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Révolution permanente au Maghreb et dans le monde arabe !!!!

mardi 1er février 2011, par Robert Paris

Les manifestations de masses en Tunisie et la perspective de la révolution permanente

Les événements de Tunisie marquent un tournant dans les affaires mondiales. Après des décennies de réaction triomphante et de répression de la lutte des classes, le déclenchement des manifestations de masses et la fin des 23 ans de pouvoir répressif de Zine El Abidine Ben Ali signalent l’émergence d’une nouvelle ère de troubles révolutionnaires.

« Les conditions sociales qui ont entraîné ces événements en Tunisie prédominent dans tout le Maghreb et dans le Moyen-Orient, et affectent également de plus en plus la classe ouvrière des pays capitalistes avancés, dans un contexte de crise économique mondiale et d’offensive brutale de la part des banques et des multinationales. »

Les masses tunisiennes ne sont cependant qu’à la première étape de leur lutte. Comme on le voit déjà clairement avec la poursuite de la violence militaire sous le nouveau président par intérim, la classe ouvrière est confrontée à des risques immenses. La question cruciale d’un programme et d’une direction révolutionnaires n’est pas résolue. Sans le développement d’une direction révolutionnaire, un autre régime autoritaire s’installera inévitablement pour remplacer celui de Ben Ali.

Le déploiement rapide et soudain du mouvement de masse qui a fait tomber Ben Ali est objectivement très significatif. Ce que les puissances occidentales louaient régulièrement comme l’un des régimes arabes les plus stables, un bastion du capitalisme et des intérêts de l’impérialisme américain et européen en Afrique du Nord, s’est révélé en quelques semaines isolé, faible et pourri jusqu’à la moelle.

L’étincelle qui a mis le feu aux poudres sociales qui s’accumulaient depuis longtemps sous la surface de la vie politique a été l’auto-immolation d’un diplômé qui ne parvenait pas à trouver d’emploi stable et avait été privé par les autorités de son maigre moyen de subsistance, la vente de légumes. Cet événement tragique a focalisé la colère de millions de jeunes et de travailleurs concernant le chômage, la pauvreté et l’inégalité sociale généralisés, ainsi que par le despotisme et la corruption de l’élite dirigeante.

Les conditions sociales qui ont entraîné ces événements en Tunisie prédominent dans tout le Maghreb et dans le Moyen-Orient, et affectent également de plus en plus la classe ouvrière des pays capitalistes avancés, dans un contexte de crise économique mondiale et d’offensive brutale de la part des banques et des multinationales.

Il est significatif que les forces islamistes n’aient joué pratiquement aucun rôle dans les manifestations des masses. Ce qui vient sur le devant de la scène partout dans le monde, ce sont les questions sociales fondamentales et de classe qui dominent la vie politique et économique et supplantent toutes les questions secondaires et tertiaires de religion, d’ethnie et de nationalité.

La chute de Ben Ali a causé un choc à la bourgeoisie de la Tunisie et du reste du monde arabe, ainsi qu’aux Américains et à l’impérialisme mondial. Ce qui a été encore plus inquiétant pour eux est le déclenchement de manifestations massives dans l’Algérie voisine et, plus à l’Est, en Jordanie.

Il est certain que les scènes de dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes défiant l’armée et la police pour se répandre dans tout Tunis et exiger la fin de la dictature donnent des sueurs froides aux banquiers et aux spéculateurs de New York, Paris, Francfort et d’autres centres de la finance impérialiste. Quand il est question de corruption et de détournement arbitraire de la richesse, aucune élite dirigeante au monde ne peut égaler celle des États-Unis.

La réponse des États-Unis et de l’Europe aux événements tunisiens a été outrageusement cynique et hypocrite. Toutes les capitales impérialistes étaient parfaitement au courant de la corruption monumentale du régime de Ben Ali.

L’un des facteurs qui a le plus contribué à la propagation des manifestations a été la publication par WikiLeaks de télégrammes diplomatiques de l’ambassade américaine à Tunis décrivant le régime tunisien, en termes cinglants, comme une kleptocratie et une dictature. Le rôle de ces télégrammes dans le déclenchement des troubles sociaux en Tunisie aide à comprendre la réponse hystérique de la classe dirigeante américaine aux révélations de WikiLeaks.

Les États-Unis comme l’Europe ont choisi de subordonner les crimes du régime tunisien à leurs intérêts économiques et géostratégiques. L’Union européenne, et en particulier la France, ex-puissance coloniale, ont établi des liens économiques très forts avec la Tunisie. Les États-Unis avaient augmenté leur aide militaire et politique à la dictature en échange de son soutien à la « guerre contre le terrorisme » de Washington.

Ces relations politiques et militaires exposent les promesses creuses des Américains et des Européens quand ils prétendent défendre les droits de l’homme et la démocratie.

La semaine dernière encore, la ministre des affaires étrangères américaine, Hillary Clinton, déclarait à une chaîne de télévision par satellite arabe que les États-Unis ne « prendraient pas parti » dans la crise tunisienne. Ce n’est que lorsqu’il est apparu clairement que l’allié de plusieurs dizaines d’années était sur le point de sombrer que le gouvernement américain a changé de discours, affirmant soutenir les manifestants et faisant la morale au régime à cause de sa violence excessive.

L’attitude véritable de la classe dirigeante américaine envers le mouvement des masses tunisiennes est une hostilité implacable, comme l’indique un commentaire de Jackson Diehl, membre du comité de rédaction du Washington Post, vendredi, « La menace la plus imminente qui pèse sur les intérêts américains au Moyen-Orient, n’est cependant pas la guerre, mais la révolution. »

Il ajoute : « La violence a déjà migré vers l’Algérie et les spéculations vont bon train dans les médias arabes quant à savoir où apparaîtra le prochain « scénario tunisien » : en Égypte ? en Jordanie ? en Libye ? Tous ces pays sont menacés par l’augmentation rapide des cours mondiaux de la nourriture et du carburant ; les Nations unies ont prévenu la semaine dernière d’un « Choc des prix des denrées alimentaires. »

Les événements de la semaine dernière en Tunisie ont une fois de plus révélé l’immense pouvoir social et potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière. Mais la faiblesse cruciale du mouvement de masse tient à l’absence d’une perspective, d’un programme et d’une direction révolutionnaires clairs.

Cela permet à la bourgeoisie locale et à ses soutiens impérialistes de se regrouper et de forger de nouveaux moyens d’écraser l’opposition et de défendre le capitalisme tunisien. Le départ de Ben Ali ayant enlevé la cible la plus directe de la colère populaire, le régime tunisien est déjà en train de mener la contre-offensive. Sous couvert de « gouvernement d’unité » et d’élections à venir, l’état d’urgence et le couvre-feu restent en place et la police et l’armée continuent à abattre et arrêter les opposants au régime.

L’émergence d’une lutte révolutionnaire rend encore plus critique la question de la conscience, de la perspective et du programme politiques. L’histoire de la Tunisie et de tout le Moyen-Orient donne une confirmation éclatante de la stratégie révolutionnaire mondiale élaborée par Trotsky et la Quatrième Internationale sur la base de la perspective de la révolution mondiale.

Comme l’a expliqué Trotsky, en opposition au Stalinisme, à la sociale-démocratie et au nationalisme bourgeois, à l’ère de l’impérialisme, la bourgeoisie des pays ayant un développement capitaliste retardé est incapable de mener à bien les tâches de la révolution démocratique. Faible et dépendante, entravée par des liens innombrables avec l’impérialisme étranger et les forces féodales locales, la bourgeoisie de pays comme la Tunisie est mille fois plus craintive et hostile envers la force révolutionnaire de la classe ouvrière qu’elle ne l’est envers l’impérialisme.

L’histoire de la Tunisie depuis son indépendance en 1957 (26 mars 1956, ndlr) est un exemple classique de la justesse de ce diagnostic historique. La bourgeoisie nationale a dirigé le pays d’une main de fer, imposant la pauvreté aux masses tout en ouvrant l’économie tunisienne à l’exploitation des banques impérialistes et des multinationales. C’est tout aussi vrai de l’Algérie, où le Front de libération nationale, qui avait mené la lutte anti-coloniale dans les années 1960, s’en prends aujourd’hui aux travailleurs qui manifestent et impose une politique « libérale » au bénéfice de l’élite dirigeante corrompue et des banques et multinationales étrangères.

Les divers mouvements nationalistes, y compris ceux qui se présentaient par le passé comme quasi-socialistes, collaborent aujourd’hui avec l’impérialisme pour opprimer leur propre peuple. Ni le Ba’athisme, ni le Nassérisme, ni l’Organisation de libération de la Palestine ni la variante libyenne n’ont été capables d’apporter une réponse aux problèmes d’une authentique indépendance de l’impérialisme, du chômage, de la pauvreté et de l’arriération économique.

La réponse de la Ligue arabe aux événements de Tunisie a été d’appeler au « calme » et à la « stabilité » – c’est à dire à la fin du mouvement de masse. Kadhafi en Libye a ouvertement défendu Ben Ali contre les manifestants et mis en garde contre une nouvelle révolution bolchevique.

Les appels à une prétendue « révolution démocratique » – mis en avant sous diverses formes par des groupes pseudo-gauches européens – sont une impasse. Ils veulent que les travailleurs fassent pression sur le régime pour qu’il accorde plus d’influence aux partis de l’opposition officielle et aux syndicats. Cependant, aucune de ces organisations n’a cherché à monter une lutte contre le régime ou contre sa politique de droite. L’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui soutenait Ben Ali dans les deux dernières élections présidentielles, a officiellement approuvé ses « réformes » libérales.

Le seul programme viable pour la classe ouvrière et les masses opprimées de Tunisie de l’ensemble du Maghreb et du Moyen-Orient est le programme mis en avant par le Comité international de la Quatrième Internationale pour une révolution socialiste. Ce n’est que par la lutte indépendante de la classe ouvrière, conduisant toutes les sections opprimées de la société contre la bourgeoisie locale et l’impérialisme, que les droits démocratiques et sociaux peuvent être gagnés et que l’égalité sociale peut être établie comme fondement de la vie politique.

Cette lutte ne peut être conduite simplement à l’échelle nationale. Des partis trotskystes doivent être construits dans toute l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient pour unifier les masses travailleuses sous la bannière des États socialistes unis du Moyen-Orient et du Maghreb, faisant partie de la révolution socialiste mondiale.

Cette lutte doit être consciemment reliée aux luttes montantes des travailleurs des pays capitalistes avancés dont beaucoup comptent de larges populations de travailleurs arabes d’Afrique du nord et du Moyen-Orient.

Ce n’est que sur cette base internationaliste que les divisions entre religions, nationalités et ethnies – sans cesse agitées par l’impérialisme et la bourgeoisie – pourront être dépassées et que la puissance sociale de la classe ouvrière pourra être mobilisée pour mettre fin à la domination impérialiste. (extraits WSWS)

Chronologie de la lutte en Egypte

Après le soulèvement tunisien ayant entraîné la chute du président Ben Ali, au pouvoir depuis 1987, l’Egypte s’est embrasée à son tour depuis début janvier. Les manifestants s’opposent au régime du président Hosni Moubarak, en place depuis 1981. Ces derniers mois, des tensions étaient apparues dans ce vaste pays de 78 millions d’habitants, provoquées notamment par des hausses de prix ou des restrictions sur des produits de base.

16 janvier. Alors que les observateurs internationaux évoquent l’effet domino susceptible de s’étendre à l’ensemble du monde arabe, suite aux événements de la Tunisie, le chef de la diplomatie égyptienne Ahmed Aboul Gheit appelle l’Occident à ne « pas s’immiscer » dans les affaires arabes. Sous le joug d’Hosni Moubarak depuis 1981, l’Egypte présente un régime et une situation sociale comparables à ceux renversés en Tunisie.

17 janvier. Un homme s’immole par le feu devant l’Assemblée du Peuple au Caire. La révolte tunisienne avait démarré suite au geste de désespoir similaire de Mohamed Bouazizi, jeune vendeur ambulant dont la marchandise avait été confisquée par les autorités, un mois auparavant, jour pour jour.

18 janvier. Deux nouvelles immolations par le feu sont signalées à Alexandrie et devant le siège du gouvernement au Caire.

19 janvier. Sur fond de révolution tunisienne et en parallèle à la montée sporadique de la colère en Egypte, le pays accueille à Charm el-Cheikh le 2e sommet économique arabe, sous haut tension.

20 janvier. Deux ouvriers d’une entreprise textile du gouvernorat de Menoufia, dans le delta du Nil au nord du Caire, s’immolent par le feu, portant à cinq le nombre de tentatives de suicide en quatre jours. Les deux hommes voulaient protester contre une mutation décidée par leur employeur.

24 janvier. Plusieurs mouvements d’opposition appellent les Egyptiens, en particulier les jeunes, à manifester le lendemain, espérant que l’écho du soulèvement tunisien favorisera la mobilisation pour des réformes économiques et un changement politique en Egypte.

25 janvier. Début des contestations de masse. Première du genre depuis 1977, la « Journée de révolte contre la torture, la pauvreté, la corruption et le chômage » est durement réprimée, plusieurs morts étant enregistrées. Au Caire et dans une plusieurs grandes villes d’Egypte, environ 15 000 personnes répondent à l’appel à manifester contre le pouvoir en place lancé la veille.

Les rassemblements sont rythmés au son de slogans appelant à l’amélioration des conditions de vie (« Pain, Liberté, Dignité »). « Moubarak dégage » ou « la Tunisie est la solution » scandent d’autres protestants, souhaitant le départ du président Hosni Moubarak.

26 janvier. Pour la deuxième journée consécutive, les manifestants bravent l’interdiction imposée par les autorités. Au Caire et à Suez, de violents heurts opposent les protestants et les forces de l’ordre qui procèdent à des centaines d’interpellations.

Dans la capitale, les rassemblements ont lieu sur la grande place Tahrir à l’initiative du « Mouvement du 6 avril », un groupe réformateur pro-démocratie. En début de soirée dans la ville portuaire de Suez, des bâtiments gouvernementaux, parmi lesquels le siège du Parti national démocratique de Moubarak, sont attaqués à coups de pierre et de cocktails molotov. En deux jours de troubles, les violences ont tué six personnes, policiers ou manifestants, et blessé des dizaines d’autres. Au moins mille personnes ont par ailleurs été arrêtées.

27 janvier. Pionnier dans l’organisation des manifestations, le « Mouvement du 6 avril », essentiellement constitué de jeunes, lance un nouvel appel à la mobilisation via les réseaux sociaux. L’ancien président de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et prix Nobel de la paix en 2005, Mohamed ElBaradei, quitte l’Autriche et arrive en Egypte. Le principal opposant au président Moubarak, venu pour « s’assurer que tout se passe de manière pacifique et régulière », se dit prêt à « mener la transition » politique et déclare vouloir se présenter à l’élection de novembre 2011.

Un manifestant est tué par balle dans le Sinaï tandis que Suez est le théâtre de violents affrontements.

28 janvier. A l’initiative du « Mouvement du 6 avril », cette journée de prière hebdomadaire est proclamée « vendredi de la colère », à laquelle se joignent pour la première fois les Frères musulmans et l’opposant Mohamed ElBarabdei. Le ministère de l’Intérieur, qui avait mis en garde contre de nouvelles manifestations et avait annoncé des « mesures décisives », déploie un impressionnant dispositif de sécurité.

Dans tout le pays, des rassemblements dégénèrent en confrontations avec la police. Le siège du parti politique d’Hosni Moubarak est saccagé à Ismaïlia , celui du Caire et le siège du gouvernorat d’Alexandrie sont incendiés. Dans ces deux villes et à Suez, un couvre-feu est décrété, bientôt étendu à tout le territoire égyptien. Sur ordre de Moubarak, l’armée se déploie. Pour autant, les tanks et les hélicoptères qui patrouillent au Caire et à Suez n’engagent pas les violences. Des scènes de fraternisations sont même observées.

Dans une allocution télévisée en fin de soirée, le président Moubarak, qui s’est entretenu au téléphone avec son homologue américain Barack Obama, annonce avoir limogé le gouvernement et vouloir prendre « des mesures rapides pour combattre la pauvreté, le chômage et la corruption. » Vingt personnes auraient trouvé la mort durant la journée.

29 janvier. La tension ne baisse pas alors qu’au Caire, les manifestants, par milliers, font de la place Tahrir un lieu symbolique de rassemblement contre le régime. Dans la capitale, des cortèges de protestants convergent vers les sites administratifs comme le ministère de l’Intérieur ou le siège de la télévision d’Etat. Le Caire étant la proie des pillards, le musée regroupant les trésors antiques du pays est placé sous la protection de l’armée.

Ahmad Chafic, l’ancien ministre de l’aviation, est nommé premier ministre, alors que le chef du renseignement, Omar Souleimane, devient vice-président.

30 janvier. Le bilan des premiers jours de la contestation avoisinerait les 150 morts. Malgré le couvre-feu, des milliers de personnes défient toujours le pouvoir en place sur la grande place Tahrir du Caire. Ils sont galvanisés par le porte-parole de l’opposition Mohamed ElBaradei qui annonce devant eux « une ère nouvelle ». Très influente en Egypte, l’armée, ainsi que des milices, tente de maintenir le calme dans les rues de la capitale.

31 janvier. Une grève générale est organisée. Des milliers de manifestants se rassemblent encore sur la place Tahrir, épicentre de la mobilisation. Des entreprises étrangères commencent à organiser le rapatriement de leurs salariés. Le ministre de l’intérieur du nouveau gouvernement tout juste nommé est remplacé. Lors d’une brève allocution télévisée, le vice-président égyptien Omar Souleimane annonce que le président Moubarak l’a chargé d’ouvrir un dialogue immédiat avec l’opposition.

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