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Haïti : qui est Aristide ?

lundi 21 mars 2011, par Robert Paris

Aristide, un faux ami des classes populaires

Aristide vient de revenir en Haïti. Pour quel projet ?

Il est populaire mais quelle confiance les milieux populaire doivent-ils lui accorder ?

Il faut d’abord rappeler qu’Aristide n’est pour rien dans la naissance du mouvement populaire, pas plus en tout cas que des dizaines de milliers de travailleurs, de jeunes, de manifestants et de révoltés de la révolution contre Bébé Doc.

Partout dans le pays, l’annonce de l’assassinat de Mackenson Michel, Daniel Israël et Jean Robert Cius, les trois élèves abattus par balles à Gonaïves dans le cadre d’une manifestation pour réclamer le départ de Bébé Doc, entraîne des mobilisations des collégiens qui ne se laissent plus intimider par les forces de répression et sont suivies de mobilisations de masse. Des milliers de jeunes et d’habitants révoltés vont désormais militer ouvertement pour le départ de Duvalier, mouvement qui n’existait pas auparavant.

Dans la ville des Cayes, la deuxième manifestation pour les trois jeunes et contre la dictature se transforme en une véritable émeute avec des barricades. La ville est en feu. Aristide est encore seulement un des curés populaires des Cayes.

Les manifestations de protestations et surtout la grève des écoles vont progressivement gagner tout le pays en novembre-décembre 1985 : de Gonaïves, elles gagnent Jérémie, Les Cayes, Petit Goâve, Bainet, Belladère, Hinche, Cap-Haïtien et n’atteindront Port-au-Prince qu’en janvier 1986, quand le soulèvement deviendra général dans tout le pays.

Quant aux jeunes, ils déclarent « Tant que nous n’obtiendrons pas satisfaction, nous ne retournerons pas à l’école ». Le 29 novembre au matin, toutes les écoles de Gonaïves sont déjà dans la rue pour crier « Vive la jeunesse, A bas la Constitution ! »

Le 5 décembre 1985, celui qui n’est encore que le père Jean-Bertrand Aristide, un prètre salésien, diffuse à la paroisse des Verrettes, Gonaïves sa « Lettre pour toutes les familles de Gonaïves » où il dit notamment : « Face à la coupe amère que vous buvez aux Gonaïves, nous de la paroisse Verrettes, membres de l’Eglise, avec tous les citoyens conscients de la situation du pays, voulons vous dire combien nos entrailles se déchirent en voyant des Haïtiens, nos semblables, nous considérer comme des chiens vagabonds ou du gibier à plume. (…) Nous ne comprenons pas du tout comment quelqu’un de notre sang a pu donner l’ordre de tirer sur un peuple, enfant de cette terre. » Aristide lance son « Va-t-en Satan », poésie en créole appelant le peuple à renvoyer Duvalier. Le thème des veillées de prière est : « Jésus, c’est un homme dont la situation était mauvaise, mais qui avait compris que c’est parce que la situation de quelques-uns était trop bonne que sa situation à lui était mauvaise. C’est un homme qui savait voir comment on volait la terre des paysans autour de chez lui, comment les gros propriétaires se réunissaient pour rançonner le peuple, le pauvre malheureux Jésus, c’est un homme qui cherchait l’origine de la misère, de la faim, de la mésentente de ses frères, c’est un homme qui a vu comment quelques assassins tuaient pour le pouvoir. Jésus, c’est un camarade qui a tellement vu les pauvres devenir des tapis pour les pieds des riches et des puissants qu’il prit la décision de donner aux pauvres plus d’importance pour être avec eux pour les aider à sortir de cette situation. Oui, Jésus, … c’est un grand révolutionnaire qui est venu changer toute la charpente de la société pour que tout homme puisse vivre en « égal égaux » avec tous les hommes. … Devant cet exemple que nous donne Jésus que voulons-nous faire nous-mêmes, comment voulons-nous nous organiser pour que le peuple haïtien puisse se lever de cette terre, pour qu’il puisse avoir la vie, la liberté, pour qu’on le respecte ? (…) C’est ce que comprirent les trois jeunes de Gonaïves et c’est pourquoi les malfaiteurs sans patrie les assassinèrent. C’est parce qu’ils défendaient la dignité du pays qu’ils moururent. Et nous-mêmes ici que voulons-nous ? Allons-nous laisser leur sang couler en pure perte ? Ne sommes-nous pas des enfants de Goman, Toussaint, Dessalines ? (…) Nous nous battrons. Tant que les gros se serviront de la force. Tant que les petits ne se redresseront pas. Ça va changer, c’est vrai, quand tous ouvriront les yeux. Ça va changer, c’est vrai, quand l’exploitation ne sera plus. » Les religieux lancent au peuple : « Legliz se nou, nou se Legliz » et « Nous comptons sur vous, vous pouvez compter sur nous ». Le discours est radical et social, mais le programme politique ne l’est pas. Un document de travail de l’Eglise à Gonaïves le 10 janvier 1986 déclare : « La démocratie, c’est simple à expliquer…. Pour ce faire, le peuple choisit différents représentants qui forment l’Etat. L’Etat et le gouvernement sont là pour respecter la volonté et le programme du peuple…. Afin de permettre ces élections libres et honnêtes, l’Etat doit garantir la liberté nécessaire pour pouvoir s’exprimer. Pour que le peuple puisse s’organiser, … il doit pouvoir comprendre les taxes et les impôts et pourquoi l’Etat prend tant d’argent dans sa poche… L’armée doit protéger le peuple… L’Etat doit permettre aux paysans d’avoir des titres de propréiété en toute justice… »

Pourtant, l’Etat apparaît alors pour ce qu’il est : une bande d’hommes en armes au service d’une minorité de profiteurs et prêt à massacrer les masses populaires.

Profitant de l’échec d’une tentative de grève générale déclenchée par le syndicat CATH le 30 juin 1987 pour la dissolution du CNG, le gouvernement fit interdire ce syndicat et fit arrêter ses responsables. Devant la réaction populaire, le CNG dut reculer et libéra les responsables de ce syndicat. Le mouvement populaire se sent en force mais il suit des mauvais bergers, démagogues mais nullement décidés à désarmer les bourreaux du peuple haïtien. Pendant que le peuple admire Aristide, les escadrons de la mort se mettent en place à l’initiative de Régala et Jean-Claude Paul.

La montée populaire est marquée par la manifestation du 10 juillet dans les rues de Port-au-Prince, avec les drapeaux rouges du PUCH et Theodore en tête. Mais le radicalisme du PUCH ne va pas durer.

Du 23 au 28 juillet 1987, 250 paysans de Jean Rabel étaient assassinés par la milice privée de Poitevin et de Lucas, montrant que le pouvoir du CNG soutenait les massacreurs... Ces assassinats devaient en encourager d’autres. Dans les campagnes, les macoutes démoralisés reprenaient confiance.

A partir de septembre 1987 jusqu’en septembre 1988, multiplication des massacres organisés par des groupes armés.

Le 29 novembre 1987, les élections sont annulées. Tous les candidats aux élections du 29 novembre 1987, y compris Gourgue et Theodore, savaient parfaitement que les chefs de l’armée préparaient un coup d’état - le CNG avait à peine caché son jeu - mais ils se gardaient bien d’en prévenir la population. ils craignaient plus que celle-ci s’arme et renverse le pouvoir que de risquer d’être menacés par un coup d’état militaire.
La responsabilité des organisations "démocratiques"

Au lendemain du 7 février, de la chute de Bébé Doc Duvalier, dans les quartiers populaires des villes et de certains secteurs ruraux, des groupes de jeunes chômeurs et de travailleurs armés de bâtons, de machettes, de couteaux, de pierres et de bidons d’essence parcourent les rues en chantant et prennent pour cible les macoutes, leurs maisons, leurs boutiques, leurs véhicules ainsi que les bureaux de la VSN, parti de la dictature. Mais les casernes et les postes militaires ne sont pas attaqués et les armes saisies chez les macoutes et autres tortionnaires du pouvoir sont remises dans les casernes ! Pendant ce temps, des chefs de la dictature de Duvalier sont blanchis par une très légère cure d’opposition comme de Ronceray et Bazin ou et des tortionnaires connus comme Ti Boulé ne sont pas inquiétés. Les milices macoutes sont attaquées par le peuple mais l’armée, elle, ni le gouvernement ne feront rien pour désarmer systématiquement les bandes armées des grandons. Nombre de militants de quartier et d’activistes d’associations paysannes ou religieuses se tournent vers cette espèce d’opposition politique constituée par la petite bourgeoisie démocratique bavarde mais peu active et encore moins radicale socialement : celle du KONAKOM et autres « mouvements démocratiques ». Ou encore celle des Comités de Liaison Démocratique ou du PANPRA. La mouvance des comités ecclésiales de base ou Ti-Légliz ou encore les « missions Alpha » (pour dire alphabétisation et conscientisation) offrent un vaste cadre à la jeunesse pauvre et se préoccupent davantage du sort des plus démunis que la petite bourgeoisie démocratique, mais ils n’ont aucun programme qui exprime politiquement les intérêts des masses populaires face aux chefs militaires et aux classes dirigeantes. Le syndicat CATH est aussi apparu en pointe du « secteur démocratique » même si, en fait, il n’offrait aucune perspective claire aux exploités. Et la CATH s’est très vite retrouvée happée par des calculs politiciens comme toute l’opposition politicienne. Quant au parti stalinien, le PUCH de Theodore, sa réputation de radicalisme était usurpée. Theodore s’alignera systématiquement derrière les généraux ou les colonels en vogue du moment. Après avoir « donné acte » au général Namphy, pris la défense de Jean-Claude Paul, sablé le champagne avec Avril, fait applaudir Abraham, félicité Cédras, Theodore finira sa carrière en postulant au rôle de représentant au pouvoir des bourreaux du peuple haïtien, comme premier ministre de la dictature militaire !!! Lui qui avait obtenu son crédit parmi les militants du déchoukage va accepter un poste de premier ministre de la dictature avant que celle-ci ne retire sa proposition. Quand le PUCH appellera à voter « oui » au référendum du 29 mars 1987, beaucoup de gens se désolidariseront définitivement de lui.

Le 16 décembre 1990, le père Jean Bertrand Aristide, partisan de la « théologie de la libération », remporte haut la main l’élection présidentielle et devient président le 7 février 1991. Il est renversé le 30 septembre 1991 par un coup d’état dirigé par le général Raoul Cédras, commandant en chef de l’armée.

6 janvier 1991, devant le coup d’état de Lafontant, les masses populaires se mobilisent mais c’est Aristide qui les calme en leur disant de respecter l’ordre constitutionnel et d’attendre les élections… Les ouvriers sont alors une force importante de la mobilisation et tous les Aristide craignent plus les ouvriers que les coups d’états militaires. A l’époque, il y avait 60.000 ouvriers dans la zone industrielle de Port-au-Prince (Sonapi et Parc Mews) et 8.000 ouvriers dans les anciennes entreprises industrielles (Hasco, la Minoterie, l’Acierie, la Cimenterie d’Haïti…). Ils manifestent ensemble massivement le 10 juillet.

Le 10 juillet 1991, manifestation ouvrière devant le parlement pour un salaire minimum de 28 gourdes

En septembre 1991, à la suite d’un putsch sanglant, suivi d’une violente répression, une junte militaire dirigée par le général Raoul Cédras reprit le pouvoir. Alors que depuis son élection, Aristide n’avait cessé de célébrer « la réconciliation du peuple et de l’armée », Cédras et sa clique se chargèrent de démontrer le contraire en soumettant le pays à une sanglante répression. Aristide s’exila aux États-Unis. Ces derniers décidèrent le blocus économique d’Haïti, ce qui aggrava plus encore la vie dans l’île. Poussés par la misère, des milliers d’Haïtiens fuirent ou tentèrent de fuir le pays.

29 septembre 1991 Avec le renversement d’Aristide par le général Cédras, celui qu’Aristide lui-même avait nommé son chef d’Etat-major des armées et dont le coup d’état est soutenu par les classes dirigeantes, des massacres dans les quartiers populaires font 2000 morts en deux jours. De septembre à février 1992 : des milliers de morts, victimes de la répression 30 septembre 1991- premiers jours d’octobre : Dans l’après-midi du 30 septembre, un commando de soldats se rend à Lamentin 54, dans la banlieue de Port-au-Prince, ouvre le feu au hasard sur les piétons et les maisons du quartier, et jette des grenades, toujours au hasard, dans plusieurs maisons du quartier, apparemment en représailles après l’assassinat d’un sergent de la caserne locale dans la matinée du 30. La répression se poursuit pendant deux à trois semaines, faisant un total de 30 à 40 victimes. Selon des témoignages recueillis par la Commission Vérité et Justice, plusieurs cadavres auraient été jetés dans des fosses communes creusées à proximité du quartier sur ordre des soldats ; plusieurs jeunes auraient également été exécutés après avoir creusé ces fosses ; d’autres cadavres auraient « été disparus » après avoir été emmenés en camion. 1er et 2 octobre 1991 : Lors du Coup d’État militaire, à Martissant, un quartier de Port-au-Prince, pendant les deux jours qui suivirent le Coup d’État, des soldats et des attachés paramilitaires terrorisent la population locale et tuent au moins sept individus, dont un mineur. Cette tuerie aurait été organisée après l’incendie du domicile d’un lieutenant de l’armé dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre. 2 octobre 1991 : Lors du Coup d’État militaire, trente civils sont tués dans la même journée à Cité-Soleil, un bidonville à l’ouest de Port-au-Prince, connu pour abriter de nombreux partisans du président Aristide, par des soldats de l’armée, après l’attaque d’un commissariat local. 2 octobre 1991 : Au moins 7 personnes sont tuées aux Gonaives, dont un enfant et un adolescent, par l’armée lors d’une manifestation de soutien au président Aristide.

Il faut ensuite rappeler que s’il n’est pour rien dans l’extension de cette révolution, dans son développement, dans son premier succès, Aristide a très vite joué un rôle central dans le détournement de cette révolution pendant que l’armée jouait un rôle central dans son écrasement.

Mais il n’était ni un ennemi de l’armée, ni une ennemi des classes dirigeantes pourtant assoiffées de sang et de profit, ni un ennemi de l’impérialisme ce qu’il a démontré dans son dernier passage au pouvoir.

Le 29 février 2004, les États-Unis, flanqués notamment de la France, sont intervenus militairement pour évincer le président en place, Aristide.

Elu une première fois à la présidence d’Haïti en 1990 par un déferlement d’enthousiasme en sa faveur dans les masses pauvres, Aristide était renversé, à peine neuf mois après son investiture, par un putsch militaire.

Le régime militaire s’était révélé tellement pourri que les États-Unis avaient fini par ramener Aristide.

A partir de son retour et surtout à partir de sa deuxième élection, en 2000, le régime d’Aristide avait tourné de plus en plus à la dictature et à la corruption généralisée. Pour se maintenir au pouvoir, il avait recruté dans les quartiers pauvres, formé et financé des bandes armées, les « Chimères », qui imposaient de plus en plus leur terreur sur les quartiers populaires.

L’éviction et l’expulsion d’Aristide n’ont pas mis fin à la mainmise des « Chimères » sur les quartiers pauvres. Au contraire. L’objectif affiché de se battre pour le « retour du président légitime » leur permet de se revendiquer d’un combat politique. En réalité, la violence que ces bandes armées imposent à la population, en premier lieu à la population pauvre, est de plus en plus crapuleuse. Aux « bandes armées » se revendiquant d’Aristide, se sont mêlés les hommes de main des trafiquants de drogue, des bandits de grand chemin. Ils assassinent, kidnappent contre rançon, volent et violent. Principalement dans les quartiers populaires qui leur servent de positions de repli. Mais, depuis peu, ils essaiment vers les autres quartiers -« opération métastase », disent-ils ; jusqu’à des bourgeois ou des diplomates qui en tombent victimes.

Lors du renversement d’Aristide, les dirigeants américains et français parlaient d’un pas important vers la « liberté » et la « démocratie ». Mais, en guise de « liberté », la population n’a gagné que celle de risquer d’être assassinée au coin d’une rue, sans même que les troupes internationales laissées sur place daignent intervenir. En guise de « démocratie », un petit milieu politique prépare, pour l’automne prochain, sous l’égide du gouvernement provisoire de Latortue, des élections dont personne ne sait si elles pourront seulement avoir lieu. Mais, de toute façon, l’écrasante majorité de la population qui tente seulement de survivre face à l’insécurité, face à la faim, se désintéresse totalement de cette agitation politicienne.

Il était facile pour les grandes puissances d’évincer Aristide. Mais, pour permettre que la situation s’améliore pour la population, il aurait fallu qu’elles fassent quelque chose contre la pauvreté infinie, contre la ruine quasi totale de toutes les infrastructures publiques. C’est évidemment à leur portée et cela ne représenterait qu’une somme modeste pour elles. Mais il n’en est même pas question.

Au lieu d’aider Haïti, le grand capital continue à la piller, ne serait-ce que par le biais des entreprises de la zone industrielle, sous-traitantes de grands groupes, qui exploitent leurs ouvriers en payant des salaires de l’ordre de UN EURO PAR JOUR !

Pour la majorité de la population, et en particulier pour les classes exploitées, l’insécurité s’ajoute encore à la pauvreté. Exploités dans leurs entreprises, les travailleurs doivent encore payer leur tribut aux bandes armées qui les rançonnent.

Aristide a depuis longtemps trahi les espérances que la population pauvre avait placées en lui. Porté triomphalement à la présidence en 1991, il s’était surtout soucié d’avoir de bons rapports avec les riches et l’armée, jusqu’à ce que cette dernière le renverse. Dix ans après son retour d’exil en 1994 dans les valises des marines américains, il mène la même politique fondée sur la défense des intérêts des riches au détriment de ceux des travailleurs et des pauvres. Alors que le pays s’enfonce chaque jour un peu plus dans la misère, il n’a toujours rien entrepris pour obliger les patrons à verser ce qu’ils doivent aux caisses publiques, pour les obliger à respecter un minimum d’obligations sociales et à respecter les droits élémentaires des travailleurs. À cela s’ajoutent les exactions de sa police et de ses chimères, qui empêchent toute possibilité d’expression, quadrillent les quartiers populaires, imposent leur terreur et leurs rackets à la population pauvre.

Voici un article de septembre 1994 :

Sous Bébé Doc, les corporations américaines ont été encouragées à exploiter la main-d’oeuvre abondante et à bon marché et d’installer des industries légères à Haïti. On parlait d’Haïti comme le futur Taïwan des Caraïbes. Mais bien que la main-d’oeuvre ne soit pas chère, l’absence d’infrastructure, la corruption répandue du régime, l’instabilité sociale et les vicissitudes du marché mondial se sont combinées pour limiter la croissance industrielle.

La chaîne d’événements conduisant à l’occupation actuelle a commencé en février 1986 lorsque Bébé Doc a été renversé par une vague montante de grèves et de manifestations de masse insurrectionnelles. Le général Henri Namphy, chef du Conseil national gouvernant, a pris le contrôle. Les prisonniers politiques ont été libérés et les promesses ont été faites de tenir des élections démocratiques dans l’avenir proche. Mais les dirigeants militaires ont été intéressés principalement à diriger et à démobiliser le mouvement populaire hétérogène et à sauvegarder la hiérarchie sociale. Pendant la première année sous Namphy, il est estimé qu’il y avait plus de civils assassinés par l’État que pendant les quinze années précédentes sous Bébé Doc. Ceci a été vu comme le coût inévitable, si regrettable, de restaurer la « stabilité » après les luttes convulsives de masse qui ont renversé le régime Duvalier.

Ce qui a particulièrement dérangé les autorités de l’État était le « déracinement » (déchoukage) des tontons macoutes détestés par les masses. Ceci a alarmé des sections de l’élite libérale et « anti-duvaliériste », qui ont lancé une campagne de publicité massive et réussie contre cette forme de justice populaire. Beaucoup de macoutes qui ont échappé le déchoukage sont devenus les attachés d’extrême droite (assassins paramilitaires) derrière Cédras.

En janvier 1988 Leslie Manigat, un démocrate chrétien, avait gagné l’élection présidentielle. Huit mois plus tard il a été renversé par un coup militaire, laissant le pouvoir à un autre général, Prosper Avril. Encore une fois il y avait des promesses d’une nouvelle vie, la fin de la terreur étatique et du duvaliérisme. Une fois encore les masses ont espéré que cette vie eut amélioré. Une fois encore elles ont été déçues. En mars 1990 les masses haïtiennes ont encore pris les rues, et une coalition de groupes oppositionnels a fait appel pour une grève générale pour le 12 mars. L’ambassadeur des États-Unis, Alvin P. Adams, a conseillé Avril que son temps était écoulé. Immédiatement avant la grève générale menacée, Avril a embarqué dans un avion des forces aériennes américaines pour Miami.
La victoire d’Aristide inquiète les États-Unis

Alarmé par la croissance soutenue d’organisations populaires et de leurs sympathies de plus en plus radicales, le Département d’État américain a fait pression pour la tenue des élections comme le plus facile et le meilleur moyen de stabiliser la situation. L’exercice avait l’intention de mettre Marc Bazin, un ancien officiel de la Banque mondiale qui avait servi brièvement comme Ministre de la finance sous Bébé Doc, dans le palais présidentiel. Bazin représentait la couche moderniste technocratique de la classe dominante haïtienne qui favorisait une intégration économique plus proche avec les États-Unis. Washington a versé un estimé 36$ millions à la campagne de Bazin, et ce dernier semblait se diriger vers une victoire facile.

Cette perspective s’est évaporée quand le Front national pour le changement et la démocratie (FNCD—le parti traditionnel des capitalistes et des marchands libéraux) a déchargé abruptement son candidat en faveur de Jean-Bertrand Aristide, un ecclésiastique éminent qui avait survécu à plusieurs attaques des macoutes. En quelques semaines, un million de nouveaux électeurs se sont enregistrés, et le mouvement nommé Lavalas (« l’inondation ») est né.

La candidature d’Aristide s’est reposée sur une alliance entre la bourgeoisie haïtienne traditionnelle des marchands et le mouvement populaire bourgeonnant et politiquement amorphe d’étudiants, de paysans, de pauvres urbains, de syndicalistes et d’activistes sociaux catholiques. Aristide, un porte-parole de la « théologie de la libération ».

« avait des contacts proches avec la bourgeoisie traditionnelle. Quelques marchands haïtiens riches avaient souscrit l’éducation et les voyages du jeune prêtre, aussi bien que son orphelinat, Lafanmi Selavi ».
—NACLA Reports, janvier 1994 [notre traduction]

Aristide propose de réaliser une réforme agraire modeste et d’éliminer la corruption duvaliériste, le patronage et la terreur. Contre le candidat du Département d’État américain :

« Le programme d’Aristide a fait appel pour le soutien des industries nationales haïtiennes en difficulté, pour une réforme agraire afin de revigorer l’agriculture haïtienne et de favoriser l’autosuffisance, d’étancher l’hémorragie d’importations de contrebande des ports régionaux, d’augmenter le salaire minimum, et de remettre en état de santé la bureaucratie gouvernementale ».
—Ibid. [notre traduction]

Aristide a gagné un mandat fort impressionnant—67 pour cent des votes—tandis que le candidat du Département d’État, Bazin, a fini une distante seconde avec un 14 pour cent risible.

Aristide prêche le message débilitant que les masses haïtiennes désespérément pauvres peuvent accomplir leur libération sociale à l’intérieur du cadre impérialiste. Il sème des illusions que les États-Unis, la France, le Canada et les autres pouvoirs impérialistes dans la « communauté mondiale » peuvent être induits d’agir comme des agents de progrès à l’Haïti. Nonobstant toute la servilité d’Aristide, les pouvoirs impérialistes se méfient instinctivement d’un politicien dans un pays si désespérément pauvre qui reçoit un appui populaire substantiel. Ils savent que toute expression politique des masses peut échapper rapidement au contrôle de la théologie de la libération, des libéraux et des réformateurs qui l’ont initiée.

Dans les quelques mois qu’il était au pouvoir, Aristide a décrété quelques réformes fiscales mineures, a fermé quelques échappatoires d’impôts, a enlevé une couche de fonctionnaires corrompus et a réduit la dette étrangère d’Haïti. Sous Aristide le flux de réfugiés politiques et économiques fuyant les escouades de la mort a été renversé et des milliers d’expatriés ont commencé à revenir.

Washington est soudainement devenu extrêmement intéressé à la question des « droits humains » à l’Haïti—chose qu’il avait ignoré par le passé —avec Aristide au pouvoir. Les États-Unis étaient particulièrement inquiets des rapports de quelques incidents de châtiment « de classe » contre les duvaliéristes riches.

Les financiers américains, en particulier Citibank et la Banque de Boston, ont été alarmés par les rapports qu’Aristide avait obtenu 500$ millions en aide étrangère sans recours au système financier des États-Unis. L’Haïti est le pays le plus pauvre des Amériques, mais il n’a jamais réorganisé sa dette étrangère et avait été une source de revenu digne de confiance pour les banques américaines. L’Agence pour le développement international (AID) des États-Unis a désapprouvé à la proposition d’Aristide d’introduire des contrôles sur le prix des aliments et a dénoncé son projet d’augmenter le salaire minimum de 33 à 50 cents l’heure comme une erreur désastreuse.

Le putsch du 30 septembre 1991 par Raoul Cédras est largement présumé d’avoir été soutenu secrètement par les États-Unis. Le New York Times du 1er novembre 1993 a rapporté que :

« les membres clefs de la direction militaire au pouvoir à Haïti et qui bloquent le retour de son président élu, Jean-Bertrand Aristide, ont été payés par la Central Intelligence Agency pour leurs informations du milieu des années 1980s au moins jusqu’au putsch de 1991 ». [notre traduction]

Les États-Unis ont formellement condamné le putsch et ont fait appel pour la réintégration éventuelle d’Aristide. Toutefois, une semaine après le putsch de Cédras, lorsque l’armée et les bandes des attachés se sont engagées dans l’extermination sanglante des partisans d’Aristide, l’ambassadeur des États-Unis à Haïti, Alvin Adams, a produit un dossier épais sur les violations présumées des droits humains pendant le règne bref d’Aristide. Les médias capitalistes des États-Unis ont docilement suivi en faisant un grand tapage sur ces violations présumées, tout en ignorant la répression brutale lancée contre les organisations populaires qui avaient appuyé le président déposé.
L’embargo des États-Unis affame les masses

Afin de démontrer leur opposition au putsch, les États-Unis ont imposé un embargo commercial qui a explicitement exempté des filiales haïtiennes des compagnies américaines. La première année de l’embargo impérialiste, les exportations haïtiennes aux États-Unis ont sauté de façon dramatique (de 110$ millions en 1992 à 160$ millions en 1993). Entre-temps les prix pour les produits alimentaires et autres biens de consommation ont monté en flèche, lorsque les amis du régime ont saisi l’occasion pour en profiter. Il a paru que l’embargo n’était pas du tout dirigé contre le régime militaire haïtien, mais visait plutôt à obliger les ouvriers et les paysans appauvris de passivement accepter tout régime que les États-Unis veulent imposer.

Sous Clinton les États-Unis ont combiné la rhétorique d’appui pour Aristide avec une caractérisation du président déposé comme étant une psychopathe erratique, obstinée, et peu coopérative. Le New York Times du 1er novembre 1993 a cité Brian Latell, le « chef analyste de la CIA pour Amérique Latine », qui décrit Aristide comme « instable et ayant une histoire de problèmes mentaux ». Latell a considéré Cédras comme un du « groupe le plus prometteur de dirigeants haïtiens à émerger depuis que la dictature de la famille Duvalier a été renversée en 1986 », et a rapporté que pendant un voyage à l’Haïti en juillet 1992 il "n’ a vu aucune évidence de règne oppressif ».

Afin d’éviter de paraître déraisonnable, Aristide est entré dans un rond de « négociations » avec Cédras en juin 1993 sous les auspices des Nations unies à New York. Pour éviter les manifestations massives des expatriés de la communauté haïtienne (60 000 avaient rallié en octobre 1991 pour dénoncer le putsch), les réunions ont été tenues sur Governor’s Island au port de New York. Le résultat des « négociations » avait été arrangé à l’avance par ses parrains. Les dictateurs militaires ont eu l’occasion de paraître sur la scène internationale comme une partie légitime dans un différend domestique. Aristide a obtenu une promesse vide qu’il pourrait reprendre ses devoirs plus tard en octobre 1993. Bill Clinton a proclamé que les pourparlers étaient « un pas historique pour la démocratie ».

Le 11 octobre 1993, dans un événement hautement publicisé par les médias, le navire américain Harlan County, avec des centaines de troupes américaines et canadiennes à bord, a été chassé de Port-au-Prince par une poignée de voyous attachés agitant des pistoles. Juan Gonzalez, un journaliste pour le New York Daily News, avait appris du plan la veille à une réunion duvaliériste à Port-au- Prince, réunion où assistait aussi le personnel de l’ambassade des États-Unis ! La leçon pour Cédras et ses partisans était claire :

« Le dirigeant de l’organisation paramilitaire FRAPH, responsable pour tant de terreur (des attachés), a dit que ‘mes gens voulaient constamment fuir, mais j’ai parié et les ai poussés à rester. Puis les Américains se sont retirés ! Nous avons été étonnés. C’était le jour où le FRAPH est né réellement. Auparavant, tout le monde a dit que nous étions fous, suicidaires, que nous serions brûlés si Aristide retournait. Mais maintenant nous savons qu’il ne va jamais revenir’ ».
—Z Magazine, juillet 1994 [notre traduction]

Plus de 4 000 individus associés aux mouvements populaires ont été assassinés sous le régime Cédras, plusieurs milliers de plus ont été chassés dans la clandestinité ou en exil. La tentative de détruire les organisations des pauvres, largement documentée par Americas Watch, une organisation des droits humains de l’hémisphère, n’est pas née d’un esprit sanguinaire complètement irrationnel de la part de Cédras. Les mouvements populaires à l’Haïti ont été perçus comme un danger potentiel à la structure entière du néocolonialisme dans la région. Noam Chomsky cite Americas Watch en tirant la conclusion que :

« La terreur est utilitaire : elle assure que même si Aristide est autorisé à revenir, ‘il aura la difficulté à transformer sa popularité personnelle en le soutien organisé dont il a besoin pour exercer l’autorité civile ».
—Ibid. [notre traduction]

Ceci explique la contradiction apparente de la politique américaine après le putsch. Tout en dénonçant officiellement Cédras, la Maison blanche (sous Bush comme sous Clinton) n’était pas pressée de l’évincer. Au contraire la politique américaine a combiné une prétention démocratique avec des tentatives de réconcilier les deux « extrêmes » représentées par le terrorisme étatique nu de Cédras et le réformisme impuissant d’Aristide. Si Aristide fait assez de « compromis » afin de démobiliser les mouvements populaires, alors peut-être Cédras s’adoucirait et un « règlement politique » pourrait être réalisé.
États-Unis—Otez les mains d’Haïti !

Il y a quelques mois Washington minimisait les rapports des crimes de la junte :

« En avril, un câblogramme signé par William L. Swing, l’ambassadeur américain à Haïti, et envoyé à [secrétaire d’État américain Warren] Christopher a affirmé que père Aristide et ses partisans exagéraient et fabriquaient même des rapports d’abus des droits humains ».
—New York Times, le 13 septembre 1994 [notre traduction]

Dans les mois qui ont suivi la position américaine s’est graduellement endurcie, et en août la Maison blanche a commencé à prendre une position plus belligérante. Les préparations ont eu lieu pour envoyer quelques 20 000 troupes américaines (avec les contingents bidons de quelques satellites des Caraïbes et autres vassaux). Pendant des mois les médias ont publié des comptes de comment le régime Cédras assassinait les orphelins, violait les jeunes filles et affamait les enfants. Ceci a été accompagné par l’affirmation absurde et grossièrement raciste que l’exode de quelques milles réfugiés haïtiens posait un « risque de sécurité » vital aux États-Unis. Mais la population américaine a montré peu d’enthousiasme pour l’intervention à Haïti. Au même temps, les républicains du Congrès se sont plaints que Clinton arrangeait sa diplomatie de canonnière en vue de donner un coup de main aux démocrates lors des élections du novembre.

Cédras est un assassin répulsif, mais il est un acteur mineur qui a bien servi ses maîtres. Les mouvements plébéiens ont été décapités. La marge de manoeuvre d’Aristide a été réduite, et il a promis de laisser la présidence après un an. Ses plaidoyers lâches à la « communauté internationale » (i.e., les grandes puissances capitalistes) de prendre « de l’action » contre Cédras a fourni une couverture pour l’occupation impérialiste.

L’arrogance et le cynisme de la classe dominante américaine, vantant sa mission « humanitaire », sont égalés par la crédulité et le niaisage de beaucoup parmi ce qu’on appelle le milieu de « solidarité ». La plupart de la gauche haïtienne (comme la gauche internationale) a reconnu que les Duvaliers et leurs successeurs étaient des créatures du système impérialiste mondial. Cependant les illusions ont persisté que, d’une façon ou une autre, les États-Unis (avec son partenaire junior canadien se trouvant un demi pas derrière, comme convient à un médiateur « impartial ») peuvent être contraints ou manoeuvrés à jouer un rôle « progressif » à l’Haïti. La seule raison pour l’intervention des États-Unis est de conserver l’ordre social néo-colonial qui a condamné les masses haïtiennes à une vie de pauvreté désespérée, de faim et de misère.

Aristide revient comme un homme de paille pour l’occupation américaine. Il passera dans l’histoire comme un traître à la nation haïtienne. Il ne délivrera rien aux millions d’Haïtiens désespérément pauvres qui ont mis leur foi en lui parce que son programme réformiste revient à garantir les intérêts de l’élite riche et leurs partenaires impérialistes.

Voici un article de 1996 :

L’élection présidentielle qui s’est déroulée en Haïti au mois de décembre 1995, dans l’indifférence générale, a abouti à l’élection de René Préval, un ancien Premier ministre d’Aristide. Ce dernier n’avait pas le droit de se représenter, en vertu de la constitution haïtienne qui interdit au président en exercice de se représenter pour un deuxième mandat dans le prolongement du premier. Il n’a pas pu, non plus, prolonger son mandat de trois ans, durée qu’il a dû passer en exil, chassé par le putsch militaire du général Cédras. Cette fois, la constitution n’y était pour rien : ce sont les dirigeants américains, dont les troupes ont permis le retour d’Aristide, qui ont obligé ce dernier à se contenter des deux ans effectifs qu’il a pu passer au Palais national, au lieu des cinq pour lesquels il avait été élu.

Le 7 février 1996, René Préval a donc pris la place d’Aristide en présence des représentants des puissances tutélaires, des États-unis en premier lieu. Ces derniers sont en droit de considérer qu’ils ont réussi la transition. Grâce à l’intervention massive de leurs troupes en septembre 1994, ils ont pu écarter sans difficulté Cédras et sa clique militaire corrompue, et remettre en place le président légal Aristide. Grâce à la collaboration d’Aristide, qui avait conservé un prestige certain dans les classes pauvres, ils ont réussi non seulement à éviter une explosion populaire, mais encore à réduire les masses au rôle de spectateurs passifs d’une « démocratisation » octroyée. Ils ont réussi à faire accepter pour une période transitoire - mais qui dure encore - la présence de troupes d’occupation, présentées par Aristide comme amies, alors que la raison principale de leur présence a été d’éviter que les masses pauvres cherchent à régler leurs comptes avec les exécuteurs des hautes et basses oeuvres de la dictature et surtout avec ceux qui les avaient commandités et financés. La présence d’Aristide à la présidence a enfin donné une onction - démocratique - à la nouvelle police, recrutée, mise en place, encadrée, entraînée par des militaires américains, et accessoirement français ou canadiens, créée pour se substituer à l’ancienne armée en voie de décomposition par suite de la corruption, des trafics et du commerce international de la drogue.

Cela fait, Aristide a rempli son rôle, et les États-unis ont préféré passer à la deuxième transition, prolongeant la première : remplacer l’ex-prêtre rouge, qui les a certes bien servis, mais que ses sursauts populistes et son crédit dans les masses pauvres rendent peu fiable. Là encore, l’opération s’est déroulée avec la caution d’Aristide, qui a fini par appeler à voter pour Préval, bien que du bout des lèvres et en laissant entendre qu’il le considérait comme un usurpateur.

Mais pendant que la presse internationale glose sur « le processus démocratique en Haïti » et souligne que c’est la première fois dans l’histoire d’Haïti qu’un président élu est remplacé par un autre, élu lui aussi, le sort des masses pauvres ne s’améliore en rien. Les hausses de prix provoquées par la spéculation rendent problématique la simple survie quotidienne pour une partie croissante de la population. Les quelques entreprises industrielles existantes demeurent fermées ou fonctionnent au ralenti car leurs propriétaires trouvent plus rentables le négoce et la spéculation. Dans les campagnes, on meurt de faim. La prétendue « aide internationale », de toute façon dérisoire, est détournée par une bourgeoisie, aussi vorace quand elle est petite que quand elle est grande, et le contraste est croissant entre l’aisance ou le luxe des différentes couches de la bourgeoisie et la misère des couches populaires.

Derrière la toute nouvelle façade démocratique, l’arbitraire et l’oppression règnent toujours dans les campagnes. Les notables - les grandons et leurs bandes armées, les chefs de section, les ex-militaires établis sur les terres des paysans... - font toujours la loi. Et dans les quartiers pauvres des villes, de nouvelles menaces se dessinent contre les masses pauvres avec la multiplication et le renforcement des gangs armés.

Messages

  • Aristide le CV :

    Elu deux fois président d’Haiti, Jean Bertrand Aristide, surnommé "Titide", est né le 15 Juillet 1953 à Port-Salut, ville côtière du département du Sud. Il fit ses études primaires et secondaires respectivement chez les Salésiens de Don Bosco et au Collège Notre Dame du Cap, dirigé par les religieux de la Congrégation de Sainte Croix.

    En Août 1974, il se retrouva au noviciat des Salésiens qui accueillait, à la Vega, ville de la république voisine, des jeunes aspirants à la vie religieuse salésienne. Après une année de noviciat, Jean Bertrand Aristide retourna en Haiti pour ses études de philosophie scolastique à la section de philosophie du Grand Séminaire Notre-Dame situé à Cazeau.

    De 1977 à 1979, suivant ainsi le curriculum de formation et d’études de la congrégation fondée par Don Bosco, il fit son stage pratique et résida au presbytère de l’église paroissiale de Sainte Croix à la Croix des Missions. durant ces années de stage pratique, Aristide compléta ses études de psychologie à l’Université d’Etat d’Haiti et fonda un groupe de jeunes dénommé "Lili Leaders"

    En automne de 1979, il s’envola pour Israël pour des études théologiques, dernière étape de sa préparation au sacerdoce. Il y séjourna trois ans et revint en Haiti au commencement de l’été de 1982 pour se faire ordonner le 3 Juillet par Mgr Willy Romélus, évêque de Jérémie.

    A la suite de son ordination, il fut envoyé à la communauté des Salésiens desservant l’église paroissiale de Saint Joseph située aux coffins du marché de la Croix-des-Bossales à Port-au-Prince. Aristide se fit remarquer, pour la première fois, du gouvernement de Jean Claude Duvalier, après une homélie où il dénonçait la misère et l’exploitation dont est victime la majorité du peuple Haitien et, en des termes à peine voilés, pointait du doigt les responsables de cette situation.

    De Saint Joseph, Aristide fut envoyé au Canada pour des études de théologie biblique à la suite desquelles il revint en Haiti en Janvier 1985 pour se faire assigner la responsabilité du Centre des Arts et Métiers dirigé par les Salésiens aux Cayes. Son séjour dans la métropole du Sud ne dura que quelques mois, puisque en Octobre 1985, nous le retrouvions à Port-au-Prince comme responsable des études à la, jusque là, vénérable École des Arts et Métiers (Enam). La chapelle publique, annexée à cette école lui donna un pupitre qu’il ne tarda pas à monopoliser. Ses homélies centrées autour des thèmes de justice, d’exploitation et de dignité attirèrent des foules aux oreilles de qui ses paroles résonnèrent comme des échos de leurs murmures et de leurs plaintes.

    Sa verve lui créa d’ardents admirateurs, mais aussi des ennemis acharnés. Ce sont donc ces ardents admirateurs qui, en Mai 1986, à la suite d’une fausse alerte, prirent en otage les membres de la communauté de l’Enam et quelques-uns de ses supérieurs qui voulurent le protéger en lui donnant un réassignement que ses supporteurs prirent pour un exil. Le démenti du vice-provincial salésiens d’alors, qui nia alors toute tentative d’exil, ne calma pas l’esprit surchauffé des admirateurs qui multiplièrent des manifestations en sa faveur.

    Dès lors, sa renommée déborda les cadres de Port-au-Prince et créa une certaine peur chez le Conseil National de Gouvernement (CNG). Il devint la cible du gouvernement et de ses alliés qui essayèrent à plusieurs reprises de l’assassiner. L’une des ces tentatives se solda par l’incendie de la chapelle publique de Saint Jean Bosco le 11 Septembre 1988. Aristide n’eut la vie sauve que grâce à l’intervention robuste de ses confrères salésiens qui, pendant des jours essayèrent de le protéger aussi bien de ses admirateurs que de ses ennemis qui continuèrent de proférer publiquement des menaces à son endroit.

    Le coup d’état du 17 Septembre 1988 donna une occasion à ses supporteurs de regagner à nouveau les rues en relançant la rumeur de l’exil. Chaque manifestation ajouta une certaine étendue à sa renommée et l’immergea dans un bourbier politique avec des engagements socio-politiques contraires au charisme des Salésiens ; situation qui l’éloigna de son apostolat et le poussa à désobéir les ordres de ses supérieurs. Les refus d’obtempérer conduisit à son expulsion de la Congrégation des Salésiens à la fin de l’année 1988.

    Cette expulsion le délia de certaines de ses obligations religieuses et aussi, le rend libre de mener sa lutte en faveur des pauvres. La traduction de cette liberté se manifesta d’abord par une meilleure structuration de "La Fanmi Se Lavi", une organisation de charité qu’il avait créée une année auparavant et qui accueillait des enfants de la rue, en leur fournissant un gîte, une éducation rudimentaire et un soutien moral, ensuite, par sa décision de se présenter aux élections présidentielles de 1990 sous la bannière du FNCD.

    Sa candidature galvanisa la majorité du peuple qui jusque là, se montrait peu intéressé aux prochaines comices ayant été par deux fois berné et abusé. Après une campagne de quelques six semaines, qu’il assimila à un "Lavalas" (en créole : un torrent créé par de fortes et longues adverses et emportant tout sur son passage), Aristide est élu président d’Haiti le 16 Décembre 1990.

    Sa prestation de serment eut lieu le 7 février 1991, un mois après que ses supporteurs eurent obligé l’armée à déjouer une tentative de coup d’état orchestré par Roger Lafontant, un ancien membre fort des régimes des Duvaliers. Pendant les premiers mois de son gouvernement, le nouveau président essaya de purger l’armée, l’administration publique et de réduire les actes de banditisme. En même temps, il aliéna le parlement par certains de ses choix et actions. Chaque acte posé suscita l’admiration de ses supporteurs et l’endurcissement de ses ennemis. Le mécontement de ses derniers fut à l’origine du violent coup d’état du 30 Septembre 1991 qui le força à s’exiler d’abord au Vénézuela et ensuite aux Etats-Unis d’Amérique.

    J.B. Aristide à l’ONU
    entouré de certains de ses conseillers

    Pendant son exil, Jean Bertrand Aristide démontra une véritable habileté diplomatique et politique et finit par convaincre l’administration de Clinton et les organismes internationaux intéressés aux dossiers d’Haiti à ne reconnaître que son gouvernement en exil, obligeant ainsi les acteurs du coup d’état à négocier son retour. Pour forcer la main à ses derniers, un embargo fut imposé au paysà sa demande.

    Malgré la repression et malgré l’embargo qui terrassa une économie déjà moribonde, les Haïtiens, dans leur grande majorité soutinrent le président en exil. Le soutien des Haïtiens de l’intérieur, la pression de ceux de l’extérieur, la sympathie des congressistes noirs des États-Unis finirent par pousser les Américains à le rétablir dans ses fonctions. Le 15 Octobre 1994, protégé par des militaires de la plus grande puissance du monde, Aristide revint en Haiti après un exil de trois ans. Le seul coup marquant de ses derniers dix-huit mois au pouvoir fut l’élimination des Forces Armées d’Haiti sans les pré-requis constitutionnels et la création d’une force de police nationale.

    Les élections du 15 Décembre 1995 ont consacré la victoire de son poulain René Garcia Préval, son ancien premier ministre. Devenu simple citoyen le 7 Février 1996, il mena une vie discrète préférant manipuler les ficelles dans les coulisses. Il épousa le 20 Janvier 1996 Mildred Trouillot, une citoyenne américaine née de parents Haïtiens et l’un des avocats-conseil du gouvernement en exil, qui lui donna deux filles : Christine et Michaëlle. Il créa la "Fondation Aristide pour la Démocratie", une sorte de centre de réflexion sur la politique et un laboratoire d’économie sociale. Sa villa à Tabarre devint un lieu de rendez-vous et de passage obligé des dignitaires visitant ou en mission en Haiti.

    Pour préparer son retour au pouvoir, il fonda un parti politique dénommé "Pati Fanmi Lavalas" en 1996. Devant ces velléités, certains des grands ténors du mouvement lavalas des premières heures refusèrent d’emboîter le pas et se constituèrent en opposition. Les candidats de son parti sortirent victorieux des élections du 21 Mai 2000 ; élections décriées par les opposants et certaines organisations internationales comme une massive fraude en faveur des lavalassiens.

    La Convergence Démocratique née du refus d’accepter le résultat des élections du 21 Mai bouda les partielles de repêchage et boycotta les présidentielles du 26 Novembre. Jean Bertrand Aristide fut élu président pour un deuxième non consécutif terme. Il fut inauguré le 7 Février 2001 dans une atmosphère de crise politique. En effet, ce même jour, au local de la Convergence Démocratique, les membres de cette coalition assistèrent à la prestation de serment de Maitre Gérard Gourgue à titre de président provisoire chargé, dans les deux prochaines années, d’organiser des élections, un geste symbolique démontrant la gravité de la situation.

    Trois ans après sa prestation de serment, cette coalition s’accrocha à ses prises de position. Aidé de facteurs connus : l’embargo non-déclaré, la violence de certains partisans d’Aristide baptisés "chimères", la corruption pervasive de son gouvernement et de facteurs non prévus comme par exemples, l’émergence du "groupe des 184" dirigé par l’Haitiano-américain d’origine libanaise André Apaid, le meurtre dans des circonstances obscures dAmiot Métayer, un ancien partisan et un évadé de prison dont la tête avait été réclamée par la communauté internationale, et la prise de certaines villes du Nord par les partisans du quartier populaire de Raboteau (Gonaives) d’Amiot ci-devant "Armée cannibale" constitués désormais en Front de résistance révolutionnaire aidés des anciens membres des Forces Armées, elle haussa même le ton.

    Le groupe des 184 changea les donnes politiques et arriva même à éclipser l’opposition traditionnelle regroupée au sein de la Convergence. Avec ses grands moyens financiers (il regroupa entre autres les associations patronales), ses connaissances des corridors enchevêtrés du lobbyisme international et des sympathies dans certaines ambassades à Port-au-Prince, les décideurs internationaux finirent par lui accorder une oreille attentive.

    Après donc une intense campagne de dénigrement relayée par la presse internationale, le président Aristide, qui avait suscité d’immenses espoirs en 1990, parmi les pauvres et ceux snobés par les classes politiques, mais qui n’avait jamais été accepté vraiment par les détenteurs du pouvoir économique, de certains membres du haut clergé et de l’élite politique qui ont d’ailleurs tout fait pour saper ses gouvernements, aurait donc été forcé de démissionner et quitter Haiti au matin du 29 Février 2004. Avec cette fin de gouvernement, les Haïtiens du bas échelon social perdraient à jamais leur chance de participation à la vie politique de leur pays, comme citoyens à part entière.

  • Le 3 juillet 1993, pour la première fois d’une longue série de capitulations, le président Haïtien déchu Jean-Bertrand Aristide a signé un accord sous l’égide du ministère américain des affaires étrangères qui accordait une amnistie complète aux voyous de l’armée responsables du coup d’État du 30 septembre 1991 et des meurtres de 3000 Haïtiens : activistes politiques, ouvriers et paysans.

    L’accord, loin de restaurer la « démocratie » dans ce pays (le plus pauvre des Amériques), maintenait le statut de Haïti comme objet des manipulations de Washington. Les dix points de l’accord étaient fondés sur l’acceptation par l’armée du retour d’Aristide au pouvoir, prévu pour le 30 octobre, en retour de l’amnistie des officiers qui avaient pris part au coup d’État.

    Les dirigeants du coup acceptaient de démissionner, mais leurs remplaçants devaient être choisis dans l’armée en suivant ses propres règles de promotion. Le Général Raoul Cedras, dans un discours télévisé, s’est vanté que tous les changements allaient respecter la constitution et les règlements de l’armée. « Je n’ai pas accepté, et je n’accepterai pas que même un seul membre de l’armée soit exclu ». Les crimes dont la junte de Cedras était responsable, outre les milliers de morts, comprenaient la détention arbitraire de 28 000 personnes et l’expulsion de force de 350 000 personnes, dont 80 000 ont fuit soit en République dominicaine voisine, soit sur de petites embarcations jusqu’aux Bahamas et aux États-Unis.

    En réalité, il allait falloir encore plus d’un an pour que l’accord soit appliqué, l’armée et les élites dirigeantes haïtiennes mettant un obstacle après l’autre pour retarder le retour d’Aristide à Port-au-Prince. Et même ensuite, Aristide ne devait pas faire autre chose que fournir un visage démocratique à la poursuite de la domination du pays par l’impérialisme américain et ses sbires locaux corrompus. Il fut révélé à l’époque que Cedras le chef de la police Michael François étaient payés par la CIA depuis le milieu des années 1980, ce qui implique que le coup de 1991 et le massacre qui a suivi ont été directement ordonnés par Washington.

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