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Ce que le socialisme révolutionnaire disait de l’Algérie coloniale

dimanche 13 février 2011, par Robert Paris

Trois articles pour The New American Cyclopaedia, écrits en 1858.
Publiés en français dans la revue IVème Internationale de février 1964.

ABD EL KADER - BUGEAUD - ALGÉRIE

Karl Marx - Friedrich Engels, 1858

Textes inédits en français de K. MARX et F. ENGELS sur la conquête de l’Algérie par l’impérialisme français.
Ces textes font partie des articles rédigés par les deux fondateurs du marxisme pour la New American Cyclopedia, encyclopédie populaire éditée aux Etats-Unis par Charles A. Dana et Georges Ripley et à laquelle Marx et Engels collaborèrent en 1858.

ABD EL KADER

Un émir de la tribu bédouine de Hashem Garabo [1], dans la province d’Oran et de la partie occidentale de l’Algérie, descendant d’une ancienne famille de marabouts qui pouvait tracer ses origines aussi loin que les califes de la dynastie des Fatimites. Son nom en entier est Sidi el Hadji Abd el Kader Oulid Mhiddeen. Il naquit en 1807 près de Mascara, et fut éduqué dans un collège pour apprendre la théologie et la jurisprudence. Son père, Mhiddeen, émir ou prince de Mascara, jouit de son vivant de la plus haute réputation de sagesse et de sainteté, à un degré tel que sa maison fut un asile pour les débiteurs et les criminels. Son influence souleva les appréhensions du gouverneur turc d’Oran qui craignit qu’il veuille renverser la domination turque. Pour éviter l’inimitié du bey, Mhiddeen fit un pèlerinage à La Mecque. Il mourut en 1834 d’un poison qui lui fut administré par Ben Moosa, chef des Maures de Tlemcen. Abd el Kader avait accompagné son père à La Mecque et acquit ainsi le titre de El Hadji (le saint). On dit qu’il manifesta tôt des capacités dépassant son âge ; il lisait et écrivait aisément l’arabe, et pendant son pèlerinage il apprit l’italien et plus probablement le sabir. En 1827 il visita l’Egypte et passa quelque temps à la cour de Mehemet Ali, étudiant les réformes et le nouveau système de ce politicien astucieux. Son extérieur noble et avenant, ainsi que son affabilité et ses manières simples lui conquirent l’affection de ses compatriotes, tandis que la pureté de ses moeurs lui valut leur respect et leur estime. Il fut le plus accompli des cavaliers arabes, un parfait soldat, et le plus brave parmi les braves. L’occupation d’Alger par les Français ne rencontra qu’une faible résistance de la part des Turcs, mais elle souleva le furieux esprit d’indépendance des tribus indigènes, et après voir versé des flots de sang et dépensé des millions, les Français ne détenaient guère que le sol occupé par leurs propres garnisons.

En 1831, Abd el Kader, le plus formidable de leurs opposants, s’efforça de consolider les tribus en organisant un système de résistance. Son frère aîné était déjà tombé lors d’un conflit avec les Français, au moment où, à la tête de sa propre tribu et des tribus voisines, il commençait à les harasser, évitant tout engagement, et se contentant de surprendre leurs avant-postes et de couper leurs convois. Dans le printemps de 1832, le général Boyer, commandant d’Oran, lança une offensive sans résultat contre Tlemcen, place forte d’Abd el Kader.

Ceci encouragea l’émir à entreprendre des opérations plus décisives et, à la tête de 5.000 Bédouins, il ravagea la province d’Oran et menaça la ville elle-même, sommant les Français d’évacuer le territoire. Son courage et son audace lors de cette expédition, bien qu’elle ne fut suivie d’aucun résultat positif, lui valut l’admiration des Arabes : Trente-deux tribus se déclarèrent immédiatement en sa faveur, et il fut élu chef des croyants en décembre 1832 alors qu’il avait seulement 23 ans. Il se trouva ainsi placé à la tête de 12.000 guerriers avec lesquels il fit le blocus de la ville et intercepta toutes les communications. En avril 1833, le général Desmichels, successeur de Boyer, fit une sortie et mit en pièces un grand nombre de Garabats. Apprenant ce désastre, Abd el Kader avança à nouveau sur Oran, mais sans succès ; et le 7 mai, les Français assiégèrent la ville d’Arzew, un des postes qui permettait au chef arabe de garder une voie de communication par mer. Cependant, ces revers ne modifièrent en rien la réputation d’Abd el Kader auprès de ses compatriotes.

Il occupa Tlemcen, puis avança sur Mostaganem, ville en possession des Turcs, jusqu’au nord-est d’Arzew ; mais les Français devancèrent ses opérations, et s’emparèrent de Mostaganem. Le général Desmichels s’efforça alors de saper la puissance d’Abd el Kader, et d’amener les tribus indigènes à reconnaître la suprématie de la France. Il réussit à enlever la smahla d’Abd el Kader, défaite dont ce dernier se vengea bien par la suite. En décembre 1833 et en janvier 1834, Abd el Kader, surtout à cause des désertions qui se produisirent dans son camp, essuya de sérieux échecs, et fut contraint de conclure la paix avec les Français. Il demanda l’échange de prisonniers et la protection de tout résident ou voyageur européen ; tandis que les Français le reconnaissaient comme prince indépendant, et s’engageaient à l’aider à maintenir son autorité sur ses propres tribus, lui, de son côté, ne devait pas intervenir dans celles qui étaient sous protection française. Abd el Kader s’occupa alors de reprendre son influence sur les tribus qui avaient été quelque peu ébranlées par ses échecs ; il s’efforça aussi d’introduire les méthodes et la discipline européennes parmi ses troupes.

Un puissant chef du désert, Moussa el Sherif, eut assez d’audace pour se mesurer à Abd el Kader dont il jalousait la puissance grandissante. L’émir prit prétexte de ces hostilités pour franchir le Cheliff (frontière que lui avait assignée le traité) et châtier l’insolence de son rival. Cette expédition confirma sa réputation, et plusieurs tribus du désert se rallièrent, le reconnaissant comme sultan.

Il profita de son pouvoir ainsi accru pour établir la sécurité des transports publics, pour réformer les abus grossiers des cours de justice et pour assurer les droits de la propriété. Dans l’espoir d’obtenir des ressources financières, il accorda à un Juif nommé Durand un monopole de commerce intérieur et extérieur sur son territoire, ce qui lui procura un revenu immédiat et lui permit d’intervenir dans l’approvisionnement des garnisons et des colons français. Le gouvernement français s’alarma bientôt et, rappelant Desmichels qu’il désapprouvait pour son manque d’énergie, nomma à sa place le général Trézel commandant d’Oran. On ne mit pas longtemps à trouver un prétexte pour de nouvelles hostilités. En 1835 les chefs de smahlas et des douars, qui s’étaient placés sous protection française, demandèrent l’intervention de Trézel contre Abd el Kader, qui avait insisté pour qu’ils renoncent à leur alliance avec les Français. Avec ses troupes, le général Trézel avança vers Mascara. Il fut surpris dans sa marche par Abd el Kader dans le défilé de Mouleh Ismael, et dut se retirer sur Arzew après avoir perdu un canon, son train et avec près de 600 blessés ou tués.

Abd el Kader adressa une lettre de justification au comte d’Erlon, gouverneur d’Algérie, dans lequel il rejetait toute la responsabilité des récents événements sur le général Trézel.

En même temps, il envoya des messagers dans toutes les tribus pour leur montrer l’insolence et la traîtrise des Français et les appeler à se rallier à lui pour une protection mutuelle. Le maréchal Clauzel fut alors envoyé à Alger comme gouverneur, avec des instructions pour écraser Abd el Kader d’un seul coup ; celui-ci, de son côté, entièrement au courant de ce qui se passait, ne fut pas long à affronter ses ennemis. Il promulgua les dénonciations les plus terribles contre tous ceux que l’on trouverait partisans des Français ou leur fournissant des vivres. En conséquence, les garnisons et les avant-postes français étaient presque affamés et ne pouvaient obtenir de nourriture que par des razzias dans lesquelles amis et ennemis étaient traités de la même façon.

L’émir rassembla plus de 50.000 hommes et, par ses manoeuvres, il parvint à repousser l’avance française jusqu’à la saison des pluies. Ce n’est qu’en novembre que les Français, dans leur marche contre Mascara, arrivèrent à Oran. Mostaganem et Arzew étaient occupées par de nombreuses garnisons et Clauzel avança en pays ennemi avec 13.000 hommes. Après plusieurs jours de combats incessants, il parvint à Mascara le 6 décembre, et se vengea d’Abd el Kader en faisant de cette ville un monceau de ruines.

Une fois réussi cet exploit odieux, les Français furent contraints de se retirer à nouveau. Ils prirent ensuite Tlemcen, en janvier 1836, l’occupèrent, puis retournèrent à Oran. Bien qu’ils aient vaincu les Kabyles en une seule bataille, l’infatigable émir ne cesse de harasser leur retraite qu’ils n’effectuèrent finalement qu’après de sérieuses pertes. Ce mode de guerre sauvage et criminel, qui n’était rien de plus qu’un système de raids, n’eut aucun résultat positif pour les Français. Dès que l’armée se fut retirée, les habitants de Tlemcen se dressèrent contre la garnison française dont les convois furent coupés, et le général d’Arlanges, commandant en second, reçut l’ordre d’établir un camp fortifié sur la Tafna dans le but de couvrir Tlemcen et de garder libres les voies de communication entre ce poste et les endroits favorables aux Français. Il avança avec 3.000 hommes tandis qu’une autre division de 4.000 hommes était envoyée par mer.

Quand il arriva à environ huit kilomètres de Tlemcen, il fut attaqué par Abd el Kader et 10.000 Arabes et repoussé dans son camp fortifié où il fut enfermé et forcé de rester jusqu’à ce que Bugeaud à, la tête de 4.000 hommes vienne le délivrer. Abd el Kader répandit le bruit que la cause française était perdue, et, par ce moyen, souleva les tribus arabes à un tel point de fanatisme qu’elles se levèrent en masse contre l’envahisseur détesté. Le général Bugeaud prit alors le commandement. Son caractère intransigeant infusa un nouvel esprit dans l’armée française.

Abd el Kader fut repoussé, et la garnison de Tlemcen qui se trouvait au bord de la famine, fut délivrée. Abd el Kader menaça le camp fortifié français sur la Tafna, et Bugeaud, acceptant son défi, quitta son retranchement et lui infligea une défaite totale, le 6 juillet 1836. Cependant, cette défaite n’aurait pas arrêté l’intrépide Arabe, si en même temps n’était intervenue la révolte de la puissante tribu de la Flita ; il se retira pour la châtier.

Bientôt Abd el Kader reprit les armes et Clauzel, qui était très occupé à Constantine, envoya encore une fois Bugeaud dans la province d’Oran en 1837, à la tête de 12.000 hommes. Le commandant français lança des proclamations, annonçant son intention de marcher sur les territoires arabes à la tête d’une force capable d’écraser toute résistance, mais en même temps il offrit la paix aux tribus qui se soumettraient. Ces proclamations eurent un tel effet qu’Abd el Kader fut obligé de demander la paix ; et après un entretien personnel entre lui et Bugeaud, un armistice fut conclu le 7 mai 1837, par lequel il reconnaissait la souveraineté de la France, et acceptait de rendre la province d’Oran et de se limiter à Koléah, Médéa et Tlemcen...

BUGEAUD

Bugeaud de la Piconnerie, Thomas, Robert, duc d’Isly, Maréchal de France, né à Limoges en octobre 1784, mort à Paris le 10 juin 1849. Il entra dans l’armée française comme simple soldat, devint caporal durant la campagne de 1805, et servit comme sous-lieutenant dans la campagne de Prusse et de Pologne (1806-1807), assista comme commandant aux sièges de Lerida, Tortosa et Tarragona et fut promu au grade de lieutenant-colonel après la bataille d’Ordal en Catalogne. Après le premier retour des Bourbons, le colonel Bugeaud célébra le lys blanc en vers de mirliton ; mais ces effusions poétiques étant plutôt traitées avec mépris, il rejoignit, durant les Cent-Jours, le parti de Napoléon qui l’envoya dans l’armée des Alpes, à la tête du 14ème régiment de ligne. Au second retour des Bourbons, il se retira à Excideuil, dans le domaine de son père. Au moment de l’invasion d’Espagne par le duc d’Angoulême, il offrit son épée aux Bourbons mais, l’offre étant refusée, il devint libéral et rejoignit le mouvement qui conduisit finalement à la révolution de 1830. Il fut choisi comme membre de la Chambre des députés en 1831 et nommé général de brigade par Louis-Philippe. Nommé gouverneur de la citadelle de Blaye, il avait la duchesse de Berry sous sa garde, mais la façon dont il s’acquitta de sa mission ne lui valut aucun honneur ; il fut ensuite connu sous le nom de « ex-geôlier de Blaye Durant les débats de la Chambre des députés du 16 janvier 1834, M. Larabit, se plaignant de la dictature militaire de Soult, et Bugeaud l’interrompant par ces mots : « L’obéissance est le premier devoir du soldat un autre député, M. Dulong, demanda, caustique : « Même si on lui demande de devenir geôlier ? ». Cet incident provoqua un duel entre Bugeaud et Dulong, dans lequel ce dernier fut tué. L’exaspération des Parisiens qui s’ensuivit monta encore du fait de sa participation à la répression de l’insurrection parisienne des 13 et 14 avril 1834.

Les forces destinées à réprimer cette insurrection étaient divisées en trois brigades dont l’une était commandée par Bugeaud. Dans la rue Transnonain, une poignée d’insurgés enthousiastes qui tenaient encore une barricade le matin du 14, fut cruellement assassinée par une force démesurée alors que le moment important des opérations était passé. Bien que l’endroit ne fut pas dans la circonscription assignée à la brigade de Bugeaud et que lui-même, donc, n’y ait nullement participé, la haine du peuple lia son nom à ce massacre et, malgré les déclarations contraires, persista à le stigmatiser comme « l’homme de la rue Transnonain Envoyé le 16 juin 1836 en Algérie, le général Bugeaud fut investi d’un poste de commandement dans la province d’Oran, presque indépendant du Gouvernement général. Ayant reçu l’ordre de combattre Abd el Kader et de le soumettre par le déploiement d’une force imposante, il conclut le Traité de la Tafna, laissant échapper toute occasion pour de nouvelles interventions militaires et plaçant son armée dans une situation critique avant même qu’elle n’ait commencé à agir. Avant ce traité, Bugeaud avait mené plusieurs batailles. Un article secret, qui n’avait pas été porté sur le papier accordait 30.000 boojoos (environ 12.000 dollars) au général Bugeaud. Rappelé en France, il fut promu au rang de lieutenant général et décoré Grand officier de la Légion d’Honneur. Lorsque la clause secrète du Traité de la Tafna commença à s’ébruiter, Louis-Philippe autorisa Bugeaud à utiliser l’argent pour certaines routes publiques afin d’accroître sa popularité parmi ses électeurs et de s’assurer son siège à la Chambre des députés. Au début de l’année 1841, il fut nommé gouverneur général de l’Algérie, et, sous son administration, la politique française en Algérie se transforma complètement. Il fut le premier gouverneur général dont l’armée fut à la hauteur de sa tâche, qui exerçât une autorité absolue sur les commandants en second, et qui conservât son poste assez de temps pour exécuter un’ plan dont l’application demandait des années. La bataille d’Isly (14 août 1844) dans laquelle il mit en échec l’armée de l’empereur du Maroc avec des forces nettement inférieures, dut son succès au fait qu’il surprit les Musulmans, sans déclaration de guerre préalable, et à la veille de la conclusion des négociations.

Déjà promu à la dignité de Maréchal de France, le 17 juillet 1843, Bugeaud reçut le titre de duc d’Isly. Comme, après son retour en France, Abd el Kader avait de nouveau regroupé une armée, il fut renvoyé en Algérie, où il écrasa rapidement la révolte arabe. En raison du différend entre Guizot et lui, né de l’expédition en Kabylie qu’il avait entreprise contre les ordres du ministre, il fut remplacé par le duc d’Aumale, ce qui lui « permettrait » selon l’expression de Guizot « de venir jouir de sa gloire en France Dans la nuit du 22 au 23 février 1848, sur le conseil secret de Guizot, il fut introduit auprès de Louis-Philippe qui lui conféra le haut commandement de toutes les forces armées, la ligne aussi bien que la garde nationale. Le 23 à midi, suivi des généraux Rulhières, Bedeau, Lamoricière, de Salles, Saint-Arnaud et d’autres, il alla au quartier général des Tuileries où il fut officiellement investi du haut commandement par le duc de Nemours. Il rappela aux officiers présents que celui qui allait les diriger contre les révolutionnaires parisiens "n’avait jamais été battu, que ce soit sur le champ de bataille ou dans les insurrections", et que, cette fois encore, il promettait d’en unir rapidement avec "cette canaille rebelle".

Pendant ce temps, les nouvelles de sa nomination contribuèrent largement à donner aux affaires un tour décisif. La garde nationale encore plus irritée par sa nomination au haut commandement, cria : "À bas Bugeaud !" "À bas l’homme de la rue Transnonain ! " et refusa absolument d’obéir à ses ordres.

Effrayé par cette manifestation, Louis-Philippe retira ses ordres, et passa la journée du 23 en vaines négociations. Le 24 février, seul du Conseil de Louis-Philippe, Bugeaud poussait encore à la guerre jusqu’au bout ; mais le roi considérait déjà que sacrifier le maréchal serait un moyen de faire la paix avec la garde nationale. Le haut commandement fut donc placé en d’autres mains, et Bugeaud démissionna. Deux jours après, mais en vain, il offrait son épée au service du gouvernement provisoire. Lorsque Louis-Napoléon devint président, il confia le commandement de l’armée des Alpes à Bugeaud, qui fut aussi élu représentant à la Chambre des députés par la Charente-Inférieure.

Il publia diverses productions littéraires traitant principalement de l’Algérie. En août 1852, un monument lui fut élevé à Alger et un autre dans sa ville natale.

ALGÉRIE

De la première occupation de l’Algérie par les Français jusqu’à nos jours, ce pays malheureux a été l’arène de violence, de rapines et de carnages incessants. Chaque ville, grande ou petite, a été conquise en détail et au prix d’un immense sacrifice de vies humaines. Les tribus arabes et kabyles, pour qui l’indépendance est chose précieuse, et la haine de la domination étrangère un principe plus cher que la vie elle-même, ont été écrasées par les terribles razzias qui brûlèrent et détruisirent demeures et propriétés, abattirent les récoltes, massacrèrent les malheureux ou les soumirent à toutes les horreurs de la brutalité et de la concupiscence. Les Français, contre tous les préceptes d’humanité, de civilisation et de chrétienté persistent dans ce système de guerre barbare. Comme circonstances atténuantes, ils allèguent que les Kabyles sont féroces, s’adonnent au meurtre, torturent leurs prisonniers, et qu’avec des sauvages l’indulgence est une erreur. On peut toutefois mettre en doute la politique d’un gouvernement civilisé qui a recours à la loi du talion.

Et si l’on doit juger de l’arbre par ses fruits, après une dépense d’environ cent millions de dollars et le sacrifice de centaines de milliers de vies humaines, tout ce que l’on peut dire de l’Algérie, c’est que c’est une école de guerre pour les soldats et généraux français, dans laquelle tous les officiers français qui remportèrent des lauriers dans la guerre de Crimée, reçurent leur éducation et leur entraînement militaire. Comme tentative de colonisation, le nombre des Européens comparé à celui des indigènes se révèle un échec presque complet ; et c’est pourtant un des pays les plus fertiles du monde, l’ancien grenier de l’Italie, à vingt heures de trajet de la France, où il manque seulement (face aux militaires amis comme face aux sauvages ennemis) la sécurité pour la vie et la propriété. Que cet échec soit imputable à un défaut inhérent au caractère français qui les rendrait inapte à l’émigration, ou à une administration locale peu judicieuse, il n’est pas de notre ressort d’en discuter. Chaque ville importante, Constantine, Bône, Bougie, Arzew, Mostaganem, Tlemcen fut emportée dans un assaut avec toutes ses horreurs. Les indigènes s’étaient soumis de mauvaise grâce à leurs maîtres turcs, qui avaient au moins le mérite d’être des coreligionnaires ; mais ils ne trouvèrent aucun avantage dans la prétendue civilisation du nouveau gouvernement, contre lequel ils avaient, en plus, toute la répugnance du fanatisme religieux. Chaque gouverneur ne venait que pour renouveler les violences du précédent ; des proclamations annonçaient les intentions les plus aimables, mais l’armée d’occupation, les manoeuvres militaires, les terribles cruautés pratiquées de part et d’autre, tout réfutait les professions de paix et de bonne volonté. En 1831, le baron Pichon avait été nommé intendant civil, et il s’efforça d’organiser un système d’administration civile qui suivrait le gouvernement militaire dans ses déplacements, mais le contrôle que ses mesures auraient exercé sur le gouverneur en chef offensèrent Savary, duc de Rovigo, ancien ministre de la police de Napoléon, et sur ses instances, on rappela Pichon. Sous Savary, l’Algérie devint l’exil de tous ceux dont la conduite sociale et politique les avaient mis sous le coup de la loi ; et une légion étrangère, dont les soldats avaient interdiction d’entrer dans les villes, fut introduite en Algérie. En 1833, une pétition fut présentée à la Chambre des députés, déclarant :

« Depuis trois ans nous avons souffert toutes les injustices possibles. Chaque fois que l’on adresse des plaintes aux autorités, on n’y répond que par de nouvelles atrocités dirigées particulièrement contre ceux qui ont émis ces plaintes. De ce fait, personne n’ose bouger, c’est pourquoi il n’y a aucune signature au bas de cette pétition. Messieurs, nous vous supplions, au nom de l’humanité, de nous délivrer de cette écrasante tyrannie, de nous racheter pour nous enlever au joug de cet esclavage. Si la terre doit être soumise à la loi martiale, s’il ne doit pas y avoir de pouvoir civil, nous sommes perdus, il n’y aura jamais de paix pour nous. »

Cette pétition amena la création d’une commission d’enquête, ce qui eut pour conséquence l’établissement d’une administration civile. À la mort de Savary, sous l’autorité intérimaire du général Voirol, on commença à prendre certaines mesures calculées dans le but d’apaiser l’irritation ; l’assèchement des marais, l’amélioration des routes, l’organisation d’une milice indigène. Cependant, tout ceci fut abandonné au retour du maréchal Clauzel qui entreprit une première et très malheureuse expédition contre Constantine. Son gouvernement donna si peu satisfaction, qu’une pétition demandant enquête sur ses abus, signée par cinquante-quatre personnalités liées à la province, fut envoyée à Paris en 1836. Ceci amena en fin de compte, la démission de Clauzel. Durant tout le règne de Louis- Philippe on essaya de coloniser, en fait on n’aboutit qu’à des spéculations ; à la colonisation militaire, qui était inutile, car les cultivateurs n’étaient pas en sécurité lorsqu’ils se trouvaient loin des canons de leurs propres blockhaus ; à des tentatives de coloniser l’Est de l’Algérie et de chasser Abd el Kader d’Oran et de l’Ouest.

La chute de ce chef intrépide pacifia le pays, si bien que la grande tribu des Hamianes Garabas fit aussitôt sa soumission. A la Révolution de 1848, le général Cavaignac fut nommé pour relever le duc d’Aumale comme gouverneur de la province, ce dernier se retira alors, ainsi que le prince de Joinville qui se trouvait aussi en Algérie. Mais la République n’eut pas plus de chance que la monarchie dans l’administration de cette province. Plusieurs gouverneurs se succédèrent durant sa brève existence. On envoya des colons pour cultiver les terres, mais ils moururent ou quittèrent, dégoûtés. En 1849, le général Pélissier attaqua plusieurs tribus et les villages des Beni Sillem ; leurs récoltes et toute propriété accessible furent brûlées comme d’habitude, parce qu’ils refusaient de payer le tribut. À Zaab, région fertile à la frontière du désert, à la suite du sermon d’un marabout, qui produisit une vive agitation, on envoya une armée de 1.200 hommes ; mais les habitants réussirent à les mettre en échec, et on découvrit que la révolte qui était très étendue était fomentée par des associations secrètes appelées les Sidi Abderrahman, dont le but principal était l’élimination des Français. Les rebelles ne furent réprimés que lorsqu’une expédition conduite par les généraux Canrobert et Herbillon fut dirigée contre eux.

Et le siège de Zoatcha, une ville arabe, prouvait que les indigènes n’avaient ni perdu courage, ni ne s’étaient pris d’affection pour leurs envahisseurs. La ville résista aux efforts de leurs assiégeants pendant cinquante et un jours et fut enfin prise d’assaut. La Petite Kabylie ne se rendit pas avant 1851, lorsque le général Saint-Arnaud la soumit et établit ainsi une ligne de communication entre Philippeville et Constantine. Les bulletins et les journaux français abondent en déclarations sur la paix et la prospérité de l’Algérie. Ce sont des hommages à la vanité nationale. Le pays est encore plus instable que jamais à l’intérieur. La suprématie française est parfaitement illusoire sauf sur la côte et près des villes. Les tribus affirment encore leur indépendance et leur horreur du régime français, et le système atroce des razzias n’est pas abandonné, car en 1857 une razzia réussie fut effectuée par le maréchal Randon sur les villages et les demeures des Kabyles jusqu’alors insoumis, pour ajouter leur territoire aux domaines français. Les indigènes sont encore gouvernés par une poigne de fer et les émeutes incessantes montrent le maintien incertain de l’occupation française, et la fragilité d’une paix ainsi maintenue.

En fait, un procès qui eut lieu à Oran en août 1857 dans lequel le capitaine Doineau, directeur du " Bureau arabe " fut reconnu coupable du meurtre d’un important et riche indigène, révéla ainsi une pratique habituelle, chez les Français, même de rang inférieur, fonctionnaires du pouvoir le plus cruel et le plus despotique, ce qui fort justement attira l’attention de l’opinion mondiale. Actuellement, le gouvernement est divisé en trois provinces. Celle de Constantine à l’est, celle d’Alger au centre, et celle d’Oran à l’ouest. Le pays est sous le contrôle du gouverneur général, qui est aussi commandant en chef, assisté d’un secrétaire, intendant civil, et d’un Conseil composé du directeur de l’Intérieur, du commandant de la marine, de l’intendant militaire, et d’un procureur général, dont le travail consiste à entériner les actes du gouverneur, le Conseil des contentieux, à Alger prend connaissance des délits civils et criminels. Les provinces où a été organisée une administration civile ont des maires, des juges et des commissaires de police. Les tribus indigènes vivant dans la religion musulmane ont encore leurs cadis ; mais on a établi un système d’arbitrage entre elles dont on dit qu’ils le préfèrent, et un officier (l’avocat des Arabes) est spécialement chargé de défendre les intérêts arabes devant les tribunaux français.

Depuis l’occupation française, on affirme que le commerce s’est considérablement accru. Les importations sont évaluées à 22 millions de dollars, les exportations à 3 millions. Les importations sont : le coton, les lainages, la soie, les soieries, le grain et la farine, le citron, le sucre raffiné ; les exportations sont le corail brut, les peaux, le froment, l’huile, la laine et d’autres matières de moindre importance.

* ABD EL KADER - BUGEAUD - ALGÉRIE

par Karl Marx - Friedrich Engels :

1858

Trois articles pour The New American Cyclopaedia, écrits en 1858.

Publiés en français dans la revue IVème Internationale de février 1964.
* ABDELKADER ET L’INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE (PDF – 15.7 Mo)

par Kateb Yacine

Conférence prononcée le 24 Mai 1947 à la Salle des Sociétés Savantes à Paris

rééditions : éditions algériennes EN-NAHDHA

Notes

[1] Ces articles ont été précédés du texte suivant dans la revue IVème Internationale de février 1964,

Des inédits en français de K. MARX et F. ENGELS sur la conquête de l’Algérie par l’impérialisme français.

Nous publions, pour la première fois en français, trois textes de Marx et d’Engels relatifs à la conquête de l’Algérie par la France. Ces textes font partie des articles rédigés par les deux fondateurs du marxisme pour la New American Cyclopedia, encyclopédie populaire éditée aux Etats-Unis par Charles A. Dana et Georges Ripley et à laquelle Marx et Engels collaborèrent en 1858.

En fait, ce fut Marx seul qui reçut la commission de rédiger une série d’articles pour le volume I-IV de la New American Cyclopedia, qui parurent entre 1858 et 1865. Mais, pour aider son ami et lui permettre de consacrer le maximum de son temps à la préparation du Capital (Marx venait d’achever les Grundrisse der Kritik der politischen Okonomie et commençait la rédaction de Zur Kritik der politischen Ekonomie, dont l’introduction allait devenir en quelque sorte la formulation classique de la théorie du matérialisme historique), Engels prit sur lui de rédiger plusieurs articles, surtout ceux ayant trait aux problèmes militaires. En général, il envoya également de la documentation à Marx pour faciliter la rédaction des articles écrits par celui-ci.

Bien que ce travail fut rapidement achevé et qu’il constitue en partie un travail de compulsation de dictionnaires, de nombreux passages reflètent la profondeur de la pensée de Marx et d’Engels, et leur jugement très sûr concernant un grand nombre de sujets. L’article Army rédigé par Engels pour le volume I de la New American Cyclopedia constitue un véritable raccourci d’une histoire militaire universelle et de l’influence que l’évolution sociale et économique exerça sur l’évolution de l’art militaire.

Les articles de la New American Cyclopedia ne sont pas signés. L’identification d’un certain nombre d’entre eux a donné lieu à des controverses, d’autant plus que les directeurs de l’Encyclopédie n’hésitaient pas à modifier, à ajouter ou retrancher aux textes que leur envoyaient les collaborateurs auxquels ils faisaient appel, y compris Marx et Engels.

Controversé est notamment le cas de l’article Abd el Kader. Maximilien Rubel (Bibliographie des Oeuvres de Karl Marx. Librairie Marcel Rivière & Cie. Paris 1956, p. 137) l’attribue à Frédéric Engels, et plusieurs lettres échangées entre les deux amis semblent confirmer cette paternité. Cependant, la revue Voprossi Istorii KPSS (Questions d’Histoire du P.C.U.S., 1958, p. 192) conteste cette paternité et l’attribue à W. Hamfris.

La nouvelle édition des Œuvres Complètes de Marx-Engels, par l’Institut du Marxisme-Léninisme de Moscou — édition suivie fidèlement par les Gesammelte Werke K Marx-Fr. Engels en langue allemande chez Dietz-Verlag, à Berlin-Est, reproduit dans son volume 14 les articles de Marx et d’Engels publiés dans la New American Cyclopedia. L’article Algérie y est dit avoir paru dans le tome I de l’encyclopédie américaine, l’article Bugeaud dans le tome II. L’article Abd el Kader ne fait pas partie de cette édition.

Néanmoins, nous croyons utile de reproduire ici également l’article Abd el Kader, surtout parce qu’il exprime de manière saisissante l’admiration que les fondateurs du marxisme ressentirent en tout cas pour l’indomptable courage des résistants algériens à la conquête française, admiration qui s’exprime par ailleurs également dans les articles Algérie et Bugeaud de la Piconnerie.

En ce qui concerne l’article Algérie, nous en reproduisons seulement la deuxième partie, relative à la conquête française. La première partie, qui a trait à la géographie et à l’histoire algérienne avant la conquête française, est visiblement une compilation d’autres encyclopédies courantes à l’époque, et contient des jugements sur la « piraterie barbare » et les « exactions anarchiques », qui ne sont point conformes à l’esprit avec lequel Marx traita les relations entre les puissances d’Europe et les puissances d’Asie et Afrique aux siècles passés.


Durant les dix années qui suivirent la révolution d’octobre, les communistes apportèrent un soutien actif aux peuples colonisés qui luttaient pour leur indépendance [1]. Au II ème congrès de l’internationale en 1920, ou furent précisées les conditions d’admission des partis à l’Internationale Communiste, Lénine définit la politique communiste vis-à-vis de la question coloniale. Le leader communiste affirmait la nécessité, dans les « Etats et Nations arriérés », d’un soutenir aux mouvements « nationaux révolutionnaire ». Cependant, ces différents mouvements devaient être soutenus uniquement dans la mesure ou ils seraient considérés comme réellement révolutionnaires et qu’ils ne s’opposeraient pas à la formation d’organisations paysannes et ouvrières communistes.

Ces considérations idéologiques poussèrent les communistes et leurs alliers du « Sud » à organiser, en février 1927, le premier congrès anti-impérialiste à Bruxelles. Ce congrès réunissait des représentants des différents peuples vivant sous le joug du colonialisme européen. Le Congrès fut organisé côté français par la Ligue contre l’oppression coloniale qui avait été créée pour soutenir la politique anti-colonialiste de l’Internationale Communiste. Cependant ce furent surtout des organisations allemandes, comme « l’Arbeitsanschub für die unterdruchen Volker » et la « Liga gegen koloniale unterdruchen » fondée par le Komintern qui fournirent la plus importante contribution à l’organisation de ce congrès.

Si ce congrès se voulait celui des peuples colonisés, de nombreuses organisations et personnalités européennes y participèrent. Les partis communistes de France, de Belgique et d’Allemagne y étaient représentés ainsi que des organisations telles que la CGTU, la Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen, la fraction minoritaire des Trade-Unions, l’internationale de l’enseignement et la Ligue internationale des femmes luttant pour la paix. De nombreuses personnalités du monde politique et intellectuel étaient aussi présentes. Parmi elles nous pouvons citer entre autre Albert Eisten, Felicien Challaye, Henri Barbusse, Romain Roland mais aussi le communiste anglais Lansbury et le dirigeant de l’internationale des transports Pimmen.

Du coté des peuples colonisés et dépendants différents mouvements et personnalités politiques avaient effectué le déplacement de Bruxelles. Parmi les personnalités qui devinrent les plus célèbre, il y avait pour représenter l’Inde le Pandit Nehru, pour l’Indonésie Mohammed Hatta. Pour le Machrek arabe, El Bakri représentait la résistance syrienne à coté de délégué Egyptiens et Palestiniens. L’Afrique subsaharienne n’était en reste, avec Lamine Senghor pour le Sénégal qui se trouvait au côté du Comité de Défense de la Race Nègre et de Colraine délégué au congrès par les Syndicats d’ouvrier noirs d’Afrique du Sud.

Les délégations les plus en vu furent les chinoises et les indochinoises. La première regroupait la veuve de Sun Yat Sen, les représentants de l’Armée Rouge revenant des champs de bataille de Manchourie, ceux du Kuomintang et ceux du gouvernement cantonais. L’Indochine quant à elle était représenté par le Parti Constitutionnaliste Indochinois et son rival le Parti Révolutionnaire d’Indochine après la scission intervenue au sein de l’Association Mutuelle Indochinoise ainsi que le Parti Annamite de l’indépendance.

Le Maghreb était représenté par les trois délégués de l’Etoile Nord Africaine : les algériens Abdelkader Hadj Ali, Messali Hadj et le tunisien Chadly Khairallah.

Selon ce dernier, le congrès de Bruxelles « eut une portée incalculable, sa signification est claire. Pour la première fois dans l’histoire, plus de 150 délégués, représentant un milliard d’opprimés courbés sous le joug de l’impérialisme, se sont rencontrés avec les représentants de toutes les organisations d’avant-garde, d’Europe et d’Amérique, et avec tout ce qui reste encore d’hommes de pensée libérale pour les instruire de l’oppression qu’ils subissent, sous divers formes et suivant les pays, par l’odieux régime colonial des pays oppresseurs. Ils ont clamé à la face du monde entier leur douleur, ils ont expliqué leur martyre et affirmé leur volonté de lutte énergique, jusqu’à leur libération totale. Ils ont reçu l’assurance de leurs frères exploités d’Europe que, dans cette lutte, ils peuvent compter sur leur aide morale et matérielle sans aucune réserve »[2].

En effet, les représentants de huit millions de syndiqués européens s’engagèrent a aider par tous les moyens les peuples colonisés dans leur lutte libératrice avec la certitude que « la lutte pour l’indépendance nationale est, au premier chef, un épisode de l’action direct pour l’émancipation des masses ouvrières et paysannes »[3].

Chadly Khairallah poursuivait la description du congrès en mettant l’accent sur la volonté commune des représentants des peuples colonisés de conquérir l’indépendance de leur pays. « Toute les délégations coloniales ont présenté des résolutions claires et précises quant au but commun qui est l’indépendance de leurs pays respectifs. A cet égard, toutes les résolutions sont absolument concordantes. Ils ont ajouté à ce but général des revendications immédiates, propres à chaque pays, et suivant les différentes situations particulières de chacun d’eux. Ils ont ajouté à ce but général des revendications immédiates, propres à chaque pays, et suivant les différentes situations particulières de chacun d’eux. Ils se sont groupés avec leurs alliés d’Europe au sein de la Ligue contre l’oppression coloniale et l’impérialisme, et ont pris l’engagement mutuel de livrer la bataille décisive qui libérera les uns et les autres de oppression capitaliste et impérialiste »[4].

Messali Hadj au nom de l’Etoile Nord Africaine prononça un discours qui reprenait le programme de l’organisation nationaliste. Le jeune leader nationaliste qui entamait son ascension politique, affirma, devant tous les responsables des pays colonisés, que les Algériens étaient « réduits à l’état de bagnards » car ils ne possédaient « ni liberté d’association, ni liberté de la presse, ni liberté de réunion, sans lois sociales, sans école ». Il critiqua l’objection qui était souvent formulé à l’encontre des nationalistes algériens selon laquelle on ne pouvait donner « l’indépendance au peuple algérien car selon l’expression de Violette, ce peuple à encore la mentalité du XIe siècle »[5].

Puis Messali lut la résolution de l’Etoile. Cette résolution eut une grande importance dans l’histoire du nationalisme algérien car elle marquait les premiers jalons idéologiques dans lesquels il devait se mouvoir. Messali toute au long de sa vie militante, nous dit Mohammed Harbi, « a gardé un grand attachement pour les principes d’organisation léniniste, un sens aigu de la solidarité des victimes du colonialisme. Il ne modifiera pas le programme de l’E.N.A. qu’il a lui-même exposé »[6].

Ce programme combinait les revendications à caractères purement politique (indépendance, constitution d’une armée nationale), économique (confiscation des grandes propriétés accaparées par des féodaux alliés des conquérants, les colons et les sociétés financières, et la restitution aux paysans des terres confisquées) sociales (reconnaissance par l’Etat algérien du droit syndical, de coalition et de grève, élaboration de loi sociale) et culturel (enseignement de la langue arabe).

Au-delà de ces différentes revendications, la résolution de l’Etoile Nord Africaine nous permet de mettre en avant deux points qui furent les pierres angulaire de l’idéologie nationaliste algériennes. Mohammed Harbi note que si les revendications économiques, sociales ou politiques évoluèrent en fonction des différentes conjonctures politiques et sociales, les deux piliers de l’idéologie nationaliste algérienne ne varièrent pas[7].

 Le populisme. Le mot de populisme est devenu trop souvent dans le sens commun synonyme d’extrémisme droitier ou de démagogie. Cela n’est qu’une déviation d’un terme qui à l’origine désignait « un mouvement politique et culturel russe par lequel une partie de « l’élite » se propose de prendre en charge les valeurs et les problème de la paysannerie et de moderniser le pays sur la base de son fond propre »[8]. Le mot d’ordre de ses premiers populiste était « aller au peuple », se fondre avec lui pour comprendre ses problèmes et ses aspirations. Le populisme repose sur une relation inégale entre deux acteurs l’un actif, « l’élite », et l’autre passif, le peuple. Dans la perspective populiste les oppositions politiques reposent moins sur une opposition de classe que sur une opposition de monde ; le monde des colonialistes et le monde des colonisés dans le cas du nationalisme algérien. Selon Mohammed Harbi, « la révolution ne s’appuie pas sur la lutte des classes, mais sur le peuple au sens plébéien, la classe ouvrière se confondant avec les pauvres en général, sans identité particulière ni intérêts spécifiques »[9].

La contradiction entre les deux modes qui se faisaient face, devait être levée par la médiation d’une partie du corps social détaché de la structure de domination : l’intelligentsia. Dans l’histoire du nationalisme algérien ce fut bien l’intelligentsia des diplômés du certificat d’études, des lettrés en arabe ou des diplômes supérieurs qui prit la tête du mouvement national. Deux idéaux étaient à la base même de l’engagement politique de cette intelligentsia et qui sont les deux ressorts essentiels du populisme. Premièrement, elle était animée d’un idéal missionnaire qui était à la base de ses relations avec le « peuple ». Deuxièmement, elle avait la volonté de concilier la marche vers le progrès technique et le développement économique avec les valeurs « authentiques » de la culture du pays.

 L’arabo-islamisme. L’importance accordée à ce point découle directement du populisme puisque l’identité arabo-islamique était considérée comme l’identité profonde et structurelle du peuple algérien. Les nationalistes algériens mettaient l’accent sur la particularité linguistique et culturelle de l’Algérie. Pour eux, l’islam était considéré comme le fondement de la personnalité et un facteur d’intégration et d’unité des Algériens.

Cependant cette quête « d’authenticité » n’était pas un phénomène propre au nationalisme algérien mais il était consubstantiel du processus de décolonisation. Celle-ci, d’après Anouar Abdel-Malek, était « un processus de lutte - contre autrui, mais aussi contre soi - de conquête, plus exactement de re-conquête de cet être profond, de cette identité déformée et dénaturée sous l’impact colonial, afin de pouvoir être soi, et, partant, de contribuer au fonds commun de la civilisation contemporaine »[10]. De fait, la défense de la langue arabe et de l’islam furent toujours au centre des procurations du mouvement nationaliste algérien.

Selon Ahmed Mahsas, « une société qui a été l’objet, comme la société algérienne, d’une politique de dépersonnalisation, éprouvait un besoin vital de réintégrer ses valeurs, afin de se restructurer et de mieux rebâtir son avenir ». D’après lui, les nationalistes « ont exalté le patrimoine de la civilisation afin de rendre à l’homme algérien sa fierté, sa dignité, la confiance dans ses valeurs et le courage indispensable au combat libérateur » [11]. Pour Mahsas, les notions d’identités et de spécificités était au centre du mouvement nationaliste algérien et de devais permettre non d’isoler Algérie du monde global mais au contraire lui permettre de rentrer dedans sur un pied d’égalité avec l’ensemble des peuples : « La notion de spécificité recoupe celle de personnalité et d’identité en tant que dynamique sociale de l’action autonome, irréductible (compte tenu de lois universelles) aux concepts hégémoniques de généralisation. Ceux-ci, en effet, appliqués dans toute sa logique, auraient pour résultat la perte de l’initiative des groupes humains ou des sociétés. Cette forme d’intégration à l’universel est à maints égards aliénante. Mais le véritable « universel » est bien celui qui englobe des composantes humaines spécifiques et qui en permet la manifestation distincte et autonome. C’est à partir de là que peuvent s’établir les rapports d’égalité au niveau de l’humain, c’est-à-dire au lieu où se rejoignent, dans leurs diversités, toutes les sociétés humaines.[12]

Après avoir lu le texte, Messali Hadj demanda au congrès de faire siennes les revendications inscrites dans le programme de l’Etoile.

Les militants de l’Etoile étaient satisfaits de leur participation au congrès. Ils avaient pu affirmer leur volonté d’obtenir l’indépendance des trois pays Maghreb sur la scène internationale. De plus, ils partageaient l’idée du congrès de donner la primauté à la question nationale dans les pays colonisés. Sur le plan international l’Etoile s’était faite connaître en s’affirmant comme une organisation anti-impérialiste.

Cependant congrès anti-impérialiste de Bruxelles marquait aussi le point de départ des premières épreuves que les militants étoilistes allaient affronter pour préserver leur indépendance. En effet, pour l’Internationale Communiste, le congrès de Bruxelles sonnait la fin de sa politique de soutient aux mouvements « nationaux-révolutionnaires » dans les pays colonisés et dépendants. Cela était du principalement à l’échec de la révolution chinoise en 1926-1927. L’Internationale Communiste s’orientait, par la volonté de Staline, dans ligne politique dite de « classe contre classe » qui impliquait la dénonciation des nationalistes des pays colonisés. Pour l’Etoile cela signifiait qu’elle ne pourrait plus compter sur l’aide des communistes français.

Ceux-ci ne se contentèrent pas de désapprouver la ligne politique de l’Etoile mais ils s’efforcèrent de lui imposer la leur. La majorité des militants étoilistes refusèrent de se plier aux nouvelles orientations des communistes. Dès le printemps 1927, le PCF suspendit son aide matérielle à l’Etoile en lui retirant notamment les locaux que les communistes mettaient à sa disposition. La séparation entre les nationalistes algériens et les communistes qui devait aboutir à la rupture presque totale après la dissolution de l’Etoile le 26 janvier 1937, commençait dès la fin du congrès Bruxelles.

Au lendemain du congrès anti-impérialiste de Bruxelles, Chadly Khairallah écrivait dans l’Ikdam Nord Africain que l’Etoile devait se placer sur le terrain du « nationalisme révolutionnaire ». Pour lui il n’était pas « besoin de s’accrocher à une théorie politique ni de se mettre à la remorque d’un parti quel qu’il soit, pour considérer comme précaire l’occupation étrangère, source de servage, de misère et travailler à l’avènement d’un avenir national et de liberté reconquise »[13].

Youssef Girard

Résolution de l’Etoile Nord-Africaine lu par Messali Hadj.[14]

L’impérialisme français s’est installé en Algérie, par la force armée, la menace, les promesses hypocrites. Il s’est emparé des richesses naturelles et de la terre, en expropriant des dizaines de mille de familles qui vivaient sur leur sol du produit de leur travail.

Les terres expropriées ont été cédées aux colons européens, à des indigènes agents de l’impérialisme et aux sociétés capitalistes. Les expropriés ont été obligés de vendre leurs bras aux nouveaux propriétaires du sol s’ils voulaient continuer de vivre ; des populations qui vivaient dans un état de prospérité qu’elles n’ont pas aujourd’hui, l’impérialisme en a fait des affamés, des esclaves. Et cette expropriation s’est faite comme partout sous le signe de la civilisation.

C’est au nom des cette soi-disant civilisation que toutes les traditions, les coutumes, toutes les aspirations des populations indigènes sont foulées aux pieds. Bien loin d’apporter à ce pays l’aide qu’il aurait pu utiliser pour se développer, l’impérialisme français a joint à l’expropriation et à l’exploitation, la domination politique la plus réactionnaire, privant les indigènes de toute liberté de coalition, d’organisation, de tous droits politiques et législatifs, ou bien n’accordant des droits qu’à une toute petite minorité d’indigènes corrompus.

A cela s’ajoute l’abêtissement systématique obtenu par l’alcool, l’introduction de nouvelles religions, la fermeture des écoles de langue arabe existant avant la colonisation. Et enfin, pour couronner son œuvre, l’impérialisme enrégimente les indigènes dans son armée en vue de poursuivre la colonisation, pour servir dans les guerres impérialistes et pour réprimer les mouvements révolutionnaires dans les colonies et dans la métropole.

C’est contre cette politique coloniale, contre cette oppression que les populations laborieuses d’Afrique du Nord ont menée et mènent encore une action permanente par tous les moyens dont elles disposent, pour atteindre l’objectif qui renferme leurs aspirations de l’heure présente, l’Indépendance nationale.

Cent années de colonisation

Depuis 1830, l’expropriation et l’oppression systématique et brutale ont conduit la population algérienne, non pas dans la voie du progrès social, mais à l’esclavage. Aujourd’hui, deux millions huit cent milles hectares des meilleures terres sont soit en surface, soit en sous-sol, la propriété des Européens capitalistes. Des familles indigènes expropriées ont dû vendre leurs bras aux nouveaux propriétaires du sol, émigrer vers les centres urbains.

En même temps, il a institué un système de domination politique détruisant les anciennes formes de la démocratie musulmane qui existaient avant la colonisation (douars, tribus, provinces), conservant seulement la caricature de ces formes, écartant les indigènes de la gestion des affaires du pays.

Cet état de fait a été codifié avec ce qu’on appel le Code de l’indigénat qui fait des indigènes des sujets privés de tous droits politiques, et soumis aux lois d’exception (tribunaux répressifs, cours criminelles, haute surveillance, responsabilité collective, amendes et punitions corporelles).

Le droit d’être citoyen est seulement réservé à une petite minorité d’indigènes qui ont été « assimilés » par l’impérialisme français. Seuls, les Européens et les privilégiés indigènes peuvent élire leurs représentants dans les assemblés de la colonie. C’est-à-dire que 800 000 Européens et quelques dizaines de mille de « bons » indigènes élisent leurs représentants, et 5 millions, c’est-à-dire l’immense majorité de la population, n’ont aucun droit. Par contre, ils doivent payer les impôts et faire le service militaire.

Dans le domaine culturel, la colonisation fait aussi son œuvre. 516 écoles avec 35 000 élèves indigènes, donnant l’enseignement en langue française, doivent suffire à une population de cinq millions d’indigènes. Par contre, pour huit cent mille européens, il y a 1 200 écoles ; les écoles libres en langue arabe ont toutes été détruites. L’accession des indigènes à l’instruction supérieure est quasi impossible.

Si l’on ajoute à tout cela, le recrutement militaire obligatoire des indigènes d’Algérie dans l’armée de l’impérialisme français pour une durée de service de 6 mois supérieure aux français, contingent dont on veut porter l’effectif d’après les nouveaux projets militaires du gouvernement français de 45 000 à 180 000 pour mieux servir les buts de l’impérialisme français, alors on aura un tableau objectif de ce que représentent cent années de civilisation française en Algérie.

La population d’Algérie exploitée et opprimée est en lutte permanente contre l’impérialisme français pour se libérer de son joug et conquérir l’indépendance.

Les revendications des Algériens

L’Etoile nord-africaine, qui représente les intérêts des populations laborieuses de l’Afrique du Nord, réclame pour les Algériens l’application des revendications suivantes et demande au Congrès de les faire siennes :

L’indépendance de l’Algérie ;

Le retrait des troupes françaises d’occupation ;

La constitution d’une armée nationale ;

La confiscation des grandes propriétés agricoles accaparées par les féodaux, agents de l’impérialisme, les colons et les sociétés capitalistes privées, et la remise de la terre confisquée aux paysans qui en ont été frustrés ;

Respect de la petite et moyenne propriété ;

Retour à l’Etat algérien des terres et forêts accaparées par l’Etat français.

Ces revendications essentielles pour lesquelles nous combattons n’excluent pas l’action énergique immédiate pour arracher à l’impérialisme français :

L’abolition immédiate du Code de l’indigénat et des mesures d’exception ;

L’amnistie pour ceux qui sont emprisonnés, en surveillance spéciale, ou exilés pour infraction à l’indigénat ;

Liberté de presse, d’association, de réunion ;

Droits politiques et syndicaux égaux à ceux des Français qui sont en Algérie ;

Le remplacement des Délégations financières élues au suffrage restreint par une Assemblée nationale élue au suffrage universel.

Assemblées municipale élues aux suffrages universels ;

Accession à l’enseignement à tous les degrés ;

Création d’école en langue arabe ;

Application des lois sociales ;

Elargissement du crédit agricole au petit fellah, etc.

Ces revendications n’ont de chances d’aboutir que si les Algériens prennent conscience de leurs droits et de leur force, s’unissent et se groupent dans leurs organisations pour les imposer au gouvernement.

L’Etoile nord-africaine.

[1]Notons néanmoins que ce soutient à la lutte des peuples colonisés ne s’appliquait pas aux colonies soviétiques d’Asie centrale et du Caucase.

[2]Kaddahce Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, tome I, 1919-1939, Ed. Paris-Méditerranée, page 187.

[3]Kaddahce Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, tome I, 1919-1939, Ed. Paris-Méditerranée, page 177.

[4]Kaddahce Mahfoud, s-Méditerranée, page 187.

[5]Kaddahce Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, tome I, 1919-1939, Ed. Paris-Méditerranée, page 177.

[6]Harbi Mohammed, Le FLN mirage et réalité, Jeune Afrique, Paris, 1980, page 15.

[7]Harbi Mohammed, Le FLN mirage et réalité, Jeune Afrique, Paris, 1980, page 17. Harbi signale un troisième point constitutif de l’idéologie nationaliste algérienne qui serait le « spontanéisme » ; désignant par là le refus des nationalistes de s’appuyer sur une classe déterminé pour mener la lutte contre la puissance occupante. Nous pensons que cela est plus une facette du populisme qu’un point spécifique de l’idéologie du nationalisme révolutionnaire algérien.

[8]Carlier Omar, Entre nation et djihad : histoire sociale des radicalismes algériens, PFNSP, Paris, 1995, page 206.

[9]Harbi Mohammed, Le FLN mirage et réalité, Jeune Afrique, Paris, 1980, page 17.

[10]Abdel-Malek Anouar, La dialectique sociale, Le Seuil, Paris, 1972, page 69.

[11]Mahsas Ahmed, Le mouvement révolutionnaire en Algérie, L’Harmattan, Paris, 1979, page 326.

[12]Mahsas Ahmed, Le mouvement révolutionnaire en Algérie, L’Harmattan, Paris, 1979, page 10.

[13]Stora Benjamin, Dictionnaire biographique de militants nationalistes algériens, L’Harmattan, Paris, 1985, page 56.

[14]Kaddahce Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, tome II, 1939-1951, Ed. Paris-Méditerranée, page 849.
GIRARD Youssef


Dans les colonies

Barta

Les travailleurs de France et d’Algérie devant l’impérialisme
avril 1939

"Un peuple qui en opprime un autre ne peut pas être un peuple libre" (Marx)

La situation géographique de l’Algérie, ainsi que ses ressources économiques et militaires, lui confèrent, dans un prochain avenir, un rôle de tout premier ordre. Sa situation stratégique – permettant la jonction des possessions de l’Afrique avec la métropole – la chair à canon qu’elle peut fournir et ses matières premières en font une pièce maîtresse du système impérialiste français. Objet de conquête, elle sera utilisée comme moyen de rapine dans le prochain carnage, tout comme en 1914.

Thorez, et après lui Jouhaux, y ont entrepris récemment des voyages de propagande. Dans le but d’y poursuivre une agitation sociale contre l’impérialisme français ? Hélas ! Les coryphées du "Front populaire" y sont allés pour "resserrer l’union entre les peuples d’Algérie et la Métropole". Après Daladier, parlant officiellement et ouvertement au nom de l’impérialisme français, Thorez est parti faire œuvre de dupeur, parler "démocratie", "union contre le fascisme hitlérien", etc… Les compte-rendus de L’Humanité nous disent les nombreuses délégations dont il reçut la visite, les cadeaux qui lui ont été offerts ; il reçoit des fleurs en souriant ; des photos le montrent embrassant une indigène, en un mot, tout se déroule selon la technique que le "père des peuples" met en œuvre en U.R.S.S. Pas un mot sur les revendications des travailleurs et des paysans algériens. Il parle bien de la nécessité de s’unir "contre le fascisme hitlérien", mais passe sous silence la lutte par des méthodes de classe contre le fascisme EN ALGERIE. Devant son auditoire, il dénonce le P.S.F. et le P.P.F. algérien comme agents de l’étranger, mais bien sûr pas comme ceux du capitalisme français. La Métropole, voyez-vous, n’a que des représentants "honnêtes" comme M. Thorez. Les fascistes qui s’en revendiquent, ce sont des agents camouflés de Hitler. C’est ainsi qu’il réalise "l’union française" ! Du moment que le P.S.F. et le P.P.F. sont des agents de Hitler, et non pas mercenaires de la métropole, la lutte contre eux n’est plus la tâche des masses travailleuses luttant contre l’impérialisme français, mais une simple tâche de police. Thorez réclamera que celle-ci les emprisonne ; mais en attendant, ce sont ses propres meetings qui sont interdits.

L’Algérie est appelée à jouer un rôle important, non seulement dans la prochaine guerre, mais elle peut devenir, elle devient une place d’armes du fascisme français. Les Doriot, les de La Rocque ont profité de la politique du "Front populaire" à l’égard des masses travailleuses pour augmenter leur influence. De même que, sous la pression de Blum, les représentants du "Front populaire" espagnol ont refusé d’accorder satisfaction aux Marocains – auxquels Franco a accordé des droits démagogiquement, en paroles, pour pouvoir les utiliser contre les ouvriers espagnols – de même les représentants du "Front populaire" au pouvoir en France ont donné les gages exigés par l’impérialisme français. Ils ont permis un renforcement de la répression contre les luttes surgies en Algérie sous l’impulsion des grèves françaises. Lozeray ment quand il écrit, dans L’Humanité [1], que les salaires des ouvriers indigènes ont augmenté. Ils ont diminué par suite de la dévaluation. Le "Front populaire" a laissé les masses indigènes aussi dénuées de droits qu’avant 1936. Le droit d’adhésion aux organisations syndicales est tout bonnement théorique. Car celles-ci sont un moyen de défense des ouvriers algéro-européens qui, du point de vue économique et politique, représentent une couche de beaucoup supérieure à l’élément indigène. Ce dernier, composé de travailleurs non qualifiés, – manœuvres à tout faire, travailleurs agricoles, mineurs – manque d’esprit corporatif et est dans l’impossibilité de payer une cotisation qui dépasse complètement ses possibilités. Avant de pouvoir s’organiser dans une organisation commune avec les ouvriers algéro-européens, les travailleurs indigènes doivent préalablement conquérir l’égalité économique et politique, s’élever à leur niveau. Le moyen qui leur permettrait de l’atteindre, c’est une lutte autonome adaptée à leur situation. Le Front populaire n’a rien apporté aux masses travailleuses de l’Algérie, il a aggravé leur situation. Voilà la vérité !

Aux yeux des masses indigènes, Blum "représentait" les ouvriers français ; elles ont été habilement travaillées par le P.S.F. et le P.P.F. et dressées contre les ouvriers métropolitains, tenus "responsables" de cette politique. Aujourd’hui le danger est grand de voir l’impérialisme français s’en servir pour anéantir les conquêtes politiques et sociales des ouvriers français et instaurer le fascisme en France avec leur aide, comme Franco en Espagne avec celle des Marocains.

La résolution du B.P. du P.C.F. [2] , prise au retour de Thorez, donne un coup de chapeau à la nécessité (du point de vue de la sécurité française bien entendu) "de faire droit aux aspirations légitimes d’ordre économique, social, culturel, religieux et politique qu’exposent notamment les représentants des populations arabes et berbères musulmanes".

Et quelle est la mesure pratique envisagée ? La résolution rappelle "que le projet Blum-Violette... n’est toujours pas voté" ! La politique de collaboration de classe du Parti communiste français, sur le plan colonial, remplace l’agitation parmi les masses exploitées et la lutte autonome de ces masses par des méthodes de classe contre l’impérialisme, par des exhortations adressées à la métropole, c’est-à-dire aux capitalistes français. Le projet, en effet, n’a rien de dangereux pour la "sécurité française". S’il répond aux aspirations "qu’exposent notamment les représentants" (c’est-à-dire les exploitants indigènes, il ne donne aucune satisfaction aux millions d’ouvriers et paysans d’Algérie (approximativement 5.000.000). Donner des droits à une infime minorité de 20.000 privilégiés indigènes, comme le prévoit le projet, c’est, en réalité, augmenter l’inégalité et élargir la base sociale de l’impérialisme qui s’attacherait encore plus fortement cette mince couche et renforcerait par conséquent, sa domination : "L’équilibre social recherché par l’impérialisme consiste à déplacer certaines couches indigènes pour les lier à l’élément exploiteur d’une part, et d’autre part, à diviser l’ensemble des masses travailleuses en deux couches distinctes" [3]. C’est ce que Thorez explique à mots couverts à l’adresse des dirigeants français de ce pays, au meeting de Wagram, et il a l’impudence de donner l’exemple de l’U.R.S.S. !

Si la droite de la Chambre française s’oppose à l’adoption de ce projet, ce n’est pas parce qu’il représente une concession aux masses travailleuses, mais pour ne pas déplacer le poids respectif des exploiteurs indigènes par rapport aux exploiteurs algéro-européens.

Thorez écrit [4] : "A l’heure actuelle, l’intérêt supérieur du mouvement ouvrier français et du mouvement ouvrier international – prolétaires allemands en premier lieu – c’est de faire échec partout au fascisme hitlérien, de lui refuser partout de nouveaux moyens de puissance et de domination. L’intérêt non moins évident des peuples des colonies françaises – considéré sous l’angle de leur émancipation nationale et sociale – c’est de rester unis à un peuple chez lequel subsistent encore heureusement les notions de liberté et d’égalité des races." Voilà par quel tour de passe-passe Thorez réconcilie l’intérêt social et national des peuples coloniaux et du prolétariat métropolitain avec l’intérêt de l’impérialisme français. Le traquenard, c’est sa soi-disant croisade anti-fasciste... commandée par Gamelin-Franco, qui instaurera la dictature de son état-major militaire.

L’intérêt social et national des peuples coloniaux est de s’émanciper de l’impérialisme. En tant que phénomène économique, celui-ci asservit les peuples arriérés, les surexploite et les maintient dans l’esclavage. Ses méthodes de domination – sociales, militaires, politiques – dépendent des conditions concrètes du pays exploité et non pas des formes politiques de la Métropole. Généralement, les exploiteurs s’appuient sur l’élément social le plus arriéré, comme c’est le cas pour l’Algérie. La domination de la "démocratique" Angleterre aux Indes ou sur les peuples arabes s’appuie sur les féodaux. L’épopée sanglante que représentent les conquêtes coloniales de l’Angleterre et de la France en premier lieu, sont les plus noires des temps modernes [5]. Politiquement, les masses travailleuses n’ont aucun droit, à quelque impérialisme qu’elles appartiennent. Leur pire ennemi, c’est leur propre impérialisme, en l’occurrence l’impérialisme français.

Quant aux ouvriers français, leur intérêt le plus évident, le premier est celui-ci : ne pas fournir à leurs propres capitalistes – français – les moyens pour réprimer leurs luttes. L’impérialisme français tire précisément le plus clair de sa force de l’exploitation coloniale. Le soutien des luttes des opprimés de l’Empire français contre la Métropole par les ouvriers français c’est la condition même de leur victoire : "La victoire de la classe ouvrière dans les pays avancés et la libération des peuples opprimés de l’impérialisme sont impossibles sans la formation et la consolidation d’un front révolutionnaire commun". (Thèses de Lénine sur la question nationale et coloniale) [6].

Si l’on examine de plus près le "raisonnement" de Thorez, on constate qu’en réalité il nie la possibilité et le droit des peuples opprimés de déterminer librement leur sort puisqu’il feint de [ligne manquante] …mination de l’impérialisme français ou domination de l’impérialisme hitlérien. Mais le prolétariat et l’avant-garde ne doivent pas oublier la leçon récente de l’Espagne – si chèrement payée – .

Pour empêcher les indigènes – et surtout ceux de l’Afrique du Nord – de devenir les instruments de la répression capitaliste contre eux, les ouvriers français doivent montrer aux peuples coloniaux leur véritable figure, c’est-à-dire celle d’opprimés luttant contre l’impérialisme et l’exploitation coloniale et non pas celle de soutien des exploiteurs. Le prolétariat français doit aider tout d’abord par tous les moyens à la création de partis révolutionnaires dans les colonies, ayant pour tâche la lutte de libération sociale et nationale. Ces partis doivent conserver leur autonomie vis-à-vis du parti révolutionnaire de la métropole, car ils luttent dans des conditions différentes – et aussi pour que la trahison des "chefs" métropolitains n’entraîne pas automatiquement la subordination de ces partis à l’impérialisme – mais ils doivent rester en liaison étroite avec celui-ci sur le plan de la lutte d’ensemble contre l’impérialisme.

Thorez présente toute lutte pour la libération sociale et nationale des colonies comme l’œuvre de Hitler. Il spécule sur les sentiments de haine que les ouvriers français éprouvent contre le bourreau des ouvriers allemands, pour les enchaîner au char de l’impérialisme français. Chez celui-ci "subsistent encore", paraît-il, des notions démocratiques, c’est-à-dire qu’il trouve avantageux de se servir encore de ses laquais "démocrates" – Blum, Thorez, Jouhaux – avant d’utiliser exclusivement Doriot ou de La Rocque. Antifasciste ? Non. Agent de l’impérialisme.

C’est l’impérialisme qui est le fait dominant de notre époque, c’est lui la principale force de stagnation et de misère, de fascisme et de guerre. En soutenant les luttes de coloniaux contre celui-ci, le prolétariat français aura le plus puissant allié à sa propre lutte en la personne des 60.000.000 d’esclaves de l’Empire français, dont Thorez est devenu un des principaux garde-chiourme. Les Etats-Unis socialistes du Monde sauveront la civilisation de la barbarie qui la menace et jetteront les bases d’une humanité meilleure.

Notes

[1] 24 février 1939.

[2] L’Humanité, 19 février 1939

[3] Jean Martin, "Les problèmes révolutionnaires de l’Algérie" dans Lutte de Classes nº 50

[4] Avant-Garde, numéro 797

[5] Voir à ce sujet les excellents articles publiés par Juin 36, (nº34 à 39)

[6] Cité par Staline, Les questions du Léninisme, page 120

BILAN D’UNE PACIFICATION

41 villages rasés, plus de 10.000 otages exécutés sommairement, 92 condamnations à mort à Constantine, des milliers d’arrestations dans toute l’Algérie, plusieurs milliers d’années de travaux forcés distribuées par des tribunaux militaires : voilà le bilan provisoire de la répression.

Ces massacres, bien dans la tradition du colonel Pelissier, "héros" de la conquête, qui enfuma dans des grottes 8.000 indigènes, femmes et enfants compris, ont leur répercussion en France même.

Depuis le mois d’août, les arrestations se succèdent parmi les Nord-Africains. A Paris, c’est Imache Amar, fondateur de L’Etoile Nord-Africaine, ancien gérant de El Ouma, retour de déportation à laquelle Vichy l’avait livré en tant que communiste – ce sont Maïza, Aït Kaci, secrétaires du P.P.A., le docteur Lacheref qui donnait des conférences médicales – 50 arrestations à Marseille, 25 à Saint-Etienne, 5 à Caen, 8 à Lyon, d’autres à Bordeaux, Lille, etc...

Et comme on ne peut arrêter tout le monde, on reparle de parquer les Nord-Africains de France dans des camps de concentration.

Voilà la réponse de la bourgeoisie à qui exige du pain et la liberté !

Dans leur lutte contre les impérialismes, les travailleurs coloniaux doivent pouvoir compter sur l’appui total des travailleurs français. Ouvrez les prisons ! Libérez Messali Hadj, Ferhat Abbas, Bachir ben Ibrahim et leurs camarades !

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