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Pour Marx et Engels, qu’est-ce que le communisme ?

vendredi 7 janvier 2011, par Robert Paris

Dans "L’Idéologie allemande" : "Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes. (...) Le prolétariat ne peut donc exister qu’à l’échelle de l’histoire universelle, de même que le communisme, qui en est l’action, ne peut absolument pas se rencontrer autrement qu’en tant qu’existence "historique universelle". (...) Les individus ont été de plus en plus asservis à une puissance qui leur est étrangère, — oppression qu’ils prenaient pour une tracasserie de ce qu’on appelle l’Esprit du monde, — une puissance qui est devenue de plus en plus massive et se révèle en dernière instance être le marché mondial. Mais il est tout aussi fondé empiriquement que cette puissance, si mystérieuse pour les théoriciens allemands, sera abolie par le renversement de l’état social actuel, par la révolution communiste (nous en parlerons plus tard) et par l’abolition de la propriété privée qui ne fait qu’un avec elle ; alors la libération de chaque individu en particulier se réalisera exactement dans la mesure où l’histoire se transformera complètement en histoire mondiale. (...) Ce n’est pas la critique, mais la révolution qui est la force motrice de l’histoire, de la religion, de la philosophie et de toute autre théorie. Cette conception montre que la fin de l’histoire n’est pas de se résoudre en "conscience de soi" comme "esprit de l’esprit", mais qu’à chaque stade se trouvent donnés un résultat matériel, une somme de forces productives, un rapport avec la nature et entre les individus, créés historiquement et transmis à chaque génération par celle qui la précède, une masse de forces de production, de capitaux et de circonstances, qui, d’une part, sont bien modifiés par la nouvelle génération, mais qui, d’autre part, lui dictent ses propres conditions d’existence et lui impriment un développement déterminé, un caractère spécifique ; par conséquent les circonstances font tout autant les hommes que les hommes font les circonstances. Cette somme de forces de production, de capitaux, de formes de relations sociales, que chaque individu et chaque génération trouvent comme des données existantes, est la base concrète de ce que les philosophes se sont représenté comme. "substance" et "essence de l’homme", de ce qu’ils ont porté aux nues ou qu’ils ont combattu, base concrète dont les effets et l’influence sur le développement des hommes ne sont nullement affectés parce que ces philosophes se révoltent contre elle en qualité de "conscience de soi" et d’"uniques". Ce sont également ces conditions de vie, que trouvent prêtes les diverses générations, qui déterminent si la secousse révolutionnaire, qui se reproduit périodiquement dans l’histoire sera assez forte pour renverser les bases de tout ce qui existe ; les éléments matériels d’un bouleversement total sont, d’une part, les forces productives existantes et, d’autre part, la formation d’une masse révolutionnaire qui fasse la révolution, non seulement contre des conditions particulières de la société passée, mais contre la "production de la vie" antérieure elle-même, contre l’"ensemble de l’activité" qui en est le fondement ; si ces conditions n’existent pas, il est tout à fait indifférent, pour le développement pratique, que l’idée de ce bouleversement ait déjà été exprimée mille fois... comme le prouve l’histoire du communisme.

Jusqu’ici, toute conception historique a, ou bien laissé complètement de côté cette base réelle de l’histoire, ou l’a considérée comme une chose accessoire, n’ayant aucun lien avec la marche de l’histoire. De ce fait, l’histoire doit toujours être écrite d’après une norme située en dehors d’elle. La production réelle de la vie apparaît à l’origine de l’histoire, tandis que ce qui est proprement historique apparaît comme séparé de la vie ordinaire, comme extra et supra-terrestre. Les rapports entre les hommes et la nature sont de ce fait exclus de l’histoire, ce qui engendre l’opposition entre la nature et l’histoire. Par conséquent, cette conception n’a pu voir dans l’histoire que les grands événements historiques et politiques, des luttes religieuses et somme toute théoriques, et elle a dû, en particulier, partager pour chaque époque historique l’illusion de cette époque. Mettons qu’une époque s’imagine être déterminée par des motifs purement "politiques" ou "religieux", bien que "politique" et "religion" ne soient que des formes de ses moteurs réels : son historien accepte alors cette opinion. L’"imagination", la "représentation" que ces hommes déterminés se font de leur pratique réelle, se transforme en la seule puissance déterminante et active qui domine et détermine la pratique de ces hommes. Si la forme rudimentaire sous laquelle se présente la division du travail chez les Indiens et chez les Égyptiens suscite chez ces peuples un régime de castes dans leur État et dans leur religion, l’historien croit que le régime des castes est la puissance qui a engendré cette forme sociale rudimentaire. Tandis que les Français et les Anglais s’en tiennent au moins à l’illusion politique, qui est encore la plus proche de la réalité, les Allemands se meuvent dans le domaine de l’"esprit pur" et font de l’illusion religieuse la force motrice de l’histoire. La philosophie de l’histoire de Hegel est la dernière expression conséquente, poussée à sa "plus pure expression", de toute cette façon qu’ont les Allemands d’écrire l’histoire et dans laquelle il ne s’agit pas d’intérêts réels, pas même d’intérêts politiques, mais d’idées pures. (...) Feuerbach s’abuse lorsque (dans la Revue trimestrielle de Wigand), se qualifiant "d’homme communautaire", il se proclame communiste et transforme ce nom en un prédicat de "l’homme", croyant ainsi pouvoir retransformer en une simple catégorie le terme de communiste qui, dans le monde actuel, désigne l’adhérent d’un parti révolutionnaire déterminé. Toute la déduction de Feuerbach, en ce qui concerne les rapports réciproques des hommes, vise uniquement à prouver que les hommes ont besoin les uns des autres et qu’il en a toujours été ainsi. Il veut que la conscience prenne possession de ce fait, il ne veut donc, à l’instar des autres théoriciens, que susciter la conscience juste d’un fait existant, alors que pour le communiste réel ce qui importe, c’est de renverser cet ordre existant. (...) En réalité pour le matérialiste pratique, c’est-à-dire pour le communiste, il s’agit de révolutionner le monde existant, d’attaquer et de transformer pratiquement l’état de choses qu’il a trouvé. (...) Il retombe par conséquent dans l’idéalisme, précisément là où le matérialiste communiste voit la nécessité et la condition à la fois d’une transformation radicale tant de l’industrie que de la structure sociale.

Dans la mesure où il est matérialiste, Feuerbach ne fait jamais intervenir l’histoire, et dans la mesure où il fait entrer l’histoire en ligne de compte, il n’est pas matérialiste. Chez lui, histoire et matérialisme sont complètement séparés, ce qui s’explique d’ailleurs déjà par ce qui précède. Si toutefois nous examinons ici l’histoire d’un peu plus près, c’est parce que les Allemands ont l’habitude, quand ils entendent les mots “histoire” et “historique”, de se représenter toutes les choses possibles et imaginables, mais surtout pas la réalité. Et de cette habitude, saint Bruno, “cet orateur versé dans l’éloquence sacrée”. nous fournit un brillant exemple.

L’histoire n’est pas autre chose que la succession des différentes générations dont chacune exploite les matériaux, les capitaux, les forces productives qui lui sont transmis par toutes les générations précédentes ; de ce fait, chaque génération continue donc, d’une part le mode d’activité qui lui est transmis, mais dans des circonstances radicalement transformées et d’autre part elle modifie les anciennes circonstances en se livrant à une activité radicalement différente ; ces faits on arrive à les dénaturer par la spéculation en faisant de l’histoire récente le but de l’histoire antérieure ; c’est ainsi par exemple qu’on prête à la découverte de l’Amérique cette fin : aider la Révolution française à éclater ; de la sorte on fixe alors à l’histoire ses buts particuliers et on en fait une "personne à côté d’autres personnes" (à savoir "conscience de soi, critique, unique", etc.), tandis que ce que l’on désigne par les termes de "détermination", "but", "germe", "idée" de l’histoire passée n’est rien d’autre qu’une abstraction de l’histoire antérieure, une abstraction de l’influence active que l’histoire antérieure exerce sur l’histoire récente.

Or, plus les sphères individuelles, qui agissent l’une sur l’autre, s’agrandissent dans le cours de ce développement, et plus l’isolement primitif des diverses nations est détruit par le mode de production perfectionné, par la circulation et la division du travail entre les nations qui en résulte spontanément, plus l’histoire se transforme en histoire mondiale ; de sorte que, si l’on invente par exemple en Angleterre une machine qui, dans l’Inde et en Chine, enlève leur pain à des milliers de travailleurs et bouleverse toute la forme d’existence de ces empires, cette invention devient un fait de l’histoire universelle. C’est de la même façon que le sucre et le café ont prouvé leur importance pour l’histoire universelle au XIX° siècle du fait que la carence de ces produits, résultat du blocus continental de Napoléon, provoqua le soulèvement des Allemands contre Napoléon et devint ainsi la base concrète des glorieuses guerres de libération de 1813. Il s’ensuit que cette — transformation de l’histoire en histoire universelle n’est pas, disons, un simple fait abstrait de la "conscience de soi", de l’esprit du monde ou de quelque autre fantôme métaphysique, mais une action purement matérielle, que l’on peut vérifier de manière empirique, une action dont chaque individu fournit la preuve tel que le voilà, mangeant, buvant et s’habillant.

Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose, du même coup, des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l’un dans l’autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante. Les pensées dominantes ne sont pas autre chose que l’expression idéale des rapports matériels dominants, elles sont ces rapports matériels dominants saisis sous forme d’idées, donc l’expression des rapports qui font d’une classe la classe dominante ; autrement dit, ce sont les idées de sa domination. Les individus qui constituent la classe dominante possèdent, entre autres choses, également une conscience, et en conséquence ils pensent ; pour autant qu’ils dominent en tant que classe et déterminent une époque historique dans toute son ampleur, il va de soi que ces individus dominent dans tous les sens et qu’ils ont une position dominante, entre autres, comme êtres pensants aussi, comme producteurs d’idées, qu’ils règlent la production et la distribution des pensées de leur époque ; leurs idées sont donc les idées dominantes de leur époque. Prenons comme exemple un temps et un pays où la puissance royale, l’aristocratie et la bourgeoisie se disputent le pouvoir et où celui-ci est donc partagé ; il apparaît que la pensée dominante y est la doctrine de la division des pouvoirs qui est alors énoncée comme une "loi éternelle". (...) Admettons que, dans la manière de concevoir la marche de l’histoire, on détache les idées de la classe dominante de cette classe dominante elle-même et qu’on en fasse une entité. Mettons qu’on s’en tienne au fait que telles ou telles idées ont dominé à telle époque, sans s’inquiéter des conditions de la production ni des producteurs de ces idées, en faisant donc abstraction des individus et des circonstances mondiales qui sont à la base de ces idées. On pourra alors dire, par exemple, qu’au temps où l’aristocratie régnait, c’était le règne des concepts d’honneur, de fidélité, etc., et qu’au temps où régnait la bourgeoisie, c’était le règne des concepts de liberté, d’égalité, etc. Ces “concepts dominants” auront une forme d’autant plus générale et généralisée que la classe dominante est davantage contrainte à présenter ses intérêts comme étant l’intérêt de tous les membres de la société. En moyenne, la classe dominante elle même se représente que ce sont ses concepts qui règnent et ne les distingue des idées dominantes des époques antérieures qu’en les présentant comme des vérités éternelles. C’est ce que s’imagine la classe dominante elle-même dans son ensemble. Cette conception de l’histoire commune à tous les historiens, tout spécialement depuis le XVIII° siècle, se heurtera nécessairement à ce phénomène que les pensées régnantes seront de plus en plus abstraites, c’est-à-dire qu’elles affectent de plus en plus la forme de l’universalité. En effet, chaque nouvelle classe qui prend la place de celle qui dominait avant elle est obligée, ne fût-ce que pour parvenir à ses fins, de représenter son intérêt comme l’intérêt commun de tous les membres de la société ou, pour exprimer les choses sur le plan des idées : cette classe est obligée de donner à ses pensées la forme de l’universalité, de les représenter comme étant les seules raisonnables, les seules universellement valables. Du simple fait qu’elle affronte une classe, la classe révolutionnaire se présente d’emblée non pas comme classe, mais comme représentant la société tout entière, elle apparaît comme la masse entière de la société en face de la seule classe dominante [42]. Cela lui est possible parce qu’au début son intérêt est vraiment encore intimement lié à l’intérêt commun de toutes les autres classes non-dominantes et parce que, sous la pression de l’état de choses antérieur, cet intérêt n’a pas encore pu se développer comme intérêt particulier d’une classe particulière. De ce fait, la victoire de cette classe est utile aussi à beaucoup d’individus des autres classes qui, elles, ne parviennent pas à la domination ; mais elle l’est uniquement dans la mesure où elle met ces individus en état d’accéder à la classe dominante. Quand la bourgeoisie française renversa la domination de l’aristocratie, elle permit par là à beaucoup de prolétaires de s’élever au-dessus du prolétariat, mais uniquement en ce sens qu’ils devinrent eux-mêmes des bourgeois. Chaque nouvelle classe n’établit donc sa domination que sur une base plus large que la classe qui dominait précédemment, mais, en revanche, l’opposition entre la classe qui domine désormais et celles qui ne dominent pas ne fait ensuite que s’aggraver en profondeur et en acuité. Il en découle ceci : le combat qu’il s’agit de mener contre la nouvelle classe dirigeante a pour but à son tour de nier les conditions sociales antérieures d’une façon plus décisive et plus radicale que n’avaient pu le faire encore toutes les classes précédentes qui avaient brigué la domination.

Toute l’illusion qui consiste à croire que la domination d’une classe déterminée est uniquement la domination de certaines idées, cesse naturellement d’elle-même, dès que la domination de quelque classe que ce soit cesse d’être la forme du régime social, c’est-à-dire qu’il n’est plus nécessaire de représenter un intérêt particulier comme étant l’intérêt général ou de représenter "l’universel" comme dominant.

Une fois les idées dominantes séparées des individus qui exercent la domination, et surtout des rapports qui découlent d’un stade donné du mode de production, on obtient ce résultat que ce sont constamment les idées qui dominent dans l’histoire et il est alors très facile d’abstraire, de ces différentes idées "l’idée", c’est-à-dire l’idée par excellence, etc., pour en faire l’élément qui domine dans l’histoire et de concevoir par ce moyen toutes ces idées et concepts isolés comme des "autodéterminations" du concept qui se développe tout au long de l’histoire. Il est également naturel ensuite de faire dériver tous les rapports humains du concept de l’homme, de l’homme représenté, de l’essence de l’homme, de l’homme en un mot. C’est ce qu’a fait la philosophie spéculative. (...) La conception de l’histoire que nous venons de développer nous donne encore finalement les résultats suivants : . 1. Dans le développement des forces productives, il arrive un stade où naissent des forces productives et des moyens de circulation qui ne peuvent être que néfastes dans le cadre des rapports existants et ne sont plus des forces productives, mais des forces destructrices (le machinisme et l’argent), — et, fait lié au précédent, il naît une classe qui supporte toutes les charges de la société, sans jouir de ses avantages, qui est expulsée de la société et se trouve, de force, dans l’opposition la plus ouverte avec toutes les autres classes, une classe que forme la majorité des membres de la société et d’où surgit la conscience de la nécessité d’une révolution radicale, conscience qui est la conscience communiste et peut se former aussi, bien entendu, dans les autres classes quand on voit la situation de cette classe. 2. Les conditions dans lesquelles on peut utiliser des forces productives déterminées, sont les conditions de la domination d’une classe déterminée de la société ; la puissance sociale de cette classe, découlant de ce qu’elle possède, trouve régulièrement son expression pratique sous forme idéaliste dans le type d’État propre à chaque époque ; c’est pourquoi toute lutte révolutionnaire est dirigée contre une classe qui a dominé jusqu’alors... 3. Dans toutes les révolutions antérieures, le mode d’activité restait inchangé et il s’agissait seulement d’une autre distribution de cette activité, d’une nouvelle répartition du travail entre d’autres personnes ; la révolution communiste par contre est dirigée contre le mode d’activité antérieur, elle supprime le travail, forme moderne de l’activité sous laquelle la domination des, et abolit la domination de toutes les classes en abolissant les classes elles-mêmes, parce qu’elle est effectuée par la classe qui n’est plus considérée comme une classe dans la société, qui n’est plus reconnue comme telle et qui est déjà l’expression de la dissolution de toutes les classes, de toutes les nationalités, etc., dans le cadre de la société actuelle... Une transformation massive des hommes s’avère nécessaire pour la création en masse de cette conscience communiste, comme aussi pour mener la chose elle-même à bien ; or, une telle transformation ne peut s’opérer que par un mouvement pratique, par une révolution ; cette révolution n’est donc pas seulement rendue nécessaire parce qu’elle est le seul moyen de renverser la classe dominante, elle l’est également parce que seule une révolution permettra à la classe qui renverse l’autre de balayer toute la pourriture du vieux système qui lui colle après et de devenir apte à fonder la société sur des bases nouvelles. Depuis un bon bout de temps déjà tous les communistes, aussi bien en France qu’en Angleterre et en Allemagne, sont d’accord sur la nécessité de cette révolution.

Le communisme se distingue de tous les mouvements qui l’ont précédé jusqu’ici en ce qu’il bouleverse la base de tous les rapports de production et d’échanges antérieurs et que, pour la première fois, il traite consciemment toutes les conditions naturelles préalables comme des créations des hommes qui nous ont précédé jusqu’ici, qu’il dépouille celles-ci de leur caractère naturel et les soumet à la puissance des individus unis [68]. De ce fait, son organisation est essentiellement économique, elle est la création matérielle des conditions de cette union ; elle fait des conditions existantes les conditions de l’union. L’état de choses que crée le communisme est précisément la base réelle qui rend impossible tout ce qui existe indépendamment des individus — dans la mesure toutefois où cet état de choses existant est purement et simplement un produit des relations antérieures des individus entre eux. Pratiquement, les communistes traitent donc les conditions créées par la production et le commerce avant eux comme des facteurs inorganiques, mais ils ne s’imaginent pas pour autant que le plan ou la raison d’être des générations antérieures ont été de leur fournir des matériaux, et ils ne croient pas davantage que ces conditions aient été inorganiques aux yeux de ceux qui les créaient. La différence entre l’individu personnel et l’individu contingent n’est pas une distinction du concept, mais un fait historique. Cette distinction a un sens différent à des époques différentes : par exemple, l’ordre [en tant que classe sociale] pour l’individu au XVIII° siècle, et la famille aussi plus ou moins. C’est une distinction que nous n’avons pas, nous, à faire pour chaque époque, mais que chaque époque fait elle-même parmi les différents éléments qu’elle trouve à son arrivée, et cela non pas d’après un concept, mais sous la pression des conflits matériels de la vie. Ce qui apparaît comme contingent à l’époque postérieure, par opposition à l’époque antérieure, même parmi les éléments hérités de cette époque antérieure, est un mode d’échanges qui correspondait à un développement déterminé des forces productives. Le rapport entre forces productives et forme d’échanges est le rapport entre le mode d’échanges et l’action ou l’activité des individus. (La forme fondamentale de cette activité est naturellement la forme matérielle dont dépend toute autre forme intellectuelle, politique, religieuse, etc. Bien entendu, la forme différente que prend la vie matérielle est chaque fois dépendante des besoins déjà développés, et la production de ces besoins, tout comme leur satisfaction, est elle-même un processus historique que nous ne trouverons jamais chez un mouton ou chez un chien (argument capital de Stirner adversus hominem [69], à faire dresser les cheveux sur la tête) bien que moutons et chiens, sous leur forme actuelle, soient, mais malgré eux, des produits d’un processus historique.) Tant que la contradiction n’est pas apparue, les conditions dans lesquelles les individus entrent en relations entre eux sont des conditions inhérentes à leur individualité ; elles ne leur sont nullement extérieures et seules, elles permettent à ces individus déterminés et existant dans des conditions déterminées, de produire leur vie matérielle et tout ce qui en découle ; ce sont donc des conditions de leur affirmation active de soi et elles sont produites par cette affirmation de soi [70]. En conséquence, tant que la contradiction n’est pas encore intervenue, les conditions déterminées, dans lesquelles les individus produisent, correspondent donc à leur limitation effective, à leur existence bornée, dont le caractère limité ne se révèle qu’avec l’apparition de la contradiction et existe, de ce fait, pour la génération postérieure. Alors, cette condition apparaît comme une entrave accidentelle, alors on attribue aussi à l’époque antérieure la conscience qu’elle était une entrave.

Ces différentes conditions, qui apparaissent d’abord comme conditions de la manifestation de soi, et plus tard comme entraves de celle-ci, forment dans toute l’évolution historique une suite cohérente de modes d’échanges dont le lien consiste dans le fait qu’on remplace la forme d’échanges antérieure, devenue une entrave, par une nouvelle forme qui correspond aux forces productives plus développées, et, par là même, au mode plus perfectionné de l’activité des individus, forme qui à son tour devient une entrave et se trouve alors remplacée par une autre. Étant donné qu’à chaque stade ces conditions correspondent au développement simultané des forces productives, leur histoire est du même coup l’histoire des forces productives qui se développent et sont reprises par chaque génération nouvelle et elle est de ce fait l’histoire du développement des forces des individus eux-mêmes.

Ce développement se produisant naturellement, c’est-à-dire n’étant pas subordonné à un plan d’ensemble établi par des individus associés librement, il part de localités différentes, de tribus, de nations, de branches de travail différentes, etc., dont chacune se développe d’abord indépendamment des autres et n’entre que peu à peu en liaison avec les autres. De plus, il ne procède que très lentement ; les différents stades et intérêts ne sont jamais complètement dépassés, mais seulement subordonnés à l’intérêt qui triomphe et ils se traînent encore pendant des siècles à ses côtés. Il en résulte que, à l’intérieur de la même nation, les individus ont des développements tout à fait différents, même abstraction faite de leurs conditions de fortune, et il s’ensuit également qu’un intérêt antérieur, dont le mode d’échange particulier de relations est déjà supplanté par un autre correspondant à un intérêt postérieur, reste longtemps encore en possession d’une force traditionnelle dans la communauté apparente et qui est devenue autonome en face des individus (État, droit) ; seule une révolution est, en dernière instance, capable de briser ce système. C’est ce qui explique également pourquoi, lorsqu’il s’agit de points singuliers, qui permettent une synthèse plus générale, la conscience peut sembler parfois en avance sur les rapports empiriques contemporains, si bien que dans les luttes d’une période postérieure, on peut s’appuyer sur des théoriciens antérieurs comme sur une autorité.

Par contre, dans les pays comme l’Amérique du Nord, qui débutent d’emblée dans une période historique déjà développée, le développement se fait avec rapidité. De tels pays n’ont pas d’autre condition naturelle préalable que les individus qui s’y établissent et qui y furent amenés par les modes d’échanges des vieux pays, qui ne correspondent pas à leurs besoins. Ces pays commencent donc avec les individus les plus évolués du vieux monde, et par suite avec la forme de relations la plus développée correspondant à ces individus, avant même que ce système d’échanges ait pu s’imposer dans les vieux pays [71]. C’est le cas de toutes les colonies dans la mesure où elles ne sont pas de simples bases militaires ou commerciales. Carthage, les colonies grecques et l’Islande aux XI° et XII° siècles, en fournissent des exemples. Un cas analogue se présente dans la conquête, lorsqu’on apporte tout fait dans le pays conquis le mode d’échanges qui s’est développé sur un autre sol ; dans son pays d’origine, cette forme était encore grevée par les intérêts et les conditions de vie des époques précédentes, mais ici, au contraire, elle peut et doit s’implanter totalement et sans entraves, ne fût-ce que pour assurer une puissance durable au conquérant. (L’Angleterre et Naples après la conquête normande, où elles connurent la forme la plus accomplie de l’organisation féodale.)

Donc, selon notre conception, tous les conflits de l’histoire ont leur origine dans la contradiction entre les forces productives et le mode d’échanges. Il n’est du reste pas nécessaire que cette contradiction soit poussée à l’extrême dans un pays pour provoquer des conflits dans ce pays même. La concurrence avec des pays dont l’industrie est plus développée, concurrence provoquée par l’extension du commerce international, suffit à engendrer une contradiction de ce genre, même dans les pays dont l’industrie est moins développée (par exemple, le prolétariat latent en Allemagne dont la concurrence de l’industrie anglaise provoque l’apparition).

Cette contradiction entre les forces productives et le mode d’échanges qui, comme nous l’avons déjà vu, s’est produite plusieurs fois déjà dans l’histoire jusqu’à nos jours, sans toutefois en compromettre la base fondamentale, a dû chaque fois éclater dans une révolution, prenant en même temps diverses formes accessoires, telles que totalité des conflits, heurts de différentes classes, contradictions de la conscience, lutte idéologique, etc., lutte politique, etc. D’un point de vue borné, on peut dès lors abstraire l’une de ces formes accessoires et la considérer comme la base de ces révolutions, chose d’autant plus facile que les individus dont partaient les révolutions se faisaient eux-mêmes des illusions sur leur propre activité, selon leur degré de culture et le stade de développement historique.

La transformation par la division du travail des puissances personnelles (rapports) en puissances objectives ne peut pas être abolie du fait que l’on s’extirpe du crâne cette représentation générale, mais uniquement si les individus soumettent à nouveau ces puissances objectives et abolissent la division du travail [72]. Ceci n’est pas possible sans la communauté. C’est seulement dans la commun [avec d’autres que chaque] individu a les moyens de développer ses facultés dans tous les sens ; c’est seulement dans la communauté que la liberté personnelle est donc possible. Dans les succédanés de communautés qu’on a eus jusqu’alors, dans l’État, etc., la liberté personnelle n’existait que pour les individus qui s’étaient développés dans les conditions de la classe dominante et seulement dans la mesure où ils étaient des individus de cette classe. La communauté apparente, que les individus avaient jusqu’alors constituée, prit toujours une existence indépendante vis-à-vis d’eux et, en même temps, du fait qu’elle représentait l’union d’une classe face à une autre, elle représentait non seulement une communauté tout à fait illusoire pour la classe dominée, mais aussi une nouvelle chaîne. Dans la communauté réelle, les individus acquièrent leur liberté simultanément à leur association, grâce à cette association et en elle.

Il découle de tout le développement historique jusqu’à nos jours que les rapports collectifs dans lesquels entrent les individus d’une classe et qui étaient toujours conditionnés par leurs intérêts communs vis-à-vis d’un tiers, furent toujours une communauté qui englobait ces individus uniquement en tant qu’individus moyens, dans la mesure où ils vivaient dans les conditions d’existence de leur classe ; c’était donc là, en somme, des rapports auxquels ils participaient non pas en tant qu’individus, mais en tant que membres d’une classe. Par contre, dans la communauté des prolétaires révolutionnaires qui mettent sous leur contrôle toutes leurs propres conditions d’existence et celles de tous les membres de la société, c’est l’inverse qui se produit : les individus y participent en tant qu’individus. Et, (bien entendu à condition que l’association des individus s’opère dans le cadre des forces productives qu’on suppose maintenant développées), c’est cette réunion qui met les conditions du libre développement des individus et de leur mouvement sous son contrôle, tandis qu’elles avaient été jusque là livrées au hasard et avaient adopté une existence autonome vis-à-vis des individus, précisément du fait de leur séparation en tant qu’individus et de leur union nécessaire, impliquée par la division du travail, mais devenue, du fait de leur séparation en tant qu’individus, un lien qui leur était étranger. L’association connue jusqu’ici n’était nullement l’union volontaire (que l’on nous représente par exemple dans Le Contrat social [73]), mais une union nécessaire, sur la base des conditions à l’intérieur desquelles les individus jouissaient de la contingence (comparer, par exemple, la formation de l’État de l’Amérique du Nord et les républiques de l’Amérique du Sud). Ce droit de pouvoir jouir en toute tranquillité de la contingence à l’intérieur de certaines conditions, c’est ce qu’on appelait jusqu’à présent la liberté personnelle. — Ces conditions d’existence ne sont naturellement que les forces productives et les modes d’échanges de chaque période.

Si l’on considère, du point de vue philosophique, le développement des individus dans les conditions d’existence commune des ordres et des classes qui se succèdent historiquement et dans les représentations générales qui leur sont imposées de ce fait, on peut, il est vrai, s’imaginer facilement que le genre ou l’homme se sont développés dans ces individus ou qu’ils ont développé l’homme ; vision imaginaire qui donne de rudes camouflets à l’histoire [74]. On peut alors comprendre ces différents ordres et différentes classes comme des spécifications de l’expression générale, comme des subdivisions du genre, comme des phases de développement de l’homme.

Cette subordination des individus à des classes déterminées ne peut être abolie tant qu’il ne s’est pas formé une classe qui n’a plus à faire prévaloir un intérêt de classe particulier contre la classe dominante.

Les individus sont toujours partis d’eux-mêmes, naturellement pas de l’individu "pur" au sens des idéologues, mais d’eux-mêmes dans le cadre de leurs conditions et de leurs rapports historiques donnés. Mais il apparaît au cours du développement historique, et précisément par l’indépendance qu’acquièrent les rapports sociaux, fruit inévitable de la division du travail, qu’il y a une différence entre la vie de chaque individu, dans la mesure où elle est personnelle, et sa vie dans la mesure où elle est subordonnée à une branche quelconque du travail et aux conditions inhérentes à cette branche. (Il ne faut pas entendre par là que le rentier ou le capitaliste, par exemple, cessent d’être des personnes ; mais leur personnalité est conditionnée par des rapports de classe tout à fait déterminés et cette différence n’apparaît que par opposition à une autre classe et ne leur apparaît à eux-mêmes que le jour où ils font banqueroute). Dans l’ordre (et plus encore dans la tribu), ce fait reste encore caché ; par exemple, un noble reste toujours un noble, un roturier reste toujours un roturier, abstraction faite de ses autres rapports ; c’est une qualité inséparable de son individualité. La différence entre l’individu personnel opposé à l’individu en sa qualité de membre d’une classe, la contingence des conditions d’existence pour l’individu n’apparaissent qu’avec la classe qui est elle-même un produit de la bourgeoisie. C’est seulement la concurrence et la lutte des individus entre eux qui engendrent et développent cette contingence en tant que telle. Par conséquent, dans la représentation, les individus sont plus libres sous la domination de la bourgeoisie qu’avant, parce que leurs conditions d’existence leur sont contingentes ; en réalité, ils sont naturellement moins libres parce qu’ils sont beaucoup plus subordonnés à une puissance objective. La différence avec l’ordre apparaît surtout dans l’opposition entre bourgeoisie et prolétariat. Lorsque l’ordre des citoyens des villes, les corporations, etc. apparurent en face de la noblesse terrienne, leurs conditions d’existence, propriété mobilière et travail artisanal, qui avaient déjà existé de façon latente avant qu’ils ne fussent séparés de l’association féodale, apparurent comme une chose positive, que l’on fit valoir contre la propriété foncière féodale et qui, pour commencer, prit donc à son tour la forme féodale à sa manière. Sans doute les serfs fugitifs considéraient leur état de servitude précédent comme une chose contingente à leur personnalité : en cela, ils agissaient simplement comme le fait toute classe qui se libère d’une chaîne et, alors, ils ne se libéraient pas en tant que classe, mais isolément. De plus, ils ne sortaient pas du domaine de l’organisation par ordres, mais formèrent seulement un nouvel ordre et conservèrent leur mode de travail antérieur dans leur situation nouvelle et ils élaborèrent ce mode de travail en le libérant des liens du passé qui ne correspondaient déjà plus au point de développement qu’il avait atteint [75].

Chez les prolétaires, au contraire, leurs conditions de vie propre, le travail et, de ce fait, toutes les conditions d’existence de la société actuelle, sont devenues pour eux quelque chose de contingent, sur quoi les prolétaires isolés ne possèdent aucun contrôle et sur quoi aucune organisation sociale ne peut leur en donner. La contradiction entre la personnalité du prolétaire en particulier, et les conditions de vie qui lui sont imposées, c’est-à-dire le travail, lui apparaît à lui-même, d’autant plus qu’il a déjà été sacrifié dès sa prime jeunesse et qu’il n’aura jamais la chance d’arriver dans le cadre de sa classe aux conditions qui le feraient passer dans une autre classe. Donc, tandis que les serfs fugitifs ne voulaient que développer librement leurs conditions d’existence déjà établies et les faire valoir, mais ne parvenaient en dernière instance qu’au travail libre, les prolétaires, eux, doivent, s’ils veulent s’affirmer en valeur en tant que personne, abolir leur propre condition d’existence antérieure, laquelle est, en même temps, celle de toute la société jusqu’à nos jours, je veux dire, abolir le travail [76]. Ils se trouvent, de ce fait, en opposition directe avec la forme que les individus de la société ont jusqu’à présent choisie pour expression d’ensemble, c’est-à-dire en opposition avec l’État et il leur faut renverser cet État pour réaliser leur personnalité.

Notes

Texte en rouge : Passage biffé dans le manuscrit
Texte en bleu : En français dans le texte.

[68] A la place de ce terme, Marx emploiera plus tard celui d’associés (association au lieu d’union, etc.).

[69] Contre l’homme.

[70] En face de cette phrase, Marx a écrit dans la colonne de droite : Production du mode d’échanges lui même.

[71] Énergie personnelle des individus de différentes nations Allemands et Américains énergie déjà du fait du croisement de races de là les Allemands véritables crétins en France, en Angleterre, etc., des peuples étrangers transplantés sur un sol déjà évolué et sur un sol entièrement neuf en Amérique, en Allemagne la population primitive n’a absolument pas bougé. (M. E.).

[72] En face de cette phrase, Engels a écrit dans la colonne de droite : (Feuerbach : Être et Essence).

[73] Il s’agit du célèbre ouvrage de Jean Jacques Rousseau.

[74] La phrase qu’on rencontre fréquemment chez saint Max Stirner : “chacun est tout ce qu’il est grâce à l’État” revient au fond à dire que le bourgeois n’est qu’un exemplaire de l’espèce bourgeoise, phrase qui présuppose que la classe des bourgeois doit avoir existé avant les individus qui la constituent *.
* Cette phrase est mise entre crochets par Marx qui remarque dans la colonne de droite : PRÉ EXISTENCE de la classe chez les philosophes.

[75] N.B. N’oublions pas que la nécessité du servage, pour exister, et l’impossibilité de la grande exploitation, qui amena la répartition des allotements * entre les serfs, réduisirent très vite les obligations de ceux ci envers le seigneur féodal à une moyenne de livraisons en nature et de corvées ; cela donnait au serf la possibilité d’accumuler les biens meubles, favorisait son évasion de la propriété du seigneur et lui donnait la perspective de réussir à aller comme citoyen à la ville ; il en résulta aussi une hiérarchisation parmi les serfs, de sorte que ceux qui s’évadent sont déjà des demi bourgeois. Il saute donc aux yeux que les vilains qui connaissaient un métier avaient le maximum de chance d’acquérir des biens meubles. (M. E.).
* Parcelles

[76] Plus tard Marx, précisant cette notion de travail préconisera l’abolition du seul travail salarié."

suite à venir


Dans "Principes du communisme" :

L’ouvrage d’Engels les Principes du communisme est un projet préliminaire du programme de la Ligue des communistes. Le IIe Congrès de la Ligue (29 novembre-8 décembre 1847) confia à Marx et Engels l’élaboration de son programme sous forme d’un manifeste. Pendant leur travail sur le Manifeste du Parti communiste, les auteurs y inclurent certaines thèses exposées dans les Principes du communisme.

Rédigé par Engels fin octobre-novembre 1847

I. QU’EST-CE QUE LE COMMUNISME ?

Le communisme est l’enseignement des conditions de la libération du prolétariat.

II. QU’EST-CE QUE LE PROLETARIAT ?

Le prolétariat est la classe de la société qui tire sa subsistance exclusivement de la vente de son travail, et non de l’intérêt d’un capital quelconque, dont les conditions d’existence et l’existence même dépendent de la demande de travail, par conséquent de la succession des périodes de crise et de prospérité industrielle, des oscillations d’une concurrence sans frein. Le prolétariat, ou la classe des ouvriers, est, en un mot, la classe laborieuse de l’époque actuelle.

III. N’Y A-T-IL DONC PAS EU DE TOUT TEMPS DES PROLETAIRES ?

Non. Il y a toujours eu des classes pauvres et laborieuses, et les classes laborieuses étaient la plupart du temps pauvres. Mais des pauvres, des ouvriers vivent dans les conditions que nous venons d’indiquer, donc des prolétaires, il n y en a pas toujours eu, pas plus que la concurrence n’a toujours été libre et sans frein.

IV. COMMENT EST APPARU LE PROLETARIAT ?

Le prolétariat est apparu à la suite de la révolution industrielle, qui s’est produite en Angleterre au cours de la seconde moitié du dernier siècle et qui s’est répétée depuis dans tous les pays civilisés du monde. Cette révolution industrielle a été provoquée par l’invention de la machine à vapeur, des différentes machines à filer, du métier à tisser mécanique et de toute une série d’autres appareils mécaniques. Ces machines, qui étaient chères et que seuls, par conséquent, les gros capitalistes pouvaient se procurer, transformèrent complètement tout l’ancien mode de production et éliminèrent les anciens artisans, du fait qu’elles fabriquaient les marchandises mieux et à meilleur marché que les artisans ne pouvaient le faire avec leurs rouets et leurs instruments grossiers. C’est ce qui explique pourquoi l’introduction des machines mit complètement l’industrie aux mains des gros capitalistes et enleva toute valeur à la petite propriété artisanale (instruments, métiers, etc.), de sorte que les capitalistes eurent bientôt tout entre leurs mains et que les ouvriers n’eurent plus rien. Le système de la fabrique fut d’abord introduit dans l’industrie de l’habillement. Puis la première impulsion une fois donnée, ce système s’étendit très rapidement à toutes les autres branches d’industrie, notamment à l’imprimerie, à la poterie, à la métallurgie. Le travail fut de plus en plus réparti entre les différents ouvriers, de telle sorte que l’ouvrier, qui faisait jusqu’alors un travail entier, ne fit plus désormais qu’une partie de ce travail. Grâce à cette division du travail, les produits purent être fabriqués plus rapidement, par conséquent à meilleur marché. Elle réduisit l’activité de chaque ouvrier à un geste mécanique très simple, constamment répété, qui pouvait être fait non seulement aussi bien, mais même mieux par une machine. Toutes les branches de la production tombèrent l’une après l’autre sous la domination du machinisme et de la grande industrie, tout comme le tissage et le filage. Le résultat fut qu’elles tombèrent complètement entre les mains des gros capitalistes, et que les ouvriers y perdirent ce qui leur restait encore d’indépendance. Peu à peu, outre la manufacture proprement dite, l’industrie artisanale tomba de plus en plus sous la domination de la grande industrie, du fait qu’ici aussi de gros capitalistes, en installant de grands ateliers, où les frais généraux étaient moindres et où le travail pouvait être également divisé, éliminèrent peu a peu les petits producteurs indépendants. C’est ce qui explique pourquoi, dans les pays civilisés, presque toutes les branches de la production ont été incorporées dans le système de la grande industrie et pourquoi, dans toutes les branches d’industrie, la production artisanale et la production manufacturière sont éliminées par la grande industrie. C’est ce qui explique également la ruine, de jour en jour plus prononcée, de l’ancienne classe moyenne, artisanale, la transformation complète de la situation des ouvriers et la constitution de deux nouvelles classes, qui englobent peu à peu toutes les autres, à savoir :

l) la classe des gros capitalistes, qui sont déjà, dans tous les pays civilisés, en possession exclusive de tous les moyens d’existence et des matières premières et instruments (machines, fabriques) nécessaires à la production des moyens d’existence—c’est la classe des bourgeois, ou bourgeoisie ;

2) la classe de ceux qui ne possèdent rien, et qui sont obligés de vendre leur travail aux bourgeois pour recevoir d’eux les moyens de subsistance nécessaires à leur entretien—c’est la classe des prolétaires, ou prolétariat.

V. DANS QUELLES CONDITIONS SE REALISE CETTE VENTE DU TRAVAIL DES PROLETAIRES A LA BOURGEOISIE ?

Le travail est une marchandise comme une autre, et son prix est, par conséquent, fixé exactement d’après les mêmes lois que celui de toute autre marchandise. Le prix d’une marchandise, sous le règne de la grande industrie, ou de la libre concurrence—ce qui revient au même comme nous aurons l’occasion de le voir—est en moyenne toujours égal au coût de production de cette marchandise. Le prix du travail est donc, lui aussi, égal au coût de production du travail. Mais le coût de production du travail consiste précisément dans la quantité de moyens de subsistance nécessaires pour mettre l’ouvrier en état de continuer à travailler et ne pas laisser mourir la classe ouvrière. L’ouvrier ne recevra donc, pour son travail, que le minimum nécessaire dans ce but. Le prix du travail, ou le salaire, sera donc le minimum nécessaire à l’entretien de la vie. Comme les affaires sont tantôt bonnes, tantôt mauvaises, il recevra tantôt plus, tantôt moins, tout comme le fabricant recevra tantôt plus, tantôt moins pour ses marchandises. Mais, de même que le fabricant, dans la moyenne des bonnes et des mauvaises affaires, ne reçoit pour ses marchandises ni plus ni moins que leur coût de production, de même l’ouvrier ne recevra, en moyenne, ni plus ni moins que ce minimum. Cette loi économique du salaire est appliquée d’autant plus sévèrement que la grande industrie pénètre plus fortement dans toutes les branches de la production.

VI. QUELLES CLASSES LABORIEUSES Y AVAIT-IL AVANT LA REVOLUTION INDUSTRIELLE ?

Les classes laborieuses ont, selon les différentes phases de développement de la société, vécu dans des conditions différentes et occupé des positions différentes vis-à-vis des classes possédantes et dominantes. Dans l’antiquité, les travailleurs étaient les esclaves des possédants, comme ils le sont encore dans un grand nombre de pays arriérés et même dans la partie méridionale des Etats-Unis d’Amérique. Au moyen âge, ils étaient les serfs de l’aristocratie foncière, comme ils le sont encore en Hongrie, en Pologne et en Russie. Au moyen âge et jusqu’à la révolution industrielle, il y avait, en outre, dans les villes, des compagnons, qui travaillaient au service d’artisans petits-bourgeois et, peu à peu, au fur et à mesure du développement de la manufacture, apparurent les ouvriers de manufacture qui étaient déjà occupés par de plus grands capitalistes.

VI. PAR QUOI L’OUVRIER SE DISTINGUE-T-IL DE L’ESCLAVE ?

L’esclave est vendu une fois pour toutes. L’ouvrier doit se vendre chaque jour et même chaque heure. L’esclave isolé est propriété de son maître et il a, du fait même de l’intérêt de son maître, une existence assurée, si misérable qu’elle puisse être. Le prolétaire isolé est propriété, pour ainsi dire, de toute la classe bourgeoise ; on ne lui achète son travail que quand on en a besoin : il n’a donc pas d’existence assurée. Cette existence n’est assurée qu’à la classe ouvrière tout entière, en tant que classe. L’esclavage est en dehors de la concurrence. Le prolétaire est en plein dans la concurrence et en subit toutes les oscillations. L’esclave est considéré comme une chose, non pas comme un membre de la société civile. Le prolétaire est reconnu en tant que personne, en tant que membre de la société civile. L’esclave peut donc avoir une existence meilleure que le prolétaire, mais ce dernier appartient à une étape supérieure du développement de la société, et il se trouve lui-même à un niveau plus élevé que l’esclave. Ce dernier se libère en supprimant, seulement de tous les rapports de la propriété privée, le rapport de l’esclavage, grâce à quoi il devient seulement un prolétaire. Le prolétaire, lui, ne peut se libérer qu’en supprimant la propriété privée elle-même.

VIII. PAR QUOI LE PROLETAIRE SE DISTINGUE-T-IL DU SERF ?

Le serf a la propriété et la jouissance d’un instrument de production, d’un morceau de terre, contre remise d’une partie de son produit ou en échange de certains travaux. Le prolétaire travaille avec des moyens de production appartenant à une autre personne, pour le compte de cette autre personne et contre réception d’une partie du produit. Le serf donne, le prolétaire reçoit. Le serf a une existence assurée, le prolétaire n’en a pas. Le serf se trouve en dehors de la concurrence, le prolétaire est placé dans les conditions de la concurrence. Le serf se libère, soit en se réfugiant dans les villes et en y devenant artisan, soit en donnant à son maître de l’argent au lieu de travail et de produits, et en devenant un fermier libre, soit en chassant son seigneur féodal et en devenant lui-même propriétaire, bref, en entrant d’une façon ou de l’autre dans la classe possédante, et dans la concurrence. Le prolétaire se libère en supprimant la concurrence elle-même, la propriété privée et toutes les différences de classe.

IX. PAR QUOI LE PROLETAIRE SE DISTINGUE-T-IL DE L’ARTISAN

[Le manuscrit d’Engels réserve en blanc la place pour cette réponse. (N.R.)] ?

X. PAR QUOI LE PROLETAIRE SE DISTINGUE-T-IL DE L’OUVRIER DE MANUFACTURE ?

L’ouvrier de manufacture du XVIe au XVIIIe siècle avait encore presque partout en sa possession un instrument de travail : son métier à tisser, son rouet pour sa famille, un petit champ qu’il cultivait pendant ses heures de loisir. Le prolétaire n’a rien de tout cela. L’ouvrier de manufacture vit presque toujours à la campagne et entretient des rapports plus ou moins patriarcaux avec son propriétaire ou son employeur. Le prolétaire vit dans les grandes villes et n’a avec son employeur qu’un simple rapport d’argent. L’ouvrier de manufacture est arraché par la grande industrie à ses rapports patriarcaux, perd la petite propriété qui lui restait encore et c’est alors qu’il devient un prolétaire.

XI. QUELLES FURENT LES CONSEQUENCES DIRECTES DE LA REVOLUTION INDUSTRIELLE ET DE LA DIVISION DE LA SOCIETE EN BOURGEOIS ET PROLETAIRES ?

Premièrement, le vieux système de la manufacture ou de l’industrie reposant sur le travail manuel fut complètement détruit, par suite de la diminution des prix des produits industriels réalisée dans tous les pays à la suite de l’introduction du machinisme. Tous les pays semi-barbares, qui étaient restés jusque-là plus ou moins en dehors du développement historique et dont l’industrie avait reposé sur le système de la manufacture, furent violemment arrachés à leur isolement. Ils achetèrent les marchandises anglaises à bon marche et laissèrent mourir de faim leurs propres ouvriers de manufacture. C’est ainsi que des pays qui n’avaient réalisé aucun progrès depuis des siècles, tels que l’Inde, furent complètement révolutionnés et que la Chine elle-même va maintenant au-devant d’une révolution. L’invention d’une nouvelle machine en Angleterre peut avoir pour résultat de condamner à la famine, en l’espace de quelques années, des millions d’ouvriers chinois. De cette manière, la grande industrie a relié les uns aux autres tous les peuples de la terre, transformé tous les marchés locaux en un vaste marché mondial, préparé partout le terrain au progrès et à la civilisation et fait en sorte que tout ce qui se passe dans les pays civilisés doit nécessairement exercer ses répercussions sur tous les autres pays ; de sorte que si, maintenant, les ouvriers se libèrent en Angleterre ou en France, cela doit entraîner comme conséquence dans tous les autres pays des révolutions qui, tôt ou tard, aboutiront, là aussi, à la libération des ouvriers.

Deuxièmement, la révolution industrielle, partout où la grande industrie a remplacé la production manufacturière, a eu pour résultat un développement extraordinaire de la bourgeoisie, de ses richesses et de sa puissance, et a fait d’elle la première classe de la société. En conséquence, partout où cela s’est produit, la bourgeoisie s’est emparée du pouvoir politique et a évincé les classes jusque-là dominantes : l’aristocratie et les maîtres de corporations, ainsi que la monarchie absolue qui les représentait toutes deux. La bourgeoisie anéantit la puissance de l’aristocratie, de la noblesse, en supprimant les majorats, c’est-à-dire l’inaliénabilité de la propriété foncière, ainsi que tous les privilèges féodaux. Elle détruisit la grande puissance des maîtres de jurande, en supprimant toutes les corporations et tous les privilèges corporatifs. Elle leur substitua la libre concurrence, c’est-à-dire un état de la société où chacun a le droit d’exercer la branche d’activité qui lui plaît et où rien ne peut l’arrêter dans cette activité que l’absence du capital nécessaire. L’introduction de la libre concurrence est, par conséquent, la proclamation publique que, désormais, les membres de la société ne sont inégaux que dans la mesure où leurs capitaux sont inégaux, que le capital est la puissance décisive et qu’ainsi les capitalistes, les bourgeois, sont devenus la première classe de la société. Mais la libre concurrence est indispensable, au début, au développement de la grande industrie, parce qu’elle est le seul régime qui permette à la grande industrie de croître. Après avoir ainsi anéanti la puissance sociale de la noblesse et de la corporation, la bourgeoisie anéantit également leur puissance politique. Devenue la première classe au point de vue économique, elle se proclame également la première classe au point de vue politique. Elle y parvient au moyen de l’introduction du système représentatif, qui repose sur l’égalité bourgeoise devant la loi et la reconnaissance légale de la libre concurrence, et qui fut établi dans les pays d’Europe sous la forme de la monarchie constitutionnelle. Dans ces monarchies constitutionnelles n’ont le droit de vote que ceux qui possèdent un certain capital, par conséquent seulement les bourgeois. Les électeurs bourgeois élisent des députés bourgeois et ces derniers, usant du droit de refuser les impôts, élisent à leur tour un gouvernement bourgeois.

Troisièmement, la révolution industrielle a partout provoqué le développement du prolétariat dans la mesure même où elle permettait le développement de la bourgeoisie elle-même. Au fur et à mesure que les bourgeois s’enrichissaient le nombre des prolétaires augmentait, car, étant donné que les prolétaires ne peuvent être occupés que par le capital et que le capital ne peut s’accroître qu’en occupant des ouvriers, il en résulte que l’augmentation du prolétariat va exactement de pair avec l’augmentation du capital. La révolution industrielle a également pour résultat de grouper les bourgeois comme les prolétaires dans de grandes agglomérations, où l’industrie est pratiquée avec le plus d’avantages, et de donner au prolétariat, par cette concentration des grandes masses dans un même espace, la conscience de sa force. D’autre part, plus la. révolution industrielle se développe, plus on invente de nouvelles machines qui éliminent le travail manuel, plus la grande industrie a tendance, comme nous l’avons déjà dit, à abaisser le salaire à son minimum, rendant ainsi la situation du prolétariat de plus en plus précaire. La révolution industrielle prépare ainsi, du fait du mécontentement croissant du prolétariat, d’une part, et du fait du développement de sa puissance, d’autre part, une révolution sociale que conduira le prolétariat.

XII. QUELLES FURENT LES AUTRES CONSEQUENCES DE LA REVOLUTION INDUSTRIELLE ?

La grande industrie créa, avec la machine à vapeur et autres machines, les moyens d’augmenter rapidement, à peu de frais et jusqu’à l’infini la production industrielle. La libre concurrence imposée par cette grande industrie prit rapidement, à cause de cette facilité de la production, un caractère extrêmement violent. Un nombre considérable de capitalistes se jetèrent sur l’industrie, et bientôt on produisit plus qu’on ne pouvait consommer. La conséquence fut que les marchandises fabriquées ne trouvèrent pas preneur et que survint ce qu’on appelle une crise commerciale. Les usines durent arrêter le travail ; les fabricants firent faillite et les ouvriers furent condamnés à la famine. Il en résulta partout une grande misère. Au bout de quelque temps, les produits superflus vendus, les usines commencèrent de nouveau à travailler, les salaires augmentèrent et, peu à peu, les affaires marchèrent mieux que jamais. Mais pas pour longtemps, car, de nouveau, on produisit trop de marchandises et une nouvelle crise se produisit, qui prit exactement le même cours que la précédente. C’est ainsi que, depuis le début de ce siècle, l’état de l’industrie a constamment oscillé entre des périodes de prospérité et des périodes de crise, et presque régulièrement, tous les cinq ou sept ans, une crise semblable s’est produite, entraînant chaque fois une grande misère pour les ouvriers, une agitation révolutionnaire générale, et un extrême danger pour tout le régime existant.

XIII. QUELLES SONT LES CONSEQUENCES DE CES CRISES COMMERCIALES SE REPRODUISANT A INTERVALLES REGULIERS ?

La première, c’est que la grande industrie, quoiqu’elle ait elle-même, au cours de sa première période de développement, créé la libre concurrence, ne s’accommode déjà plus maintenant de la libre concurrence ; que la concurrence et, d’une façon générale, l’exercice de la production industrielle par des personnes isolées sont devenus pour elle une entrave qu’elle doit rompre et qu’elle rompra ; que la grande industrie, tant qu’elle sera exercée sur la base actuelle, ne peut subsister sans conduire, tous les cinq ou sept ans, à un chaos général, chaos qui met chaque fois en danger toute la civilisation, et non seulement précipite dans la misère les prolétaires, mais encore ruine une grande quantité de bourgeois ; que, par conséquent, la grande industrie ou bien se détruira elle-même, ce qui est une impossibilité absolue, ou bien aboutira à une organisation, complètement nouvelle de la société, dans laquelle la production industrielle ne sera plus dirigée par quelques fabricants se faisant concurrence les uns aux autres, mais par la société tout entière, d’après un plan déterminé et conformément aux besoins de tous les membres de la société.

Deuxièmement, la grande industrie et l’extension de la production à l’infini qu’elle rend possible permettent l’avènement d’un régime social dans lequel on produira une telle quantité de moyens de subsistance que chaque membre de la société aura désormais la possibilité de développer et d’employer librement ses forces et ses facultés particulières ; de telle sorte que cette même propriété de la grande industrie qui, dans la société actuelle, crée la misère et toutes les crises commerciales, supprimera dans une autre organisation sociale cette misère et ces crises.

Il est donc clairement prouvé :

l) qu’aujourd’hui tous ces maux n’ont leur cause que dans un ordre social qui ne répond plus aux nécessités ;

2) que les moyens existent dès maintenant de supprimer complètement ces maux par la construction d’un nouvel ordre social.

XIV. QUEL DOIT ETRE CE NOUVEL ORDRE SOCIAL ?

Il devra tout d’abord enlever l’exercice de l’industrie et de toutes les branches de la production, en général, aux individus isolés, se faisant concurrence les uns aux autres, pour les remettre à la société tout entière—ce qui signifie qu’elles seront gérées pour le compte commun, d’après un plan commun et avec la participation de tous les membres de la société. Il supprimera, par conséquent, la concurrence et lui substituera l’association. Etant donné d’autre part que l’exercice de l’industrie par des individus isolés implique nécessairement l’existence de la propriété privée et que la concurrence n’est pas autre chose que ce mode d’activité de l’industrie où un certain nombre de personnes privées la dirigent, la propriété privée est inséparable de l’exercice de l’industrie par des individus isolés, et de la concurrence. La propriété privée devra donc être également supprimée et remplacée par l’utilisation collective de tous les moyens de production et la répartition de tous les produits d’un commun accord, ce qu’on appelle la communauté des biens. La suppression de la propriété privée est même le résumé le plus bref et le plus caractéristique de cette transformation de toute la société que rend nécessaire le développement de l’industrie. Pour cette raison, elle constitue, à juste titre, la principale revendication des communistes.

XV. LA SUPPRESSION DE LA PROPIETE PRIVEE N’ETAIT DONC PAS POSSIBLE AUTREFOIS ?

Non. Toute transformation de l’ordre social, tout changement dans les rapports de propriété, sont la conséquence nécessaire de l’apparition de nouvelles forces productives ne correspondant plus aux anciens rapports de propriété. La propriété privée elle-même est apparue de cette façon. Car la propriété privée n’a pas toujours existé. Lorsque, à la fin du moyen âge, un nouveau mode de production est apparu avec la manufacture, mode de production en contradiction avec la propriété féodale et corporative de l’époque, cette production manufacturière, ne correspondant plus aux anciens rapports de propriété, donna naissance à une nouvelle forme de propriété : la propriété privée. En effet, pour la manufacture et pour la première période du développement de la grande industrie, il n’y avait pas d’autre forme de propriété possible que la propriété privée, pas d’autre forme de société possible que la société basée sur la propriété privée. Tant qu’on ne peut pas produire une quantité suffisante de produits pour que non seulement il y en ait assez pour tous mais qu’il en reste encore un certain excédent pour l’augmentation du capital social et pour le développement des forces productives, il doit nécessairement y avoir une classe dominante, disposant des forces productives de la société, et une classe pauvre, opprimée. La constitution et le caractère de ces classes dépendent chaque fois du degré de développement de la production. La société du moyen âge, qui repose sur la culture de la terre, nous donne le seigneur féodal et le serf ; les villes de la fin du moyen âge nous donnent le maître artisan, le compagnon et le journalier ; le dix-septième siècle, le propriétaire de la manufacture et l’ouvrier ; le dix-neuvième siècle, le grand industriel et le prolétaire. Il est clair que jusqu’à présent, les forces productives n’étaient pas suffisamment développées pour produire assez pour tous et pour que la propriété privée soit devenue un poids, un obstacle à leur développement. Mais aujourd’hui :

l) où par suite du développement de la grande industrie, il s’est constitué des capitaux et des forces productives d’une ampleur encore inconnue jusqu’ici, et où les moyens existent d’augmenter rapidement jusqu’à l’infini ces forces productives ;

2) où ces forces productives sont concentrées dans les mains d’un petit nombre de bourgeois, tandis que la grande masse du peuple est de plus en plus rejetée dans le prolétariat et que sa situation devient plus misérable et plus insupportable à mesure que les richesses de bourgeois augmentent ;

3) où ces forces productives puissantes, se multipliant avec une telle facilité, ont tellement dépassé le cadre de la propriété privée et du régime bourgeois qu’elles provoquent a chaque instant les troubles les plus considérables dans l’ordre social ;

— aujourd’hui donc, la suppression de la propriété privée est devenue non seulement possible, mais même absolument nécessaire.

XVI. LA SUPPRESSION DE LA PROPRIETE PRIVEE EST-ELLE POSSIBLE PAR LA VOIE PACIFIQUE ?

Il serait souhaitable qu’il pût en être ainsi, et les communistes seraient certainement les derniers à s’en plaindre. Les communistes savent trop bien que toutes les conspirations sont, non seulement inutiles, mais même nuisibles. Ils savent trop bien que les révolutions ne se font pas arbitrairement et par décret, mais qu’elles furent partout et toujours la conséquence nécessaire de circonstances absolument indépendantes de la volonté et de la direction de partis déterminés et de classes entières. Mais ils voient également que le développement du prolétariat se heurte dans presque tous les pays civilisés à une répression brutale, et qu’ainsi les adversaires des communistes travaillent eux-mêmes de toutes leurs forces pour la révolution. Si tout cela pousse finalement le prolétariat opprimé à la révolution, nous, communistes, nous défendrons alors par l’action, aussi fermement que nous le faisons maintenant par la parole, la cause des prolétaires.

XVII. LA SUPPRESSION DE LA PROPRIETE PRIVEE EST-ELLE POSSIBLE D’UN SEUL COUP ?

Non, pas plus qu’on ne peut accroître d’un seul coup les forces productives déjà existantes dans une mesure telle qu’on puisse établir une économie collective du jour au lendemain. La révolution prolétarienne, dont tout indique qu’elle approche, ne pourra par conséquent que transformer peu à peu la société actuelle et ne pourra supprimer complètement la propriété privée que quand on aura créé la quantité nécessaire de moyens de production.

XVIII. QUEL COURS PRENDRA CETTE REVOLUTION ?

Elle établira tout d’abord un régime démocratique et, par là même, directement ou indirectement, la domination politique du prolétariat. Directement en Angleterre, où les prolétaires constituent déjà la majorité du peuple. Indirectement en France et en Allemagne, où la majorité du peuple est composée non seulement de prolétaires, mais aussi de petits paysans et de petits bourgeois qui ne sont encore qu’en voie de prolétarisation, qui dépendent, en ce qui concerne la satisfaction de leurs intérêts politiques, de plus en plus du prolétariat, et qui devront, par conséquent, se rallier rapidement à ses revendications. Cela nécessitera peut-être une nouvelle lutte, mais qui ne peut se terminer que par la victoire du prolétariat.

La démocratie ne serait d’aucune utilité pour le prolétariat s’il ne l’utilisait pas immédiatement pour prendre des mesures étendues comportant une atteinte directe à la propriété privée et assurant l’existence du prolétariat. Les plus importantes de ces mesures, telles qu’elles découlent nécessairement des conditions présentes, sont les suivantes :

1) limitation de la propriété privée au moyen d’impôts progressifs, de forts impôts sur les successions, suppressions du droit de succession en ligne collatérale (frères, neveux, etc., etc., ), emprunts forcés, etc. ;

2) expropriation progressive des propriétaires fonciers, des industriels, des propriétaires de chemins de fer et armateurs, en partie au moyen de la concurrence de l’industrie d’Etat, en partie directement contre indemnité en assignats ;

3) confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles insurgés contre la majorité du peuple ;

4) organisation du travail ou emploi des ouvriers dans des domaines, fabriques et ateliers nationaux, ce qui supprimera la concurrence des ouvriers entre eux et obligera ceux des industriels qui subsisteront encore à payer le même haut salaire que l’Etat ;

5) obligation au travail pour tous les membres de la société jusqu’à la suppression complète de la propriété privée ; constitution d’armées industrielles, particulièrement pour l’agriculture ;

6) centralisation dans les mains de l’Etat du système du crédit, du commerce, de l’argent, au moyen de la création d’une banque nationale, avec un capital d’Etat, et suppression de toutes les banques privées ;

7) multiplication des fabriques nationales, des ateliers, chemins de fer, navires, défrichement de toutes les terres et amélioration des terres déjà cultivées au fur et à mesure de l’augmentation des capitaux et du nombre des travailleurs dont dispose le pays ;

8) éducation de tous les enfants à partir du moment où ils peuvent se passer des soins maternels, dans des institutions nationales et aux frais de la nation. (Education et travail industriel) ;

9) construction de grands palais sur les domaines nationaux pour servir d’habitation à des communautés de citoyens occupés dans l’industrie ou l’agriculture, et unissant les avantages de la vie citadine a ceux de la vie à la campagne, sans avoir leurs inconvénients ;

10) destruction de toutes les habitations et quartiers insalubres et mal construits ;

11) droit de succession égal aux enfants légitimes et non légitimes ;

12) concentration de tous les moyens de transports dans les mains de l’Etat.

Toutes ces mesures ne pourront naturellement pas être appliquées d’un seul coup. Mais chacune entraîne nécessairement la suivante. Une fois portée la première atteinte radicale à la propriété privée, le prolétariat se verra obligé d’aller toujours de l’avant et de concentrer de plus en plus dans les mains de l’Etat tout le capital, l’agriculture et l’industrie, les transports et les échanges. C’est le but que poursuivent toutes ces mesures. Elles seront applicables et obtiendront leur effet centralisateur au fur et à mesure de l’accroissement des forces productives du pays grâce au travail du prolétariat.

Enfin, quand tout le capital, toute la production et tous les échanges seront concentrés dans les mains de l’Etat, la propriété privée tombera d’elle-même, l’argent deviendra superflu ; et la production sera augmentée et les hommes transformés à tel point qu’on pourra également supprimer les derniers rapports de l’ancienne société.

XIX. CETTE REVOLUTION SE FERA-T-ELLE DANS UN SEUL PAYS ?

Non. La grande industrie, en créant le marché mondial, a déjà rapproché si étroitement les uns des autres les peuples de la terre, et notamment les plus civilisés, que chaque peuple dépend étroitement de ce qui se passe chez les autres. Elle a en outre unifié dans tous les pays civilisés le développement social à tel point que, dans tous ces pays, la bourgeoisie et le prolétariat sont devenus les deux classes les plus importantes de la société, et que l’antagonisme entre ces deux classes est devenu aujourd’hui l’antagonisme fondamental de la société. La révolution communiste, par conséquent, ne sera pas une révolution purement nationale. Elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés, c’est-à-dire tout au moins en Angleterre, en Amérique, en France et en Allemagne. Elle se développera dans chacun de ces pays plus rapidement ou plus lentement, selon que l’un ou l’autre de ces pays possède une industrie plus développée, une plus grande richesse nationale et une masse plus considérable de forces productives. C’est pourquoi elle sera plus lente et plus difficile en Allemagne, plus rapide et plus facile en Angleterre. Elle exercera également sur tous les autres pays du globe une répercussion considérable et transformera complètement leur mode de développement. Elle est une révolution universelle ; elle aura, par conséquent, un terrain universel.

XX. QUELLES SERONT LES CONSEQUENCES DE LA SUPPRESSION DE LA PROPRIETE PRIVEE ?

En enlevant aux capitalistes privés toutes les forces productives et tous les moyens de transport, ainsi que l’échange et la répartition des produits, en les administrant d’après un plan établi en fonction des ressources et des besoins de la collectivité, la société supprimera tout d’abord toutes les conséquences néfastes qui sont liées au système qui régit actuellement la grande industrie. Les crises disparaissent ; la production élargie, qui est, en réalité, dans la société actuelle, une surproduction et constitue une cause si importante de misère ne suffira plus aux besoins et devra être élargie encore davantage. Au lieu de créer de la misère, la production au-delà des besoins de la société assurera la satisfaction des besoins de tous et fera apparaître de nouveaux besoins, en même temps que les moyens de les satisfaire. Elle sera la condition et la cause de nouveaux progrès qu’elle réalisera sans jeter périodiquement, comme c’était le cas jusqu’ici, le trouble dans la société. La grande industrie, libérée du joug de la propriété, s’étendra dans de telles proportions que son extension actuelle apparaîtra aussi mesquine que la manufacture à côté de la grande industrie moderne. Le développement de l’industrie mettra à la disposition de la société une masse de produits suffisante pour satisfaire les besoins de tous. De même, l’agriculture, qui, sous le régime de la propriété privée et du morcellement, a du mal à profiter des perfectionnements déjà réalisés et des découvertes scientifiques, connaîtra un essor tout nouveau et mettra à la disposition de la société une quantité tout à fait suffisante de produits. Ainsi, la société fabriquera suffisamment de produits pour pouvoir organiser la répartition de façon à satisfaire les besoins de tous ses membres. La division de la société en classes différentes, antagonistes sera rendue ainsi superflue. Elle deviendra non seulement superflue, mais encore incompatible avec le nouvel ordre social. L’existence des classes est provoquée par la division du travail. Dans la nouvelle société, la division du travail, sous ses formes actuelles, disparaîtra complètement. Car, pour porter la production industrielle et agricole au niveau que nous avons dit, les moyens mécaniques et chimiques ne suffisent pas. Les capacités des hommes qui utilisent ces moyens devront être également développées dans la même proportion. De même que les paysans et les ouvriers de manufacture du siècle dernier modifièrent toute leur façon de vivre et devinrent même des hommes complètement différents après avoir été incorporés dans la grande industrie, de même la gestion collective des forces productives par l’ensemble de la société et le nouveau développement de la production qui en résultera nécessiteront et créeront des hommes complètement différents de ceux d’aujourd’hui. La gestion sociale de la production ne peut être assurée par des hommes qui, comme c’est le cas aujourd’hui, seraient étroitement soumis à une branche particulière de la production, enchaînés à elle, exploités par elle, n’ayant développé qu’une seule de leurs facultés aux dépens des autres et ne connaissant qu’une branche ou même qu’une partie d’une branche de la production. Déjà, l’industrie actuelle a de moins en moins besoin de tels hommes. L’industrie exercée en commun, et suivant un plan, par l’ensemble de la collectivité suppose des hommes dont les facultés sont développées dans tous les sens et qui sont en état de dominer tout le système de la production. La division du travail, déjà minée par le progrès du machinisme, et qui fait de l’un un paysan, de l’autre un cordonnier, du troisième un ouvrier d’usine, du quatrième un spéculateur à la Bourse, disparaîtra donc complètement. L’éducation donnera la possibilité aux jeunes gens de s’assimiler rapidement dans la pratique tout le système de la production, elle les mettra en état de passer successivement de l’une à l’autre des différentes branches de la production selon les besoins de la société ou leurs propres inclinations. Elle les libérera, par conséquent, de ce caractère unilatéral qu’impose à chaque individu la division actuelle du travail. Ainsi, la société organisée sur la base communiste donnera à ses membres la possibilité d’employer dans tous les sens leurs facultés, elles-mêmes harmonieusement développées. Il en résulte que toute différence entre les classes disparaîtra aussi inévitablement. De telle sorte que la société communiste, d’une part, est incompatible avec l’existence des classes et, d’autre part, fournit elle-même les moyens de supprimer ces différences de classes.

De ce fait, l’antagonisme entre la ville et la campagne disparaîtra également. L’exercice de l’agriculture et de l’industrie par les mêmes hommes, au lieu d’être le fait de classes différentes, est une condition nécessaire de l’organisation communiste, ne serait-ce que pour des raisons tout à fait matérielles. La dispersion dans les villages de la population occupée à l’agriculture, à côté de la concentration de la population industrielle dans les villes, est un phénomène qui correspond à une étape de développement encore inférieure de l’agriculture et de l’industrie, un obstacle au progrès, qui se fait sentir dès maintenant.

L’association générale de tous les membres de la société en vue de l’utilisation collective et rationnelle des forces productives, l’extension de la production dans des proportions telles qu’elle puisse satisfaire les besoins de tous, la liquidation d’un état de choses dans lequel les besoins des uns ne sont satisfaits qu’aux dépens des autres, la suppression complète des classes et de leurs antagonismes, le développement complet des capacités de tous les membres de la société grâce à la suppression de la division du travail telle qu’elle était réalisée jusqu’ici, grâce à l’éducation basée sur le travail, au changement d’activité, à la participation de tous aux jouissances créées par tous, à la fusion entre la ville et la campagne—telles seront les principales conséquences de la suppression de la propriété privée.

XXI. QUELLES REPERCUSSIONS AURA LE REGIME COMMUNISTE SUR LA FAMILLE ?

Il transformera les rapports entre les sexes en rapports purement privés, ne concernant que les personnes qui y participent, et où la société n’a pas à intervenir. Cette transformation sera possible grâce à la suppression de la propriété privée et à l’éducation des enfants par la société—ce qui détruira ainsi les deux bases du mariage actuel qui sont liées à la propriété privée, à savoir la dépendance de la femme vis-à-vis de l’homme et celle des enfants vis-à-vis des parents. Ceci donne aussi réponse à toutes les criailleries des moralistes bourgeois sur la communauté des femmes que veulent, paraît-il, introduire les communistes. La communauté des femmes est un phénomène qui appartient uniquement à la société bourgeoise et qui est réalisé actuellement en grand sous la forme de la prostitution. Mais la prostitution repose sur la propriété privée et disparaît avec elle. Par conséquent, l’organisation communiste, loin d’introduire la communauté des femmes, la supprimera, au contraire.

XXII. COMMENT L’ORGANISATION COMMUNISTE SE COMPORTERA-T-ELLE VIS-A-VIS DES NATIONALITES EXISTANTES ?

— Maintenu.

[Dans le manuscrit, à la place de la réponse aux questions 22 et 23, on lit le mot "maintenu". Ce qui signifie, vraisemblablement, qu’il faut conserver la réponse telle qu’elle était formulée dans un des projets préliminaires de programme de la Ligue des communistes qui ne sont pas parvenus jusqu’à nous. (N.R.)]

XXIII. COMMENT SE COMPORTERA-T-ELLE VIS-A-VIS DES RELIGIONS EXISTANTES ?

— Maintenu.

XXIV. EN QUOI LES COMMUNISTES SE DIFFERENCIENT-ILS DES SOCIALISTES ?

Ceux qu’on appelle les socialistes se divisent en trois catégories.

La première est composée de partisans de la société féodale et patriarcale, qui a été détruite et est détruite tous les jours par la grande industrie, le commerce mondial et la société bourgeoise créée par l’une et par l’autre. Cette catégorie de socialistes tire des maux de la société actuelle cette conclusion qu’il faut rétablir la société féodale et patriarcale puisqu’elle ignorait ces maux. Toutes leurs propositions tendent, directement ou indirectement, à ce but. Cette catégorie de socialistes réactionnaires seront toujours, malgré leur feinte compassion pour la misère du prolétariat et les larmes qu’ils versent à ce sujet, combattus énergiquement par les communistes, car :

l) ils se proposent un but impossible à atteindre ;

2) ils s’efforcent de rétablir la domination de l’aristocratie, des maîtres de corporations et des manufacturiers avec leur suite de rois absolus ou féodaux, de fonctionnaires, de soldats et de prêtres, une société qui, certes, ne comporte pas les maux de la société actuelle, mais qui en comporte tout au moins autant, et ne présente même pas la perspective de la libération, grâce au communisme, des ouvriers opprimés ;

3) ils montrent leurs véritables sentiments chaque fois que le prolétariat devient révolutionnaire et communiste : ils s’allient alors immédiatement avec la bourgeoisie contre le prolétariat.

La deuxième catégorie se compose de partisans de la société actuelle, auxquels les maux provoqués nécessairement par elle inspirent des craintes quant au maintien de cette société. Ils s’efforcent donc de maintenir la société actuelle, mais en supprimant les maux qui lui sont liés. Dans ce but, les uns proposent de simples mesures de charité, les autres des plans grandioses de réformes qui, sous prétexte de réorganiser la société, n’ont d’autre but que le maintien des bases de la société actuelle et, par conséquent, le maintien de cette société elle-même. Les communistes devront également combattre avec énergie ces socialistes bourgeois, parce qu’ils travaillent en réalité pour les ennemis des communistes et défendent la société que les communistes se proposent précisément de renverser.

La troisième catégorie, enfin, se compose des socialistes démocrates. Ceux-ci dont la route rejoint celle des communistes, veulent voir réaliser une partie des mesures indiquées plus haut[Il s’agit de la question XVIII. (N.R.)]—mais non pas comme un moyen de transition vers le communisme comme un moyen suffisant pour supprimer la misère et les maux de la société actuelle. Ces socialistes démocrates sont, soit des prolétaires qui ne sont pas suffisamment éclairés sur les conditions de la libération de leur classe, soit des représentants de la petite bourgeoisie, c’est-à-dire d’une classe qui, jusqu’à la conquête de la démocratie et la réalisation des mesures socialistes qui en résulteront, a sous beaucoup de rapports les mêmes intérêts que les prolétaires. C’est pourquoi les communistes s’entendront avec eux au moment de l’action et devront autant que possible mener avec eux une politique commune, dans la mesure toutefois où ces socialistes ne se mettront pas au service de la bourgeoisie au pouvoir et n’attaqueront pas les communistes. Bien entendu, ces actions communes n’excluent pas la discussion des divergences qui existent entre eux et les communistes.

XXV. QUELLE DOIT ETRE L’ATTITUDE DES COMMUNISTES VIS-A-VIS DES AUTRES PARTIS POLITIQUES ?

Cette attitude sera différente selon les différents pays. En Angleterre, en France et en Belgique, où domine la bourgeoisie, les communistes ont pour le moment des intérêts communs avec les différents partis démocratiques, intérêts d’autant plus grands que les démocrates se rapprochent davantage, dans les mesures socialistes qu’ils défendent maintenant partout, du but communiste, c’est-à-dire plus ils défendent nettement et fermement les intérêts du prolétariat, et plus ils s’appuient sur ce dernier. En Angleterre, par exemple, le mouvement chartiste, composé d’ouvriers, est beaucoup plus près des communistes que les petits-bourgeois démocrates ou les soi-disant radicaux.

En Amérique où la constitution démocratique a été introduite, les communistes devront s’allier au parti qui veut tourner cette constitution contre la bourgeoisie et l’utiliser dans l’intérêt du prolétariat, c’est-à-dire aux réformateurs nationaux agrariens ;

En Suisse, les radicaux, quoi qu’ils soient eux-mêmes un parti très mêlé, sont cependant les seuls avec qui les communistes puissent marcher, et parmi ces radicaux, les plus avancés sont les Vaudois et les Genevois.

En Allemagne, enfin, la lutte décisive se prépare entre la bourgeoisie et la monarchie absolue. Mais comme les communistes ne peuvent compter sur une lutte décisive entre eux et la bourgeoisie, tant que celle-ci n’aura pas conquis le pouvoir, il est de l’intérêt des communistes d’aider la bourgeoisie a conquérir le plus rapidement possible le pouvoir, pour la renverser ensuite le plus rapidement possible. Par conséquent, les communistes doivent soutenir constamment les libéraux bourgeois contre les gouvernements absolutistes, tout en se gardant bien de partager les illusions des bourgeois et d’ajouter foi à leurs promesses séduisantes sur les conséquences bienheureuses qui résulteront pour le prolétariat de la victoire de la bourgeoisie. Les seuls avantages que la victoire de la bourgeoisie offrira aux communistes consisteront :

1°dans différentes concessions qui faciliteront aux communistes la défense, la discussion et la propagande de leurs idées et, par là, la constitution du prolétariat en une classe fermement unie, prête à la lutte et bien organisée, et

2°dans la certitude qu’à partir du jour où les gouvernements absolutistes seront tombés, la véritable lutte entre la bourgeoisie et le prolétariat commencera. A partir de ce jour là, la politique du parti communiste sera la même que dans tous les pays ou règne déjà la bourgeoisie.

Dans "Le Manifeste du parti communiste" :

"Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.

Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres ; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien.

Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les partis ouvriers : constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat.

Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde.

Elles ne sont que l’expression générale des conditions réelles d’une lutte de classes existante, d’un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux. L’abolition des rapports de propriété qui ont existé jusqu’ici n’est pas le caractère distinctif du communisme.

Le régime de la propriété a subi de continuels changements, de continuelles transformations historiques.

La Révolution française, par exemple, a aboli la propriété féodale au profit de la propriété bourgeoise

Ce qui caractérise le communisme, ce n’est pas l’abolition de la propriété en général, mais l’abolition de la propriété bourgeoise.

Or, la propriété privée d’aujourd’hui, la propriété bourgeoise, est la dernière et la plus parfaite expression du mode production et d’appropriation basé sur des antagonismes de classes, sur l’exploitation des uns par les autres.

En ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule unique : abolition de la propriété privée.

On nous a reproché, à nous autres communistes, de vouloir abolir la propriété personnellement acquise, fruit du travail de l’individu, propriété que l’on déclare être la base de toute liberté, de toute activité, de toute indépendance individuelle.

La propriété personnelle, fruit du travail et du mérite ! Veut-on parler de cette forme de propriété antérieure à la propriété bourgeoise qu’est la propriété du petit bourgeois du petit paysan ? Nous n’avons que faire de l’abolir, le progrès de l’industrie l’a abolie et continue à l’abolir chaque jour.

Ou bien veut-on parler de la propriété privée d’aujourd’hui, de la propriété bourgeoise ?

Mais est-ce que le travail salarié, le travail du prolétaire crée pour lui de la propriété ? Nullement. Il crée le capital, c’est-à-dire la propriété qui exploite le travail salarié, et qui ne peut s’accroître qu’à la condition de produire encore et encore du travail salarié, afin de l’exploiter de nouveau. Dans sa forme présente, la propriété se meut entre ces deux termes antinomiques ; le Capital et le Travail. Examinons les deux termes de cette antinomie.

Etre capitaliste, c’est occuper non seulement une position purement personnelle, mais encore une position sociale dans la production. Le capital est un produit collectif : il ne peut être mis en mouvement que par l’activité en commun de beaucoup d’individu, et même, en dernière analyse, que par l’activité en commun de tous les individus, de toute la société.

Le capital n’est donc pas une puissance personnelle ; c’est une puissance sociale.

Dès lors, si le capital est transformé en propriété commune appartenant à tous les membres de la société, ce n’est pas une propriété personnelle qui se change en propriété commune. Seul le caractère social de la propriété change. Il perd son caractère de classe.

Arrivons au travail salarié.

Le prix moyen du travail salarié, c’est le minimum du salaire, c’est-à-dire la somme des moyens de subsistance nécessaires pour maintenir en vie l’ouvrier en tant qu’ouvrier. Par conséquent, ce que l’ouvrier s’approprie par son labeur est tout juste suffisant pour reproduire sa vie ramenée à sa plus simple expression. Nous ne voulons en aucune façon abolir cette appropriation personnelle des produits du travail, indispensable à la reproduction de la vie du lendemain, cette appropriation ne laissant aucun profit net qui confère un pouvoir sur le travail d’autrui. Ce que nous voulons, c’est supprimer ce triste mode d’appropriation qui fait que l’ouvrier ne vit que pour accroître le capital, et ne vit qu’autant que l’exigent les intérêts de la classe dominante. Dans la société bourgeoise, le travail vivant n’est qu’un moyen d’accroître le travail accumulé. Dans la société communiste le travail accumulé n’est qu’un moyen d’élargir, d’enrichir et d’embellir l’existence des travailleurs.

Dans la société bourgeoise, le passé domine donc le présent ; dans la société communiste c’est le présent qui domine le passé. Dans la société bourgeoise, le capital est indépendant et personnel, tandis que l’individu qui travaille n’a ni indépendance, ni personnalité.

Et c’est l’abolition d’un pareil état de choses que la bourgeoisie flétrit comme l’abolition de l’individualité et de la liberté ! Et avec raison. Car il s’agit effectivement d’abolir l’individualité, l’indépendance, la liberté bourgeoises.

Par liberté, dans les conditions actuelles de la production bourgeoise, on entend la liberté de commerce, la liberté d’acheter et de vendre.

Mais si le trafic disparaît, le libre trafic disparaît aussi. Au reste, tous les grands mots sur la liberté du commerce, de même que toutes les forfanteries libérales de notre bourgeoisie, n’ont un sens que par contraste avec le trafic entravé avec le bourgeois asservi du moyen âge ; ils n’ont aucun sens lorsqu’il s’agit de l’abolition, par le communisme, du trafic, du régime bourgeois de la production et de la bourgeoisie elle-même.

Vous êtes saisis d’horreur parce que nous voulons abolir la propriété privée. Mais, dans votre société, la propriété privée est abolie pour les neuf dixièmes de ses membres. C est précisément parce qu’elle n’existe pas pour ces neuf dixièmes qu’elle existe pour vous. Vous nous reprochez donc de vouloir abolir une forme de propriété qui ne peut exister qu’à la condition que l’immense majorité soit frustrée de toute propriété. En un mot, vous nous accusez de vouloir abolir votre propriété à vous. En vérité, c’est bien ce que nous voulons.

Dès que le travail ne peut plus être converti en capital, en argent, en rente foncière, bref en pouvoir social capable d’être monopolisé, c’est-à-dire dès que la propriété individuelle ne peut plus se transformer en propriété bourgeoise, vous déclarez que l’individu est supprimé.

Vous avouez donc que, lorsque vous parlez de l’individu, vous n’entendez parler que du bourgeois, du propriétaire. Et cet individu-là, certes, doit être supprimé.

Le communisme n’enlève à personne le pouvoir de s’approprier des produits sociaux ; il n’ôte que le pouvoir d’asservir à l’aide de cette appropriation le travail d’autrui.

On a objecté encore qu’avec l’abolition de la propriété privée toute activité cesserait, qu’une paresse générale s’emparerait du monde.

Si cela était, il y a beau temps que la société bourgeoise aurait succombé à la fainéantise, puisque, dans cette société, ceux qui travaillent ne gagnent pas et que ceux qui gagnent ne travaillent pas. Toute l’objection se réduit à cette tautologie qu’il n’y a plus de travail salarié du moment qu’il n’y a plus de capital.

Les accusations portées contre le monde communiste de production et d’appropriation des produits matériels l’ont été également contre la production et l’appropriation des oeuvres de l’esprit. De même que, pour le bourgeois, la disparition de la propriété de classe équivaut à la disparition de toute production, de même la disparition de la culture de classe signifie, pour lui, la disparition de toute culture.

La culture dont il déplore la perte n’est pour l’immense majorité qu’un dressage qui en fait des machines.

Mais inutile de nous chercher querelle, si c’est pour appliquer à l’abolition de la propriété bourgeoise l’étalon de vos notions bourgeoises de liberté, de culture, de droit, etc. Vos idées résultent elles-mêmes du régime bourgeois de production et de propriété, comme votre droit n’est que la volonté de votre classe érigée en loi, volonté dont le contenu est déterminé par les conditions matérielles d’existence de votre classe.

La conception intéressée qui vous fait ériger en lois éternelles de la nature et de la raison vos rapports de production et de propriété - rapports transitoires que le cours de la production fait disparaître - , cette conception, vous la partagez avec toutes les classes dirigeantes aujourd’hui disparues.

Ce que vous admettez pour la propriété antique, ce que vous admettez pour la propriété féodale, vous ne pouvez plus l’admettre pour la propriété bourgeoise.

L’abolition de la famille ! Même les plus radicaux s’indignent de cet infâme dessein des communistes.

Sur quelle base repose la famille bourgeoise d’à présent ? Sur le capital, le profit individuel. La famille, dans sa plénitude, n’existe que pour la bourgeoisie ; mais elle a pour corollaire la suppression forcée de toute famille pour le prolétaire et la prostitution publique.

La famille bourgeoise s’évanouit naturellement avec l’évanouissement de son corollaire, et l’une et l’autre disparaissent avec la disparition du capital.

Nous reprochez-vous de vouloir abolir l’exploitation des enfants par leurs parents ? Ce crime-là, nous l’avouons.

Mais nous brisons, dites-vous, les liens les plus intimes, en substituant à l’éducation par la famille l’éducation par la société.

Et votre éducation à vous, n’est-elle pas, elle aussi, déterminée par la société ? Déterminée par les conditions sociales dans lesquelles vous élevez vos enfants, par l’immixtion directe ou non de la société, par l’école, etc. ? Les communistes n’inventent pas l’action de la société sur l’éducation ; ils en changent seulement le caractère et arrachent l’éducation à l’influence de la classe dominante.

Les déclamations bourgeoises sur la famille et l’éducation, sur les doux liens qui unissent l’enfant à ses parents deviennent de plus en plus écoeurantes, à mesure que la grande industrie détruit tout lien de famille pour le prolétaire et transforme les enfants en simples articles de commerce, en simples instruments de travail.

Mais la bourgeoisie tout entière de s’écrier en choeur : Vous autres, communistes, vous voulez introduire la communauté des femmes !

Pour le bourgeois, sa femme n’est autre chose qu’un instrument de production. Il entend dire que les instruments de production doivent être exploités en commun et il conclut naturellement que les femmes elles-mêmes partageront le sort commun de la socialisation.

Il ne soupçonne pas qu’il s’agit précisément d’arracher la femme à son rôle actuel de simple instrument de production.

Rien de plus grotesque, d’ailleurs, que l’horreur ultra-morale qu’inspire à nos bourgeois la prétendue communauté officielle des femmes que professeraient les communistes. Les communistes n’ont pas besoin d’introduire la communauté des femmes ; elle a presque toujours existé.

Nos bourgeois, non contents d’avoir à leur disposition les femmes et les filles des prolétaires, sans parler de la prostitution officielle, trouvent un plaisir singulier à se cocufier mutuellement.

Le mariage bourgeois est, en réalité, la communauté des femmes mariées. Tout au plus pourrait-on accuser les communistes de vouloir mettre à la place d’une communauté des femmes hypocritement dissimulée une communauté franche et officielle. Il est évident, du reste, qu’avec l’abolition du régime de production actuel, disparaîtra la communauté des femmes qui en découle, c’est-à-dire la prostitution officielle et non officielle.

En outre, on a accusé les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité.

Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu’ils n’ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens bourgeois du mot.

Déjà les démarcations nationales et les antagonismes entre les peuples disparaissent de plus en plus avec le développement de la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l’uniformité de la production industrielle et les conditions d’existence qu’ils entraînent.

Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus encore. Son action commune, dans les pays civilisés tout au moins, est une des premières conditions de son émancipation.

Abolissez l’exploitation de l’homme par l’homme, et vous abolirez l’exploitation d’une nation par une autre nation.

Du jour où tombe l’antagonisme des classes à l’intérieur de la nation, tombe également l’hostilité des nations entre elles.

Quant aux accusations portées d’une façon générale contre le communisme, à des points de vue religieux, philosophiques et idéologiques, elles ne méritent pas un examen approfondi.

Est-il besoin d’une grande perspicacité pour comprendre que les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur conscience, changent avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales leur existence sociale ?

Que démontre l’histoire des idées, si ce n’est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante.

Lorsqu’on parle d’idées qui révolutionnent une société tout entière, on énonce seulement ce fait que, dans le sein de la vieille société, les éléments d’une société nouvelle se sont formés et que la dissolution des vieilles idées marche de pair avec la dissolution des anciennes conditions d’existence.

Quand le monde antique était à son déclin, les vieilles religions furent vaincues par la religion chrétienne. Quand, au XVIIIe siècle, les idées chrétiennes cédèrent la place aux idées de progrès, la société féodale livrait sa dernière bataille à la bourgeoisie, alors révolutionnaire. Les idées de liberté de conscience, de liberté religieuse ne firent que proclamer le règne de la libre concurrence dans le domaine du savoir.

"Sans doute, dira-t-on, les idées religieuses, morales philosophiques, politiques, juridiques, etc., se sont modifiées au cours du développement historique. Mais la religion, la morale, la philosophie, la politique, le droit se maintenaient toujours à travers ces transformations.

"Il y a de plus des vérités éternelles, telles que la liberté, la justice, etc., qui sont communes à tous les régimes sociaux. Or, le communisme abolit les vérités éternelles, il abolit la religion et la morale au lieu d’en renouveler la forme, et cela contredit tout le développement historique antérieur."

A quoi se réduit cette accusation ? L’histoire de toute la société jusqu’à nos jours était faite d’antagonismes de classes, antagonismes qui, selon les époques, ont revêtu des formes différentes.

Mais, quelle qu’ait été la forme revêtue par ces antagonismes, l’exploitation d’une partie de la société par l’autre est un fait commun à tous les siècles passés. Donc, rien d’étonnant si la conscience sociale de tous les siècles, en dépit de toute sa variété et de sa diversité, se meut dans certaines formes communes, formes de conscience qui ne se dissoudront complètement qu’avec l’entière disparition de l’antagonisme des classes.

La révolution communiste est la rupture la plus radicale avec le régime traditionnel de propriété ; rien d’étonnant si, dans le cours de son développement, elle rompt de la façon la plus radicale avec les idées traditionnelles.

Mais laissons là les objections faites par la bourgeoisie au communisme.

Nous avons déjà vu plus haut que la première étape dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie.

Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’Etat, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter au plus vite la quantité des forces productives

Cela ne pourra naturellement se faire, au début, que par une violation despotique du droit de propriété et du régime bourgeois de production, c’est-à-dire par des mesures qui, économiquement, paraissent insuffisantes et insoutenables, mais qui, au cours du mouvement, se dépassent elles-mêmes et sont indispensables comme moyen de bouleverser le mode de production tout entier. "

Dans Adresse au comité central de la Ligue des communistes :

L’attitude du parti ouvrier révolutionnaire vis-à-vis de la démocratie petite-bourgeoise est la suivante : il marche avec elle contre la fraction dont il poursuit la chute ; il la combat sur tous les points dont elle veut se servir pour s’établir elle-même solidement.

Les petits bourgeois démocratiques, bien loin de vouloir bouleverser toute la société au profit des prolétaires révolutionnaires, tendent à modifier l’ordre social de façon à leur rendre la société existante aussi supportable et aussi commode que possible. Ils réclament donc avant tout que l’on réduise les dépenses publiques en limitant la bureaucratie et en reportant les principales impositions sur les grands propriétaires fonciers et les bourgeois. Ils réclament ensuite que la pression exercée par le grand capital sur le petit soit abolie par la création d’établissements de crédit publics et des lois contre l’usure, ce qui leur permettrait, à eux et aux paysans, d’obtenir, à des conditions favorables des avances de l’Etat, au lieu de les obtenir des capitalistes. Ils réclament enfin que, par la suppression complète du système féodal, le régime de propriété bourgeois soit partout introduit à la campagne. Pour réaliser tout cela, il leur faut un mode de gouvernement démocratique, soit constitutionnel ou républicain, qui leur assure la majorité, à eux-mêmes et à leurs alliés, les paysans, et une autonomie administrative, qui mettrait entre leurs mains le contrôle direct de la propriété communale et une série de fonctions actuellement exercées par les bureaucrates.

Quant à la domination et à l’accroissement rapide du capital, on aura soin de faire obstacle, soit en limitant le droit de succession, soit en remettant à 1’Etat autant de travaux que possible. Pour ce qui est des ouvriers, il est avant tout bien établi qu’ils resteront, comme avant, des salariés ; mais ce que les petits bourgeois démocratiques souhaitent aux ouvriers, c’est un meilleur salaire et une existence plus assurée ; ils espèrent y arriver soit au moyen de l’occupation des ouvriers par l’Etat, soit par des actes de bienfaisance ; bref, ils espèrent corrompre les ouvriers par des aumônes plus ou moins déguisées et briser leur force révolutionnaire en leur rendant leur situation momentanément supportable. Les revendications résumées ici ne sont pas défendues en même temps par toutes les fractions de la démocratie petite-bourgeoise, et rares sont ceux pour qui elles apparaissent, dans leur ensemble, comme des buts bien définis.

Plus des individus ou des fractions vont loin, et plus ils feront leur une grande partie de ces revendications ; et les rares personnes qui voient, dans ce qui précède, leur propre programme, se figureraient avoir ainsi établi le maximum de ce qu’on peut réclamer de la révolution. Ces revendications toutefois ne sauraient en aucune manière suffire au parti du prolétariat. Tandis que les petits bourgeois démocratiques veulent terminer la révolution au plus vite et après avoir tout au plus réalisé les revendications ci-dessus, il est de notre intérêt et de notre devoir de rendre la révolution permanente, jusqu’à ce que toutes les classes plus ou moins possédantes aient été écartées du pouvoir, que le prolétariat ait conquis le pouvoir et que non seulement dans un pays, mais dans tous les pays régnants du monde l’association des prolétaires ait fait assez de progrès pour faire cesser dans ces pays la concurrence des prolétaires et concentrer dans leurs mains au moins les forces productives décisives. Il ne peut s’agir pour nous de transformer la propriété privée, mais Seulement de 1’anéantir ; ni de masquer les antagonismes de classes, mais d’abolir les classes ; ni d’améliorer la société existante, mais d’en fonder une nouvelle. Que la démocratie petite-bourgeoise, au fur et à mesure du développement incessant de la révolution, exerce pour un temps une influence prépondérante en Allemagne, ceci ne laisse subsister aucun doute. Il s’agit donc de savoir quelle sera, à son égard, la position du prolétariat et spécialement de la Ligue :

1. pendant que durera la situation actuelle où les démocrates petits-bourgeois sont également opprimés ;
2. dans la prochaine lutte révolutionnaire qui leur donnera la prépondérance ;
3. après cette lutte, aussi longtemps que durera cette prépondérance des démocrates petits-bourgeois sur les classes déchues et sur le prolétariat.

1. En ce moment où les petits bourgeois démocratiques sont partout opprimés, ils prêchent en général au prolétariat l’union et la réconciliation ; ils lui tendent la main et s’efforcent de mettre sur pied un grand parti d’opposition, qui embrasserait toutes les nuances du parti démocratique ; en d’autres termes, ils s’efforcent de prendre les ouvriers au piège d’une organisation de parti où prédomine la phraséologie social-démocrate générale, qui sert de paravent à leurs intérêts particuliers et où, pour ne pas troubler la bonne entente, les revendications particulières du prolétariat ne doivent pas être formulées. Une telle union tournerait au seul avantage des petits bourgeois démocratiques et absolument tout au désavantage du prolétariat. Le prolétariat perdrait toute sa position indépendante, conquise au prix de tant de peines, et retomberait au rang de simple appendice de la démocratie bourgeoise officielle. Cette union doit donc être repoussée de la façon la plus catégorique. Au lieu de se ravaler une fois encore à servir de claque aux démocrates bourgeois, les ouvriers, et surtout la Ligue, doivent travailler à constituer, à côté des démocrates officiels, une organisation distincte, secrète et publique du parti ouvrier, et faire de chaque communauté le centre et le noyau de groupements ouvriers où la position et les intérêts du prolétariat seraient discutés indépendamment des influences bourgeoises. Combien peu les démocrates bourgeois prennent au sérieux une alliance où les prolétaires auraient la même puissance et les mêmes droits qu’eux-mêmes, c’est ce que montrent par exemple les démocrates de Breslau qui, dans leur organe, la Neue Oder-Zeitung [7], attaquent furieusement les ouvriers qu’ils appellent socialistes, groupés en organisations distinctes. S’il s’agit de livrer combat à un adversaire commun, point n’est besoin d’union particulière. Dès qu’il faut combattre directement un tel adversaire, les intérêts des deux partis coïncident momentanément ; et dans l’avenir, comme jusqu’à ce jour, cette alliance prévue simplement pour l’heure s’établira d’elle-même. Il va de soi que, dans les conflits sanglants imminents, ce sont surtout les ouvriers qui devront remporter, comme autrefois, la victoire par leur courage, leur résolution et leur esprit de sacrifice. Comme par le passé, dans cette lutte, les petits bourgeois se montreront en masse, et aussi longtemps que possible, hésitants, indécis et inactifs. Mais, dès que la victoire sera remportée, ils l’accapareront, inviteront les ouvriers à garder le calme, à rentrer chez eux et à se remettre à leur travail ; ils éviteront les prétendus excès et frustreront le prolétariat des fruits de la victoire. Il n’est pas au pouvoir des ouvriers d’empêcher les démocrates petits-bourgeois d’agir ainsi ; mais il est en leur pouvoir de rendre difficile cette montée des démocrates en face du prolétariat en armes, et de leur dicter des conditions telles que la domination des démocrates bourgeois renferme, dès son origine, le germe de sa déchéance et que son éviction ultérieure par la domination du prolétariat s’en trouve singulièrement facilitée. Il importe surtout que les ouvriers, pendant le conflit et immédiatement après le combat, réagissent autant que faire se peut contre l’apaisement préconisé par les bourgeois et forcent les démocrates à mettre à exécution leurs présentes phrases terroristes. Leurs efforts doivent tendre à ce que l’effervescence révolutionnaire directe ne soit pas une nouvelle fois réprimée aussitôt après la victoire. Il faut, au contraire, qu’ils la maintiennent le plus longtemps possible. Bien loin de s’opposer aux prétendus excès, aux exemples de vengeance populaire contre des individus haïs ou des édifices publics auxquels ne se rattachent que des souvenirs odieux, il faut non seulement tolérer ces exemples, mais encore en assumer soi-même la direction. Pendant et après la lutte, les ouvriers doivent en toute occasion formuler leurs propres revendications à côté de celles des démocrates bourgeois. Ils doivent exiger des garanties pour les ouvriers, dès que les bourgeois démocratiques se disposent à prendre le gouvernement en main. Il faut au besoin qu’ils obtiennent ces garanties de haute lutte et s’arrangent en somme pour obliger les nouveaux gouvernants à toutes les concessions et promesses possibles ; c’est le plus sûr moyen de les compromettre. Il faut qu’ils s’efforcent, par tous les moyens et autant que faire se peut, de contenir la jubilation suscitée par le nouvel état de choses et l’état d’ivresse, conséquence de toute victoire remportée dans une bataille de rue, en jugeant avec calme et sang-froid la situation et en affectant à l’égard du nouveau gouvernement une méfiance non déguisée. Il faut qu’à côté des nouveaux gouvernements officiels ils établissent aussitôt leurs propres gouvernements ouvriers révolutionnaires, soit sous forme d’autonomies administratives locales ou de conseils municipaux, soit sous forme de clubs ou comités ouvriers, de façon que les gouvernements démocratiques bourgeois non seulement s’aliènent aussitôt l’appui des ouvriers, mais se voient, dès le début, surveillés et menacés par des autorités qui ont derrière elles toute la masse des ouvriers. En un mot, sitôt la victoire acquise, la méfiance du prolétariat ne doit plus se tourner contre le parti réactionnaire vaincu, mais contre ses anciens alliés, contre le parti qui veut exploiter seul la victoire commune.

2. Mais, pour pouvoir affronter de façon énergique et menaçante ce parti dont la trahison envers les ouvriers commencera dès la première heure de la victoire, il faut que les ouvriers soient armés et bien organisés. Il importe de faire immédiatement le nécessaire pour que tout le prolétariat soit pourvu de fusils, de carabines, de canons et de munitions et il faut s’opposer au rétablissement de l’ancienne garde nationale dirigée contre les ouvriers. Là où ce rétablissement ne peut être empêché, les ouvriers doivent essayer de s’organiser eux-mêmes en garde prolétarienne, avec des chefs de leur choix, leur propre état-major et sous les ordres non pas des autorités publiques, mais des conseils municipaux révolutionnaires formés par les ouvriers. Là où les ouvriers sont occupés au compte de l’Etat, il faut qu’ils soient armés et organisés en uni corps spécial avec des chefs élus ou en un détachement de la garde prolétarienne. Il ne faut, sous aucun prétexte, se dessaisir des armes et munitions, et toute tentative de désarmement doit être repoussée, au besoin, par la force. Annihiler l’influence des démocrates bourgeois sur les ouvriers, procéder immédiatement à l’organisation propre des ouvriers et à leur armement et opposer à la domination, pour le moment inéluctable, de la démocratie bourgeoise les conditions les plus dures et les plus compromettantes : tels sont les points principaux que le prolétariat et par suite la Ligue ne doivent pas perdre de vue pendant et après l’insurrection imminente.

3. Dès que les nouveaux gouvernements se seront quelque peu consolidés, ils engageront immédiatement leur lutte contre les ouvriers. Pour pouvoir alors affronter avec force les petits bourgeois démocratiques, il faut avant tout que les ouvriers soient organisés et centralisés dans leurs propres clubs. Après la chute des gouvernements existants, le Comité central se rendra, dès que possible, en Allemagne, convoquera sans retard un congrès auquel il soumettra les propositions indispensables concernant la centralisation des clubs ouvriers sous une direction établie au siège du mouvement. La rapide organisation, au moins d’une fédération provinciale de clubs ouvriers, est un des points les plus importants pour renforcer et développer le parti ouvrier. La subversion des gouvernements existants aura pour conséquence immédiate l’élection d’une représentation nationale. Ici le prolétariat doit veiller :

I. A ce qu’un nombre important d’ouvriers ne soient sous aucun prétexte écartés du vote par suite d’intriguer des autorités locales ou des commissaires du gouvernement.

II. A ce que partout, à côté des candidats démocratiques bourgeois, soient proposés des candidats ouvriers, choisis autant que possible parmi les membres de la Ligue, et dont il faudra, pour assurer leur élection, utiliser tous les moyens possibles, Même là où il n’y a pas la moindre chance de succès, les ouvriers doivent présenter leurs propres candidats, afin de sauvegarder leur indépendance, de dénombrer leurs forces et de faire connaître publiquement leur position révolutionnaire et les points de vue de leur parti. Ils ne doivent pas en l’occurrence se laisser séduire par la phraséologie des démocrates prétendant, par exemple, que l’on risque de la sorte de diviser le parti démocratique et d’offrir à la réaction la possibilité de la victoire. Toutes ces phrases ne poursuivent finalement qu’un but : mystifier le prolétariat. Les progrès que le parti prolétarien doit réaliser par une telle attitude indépendante sont infiniment plus importants que le préjudice qu’apporterait la présence de quelques réactionnaires dans la représentation populaire. Si, dès le début, la démocratie prend une attitude décidée et terroriste à l’égard de la réaction, l’influence de celle-ci aux élections sera d’avance réduite à néant.

Le premier point sur lequel les démocrates bourgeois entreront en conflit avec les ouvriers portera sur l’abolition du régime féodal. Comme dans la première Révolution française, les petits bourgeois remettront aux paysans les terres féodales à titre de libre propriété ; en d’autres termes, ils voudront laisser subsister le prolétariat rural et former une classe paysanne petite-bourgeoise, qui devra parcourir le même cycle d’appauvrissement et d’endettement croissant, où le paysan français se trouve encore à l’heure actuelle.

Dans l’intérêt du prolétariat rural et dans leur propre intérêt, les ouvriers doivent contrecarrer ce plan. Ils doivent exiger que la propriété féodale confisquée reste propriété de l’Etat et soit transformée en colonies ouvrières que le prolétariat rural groupé en associations exploite avec tous les avantages de la grande culture. Par là, dans le cadre des rapports déséquilibrés de la propriété bourgeoise, le principe de la propriété commune va acquérir aussitôt une base solide. De même que les démocrates font alliance avec les cultivateurs, de même les ouvriers doivent faire alliance avec le prolétariat rural. Ensuite, les démocrates chercheront directement soit à instaurer la république fédérative, soit, s’ils ne peuvent éviter la république une et indivisible, à paralyser au moins le gouvernement central en donnant aux communes [8] et aux provinces le maximum d’indépendance et d’autonomie. A l’opposé de ce plan, les ouvriers doivent non seulement poursuivre l’établissement de la république allemande une et indivisible, mais encore essayer de réaliser, dans cette république, la centralisation la plus absolue de la puissance entre les mains de l’Etat. Ils ne doivent pas se laisser induire en erreur par tout ce que les démocrates leur racontent de la liberté des communes, de l’autonomie administrative, etc. Dans un pays comme l’Allemagne, où il reste encore à faire disparaître de si nombreux vestiges du moyen âge et à briser tant de particularisme local et provincial, on ne saurait en aucune circonstance tolérer que chaque village, chaque ville, chaque province oppose un nouvel obstacle à l’activité révolutionnaire, dont toute la puissance ne peut émaner que du centre. On ne saurait tolérer que se renouvelle l’état de choses actuel qui fait que les Allemands sont obligés, pour un seul et même progrès, de livrer une bataille particulière dans chaque ville, dans chaque province. On ne saurait tolérer surtout qu’une forme de propriété, qui se situe encore derrière la propriété privée moderne avec laquelle, de toute nécessité, elle finit par se confondre, c’est-à-dire la propriété communale avec ses querelles inévitables entre communes riches et communes pauvres, ainsi que le droit du citoyen de l’Etat coexistant avec le droit du citoyen de la commune avec ses chicanes, se perpétue au préjudice des ouvriers, par une réglementation communale soi-disant libre. Comme en France en 1793, la réalisation de la centralisation la plus rigoureuse est aujourd’hui, en Allemagne, la tâche du parti vraiment révolutionnaire [9] .

Nous avons vu comment les démocrates accéderont au pouvoir lors du prochain mouvement et comment ils seront contraints de proposer des mesures plus ou moins socialistes. La question est de savoir quelles mesures y seront opposées par les ouvriers. Il va de soi qu’au début du mouvement les ouvriers ne peuvent encore proposer des mesures directement communistes. Mais ils peuvent :

1. Forcer les démocrates à intervenir, sur autant de points que possible, dans l’organisation sociale existante, à en troubler la marche régulière, à se compromettre eux-mêmes, à concentrer entre les mains de l’Etat le plus possible de forces productives, de moyens de transport, d’usines, de chemins de fer, etc.

2. Ils doivent pousser à l’extrême les propositions des démocrates qui, en tout cas, ne se montreront pas révolutionnaires, mais simplement réformistes, et transformer ces propositions en attaques directes contre la propriété privée. Si, par exemple, les petits bourgeois proposent de racheter les chemins de fer et les usines, les ouvriers doivent exiger que ces chemins de fer et ces usines soient simplement et sans indemnité confisqués par l’Etat en tant que propriété de réactionnaires. Si les démocrates proposent l’impôt proportionnel, les ouvriers réclament l’impôt progressif. Si les démocrates proposent eux-mêmes un impôt progressif modéré, les ouvriers exigent un impôt dont les échelons montent assez vite pour que le gros capital s’en trouve compromis. Si les démocrates réclament la régularisation de la dette publique, les ouvriers réclament la faillite de l’Etat. Les revendications des ouvriers devront donc se régler partout sur les concessions et les mesures des démocrates.

Si les ouvriers allemands ne peuvent s’empaler du pouvoir et faire triompher leurs intérêts de classe sans accomplir en entier une évolution révolutionnaire assez longue, ils ont cette fois du moins la certitude que le premier acte de ce drame révolutionnaire imminent coïncide avec la victoire directe de leur propre classe en France et s’en trouve accéléré.

Mais ils contribueront eux-mêmes à leur victoire définitive bien plus par le fait qu’ils prendront conscience de leurs intérêts de classe, se poseront dès que possible en parti indépendant et ne se laisseront pas un instant détourner—par les phrases hypocrites des petits bourgeois démocratiques—de l’organisation autonome du parti du prolétariat. Leur cri de guerre doit être : La révolution en permanence !

Messages

  • Jusqu’ici, toute conception historique a, ou bien laissé complètement de côté cette base réelle de l’histoire, ou l’a considérée comme une chose accessoire, n’ayant aucun lien avec la marche de l’histoire. De ce fait, l’histoire doit toujours être écrite d’après une norme située en dehors d’elle. La production réelle de la vie apparaît à l’origine de l’histoire, tandis que ce qui est proprement historique apparaît comme séparé de la vie ordinaire, comme extra et supra-terrestre. Les rapports entre les hommes et la nature sont de ce fait exclus de l’histoire, ce qui engendre l’opposition entre la nature et l’histoire. Par conséquent, cette conception n’a pu voir dans l’histoire que les grands événements historiques et politiques, des luttes religieuses et somme toute théoriques, et elle a dû, en particulier, partager pour chaque époque historique l’illusion de cette époque.

  • Le communisme n’enlève à personne le pouvoir de s’approprier des produits sociaux ; il n’ôte que le pouvoir d’asservir à l’aide de cette appropriation le travail d’autrui.

    On a objecté encore qu’avec l’abolition de la propriété privée toute activité cesserait, qu’une paresse générale s’emparerait du monde.

    Si cela était, il y a beau temps que la société bourgeoise aurait succombé à la fainéantise, puisque, dans cette société, ceux qui travaillent ne gagnent pas et que ceux qui gagnent ne travaillent pas. Toute l’objection se réduit à cette tautologie qu’il n’y a plus de travail salarié du moment qu’il n’y a plus de capital

  • Le Manifeste communiste :

    "L’ancienne société bourgeoise avec ses classes et ses antagonismes de classes fait place à une association où le libre développement de chacun est la condition du libre épanouissement de chacun."

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