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Révolution en Tunisie : quel rôle respectif des formes d’auto-organisation (collectifs de travailleurs, conseils de quartiers, groupes de jeunes, piquets de surveillance, milices d’autodéfense, comités de soldats, collectifs de femmes, coordination de ville, piquet de grève, etc...) et les autres organisations ou institutions (partis, syndicats, Etat...) ?

lundi 24 janvier 2011, par Robert Paris

Manifester mais aussi et surtout s’organiser !!

L’expérience des révolutions nous enseigne que les opprimés ont toujours eu besoin de s’auto-organiser.

Même la révolution française de 1789, pour bourgeoise qu’elle soit dans ses finalités, n’avait pas moins suscité de telles formes d’organisation : depuis les groupes des cahiers de doléance et jusqu’aux comités de piques, communes, milices populaires, ...etc...

Toutes les révolutions ont ce point en commun de mener les opprimés à s’organiser pour se battre, pour se défendre contre leurs ennemis mais surtout pour débattre entre eux des décisions à prendre, des revendications (les fameuses doléances de la révolution française).

Que deviennent alors les partis, les syndicats, l’Etat ?

Si les citoyens s’assemblent partout pour discuter et décider, pourquoi les syndicalistes honnêtes et les militants politiques honnêtes seraient-ils inquiets ? Ceux qui ne craignent pas le contrôle des masses n’ont pas à craindre que le peuple travailleur se prenne en mains, qu’il veuille savoir tout ce que les militants proposent et qu’ils veuillent trancher sur toutes les questions. Ce ne sont pas des spécialistes me direz-vous mais les spécialistes on les a vus en Tunisie et partout dans le monde : on n’est pas plus avancés !

Si les syndicalistes et les politiques honnêtes ont des propositions, ils seront élus au conseil local et pourront se présenter au conseil régional ou national. mais ils pourront être révoqués si les électeurs estiment qu’ils n’ont pas respecté leur mandat. C’est la seule manière de ne pas se retrouver très vite avec des hommes politiques à la Ben Ali qui décident à la place du peuple.

Et l’Etat que devient-il ?

Qu’était-il ? Une machine à cautionner et protéger l’oppression et l’exploitation. Il faudrait qu’il devienne une machine à défendre les opprimés et à leur permettre d’empêcher tout retour en arrière de l’oppression et de l’exploitation !

Comment ? En faisant en sorte que tous les rouages de l’Etat soient mis sous le contrôle des comités. Pas de décision applicable qui n’est pas signée des comités. pas d’argent qui circule, pas d’armée qui bouge ou intervient sans la nécessité d’une signature des comités. Le soldat qui refuse d’obéir n’a rien à craindr e : il a le soutien du comité de soldats, du comité de travailleurs des villes et des campagnes, du comité de chômeurs et de femmes, du comité d’université et d’école et du comité de soldats...

Il n’a plus à obéir aux généraux quand ils lui disent de tirer sur le peuple...

« Le trait le plus incontestable de la Révolution, c’est l’intervention directe des masses dans les événements historiques. D’ordinaire, l’Etat, monarchique ou démocratique, domine la nation ; l’histoire est faite par des spécialistes du métier : monarques, ministres, bureaucrates, parlementaires, journalistes. Mais, aux tournants décisifs, quand un vieux régime devient intolérable pour les masses, celles-ci brisent les palissades qui les séparent de l’arène politique. (...) L’histoire de la révolution est pour nous, avant tout, le récit d’une irruption violente des masses dans le domaine où se règlent leurs propres destinées. »

Léon Trotsky dans "La révolution russe"

Sur le conseil ouvrier russe de 1905, Trotsky, son président :

"Qu’était ce donc que le soviet ?

Le conseil des députés ouvriers fut formé pour répondre à un besoin pratique, suscité par les conjonctures d’alors : il fallait avoir une organisation jouissant d’une autorité indiscutable, libre de toute tradition, qui grouperait du premier coup les multitudes disséminées et dépourvues de liaison ; cette organisation devait être un confluent pour tous les courants révolutionnaires à l’intérieur du prolétariat ; elle devait être capable d’initiative et se contrôler elle même d’une manière automatique ; l’essentiel enfin, c’était de pouvoir la faire surgir dans les vingt quatre heures. Le parti social démocrate qui unissait étroitement, dans ses retraites clandestines, plusieurs centaines, et, par la circulation des idées, plusieurs milliers d’ouvriers à Pétersbourg, était en mesure de donner aux masses un mot d’ordre qui éclairerait leur expérience naturelle à la lumière fulgurante de la pensée politique ; mais ce parti n’aurait pas été capable d’unifier par un lien vivant, dans une seule organisation, les milliers et les milliers d’hommes dont se composait la masse : en effet, il avait toujours accompli l’essentiel de son travail dans des laboratoires secrets, dans les antres de la conspiration que les masses ignoraient. Le parti des socialistes révolutionnaires souffrait des mêmes maladies de la vie souterraine, aggravées encore par son impuissance et son instabilité. Les difficultés qui existaient entre les deux fractions également fortes de la social démocratie d’une part, et leur lutte avec les socialistes révolutionnaires de l’autre, rendaient absolument indispensable la création d’une organisation impartiale. Pour avoir de l’autorité sur les masses, le lendemain même de sa formation, elle devait être instituée sur la base d’une très large représentation. Quel principe devait on adopter ? La réponse venait toute seule. Comme le seul lien qui existât entre les masses prolétaires, dépourvues d’organisation, était le processus de la production, il ne restait qu’à attribuer le droit de représentations aux entreprises et aux usines [1]. On avait comme exemple et comme précédent la commission du sénateur Chidlovsky. Une des deux organisations social démocrates de Pétersbourg prit l’initiative de créer une administration autonome révolutionnaire ouvrière, le 10 octobre, au moment où la plus grande des grèves s’annonçait. Le 13 au soir, dans les bâtiments de l’Institut technologique, eut lieu la première séance du futur soviet. Il n’y avait pas plus de trente à quarante délégués. On décida d’appeler immédiatement le prolétariat de la capitale à la grève politique générale et à l’élection des délégués. " La classe ouvrière, disait l’appel rédigé à la première séance, a dû recourir à l’ultime mesure dont dispose le mouvement ouvrier mondial et qui fait sa puissance : à la grève générale... Dans quelques jours, des événements décisifs doivent s’accomplir en Russie. Ils détermineront pour de nombreuses années le sort de la classe ouvrière ; nous devons donc aller au devant des faits avec toutes nos forces disponibles, unifiées sous l’égide de notre commun soviet... "

Cette décision d’une importance incalculable fut adoptée à l’unanimité ; il n’y eut même pas de débat sur le principe de la grève générale, sur les méthodes qui convenaient, sur les fins et les possibilités que l’on pouvait envisager ; et ce sont pourtant ces questions qui soulevèrent, peu de temps après, une lutte idéologique passionnée dans les rangs de notre parti allemand. Ce serait un non sens que d’expliquer ce fait par les différences psychologiques entre nationalités ; bien au contraire, c’est plutôt à nous autres, Russes, que l’on pourrait reprocher une prédilection maladive pour les finasseries de tactique et l’abus des subtilités dans le détail. La raison véritable de la conduite que l’on adopta alors, on la trouve dans le caractère révolutionnaire de l’époque. Le soviet, depuis l’heure où il fut institué jusqu’à celle de sa perte, resta sous la puissante pression de l’élément révolutionnaire qui, sans s’embarrasser de vaines considérations, devança le travail de l’intelligence politique.

Chacune des démarches de la représentation ouvrière était prédéterminée, la " tactique " à suivre s’imposait d’une manière évidente. on n’avait pas à examiner les méthodes de lutte, on avait à peine le temps de les formuler...

La grève d’octobre marchait d’un pas sûr vers son apogée. En tête du cortège, venaient les ouvriers du métal et de l’imprimerie. Ils furent les premiers à entrer dans la bataille et ils formulèrent d’une façon nette et précise, le 13 octobre, leurs mots d’ordre politiques.

" Nous déclarons la grève politique, proclamait l’usine Oboukhov, cette citadelle de la révolution, et nous lutterons jusqu’au bout pour la convocation d’une assemblée constituante sur la base du suffrage universel, égalitaire, direct et secret, dans le but d’instituer en Russie la république démocratique. "

Promulguant les mêmes mots d’ordre, les ouvriers des stations d’électricité déclaraient : " Unis avec la social démocratie, nous lutterons pour nos revendications jusqu’au bout et nous affirmons devant toute la classe ouvrière que nous sommes prêts à combattre les armes à la main, pour l’entière libération du peuple. "

La tâche du moment était définie d’une manière encore plus hardie par les ouvriers typographes qui envoyaient, le 14 octobre, leurs députés au soviet :

" Reconnaissant que la lutte passive est par elle même insuffisante, que c’est trop peu de cesser le travail, nous décidons : qu’il faut transformer les troupes de la classe ouvrière en grève en une armée révolutionnaire, c’est à dire organiser immédiatement des compagnies de combat. Que ces compagnies s’occupent d’armer le reste des masses ouvrières, au besoin en pillant les armureries et en arrachant à la police et aux troupes leurs armes partout où il sera possible de le faire. " Cette résolution ne fut pas une vaine parole. Les compagnies de typographes armés remportèrent un succès remarquable lorsqu’elles mirent la main sur les grandes imprimeries qui devaient servir à la publication des Izvestia (" Les Nouvelles ") du soviet des députés ouvriers ; elles rendirent des services inappréciables au cours de la grève des postes et télégraphes.

Le 15 octobre, les fabriques textiles travaillaient encore pour la plupart. Afin d’amener les abstentionnistes à la grève, le soviet mit au point toute une série de moyens de pression gradués, depuis les exhortations jusqu’à l’emploi de la violence. On ne fut pas obligé, toutefois, d’en arriver à cette extrémité. Lorsque les appels imprimés restaient sans elle, il suffisait de l’apparition d’une foule de grévistes, parfois même de quelques hommes, pour que le travail cessât.

" Je passais devant la fabrique Pecquelieu, rapporte au soviet un des députés. Je vois qu’on y travaille. Je sonne. " Dites que c’est un député du soviet ouvrier. – Qu’est ce que vous voulez ? demande le gérant. – Au nom du soviet, j’exige que votre fabrique ferme immédiatement. – C’est bon, à trois heures, nous cesserons le travail. "

Le 16 octobre, toutes les entreprises textiles étaient déjà en grève. Les magasins n’étaient ouverts que dans le centre de la ville. Dans les quartiers ouvriers, tout commerce avait cessé. En élargissant la grève, le soviet s’élargissait et s’affermissait lui même. Toute usine qui abandonnait le travail nommait un représentant et l’envoyait muni des papiers nécessaires au soviet. A la seconde séance, quarante grosses usines étaient déjà représentées, ainsi que deux entreprises et trois syndicats : celui des typographes, celui des commis de magasin et celui des comptables. Cette séance eut lieu dans l’amphithéâtre de physique de l’Institut technologique, et l’auteur était là, pour la première fois.

C’était le 14 octobre : la grève d’une part, la division dans les rangs du gouvernement de l’autre, tout laissait prévoir une crise. Ce jour là parut le célèbre décret de Trepov : " Ne pas tirer à blanc et ne pas ménager les cartouches. " Le lendemain, 15 octobre, ce même Trepov reconnaissait tout à coup que " parmi le peuple, le besoin de réunions se faisait sentir " et, tout en interdisant les meetings dans les établissements d’enseignement supérieur, il promettait de mettre trois édifices de la ville à la disposition des assemblées. " Quel changement en vingt quatre heures, écrivions nous alors dans les Izvestia du soviet des députés ouvriers ; hier, nous n’étions mûrs que pour les cartouches, nous le sommes aujourd’hui pour les réunions publiques. Ce vaurien sanguinaire a raison : en ces grandes journées de lutte, le peuple mûrit d’heure en heure ! " Malgré l’interdiction, les écoles supérieures étaient bondées dans la soirée du 14. Partout on tenait des meetings. " Nous, rassemblés ici, déclarons – telle fut la réponse que l’on donna au gouvernement – que le peuple révolutionnaire de Pétersbourg, par nous représenté, se trouverait à l’étroit dans les souricières que nous offre le général Trepov. Nous déclarons que nous continuerons à nous assembler dans les universités, dans les usines, dans les rues et partout où il nous conviendra. " De la salle des fêtes de l’Institut technologique, où j’eus l’occasion de parler sur la nécessité de réclamer à la douma municipale la constitution d’une milice ouvrière armée, je me rendis à l’amphithéâtre de physique. Là, je vis pour la première fois le soviet des députés, qui n’existait que depuis la veille. Il y avait, sur les gradins, une centaine de délégués ouvriers et de membres des partis révolutionnaires. Le président et les secrétaires étaient assis à la table de démonstration. L’assemblée avait plutôt l’air d’un conseil de guerre que d’un parlement. Aucune trace de verbosité, cette plaie des institutions représentatives ! Les questions sur lesquelles on délibérait – l’extension de la grève et les exigences à présenter à la douma étaient de caractère purement pratique et les débats se poursuivaient sans phrases inutiles, en termes brefs, énergiques. On sentait que chaque seconde valait un siècle. La moindre velléité de rhétorique se heurtait à une protestation résolue du président, appuyée par toutes les sympathies de l’austère assemblée. Une députation spéciale fut chargée de formuler devant la douma municipale les revendications suivantes : 1º prendre des mesures immédiates pour réglementer l’approvisionnement des masses ouvrières ; 2º ouvrir des locaux pour les réunions ; 3º suspendre toute attribution de provisions, de locaux, de fonds à la police, à la gendarmerie, etc. ; 4º assigner les sommes nécessaires à l’armement du prolétariat de Pétersbourg qui lutte pour la liberté.

On savait bien que la douma se composait de bureaucrates et de propriétaires ; des exigences aussi radicales n’avaient d’autre effet que de produire de l’agitation. Le soviet, bien entendu, ne se faisait aucune illusion sur ce point. Il n’attendait pas de résultats pratiques et il n’y en eut point.

Le 16 octobre, après une série d’incidents, après plusieurs tentatives d’arrestation des membres du soviet, etc. – je rappelle que tout cela se passait avant la promulgation du manifeste constitutionnel -, une députation du soviet fut reçue en " consultation privée " par la douma municipale de Pétersbourg. Avant tout, sur la demande formelle de la députation, énergiquement soutenue par un groupe de conseillers, la douma décida que, si l’on arrêtait les députés ouvriers, elle enverrait au gradonatchalnik le maire de la ville chargé de déclarer que les conseillers considéraient l’arrestation des députés comme une insulte à la douma. Après cela seulement, la députation s’occupa de formuler ses exigences.

" Le coup d’Etat qui s’accomplit en Russie, disait en terminant son discours le camarade Radine (feu Knouniantz), porte-parole de la députation, est une transformation bourgeoise qui vise à favoriser les classes possédantes. Il vous importe donc, messieurs, d’en hâter l’aboutissement. Et si vous êtes capables de voir un peu loin, si vous comprenez d’une façon vraiment large les intérêts de votre classe, vous devez aider de toutes vos forces le peuple à vaincre au plus tôt l’absolutisme. Nous n’avons pas besoin de l’expression de votre sympathie ni de l’appui platonique que vous pourriez accorder à nos revendications. Nous exigeons que vous nous donniez votre concours par une série de gestes pratiques.

" Le monstrueux système des élections a voulu que les biens d’une ville qui compte un million et demi d’habitants se trouvent entre les mains des représentants de quelques milliers de possédants. Le soviet des députés ouvriers exige, et il a le droit d’exiger, non pas de demander, car il représente plusieurs centaines de milliers d’ouvriers, habitants de cette capitale, tandis que votre voix n’est celle que d’une poignée d’électeurs, le soviet des députés ouvriers exige que les biens municipaux soient mis à la disposition de tous les habitants de la ville pour leurs besoins. Et comme, en ce moment, la tâche la plus importante qui s’impose à la société est la lutte contre l’absolutisme, et comme, pour mener cette lutte, il nous faut des lieux de réunion, ouvrez nous nos édifices municipaux !

" Nous avons besoin de ressources pour continuer la grève, assignez donc les fonds de la municipalité à cet objet, et non à entretenir la police et les gendarmes

" Nous avons besoin d’armes pour conquérir et garder la liberté, assignez donc les fonds nécessaires à l’organisation d’une milice de prolétaires ! "

Sous la garde d’un groupe de conseillers, la députation quitta la salle des séances. La douma refusa de satisfaire aux exigences essentielles du soviet et exprima sa confiance à la police, protectrice de l’ordre.

Au fur et à mesure du développement de la grève d’octobre, le soviet devenait tout naturellement le centre qui attirait l’attention générale des hommes politiques. Son importance croissait littéralement d’heure en heure. Le prolétariat industriel avait été le premier à serrer les rangs autour de lui. L’Union des syndicats, qui avait adhéré à la grève dès le 14 octobre, dut presque immédiatement reconnaître son protectorat. De nombreux comités de grève – ceux des ingénieurs, des avocats, des fonctionnaires du gouvernement – réglaient leurs actes sur ses décisions. En s’assujettissant les organisations indépendantes, le soviet unifia autour de lui la révolution.

En même temps, la division se faisait sentir de plus en plus dans les rangs du gouvernement.

Trepov ne ménageait plus rien et flattait de la main ses mitrailleuses. Le 12, il se fait placer par Nicolas II à la tête de toutes les troupes de la garnison de Pétersbourg. Le 14, il donne l’ordre de ne pas " ménager les cartouches ". Il partage la capitale en quatre secteurs militaires, commandés chacun par un général. En qualité de général gouverneur, il menace tous les marchands de comestibles de les faire déporter dans les vingt quatre heures s’ils ferment boutique. Le 16, il consigne sévèrement les portes de toutes les écoles supérieures de Pétersbourg, qui sont occupées par les troupes. Sans que la loi martiale ait été proclamée, elle entre de fait en vigueur. Des patrouilles à cheval terrorisent la rue. Les troupes sont cantonnées partout, dans les établissements de l’Etat, dans les édifices publics, dans les cours des maisons particulières. Alors que les artistes du ballet impérial, eux mêmes, se joignaient à la grève, Trepov, inexorable, emplissait de soldats les théâtres vides. Il ricanait et se frottait les mains, pressentant une chaude affaire.

Il se trompait dans ses calculs. Ses adversaires politiques, représentés par un courant bureaucratique qui cherchait un compromis frauduleux avec l’histoire, l’emportèrent. Witte, chef de ce parti, fut appelé au pouvoir.

Le 17 octobre, les soudards de Trepov dispersèrent la réunion du soviet des députés ouvriers. Mais celui ci trouva la possibilité de s’assembler encore une fois. Il décida que l’on poursuivrait la grève avec un redoublement d’énergie. Il recommanda aux ouvriers de ne plus payer ni leur loyer, ni les marchandises qu’ils prenaient à crédit avant d’avoir repris le travail, et il invita les propriétaires et les commerçants à ne pas se montrer exigeants envers les ouvriers. Ce même 17 octobre, parut le premier numéro des Izvestia du soviet des députés ouvriers.

Et, dans la même journée, le tsar signait le manifeste de la Constitution.

Note

[1] Il y avait un délégué par groupe de cinq cents ouvriers. Les petites entreprises industrielles s’unissaient pour former des groupes d’électeurs. Les jeunes syndicats reçurent également le droit de représentation. Il faut dire, cependant, que ces normes n’étaient pas observées très rigoureusement : certains délégués ne représentaient que cent ou deux cents ouvriers, ou même moins. (1909)"


"Les soviets, les syndicats et le parti

Les soviets, en tant que forme d’organisation de la classe ouvrière, représentent pour Kautsky, par rapport aux partis et aux organisations professionnelles des pays plus avancés, "non pas une forme supérieure d’organisation, mais avant tout un succédané (Notbehelf), provenant de l’absence d’organisations politiques" (p. 51). Mettons que ce soit vrai pour la Russie. Mais alors pourquoi les Soviets ont-ils fait leur apparition en Allemagne ? Ne conviendrait-il pas de les rejeter complètement dans la république d’Ebert ? Nous savons cependant que Hilferding, le plus proche ami politique de Kautsky, proposait d’introduire les Soviets dans la constitution. Kautsky n’en dit rien.

Estimer que les soviets sont une organisation "primitive" est vrai dans l’exacte mesure où la lutte révolutionnaire ouverte est plus "primitive" que le parlementarisme. Mais la complexité artificielle de ce dernier ne concerne que des couches supérieures par le nombre. La révolution n’est possible que là où les masses sont directement concernées. La révolution d’Octobre a mis en marche des masses telles que la sovial-démocratie d’avant la révolution ne pouvait même pas rêver. Si vastes que soient les organisations du parti et des syndicats en Allemagne, la révolution les a d’emblée dépassées en largeur. Les masses révolutionnaires ont trouvé leur représentation immédiate dans l’organisation de délégués la plus simple et la plus à la portée de tous. On peut reconnaître que le soviet des députés ne s’élève à la hauteur ni du parti ni des syndicats pour ce qui est de la clarté du programme ou de la forme d’organisation. Mais il est de loin au-dessus et du parti et des syndicats par le nombre de ceux qu’il entraîne dans la lutte de masse organisée, et cette supériorité numérique donne au soviet une prépondérance révolutionnaire indiscutable. Le soviet englobe tous les travailleurs de toutes les entreprises, de toutes les professions, de tous les degrés de développement culturel, de tous les niveaux de conscience politique, et par ce fait même, il est objectivement forcé de formuler les intérêts généraux du prolétariat.

Le "Manifeste du Parti Communiste" considérait que la tâche des communistes était précisément de formuler les intérêts historiques généraux de la classe ouvrière tout entière.

"Les communistes se distinguent des autres partis prolétariens - d’après les termes du Manifeste - en ceci seulement que, d’une part, dans la lutte des prolétaires des différentes nations, ils font valoir et défendent les intérêts du prolétariat dans son ensemble, indépendamment des nationalités ; que, d’autre part, à toutes les phases de la lutte qui a lieu entre le prolétariat et la bourgeoisie, ils représentent toujours l’intérêt de l’ensemble du mouvement". Sous la forme de l’organisation des Soviets qui embrasse l’ensemble de la classe, le mouvement se prend lui-même "dans son enseemble". A partir de là, on voit clairement pourquoi les communistes pouvaient et devaient devenir le parti dirigeant des soviets.

Mais à partir de là, on voit aussi toute la fausseté de l’appréciation des soviets comme "succédanés" du parti (Kautsky), et toute la stupidité des tentatives faites pour introduire les soviets, en qualité de levier secondaire, dans le mécanisme de la démocratie bourgeoise (Hilferding). Les soviets sont l’organisation de la révolution prolétarienne et ils ont un sens soit comme organe de lutte pour le pouvoir, soit comme appareil du pouvoir de la classe ouvrière.

Incapable de comprendre le rôle révolutionnaire des soviets, Kautsky voit des insuffisances fondamentales dans ce qui constitue leur mérite principal : "Il est impossible, écrit-il, d’établir une ligne de démarcation exacte entre bourgeois et ouvriers. Cette distinction a toujours quelque chose d’arbitraire qui transforme l’idée des soviets en un support favorisant le despotisme dictatorial, mais inapte à créer un régime gouvernemental clairement défini et systématiquement construit".

Selon Kautsky, une dictature de classe ne peut créer des institutions qui conviennent à sa nature, pour cette raison qu’il n’existe pas de ligne de démarcation impeccable entre les classes. Mais alors, que devient la lutte des classes en général ? Car c’est justement dans la multiplicité des degrés intermédiaires entre la bourgeoisie et le prolétariat que les idéologues petit-bourgeois ont toujours trouvé leur argument le plus sérieux contre "le principe" même de la lutte des classes. Pour Kautsky, les doutes sur les principes commencent précisément au moment où le prolétariat, ayant surmonté le caractère informe et instable des classes intermédiaires, entraînant à sa suite une partie de ces classes, rejetant le reste dans le camp de la bourgeoisie, a organisé de fait sa dictature dans le régime Etatique des soviets. Les soviets sont un appareil irremplaçable de domination prolétarienne précisément parce que leurs cadres sont élastiques et souples, de sorte que toutes les modifications, non seulement sociales, mais aussi politiques, qui se produisent dans les rapports entre les classes et les couches sociales, peuvent immédiatement trouver leur expression dans l’appareil soviétique. Commençant par les plus grosses usines et fabriques, les soviets font ensuite entrer dans leur organisation les ouvriers des ateliers et les employés de commerce ; ils entrent dans les campagnes, organisent la lutte des paysans contre les propriétaires fonciers, puis les couches inférieures et moyennes de la paysannerie contre les koulaks. L’Etat ouvrier utilise d’innombrables employés qui proviennent dans une large mesure de la bourgeoisie et de l’intelligentsia bourgeoise. Dans la mesure où ils se plient à la discipline du régime soviétique, ils trouvent une représentation dans le système des soviets. S’élargissant - et parfois, se rétrécissant - selon que s’étendent ou se rétrécissent les positions sociales conquises par le prolétariat, le système soviétique reste l’appareil étatique de la révolution sociale, dans sa dynamique interne, dans ses flux et reflux, dans ses erreurs et dans ses succès. Lorsque la révolution sociale aura définitivement triomphé, le système soviétique s’étendra à toute la population, pour perdre du même coup son caractère étatique et se dissoudre en un puissant système coopératif de production et de consommation.

Si le parti et les syndicats étaient des organisations de préparation de la révolution, les soviets sont l’instrument de cette révolution elle-même. Après sa victoire, les soviets deviennent les organes du pouvoir. Le rôle du parti et des syndicats, sans diminuer d’importance, se modifie substantiellement.

La direction générale des affaires est concentrée entre les mains du parti. Le parti n’administre pas directement, car son appareil n’est pas adapté à cette tâche. Mais il a voix décisive sur toutes les questions de principe qui se présentent. Bien plus, l’expérience nous a conduits à décider que sur toutes les questions litigieuses, dans tous les conflits entre les administrations et dans les conflits de personnes à l’intérieur des administrations, le dernier mot appartenait au Comité Central du parti. Cela épargne beaucoup de temps et d’énergie, et dans les circonstances les plus difficiles et les plus compliquées, cela garantit l’indispensable unité d’action. Un pareil régime n’est possible que si l’autorité du parti reste absolument incontestée, que si la discipline du parti ne laisse absolument rien à redire. Fort heureusement pour la révolution, notre Parti satisfait également à ces deux conditions. Quant à savoir si dans d’autres pays, qui n’ont pas hérité d’une forte organisation révolutionnaire trempée dans les combats, on pourra disposer d’un parti communiste doté d’autant d’autorité que le nôtre quand sonnera l’heure de la révolution prolétarienne, il est difficile de le dire à l’avance. Mais il est parfaitement évident que de la solution de cette question dépend en grande partie la marche de la révolution socialiste dans chaque pays.

Le rôle exceptionnel que joue le parti communiste lorsque la révolution prolétarienne a remporté la victoire, est tout à fait compréhensible. Il s’agit de la dictature d’une classe. A l’intérieur de cette classe on trouve des couches diverses, des états d’esprit dissemblables, des niveaux de développement différents. Or la dictature présuppose unité de volonté, unité de direction, unité d’action. Par quelle autre voie pourrait-elle se réaliser ? La domination révolutionnaire du prolétariat suppose dans le prolétariat même la domination d’un parti pourvu d’un programme d’action bien défini, et fort d’une discipline interne indiscutée.

La politique des blocs est en contradiction intime avec le régime de la dictature révolutionnaire. Nous envisageons ici non pas un bloc constitué avec les partis bourgeois, il ne saurait absolument pas en être question, mais un bloc de communistes avec d’autres organisations "socialistes" qui représentent à des degrés divers les idées arriérées et les préjugés des masses travailleuses.

La révolution sape rapidement tout ce qui est instable, elle use ce qui est artificiel ; les contradictions masquées par le bloc se découvrent sous la pression des événements révolutionnaires. Nous l’avons constaté par l’exemple de la Hongrie, où la dictature du prolétariat a pris la forme politique d’une coalition des communistes avec des opportunistes déguisés. La coalition s’est rapidement disloquée. Le parti communiste a chèrement payé l’incapacité révolutionnaire et la trahison politique de ses compagnons de route. Il est absolument évident qu’il aurait été plus avantageux pour les communistes hongrois de venir au pouvoir plus tard, après avoir préalablement laissé aux opportunistes de gauche la possibilité de se compromettre à fond. Une autre question est de savoir jusqu’à quel point cela était possible. En tout cas, le bloc avec les opportunistes, qui n’a masqué que provisoirement la faiblesse relative des communistes hongrois, les a en même temps empêchés de se renforcer au détriment des opportunistes et les a menés à la catastrophe.

La même idée est assez bien illustrée par l’exemple de la révolution russe. Le bloc des bolcheviks avec les socialistes-révolutionnaires de gauche, après avoir duré quelques mois, a pris fin par une rupture sanglante. Il est vrai que c’est moins nous, communistes, qui avons fait les frais de ce bloc, que nos compagnons infidèles. Il est évident que ce bloc où nous étions les plus forts et où, par conséquent, nous ne risquions pas trop à tenter d’utiliser, pour un certain parcours historique, l’extrême-gauche de la démocratie petite-bourgeoise, devait être totalement justifié sur le plan tactique. Néanmoins, l’épisode des socialistes-révolutionnaires de gauche montre très clairement qu’un régime d’accommodements, d’accords, de concessions mutuelles - et c’est en cela que consiste le régime du bloc - ne peut tenir longtemps à une époque où les situations changent avec une extrême rapidité et où il faut la plus grande unité de vue pour rendre possible l’unité d’action.

On nous a accusés plus d’une fois d’avoir substitué à la dictature des soviets celle du parti. Et cependant, on peut affirmer sans risquer de se tromper, que la dictature des soviets n’a été possible que grâce à la dictature du parti : grâce à la clarté de sa vision théorique, grâce à sa forte organisation révolutionnaire, la parti a assuré aux soviets la possibilité de se transformer, d’informes parlements ouvriers qu’ils étaient, en un appareil de domination du travail. Dans cette "substitution" du pouvoir du parti au pouvoir de la classe ouvrière, il n’y a rien de fortuit et même, au fond, il n’y a là aucune substitution. Les communistes expriment les intérêts fondamentaux de la classe ouvrière. Il est tout à fait naturel qu’à l’époque où l’histoire met à l’ordre du jour ces intérêts dans toute leur étendue, les communistes deviennent les représentants reconnus de la classe ouvrière dans sa totalité.

 Mais qu’est-ce qui vous garantit, nous demandent quelques malins, que c’est précisément votre parti qui représentent les intérêts du développement historique ? En supprimant ou en rejetant dans la clandestinité les autres partis, vous vous êtes privés de leur émulation politique, vous vous êtes privés de la possibilité de vérifier votre ligne.

Cette considération est dictée par une idée purement libérale de la marche de la révolution. A une époque où tous les antagonismes se déclarent ouvertement et où la lutte politique se transforme rapidement en guerre civile, le parti dirigeant a, pour vérifier sa ligne de conduite, assez de critères matériels en dehors du tirage possible des journaux mencheviks. Noske décime les communistes, et pourtant leur nombre augmente. Nous avons écrasé les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires, et il n’en reste rien. Ce critère nous suffit. En tout cas, notre tâche consiste, non pas à évaluer statistiquement à chaque moment un regroupement de courants, mais bien à assurer la victoire de notre courant, le courant de la dictature prolétarienne, et à trouver dans le fonctionnement de cette dictature, dans ses frictions internes, un critère suffisant pour notre propre contrôle.

L’"indépendance" durable du mouvement syndical à l’époque de la révolution prolétarienne est aussi impossible que la politique des blocs. Les syndicats deviennent les organes économiques les plus importants du prolétariat au pouvoir. Parce fait même, ils tombent sous la direction du parti communiste. Ce ne sont pas seulement les questions de principe du mouvement syndical, mais aussi les conflits organisationnels sérieux à l’intérieur de ce mouvement qui sont résolus par le Comité Central de notre parti.

Les partisans de Kautsky accusent le pouvoir soviétique d’être la dictature "d’une partie" seulement de la classe ouvrière. "Si au moins, disent-ils, la dictature était le fait de la classe tout entière !". Il n’est pas facile de comprendre cc qu’ils entendent exactement par là. La dictature du prolétariat signifie, dans son essence même, la domination immédiate d’une avant-garde révolutionnaire qui s’appuie sur les lourdes masses et qui oblige, quand il le faut, les couches les plus arriérées à se rallier. Cela concerne aussi les syndicats. Après la conquête du pouvoir par le prolétariat, ils prennent un caractère obligatoire. Ils doivent englober tous les ouvriers d’industrie. Le parti, comme auparavant, n’inclut dans ses rangs que les plus conscients et les plus dévoués d’entre eux. Ce n’est que par une grande sélection qu’il élargit ses rangs. D’où le rôle de direction de la minorité communiste dans les syndicats, rôle qui correspond à la prédominance exercée par le parti communiste dans les soviets, et qui est l’expression politique de la dictature du prolétariat.

Les syndicats deviennent les agents directs de la production sociale. Ils expriment non seulement les intérêts des ouvriers d’industrie, mais les intérêts de l’industrie elle-même. Dans la première période, les tendances trade-unionistes relèvent plus d’une fois la tête dans les syndicats, les poussant à marchander avec l’Etat soviétique, à lui poser des conditions, à exiger de lui des garanties. Mais plus on avance, plus les syndicats comprennent qu’ils sont les organes de production de l’Etat soviétique ; il prennent sur eux la responsabilité de son destin, ne s’opposent pas à lui, mais s’identifient avec lui. Les syndicats deviennent les promoteurs de la discipline du travail. Ils exigent des ouvriers un travail intensif dans les conditions les plus pénibles aussi longtemps que l’Etat ouvrier n’a pas les forces nécessaires pour modifier ces conditions. Les syndicats deviennent des promoteurs de la répression révolutionnaire à l’encontre des éléments indisciplinés, turbulents et parasitaires de la classe ouvrière. Abandonnant la politique trade-unioniste qui est, dans une certaine mesure, inséparable du mouvement syndical dans les limites de la société capitaliste, les syndicats prennent sur toute la ligne le chemin de la politique du communisme révolutionnaire."

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