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Le syndrome chinois

vendredi 18 mars 2011, par Robert Paris

Panique nucléaire au Japon

La peur du « syndrome chinois »

La succession brutale des événements qui frappent trois des réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima ne fait que nourrir les pires inquiétudes en dépit des propos rassurants des autorités japonaises. L’éventualité d’une fusion, partielle ou totale, de l’un voire des trois cœurs de ces installations, ravive le spectre du « syndrome chinois » popularisé en mars 1979 par le film du même nom réalisé par James Bridges. Trouvé excessif par certains lors de sa sortie, ce long métrage mettait en scène un scénario imaginé huit ans plus tôt par un physicien américain : celui d’un réacteur nucléaire construit par des sociétés peu scrupuleuses présentant une série de défaillances qui conduisent au « dénoyage » de son combustible. Faute d’être correctement refroidi, celui-ci monte en température, fond, traverse la cuve qui le contient, puis ronge le béton du bâtiment réacteur et commence, tel un dard de chalumeau, un long chemin dans le sol qui menace de le conduire jusqu’en Chine de l’autre côté de la terre !

Quinze jours après sa sortie, ce film devint en partie une triste et terrible réalité. Le 28 mars 1979, vers 4 heures du matin, alors que le réacteur numéro 2 de la centrale de Three Mile Island, située près de la ville de Harrisburg en Pennsylvanie, fonctionne à 97% de sa puissance, les opérateurs de l’installation détectent une anomalie dans le circuit secondaire de refroidissement de l’installation. Celle-ci entraîne aussitôt une montée en température du circuit primaire qui refroidit les éléments combustible : des pastilles d’uranium faiblement enrichi contenus dans des gaines métalliques elles mêmes assemblées dans une cuve d’acier hermétiquement fermée. A peine cette anomalie est détectée que l’installation se met automatiquement à l’arrêt.

Tout semble donc maîtrisé. Mais un cœur nucléaire est un peu comme une plaque de cuisson. Il reste chaud longtemps et ce d’autant plus qu’en son sein ont été engendrés des produits de fission qui, par désintégration nucléaire, continuent à l’alimenter en chaleur. Et c’est là que la catastrophe qui mène au syndrome chinois commence. Du fait du dysfonctionnement de certains matériels, du manque de certains détecteurs, des erreurs de diagnostic de l’équipe de conduite et de la mise en œuvre de procédures de secours inadaptées durant de longues heures, la centrale échappe à ses opérateurs.

Le cœur n’étant plus refroidi suffisamment, son combustible entre en surchauffe et une partie commence à fondre. Se forme alors un « corium », une sorte de magma bouillant – certains évoquent des températures supérieures à 2.500 degrés, voire plus – ou sont mélangés en une sorte de pâte liquide du combustible nucléaire, des gaines métallique qui le protègent et des éléments d’assemblage du cœur. La question qui se pose alors à tous les opérateurs de centrales nucléaires est de savoir si ce corium va percer la cuve, puis attaquer le béton du radier, une dalle qui supporte une partie de l’installation, dernier rempart avant le sol. Une fois ces barrières brisées, le syndrôme chinois va à son terme.

Fort heureusement, il n’a pas eu lieu à Three Mile Island. Après des heures de bataille, un système de refroidissement du cœur a pu être mis en place qui, finalement, a protégé la cuve du réacteur, retenu le corium et évité qu’il n’attaque le radier. Mais les conséquences de ce terrible accident ont été considérables. Certes, on n’a pas eu à déplorer la moindre victime, mais il a fallu, malgré tout, se résoudre à rejeter dans la nature des effluents radioactifs liquides et gazeux et tenter d’organiser l’évacuation de l’hydrogène produit par la réaction chimique de l’eau au contact du zircaloy des gaines de combustibles. A Fukushima aussi, on a fait de même, sans que cela semble vraiment maîtrisé !

A Three Mile Island, une poche de 320 kilos d’hydrogène avait bien explosé dans l’enceinte de confinement mais sans dommage pour elle. Et le reste a été progressivement et prudemment libéré au cours des jours suivants. Rien de comparable à ce qui s’est produit sur deux des réacteurs japonais dont des pans entiers de bâtiment ont été soufflés par des explosions. Les enceintes de confinement tiennent-elle encore ? Les autorités japonaises le laissent entendre. Mais sont-elles assurées qu’aucune fusion de cœur n’a eu lieu ? Rien n’est moins sûr. Celui de la tranche 3 pourrait avoir en partie fondu et sur la 2, il semble que le cœur soit déjà dénoyé exposé à de terribles dommages. Les tonnes d’eau de mer chargé d’acide borique – un produit qui « mange » les neutrons et empêche les réactions nucléaires – injectées dans les réacteurs pourront-elles refroidir à temps le combustible ?

Une certitude, il faut faire vite. Il n’avait fallu que quinze longues heures aux Américains pour y parvenir tout en préservant la centrale. Rien de tel pour les Japonais qui en plus doivent prendre en compte les dégats faits au site par le tsunami. A Three Mile Island, 45% du cœur a fondu et une vingtaine de tonnes sont parvenus sous forme liquide jusqu’au fond de la cuve du réacteur sans heureusement la traverser. A Tchernobyl, en 1986, des équipes ont dû forer une galerie qu’elles ont rempli de béton pour éviter que le corium n’entre en contact avec des nappes d’eau ce qui aurait eu pour conséquence une terrible explosion de vapeur avec projection supplémentaire de produits radioactifs. A Fukushima ?

Le sujet est si grave que d’importantes recherches sont menées sur ce thème. Notamment à Cadarache (Bouches du Rhône) avec le réacteur d’essais Phébus. Essais qui ont conduit les concepteurs des centrales de troisième génération à prévoir sur l’EPR franco-allemand et le VVER russe des cendriers faits d’un matériau réfractaire très résistant qui récupéreraient le combustible fondu en cas d’accident.

Survenue après l’effroyable tremblement de terre du 11 mars dernier (de niveau 9 sur l’échelle de Richter, l’un des plus intenses de l’histoire sismique récente du monde) et surtout après le terrible tsunami qui s’est abattu sur la zone une heure après le séisme et qui a entraîné une panne du système auxiliaire de réfrigération, l’explosion du réacteur n°1 de la centrale nucléaire de Fukushima 1 au Japon sème la panique dans l’ensemble de la région. Le monde retient son souffle. Tokyo la capitale et ses 35 millions d’habitants ne se trouvent qu’à 240 kilomètres de la centrale... Et le réacteur n° 3 risque également d’exploser. Si les coeurs des deux réacteurs venaient à fondre - ce que nul ne peut exclure pour l’instant - on se retrouverait en présence d’une catastrophe nucléaire civile inédite par son ampleur et par l’importance colossale de ses dégâts humains potentiels.

Pour l’heure, il s’agit déjà, selon les experts, du pire accident nucléaire depuis celui de Tchernobyl, survenu en 1986, qui était de niveau 7 sur l’échelle l’INES (de l’anglais International Nuclear Event Scale, soit Échelle internationale des événements nucléaires) établie par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et graduée de 0 à 7.

Au stade actuel, l’accident nucléaire de Fukushima est déjà classé de niveau 4 et s’apparente à celui qui s’est produit le 28 mars 1979 à la centrale de Three Miles Island (Pennsylvanie, États-Unis) lorsque, à la suite d’une chaîne d’évènements accidentels, le cœur du réacteur de type réacteur à eau pressurisée, appelé TMI-2, a en partie fondu. Cet accident a été classé au niveau 5 sur l’échelle de l’INES.

A cet égard, il n’est pas inintéressant de revoir un film américain de James Bridges intitulé : Le Syndrome chinois (The China Syndrome). Sorti quinze jours à peine avant l’accident de Three Mile Island lorsqu’une partie du cœur du réacteur a fondu. Ce film eut un retentissement médiatique énorme et un écho considérable dans l’opinion. Il alimenta le mouvement contre l’énergie nucléaire aux États-Unis et contribua à faire stopper pendant des décennies le programme nucléaire civil américain.

En voici le synopsis :

"Kimberley Wells, journaliste à la télévision, filme en secret au cours d’un documentaire un incident à la centrale nucléaire de Ventana alors que la commission de sûreté tente d’étouffer l’affaire. Son caméraman le montre à un ingénieur nucléaire qui confirme la réalité de l’accident et son caractère potentiellement dangereux. C’est à ce moment qu’est évoquée la notion de « syndrome chinois ».

En effet, le film est basé sur un scénario qui envisage la possibilité d’un emballement du réacteur nucléaire de la centrale (résultant de lacunes volontaires dans le contrôle des principaux composants de la centrale au moment de sa construction) conduisant celui-ci à percer la cuve, faire fondre son enceinte de confinement et à traverser le sol (puisque le poids atomique de l’uranium 235 est le plus lourd) ; en théorie jusqu’au centre de la Terre (et non jusqu’en Chine comme le laisse supposer le titre du film). Un expert en sécurité affirmait littéralement dans le film que « pareille fusion nucléaire pouvait contaminer une surface grande comme la Pennsylvanie et la rendre inhabitable à jamais ».

Juste après la sortie du film, les représentants de l’industrie nucléaire défendirent leur secteur. Ils prétendirent que le film était un moyen irresponsable de la gauche antinucléaire pour attiser la peur du grand public face à l’énergie nucléaire. Les critiques n’auraient pourtant jamais osé imaginer que quinze jours plus tard, la réalité dépasserait la fiction. Même si l’accident de Three Mile Island prouva que la cuve du réacteur et le bâtiment résistaient aux conditions extrêmes d’une fusion du coeur du réacteur. Il existe également des preuves scientifiques et techniques que « le syndrome chinois » ne peut pas se produire dans la réalité. Malgré tout, l’idée est restée ancrée dans la conscience collective. Et on voit revenir cette panique avec le grave accident nucléaire en cours au Japon.

Lire la critique du film Le Syndrome chinois proposée par : Christian Boisvert

Film "China Syndrome (The)" : Les dangers du nucléaire !

"En fin des années 1970, la crainte d’accidents dans les centrales nucléaires est omniprésente. Ce film arrive à point... pour alimenter l’inquiétude ! Une journaliste (excellente Jane Fonda) fait un reportage sur une centrale nucléaire. Pendant le tournage, un incident se produit. Les dirigeants de la centrale minimisent le tout. Mais l’un des employés, joué par Jack Lemmon, très convainquant, comprend qu’on a frôlé la catastrophe. Il décide d’en parler à la journaliste et à son caméraman, le tout jeune Michael Douglas. Mais diverses contraintes politiques empêchent tout ce beau monde de prévenir le public. Il ne reste plus qu’une dernière chose à faire, pour le technicien de la centrale : prendre le centre de contrôle d’assaut et, à la pointe d’une arme à feu, forcer les dirigeants à faire venir la journaliste et son équipe pour un reportage en direct. Tout se met en place, pendant que les dirigeants travaillent fébrilement à investir la salle de contrôle et tuer le technicien. Arriveront-ils avant que ne débute le reportage en direct ?

Ce sont des histoires comme celles-ci, combinées à des accidents comme celui de Three Miles Island qui auront sensibilisé le public aux dangers du nucléaire. En ce sens, ce film est non seulement intéressant mais essentiel. Il prouve bien que le cinéma peut réussir à influencer les gens d’une façon plus efficace que les politiciens ou les associations de défense.

Le film est très bien construit, avec une progression lente mais certaine des éléments de tension. On pourra critiquer l’utilisation de termes trop techniques qui égarent rapidement le spectateur. Mais cela a aussi le bon côté de démontrer, à tort ou à raison, que les réalisateurs du film connaissaient bien leur sujet. C’est un excellent film qui vieillit très bien !"

Messages

  • « Je me rendrai au Japon dès que possible, j’espère demain, pour obtenir les dernières informations disponibles et apprendre de la part de nos confrères japonais quelle est la meilleure façon pour l’IAEA d’aider le Japon » a déclaré le directeur général de l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique, Yukiya Amano lors d’une conférence de presse.

    Yukiya Amano, qui a déclaré qu’il recevrait de meilleures informations directement de la part des japonais, mais il a déclaré « Nous ne connaissons pas la situation exacte à l’intérieur du réacteur. Si j’attends que tout soit résolu, il sera trop tard, donc il y a encore des incertitudes mais j’ai décidé de me rendre au Japon et de faire de mon mieux pour contacter les personnes qui gèrent cette question ».

    Conclusion : il n’a pas d’infos et il n’est pas invité....

    Interrogez vous pourquoi

  • Film/docu à voir - Au delà du nuagede Keiko Courdy / 2013 / 101’ samedi 19 avril de 16h30 à 17h30 à la Maison de la culture du Japon à Paris | 101 bis, quai Branly | 75015 Paris | Métro 6, Bir-Hakeim | RER C C, Champ de Mars - Tour Eiffel

    Tarif 5 €
    * film en entrée libre

    Fukushima est un monde parallèle. Vu de l’extérieur, tout a l’air normal. En dehors de la zone interdite des 20 km et des villes évacuées, la vie continue exactement comme avant. Mais ce n’est qu’une apparence. Le danger est invisible.
    Peu après la triple catastrophe du 11 mars 2011 (séisme, tsunami, accident nucléaire) et pendant plus d’un an, Keiko Courdy, la réalisatrice bouleversée par ce qui venait d’arriver, est partie à la rencontre des habitants : mères de famille, enfants, agriculteurs… Elle a loué une voiture et sillonné toute la région.
    Beaucoup de gens vivent encore dans des zones parfois fortement contaminées. Afin d’essayer de comprendre, elle a aussi interviewé de nombreuses personnalités japonaises connues et engagées dans le Japon d’aujourd’hui : ancien premier ministre pendant la crise, écrivains, architecte, activistes, artistes, journaliste d’investigation.
    Ces témoignages exceptionnels montrent en période de crise, les contradictions et les élans d’une population qui se relève d’un traumatisme. Nous avons tous à apprendre de ce qui s’est passé. Beaucoup rêvent d’un "Yonaoshi", un renouvellement du monde, mais est-ce possible ? Peut-on changer nos comportements et repartir sur des bases plus saines dans notre rapport au monde, à l’environnement ?
    En dépit des apparences et de l’impuissance que beaucoup ressentent, le changement est profond. Partout des individus s’activent pour lutter contre l’inertie.

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