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Qu’est-ce que le cerveau dynamique ?

jeudi 20 janvier 2011, par Robert Paris

Depuis les mécanismes cellulaires jusqu’à la cognition, le fonctionnement du cerveau nous apparaît aujourd’hui dynamique alors qu’il n’y a pas bien longtemps il semblait figé.

On croyait que l’individu adulte avait les mêmes neurones toute sa vie, les mêmes connexions, les m^mes capacités sauf accident, la même base de mémoire avec seulement quelques éléments en plus ou en moins.

Tout cela est complètement bouleversé.

La dynamique démarre de la construction

Elle se poursuit avec l’interaction entre le niveau neuronal jusqu’aux zones et au cerveau tout entier

La carte des états de conscience

L’étude de l’auto-organisation des réseaux de neurones comme des systèmes dynamiques évoluant sous la pression de l’environnement et et ses conséquences pour le traitement de l’information est un thème majeur de la recherche en dynamique des systèmes complexes.

La cognition, la mémoire, les mécanismes cellulaires des neurones, des réseaux neuronaux, des régions, des facultés, tout cela est modifiable et souple, adaptable et changeant.
La Placticité neuronale, la Neuroplasticité ou encore la Plasticité cérébrale sont des termes qui décrivent les mécanismes par lesquels le cerveau, et plus particulièrement celui de l’Homme, est capable de se modifier par l’expérience. Le cerveau est ainsi qualifié de "plastique" ou de "malléable". Ce phénomène intervient durant le développement embryonnaire, l’enfance, la vie adulte et les conditions pathologiques (lésions et maladies). Il est responsable de la diversité de l’organisation fine du cerveau parmi les individus (l’organisation générale étant, elle, régie par le bagage génétique de l’espèce) et des mécanismes de l’apprentissage et de la mémorisation chez l’enfant et l’adulte. La plasticité neuronale est donc avec la neurogenèse adulte, une des découvertes récentes les plus importantes en Neurosciences et montre que le cerveau est un système dynamique, en perpétuelle reconfiguration

La plasticité, une propriété complexe

La plasticité est une propriété présente à tous les niveaux d’organisation du cerveau, ce qui fait de son étude un système complexe :

* Au niveau des molécules, les récepteurs possèdent plusieurs "états" ou configurations qui permettent de modifier la transmission de l’influx nerveux.

* Au niveau de la synapse, l’ensemble des molécules est régit par l’activité, avec notamment le recrutement de nouveaux récepteurs vers la membrane (exocytose, traduction locale, etc.) (voir plasticité synaptique)

* Au niveau du corps cellulaire, l’expression génétique est également modulée par l’activité des différentes synapse.

* Au niveau des axones et des dendrites, les prolongements se réorganisent en fonction de l’activité des synapses et des neurones en contact, ainsi que des interactions avec la glie environnante.

* Le neurone est susceptible de se développer ou de régresser en fonction de son implication dans un réseau (plasticité neuronale)

* Le réseaux lui-même change ses connexions internes et externes constamment au cours du temps (plasticité cérébrale)

* Le cerveau est enfin capable de produire de nouveaux neurones (voir neurogenèse)

* L’individu ne cesse de changer son comportement en fonction des situations rencontrées et est susceptible de subir des lésions ou de modifier certaines de ces capacités par l’activité, la prise d’aliments, de médicaments, de drogues, etc.

L’ensemble de ces échelles interagissent entre-elles et doivent être étudiées à la fois séparément et dans leur ensemble pour comprendre la propriété fondamentale qu’est la plasticité en Neuroscience.

Les nouveaux outils ont joué un rôle fondamental mais la compréhension conceptuelle n’a pas été moins révolutionnaire ...

Outils de la neuroimagerie fonctionnelle :

* L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) consiste à mesurer le signal BOLD qui reflète le taux d’oxygénation du sang dans le cerveau. Par un mécanisme encore mal expliqué, appelé réponse hémodynamique, l’afflux de sang oxygéné augmente dans les régions qui consomment de l’énergie. Ainsi, il est possible, par cette méthode, de connaître avec une grande précision quelles régions du cerveau sont spécialement actives lors d’une tâche donnée. Depuis les années 2000, la technique de l’IRM fonctionnelle événementielle donne accès à la dynamique du signal BOLD (avec une résolution temporelle d’environ une seconde) mais cela reste bien plus lent que la dynamique des processus cognitifs.

* La tomographie par émission de positrons (TEP) consiste à mesurer les modifications du débit sanguin au moyen d’un traceur radioactif qu’il faut préalablement injecter par voie intraveineuse. La diffusion du traceur et la modulation du débit sanguin étant des phénomènes relativement lents, cette technique ne donne pas accès à la dynamique des mécanismes neuronaux. Ceci en fait une technique aujourd’hui de moins en moins utilisée pour l’imagerie fonctionnelle. Par contre en utilisant des radiotraceurs ayant une affinité avec certains neurorécepteurs, la TEP permet de mesurer sélectivement l’activité neuronale liée à un mécanisme physiologique précis.

* L’électroencéphalographie (EEG) fut la première méthode de neuroimagerie non invasive, mise au point en 1929, par le neurologue Hans Berger. Contrairement aux deux méthodes dites métaboliques, c’est une mesure directe de l’activité électrique. L’EEG est relativement peu précise spatialement mais elle offre une résolution temporelle limitée seulement par la vitesse de l’électronique de mesure. Une première approche consiste à mesurer des potentiels évoqués : en répétant une même stimulation un grand nombre de fois, il est possible de mettre en évidence des ondes positives et négatives caractéristiques des différentes étapes du processus traitement de l’information (e.g., N100, p. 300, N400). Une autre approche consiste à mesurer les modifications des activités rythmiques qui semblent jouer un rôle fonctionnel important dans la cognition.

* La magnétoencéphalographie (MEG) offre une information relativement similaire à l’EEG, mais elle mesure les champs magnétiques induits par l’activité cérébrale. L’intérêt de la MEG réside dans le fait que, contrairement aux champs électriques, les champs magnétiques ne sont quasiment pas déformés par leur passage au travers des tissus organiques (notamment l’interface entre le liquide céphalo-rachidien et le crâne). Tout comme avec l’EEG, il est possible, via une analyse mathématique du signal de reconstruire les sources du signal électromagnétique. Cela permet d’identifier avec une plus ou moins grande précision les régions d’où sont émis les potentiels évoqués. Cependant, ces techniques de localisation spatiale allongent considérablement le temps de traitement des données et restent encore marginales.

* L’Imagerie optique

* L’Imagerie spectroscopique proche infrarouge

* La mesure du signal optique évoqué (en:event-related optical signal EROS) est une technique relativement récente (développée à la fin des années 1990).

suite à venir

secteur de recherche

Comment le cerveau se développe-t-il ? Jusqu’à quel âge ? Appliquée à l’enfant et à l’adolescent, l’imagerie par résonance magnétique révèle une maturation qui, loin d’être uniforme, s’effectue par vagues successives selon les zones du cerveau.

Qui dit développement, dit dynamique, mouvement, changement. Le développement du cerveau humain n’échappe pas à la règle. Le ballet cellulaire débute très tôt chez l’embryon. Dès le deuxième mois de grossesse, les cellules précurseurs des neurones prolifèrent de façon intensive dans une zone particulière du cerveau rudimentaire, puis migrent jusqu’à leur emplacement définitif. Arrivées là, elles commencent à se différencier, et émettent des prolongements en direction les unes des autres (celles qui n’établiront pas de contacts mourront). À partir du sixième mois, les connexions entre neurones survivants se multiplient, et de nouvelles synapses se forment en abondance. Dans le même temps, les axones commencent à être recouverts d’une substance lipidique appelée myéline. Synthétisée par des cellules nommées oligodendrocytes, la myéline augmente la vitesse de conduction de l’influx nerveux le long de l’axone.

Vient la naissance, qui n’interrompt en rien ces processus. Le cerveau du nouveau-né - riche de 100 milliards de neurones environ - continue à grandir, sous le contrôle de certains gènes, mais aussi sous l’influence des stimulations externes, bien plus nombreuses que celles que recevait le foetus. Les dendrites des neurones prolifèrent, les synapses se multiplient. Mais ce foisonnement cède peu à peu la place à un processus d’élagage : certaines connexions sont conservées et renforcées, d’autres, éliminées, tandis que la myélinisation se poursuit. Le tout aboutit à la sélection d’un réseau de connexions certes privilégié, mais pas statique (il est continûment remanié au cours de la vie de l’individu).

C’est en examinant sous le microscope des cerveaux provenant de spécimens autopsiés que l’Américain Peter Huttenlocher a pour la première fois, il y a vingt-cinq ans, mis en évidence cette succession d’étapes. Il devait également dresser un second constat : elle ne se déroule pas partout en même temps. Par exemple, dans le cortex visuel, le maximum de connexions advient aux alentours du quatrième mois après la naissance. Commence alors l’élagage, qui se poursuit jusqu’à l’âge préscolaire, où le nombre de connexions est alors grosso modo celui qu’aura l’adulte. Mais dans le cortex préfrontal médian, une aire du cerveau impliquée dans des fonctions cognitives supérieures, le maximum survient vers 3-4 ans seulement, et l’élagage n’est pas notable avant le milieu - voire la fin - de l’adolescence [1].

Examens sans risques

Ces données histologiques suggéraient que le développement du cerveau était un processus dynamique impliquant tant l’apparition que la disparition de certaines structures cellulaires. Problème : ces données étaient très fragmentaires. Et c’est là que l’imagerie par résonance magnétique nucléaire - l’IRM, encore dans sa prime enfance à l’époque des premiers travaux de Huttenlocher - s’est révélée précieuse. D’une part, elle permet d’explorer dans sa globalité, mais aussi dans sa diversité, le développement du cerveau de sujets vivants. La substance grise (où se trouvent les corps cellulaires des neurones, les dendrites et les synapses) se distingue clairement, sur les clichés, de la substance blanche (les axones entourés de myéline). D’autre part, le fait qu’elle ne requière ni molécules radioactives ni exposition aux rayons X, permet de l’utiliser sans danger pour étudier le développement du cerveau de l’enfant.

Les premières études par IRM anatomique du cerveau d’enfants en bonne santé ont eu lieu à la fin des années quatre-vingt. Terry Jernigan et ses collègues, de l’université de Californie à San Diego, ont montré que chez les jeunes adultes la quantité de matière grise corticale était moindre que chez les enfants, bien que le volume de leur cerveau soit supérieur. Le volume global de matière grise semblait décliner après l’âge de 7 ans. Impossible cependant d’afficher une certitude : la croissance globale du cerveau résultant surtout de l’augmentation de substance blanche, il se pouvait très bien que le déclin de substance grise ne soit que relatif. Jernigan et ses collaborateurs devaient ensuite montrer que cette diminution n’avait pas lieu partout au même moment. Elle se produisait d’abord dans les ganglions de la base (lire « Variations sous le cortex », p. 45) durant la prime enfance, puis dans les lobes pariétaux et frontaux à la puberté [2]. Quand bien même l’IRM était impuissante à déterminer la densité des synapses, c’était tout de même les premiers indices in vivo venant appuyer les découvertes post mortem de Huttenlocher.

Pour les spécialistes de biologie du développement, l’objectif suivant était bien défini : créer des cartes tridimensionnelles plus précises du cerveau en train de grandir et de mûrir. La méthode utilisée au début des années quatre-vingt-dix consistait à subdiviser le cerveau en différentes régions anatomiques, et de mesurer le volume de chacune de ces régions et ses variations au cours du temps. Malheureusement, le traitement des données impliquait de dessiner à la main les régions en question sur les clichés obtenus. Aussi quelques équipes, dont la nôtre, ont-elles entrepris de développer l’identification automatique des structures cérébrales. À partir de 1999, nous avons commencé à construire des cartes tridimensionnelles des structures cérébrales en développement, l’usage d’un code couleur nous permettant de visualiser, par exemple, les variations de matière grise chez les enfants, les adolescents et les adultes. À l’heure actuelle, nous parvenons même à présenter les données sous forme de courts films qui compactent les données acquises sur plusieurs années [3].

Bien que quelques chercheurs se soient intéressés aux structures de matière grise non corticales enfouies dans le cerveau (lire « Variations sous le cortex », p. 45), la plupart des travaux de cartographie du cerveau en développement portent sur le cortex. À cela, une raison simple : il est le siège de fonctions aussi importantes et diverses que la vision, l’audition, le langage, ou encore la planification des actions.

Dans un premier temps, la plupart des études avaient pour objectif de voir s’il existait des différences statistiquement significatives entre enfants en bonne santé et enfants souffrant de troubles neuropsychiatriques citons, par exemple, la schizophrénie. Mais ces études ont aussi largement contribué à une meilleure connaissance du développement normal du cerveau. En effet, la plupart des anomalies détectées par IRM chez des enfants atteints de troubles du développement ne sont pas flagrantes. En d’autres termes, il est impossible de les détecter si l’objet de l’étude est un seul et unique sujet. Le seul moyen de les mettre en évidence est de comparer un groupe d’enfants atteints de tel ou tel trouble à un groupe d’enfants indemnes, et de voir s’il existe des différences statistiquement significatives entre ces deux groupes. Et les enfants « témoins » permettent aussi de dégager des conclusions quant au développement normal.

En 1992, par exemple, Judith Rapoport et son équipe du National Institute of Mental Health (NIMH), à Bethesda, ont suivi, pendant cinq ans, 50 adolescents développant une schizophrénie infantile et, à titre de groupe contrôle, plus de 300 adolescents en bonne santé. C’est ensuite notre équipe qui a analysé les données [4]. Résultat ? Chez les adolescents en bonne santé, la substance grise diminue faiblement dans le cortex pariétal (1 ou 2 % par an), tandis qu’aucun changement n’est nettement perceptible dans les autres lobes. En revanche, chez les patients, nous avons détecté une perte rapide de substance grise dans le cortex supérieur frontal et dans le cortex temporal. Cette perte atteint 3 ou 4 % dans certaines sous-régions. La diminution de matière grise débute en fait dans les régions pariétales du cortex impliquées dans le langage et les associations d’idées. Elle s’étend ensuite vers les lobes temporaux et vers le cortex moteur supplémentaire. Cette évolution correspond aux troubles neuromoteurs et sensoriels caractéristiques de la maladie.

L’étape de l’adolescence

Ce type de résultats a souligné l’importance de mieux étudier le développement normal en tant que tel, et des études longitudinales ont été lancées dans cette seule intention. Leurs résultats remettent parfois en question certaines des conclusions antérieures établies sur la base d’études transversales (c’est-à-dire où les données correspondant à des âges différents sont obtenues chez des personnes différentes). Par exemple, les données, publiées en 1999 par Jay Giedd, ses collègues du National Institute of Mental Health et des collaborateurs du Montreal Neurological Institute [5], ont dépeint un tableau partiellement différent de celui présenté par Terry Jernigan au début des années quatre-vingt-dix. Leurs travaux, qui portaient sur la croissance des lobes du cerveau entre 4 et 22 ans, ont confirmé l’augmentation linéaire de substance blanche jusqu’à l’âge de 20 ans. En revanche, ils ont montré des changements non linéaires de la substance grise : elle augmente durant la préadolescence, avec un maximum à environ 12 ans pour le lobe frontal et le lobe pariétal, et à 16 ans pour le lobe temporal. C’est après seulement qu’elle commence à diminuer.

Quelle conclusion en tirer quant aux mécanismes sous-jacents ? Il est difficile d’émettre autre chose que des hypothèses. L’IRM permet certes de mesurer les changements de densité et de volume des structures cérébrales, mais sa résolution est trop faible pour caractériser les mécanismes cellulaires correspondants. De plus, le volume de substance grise ne reflète pas seulement les modifications qui affectent les neurones, mais aussi celles qui touchent les autres cellules du cerveau (les cellules gliales), et les vaisseaux sanguins. Tout ce que l’on peut dire, c’est que les changements observés par l’équipe de Giedd sont corrélés aux données post mortem indiquant un accroissement de l’élagage des connexions au cours de l’adolescence et de l’entrée dans la vie adulte, et qu’ils soulignent l’importance de cette période dans le développement du cerveau.

Scanné tous les deux ans

Par ailleurs, il était impossible d’extraire de cette étude des informations pertinentes quant à la géographie précise de l’évolution de la substance grise, étant donné que les lobes y étaient chacun considérés dans leur globalité. En 2004, en revanche, nous avons produit, en collaboration avec cette même équipe du NIMH, une carte montrant point par point l’évolution de l’épaisseur du cortex entre 4 et 21 ans [6]. Nous l’avons construite à partir de séries de clichés d’IRM obtenus chez treize enfants recrutés au NIMH au début des années quatre-vingt-dix, et suivis ensuite pendant plusieurs années : chacun des enfants a été scanné tous les deux ans pendant huit ou dix ans, tout en faisant l’objet, à chaque session, d’un entretien visant à s’assurer qu’il ne souffrait d’aucun trouble psychologique.

Cette étude est la première à visualiser l’évolution du cortex sous forme de film [fig. 1]. Dans ses grandes lignes, elle montre que l’amincissement de la substance grise a d’abord lieu, entre 4 et 8 ans, dans les régions du cortex moteur et du cortex somato-sensoriel situées à proximité du sillon séparant les deux hémisphères cérébraux, ainsi qu’au pôle postérieur et au pôle antérieur du cerveau. Autrement dit, les premières régions qui mûrissent sont celles où s’effectue l’intégration primaire des données sensorielles et motrices. Aux alentours de la puberté, soit vers 11 à 13 ans, la diminution de substance grise progresse dans le cortex pariétal - zone impliquée dans l’orientation spatiale et la maîtrise du langage. À la fin de l’adolescence, c’est le cortex préfrontal qui s’affine, autrement dit la zone où sont gérées nombre de fonctions cognitives supérieures, par exemple les capacités de raisonnement. La dernière région concernée par le processus est la partie moyenne et supérieure du cortex temporal. Il est possible que cela traduise la croissance continue de l’hippocampe enfoui au creux du cortex temporal (l’hippocampe est une structure impliquée entre autres dans les processus de mémorisation). On notera, non sans intérêt, que le même type de suivi appliqué à des patients atteints de la maladie d’Alzheimer montre une séquence antagoniste [7] : les régions qui se développent le plus tôt chez l’enfant (celles qui contrôlent la vision et les sensations) sont épargnées jusqu’au stade ultime de la maladie ; celles qui se développent en dernier chez l’enfant sont les premières à dégénérer chez les patients.

Au vu de ces résultats, on s’interroge bien évidemment sur le lien entre l’affinement du cortex et les changements cognitifs que l’on observe au cours de l’enfance et de l’adolescence. Là encore, l’IRM anatomique a son mot à dire - ainsi que l’IRM fonctionnelle (lire « La cognition en images », p. 48). Des résultats publiés en 2004, et obtenus sur un groupe de 45 enfants scannés deux fois à deux ans d’intervalle entre 5 et 11 ans, ont montré une corrélation entre l’amincissement du cortex frontal et pariétal gauche et des performances accrues dans l’exécution d’un test de maîtrise verbale [8]. D’après ces données, il semble raisonnable de spéculer (mais seulement spéculer) que l’évolution du cortex est effectivement liée aux changements cognitifs.

Inné et acquis

Quels sont les paramètres qui régissent ce développement ? Autrement dit, quelle est la part respective de la génétique et de l’environnement dans l’évolution du cerveau ? Afin d’apporter quelques éléments de réponse à ce débat sur l’inné et l’acquis, nous avons mis à profit l’IRM pour étudier des jumeaux.

En la matière, la base de données la plus connue - et utilisée dans diverses études épidémiologiques - est le registre finlandais des jumeaux, qui répertorie tous les jumeaux nés en Finlande depuis 1940. Nous avons donc songé à l’utiliser pour explorer quelles sont les régions du cerveau qui se développent sous un contrôle génétique strict, et quelles sont celles qui sont plus sensibles aux influences extérieures [9]. Certes, des jumeaux avaient déjà été étudiés par IRM avant que nous nous lancions dans cette étude. Il en était ressorti des ressemblances plus marquées chez les vrais jumeaux que chez les faux. Nous avions l’ambition d’aller plus loin dans la description des structures « héritables ».

En deux mots : Précieux outil que l’imagerie par résonance magnétique : ne requérant ni molécules radioactives, ni rayons X, elle peut être utilisée sans danger avec des enfants. Il y a quinze ans, débutaient les premières études sur le développement du cerveau. À l’époque, il s’agissait surtout d’étudier les troubles pathologiques tels que l’autisme ou la schizophrénie. Cet objectif est toujours d’actualité, mais le développement du cerveau normal est aussi devenu un objet d’étude. Résultat : l’IRM anatomique présente un panorama de plus en plus détaillé de l’évolution du cortex cérébral. Elle montre qu’en matière de développement du cerveau tout ne se joue pas pendant la prime enfance. Des changements ont lieu à l’adolescence, et même après.

Nous avons sélectionné quarante adultes en bonne santé à partir d’une cohorte comprenant toutes les paires de jumeaux de même sexe nés entre 1940 et 1957, dont chacun des membres vivait encore en Finlande. Notre panel consistait en dix paires de vrais jumeaux et dix paires de faux jumeaux, avec cinq paires d’hommes et cinq paires de femmes dans chaque groupe. Nous avons scanné tous les sujets, construit des cartes tridimensionnelles de la substance grise corticale, et confronté, paire par paire, les cartes de vrais jumeaux et celles de faux jumeaux. Nous avons ensuite estimé le degré de similarité au sein de chaque paire, et entre les paires. Le résultat le plus net a concerné le cortex frontal : le volume de substance grise est plus étroitement apparié chez les vrais jumeaux que chez les faux. Ainsi, il semble que le développement de cette partie du cortex, impliquée dans le contrôle du comportement, soit plus étroitement sous contrôle génétique que d’autres régions, par exemple, celles impliquées dans la mémorisation et l’apprentissage. Des études longitudinales de jumeaux enfants ou adolescents pourraient à l’avenir permettre de tester cette hypothèse.

Imagerie fonctionnelle

On le voit, les apports de l’IRM à l’étude du développement neurocognitif sont multiples. Néanmoins, les résultats obtenus jusque-là ne doivent pas masquer plusieurs limitations. Certaines sont techniques. Étant donné les prérequis statistiques de l’analyse des données, il est par exemple nécessaire d’avoir des échantillons de grande taille. D’autres relèvent de la nécessaire prudence dans l’interprétation de certaines données. La question clé est : que signifient les changements que l’on observe dans telle ou telle partie du cerveau ? À l’heure actuelle, l’IRM ne nous permet pas d’accéder aux causes cellulaires de ces changements, et nous sommes loin, en la matière, de pouvoir nous affranchir des données post mortem. En revanche, il est très probable qu’elle nous permettra de mieux comprendre le lien entre le développement des structures cérébrales et le développement cognitif - et de mieux comprendre également l’évolution de certaines pathologies. Et ce, qu’il s’agisse de l’IRM anatomique, ou d’autres techniques déjà utilisées chez l’adulte et qui commencent à l’être chez l’enfant, comme l’IRM fonctionnelle.

Arthur Toga, Paul Thompson et Elizabeth Sowell

Messages

  • La structure du cerveau

    Notre cerveau est un système complexe non seulement à cause du nombre très élevé d’éléments et d’interactions entre ces éléments, mais aussi à cause de son organisation à la fois hiérarchique et en réseaux, à différents niveaux, avec des boucles imbriquées.

    Notre cerveau est constitué d’environ 100 milliards de cellules nerveuses ou neurones. Chaque neurone est connecté à environ 10000 autres neurones. La communication entre cellules est à la fois électrique et chimique. Les deux types de communication sont très liés et le fonctionnement de l’un a un impact sur l’autre.
    Les rythmes du cerveau

    Les neurones communiquent entre eux selon différentes fréquences mesurées en Hertz, ou cycles par seconde. A tout instant, des ensembles de neurones se synchronisent dans les différents rythmes mais selon l’activité dans laquelle on est engagé, le rythme dominant est différent. La fréquence dominante du sommeil lent est différente de celle d’une activité physique ou mentale. A certaines bandes de fréquences, on peut associer une activité type mais il n’y a pas une correspondance unique.
    La dynamique du cerveau

    Notre cerveau se modifie en permanence. Ces changements sont dus aux interactions avec l’environnement extérieur ou à des activités internes à l’organisme. Toute action, toute perception a un impact sur l’organisation de notre cerveau. Tout changement, même local, a des répercussions locales mais aussi à longue distance dans notre cerveau et notre corps tout entier.

    En perpétuelle réorganisation, le cerveau est un système dynamique non linéaire. La non linéarité provient de l’existence de seuils. Un neurone n’est excité que si un certain niveau d’excitation provenant d’autres neurones est dépassé, et ce neurone à son tour enverra une impulsion aux neurones auxquels il est connecté. De cette non linéarité résulte une caractéristique essentielle, la non prédictibilité. Les effets d’un changement ne peuvent pas être anticipés. Il n’y a pas une relation de cause à effet unique et calculable.

  • "On croyait que l’individu adulte avait les mêmes neurones toute sa vie, les mêmes connexions, les m^mes capacités sauf accident, la même base de mémoire avec seulement quelques éléments en plus ou en moins.

    Tout cela est complètement bouleversé."

    on croyait et maintenant on croit moins...dans des idées fixes, figées, enracinées, immobiles, vraies de tout temps, répétées par les professeurs, les curés, les imams, dans ce que l’on voit ou dans ce qu’on ne voit pas ;

    bref nous avons moins de certitudes dans ce monde des possibles et ça c’est une chappe de plomb énorme qui est soulevée.

  • Plasticité du cerveau et acquisition de nouvelles connexions neuronales —>En écoute ici, l’émission de J.C.Ameisen : "Ce qui fut se refait" , FranceInter/ Sur les épaules de Darwin.

  • On croyait le cerveau adulte sur le déclin, condamné à l’altération progressive de ses connexions neuronales (les synapses). Rien n’est moins vrai : certaines régions cérébrales produisent à l’âge adulte de nouveaux neurones extrêmement dynamiques ! Découverts en 2003 chez les rongeurs et en 2014 chez l’humain, dans des zones associées à la mémoire et à l’apprentissage, ces néoneurones n’avaient jamais pu être observés in situ, ce qui empêchait de comprendre précisément leur fonction. Jusqu’à ce que des chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS réussissent à suivre en direct pendant plusieurs mois la formation des circuits neuronaux dans le bulbe olfactif de souris, en les marquant avec une protéine fluorescente visible au microscope. Surprise : environ 20 % des connexions d’un néoneurone sont modifiées quotidiennement… soit 20 fois plus que la normale ! « À la différence des autres neurones, relativement stables, ceux produits à l’âge adulte renouvellent et remanient sans cesse leurs connexions avec les cellules voisines, explique Pierre-Marie Lledo, coauteur de l’étude. De quoi permettre au cerveau de s’adapter de manière rapide et efficace à un environnement sensoriel changeant. » Voilà qui confirme la capacité extraordinaire de notre cerveau à se nourrir, à tout âge, de nos expériences et de la nouveauté.

  • Jean-Jacques Mangin dans « La forme du cerveau » :

    « Ce qui caractérise le plus la forme du cerveau humain, ce sont les circonvolutions de son cortex. »

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