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Tunisie : les travailleurs sont au centre du combat et sont la clef du succès

lundi 24 janvier 2011, par Robert Paris

Tunisie : les travailleurs sont au centre du combat et sont la clef du succès

Ben Ali est parti mais rien n’est réglé : ni la question sociale ni la situation politique. L’écart entre les aspirations des masses et les manœuvres des classes dirigeantes est grandissant...

La notion de transition démocratique n’a pas de sens hormis celui d’une tromperie. On ne passe pas par glissements imperceptibles de la dictature à la démocratie, mais par une rupture, un moment de transformation véritable qui permet de rompre avec le passé et qui ouvre la voie vers l’avenir.

Pas de démocratie sans désarmement des généraux et chefs de police assassins !

Pas de démocratie sans le pain, le logis, le travail, la sécurité pour tous !

Le peuple travailleur de Gafsa

"Du travail pour tous dans la dignité" était un slogan favori des manifestants.

Pas de démocratie sans que le peuple travailleur ait droit de s’organiser afin de définir ses revendications et même ses décisions !

Car le peuple tunisien ne s’est pas seulement soulevé contre un dictateur honni, pour ses droits et libertés démocratiques élémentaires. Il s’est aussi, et en tout premier lieu, soulevé pour le pain, pour le travail, contre la vie chère, contre la corruption et pour une autre répartition des richesses. Pour ce faire, ces dernières doivent être mises sous contrôle public et démocratique, celui d’une organisation de masse et populaire : les comités de quartier, d’usine, d’entreprises, de paysans, d’ouvriers, de chômeurs, de femmes, de jeunes...

Il n’y aura pas de vraie solution sans l’auto-organisation des travailleurs, leur armement contre les milices du régime, le combat pour en finir avec la tutelle de l’impérialisme français, l’expropriation des grands groupes capitalistes, la reconstruction d’une économie au service des besoins du peuple.

Cela passe par la formation de comités partout, dans les entreprises, les quartiers, les écoles, les universités, les casernes...

A l’évidence, la satisfaction de ces revendications politiques et économiques implique une rupture totale avec le système de la dictature qui a mis le pays en coupe réglée. Ce n’est certainement pas le chemin que va prendre le gouvernement d’union nationale constitué pour confisquer la victoire aux masses et conserver tout le pouvoir aux mains de la bourgeoisie. Le prolétariat, la jeunesse, les masses tunisiennes ne peuvent donc compter que sur leurs propres forces, en écartant du chemin tous ceux qui prétendent parler en leurs noms, mais collaborent avec les plus fidèles partisans de Ben Ali. La force du prolétariat, de la jeunesse et des masses tunisiennes est considérable, ultra-majoritaire dans la société, pour peu qu’elle soit organisée. Mais dans quelle direction aller ?

 D’abord, fédérer les comités de vigilance qui se sont spontanément constitués pour protéger les quartiers des exactions des milices du régime, et les mettre sous le contrôle du peuple travailleur en les rendant ainsi indépendants de l’armée

 constituer des comités de travailleurs dans les usines, les mines, champs, les bureaux, les ports...

 constituer des comités de chômeurs, de jeunes, d’étudiants et lycéens qui sont reliés aux comités de travailleurs

 constituer des comités de villes avec des délégués de chaque comité,

 appeler à la constitution de comités de soldats indépendants de la hiérarchie militaire,

 rassembler toutes ces forces au plan national dans un conseil central des délégués de tous les comités sur le programme des revendications définies par les masses tunisiennes elles-mêmes.

 La constitution d’un gouvernement des travailleurs formé à partir de ces comités et appuyé sur eux pour appliquer résolument le programme voulu par les masses devient alors un objectif immédiat.

 Pour réquisitionner les biens volés au peuple

 Pour satisfaire les besoins immédiats de la population livrée à la misère

 Pour rompre avec l’impérialisme qui a pillé la Tunisie

UNE SEULE PERSPECTIVE DÉMOCRATIQUE : LE POUVOIR AUX TRAVAILLEURS !!!!

« Le prolétariat a compris qu’il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en mains ses destinées, et d’en assurer le triomphe en s’emparant du pouvoir. »

Le Comité central durant la Commune de Paris (1871), cité par Karl Marx dans « La guerre civile en France »

« Quand la Commune de Paris prit la direction de la révolution entre ses propres mains, quand de simples ouvriers osèrent, pour la première fois, empiéter sur le privilège gouvernemental de leurs « supérieurs naturels » et accomplirent, dans des circonstances d’une difficulté sans exemple, leur œuvre modestement, consciencieusement et efficacement, et pour des salaires dont le plus élevé atteignait à peine le cinquième de ce qui, à en croire une haute autorité scientifique (le professeur Huxley) est le minimum requis pour le secrétaire du conseil des écoles de Londres, le vieux monde se tordit de rage à la vue du drapeau rouge, symbole de la république du travail, flottant sur l’Hôtel de ville. »

« La guerre civile en France » de Karl Marx

"Leçon de la révolution de 1848 : l’indépendance indispensable du prolétariat « (...) Tandis que les petits bourgeois démocratiques veulent terminer la révolution au plus vite (...), il est de notre intérêt et de notre devoir de rendre la révolution permanente, jusqu’à ce que toutes les classes plus ou moins possédantes aient été écartées du pouvoir, que le prolétariat ait conquis le pouvoir et que non seulement dans un pays, mais dans tous les pays régnants du monde l’association des prolétaires ait fait assez de progrès pour faire cesser dans ces pays la concurrence des prolétaires et concentrer dans leurs mains au moins les forces productives décisives. Il ne peut s’agir pour nous de transformer la propriété privée, mais Seulement de 1’anéantir ; ni de masquer les antagonismes de classes, mais d’abolir les classes ; ni d’améliorer la société existante, mais d’en fonder une nouvelle. (...) « Leurs efforts doivent tendre à ce que l’effervescence révolutionnaire directe ne soit pas une nouvelle fois réprimée aussitôt après la victoire. Il faut, au contraire, qu’ils la maintiennent le plus longtemps possible. Bien loin de s’opposer aux prétendus excès, aux exemples de vengeance populaire contre des individus haïs ou des édifices publics auxquels ne se rattachent que des souvenirs odieux, il faut non seulement tolérer ces exemples, mais encore en assumer soi-même la direction. Pendant et après la lutte, les ouvriers doivent en toute occasion formuler leurs propres revendications à côté de celles des démocrates bourgeois. Ils doivent exiger des garanties pour les ouvriers, dès que les bourgeois démocratiques se disposent à prendre le gouvernement en main. Il faut au besoin qu’ils obtiennent ces garanties de haute lutte et s’arrangent en somme pour obliger les nouveaux gouvernants à toutes les concessions et promesses possibles ; c’est le plus sûr moyen de les compromettre. Il faut qu’ils s’efforcent, par tous les moyens et autant que faire se peut, de contenir la jubilation suscitée par le nouvel état de choses et l’état d’ivresse, conséquence de toute victoire remportée dans une bataille de rue, en jugeant avec calme et sang-froid la situation et en affectant à l’égard du nouveau gouvernement une méfiance non déguisée. Il faut qu’à côté des nouveaux gouvernements officiels ils établissent aussitôt leurs propres gouvernements ouvriers révolutionnaires, soit sous forme d’autonomies administratives locales ou de conseils municipaux, soit sous forme de clubs ou comités ouvriers, de façon que les gouvernements démocratiques bourgeois non seulement s’aliènent aussitôt l’appui des ouvriers, mais se voient, dès le début, surveillés et menacés par des autorités qui ont derrière elles toute la masse des ouvriers. En un mot, dès les premiers instants de la victoire, on ne doit plus tant se défier des partis réactionnaires vaincus que des anciens alliés des ouvriers, que du parti qui cherche à exploiter la victoire pour lui seul. (...) » « Les ouvriers doivent se placer non sous la tutelle de l’autorité de l’Etat mais sous celle des conseils révolutionnaires de communautés que les ouvriers auront pu faire adopter. Les armes et les munitions ne devront être rendues sous aucun prétexte. (...) » « Ils doivent pousser à l’extrême les propositions des démocrates qui, en tout cas, ne se montreront pas révolutionnaires, mais simplement réformistes, et transformer ces propositions en attaques directes contre la propriété privée. Si, par exemple, les petits bourgeois proposent de racheter les chemins de fer et les usines, les ouvriers doivent exiger que ces chemins de fer et ces usines soient simplement et sans indemnité confisqués par l’Etat en tant que propriété de réactionnaires. Si les démocrates proposent l’impôt proportionnel, les ouvriers réclament l’impôt progressif. Si les démocrates proposent eux-mêmes un impôt progressif modéré, les ouvriers exigent un impôt dont les échelons montent assez vite pour que le gros capital s’en trouve compromis. Si les démocrates réclament la régularisation de la dette publique, les ouvriers réclament la faillite de l’Etat. Les revendications des ouvriers devront donc se régler partout sur les concessions et les mesures des démocrates. » « Ils (les ouvriers) contribueront eux-mêmes à leur victoire définitive bien plus par le fait qu’ils prendront conscience de leurs intérêts de classe, se poseront dès que possible en parti indépendant et ne se laisseront pas un instant détourner—par les phrases hypocrites des petits bourgeois démocratiques—de l’organisation autonome du parti du prolétariat. Leur cri de guerre doit être : La révolution en permanence ! »

Karl Marx et Friedrich Engels dans « Adresse du Comité Central à la Ligue des communistes » (1850)


Loin d’être finie, la révolution ne fait que commencer. En effet, si Ben Ali a dû s’enfuir, le système Ben Ali, l’Etat Ben Ali, la classe dirigeante Ben Ali, l’armée Ben Ali, la police Ben Ali ne sont pas démantelés. Même si certains sont en fuite, tortionnaires et profiteurs n’ont pas disparu comme par enchantement ! Et surtout l’appareil politique de la dictature manœuvre aujourd’hui pour sauver l’essentiel du régime, les privilèges et l’impunité pour le plus grand nombre.

Les classes dirigeantes essaient de leurrer le peuple travailleur avec des fausses perspectives comme union nationale et élections démocratiques...

L’union nationale entre qui et qui ? Entre d’une part les tenants du régime et d’autre part ceux qui, qualifiés déjà « d’opposition en carton-pâte » par les masses, acceptent de se prêter à cette mascarade. Comment croire un seul instant que les classes dirigeantes tunisiennes et leurs représentants politiques puissent et veuillent avancer d’un seul pas dans le sens des revendications des masses ?

Il ne faut pas se leurrer. C’est uniquement le petit peuple, celui d’en bas, surgi de la Tunisie, profonde et donc oubliée, qui a mis le feu aux poudres ne craignant pas d’affronter les balles et la mort. La puissante Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT), les partis politiques dits d’opposition, justement ceux qui donnent de la voix aujourd’hui après vingt trois ans d’un lourd silence sinon de servilité, ne sont intervenus dans le mouvement que lorsque celui-ci s’était rapproché de Tunis, la capitale.

D’ailleurs, si l’UGTT était si radicale pourquoi aurait-elle appelé seulement les enseignants à la grève et pas à une grève générale pour faire chuter le gouvernement fantoche... Parce qu’elle ne fait qu’accompagner les luttes qui se feront de toutes manière sans elle...

A plusieurs reprises l’intervention des travailleurs a été déterminante dans l’avancée de la lutte : par exemple la grève de Sfax et la manifestation le 13 janvier 2011, peu avant la chute de ben Ali...

Une semaine après la chute du dictateur Ben Ali, la colère des Tunisiens ne faiblit pas. Partis du centre du pays, samedi matin, la "caravane de la libération" a rejoint la capitale dimanche matin. "Le peuple vient faire tomber le gouvernement", scandaient des manifestants, parmi lesquels de nombreux jeunes qui ont rejoint la capitale en alternant marche et trajets en véhicules. "Nous sommes venus de Menzel Bouzaiane, de Sidi Bouzid, de Regueb pour faire tomber les derniers restes de la dictature", a expliqué un vieil homme drapé dans un drapeau tunisien, Mohammed Layani.

Dans plusieurs entreprises publiques, les travailleurs ont carrément chassé les patrons imposés par le président déchu, comme ce fut le cas à l’entreprise des transports. En fin de journée, des informations faisaient état du départ des manifestants du centre-ouest du pays qui ont entamé une marche dénommée « Caravane de la libération » sur la capitale pour exiger le départ et la dissolution du gouvernement, a indiqué une avocate de la région de Regueb, ajoutant que « des marches vers la capitale vont partir de toutes les régions qui ont connu les événements les plus sanglants au début de la révolution ».

A la Caisse nationale de la sécurité sociale tunisienne le scénario a été un peu plus musclé. Les employés ont expulsé leur patron mercredi l’obligeant à fuir par la porte de derrière, rapporte l’envoyé spécial d’Europe 1 en Tunisie.

Des ouvriers agricoles occupaient leur ferme, à l’ouest de Tunis, qui avait été confisquée par un neveu du président déchu Zine El Abidine Ben Ali, selon la télévision tunisienne samedi. Alors que la Tunisie observe un 2e jour de deuil national en mémoire des victimes de la "révolution du jasmin", une nouvelle manifestation est prévue dans le centre de la capitale. Elle doit dénoncer la mainmise des caciques de l’ancien régime sur le gouvernement d’union nationale, en dépit des assurances du 1er ministre Ghannouchi qui a promis de mettre fin à sa carrière après la période de transition.

Les travailleurs et la jeunesse de Tunisie cherchent à s’organiser sur leur terrain de classe

D’une puissance sans précédent depuis 1956, le mouvement spontané des masses tunisiennes se heurte au manque total d’organisations ouvrières indépendantes. Alors que toutes les forces dites d’ « opposition », y compris celles issues du PC, se situent sur le terrain d’un « gouvernement provisoire » assurant la continuité du régime, les masses tunisiennes cherchent à construire leurs organisations, à arracher les libertés démocratiques indispensables à leur combat : droit de grève, de manifestation, d’expression, d’information et d’organisation.

Elles cherchent à mettre le syndicat unique, l’UGTT, au service de leurs revendications, lui ont imposé la rupture avec le gouvernement, le soutien aux manifestants. Elles se heurtent en cela à un appareil dirigeant mis en place sous Ben Ali. Le secrétaire général de ce syndicat rencontrait encore Ben Ali deux jours avant sa fuite ! Il leur faut en dernière analyse expulser l’appareil bureaucratique inféodé à la dictature, construire une autre direction.

Elles construisent leur structures d’auto-organisation : leurs comités populaires, leurs groupes d’autodéfense, leurs barrages couvrant tout le pays contre la police de Ben Ali, les milices du RCD, les partisans du dictateur en fuite. Mais face à ces forces structurées, les comités populaires ont besoin d’être fédérés, les milices d’être équipées, leur fonctionnement centralisé.

Elles posent la question de la propriété : elles exigent l’éviction des PDG liés à la dictature (Tunisair, Tunisie Télécom, transports...), soulèvent la question des richesses accaparées par le clan Ben Ali-Trabelsi, en lien étroit avec de grands groupes français. Au bout, c’est la propriété capitaliste elle-même, la tutelle impérialiste sur le pays qui sont en cause.

Seule la perspective du renversement des oligarchies est à même d’ouvrir de véritables processus de mobilisation des travailleurs, de la jeunesse et de tous les exploiter en vue de s’organiser ou briser les reins de ces systèmes dictatoriaux. Le rassemblement de tous les secteurs en lutte, travailleurs, précaires, jeunes, paysans, artisans etc. dans des structures d’auto organisation à l’image de ce qui s’est déroulé en Guadeloupe avec le L. K.P est un exemple à suivre. Au sein de cette coordination d’organisations syndicales, associatives, politiques, le peuple des exploités en lutte a pris son destin en main.

Ces structures d’auto organisation sont appelées à refonder les processus constitutionnels en imposant des cadres législatifs basés sur l’égalité totale et la répartition des richesses.

L’égalité totale de tous les citoyens, femmes et hommes, et la garantie d’une représentation paritaire à tous les échelons de responsabilité. La répartition des richesses est devenue le leitmotiv de toutes les mobilisations du bassin minier de Gafsa à Sidi Bouzid. À chaque mobilisation les slogans fusent contre les voleurs des biens publics et la réclamation qu’ils soient rendus à leurs destinataires.

Répartir le travail, répartir la richesse : voilà le programme de transition.

Il faut voir comment la foule des manifestants s’est portée partout au contact des militaires, les enveloppant littéralement, obtenant leur ralliement par des embrassades et des discussions passionnées, c’est le début classique de toute révolution, parce que c’est bien d’une révolution dont il est question ici.

De manière spontanée des comités de quartier se sont constitués pour défendre la population contre les exactions des bandes armées de Ben Ali, désarmant ses partisans avec souvent la traque et une vengeance terrible contre ceux qui ont terrorisé le pays pendant tant d’années.

Les manifestations d’hier ont vu la participation en nombre important de policiers en civil et en uniforme réclamant la création d’un syndicat de la police. Des agents, qui manifestaient devant le siège du gouvernement, ont bloqué un moment l’accès à la voiture du président tunisien de transition, Fouad Mebazaa, avant d’être écartés en douceur par des collègues en service. D’autres témoins rapportent que les policiers réclamaient également « le jugement des officiers qui leur ont donné ordre de tirer sur les foules lors des manifestations ». Un fait inédit qui ne peut se produire que dans des situations révolutionnaires.

Tout dépendra des travailleurs

Les travailleurs étaient déjà à la tête des premières luttes

La révolte du peuple des mines

La révolte sociale à Sidi Bouzid

La révolte à Gafsa

En 2008, pendant six mois, le bassin minier de Gafsa, où le taux de chômage est de 30 %, se soulève suite à des embauches truquées faites au bénéfice des larbins du pouvoir. A l’occasion d’un concours d’embauche, mille candidats se présentent pour seulement 81 postes à pourvoir. Les résultats affichés sont jugés frauduleux, ne respectant pas les accords en termes de quotas pour les fils de mineurs estropiés. La révolte éclate le 5 janvier 2008.

Les contestataires bloquent la circulation des trains entre les carrières et les usines. Ils sont rejoints par des veuves de mineurs et leurs familles. Les jeunes chômeurs occupent le siège régional de l’UGTT à Redeyef, dénonçant une politique de l’emploi injuste. Ils s’attaquent à un potentat local, Amara Abbassi, à la fois patron de plusieurs entreprises de sous-traitance pour la CPG (Compagnie des phosphates de Gafsa), dirigeant de l’UGTT régionale et député du RCD. Les grèves, les rassemblements et les manifestations s’étendent aux chômeurs diplômés de l’université. Les arrestations se comptent par centaines. Les mères et les familles des manifestants arrêtés protestent à leur tour. De nombreux enseignants, étudiants et lycéens se rejoignent le mouvement. Les femmes prennent une part active à la contestation.

Le mouvement rencontre l’opposition des cadres de l’UGTT. Son dirigeant régional, visé par les accusations de clientélisme et de compromission, menace de sanction les syndicalistes qui participent à la contestation. Ils sont licenciés et exclus de l’UGTT. Mais les syndicalistes de base participent néanmoins au mouvement, en particulier des enseignants. L’État tunisien dépassé par une contestation générale qui a gagné une partie du sud du pays, y répond avec violence pour reprendre le contrôle de la région. Les enlèvements de jeunes se multiplient. Ceux qui se réfugient dans les montagnes pour éviter la torture sont traqués. Les forces de l’ordre utilisent bientôt les balles réelles contre les protestataires. Malgré la violence de la répression le peuple tunisien a résisté avec détermination. Il a fait preuve d’une solidarité exemplaire. Les ouvriers et les chômeurs agrègent à leur mouvement la petite bourgeoisie. La violence d’État, bien que très brutale, rencontre une cohésion populaire inédite.

Le deuxième coup de semonce est venu en août 2010 de la ville de Ben Guerdane au sud à la frontière de la Libye. Pendant trois jours elle s’est soulevée, faisant face à une répression d’une extrême violence. La ville vit du marché parallèle avec la Libye. Le clan Ben Ali voulant en prendre le contrôle avait décidé de l’interdire. Le soulèvement est le fait de petits commerçants et de chômeurs, qui sont rejoints encore par les diplômés sans emplois. Le peuple a tenu bon et le gouvernement a cédé, abandonnant son projet. Après Gafsa, il se confirme que la chape de plomb de la peur est entrain de se fissurer.

Deux verrous ont ainsi sauté, démontrant que la détermination ainsi que la solidarité progressaient. La violence de la répression ne pouvait plus briser la révolte. Ainsi en 2010, il y a eu en moyenne mensuelle 500 protestations de travailleurs touchant tous les secteurs, selon un observatoire indépendant tunisien.

En un mois de lutte le peuple tunisien a chassé Ben Ali, alors que beaucoup, entre autre le gouvernement français, pensaient, qu’en lâchant du lest celui-ci allait se maintenir au pouvoir encore quelques années. Le dénouement de cette crise peut s’exprimer simplement : le peuple n’acceptait plus de vivre ainsi qu’il vivait, le pouvoir n’était plus à même de maintenir sa domination sous la même forme.
La situation était mûre pour qu’une « étincelle mettre le feu à la plaine ». Le 17 décembre un diplômé chômeur, exerçant le métier de marchand ambulant, s’immole par le feu devant la préfecture de Sidi Bouzid. La solidarité familiale, la famille Bouazizi est très connue, et celle des diplômés chômeurs, dont le rôle avait été important pendant la révolte du bassin minier de Gafsa, débouchent dès le lendemain sur une grande manifestation contre laquelle la police tire faisant deux morts. La répression au lieu d’étouffer le mouvement le généralise. Les cadres de base de l’UGTT, les syndicats de médecins, d’enseignants, activent les réseaux syndicaux, et n’obéissent plus à la direction de la confédération. Internet et face book propagent les images et les mots d’ordre ainsi qu’un slogan qui rime en arabe : "Le travail est un droit, bande de voleurs ! ». Une révolte prolétaire soude le peuple contre le pouvoir. Les directions locales et régionales de l’UGTT organisent des grèves tournantes régionales. Le 14 janvier, jour de manifestation massive à Tunis, la grève est générale dans sa région.

Les forces de police se déchaînent contre les manifestants. Mais l’armée reste en retrait. Après trois semaines de révolte le général Rachid Ammar, chef de l’armée de terre, qui a refusé de faire tirer sur les manifestations, est destitué. Des soldats expriment leur sympathie avec les manifestants sans passer ouvertement de leur côté. Le 12 ou le 13 janvier, l’armée fait savoir à Ben Ali qu’il doit partir. De leur côté les Américains ne sont pas inactifs. Pour eux la région est stratégique. Depuis plusieurs années, ils entretiennent des relations avec les opposants démocratiques ou islamistes, malgré les protestations de Ben Ali. Ainsi, après la libération d’un dirigeant de Ennahda, mouvement islamiste, la première visite que ce dernier reçoit est celle de l’Ambassadeur des Etats-Unis. Celui-ci a été l’adjoint de Bremer en Irak, où il a préparé le plan de « démocratisation ». Les USA ont depuis longtemps deux fers au feu : Ben Ali et ses opposants. Selon le journal Le Monde, ils auraient fait savoir à Ben Ali, par l’intermédiaire de l’Arabie saoudite, qu’il était temps qu’il parte.

Ben Ali chassé, la lutte change d’enjeu. Le Gouvernement intérimaire a été formé avec huit ministres de Ben Ali dont quatre aux postes clés, trois membres des partis d’opposition et des représentants de la société civile, dont des membres de UGTT. Cette composition témoigne de la volonté de la bourgeoisie tunisienne, une fois débarrassée du fardeau Ben Ali, de rétablir un ordre social qui restera conforme au précédent. Même si c’est avec moins de violence que les semaines précédentes, les forces de police dispersent encore sans ménagement les manifestants qui protestent contre ce gouvernement, qualifié par eux de « mascarade », car il fait la part belle au RCD.

Des membres du gouvernement Ben Ali sont ministres de la défense, de l’intérieur, des finances et des affaires étrangères. Le RCD conserve donc les principaux ministères. Trois membres de l’opposition sont membres de ce gouvernement. Le fondateur du PDP, Najib Chebbi est ministre du développement régional. Ce parti, très proche des USA, s’est peu compromis avec le régime. Le dirigeant du Front démocratique pour le travail et la liberté (FDTL) obtient le portefeuille de la santé. Le FDTL est membre associé à l’Internationale socialiste, et lié au PS français qui avait appuyé sa légalisation. Le parti Ettajdid (ex PC) obtient le ministère de l’Enseignement supérieur.
Cet arrangement est vécu comme une trahison par une bonne partie du peuple tunisien. Sous la pression populaire, ce gouvernement d’union nationale se fissure déjà. Les manifestations dénonçant cette « mascarade » se multiplient. Mardi 18 janvier, 5 000 personnes manifestaient à Sfax. Des milliers à Sidi Bouzid, et dans d’autres villes. Manifestations rassemblant des chômeurs des syndicalistes, des avocats… Hier encore, consciente de la profondeur de l’insatisfaction populaire, l’UGTT déclare qu’elle ne reconnaît pas la légitimité de ce gouvernement.

La bourgeoisie veut un ravalement de façade du système évitant tout affaiblissement de l’appareil d’Etat, garant du respect de la paix sociale.

La conclusion de ce processus sera l’organisation des élections qui permettront de donner une légitimité à un nouveau gouvernement, même si celui-ci se trouve formé avec d’anciens membres du RCD. Il n’est nullement certain que le peuple trouve alors une réponse satisfaisante aux aspirations qui l’ont mis en mouvement.

La deuxième question est celle de l’organisation du peuple, et de l’organisation autonome des exploités. Le mouvement a été porté par le peuple, organisé par lui, avec l’appui des syndicalistes de base de tous secteurs. La configuration de la lutte de classe dépendra donc surtout du développement de l’auto-organisation des masses.

Ce processus d’auto-organisation existe, mais il est difficile (surtout d’ici) d’en mesurer l’ampleur. Face aux tentatives de déstabilisation du pays par les forces spéciales, la jeunesse tunisienne et les quartiers se sont organisés en « Comités citoyens de défense civile ». Embryon d’organisations autonomes populaires, il est encore difficile d’en prévoir l’évolution. Ce mouvement d’auto-organisation dans la défense des quartiers va-t-il se consolider en investissant d’autres domaines d’intervention et devenir plus politique, ou bien péricliter ? Cela dépend certainement du développement de la première contradiction et de la restauration ou pas du crédit de l’Etat.

Mais nous sommes certains que la détermination, le courage, la solidarité et la capacité d’organisation dont le peuple tunisien a fait preuve déboucheront sur un niveau d’organisation politique et de masse supérieurs. S’il ne renverse pas la bourgeoisie, il aura acquis face à elle une force et une détermination qui lui offriront de nouvelles perspectives. Cette lutte est encore, pour nous, un encouragement à la lutte de tous les exploités, une invitation à renforcer leur solidarité internationale.

Solidarité internationaliste aux ouvriers et au peuple tunisien dans la lutte pour l’indépendance nationale, la liberté et le socialisme.

Ouvriers et peuples opprimés de tous les pays unissons-nous !! OCML

Messages

  • Voici le point de vue du patronat tunisien : peur des travailleurs, mensonges, menaces, chantages...

    Le gouvernement d’union nationale vient à peine d’être annoncé que l’Union générale des travailleurs de Tunisie a décidé de retirer trois de ses membres du gouvernement, fragilisant ainsi tout le pays. Pire, il envoie ses troupes manifester dans la rue et ses syndicalistes exclure des PDG de leur poste.
    Les conséquences sont immédiates : grogne quasi générale, doute et début de ras-le-bol. Il faut que le pays redémarre, car la réalité économique rattrapera tout le monde. La fin du mois, les Tunisiens vont avoir besoin de leurs salaires pour vivre et rembourser leurs crédits. Mais si la situation économique s’empire, c’est les problèmes de trésorerie qui guette les patrons et le chômage qui attend les employés.

    Fitch Rating a placé aujourd’hui sept banques tunisiennes sous surveillance négative. Le type d’information qui n’intéressait pas « Monsieur tout le monde », mais qui ne laissait insensible aucun chef d’entreprise, aucun banquier, aucun politique. Mais puisque, ces jours-ci, l’écrasante majorité des Tunisiens s’intéressent (enfin !) à la chose politique, ils deviennent conscients qu’un pareil communiqué de Fitch Rating est un carton rouge pour tout le pays.
    Concrètement, ces sept banques ne pourront plus avoir les mêmes facilités qu’auparavant pour obtenir des financements. Ces crédits deviendront plus chers et cela aura un impact automatique négatif sur « Monsieur tout le monde ».

    Concrètement, nos usines (dont une partie a été incendiée) ont perdu un grand nombre de clients libyens. N’ayant plus ces clients, elles seront acculées, à terme, à licencier leur personnel pour chômage technique.
    Ajoutons à tout cela les pertes de trois milliards de dinars dont a parlé lundi le ministre de l’Intérieur, la suspension de l’activité touristique et para-touristique (et ce pour quelques mois au meilleur des cas) et le tableau devient noir.
    Et n’oublions pas, tant qu’on y est, les problèmes des usines et des entreprises qui sont moins productives suite au nombre d’heures de travail réduit ou encore des centres d’appel qui sont acculés au chômage technique à cause du couvre-feu. Certaines entreprises, liées à ces centres d’appel, ont même lancé des avertissements de délocaliser leurs activités, si cette situation perdure.

    En dépit de cet état des lieux, l’UGTT a opté pour la fragilisation des mesures prises par le gouvernement d’union nationale. Les motivations de ces retraits ont été expliquées dans une conférence de presse (voir notre article à ce sujet) et, il faudrait l’avouer, la grogne de la centrale syndicale est justifiée. On ne peut pas traiter ainsi une si puissante institution. L’UGTT n’a pas tort de refuser la désignation de certains membres du RCD qui n’auraient pas dû figurer dans ce gouvernement d’union nationale.
    Seulement voilà, la réaction est disproportionnée quand on voit la situation dans laquelle vit actuellement le pays. D’autant plus qu’il s’agit d’un gouvernement de transition qui n’est là que pour quelques mois. D’autant plus qu’on sait pertinemment qu’on ne peut se passer de plusieurs ministres du RCD sans risquer de mener le pays dans une faillite certaine.
    D’autant plus qu’on sait qu’après 23 ans de vide politique et d’absence totale de communication digne de ce nom, on ne peut être parfait et toutes les erreurs sont possibles quand on réalise autant de choses en si peu de temps.
    On dirait que l’UGTT veut la démocratie parfaite et tout de suite, dans le fond et dans la forme. C’est un leurre et l’UGTT, en tant que syndicat unique, est mal placé pour exiger cela tout de suite.
    Il est bon de rappeler que ce puissant syndicat a bien profité des largesses du pouvoir qui n’a pas voulu le fragiliser en refusant de donner le feu vert à la naissance d’autres syndicats dans le pays.
    La Tunisie est un des rares pays du monde qui a encore un syndicat unique. La dictature de Ben Ali, si dénoncée aujourd’hui, a bien servi les intérêts de l’UGTT et de plusieurs de ses membres !

    Certains d’entre-nous ont profité de la situation pour régler des comptes et se lancer dans de véritables lynchages publics. Ce qui s’est passé aujourd’hui à la STAR avec l’expulsion physique du PDG est honteux dans un pays qui vient de vivre une pareille révolution. C’est évident, ce PDG semble avoir tout fait pour se faire autant détester par son personnel. Mais l’UGTT (ou ses représentants) aurait dû pousser ses adhérents à garder la raison et à respecter la loi réglementant les institutions.
    Pour ne rien arranger, le Tunisien est noyé par un extraordinaire flux d’informations venant de toutes parts : rue, télé, internet, radio.
    Beaucoup de ces informations sont erronées. De la pure intox. Beaucoup de ces informations sont destinées à la manipulation pour servir des intérêts particuliers, pas toujours connus. Exemple parmi d’autres, Al Jazeera qui invite sur ses plateaux, entre deux correspondances de ses envoyés spéciaux, des islamistes (tunisiens et étrangers) pour parler du pays. Certaines têtes sont même revenues à plusieurs reprises.

    La Tunisie appartient à tous les Tunisiens et les Tunisiens ne peuvent compter que sur la sueur de leur front pour gagner leur vie. Point de pétrole pour une quelconque rente.
    Pour toucher des salaires, il faut gagner des marchés et pour gagner des marchés, il faut que l’économie fonctionne normalement. On en est loin et l’UGTT, par ses pratiques d’aujourd’hui, nous en éloigne encore davantage. Fitch a mis sous surveillance négatives nos plus grandes banques, elles ne tarderont pas à en faire de même avec d’autres entreprises et jusqu’au pays entier. Ces agences de notation agissent toujours en toute froideur. Le pays a énormément d’acquis, construits en 55 ans. L’erreur fatale serait de les détruire en 55 jours."

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