la relation entre ces boucles et les transitions de phase. L’action rapide peut relancer la même dynamique, lui donnant sa durabilité structurelle (qui n’est pas une fixité de corps physique), comme on le remarque avec l’émission/absorption de photons par l’atome.

Les exemples de telles boucles de rétroaction sont innombrables. Les mouvements ventriculaires du cœur sont une alternance entre phases lente et rapide, interactives. Les mouvements de l’œil sont, eux aussi, un couplage entre un mouvement lent et un retour rapide (par exemple, le nystagmus spontané). Les mouvements de l’océan sont un couplage entre un mouvement lent situé entre deux phases rapides. Dans un séisme terrestre, il y a imbrication des ondes rapides P et des ondes lentes S. Dans toutes les ondes de choc, il y a couplage entre mouvement lent et mouvement rapide. Dans le domaine des messages cérébraux ont constate la même interaction du lent et du rapide. L’activité cellulaire connaît les mêmes alternances. Le neurone subit une dépolarisation lente suivie d’une polarisation brutale (entrée des ions calcium dans la cellule). Vincent Fleury cite ainsi dans « Des pieds et des mains » l’étude de David van Essen qui décrit la relation entre les plis du cerveau et les possibilités de connexions rapides doublant les connexions lentes : « Les neurones lanceraient des connexions très ciblées entre différentes régions éloignées le long du cortex, mais qui se visent mutuellement à travers les couches. Ce sont eux qui font les plis et ce n’est pas par hasard qu’on y observe des connexions « rapides » d’un fond de pli à un autre. Ces neurones se tireraient les uns vers les autres comme des lacets pour se rapprocher, ce qui formerait les plis observés. » Jean-Michel Robert souligne un tel processus dans « Le cerveau » : « Il existe entre les capteurs du tact et le cortex qui enregistre les renseignements une voie rapide : en quelques bonds (trois neurones câblés en série se relaient de l’épiderme au cortex) et une voie lente (câblée en réseaux complexes) : les messages collectés par la moelle épinière gagnent ensuite le tronc cérébral (...) » Dans le domaine de la chimie et de la biochimie, la question des différences de vitesse est fondamentale. Elle pilote notamment le mécanisme de la catalyse, processus fondamental dans le phénomène du vivant. Le catalyseur est une molécule, à l’état de traces, qui parvient malgré sa faible présence à accélérer une réaction la rendant infiniment plus probable. Sans le catalyseur, tout le phénomène de la vie serait totalement impossible. Non seulement, le catalyseur permet certaines réactions mais il sélectionne parmi les réactions possibles celles qui vont être réalisées. C’est le processus de base de la sélection au sein du vivant.

Les réactions chimiques du vivant étant extrêmement lentes et peu probables, il ne suffit pas qu’une réaction soit possible. L’intervention du catalyseur suppose un couplage avec un autre phénomène et des sauts d’une réaction chimique à une autre, rétroactive. La catalyse provient d’un couplage entre deux réactions, généralement par la fixation d’une seule molécule. Le différentiel de vitesse permet de créer une forme par un processus dynamique, de changer une structure. Prigogine et Nicolis le rapportent dans « A la recherche du complexe » : « La formulation des phénomènes de bifurcation (...) s’applique à une classe très large de systèmes (...) Dans bien des cas, la dynamique d’un système physicochimique fait apparaître des échelles de temps largement étalées (...) La valeur des vitesses de réaction est très sensiblement plus élevée que celle qu’elle présenterait en l’absence de catalyseur. Il s’ensuit que certaines étapes intermédiaires où interviennent des complexes catalytiques se déroulent très rapidement. (...) Pendant que les « variables lentes » évoluent à petite cadence, nous pouvons nous attendre à ce que les « variables rapides » changent avec promptitude (...) les valeurs des variables lentes que les plus rapides « observent » à ce niveau n’auront pas atteint leur état stationnaire final (...). »

Toute la chimie est pleine de rétroactions du lent et du rapide. La catalyse en est bien sûr l’exemple le plus connu. On peut même parler d’une sélection chimique qui permet au vivant de n’être que la suite des processus dynamiques de la chimie de la matière inerte comme l’expose le chimiste Martin Olomucki dans « La chimie du vivant » : « Aux stades précoces de l’évolution, les catalyseurs alors de petite taille, ne pouvaient pas avoir de spécificité quant à leur substrat ( ..) Pour atteindre une plus grande efficacité, il a fallu que les groupements catalytiques fussent insérés dans des structures macromoléculaires. (...) De même, les groupements catalytiques peuvent aussi être disposés stériquement de manière à former des sites réactionnels complexes mais très performants. (...) On voit que le développement des performances chimiques du vivant a adopté la même stratégie que celle des structures moléculaires : la combinaison d’un nombre limité de fonctions chimiques simples, « briques élémentaires fonctionnelles » judicieusement assemblées, a conduit à des systèmes catalytiques d’une extraordinaire efficacité. (...) Des changements d’activité catalytique se sont produits, seuls ceux qui conféraient à ces structures une plus grande capacité de survie ont dû être conservés aux dépens des autres (...) »

On a déjà expliqué que les réactions chimiques, même globalement lentes, se décomposent en épisodes lents et rapides imbriqués, certaines étapes étant si rapides qu’elles ne sont pas visualisables comme la brisure des molécules qui constituent des radicaux instables et à durée de vie très courte, dont il faut supposer l’existence même sans pouvoir les détecter. La cinétique est l’élément déterminant des réactions chimiques. La rapidité va déterminer non seulement la quantité des produits fabriqués mais aussi la possibilité de se coupler à d’autres réactions. Une réaction globale (en fait, le bilan global de plusieurs réactions) se décompose le plus souvent en deux réactions, l’une lente et l’autre rapide. C’est la réaction lente qui contrôle la vitesse du mécanisme global mais c’est la réaction rapide qui sert de déclencheur. Ainsi, la réaction 2 N2O à 2N2 + O2, il y a couplage de la réaction lente : N2O à N2 + O et de la réaction rapide N2O + O à N2 + O2. Dans une réaction apparemment globalement lente, il y a une étape rapide insérée. De multiples réactions chimiques [7] sont composées d’une réaction lente et d’une réaction rapide (auxquelles peut se rajouter un équilibre chimique, c’est-à-dire une réaction qui peut fonctionner à double sens). Il y a un saut d’échelle du temps.

Cette règle du lien entre formation d’une nouvelle structure des réactions et de l’interaction d’échelle est générale et, bien au delà de la chimie, a des racines profondes dans le fonctionnement de la nature. Elle a des conséquences fondamentales sur le comportement de l’univers. Il est fréquent de penser que tout l’intérêt de la science physique proviendrait du fait que la nature devrait obéir à des lois mathématiques permettant des approximations de calcul. Cela suppose que les détails suffisamment petits soient insignifiants et négligeables à grande échelle. Mais les phénomènes à très petite échelle peuvent-ils toujours être négligés devant ceux à grande échelle ? Leur faible dimension et la petitesse de leur zone d’intervention, lorsqu’ils interagissent, tendent à faire penser que oui. Par contre, ils ont également comme propriété d’intervenir dans des temps très courts. Cette propriété très importante entraîne une conséquence par rapport à la constance des structures. Celles-ci sont conservées par des réactions de conservation qui ont un temps fini d’intervention. Un phénomène, suffisamment court, a la capacité d’agir avant que cette réaction n’ait pu bloquer son action. « La cellule doit fabriquer un nombre considérable de composés (...) Il s’ensuit un fourmillement des molécules les plus diverses au sein de la cellule (...) Ce minuscule volume grouille en permanence d’activités chimiques (...) et il faut en même temps que ces réactions soient très rapides puisque la durée de vie d’une cellule peut ne pas dépasser vingt minutes. » explique ainsi le chimiste Martin Olomucki dans « La chimie du vivant ». Les phénomènes rapides permettent de passer au travers des lois ayant un temps d’action plus long. C’est la règle de l’interaction d’échelle. Du coup, l’action rapide a une intervention sur la structure et l’action à petite échelle peut avoir une influence non négligeable à grande échelle. Une des conséquences est l’impossibilité de calculer la suite des événements mais ce n’est pas la seule. Le conservatisme de structure est pris de vitesse. Combien de régimes apparemment solides se sont effondrés en trois ou quatre jours devant un soulèvement populaire ? L’existence de poussières dans un nuage a par exemple une influence déterminante pour le développement de pluie, de neige ou d’orage bien que ces poussières occupent une place très petite par rapport au volume considérable des molécules d’eau. Il découle de cette importance de phénomènes à petite échelle une apparence de désordre puisque de tout petits changements peuvent en entraîner de considérables et même des changements structurels. Mais cet apparent désordre ne doit pas être confondu avec un hasard synonyme d’absence de lois.

Roger Balian montre dans « La flèche du temps » que les réactions chimiques sont sujettes à des transformations brutales : « La réaction chimique hydrogène plus chlore donne gaz chlorhydrique H2 + Cl2 à 2 HCl se produit dans l’obscurité à une vitesse imperceptible, plus rapidement (en fait de manière explosive) lorsqu’on éclaire le mélange à la lumière du soleil. » La matière est l’existence en même temps du court et du long comme l’expose Roger Balian : « Les temps caractéristiques microscopiques, périodes d’oscillations électroniques ou atomiques, durées de collisions, se mesurent en picosecondes (millième de milliardième de seconde) ou même en femtoseconde (millionième de milliardième de seconde), alors qu’on peut faire commencer l’échelle des temps macroscopiques à la nanoseconde (milliardième de seconde, période typique des ondes radio ou temps mis par une molécule d’un gaz à parcourir, entre deux collisions successives, une distance de l’ordre d’un micron. » La matière existe à la fois à ces diverses échelles. C’est tout le problème de la physique d’expliquer comment les deux phénomènes, l’un court et brutal l’autre lent et régulier, peuvent interagir. Pas d’explication de la matière à notre échelle sur des temps relativement longs sans interprétation par des phénomènes désordonnés (statistiques) sur des temps beaucoup plus courts. Sans les explosions nucléaires au sein des étoiles, pas de formation des noyaux lourds des atomes et, sans elles, pas d’étoiles. Une étoile se forme par enclenchement des réactions thermonucléaires en chaîne dans son noyau. Celles-ci n’existeraient pas si la matière n’était le sujet de chocs liés à la dynamique à l’échelle des particules. Et à ce niveau, la matière est sans cesse perturbée par des ruptures brutales. Pas d’interaction matière/lumière sans choc (le saut brutal de la particule d’un état à un autre qui n’est pas connexe). Pas d’émission de rayonnement par la matière sans le même type de saut d’un état à un autre sans étapes successives. Le rôle des réactions brutales est patent en physique, en chimie ou en biochimie. C’est la collision de plusieurs particules qui produit une énergie suffisante, permettant de fabriquer de nouvelles particules dans le vide, l’énergie de rayonnement se transformant en matière. Des chocs violents sont permanents dans la chimie des atomes et des molécules. Il n’y a pas de réaction chimique sans un choc énergétique. La simple réaction de liaison entre deux molécules pour former une troisième suppose un saut qualitatif sans possibilité d’étapes permettant de concevoir une continuité. Les liaisons entre atomes et molécules nécessitent une énergie de liaison, c’est-à-dire qu’il faut un saut, un choc pour composer une nouvelle molécule. Il faut en effet un niveau d’énergie, appelé de Gibbs, pour passer à l’état de transition permettant la réaction chimique.

La rétroaction du lent et du rapide des réactions biochimiques est bien un processus fondamental du vivant. Les réactions biochimiques sont généralement lentes et c’est un autre phénomène couplé qui les dynamise, les catalyse : l’action d’une molécule-enzyme. Le vivant utilise ainsi une particularité des réactions chimiques. Une toute petite transformation d’une molécule change complètement ses propriétés. Il n’est même pas nécessaire d’en changer le contenu en termes d’atomes ou de types de liaisons. Le simple changement de la forme de la molécule dans l’espace suffit à modifier considérablement ces propriétés biochimiques. Or ce changement de forme peut se dérouler à grande vitesse. Une molécule enzyme peut, par exemple, en un temps extrêmement court abandonner son rôle d’activateur de réaction biochimique. Il est étonnant de voir que des molécules biochimiques n’obéissant qu’aux règles de la physico-chimie soient capables de se coordonner d’un seul coup pour constituer un petit être vivant de façon spontanée. Le développement d’un être vivant à partir de l’œuf fécondé reste le « miracle » naturel fondamental pour chacun d’entre nous. Il est enclenché par des processus génétiques brutaux. Activer ou désactiver un gène, voilà encore une action fulgurante qui est bien distincte de l’action du gène lui-même au sein des rétroactions enchevêtrées de l’organisation des gènes. L’action d’un gène « maître » des gènes homéotiques du développement dans la fabrication d’un organe comme l’œil est une simple commande du type « vas-y » : un lanceur de processus. L’activation de cette commande est brutale et elle ne fait que mettre en marche toute une batterie de gènes faisant partie de chaînes de réactions biochimiques interactives qui ont une action beaucoup plus lente. Le mode interrupteur du gène maître dans la construction de l’être vivant existe dans tous les domaines de la vie, l’activation/désactivation des gènes, le changement de forme spatiale de la macromolécule, l’immunologie, etc… C’est une remarque générale. Les changements ultra-rapides de structure spatiale des macromolécules du vivant expliquent les dynamiques interactives des réactions biochimiques. On y retrouve des mécanismes d’interrupteur qui provoque un saut, comme le relève Vincent Fleury dans « Des pieds et des mains ».

Le phénomène rapide sert d’interrupteur, actionnant et interrompant le phénomène lent. C’est l’interaction entre le lent et le rapide qui règle cette dynamique, du climat au cerveau, de la particule aux espèces vivantes. Jean-Pierre Changeux expose ainsi dans « L’homme neuronal » les multiples interactions en boucle (entre brutal et calme) des phénomènes neuronaux chez l’homme, du phénomène électrique (rapide) et chimique – des neurotransmetteurs – (lent) du neurone qui se reproduisent en cycle donnant le mécanisme spontané d’horloge du neurone, de l’oscillateur du potentiel et de celui du flux : « L’oscillateur de base qui fait fluctuer le potentiel électrique dans l’espace-temps de la dizaine de secondes se compose de deux molécules-canaux. Leur amortissement est lent (secondes) comparé à celle des canaux engagés dans la propagation de l’influx nerveux (millisecondes). (...) Le potentiel de la membrane oscille lentement. Si l’oscillation est d’une amplitude suffisante, (...) une rafale part (...). Des oscillations construites sur le même principe se retrouvent dans la plupart des types de cellules, nerveuses et non-nerveuses. »

La conscience, elle-même, est fondée sur une rétroaction du lent et du rapide. On se souvient que Freud avait opposé conscient et inconscient. Aujourd’hui les spécialistes (neurobiologistes, neurologues, psychanalistes, …) ont plutôt tendance à considérer que Freud avait découvert un mécanisme de la conscience fondé sur l’inhibition consciente de certains sentiments et de certains faits. Le mécanisme de la conscience serait fondé sur des intermittences de conscience rapide et de conscience lente. Les deux sortes seraient interactives. Les travaux sur cette question reposent sur des études de malades dont la conscience est très affaiblie et même, apparemment, inactive (coma ou état de conscience minimale). Ils ont remarqué que, chez ces patients, la conscience rapide restait active et capable d’entraîner des réactions et des interventions actives. Du coup, la distinction entre sujet conscient et non-conscient s’est établie sur la base de la durée de conservation d’un stimulus. Le stimulus que l’on ne conserve que moins d’une seconde est, apparemment, non-conscient, contrairement au stimulus que l’on conserve plus longtemps. Dans « Abstract-Psychiatrie » de novembre 2006, le docteur Raphaël Gaillard cite de nombreux travaux qui vont dans le sens d’une rétroaction du lent et du rapide dans la conscience humaine.

Le sommeil est également un cycle alternant le lent et le rapide dans des phénomènes imbriqués qui s’enclenchent mutuellement à des moments-seuils : « Lors de l’endormissement, les rythmes rapides alpha et bêta, caractéristiques des états de veille, disparaissent pour laisser place à des ondes lentes et de grande amplitude, les ondes gamma, caractéristiques du sommeil « lent ». A intervalles réguliers, environ toutes les 90 minutes, de brefs « orages cérébraux », ou sommeil paradoxal, s’accompagnent de mouvements rapides des yeux et d’une vive érection chez l’homme. (...) L’orage du sommeil paradoxal est d’une violence telle que l’on s’attend à ce qu’il touche les centres moteurs et, par voie de conséquence, cause des mouvements chez le dormeur. En fait, ceux-ci n’apparaissent pas. Ils sont bloqués dans la moelle épinière. » Le sommeil paradoxal est assimilable au délire : « une composante aléatoire s’insère dans le discours comme la formation des mots. » Deux composantes entrent dans le sommeil. Ce sont deux systèmes inhibiteurs. Le premier est système rostral qui agit sur le système réticulaire activateur ascendant et inhibe les structures centrales du tronc (blocage des ondes lentes d’encéphalomésencéphaliques). Le second est le système caudal inhibiteur qui agit sur les ondes gamma. C’est la base de l’activité paradoxale support de l’activité onirique. Cette activité ne peut être provoquée par des variations du milieu extérieur, contrairement au système rostral inhibiteur. L’activation du sommeil est donc fondée sur deux inhibitions, lente et rapide. Il en résulte des phases d’activité lente et rapide du cerveau dans le sommeil. Le biochimiste Ladislas Robert fait la même remarque à propos de la vison dans « Les temps de la vie », l’existence de deux mécanismes, un lent et un rapide, interactifs : « Ainsi pour les réactions visuelles, on a noté deux types de temps de réponse, des réactions précoces, transmises rapidement et des réactions plus lentes, plus soutenues. Ces deux types de réponse temporelle paraissent correspondre à deux voies empruntées par la communication des stimuli visuels (voie dorsale pour les rapides, voie ventrale pour les lents). Le passage d’information concernant les mouvements et les positions spatiales dans le cortex des primates serait rapide ( 28 millisecondes) tandis que le passage des informations concernant la forme, la couleur serait plus lent ( 39 millisecondes). (...) Il existe des interférences et des régulations de type rétroaction négative ou positive (...) ce qui explique le temps de réaction de 200 millisecondes mesurées pour l’homme pour la simple reconnaissance (de visage par exemple) (...). »

La remarque peut, là aussi, être généralisée. Ce qui permet à une action rapide de s’imbriquer au sein d’un phénomène à mouvement lent c’est la petite échelle temporelle de l’intervention qui a une relation avec la petite échelle spatiale des effets. Le phénomène révolutionnaire agit d’abord sur une petite zone avant de prendre un caractère plus large. Il agit donc à un niveau inférieur de la structure, n’active pas les mécanismes protecteurs de celle-ci. Il déplace à grande vitesse un atome de la macromolécule d’hémoglobine dont il change ainsi les propriétés d’affinité à l’oxygène. Au sein d’une espèce, il transforme une petite population localisée dans une zone spécifique. Il agit sur une zone critique lors d’une transition de phase de la matière ainsi que le décrivent Ilya Prigogine et Isabelle Stengers dans « La nouvelle alliance » : « Des cinétiques chimiques non linéaires peuvent conduire, nous l’avons vu, à des structures dissipatives – ces structures proviennent de l’amplification de fluctuations qui appartiennent tout d’abord au niveau microscopique. (...) Au voisinage des points de bifurcation, là où le système a le « choix » entre deux régimes de fonctionnement et n’est, à proprement parler, ni dans l’un ni dans l’autre, la déviation par rapport à la loi générale est totale : les fluctuations peuvent atteindre le même ordre de grandeur que les valeurs macroscopiques moyennes. (...) Plusieurs régimes de fonctionnement différents sont possibles et une fluctuation peut faire sauter un système de l’un à l’autre. Il est intéressant d’examiner d’un peu plus près le mécanisme d’amplification des fluctuations. Une conclusion générale s’impose. La fluctuation ne peut envahir d’un seul coup le système tout entier. Elle doit d’abord s’établir dans une région. Selon que cette région initiale est ou non plus petite qu’une dimension critique (qui dépend notamment, dans le cas des structures dissipatives chimiques, des constantes cinétiques et des coefficients de diffusion) la fluctuation régresse ou peut, au contraire, envahir tout le système. » C’est une question de rapidité relative de l’action et de la réaction du système comme le relèvent les mêmes auteurs : « La taille critique est d’autant plus élevée, et la fluctuation instabilisante est donc d’autant plus rare, que la diffusion qui couple toutes les régions du système – et en particulier la région fluctuante avec son environnement – est élevée. En d’autres termes, plus rapide est la communication dans le système, plus grande est la proportion des fluctuations insignifiantes, incapables de transformer l’état du système : plus stable est cet état. (...) Ce modèle de nucléation peut avoir un sens dans l’étude des phénomènes sociaux. »

Le fonctionnement de la matière est sensible aux petits changements ayant lieu à grande vitesse. Ce n’est pas particulier à la durabilité du noyau atomique. Il est indispensable d’agir vite pour modifier une structure par définition conservatrice. On ne peut pénétrer un matériau lentement et progressivement mais par un choc, par exemple un coup de marteau enfonçant un clou. On ne peut déclencher le fonctionnement d’un briquet sans provoquer une étincelle, mécanisme qui nécessite une action rapide. Une plaque continentale, freinée par le frottement, ne peut se mettre en mouvement que brutalement, du fait, de l’action inattendue d’un petit facteur.

Les physiciens Pierre Bergé, Yves Pomeau et Monique Dubois-Gance développent cette idée de deux rythmes à propos de la tectonique des plaques dans « Des rythmes au chaos » : « Du point de vue mécanique, un tremblement de terre est dû au glissement d’une plaque continentale sur une autre. Chacune de ces plaques est soumise à des contraintes qui tendent à la déplacer (c’est la tectonique des plaques) par rapport aux plaques adjacentes. Les lois du frottement entre plaques sont celles du frottement solide : il faut un seuil de contrainte minimal pour que le déplacement ait lieu. Une fois ce seuil dépassé, le glissement se produit relaxant ainsi la contrainte jusqu’au déclenchement du tremblement de terre suivant. Il y a deux échelles de temps bien distinctes dans ce phénomène : le temps séparant deux tremblements de terre importants, typiquement de l’ordre de la dizaine d’années ou même du siècle, et la durée de ces tremblements, quelques minutes en général. »

Beaucoup ne voient dans la glaciation, la liquéfaction, la vaporisation que des phénomènes lents qu’ils relient à une progression régulière de température. En fait, il y a des sauts à plusieurs échelles, notamment les sauts liés aux interactions des molécules qui peuvent faire passer une zone d’un état à un autre qualitativement différent. Par exemple, la bulle de gaz apparaît brutalement au sein d’un liquide et pas progressivement. Au sein de la matière, d’une réaction physique, chimique ou biochimique, des phénomènes très brefs se produisent, que nous avons tendance à négliger du fait de leur petite taille (dans l’espace et le temps). Nos instruments d’observation, naturels comme artificiels et même conceptuels – y compris nos préjugés sociaux-, nous permettent difficilement de les appréhender. Ce n’est pas seulement une limite de la perception humaine. L’effet d’un phénomène sur n’importe quel récepteur matériel est limité en termes de rythmes. Un phénomène trop court est ignoré. Par exemple, en astrophysique, les sursauts gamma ont été seulement découverts récemment. Par hasard, des satellites espions qui cherchaient à repérer des tests d’explosions nucléaires de l’adversaire pendant la guerre froide sont tombés sur ces émissions inattendues. Leur brièveté n’implique pas une faible importance. Au contraire, elle marque une grande énergie et on vient de montrer qu’ils sont les témoins de collisions de grande échelle entre étoiles à neutron. Les neutrinos, qui n’interagissent presque pas avec la matière puisque nous ne percevons pas le bombardement permanent de millions de neutrinos, témoignent d’explosions encore plus dévastatrices (supernova notamment) Les particules de hautes énergies ne sont pas les premières à avoir été perçues, loin de là. Des particules aux durées de vie de plus en plus courtes sont sans cesse découvertes. On est amené à raisonner sur des particules non discernables car encore plus fugitives, dites particules « virtuelles », pour interpréter les mécanismes. La compréhension des mécanismes de la matière et de l’histoire nécessite de penser les transformations brutales. Un changement d’état nécessite une certaine énergie-seuil mais cela ne suffit pas : elle doit être communiquée suffisamment rapidement pour être concentrée sur une zone suffisamment petite. Voilà un point qui mérite d’être approfondi car il concerne toute dynamique. Celle-ci met toujours en relation une énergie et un temps et jamais l’un sans l’autre. C’est ce qui détermine l’interaction entre électromagnétique et structure matérielle, entre deux particules, entre influx nerveux et neurone, etc. L’énergie et le temps d’interaction doivent avoir des valeurs relatives caractéristiques pour qu’il y ait interaction. Au sein d’un phénomène, seules les interventions rapides peuvent modifier l’état, que ce soit l’état de la particule ou l’état du neurone, ou encore celui de la société. Le rapide interagit avec le lent de façon cyclique. Tout phénomène use de l’énergie et doit donc s’arrêter, ce qui nécessite un autre processus permettant de le bloquer. Tout processus nécessite également une mise en route, c’est-à-dire un processus plus rapide qui l’enclenche : l’étincelle du briquet. Il y a donc une boucle entre processus lent et processus rapide. L’ensemble de la boucle de rétroaction semble ramener le système au point de départ. L’apparente constance du phénomène provient du fait que la phase rapide est quasi instantanée et très difficile à mesurer. Mais surtout la structure « dissipative » des phénomènes rend possible les transitions de phase et le saut d’une structure à une autre. Le caractère contradictoire de la nature, à la fois déterministe et aléatoire, provient de ces discontinuités des transitions rapides.

Des phases brutales insérées dans un phénomène beaucoup plus lent jouent donc un rôle fondamental dans le processus d’existence de la matière, de la conscience humaine et de l’ordre social. Emergence de la matière, de la vie, de la conscience, de l’homme, de la structure sociale sont incompréhensible sans elles. Sans explosions nucléaires dans les étoiles et sans explosions des étoiles elles-mêmes (supernovae), pas de noyaux lourds des atomes. Sans destruction cellulaire, pas de construction du corps. Sans révolution, pas de nouvel ordre social. On ne peut comprendre ce mode de fonctionnement du réel sans y intégrer les changements brutaux. Ils sont les révélateurs de la structure. Sans collisions dans les accélérateurs de particules, on ne connaîtrait pas la structure de la matière comme on ne connaîtrait pas la structure du globe sans les tremblements de terre et on serait incapable de comprendre une société en l’étudiant seulement dans ses phases calmes, en dehors des crises, des guerres et des révolutions. Ces périodes ont une importance qui n’est pas en proportion de leur durée. La rapidité de ces transformations les rend quasi instantanées et presque imperceptibles. On n’est pas conscient du passage des neutrinos ni de la vision des images subliminales – qui ont pourtant un effet démontré sur notre cerveau -, ni de l’audition des ultrasons, pas plus qu’on ne perçoit avec des instruments le passage onde-corpuscule ni les sauts d’états d’une particule ou les mouvements du vide pourtant si énergétiques. Ces derniers ont lieu à des vitesses supraluminiques (ce qui est possible sans violer la loi de la relativité, car ils sont aléatoires), et, du coup, ne sont pas perceptibles. Ils sont cependant attestés par divers phénomènes comme l’intrication ou les phénomènes liés au mélange d’états quantiques.

Si la matière dite « inerte » a un mode fondé sur des chocs, avec transformation brutale et qualitative, que dire de la matière « vivante » ? Le choc que représente l’émission/absorption de photons pour une particule a son équivalent dans les liaisons moléculaires en biochimie. Le processus liaison/séparation des molécules du processus vivant est tout aussi brutal et tout autant une transition de phase c’est-à-dire un changement qualitatif. C’est ainsi qu’une molécule est activée et inhibée, qu’il s’agisse d’une protéine, d’un gène, que celui-ci joue le rôle d’enzyme, d’activateur, d’inhibiteur, de protecteur, etc … C’est l’affinité stéréoscopique qui règle ces liaisons entre molécules. Le mouvement chaotique des molécules est fondé sur le mode des liens très souples, capables de se nouer et de se dénouer très rapidement, avec une dépense minimale d’énergie (liaison non covalente). La nouvelle molécule constituée par liaison ou par séparation n’a pas les mêmes propriétés que l’ancienne. C’est un phénomène fondamental car il règle l’ensemble des liens des cellules qui communiquent par ces molécules, des ADN avec les ARN et les protéines, donc l’ensemble du processus vivant. Les bonds ne sont pas seulement les évolutions des espèces qui apparaissent ainsi comme des bizarreries dans un monde apparemment fixiste. C’est le contraire : la cybernétique des cascades de rétroactions des molécules du vivant produit de la diversité. Le mécanisme ne produit pas des molécules pour une seule espèce mais pour plusieurs potentiellement activables. Ce sont ces mécanismes qui suppriment les variétés inutiles par un mécanisme de régulation piloté par des molécules. Là encore, il y a similitude avec la matière inerte qui n’est pas dans un état mais dans plusieurs à la fois. C’est l’interaction à grande échelle par de multiples rétroactions en cascades qui choisit un état final dans les deux cas : l’état macroscopique de la matière ou le type d’être vivant produit. Ce n’est pas une fixité dérangée par le désordre mais un ordre issu du désordre.

Dans un ouvrage pourtant titré « L’ordre biologique », le biologiste André Lwoff explique que, dans le processus vivant, il y a « nécessité de la variation. S’il est vrai qu’un organisme donne naissance à un organisme identique à lui-même, ce n’est pourtant là qu’une vérité statistique. Si l’être vivant primitif avait toujours donné naissance à un système identique ou rien, la vie aurait probablement disparu (...) la mutation génétique est un changement héréditaire brusque. (...) Bienheureuses donc les mutations ! » Et il développe l’idée que la production d’un organisme est une cascade de répressions et d’inhibitions et non un processus direct de réplication à l’identique. L’ordre est construit sur la base du désordre. Le biologiste Henri Atlan l’exprime ainsi dans « La fin du tout génétique » : « L’effet du bruit est une dimension de l’information portée par la protéine, par rapport à ce qu’elle aurait été si la transmission avait été exacte, c’est-à-dire si la protéine correspondait rigoureusement à l’ADN. » « On commence à s’apercevoir que, dans bien des cas, les gènes structurels qui régulent le développement de chaque individu (gènes homéotiques) ne varient pas significativement d’une espèce à l’autre, même lorsqu’elles sont éloignées et anatomiquement très différentes ; ce qui est crucial, c’est la séquence et le calendrier de l’activation et de la désactivation de ces gènes. » expose le paléoanthropologue Ian Tattersall dans « Petit traité de l’évolution ». Anne-Marie Moulin expose en juillet 2002 pour l’Université de tous les savoirs, à propos de l’immunologie : « Bien loin d’apparaître comme une entité stable et fermée sur elle-même, l’individualité biologique connaît après la naissance un temps fort d’apprentissage, qui déborde probablement la période embryonnaire proprement dite, où les cellules s’exercent à différencier les molécules avec lesquelles elles sont en contact (...) Et ce processus à certains égards se continue tout au long de l’histoire de l’individu, en fonction de son environnement.  » Comment la génétique connue pour être fondée sur l’ADN, une molécule toujours apparemment identique à elle-même, peut-elle être ainsi flexible et dynamique ? Parce que son mode de fonctionnement est fondé sur des rétroactions. « Répétons qu’un gène donné peut produire une protéine qui agira sur d’autres gènes qui agiront sur d’autres gènes qui agiront…, de façon à ce que la morphogenèse soit contrôlée par l’organisme en croissance lui-même (...) Les généticiens se sont amusés à modifier l’organisation du plan (de construction du corps lors de l’embryogenèse), en modifiant les gènes qui commandent les cascades d’événements provoquant la morphogenèse. Il suffit d’agir sur un gène unique pour entraîner une modification énorme de l’animal (...)  » expose le physicien Vincent Fleury dans « Arbres de pierre, la croissance fractale de la matière ». Pourquoi un physicien expose-t-il les cascades de rétroactions de la vie ? Parce qu’elles caractérisent les systèmes de croissance dans la matière, inerte comme vivante. Nous trouvons ces cascades de rétroaction du vide à la vie en passant par la particule et la matière macroscopique (des cristaux aux tas de sable).

Le lien entre vivant et non-vivant est à chercher dans ces liaisons dynamiques entre molécules de la biochimie. Les propriétés étonnantes des macromolécules du vivant sont fondées là-dessus. Les liaisons non-covalentes ont la capacité de se nouer et de se dénouer à une grande vitesse. Cela provient de la grande vitesse de transformation de la molécule qui favorise cette réaction, appelée enzyme. L’intervention d’une enzyme produit un cycle puisque, généralement l’un des produits de la réaction inhibe l’enzyme. La réaction plus lente est donc enserrée entre deux interventions rapides, des inhibitions. Le biochimiste Ladislas Robert rappelle dans « Les temps de la vie » : « L’activité d’un biocatalyseur ou enzyme se mesure « dans le temps », le plus souvent pendant des durées courtes (...) » Et il remarque pourtant que « La description des processus métaboliques paraît souvent intemporelle dans les traités de biologie et de biochimie. » Il souligne ainsi trois niveaux hiérarchiques emboîtés des mécanismes génétiques correspondants à trois niveaux de vitesse d’action : « Quant aux réactions épigénétiques, la synthèse et le finissage des macromolécules, leur intégration dans des membranes ou leur exportation dans l’espace extra-cellulaire (...) relèvent du domaine temporel intermédiaire, entre celui des domaines génétiques (plus lent) et des oscillations métaboliques et des réactions physicochimiques (beaucoup plus rapides). Pour caractériser le comportement temporel d’une réaction, on utilise souvent son temps de relaxation. C’est le temps nécessaire pour que la réaction puisse se rééquilibrer après une perturbation (...) Pour les réactions métaboliques, ce temps de relaxation est de l’ordre de deux minutes. Pour les réactions épigénétiques, le temps de relaxation se situe dans l’intervalle (...) d’une minute et demi à trois heures (...). D’autres réactions beaucoup plus rapides comme la fixation d’un ligand sur une protéine ou les modifications de l’acidité d’un milieu se jouent en millisecondes. » En changeant de forme ou en se liant à une autre molécule extrêmement rapidement, la molécule enzyme cause une bifurcation dans les réactions chimiques et biochimiques.

Au départ, l’enzyme est présente mais inhibée. Elle est activée par inhibition de l’inhibition. C’est une action rapide consistant en une modification de la forme stéréoscopique de la molécule, un infime mouvement, parfois d’un seul atome. Ainsi que Jean-Louis Martin expose la femto-biologie (biologie du vivant étudiant les changements de l’ordre de la femtoseconde = un milliardième de millionième de seconde), lors de l’Université de tous les savoirs de juillet 2000, dans son intervention intitulée « La vie des molécules biologiques en temps réel », « Linus Pauling a proposé que le rôle des enzymes est d’augmenter la probabilité d’obtenir un état conformationnel à haute énergie très fugace ou, en d’autres termes, de stabiliser l’état de transition, c’est-à-dire l’état conformationnel conduisant à la catalyse. (...) Le préalable à la compréhension du fonctionnement des enzymes est donc la caractérisation des états de transition. » Ce mécanisme est à la base des grandes capacités du vivant : « A l’évidence le système biologique n’explore pas l’ensemble de l’espace conformationnel. Le coût entropique serait fatal à la réaction … et à l’organisme qui l’héberge. » Il montre qu’il y a une « sélection de chemins réactionnels spécifiques » : « Le fonctionnement des macromolécules biologiques – protéines, acides nucléiques – est intimement lié à leur capacité à modifier leurs configurations spatiales lors de leurs interactions avec des entités spécifiques de leur environnement, y compris avec d’autres macromolécules. Le passage d’une configuration à une autre requiert en général de faibles variations d’énergie, ce qui autorise une grande sensibilité aux variations des paramètres de l’environnement, associée à une dynamique interne biologique s’exprimant sur un vaste domaine temporel. » Si l’ensemble de la réaction biochimique est lente, elle s’appuie sur des changements très rapides de la forme de la macromolécule. L’auteur donne l’exemple de l’hémoglobine, molécule que l’on trouve dans les globules rouges et qui fixe l’oxygène, dont l’action initiale est liée à un changement ultra-rapide de conformation spatiale d’un site localisé de la molécule et « qui s’effectue à la vitesse d’une onde acoustique. En 100 femtosecondes, la perturbation initiale est donc essentiellement localisée au site actif. Nous sommes au tout début du séisme moléculaire.  » La rupture entre un oxygène et un site de fixation de la macromolécule est liée à l’existence de deux configurations spatiales possibles de la molécule. « Le premier événement est le déplacement du fer (...) en 300 femtosecondes. Cet événement ultra-rapide dans la réaction de l’hémoglobine avec l’oxygène. (...) Un événement ultra fugace et à l’échelle nanoscopique a donc un retentissement au niveau des grandes régulation physiologiques : ici l’oxygénation des tissus. » Ensuite, il y a « propagation de ce séisme initial au sein de la structure. ». Ce ne sont ni les mêmes processus, ni les mêmes règles qui s’appliquent dans la phase ultra rapide et dans la phase plus lente qui suit. L’impression globale d’une progression graduelle est une moyenne qui efface le changement et transforme la phase de stagnation en progression lente. Jean-Louis Martin écrit ainsi : « Une réaction biochimique est généralement lente non pas comme conséquence d’événements intrinsèquement lents, mais comme le résultat d’une faible probabilité avec laquelle certains de ces événements moléculaires peuvent se produire. (...) Il semble inévitable que les changements ultra-rapides dans les systèmes biologiques reçoivent désormais une attention accrue. » (Université de tous les savoirs) La revue « Pour la science » de septembre 2000 expose ainsi l’expérience menée par Jean-Louis Martin : « Lors d’une réaction enzymatique, une molécule nommée substrat se lie au site actif d’une enzyme. Pendant un bref instant, l’enzyme et le substrat se modifient et adoptent une nouvelle conformation. Puis le substrat transformé chimiquement par cette interaction est libéré ; l’enzyme se retrouve dans son état initial, la réaction est terminée. Lors de cette courte étape intermédiaire, le complexe enzyme-substrat est dans un état dit de transition pendant quelques centaines de femtosecondes (millionième de milliardièmes de seconde), le complexe évolue alors selon les vibrations des atomes et la probabilité de réarrangements des électrons. » Ces progrès de la compréhension du fonctionnement du vivant ont été permis par le progrès technique. Comme le rapporte « Pour la science » de septembre 2000, « Naguère la thermodynamique était le seul moyen, peu efficace, d’étudier les états de transition. Grâce aux lasers femtoseconde, les biochimistes photographient des états de transition des réactions enzymatiques qu’ils étudient depuis des années. »

La vie se comporte sans cesse comme un oscillateur lent couplé à un oscillateur rapide. Que le biochimiste Ladislas Robert appelle « la lente danse de la vie sur la musique du temps » : « couplage entre les réactions de production d’ATP (rapides) et les mécanismes de production et de consommation d’énergie par l’appareil de synthèse protéique », « couplage de l’activité mitochondriale de la production d’énergie et de son utilisation pour les activités biosynthétiques de la cellule. Le « flûtistes » des biosynthèses oblige les danseurs mitochondriaux à ralentir leur rythme pour s’adapter au rythme plus lent de l’activité des ribosomes, site de synthèse des protéines. »

On constate le même mode de transformation, changement brutal suivi d’une évolution à plus grande échelle mais beaucoup plus lente, dans toutes les transformations de la matière. De tels changements ultra-rapides n’ont pas seulement été négligés en catalyse et pour les réactions biochimiques. La physique quantique n’est rien d’autre que la prise en compte de phénomènes se déroulant sur des temps très courts et la remarque, très dérangeante, que des processus très différents dans leurs règles s’y déroulaient. Son application à l’étude du vide en relation avec la matière a mis en évidence des particules dites virtuelles qui ont une existence très fugitive. Par exemple un muon virtuel va intervenir durant 10-24 secondes, un Zo en 10-25 secondes et un W virtuel durant 10- 27 secondes, temps qui correspondent aux durées des collisions entre particules de hautes énergies au sein des collisionneurs, comme le rappelait Daniel Treille dans sa conférence de l’Université de tous les savoirs de juillet 2000. Or, nombre de phénomènes de la matière sont déclenchés ainsi de façon ultra-rapide et apparemment aléatoire comme l’émission d’un photon par une particule ou le déclenchement d’une réaction nucléaire par un noyau radioactif. Un parallèle mérite d’être fait avec d’autres domaines. Rappelons la remarque que nous avions faite selon laquelle la croissance de l’être humain comme de se conscience s’avèrent ne pas être une lente progression mais de très courtes phases de changement brutal suivies de longues stases. Et les sauts très rapides ont lieu de façon apparemment contingente, sans périodicité. Nous retrouvons ici l’idée d’événement, de séisme à petite échelle qui se propage à grande échelle. Elle est déterminante pour renoncer à l’ancienne conception gradualiste.

Les changements radicaux représentent une part infime du temps du phénomène sur lequel ils interviennent. Leur importance est disproportionnée par rapport à leur place temporelle dans l’histoire. Les phases rapides de transformation construisent des structures intermédiaires qui sont détruites immédiatement et n’apparaissent pas dans l’ordre finalement produit. L’examen de l’état de l’étoile ou de la galaxie n’indique pas plus son mode de formation que la seule observation d’une cathédrale ou d’un mégalithe. La construction est un processus différent de la conservation. On ne peut pas comprendre le mécanisme de la révolution qui a donné naissance au pouvoir de la bourgeoisie en examinant le mode de fonctionnement du capitalisme. La seule observation de la structure ultime ne suffit pas à retrouver le mode du changement, les étapes ou les moyens qu’il a employé pour y parvenir. Quand les sauts brutaux ont lieu en permanence, ils donnent à l’observation un caractère statistique qui ne peut être décrit par un seul objet ou un seul état, du fait de la grande vitesse et du grand nombre des changements. La physique quantique s’intéresse aux actions à temps très court. La meilleure preuve n’en est-elle pas le temps-seuil de Planck qui, rappelons le, vaut un cent millionième de milliardième de milliardième de milliardième de seconde. Inutile de dire que l’expérience qui mesurera ce temps n’est pas encore à notre portée et qu’il ne s’agit que d’un produit des équations. Il marque à quel point les marques fondamentales de l’univers sont brutales.

On retrouve ce caractère explosif dans le domaine du vivant. Ainsi, Jean-Pierre Changeux décrit ainsi les processus neuronaux : « Le déclenchement de l’influx nerveux résulte de la perméabilité de la membrane aux ions sodium. Le potentiel électrique commande cette ouverture de la membrane lorsqu’il franchit une valeur-seuil, il démasque des canaux au travers desquels les ions sodium s’engouffrent de « manière explosive » à l’intérieur de la cellule (...). Ce passage des ions sodium entraîne un courant électrique, et donc un changement de potentiel. En moins d’un dixième de milliseconde, le signal nerveux se déclenche. (...) Le neurone est un oscillateur fondé sur des rafales de décharges électriques discrètes. Il s’agit d’une activité spontanée, une respiration de la cellule. » Jean-Pierre Changeux généralise la remarque : « Des oscillations ne peuvent apparaître dans un système thermodynamique s’il est fermé, mais seulement s’il est ouvert et échange en permanence de l’énergie avec le monde extérieur. (...) Concrètement cela se produit lorsque des réactions se développent dans le temps de manière « explosive » et lorsque des couplages entre réactions s’établissent, par exemple à la suite d’une rétroaction entre le produit final d’une chaîne de réactions et la réaction d’entrée. Le déclenchement explosif de l’influx nerveux satisfait évidemment à cette condition de non-linéarité. (...) Le potentiel de membrane oscille lentement. Si l’oscillation a une amplitude suffisante pour que le potentiel de membrane franchisse le seuil de déclenchement de l’influx nerveux, une rafale part à la crête de chaque oscillation lente. » Le fonctionnement neuronal est un très bon exemple de la dialectique du lent et du vif. La réception est lente et l’émission est rapide. La nécessité de deux phénomènes imbriqués provient du nécessaire retour du récepteur à l’état de départ. Sans cesse, on trouve un processus rapide servant d’interrupteur à un processus beaucoup plus lent. On vient de le voir avec l’évolution du potentiel de membrane et le déclenchement de la rafale de l’influx. On le remarque aussi avec l’interaction du fonctionnement électrique et du fonctionnement chimique du neurone. La cellule nerveuse produit et reçoit des produits chimiques, les neurotransmetteurs qui agissent en rétroaction de l’influx nerveux. Comme le rapporte Changeux, « L’encéphale de l’homme se présente à nous comme un gigantesque assemblage de dizaines de milliards de « toiles d’araignées » neuronales enchevêtrées les unes aux autres et dans lesquelles « crépitent » et se propagent des myriades d’impulsions électriques prises en relais ici et là par une riche palette de signaux chimiques. » C’est le cas, par exemple, de l’acétylcholine à la liaison entre la fente synaptique du neurone et le muscle strié. Le processus chimique est beaucoup plus lent. Jean-Pierre Changeux l’expose ainsi : « L’espace synaptique est plus de dix fois plus large (20 à 50 nanomètres) que celui de la jonction électrique. (...) L’espace synaptique et son action sur la membrane du muscle prennent du temps. Un délai en résulte, évidemment plus long que celui observé dans une transmission électrique. (...) Près de trois millions de molécules d’acétylcholine s’accumulent pendant un temps très bref, moins d’une milliseconde dans la fente synaptique (...) A l’impulsion électrique succède une impulsion chimique. (...) La libération de l’acétylcholine par l’influx nerveux réalise la conversion du signal électrique en signal chimique. L’ouverture des canaux ioniques constitue l’étape inverse : la conversion du signal chimique en signal électrique. » La rétroaction du lent et du bref constitue un cycle. Le processus est le suivant : synthèse de l’acétylcholine par la terminaison nerveuse. à libération de l’influx nerveux à diffusion dans la fente synaptique à action sur la membrane du muscle à destruction de l’acétylcholine. Les mécanismes cérébraux manifestent de la même rétroaction du lent et du rapide. Le sommeil profond correspond à l’activité lente corticoencéphalo-mésencéphalique, à l’activité rapide monoencéphalique et aux pointes d’activité rapide de l’hippocampe ventral.

Comme on le remarque, dans ces rétroactions, il y a construction et destruction imbriquées à l’infini. La source de ces phénomènes est à rechercher dans l’imbrication de l’ordre et du désordre, comme on va le voir par la suite. Expliquons en sommairement la raison. Tout structure, tout ordre, nécessite un temps de transmission, un temps de protection et de destruction de ce qui serait étranger à cet ordre. Une action plus rapide que ce temps permet de passer outre. Du coup, c’est le désordre sous-jacent qui peut s’exprimer. La raison fondamentale est l’ordre fondé sur le désordre. Donnons en un exemple simple. Prenons comme action rapide le développement d’une cassure ou d’une fissure. Chacun aura remarqué que la fissure se développe de façon non linéaire mais selon un chemin aléatoire. Cette marche apparemment au hasard est due à l’action de l’élément de désordre sous-jacent. Cette remarque peut aisément être généralisée. On verra ainsi qu’un choc thermique, radiatif ou chimique permet un changement d’espèce en agissant trop brutalement pour laisser les mécanismes protecteurs du vivant (protéines chaperons) agir. Ainsi, les modifications potentiellement présentes peuvent s’exprimer. Leur présence montre que l’ « ordre génétique » était fondé sur le désordre. La variation était présente au sein même de l’espèce apparemment fixe. Le choc n’a fait qu’agir comme activateur des potentialités multiples. Inversement, la destruction que peut représenter le choc thermique va agir comme bâtisseur d’un nouvel ordre. Ce choc explique le fameux « mystère des origines ». L’origine d’une structure nouvelle est à chercher à la fois dans le phénomène lent et dans le phénomène rapide, ainsi que dans leur mécanisme d’interaction. Or, si on trouve des traces du phénomène lent, le phénomène rapide n’a pas eu le temps d’en laisser. De sorte que restent des « mystères » la naissance d’une cité, la naissance de l’homme, la naissance de la conscience ou la naissance d’un nouveau pouvoir.

Dans ce chapitre, nous avons voulu discuter l’aspect de la rythmologie (lent/rapide) mais il convient également de remarquer le caractère contradictoire au sens dialectique qui caractérise la liaison des deux phénomènes. Le rapide interrompt ou enclenche le lent. C’est de cette manière que les deux peuvent s’inhiber, s’activer, se combiner, s’amplifier, se complexifier. Au sein de la dynamique, on ne s’aperçoit pas de la contradiction des deux et pourtant, sans elle, pas de dynamique possible.

"Les enzymes consommant de l’énergie (ATP) seraient activées à des valeurs élevées en charge d’adeylique, par l’ATP et inhibées par un excès d’ADP et AMP. (...) Ces oscillations métaboliques pourraient représenter une des horloges élémentaires de la cellule. Il apparaît que ces oscillations sont à leur tour "entraînées" par d’autres rythmes, plus lents caractérisant le domaine épigénétique de la cellule - biosynthèse des macro-molécules, leurs interactions - comme le suggère les travaux sur les amibes de Lloyd et Edwards. (...) Le couplage étroit des réactions rapides et lentes, médié par des cofacteurs et métabolites intermédiaires permet ainsi à la cellule d’ajuster ses oscillations métaboliques à la demande énergétique au lieu de suivre sa capacité maximale de génération d’énergie. (...) Certaines horloges peuvent être synchronisées, "entraînées" sur un rythme compatible avec la survie optimale de la cellule ou de l’oganisme, d’autres phénomènes suivent un rythme fortement dépendant de facteurs intrinsèques comme par exemple l’utilisation du glucose pour générer l’énergie indipensable à la vie ainsi que son action délétère sur les protéines de structure."

Ladislas Robert dans "Le temps et sa flèche"


[1Certains voient même dans la transformation dialectique un passage du continu au discontinu.

[2Etudié par Jean Sammartin Losada dans l’article « La physique de l’encensoir » dans le dossier « Le chaos » de la revue « Pour la science » de janvier 1995.

[3On croit souvent qu’un phénomène continu et périodique permet de définir le temps. En fait, au cours d’un tel phénomène, on serait bien en peine de dire où on se situe puisque toutes les périodes se ressemblent à l’identique. On pourrait répondre que l’on sait où on se situe à une période près et que l’on définit au moins le temps de durée d’une période. Seulement la durée n’est pas le temps et se situer à une période près n’a d’intérêt qu’à une certaine échelle du temps. Un instant réel appartient à toutes les échelles du temps et non à une seule et ne peut être définie par rapport à une seule.

[4« Les éléments radioactifs sont comme des horloges » écrit ainsi John Barrow dans « Les constantes de la nature ».

[5Max Planck expliquait, dans « Initiation à la physique », pourquoi il ne comptait pas céder à la pression de l’opinion courante selon laquelle la découverte du quanta entraînait un renoncement à la notion de causalité mais seulement à son changement de signification : « A l’heure actuelle, il y a des physiciens qui seraient très portés à retirer au principe de causalité strict son rôle dans le système physique de l’univers. (...) Mais, autant que je puis m’en rendre compte, il n’y a, pour le montent, aucune nécessité de se résigner à l’indéterminisme. (...) Il est toutefois certain que cette façon d’envisager le déterminisme diffère quelque peu de celle qui était habituelle en physique classique. »

[6Michel Bitbol explique dans « En quoi consiste la révolution quantique »
« Le déterminisme, tout d’abord, peut être défini en première analyse comme une doctrine affirmant l’universalité des relations causales. (…) nous pouvons exposer les raisons qui ont poussé plusieurs créateurs de la mécanique quantique à affirmer qu’elle marque l’avènement d’une physique indéterministe. Les deux raisons principales sont le succès de l’interprétation probabiliste de la fonction d’onde proposée par Max Born en octobre 1926, et la formulation par Heisenberg de ses relations dites d’« incertitude » ou d’« indétermination » au début de 1927. Selon Born tout d’abord, « (...) la mécanique quantique de Schrödinger donne une réponse précise à la question de l’effet d’une collision, mais il ne s’agit pas d’une relation causale. On ne répond pas à la question quel est l’état après la collision mais quelle est la probabilité d’obtenir un effet donné après la collision (...) Ici se pose tout le problème du déterminisme. Du point de vue de notre mécanique quantique, il n’existe pas de grandeur qui, dans un cas particulier, déterminerait causalement l’effet d’une collision ». Quant à Heisenberg, sa remarque cruciale était la suivante : « Ce qui a été réfuté dans la loi exacte de causalité, selon laquelle quand nous connaissons le présent avec précision, nous pouvons prédire le futur, ce n’est pas la conclusion mais l’hypothèse ». Autrement dit, ce qui a été réfuté par les relations dites d’« incertitude », c’est la possibilité de connaître l’état présent avec une précision arbitrairement bonne. S’appuyant sur cette proposition, Heisenberg se croyait autorisé à affirmer en fin de parcours que « (...) la mécanique quantique établit l’échec final de la causalité » .
Si l’on regarde ces textes fondateurs de près, cependant, le moins qu’on puisse dire est que la conséquence indéterministe qu’ils proclament ne découle pas des prémisses qu’ils posent. Max Born s’en rendait assez bien compte lorsqu’il soulignait, dès son article de l’automne 1926, que l’absence de conditions déterminantes décrites par la mécanique quantique n’implique pas par elle-même que de telles conditions ne pourront jamais être découvertes. « Je serait d’avis quant à moi, écrit-il, de renoncer au déterminisme dans le domaine de l’atome. Mais ceci est une position philosophique, pour lesquels les arguments physiques à eux seuls sont insuffisants ». Heisenberg, lui, était plus catégorique dans son assertion indéterministe, mais dès 1929 un philosophe allemand appelé Hugo Bergmann lui faisait remarquer à juste titre que son raisonnement était incorrect sur le plan de la simple logique. « Une implication logique, soulignait-il, n’est pas réfutée si l’on se contente de prouver que sa prémisse est incorrecte ». En d’autres termes, le fait qu’en vertu des relations de Heisenberg on ne puisse pas disposer au sujet de l’état présent de toutes les informations qui seraient nécessaires pour prédire exactement l’état futur, n’interdit pas de penser que si on disposait de ces informations, on pourrait faire une prédiction exacte. Cette critique du processus déductif de Heisenberg a été reformulée indépendamment, par bien d’autres auteurs, comme A. Kojève et par E. Cassirer. Au fond, les assertions de Born et de Heisenberg laissaient libre cours à l’idée ou au rêve d’une théorie de processus déterministes sous-jacents, par rapport auxquels l’indéterminisme associé à la mécanique quantique n’aurait à être considéré que comme la manifestation superficielle d’une imperfection de nos instruments de mesure. Toutes les argumentations de ces auteurs et de leur école de pensée allaient donc prendre pour cible le statut épistémologique, ou la simple possibilité, de ces « théories à variables cachées » qui prétendent recouvrer un déterminisme descriptif sous la surface de l’indétermination expérimentale. Critique épistémologique, d’abord, lorsque les membres de l’« école de Copenhague » présentent les proclamations déterministes des partisans des théories à variables cachées comme métaphysiques puisque expérimentalement inaccessibles. Comme l’écrit Kojève, la véritable leçon que l’école dominante en physique quantique nous pousse à tirer de ses réflexions n’est pas que la fausseté du déterminisme est désormais établie ; elle est plutôt que « (...) l’idée classique du déterminisme causal n’est ni vraie ni fausse mais simplement dénuée de sens physique ». (…) L’évolution des vecteurs d’état de systèmes fermés est en effet régie par une équation aux dérivées partielles strictement déterministe : l’équation de Schrödinger. L’affirmation habituelle selon laquelle « la mécanique quantique est indéterministe » doit donc être nuancée. Il est vrai qu’elle établit un lien seulement probabiliste entre groupes d’événements expérimentaux, mais elle le fait à travers des entités théoriques régies par une loi déterministe. »

[7Les ouvrages de cinétique chimique en sont pleins. Par exemple, la réaction de la chlorine et du chloroforme : Cl2 + CHCl3 ( HCl + CCl4 est un bilan global qui se décompose en fait en un équilibre Cl2 ( ( 2 Cl ainsi qu’une réaction lente Cl + CHCl3 ( HCl + CCl3 couplée avec une réaction rapide CCl3 + Cl ( CCl4

Messages

  • C’est la rétroaction du lent et du vif qui donne cette illusion si classique de continuité interagissant avec la discontinuité. En réalité, les discontinuités à une échelle ne sont pas percpetibles à une autre échelle et l’interaction d’échelle est un phénomène fondamental...

    • « Un comportement transitoire particulièrement riche apparaît lorsque dans un système une évolution rapide succède à une période de mouvement lent. On peut obtenir un comportement de ce type si le système est placé au départ dans un état instable ou marginalement stable. Il existe également une autre possibilité (...) un régime d’induction caractérisé par une très faible vitesse de la variable pertinente se trouve brutalement interrompu par une violente explosion déclenchée à un instant caractéristique (combustion, réactions autocatalytiques, lasers). »
      Prigogine et Nicolis dans « A la recherche du complexe »

      « Concrètement cela se produit lorsque des réactions se développent dans le temps de manière « explosive » et lorsque des couplages entre réactions s’établissent, par exemple à la suite d’une rétroaction entre le produit final d’une chaîne de réactions et la réaction d’entrée. Le déclenchement explosif de l’influx nerveux satisfait évidemment à cette condition de non-linéarité. »
      Jean-Pierre Changeux dans « L’homme neuronal »

  • Que signifie les expressions sur le communisme « bien creusé, vieille taupe » et « le spectre du communisme » employées par Karl Marx ?

  • En fait, c’est une référence littéraire à une phrase de Shakespeare dans « Hamlet », alors que le fantôme (le spectre !) parle à Hamlet, ce dernier lui répond.

    « Le spectre de dessous la terre : - Jurez !

    Hamlet : Bien dit, vieille taupe ! Comment peux-tu donc travailler aussi vite sous terre ! L’excellent pionnier ! »

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