ALGÉRIE
Les grèves continuent à se multiplier : hospitaliers, médecins, paramédicaux, fonction publique, postiers travailleurs de Tonic, d’Arcelor-Mittal de Tébessa, enseignants secondaire et technique, média, boulangers, université, travailleurs communaux et on en passe...
SYRIE
Les protestataires syriens avaient intitulé cette journée de manifestation « al-jomaa al-azim », littéralement « le grand vendredi », en fait une référence au vendredi saint, célébré par les chrétiens. Il s’agissait d’un appel du pied à la communauté chrétienne, qui pour l’instant reste très en retrait de la contestation. Sensibles à la propagande du régime, qui accuse les agitateurs d’être infiltrés par des extrémistes islamistes, et craignant de faire les frais d’un chaos généralisé à l’irakienne, les chrétiens syriens ne manifestent pas. Tout comme la communauté alaouite, une minorité d’obédience chiite, dont est issue la famille Assad, au pouvoir depuis 1970, ainsi que les plus grandes fortunes et les chefs des services de sécurité. Quant aux Kurdes, ils hésitent à s’engager franchement, de peur de faire, les premiers, les frais de la répression, d’autant que le pouvoir a promis de délivrer des papiers d’identité à quelque 250 000 d’entre eux, privés de nationalité depuis les années 60.
Test. Malgré ces hésitations et ces craintes, qui touchent de larges pans de la société syrienne, la mobilisation ne faiblit pas. Encore intermittente, sautant depuis le 15 mars d’une ville à l’autre, elle ne cesse pourtant de gagner en nombre et en force. Cette journée de vendredi s’annonçait comme un test à double titre. Les protestataires allaient-ils être impressionnés par la répression sans précédent qui s’est abattue le week-end dernier sur les manifestants de Homs, qui avaient entrepris d’occuper pacifiquement la place principale de la troisième ville du pays ? Les quelques concessions faites par le régime dans la foulée allaient-elles éteindre l’incendie ? Le président Bachar al-Assad a abrogé jeudi l’état d’urgence, en vigueur depuis 1963. Mais son ministre de l’Intérieur a aussitôt précisé que les manifestations n’avaient « plus lieu d’être » et qu’elles étaient désormais « strictement interdites ». Cette ouverture en trompe-l’œil semble être le maximum que le régime est disposé à concéder.
Logiquement donc, la contestation n’a pas faibli. Elle a touché la province de Deraa, où tout a commencé le 15 mars. Mais aussi les villes de Homs, Hama, Lattaquié, Banias, Qamichlé et Hassaké en zone kurde, et même Ougarit ou Rakka. La banlieue proche et lointaine de la capitale, Damas, a été très agitée, notamment les localités de Douma et Daraya, où les manifestants ont déboulonné les statues de Hafez al-Assad, le père du président actuel, mais aussi les quartiers périphériques de Barzeh, Harasta et Maadamiya.
Surtout, pour le deuxième vendredi consécutif, une manifestation a eu lieu au centre de Damas. Elle a démarré à la sortie de la mosquée al-Hassan, dans le quartier de Midan, dirigée par un cheikh appartenant à une famille antibaassiste. Empêchés de manifester à la grande mosquée des Omeyyades, les protestataires de la capitale se sont donc donné rendez-vous dans celle-ci, avant de sortir dans la rue. Des images vidéo d’amateurs les montrent défilant sous un pont routier avant d’être dispersés par des tirs de gaz lacrymogènes. La police aurait tiré à balles réelles, causant deux à quatre morts selon les sources. Le bilan total de la journée oscille entre 40 morts selon l’AFP, et 70 selon Al-Jezira International. Il est très difficile à établir étant donné les restrictions de déplacement et refus de visas opposés aux médias étrangers. De toute façon, un tel bilan fait de ce « vendredi saint » la journée la plus sanglante depuis le début de la contestation. Les incidents les plus graves ont eu lieu à Ezra, dans le sud du pays, où 14 manifestants ont été tués devant la mairie.
Plusieurs enseignements se dégagent de la mobilisation de vendredi. D’abord, la contestation est de plus en plus simultanée : elle touche plusieurs grandes villes en même temps, même si Alep, la grande métropole du Nord et deuxième ville du pays, reste assez préservée, et si les manifestations restent embryonnaires à Damas.
Paysans. Deuxièmement, la révolte, en gagnant Damas, commence à toucher des classes sociales plus aisées. Jusqu’à présent, les plus défavorisés, notamment les paysans, frappés de plein fouet par la sécheresse qui sévit depuis deux ans, et les urbains paupérisés par la spéculation immobilière, avaient constitué le moteur de la contestation. Le soulèvement de Homs a changé la donne : toute la ville y a pris part, d’où la violence de la réaction du régime.
A Damas, la classe moyenne supérieure et les commerçants du souk n’ont pas encore basculé dans la contestation. Manifester dans la capitale reste un tabou absolu pour le régime. Si la répression devait y prendre un tour trop sanglant, si le cycle infernal des enterrements-manifestations devait s’y dérouler aussi, la protestation pourrait prendre une autre dimension. Ne serait-ce que par solidarité confessionnelle sunnite. Autre signe inquiétant pour le pouvoir, les slogans appellent de plus en plus à « la chute du régime ».
La répression de manifestations vendredi et samedi en Syrie a fait au moins 120 morts, selon un nouveau bilan annoncé par une organisation syrienne de défense des droits de l’Homme. Les dernières violences ont conduit deux députés à présenter leur démission, chose extrêmement rare dans le pays.
Selon Ammar Qourabi, président de l’Organisation nationale pour les droits de l’Homme, 112 personnes ont été tuées vendredi et au moins huit samedi. Ce bilan fait de vendredi la journée de loin la plus sanglante depuis le début du mouvement de contestation contre le pouvoir de Damas à la mi-mars. Plus de 300 personnes ont trouvé la mort en cinq semaines, selon des militants démocrates et des ONG.
Les forces de sécurité ont ouvert le feu à balles réelles et fait usage de gaz lacrymogène vendredi pour disperser des dizaines de milliers de personnes manifestant contre le régime du président Bachar el-Assad, notamment à Homs (centre) et à Izraa (sud), selon des témoins. Elles ont à nouveau tiré samedi alors que des milliers de personnes étaient rassemblées notamment à Douma, dans la banlieue de Damas, et à Izraa pour les funérailles des protestataires tués la veille.
Ces informations ne pouvaient être confirmées de source indépendante, la Syrie ayant expulsé les journalistes étrangers et restreint l’accès aux sites des manifestations.
Les dernières violences ont conduit deux députés à annoncer leur démission. Nasser Hariri et Khalil Rifaï sont tous deux originaires de Deraa, cette ville du sud du pays d’où est parti le mouvement de contestation. "Si je ne peux pas protéger la poitrine de mon peuple de ces tirs de traîtres, alors rien ne justifie que je reste au Conseil du peuple. Je donne ma démission", a déclaré M. Hariri dans un entretien à la chaîne Al-Jazira.
Les démissions d’hommes politiques sont extrêmement rares en Syrie, régime autocratique où la grande majorité des opposants sont soit en prison, soit en exil.
A Paris, le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé a dénoncé samedi une "répression aveugle et brutale" qui "contredit la levée de l’état d’urgence", annoncée dans la semaine par le gouvernement syrien. "La France condamne les violences extrêmes exercées par les forces de sécurité syriennes", a déclaré le chef de la diplomatie française dans un communiqué. "Les responsables et les auteurs de ces crimes devront répondre de leurs actes".
Vendredi soir, le président américain Barack Obama avait estimé que l’usage "scandaleux" de la force contre les manifestants devait "cesser maintenant".
Le régime syrien a levé cette semaine l’état d’urgence, en vigueur dans le pays depuis 1963, une des principales demandes des manifestants. Le fils dB’Hafez el-Assad avait en revanche prévenu qu’une fois cette mesure prise, il n’y aurait plus d’"excuse" pour les manifestants et que tout mouvement de contestation serait considéré comme du "sabotage" de l’Etat.
YEMEN
Image symbolique au Yémen… Un groupe de militaire a rejoint les manifestants qui réclament la démission du président Saleh depuis le 27 janvier.
A Sanaa, ils étaient encore plusieurs milliers ce samedi à protester.
La grève générale a été très suivie dans l’ensemble du pays. Mais, tout ne s’est pas passé sans heurt.
A Aden, dans le sud, deux jeunes manifestants ont été blessés par des tirs de l’armée alors qu’ils tentaient de dresser une barricade.
Malgré le danger, les femmes veulent faire partie du mouvement. Tous les jours ou presque, elles se regroupent dans les manifestations :
“Je pense que le président Saleh n’a aucune chance d‘échapper à la justice. Il rêve, il ne restera pas jusqu’en 2013. Nous combattrons, et si les jeunes veulent le chasser sans les femmes, nous ne leur pardonnerons pas.”
“Si Dieu le veut, dans une semaine, nous le forcerons à quitter le pouvoir. Nous resterons là, la jeunesse est très enthousiaste, il ne restera pas.”
Hier ont eu lieu les plus importantes manifestations jamais organisées contre le régime.
Le président Saleh a accusé l’opposition de conduire le pays vers la guerre civile.
Il n’a toujours pas accepté le plan de transition politique des pays du Golfe, même s’il dit l’accueillir positivement.
Le Conseil de coopération du Golfe (CCG) a proposé la formation d’un gouvernement d’union nationale, puis un transfert des prérogatives par le chef de l’Etat au vice-président et un arrêt des manifestations.
Le président présenterait ensuite sa démission au Parlement dans les 30 jours, puis un président intérimaire et le cabinet organiseraient une élection présidentielle dans les 60 jours.
Cette proposition de sortie de crise lui accorde aussi l’immunité après son départ du pouvoir. Les comités de contestataires n’en veulent pas.
L’opposition a fait savoir aujourd’hui qu’elle exigeait le départ de Saleh avant la formation du gouvernement d’union nationale, arguant qu’elle ne prêterait pas serment devant lui et ne servirait pas sous son autorité.
OMAN
Trois milliers de manifestants ont défilé dans les rues de la ville portuaire de Salalah, dans le sud du sultanat d’Oman, après les prières du vendredi.
Il s’agit d’une des plus importantes manifestations en faveur de réformes depuis le début de la contestation dans le sultanat, voici deux mois.
Au lieu de diriger les prières à l’intérieur d’une mosquée, un imam les a tenues sur un parking situé en face du siège du gouvernorat, où environ 3.000 fidèles s’étaient massés. Après son sermon, ils ont défilé dans les rues de la ville.
Le sultan Qabous bin Saïd, qui dirige le pays depuis quarante ans, a promis dimanche de débloquer 2,6 milliards de dollars pour des dépenses sociales, après pratiquement deux mois de manifestations inspirées par les soulèvements ailleurs dans le monde arabo-musulman, notamment en Tunisie et en Égypte.
Les manifestants omanais concentrent leurs revendications sur des hausses de salaires, la création d’emplois et la lutte contre la corruption.
Un sit-in, qui a duré plusieurs semaines dans la ville industrielle de Sohar, lieu phare de la contestation omanaise, a été dispersé par les forces de sécurité, qui ont arrêté plusieurs centaines de personnes pour des actes de vandalisme présumés. En début de semaine, les autorités ont accordé une grâce à 234 personnes arrêtées durant les manifestations.
EGYPTE
Des milliers de manifestants se sont rassemblés, hier en milieu de journée, place Tahrir au Caire, pour réclamer que le président déchu Hosni Moubarak et d´autres membres de son régime soient jugés. M. Moubarak est assigné à résidence dans la station balnéaire de Charm el-Cheikh, au bord de la mer Rouge. L´ancien président, son épouse Suzanne et leurs deux fils, Alaa et Gamal, ont vu leurs avoirs gelés et leur fortune fait l´objet d´une enquête, mais ils n´ont pas encore été déférés devant la justice. De nombreux responsables politiques et hommes d´affaires proches du clan Moubarak sont aussi sous le coup de diverses mesures, allant de la comparution en justice à l´interdiction de quitter le territoire. Mais les manifestants réclament des mesures plus fermes contre nombre d´entre eux, qui n’ont pour l´instant pas été inquiétés, ou font l´objet de simples enquêtes.
Des manifestants qui ont résisté à l’intervention de l’armée égyptienne dans la nuit de vendredi à samedi sur la place Tahrir, au Caire, ont réclamé samedi que les militaires rendent le pouvoir à la société civile et exigé le procès de Hosni Moubarak.
Des centaines de milliers de personnes s’étaient rassemblées la veille sur la place devenue le symbole de la révolution égyptienne pour réclamer des poursuites judiciaires contre l’ancien président et reprocher aux autorités militaires, qui ont pris les rênes du pays, leur lenteur dans la lutte contre la corruption.
Dans la soirée, des incidents ont éclaté alors que les forces de sécurité intervenaient, tirant en l’air et faisant usage de pistolets paralysants et de matraques, pour disperser les derniers manifestants et faire respecter le couvre-feu, en vigueur entre 02h00 et 05h00.
Mais plusieurs centaines de militants sont restés sur les lieux, défiant les forces de l’ordre. Plusieurs véhicules de l’armée ont été incendiés et des pierres ont été lancées par les manifestants.
De sources médicales, on indique que deux hommes ont succombé à des blessures par balles après l’intervention de l’armée.
Celle-ci a démenti avoir tiré à balles réelles sur les manifestants qui refusaient de partir et affirme que son intervention n’a entraîné aucune mort d’homme.
Quoiqu’il en soit, ces incidents illustrent le ressentiment croissant d’un noyau dur de la révolution à l’égard des forces armées, soupçonnées de collusion avec les derniers réseaux du régime de Moubarak.
"Le conseil militaire fait partie intégrante du régime corrompu. Il est constitué de chefs militaires qui ont tiré profit de Moubarak et de ses trente années de vol au détriment du peuple égyptien", dénonçait samedi matin Abdallah Ahmed, 45 ans, croisé place Tahrir.
L’armée a pris directement les commandes du pays, au départ de Moubarak le 11 février dernier.
Le Conseil suprême des forces armées a programmé des élections législatives en septembre. Un scrutin présidentiel suivra, en octobre ou novembre, et l’armée a annoncé qu’elle remettrait alors le pouvoir à un gouvernement civil.
L’ancien président, âgé de 82 ans, et sa famille vivent eux dans la station balnéaire de Charm el Cheikh depuis leur départ du Caire. Il leur est interdit de quitter l’Egypte.
En début de matinée, samedi, aucun signe de présence de l’armée n’était plus visible autour de la place. "Grâce à Dieu, nous leur avons tenu tête et nous sommes toujours là", a dit un manifestant.
De plusieurs centaines, le nombre de manifestants a augmenté dans la matinée. A la mi-journée, ils étaient plus de 2.000 sur la place-symbole de la contestation qui a abouti au départ du raïs après dix-huit jours de mobilisation.
La participation à la manifestation de vendredi organisée par les collectifs formés de jeunes cyberactivistes, à la pointe de la révolution égyptienne, dans le cadre d’un "Vendredi de la purification et des responsabilités", en fait l’une des plus importantes depuis la chute de Moubarak.
"Nous resterons ici tant que Moubarak n’aura pas été jugé", a promis Mahmoud Salama, qui travaille dans une agence de voyage.
D’autres réclamaient la démission du maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, inoxydable ministre de la Défense sous Moubarak qui dirige aujourd’hui le Conseil suprême des forces armées.
"Soit le maréchal Tantaoui traduit ces gens - Moubarak, son fils Gamal et les autres - en justice, soit il quitte son poste et laisse quelqu’un d’autre le faire. Car la lenteur du processus rend les gens soupçonneux à l’égard du commandement militaire", résume Achraf Abdel-Aziz, un commerçant de 36 ans.
L’armée a déjà dispersé par la force une précédente manifestation sur la place Tahrir après le renversement de Moubarak. Elle avait présenté des excuses le lendemain, affirmant qu’aucun ordre n’avait été donné pour cette intervention.
"L’armée est dans une position difficile. Ce qui s’est produit vendredi résulte d’erreurs d’appréciation de l’armée sur la manière de conduire la révolution, mais pas d’une complicité avec l’ancien régime", analyse l’universitaire Hasan Nafaa, spécialiste des sciences politiques très impliqué dans le "printemps égyptien".
"L’armée, ajoute-t-il, tente de parvenir à un équilibre entre mise en oeuvre de réformes, purge de l’ancien système et maintien de la stabilité économique et politique. L’armée sait bien que de nombreuses personnalités issues de l’ère Moubarak contrôlent l’économie et sont profondément ancrées dans la société. Elle agit par conséquent par étapes mesurées."