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Débat avec la LIT sur la conception de la révolution prolétarienne

mercredi 29 décembre 2010, par Robert Paris

Plusieurs points nous semblent nécessiter un débat avec la LIT :

1°) l’importance surévaluée du parti relativement à l’auto-organisation, alors que ces deux questions ne devraient pas être opposées

2°) l’opposition à notre avis exagérée entre des "révolutions de février" et des "révolutions d’octobre" et entre l’action spontanée et celle dirigée par le parti

3°) l’appréciation des journées révolutionnaires dans certains pays qualifiées à tort à notre avis de "révolutions de février".

Pour nous, il n’y a pas de véritable révolution prolétarienne sans de véritables organes révolutionnaires que sont les conseils ouvriers. Par contre, il existe bien des révolutions prolétariennes sans un seul parti ouvrier révolutionnaire et la plus remarquable est certainement la révolution espagnole.

Sur la première question, voici un texte de Moreno où ce dernier revient sur l’importance des soviets en s’opposant à Mandel :

"Les soviets : un "principe" organisationnel ?

L’insistante surestimation, par le SU, des formes organisationnelles soviétiques, laissant pratiquement de côté le rôle fondamental du parti révolutionnaire et de la mobilisation des masses, est un phénomène qui a été prévu par le marxisme. La Révolution Russe comme la révolution allemande amenèrent nos maîtres à réfléchir longuement sur cette déviation, qu’ils appelèrent "fétichisme organisationnel" (parlant spécifiquement du fétichisme soviétique), et dont ils nous avertirent des dangers.

Dans les Leçons d’octobre, Trotsky écrit : "Mais les jeunes partis européens qui ont plus ou moins accepté les soviets comme "doctrine", comme "principe", sont toujours exposés au danger d’une conception fétichiste des soviets considérés en tant que facteurs autonomes de la révolution. En effet, malgré l’immense avantage que présentent les soviets comme organisme de lutte pour le pouvoir, il est parfaitement possible que l’insurrection se développe sur la base d’autres formes d’organisation (comités d’usine, syndicats) et que les soviets ne surgissent comme organe du pouvoir qu’au moment de l’insurrection ou même après sa victoire.

Très instructive à ce point de vue, est la lutte que Lénine engagea après les journées de juillet contre le fétichisme soviétique. Les soviets socialistes-révolutionnaires et menchéviks étant devenus en juillet des organisations poussant ouvertement les soldats à l’offensive et persécutant les bolchéviks, le mouvement révolutionnaire des masses ouvrières pouvait et devait chercher d’autres voies. Lénine indiquait les comités d’usine comme organisation de la lutte pour le pouvoir." (1924) [1].

Mandel dit qu’il est possible que les partis opportunistes s’intègrent aux soviets, et en ce sens, ses critiques envers l’ultra-gauche, qui affirme le contraire, sont correctes. Nous pensons également que justement parce qu’ils sont opportunistes, il est possible qu’ils tentent de s’intégrer à ces organisations, dès qu’ils auront vérifié qu’elles auront acquis un caractère de masse. Mais Mandel s’arrête à mi-chemin. Que feront les opportunistes dans le soviet ? Ils y iront évidemment pour tenter de les transformer, afin de les rendre opportunistes et contre-révolutionnaires. Il n’y a pas d’autre possibilité. Et Mandel ne peut continuer, parce que pour empêcher cela, il devrait transformer ses soviets en soviets révolutionnaires, qui cesseraient alors de rassembler toute la population.

C’est pourquoi nous répétons, avec Trotsky, qu’il "est nécessaire" d’éviter de tomber dans le "fétichisme d’organisation", que nous ne devons pas transformer les soviets en un "principe", et que "la pure reconnaissance du système soviétique ne résout rien", parce que "la forme soviétique d’organisation ne possède pas de pouvoirs miraculeux".

Nous sommes pour les soviets, mais pour les transformer en soviets révolutionnaires. C’est ce que Lénine et Trotsky voulurent dire quand ils affirmèrent la nécessité de prendre une attitude indépendante vis à vis des soviets dirigés par les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, pour prendre le pouvoir et les attaquer sans merci, parce qu’ils avaient commencé à se comporter comme une courroie de transmission de la politique contre-révolutionnaire de Kérensky.

Nous luttons pour que les organisations de masse (quelles qu’elles soient) soient révolutionnaires. Nous ne tombons ni dans la politique ultragauchiste - les ignorer si nous ne sommes pas d’accord avec elles -, ni dans la politique opportuniste - les suivre quoi qu’il arrive. Nous ne faisons un fétiche d’aucune d’elles, et nous nous rappelons que les soviets, de même que les syndicats, peuvent être dirigés aujourd’hui par les opportunistes, et demain par les contre-révolutionnaires. Les prédictions de Trotsky pour l’Autriche, dans le futur, peuvent être valables pour un autre pays : "... il existe la possibilité, non seulement que le mot d’ordre des soviets puisse ne pas coïncider avec la dictature du prolétariat, mais y compris qu’ils s’opposent, c’est-à-dire que les soviets en viennent à se transformer en un bastion contre la dictature du prolétariat." (Trotsky, 1929) [2]. Par ces paroles, Trotsky lance aussi un avertissement pour après la prise du pouvoir. (...)

La majorité du SU attribue à ses soviets et à sa dictature du prolétariat - non aux véritables soviets et à la véritable dictature - les caractéristiques hyper-démocratiques de la Commune de Paris. Cependant, il est extrêmement étrange que des auteurs qui connaissent tellement bien Trotsky n’aient pas signalé, ne serait-ce que pour la critiquer, la révision qu’il fit de l’analyse classique de Lénine sur la Commune de Paris. Cette absence est d’autant plus notable qu’ils donnent comme caractéristiques essentielles de la dictature du prolétariat la codification des réalisations de la Commune de Paris, et ce que Lénine écrivit plus tard à ce sujet dans L’Etat et la révolution - sans signaler que Trotsky modifia cette interprétation de la Commune -, pour souligner depuis lors comme caractéristiques essentielles ses traits dictatoriaux et de lutte, et non ses traits démocratiques populaires. Et il signala que son plus grave défaut était l’absence d’un parti révolutionnaire discipliné qui eût dirigé son processus.

Cette modification commença à prendre forme au début des années vingt. Dans la résolution qu’il écrivit pour le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, il commençait cette révision : "La page la plus glorieuse dans l’histoire du prolétariat français - la Commune de Paris - ne fut rien d’autre qu’un bloc entre toutes les organisations et nuances de la classe ouvrière française, unies contre la bourgeoisie. Si malgré la constitution du front unique la Commune fut rapidement écrasée, l’explication en est surtout le fait que le front unique n’eut pas à son flanc gauche une organisation authentiquement révolutionnaire, disciplinée et résolue, capable de gagner rapidement la direction, dans le feu même des évènements." (Trotsky, 1922) [14].

Trotsky ne prend pour élément essentiel de la Commune ni le système de vote, ni la révocabilité, ni le salaire moyen, mais l’unité d’action des partis ouvriers qui prirent le gouvernement ; et il considère comme sa principale carence l’absence d’une "organisation authentiquement révolutionnaire, disciplinée et résolue", afin de la diriger. Et à la même époque, également au nom du CEI de l’Internationale Communiste dans une lettre à la Fédération de la Seine du PC français, il disait que "la raison la plus importante de la défaite de la Commune fut les principes fédéralistes petit-bourgeois et démocratiques, l’absence d’une main forte qui aurait guidé, unifié, discipliné et centralisé la révolution (idem) [15]. Ces citations pourraient ne pas avoir d’importance si Trotsky, au fil des ans, n’avait pas réfléchi sur cette question et n’en était pas venu à faire une révision complète de la conception classique de la Commune.

Dans les années trente, polémiquant contre la tendance des trotskystes français qui éditait le journal La Commune, il nia pour la première fois la Commune en tant que dictature du prolétariat, et la définit comme une institution bourgeoise. Contre la conception qui était acceptée, et selon laquelle l’élément extraordinaire, véritablement révolutionnaire, pendant la Commune, était son fonctionnement démocratique : le système de vote, la révocabilité, le salaire ouvrier pour les fonctionnaires, contre tout ce qui avait été écrit et que Kautsky avait revendiqué (bien que Lénine eût signalé que le suffrage universel n’existait que pour ceux qui restaient à Paris, c’est à dire pour les travailleurs), Trotsky signale que la dictature du prolétariat résidait dans une autre organisation, dans la Garde Nationale, dans l’organisme de lutte. Contre le fétichisme ultra-démocratique, il dit que ce n’était pas là l’élément fondamental pour définir la dictature du prolétariat et les véritables soviets. La dictature ouvrière fut l’organisation de ceux qui luttaient, et non de tous les travailleurs de Paris. La Commune, l’organisation de tous les travailleurs, avec ses mécanismes hyper-démocratiques fut une organisation bourgeoise, et non la dictature révolutionnaire du prolétariat. Au contraire, l’organisation de ceux qui luttaient, était bien un soviet et une dictature du prolétariat. Nous acceptons pleinement cette conception de Trotsky, révisionniste et révolutionnaire de la Commune de Paris ; mais nous ne voulons tromper personne, et nous disons qu’il s’agit d’une révision de l’analyse léniniste traditionnelle. Bien que ce soit un peu long, citons ces paragraphes apparemment inconnus pour les auteurs de la résolution : "Quand nous disons "Vive la Commune", nous nous référons à l’héroïque insurrection, non à l’institution de la Commune, à savoir la municipalité démocratique. Même son élection fut une stupidité (voir Marx), et cette stupidité ne fut rendue possible qu’après (souligné dans l’original) la conquête du pouvoir par le Comité Central de la Garde Nationale, qui était le "comité d’action" ou le soviet de ce moment." (Trotsky 1935) [16]. "Dans le même paragraphe, vous dites, entre parenthèses : "Commune de Paris, soviets...". Dans toute une série de lettres j’ai insisté sur le fait qu’il est inadmissible, quand on parle des formes organisationnelles de gouvernement, d’identifier la Commune et les soviets. La Commune fut la municipalité démocratique. Il est donc nécessaire de choisir entre la Commune et les soviets. Les révolutionnaires de 1871 voulurent combiner (souligné dans l’original) leur "soviet" d’hier (le Comité Central de la Garde Nationale) et la Commune (la municipalité démocratique). Ils ne firent de cette combinaison qu’une bigarrure. En 1917 à Pétrograd, après la conquête du pouvoir, nous eûmes le soviet et la municipalité démocratique. Malgré le fait que les bolchéviks dominaient la commune de manière absolue, nous l’avons dissoute en faveur du soviet. C’est La Commune qui parle d’un gouvernement basé sur des communes locales. Cette formulation d’un fédéralisme démocratique est plus en accord avec les bakouniniens et les proudhoniens. Elle n’a rien en commun avec la dictature du prolétariat et les soviets en tant que son instrument." (Trotsky, 1936) [17].

Les soviets du SU sont les communes municipales petites-bourgeoises des proudhoniens, et non les soviets pour lesquels luttent les véritables trotskystes. "

Sur la question du parti, Moreno écrit :

"Parti Unique ou pluripartisme soviétique ? Encore une fois sur le rôle du parti révolutionnaire.

Dans le chapitre IV, nous avons insisté longuement sur le rôle du parti révolutionnaire dans la lutte pour le pouvoir et la dictature du prolétariat. Mais nous l’avons fait en prenant pour base la question de savoir quelle est l’institution fondamentale dans ce processus, le soviet ou le parti. Il nous faut maintenant insister sur un point fondamental, en rapport à un autre des sujets-clés du document du SU : parti unique ou pluripartisme ?

La majorité du SU défend avant tout le "pluripartisme soviétique". Mais ce "pluripartisme soviétique" ne signifie pas dans sa bouche la légalité pour les partis autorisés par le soviet révolutionnaire, mais la légalité pour tous les partis politiques existant dans le pays, y compris les partis contre-révolutionnaires. Dans ce sens la majorité est explicite : "... des conseils de travailleurs réellement représentatifs et démocratiquement élus ne peuvent exister que si les masses ont le droit d’y élire tous ceux qu’elles choisissent, sans distinctions et sans précondition restrictive quant aux convictions idéologiques et politiques des délégués élus". Et elle continue : "De même, les conseils de travailleurs ne peuvent fonctionner démocratiquement que si tous les délégués élus" indépendemment de leurs "convictions idéologiques et politiques", "jouissent du droit de pouvoir constituer des groupes, des tendances ou des partis, s’ils ont accès aux moyens de diffusion massive..." Et s’il nous reste quelque doute, ils nous disent un peu plus loin que la "démocratie ouvrière" n’est possible que dans la mesure où existe"... le droit des masses d’élire tous ceux qu’elles choisissent et la liberté d’organisation politique pour ceux qui ont été élus (y compris des gens avec des idéologies ou un programme bourgeois ou petit-bourgeois)." (SU, 1977) [8][*].

Nous nous trouvons ici, une fois de plus, confrontés au piège d’une analyse et d’un programme individualistes, démocratiques-bourgeois, sous un déguisement marxiste. Le SU est pour la "liberté politique illimitée" de tous les partis. Au lieu de le dire clairement, et ainsi son argumentation serait-elle digne de Lincoln ou Bernstein, il se cache derrière des "délégués élus". Ce ne sont pas les soviets, la classe ouvrière en tant que classe qui décident, mais des individus, les délégués, tout à fait indépendamment de ce que la classe et le soviet décident démocratiquement, à leur majorité. Cela signifie, si nous l’appliquons actuellement à l’Iran, que dans les soviets, le parti du Shah serait entièrement légal, puisqu’il existe pas de pays où il n’y ait pas au minimum un délégué élu, partisan de la contre-révolution. Il y eut en Russie des organisations syndicales de masse qui décidèrent démocratiquement de lutter aux côtés des armées blanches, contre l’Armée Rouge.

Le soviet est un front unique de masse pour l’action révolutionnaire, et seuls les partis politiques en accord avec ce front unique peuvent en faire partie. Il peut y avoir des ouvriers et des délégués avec des positions confuses, qui continuent à soutenir des partis contre-révolutionnaires. Mais en tant que partis, seuls ceux qui sont en accord avec le front unique révolutionnaire qu’est le soviet peuvent y être présents. Il se passe exactement la même chose dans les syndicats : il ne peut y être présent que les partis et adhérents qui reconnaissent la nécessité de se défendre de l’exploitation capitaliste sur le terrain économique. En général et historiquement, le trotskysme se prononce pour le pluripartisme soviétique, mais seulement s’il est compris comme le droit, de la part du soviet, de décider quels partis il lui faut reconnaître.

C’est le contraire de ce qu’affirme la résolution du SU. Le pluripartisme soviétique n’est pas une norme absolue, mais relative. C’est pourquoi, dialectiquement, le pluripartisme soviétique peut se transformer, dans certaines circonstances, en son contraire, le parti unique soviétique.

Comme ce sont les soviets révolutionnaires qui décident à chaque instant quels sont les partis légaux, cela peut mener dans certaines circonstances au fait qu’un seul parti ou seulement deux ou trois, le soient. Et pour en décider, il faut prendre en compte l’appréciation concrète permettant de savoir quels partis sont révolutionnaires et lesquels sont contre-révolutionnaires. Par principe, nous ne sommes pas obligés de légaliser les partis contre-révolutionnaires mais bien les partis révolutionnaires. C’est là le véritable concept trotskyste. Lénine signalait clairement, à un moment de la Révolution Russe, que "lorsqu’on nous reproche la dictature d’un seul parti et qu’on propose, comme vous l’avez entendu, un front unique socialiste, nous disons : Dictature d’un seul parti, oui ! Telle est notre position et nous ne pouvons quitter ce terrain..." (Lénine, 1919 ) [9].

C’est là un exemple de plus du fait qu’il n’y a pas, pour les trotskystes, de normes figées. Nous sommes tout à fait opposés à la norme stalinienne qui soutient que toujours, sous la dictature du prolétariat, c’est seulement le parti qui exerce la dictature qui est légal ; mais nous sommes aussi opposés au principe eurotrotskyste selon lequel toujours, sans exception, il doit y avoir pluripartisme.

Nous disons que tout dépend du processus de la lutte de classes et des besoins de la dictature révolutionnaire, du type de rapports qui s’établissent entre les partis dans les premières années de la révolution. Nous ne pouvons pas dire quelles seront les normes qui, dans cette première étape, réglementeront les rapports entre les partis opportunistes bureaucratiques et les partis révolutionnaires du mouvement ouvrier, parce que cela dépendra de rapports qui s’imposeront par la force, et non pas par des mécanismes constitutionnels, entre les deux principaux secteurs du mouvement ouvrier et leurs superstructures politiques. S’il y a mobilisation permanente des travailleurs, les partis révolutionnaires seront prédominants, et il y aura même de nouveaux partis révolutionnaires qui apparaîtront. S’il y a passivité et calme, ce seront les secteurs bureaucratiques, l’aristocratie ouvrière. Et de cette loi générale découleront les différents types de rapports possibles entre la dictature du prolétariat et les partis ouvriers. C’est pourquoi nous insistons sur le fait que ce qui est fondamental n’est pas parti unique ou pluripartisme. Aucune norme ne peut se substituer au processus vivant de la mobilisation permanente et au rôle que joue dans son cadre le parti révolutionnaire, les deux facteurs absents en permanence des thèses du SU. Dire les choses dans les termes où le fait la résolution est mettre la charrue avant les boeufs. Que le soviet soit ou non pluripartiste dépendra en dernière instance du degré de mobilisation des travailleurs et de l’existence ou non d’un parti révolutionnaire à même de donner un caractère permanent à cette mobilisation ; mais ce ne peut jamais être l’inverse.

Si la situation n’est pas critique, et la force de la contre-révolution peu importante, si les partis aristocratiques et bureaucratiques acceptent à contre-coeur le cours révolutionnaire du prolétariat, il est possible qu’ils soient tout à fait légaux ou jouissent d’une certaine marge de légalité. Mais, si ce n’est pas le cas, si la contre-révolution est encore très puissante, il est possible qu’il soit nécessaire de les illégaliser, d’une manière relative ou totale. La même chose peut survenir pour des partis opportunistes qui parviendraient à dominer le pouvoir ouvrier et, se sentant sûrs d’eux, dans une situation de stabilité relative, accorderaient une certaine légalité au parti révolutionnaire. Nous ne perdons pas de vue cette possibilité, dans une étape déterminée du processus révolutionnaire, bien que nous pensions que la tendance certaine de la bureaucratie - que ce soit dans un syndicat, dans un parti ou dans un état ouvrier - soit la domination bureaucratique totale, et par conséquent le parti unique.

Tout changera au fur et à mesure du développement de la révolution socialiste mondiale. Il est possible que l’affaiblissement des partis opportunistes provoque l’apparition de grandes fractions ou partis révolutionnaires qui seront inconditionnellement en faveur de la révolution mais refléteront différents secteurs politiques du mouvement ouvrier. Evidemment, ces partis devraient être complètement légaux. (...)

Pour les camarades qui ont rédigé le document en question, pluripartisme est synonymie de démocratie, et parti unique de bureaucratie. Ce raisonnement infantile est une nouvelle manifestation de la capitulation de la majorité du SU face au raisonnement libéral bourgeois. Et c’est au fond directement le résultat de la manière idéaliste et institutionnaliste dont ils confrontent leurs soviets au parlement bourgeois, sans tenir compte du processus de la lutte de classes. Nous sommes opposés à ce mécanisme simpliste que défendent les camarades : un seul parti égale domination bureaucratique ; plusieurs partis égale règne de la démocratie la plus absolue. Nous pensons que le contraire peut se produire. Il peut y avoir, à un moment précis de la dictature révolutionnaire du prolétariat, un contrôle révolutionnaire de la part d’un seul parti, qui permette un développement de la démocratie directe et révolutionnaire plus important que ne le permettrait un régime pluraliste. Le caractère bureaucratique ou révolutionnaire de la dictature ouvrière dépendra fondamentalement, non pas du nombre de partis dans le soviet, mais de la mobilisation des masses, selon qu’elle est freinée ou se poursuit dans une dynamique permanente, et du parti qui la dirige. Pour cette raison éviter à tout moment la bureaucratisation du parti révolutionnaire est une tâche d’une importance vitale.

La lutte contre la cristallisation de ses cadres dans les postes dirigeants du parti, et plus tard dans ceux des nouvelles institutions que se donnera l’état ouvrier, est donc une exigence si nous voulons que le principal objectif du parti demeure à tout moment la mobilisation permanente des travailleurs. C’est pourquoi il sera nécessaire que le parti révolutionnaire soit toujours plus ouvrier, un véritable parti de masse au sein duquel la classe ouvrière industrielle pèse de manière spécifique, non seulement sur son organisation, mais aussi sur sa direction.

Nous savons que dans le processus de la construction du parti, les intellectuels, les fonctionnaires, les ouvriers privilégiés peuvent, surtout au début, jouer un rôle d’une très grande importance. Mais si le parti ne se prolétarise pas, si l’immense majorité de ses militants n’est pas formée par des ouvriers actifs, si sa direction n’est pas entre les mains des éléments les plus capables de la classe, il lui sera difficile de postuler avec succès à la direction du processus révolutionnaire qui doit mener les travailleurs au pouvoir, et il lui sera encore plus difficile de diriger de manière révolutionnaire la dictature du prolétariat. Tous ceux qui occupent des postes de direction sans provenir de la classe ouvrière et sans avoir été mis à l’épreuve en dirigeant ses luttes, devront se retirer de ces postes et laisser la place afin que ce soient les ouvriers industriels qui prennent la direction du parti et dominent par leur nombre et par leur orientation. Parce que ce sont les plus organisés, les plus concentrés, les plus riches en expérience de lutte, et sur lesquels retomberont les plus grandes responsabilités des grandes transformations économiques dans le nouvel état. Malgré cela, ce ne sera pas suffisant.

Après avoir pris le pouvoir, le parti révolutionnaire sera confronté à la nécessité de disposer de plusieurs dizaines de ses cadres dirigeants - ceux de confiance et ayant le plus de capacités - pour les postes clés du gouvernement, connue ce fut le cas pour le parti bolchévik pendant la révolution russe. Ceci comporte un danger, peut-être le plus grave une fois établie la dictature révolutionnaire du prolétariat. La solution à ce problème demeure un défi pour les partis trotskystes qui dirigeront les futurs processus révolutionnaires, comme le montre la bureaucratisation du plus grand parti de l’histoire, celui de Lénine et de Trotsky. Pourtant, de même que Lénine et Trotsky n’ont pas pu l’éviter, le parti révolutionnaire ne pourra éluder la responsabilité d’assumer les fonctions qu’exige le nouvel état ouvrier, sauf en trahissant la révolution elle-même. Le parti devra prendre la direction du processus révolutionnaire au niveau de l’appareil d’état comme des centres-mêmes de la production, par l’intermédiaire des organisations que se donneront les masses travailleuses pour exercer le pouvoir. Cela ne sera possible que dans la mesure où ses cadres resteront des ouvriers, liés au reste des travailleurs. Il leur faudra donc combiner en permanence leurs tâches de gouvernement, et le travail productif direct dont ils tireront notamment leur propre subsistance, en évitant dans la mesure du possible que leurs fonctions au sein de l’état soient rémunérées. La proportion dans laquelle leur activité dans la production se combinera avec leurs tâches dans l’institutions dépendra à chaque instant des circonstances concrètes ; cependant nous pouvons dire que cela sera facilité historiquement par la réduction de la journée de travail, qui permettra de disposer de plus de temps libre. Et ce sera précisément cette combinaison de tâches qui maintiendra le parti à l’écoute des masses travailleuses, sans jamais ignorer leurs véritables besoins, s’enrichissant constamment de leurs expériences et de leur mobilisation permanente.

Ainsi le parti révolutionnaire lui-même commencera à préparer sa disparition, "comme corollaire de la disparition des antagonismes de classe, de la politique, de toutes les formes de bureaucratisme, et fondamentalement, de la réduction des mesures coercitives dans les relations sociales". Ses militants s’incorporeront toujours plus aux tâches de production, où ils exerceront directement leur pouvoir comme n’importe quel autre producteur socialiste, jusqu’à se dissoudre complètement dans la société communiste, et où ils ne se distingueront des autres hommes et femmes que par leurs qualités qu’ils développeront librement. (...)

Ie rôle de la IV° Internationale.

La résolution n’analyse pas et ne définit pas le rôle fondamental que doit jouer la IV° Internationale dans l’établissement de la dictature révolutionnaire du prolétariat et le développement des soviets. Elle ne tient pas compte non plus du rapport des partis opportunistes à ces mêmes phénomènes.

Il ne s’agit pas d’exclure, de manière sectaire, toute possibilité que les partis opportunistes, à certains moments, admettent les soviets et se plient à leurs décisions pour tenter de les dévier de leur dynamique s’opposant au pouvoir étatique bourgeois. Mais le fait frappant que démontrent les soixante dernières années de l’histoire contemporaine, est qu’en général les partis opportunistes se refusent à développer des formes soviétiques, ou toutes autres formes larges d’organisation du mouvement de masse. Parce qu’ils ont tiré la leçon des formes organisationnelles soviétiques russes et allemandes de la première après-guerre, qui par leur caractère-même facilitent le processus révolutionnaire.

Ceci a des implications d’une très grande importance pour la IV° Internationale. Notre parti mondial est le seul à avoir pour objectif programmatique fondamental le développement de ces organisations pour impulser la révolution socialiste. C’est à dire qu’il n’y a dans aucun pays du monde de possibilité que ces formes soviétiques se développent jusqu’à la destruction de l’appareil étatique bourgeois, si ne se développe pas parallèlement, et dans un processus de fécondation mutuelle, un parti trotskiste révolutionnaire de masse. "Tant que les conseils ne peuvent surgir qu’à la condition qu’il existe parmi les larges masses un ferment révolutionnaire, l’Internationale est toujours nécessaire." (Trotsky, 1935) [12].

C’est à dire qu’entre les soviets en tant que soviets révolutionnaires et le parti trotskyste, il doit s’établir un lien, un rapport dialectique très étroit. Seul le développement de forts partis trotskystes de masse peut garantir l’apparition et le développement à une échelle de masse, de soviets qui se poseront le problème de la révolution ouvrière.

Mais ce rôle fondamental de la IV° Internationale a deux autres aspects, autant sinon plus importants. Le premier est la lutte contre les courants ultra-gauchistes qui font des soviets un fétiche. Le deuxième, décisif, est la lutte implacable contre les partis opportunistes afin de développer les soviets, et d’en gagner la direction, comme de toute autre organisation de masse. Cela signifie que la IV° Internationale, sans laisser tomber la lutte pour les soviets, comprend que le processus historique, en ayant consolidé les grands partis opportunistes, rend plus difficile la concrétisation des perspectives futures d’apparition de grandes organisations soviétiques "typiques". Même si cela se produit, il est très difficile que cela acquière une dynamique rapide vers la révolution ouvrière. Le plus probable est que, sous l’influence des partis opportunistes, ces perspectives stagnent puis disparaissent, comme le signale correctement le SU.

La conséquence en est que la IV ° Internationale doit lutter contre les courants ultra-gauchistes, découvrant dans la réalité de la lutte de classes les organisations bien plus embryonnaires, primaires et traditionnelles que les soviets, que se donne le mouvement ouvrier ; ces organisations, en fonction de ces circonstances, peuvent jouer un rôle d’organisations mobilisatrices révolutionnaires du prolétariat et des travailleurs dans la lutte pour le pouvoir. En ce sens, nous considérons que les organisations syndicales, les comités d’usine et les piquets ou comités d’auto-défense des travailleurs, surtout les organisations de front unique, peuvent jouer un rôle très important dans l’affrontement à la contre-révolution impérialiste, avant la prise du pouvoir. Nous voulons dire par là que la IV° Internationale doit s’efforcer de découvrir et reconnaître ce type d’organisations, comme les milices années de la Centrale Ouvrière Bolivienne en 1952, l’Assemblée Populaire en 1971, ou les syndicats péronistes en 1956-57, ou comme auraient pu l’être les Commissions Ouvrières en Espagne. Il serait criminel qu’à cause du fétichisme soviétique du SU, la IV° Internationale, au lieu d’impulser ces organisations que nous livre la réalité de la lutte de classes, en fonction de la tradition de chaque pays et de l’influence funeste des partis opportunistes de masse, essaie de remplacer ces organisations par des soviets irréels. Il est tout à fait possible que dans de nombreux pays des organisations soviétiques ne se développent qu’après la prise du pouvoir par le parti révolutionnaire ; et comme nous l’avons démontré, même ces organisations soviétiques sont soumises au flux et reflux du processus révolutionnaire après la prise du pouvoir.

Nous faisons toutes ces considérations pour aboutir à la conclusion la plus importante de nos thèses : la forme organisationnelle par laquelle s’exprime la dictature du prolétariat a une importance énorme, mais n’est pas décisive. Ce qui est décisif c’est que dans aucun pays au monde il n’y aura de dictature révolutionnaire du prolétariat, si elle n’est pas dirigée par un parti trotskyste ou trotskysant. C’est à dire que la dictature révolutionnaire du prolétariat dans les prochaines décades sera synonyme, non pas d’organisations soviétiques, mais de dictatures révolutionnaires de partis trotskystes ou trotskysants."
A propos du point de vue de la LIT sur les "révolutions de février" qui nous semble exagérer le caractère spontané pour mieux souligner le rôle du parti en octobre (mais en octobre aussi, cela nous parait tirer sur la réalité car la spontanéité révolutionnaire des masses y est aussi), nous souhaitons rappeler ce qu’écrivait Léon Trotsky dans "La révolution russe" :

Tougan-Baranovsky a raison de dire que la Révolution de Février fut l’œuvre des ouvriers et des paysans, ces derniers représentés par les soldats. Subsiste cependant une grosse question : qui donc a mené l’insurrection ? Qui a mis sur pied les ouvriers ? Qui a entraîné dans la rue les soldats ? Après la victoire, ces questions devinrent un objet de lutte des partis. La solution la plus simple consistait en cette formule universelle : personne n’a conduit la révolution, elle s’est faite toute seule. La théorie des " forces élémentaires " était mieux que toute autre à la convenance non seulement de tous les messieurs qui, la veille encore, avaient quiètement administré, jugé, accusé, plaidé, commercé ou commandé, et qui se hâtaient, maintenant, de se rallier à la révolution ; mais elle convenait à de nombreux politiciens professionnels et à d’ex-révolutionnaires qui, ayant dormi pendant la révolution ; désiraient croire que, dans cette affaire, ils ne s’étaient pas conduits autrement que tous les autres.

Dans sa curieuse Histoire des Troubles en Russie, le général Dénikine, ancien généralissime de l’armée blanche, dit du 27 février : " En ce jour décisif, il n’y eut pas de meneurs ; il n’y eut que des éléments déchaînés. Dans leur cours impétueux, l’on ne pouvait discerner ni but, ni plan, ni mots d’ordre. " Le docte historien Milioukov ne creuse pas davantage que le général dont la passion était de barbouiller du papier. Jusqu’à l’insurrection, le leader libéral avait présenté toute idée de révolution comme suggérée par l’état-major allemand. Mais la situation se compliqua après l’insurrection qui porta les libéraux au pouvoir. Dès lors, la tâche de Milioukov n’était plus de déshonorer la révolution en la rattachant à une initiative du Hohenzollern, mais, au contraire, de ne plus laisser aux révolutionnaires l’honneur de l’initiative.

Le libéralisme adopta entièrement la théorie du caractère élémentaire et impersonnel de l’insurrection. C’est avec sympathie que Milioukov s’est réclamé du demi-libéral, demi-socialiste, Stankévitch, maître de conférences, qui fut un moment commissaire du gouvernement au G. Q. G. " La masse se mit d’elle-même en mouvement, obéissant à un appel intime, inconscient... – écrit Stankévitch au sujet des journées de Février. – Sur quel mot d’ordre les soldats sont-ils partis ? Qu’est-ce qui les a conduits lorsqu’ils s’emparèrent de Pétrograd, lorsqu’ils incendièrent le Palais de Justice ? Non une idée politique, non un mot d’ordre révolutionnaire, non un complot et non une mutinerie, mais un mouvement des forces élémentaires qui réduisit brusquement en cendres tout l’ancien régime sans en rien laisser. " La force élémentaire prend ici un caractère presque mystique.

Le même Stankévitch apporte un témoignage de la plus grande valeur : " A la fin de janvier, j’eus l’occasion de rencontrer Kérensky dans un cercle très intime. Au sujet de la possibilité d’un soulèvement populaire, tous se prononcèrent d’une façon nettement négative, de crainte de voir le mouvement des masses, une fois déclenché, tomber dans des courants d’extrême-gauche et créer ainsi de très grandes difficultés dans la conduite de la guerre. " Les vues du cercle de Kérensky ne différaient nullement dans l’essentiel de celles des cadets. Ce n’était pas de là que l’initiative pouvait sortir.

" La révolution tomba comme la foudre d’un ciel sans nuages ", dit Zenzinov, représentant du parti socialiste-révolutionnaire. " Soyons francs : elle arriva comme une grande et joyeuse surprise pour nous autres aussi, révolutionnaires, qui y avions travaillé pendant de longues années et l’avions constamment attendue. "

L’affaire ne se présentait pas beaucoup mieux avec les mencheviks. Un journaliste appartenant à l’émigration bourgeoise relate la rencontre qu’il fit, dans un tramway, le 24 février, de Skobélev, futur ministre du gouvernement provisoire : " Ce social-démocrate, un des leaders du mouvement, me déclara que les désordres tournaient en déprédations qu’il était indispensable de réprimer. Cela n’empêcha pas Skobélev, un mois plus tard, de prétendre que lui et ses amis avaient fait la révolution. " Les couleurs sont ici visiblement chargées. Mais, dans l’essentiel, la position des social-démocrates mencheviks est rendue d’une façon qui correspond assez bien à la réalité.

Enfin, Mstislavsky, qui plus tard devait être un des leaders de l’aile gauche des socialistes-révolutionnaires, pour passer ensuite aux bolcheviks, a dit de la Révolution de Février : " La révolution nous a surpris, nous autres, hommes de parti, en plein sommeil, comme les vierges folles de l’Évangile. " Peu importe ici que ces hommes aient ressemblé en quelque mesure à des vierges ; mais ils dormaient tous effectivement.

Mais qu’advenait-il des bolcheviks ? On le sait déjà en partie. Les principaux leaders des organisations bolchevistes clandestines à Pétrograd étaient alors au nombre de trois : les anciens ouvriers Chliapnikov et Zaloutsky, et l’ancien étudiant Molotov. Chliapnikov, qui avait vécu assez longtemps à l’étranger et avait été très lié avec Lénine, était, au point de vue politique, le plus mûr et le plus actif des trois qui constituaient le Bureau du Comité central. Cependant, les souvenirs de Chliapnikov lui-même établissent mieux que tout que le trio n’était point à la hauteur des événements. Jusqu’à la toute dernière heure, les leaders s’imaginèrent qu’il ne s’agissait que d’une démonstration révolutionnaire, une entre tant d’autres, mais nullement d’une insurrection armée. Kaïourov, que nous avons déjà cité, un des leaders du district de Vyborg, affirme catégoriquement ceci : " On ne sentait venir aucun principe directeur des centres du parti... Le Comité de Pétrograd était emprisonné, et le représentant du Comité central, le camarade Chliapnikov, se trouvait dans l’impuissance de donner des directives pour la journée suivante. "

La faiblesse des organisations clandestines était le résultat immédiat des manœuvres policières d’écrasement qui donnèrent au gouvernement des avantages tout à fait exceptionnels devant l’opinion patriotique au début de la guerre. Toute organisation, et, dans ce nombre, une organisation révolutionnaire, a tendance à rester en arrière de sa base sociale. Les organisations clandestines des bolcheviks, au début de 1917, ne s’étaient pas encore relevées de leur écrasement et de leur désagrégation, tandis que, dans les masses, l’atmosphère du patriotisme faisait place, soudain, à l’indignation révolutionnaire.

Pour se représenter plus clairement la situation dans le domaine de la direction révolutionnaire, il faut se rappeler que les révolutionnaires les plus autorisés, les leaders des partis de gauche, se trouvaient dans l’émigration, et, partiellement, dans les prisons ou en déportation. Plus un parti était redoutable pour l’ancien régime, plus il se trouvait rigoureusement décapité au début de la révolution. Les populistes avaient à la Douma une fraction dont le leader, Kérensky, était un radical indépendant. Le leader officiel des socialistes-révolutionnaires, Tchernov, se trouvait dans l’émigration. Les mencheviks disposaient à la Douma d’une fraction à la tête de laquelle figuraient Tchkhéidzé et Skobélev. Martov était émigré. Dan et Tsérételli déportés. Autour des fractions de gauche – populistes et mencheviks – se groupait un fort contingent d’intellectuels socialistes ayant un passé révolutionnaire. Cela constituait une apparence d’état-major politique, mais qui ne fut capable de se montrer qu’après la victoire. Les bolcheviks n’avaient aucune fraction à la Douma : les cinq députés ouvriers que le gouvernement tsariste avait considérés comme formant le centre organisateur de la révolution avaient été arrêtés dès les premiers mois de la guerre. Lénine était dans l’émigration avec Zinoviev, Kaménev était déporté, de même que les dirigeants-praticiens, peu connus alors, Sverdlov, Rykov, Staline. Le social-démocrate polonais Dzerjinski, qui n’appartenait pas encore aux bolcheviks, se trouvait au bagne. Ceux des leaders qui, par hasard, furent présents, précisément parce qu’ils étaient habitués à agir sous une direction autorisée et sans appel, ne se considéraient pas et n’étaient pas considérés par les autres comme capables de jouer dans les événements révolutionnaires un rôle dirigeant.

Mais, du moment que le parti bolchevik ne pouvait assurer aux insurgés une direction autorisée, que dire des autres organisations politiques ? Ainsi se fortifiait la conviction générale d’un mouvement des forces élémentaires dans la Révolution de Février. Néanmoins, cette opinion est profondément erronée, ou, dans le meilleur des cas, sans contenu.

La bataille, dans la capitale, dura non point une ou deux heures, mais cinq jours. Les leaders s’étaient efforcés de l’endiguer. Les masses répliquèrent par un élan d’autant plus accru et poussèrent de l’avant. Elles avaient contre elles le vieil État dont la façade traditionnelle dissimulait encore, pouvait-on présumer, une force puissante, celle de la bourgeoisie libérale, avec sa Douma d’Empire, l’Union des zemstvos et des Villes, les Comités des Industries de guerre, les Académies, les Universités et une presse ramifiée ; enfin, deux forts partis socialistes qui opposaient une résistance patriotique à la poussée d’en bas. Dans le parti bolchevik, l’insurrection trouvait l’organisation qui lui était la plus proche, mais décapitée, aux cadres disloqués, aux faibles cellules clandestines. Cependant, la révolution, à laquelle personne ne s’était attendu en ces jours-là, s’était étendue et, tandis que, dans les sphères supérieures, l’on croyait déjà à l’extinction du mouvement, celui-ci s’assurait la victoire par une violente poussée et de puissantes convulsions.

D’où provenait donc cette puissance sans exemple de persévérance et d’impétuosité ? Il ne suffirait pas d’alléguer l’exaspération. L’exaspération explique peu. Si délayés qu’aient été pendant la guerre les éléments ouvriers de Pétrograd, par suite de l’immixtion d’éléments bruts, ils portaient en eux une grande expérience révolutionnaire. Dans leur persévérance et leur impétuosité, malgré le manque de direction, et les résistances d’en haut, il y avait une appréciation des forces, non toujours exprimée, mais basée sur l’expérience de la vie, et un calcul stratégique spontané.

A la veille de la guerre, les éléments ouvriers révolutionnaires marchaient avec les bolcheviks et entraînaient les masses à leur suite. Dès le début de la guerre, la situation se modifia brusquement : les couches conservatrices intermédiaires relevèrent la tête et entraînèrent à leur suite une partie considérable de la classe ouvrière ; les éléments révolutionnaires se trouvèrent isolés et réduits au silence. Au cours de la guerre, la situation commença à se modifier, lentement au début, puis, après les défaites, de plus en plus vite et plus radicalement. Un mécontentement actif s’emparait de la classe ouvrière tout entière. A vrai dire, cette irritation était encore, en des cercles étendus, teintée de patriotisme, mais elle n’avait rien de commun avec le patriotisme calculé et lâche des classes possédantes qui ajournaient tous les problèmes intérieurs jusqu’à la victoire. Car, précisément, la guerre, ses victimes, ses épouvantes et ses infamies poussaient les anciennes comme les nouvelles couches ouvrières contre le régime tsariste, les poussaient avec une violence redoublée et les amenaient à cette conclusion : cela ne peut plus durer ? C’était une opinion générale qui fit la cohésion des masses et leur donna une grande puissance pour l’offensive.

L’armée avait gonflé, s’étant grossie de millions d’ouvriers et de paysans. Chacun comptait dans l’armée quelqu’un des siens : un fils, un mari, un frère, un proche parent. L’armée n’était plus comme avant la guerre un milieu séparé du peuple. A présent, on se rencontrait beaucoup plus souvent avec les soldats ; on les escortait lorsqu’ils partaient pour le front, on vivait de leur vie quand ils venaient en permission, on s’entretenait avec eux, dans la rue, en tramway, et l’on parlait des tranchées, on allait les voir dans les hôpitaux. Les quartiers ouvriers, les casernes, le front et aussi, dans une proportion considérable, les villages devinrent en quelque sorte des vases communicants. Les ouvriers savaient ce que le soldat sent et pense. Entre eux, c’étaient d’interminables conversations sur la guerre, sur les gens qui s’en enrichissent, sur les généraux, sur le gouvernement, sur le tsar et la tsarine. Le soldat disait de la guerre : " Malédiction ! " L’ouvrier répondait, parlant du gouvernement : " Qu’ils soient tous maudits ! " Le soldat disait : " Pourquoi vous taisez-vous ici, au centre ? " L’ouvrier répondait : " Quand on a les mains vides, il n’y a rien à faire. En 1905, nous nous sommes déjà heurtés peu heureusement à l’armée. " Le soldat, après réflexion : " Ah ! si tous se soulevaient ensemble ! " L’ouvrier : " Oui, tous ensemble. " Des conversations de cette sorte, avant la guerre, n’avaient lieu qu’entre individus isolés et d’une manière clandestine. Maintenant, c’était ainsi que l’on parlait de tous côtés, à tout propos, et presque ouvertement, du moins dans les quartiers ouvriers.

L’Okhrana tsariste réussit parfois à opérer de bons sondages. Quinze jours avant la révolution, un mouchard pétersbourgeois, qui signait du pseudonyme de Krestianinov, faisait un rapport sur une conversation entendue dans un tramway qui traversait un faubourg ouvrier. Un soldat aurait raconté que huit hommes de son régiment avaient été expédiés au bagne pour avoir refusé, en automne dernier, de tirer sur les ouvriers de l’usine Nobel et pour avoir tiré sur la police. Cette conversation a eu lieu tout à fait ouvertement, attendu que les policiers et les mouchards, dans les quartiers ouvriers, préfèrent rester inaperçus. " Nous leur réglerons leur compte ", conclut le soldat. Le rapport continue ainsi : " Un ouvrier dit alors : " Pour cela, on doit s’organiser, pour qu’on soit tous comme un seul homme. " Le soldat répliqua : " Pour ça, pas la peine de s’en faire, il y a longtemps que c’est organisé chez nous... Ils ont bu assez de sang, les hommes souffrent sur le front, mais, ici, les gens s’empiffrent !... " Il ne se produisit point d’incidents particuliers. 10 février 1917. Krestianinov. " Incomparablement épique, le rapport du mouchard ! " Pas d’incidents particuliers ! " Les incidents devaient se produire, et bientôt : la causerie en tramway en signale l’inéluctable imminence.

Le caractère élémentaire de l’insurrection est illustré par un exemple curieux que donne Mstislavsky : lorsque " l’Union des Officiers du 27 février ", constituée sitôt après l’insurrection, essaya d’établir par enquête quel était celui qui, le premier, avait entraîné dans la rue le régiment de Volhynie, il y eut sept dépositions concernant sept initiateurs de cette action décisive. Il est extrêmement probable, ajouterons-nous, qu’une parcelle de l’initiative appartint effectivement à quelques soldats ; ce qui n’empêche pas que le principal dirigeant ait pu tomber dans les combats de rues, emportant avec lui son nom dans l’inconnu. Mais cela n’amoindrit pas la valeur historique de son initiative anonyme. Et ce qui est encore plus important, c’est un autre côté de l’affaire, par lequel nous sortons de l’enceinte de la caserne. Le soulèvement de bataillons de la Garde qui se déclara, à la grande surprise des cercles libéraux et des socialistes légalitaires, ne fut nullement inattendu pour les ouvriers. Si ces derniers ne s’étaient pas soulevés, le régiment " volhynien " ne serait pas non plus sorti. La rencontre entre ouvriers et Cosaques que certain avocat put observer de sa fenêtre, pour en faire part ensuite, par téléphone, à un député, apparut à l’un et à l’autre comme un épisode d’un processus impersonnel : les sauterelles des fabriques s’étaient heurtées aux sauterelles des casernes. Mais il en sembla tout autrement au Cosaque qui osa cligner de l’œil du côté de l’ouvrier, autrement encore à l’ouvrier qui décida d’emblée que le Cosaque " avait eu le bon coup d’œil ". L’interpénétration moléculaire de l’armée et du peuple se poursuivait, ininterrompue. Les ouvriers prenaient constamment la température de l’armée et sentaient aussitôt approcher le point critique. C’est ce qui donna aussi à la poussée des masses, qui croyaient à la victoire, cette force irrésistible.

Ici, nous devons rapporter la saisissante remarque d’un dignitaire qui essaya d’établir le bilan de ses observations en Février : " Il est usuel de dire que le mouvement a commencé par un déclenchement des forces élémentaires, que les soldats sont d’eux-mêmes sortis dans la rue. Je ne saurais, en aucun cas, tomber d’accord là-dessus. Et que signifie d’ailleurs ce mot : " élémentaires " ?… La " génération spontanée " est, en sociologie, encore moins à sa place que dans les sciences naturelles. Si aucun meneur révolutionnaire renommé n’a attaché au mouvement son étiquette, le mouvement, sans être impersonnel, sera seulement anonyme. " Cette façon de poser la question, incomparablement plus rigoureuse que les allégations d’un Milioukov, concernant les agents de l’Allemagne et les forces élémentaires de la Russie, est due à un ancien procureur du tsar qui était sénateur quand la révolution éclata. Peut-être est-ce bien son expérience judiciaire qui permit à Zavadsky de discerner qu’un soulèvement révolutionnaire ne pouvait provenir des directives d’agents de l’étranger, ni d’un processus naturel où ne seraient pas intervenues des personnalités.

Le même auteur cite deux épisodes qui lui ont permis de jeter, en quelque sorte par le trou de la serrure, un coup d’œil sur le laboratoire du processus révolutionnaire. Le vendredi 24 février, alors que, dans les hautes sphères, personne encore ne prévoyait un soulèvement à si bref délai, un tramway dans lequel le sénateur avait pris place tourna brusquement avec un tel fracas que les vitres tintèrent et qu’une se brisa, entre la Perspective Liteïny et une rue avoisinante, et s’immobilisa. Le conducteur invita tous les occupants à descendre. " La voiture n’ira pas plus loin. " Les voyageurs protestaient, déblatéraient, mais descendaient. " Je vois encore la tête du conducteur, taciturne, sombrement résolue : une tête de loup. " La circulation des tramways cessa partout aussi loin que portait la vue. Ce conducteur résolu, qui déjà donnait à un dignitaire libéral la vision d’une " tête de loup ", devait avoir une haute conscience du devoir pour oser seul arrêter sa voiture, pleine de fonctionnaires, dans une rue du Pétersbourg impérial, en temps de guerre. Ce sont justement de tels conducteurs qui arrêtèrent le wagon de la monarchie, à peu près dans les mêmes termes : " La voiture n’ira pas plus loin ", et débarquèrent la bureaucratie sans établir, étant pressés, quelque différence entre les généraux de gendarmerie et les sénateurs libéraux. Le conducteur de la Perspective Liteïny était un instrument conscient de l’histoire. Il avait dû être préalablement éduqué.

Pendant l’incendie du Palais de Justice, un juriste libéral, du même monde que le susdit sénateur, exprima dans la rue son regret d’assister à la destruction du laboratoire d’expertises judiciaires et des archives notariales. Un homme d’âge mûr, d’aspect maussade, ouvrier selon toute apparence, répliqua, grognonnant : " Nous saurons nous partager les maisons et les terres sans tes archives. " Vraisemblablement, l’épisode est arrangé littérairement. Mais des ouvriers d’âge mûr de cette sorte et en mesure de donner la réplique indispensable n’étaient pas peu nombreux dans la foule. Eux-mêmes n’étaient pour rien dans l’incendie du Palais de Justice : à quoi bon ? En tout cas, de tels " excès " ne pouvaient nullement les épouvanter. Ils armaient les masses, leur inspirant non seulement les idées indispensables contre la police du tsar, mais aussi contre les juristes libéraux, qui redoutaient surtout que dans le feu de la révolution ne brûlassent les actes notariés de la propriété. Ces anonymes, rudes politiques de l’usine et de la rue, n’étaient pas tombés du ciel ; ils devaient avoir été éduqués.

Enregistrant les événements des dernières journées de Février, l’Okhrana disait aussi du mouvement qu’il était " élémentaire ", c’est-à-dire non dirigé méthodiquement d’en haut ; mais elle ajoutait aussitôt : " Le prolétariat tout entier a été travaillé par la propagande. " Cette affirmation touchait juste : les professionnels de la lutte contre la révolution, avant d’aller occuper les cellules des révolutionnaires mis en liberté, avaient discerné le processus du moment beaucoup mieux que ne le surent les leaders du libéralisme.

La mystique des " forces élémentaires " n’élucide rien. Pour évaluer justement la situation et déterminer le moment de la levée contre l’ennemi, il était indispensable que la masse, en ses éléments dirigeants, posât ses propres revendications devant les événements historiques, et possédât ses critères, pour en avoir l’estimation. En d’autres termes, il n’était pas besoin de la masse en général, mais de la masse des ouvriers de Pétrograd et de toute la Russie, ayant passé par la révolution de 1905, par l’insurrection moscovite de décembre 1905 qu’avait brisée le régiment de la Garde dit Séménovsky ; il fallait que, dans cette masse, fussent disséminés des ouvriers qui avaient réfléchi sur l’expérience de 1905, critiqué les illusions constitutionnelles des libéraux et des mencheviks, s’étaient assimilé les perspectives de la révolution, avaient examiné maintes et maintes fois le problème de l’armée, avaient attentivement observé ce qui se passait dans ce milieu, et étaient capables de tirer de leurs observations des conclusions révolutionnaires, et de les communiquer à d’autres. Enfin, il fallait trouver, dans la garnison, des soldats d’esprit avancé, jadis saisis ou, du moins, touchés par la propagande révolutionnaire.

Dans chaque usine, dans chaque corporation, dans chaque compagnie militaire, dans chaque taverne, dans les hôpitaux d’armée, à chaque cantonnement, et même dans les campagnes dépeuplées, progressait un travail moléculaire de l’idée révolutionnaire. Partout il existait des commentateurs des événements, principalement des ouvriers, auprès de qui l’on s’informait et de qui l’on attendait la parole nécessaire. Ces chefs de file étaient souvent abandonnés à eux-mêmes, ingéraient des bribes de généralisations révolutionnaires parvenues à eux par diverses voies, découvrant par eux-mêmes, dans les journaux libéraux, ce qu’il leur fallait en lisant entre les lignes. Leur instinct de classe était aiguisé par le critère politique et, s’ils ne poussaient pas toutes leurs idées jusqu’au bout, leur pensée n’en travaillait pas moins, sans relâche, obstinément, toujours dans la même direction. Les éléments d’expérience, de critique, d’initiative, d’abnégation, pénétraient les masses et constituaient le mécanisme intime, insaisissable à un regard superficiel, néanmoins décisif, du mouvement révolutionnaire, en tant que processus conscient.

Aux présomptueux politiciens du libéralisme et du socialisme apprivoisé, tout ce qui se produit dans les masses semble d’ordinaire être un processus instinctif, comme si cela se passait dans une fourmilière ou dans une ruche. En réalité, la pensée qui taraudait la masse ouvrière était combien plus hardie, plus perspicace, plus consciente que les petites idées dont s’amusaient les classes cultivées. Mieux encore : la pensée ouvrière était plus scientifique : non seulement parce qu’elle avait été fécondée dans une large mesure par les méthodes du marxisme, mais avant tout parce qu’elle s’était constamment nourrie de la vivante expérience des masses qui devaient entrer bientôt dans l’arène révolutionnaire.

Le caractère scientifique de la pensée se manifeste en sa correspondance au processus objectif et en son aptitude à influer sur ce processus et à le régler. Est-ce que cette faculté, même dans la moindre mesure, appartenait à la mentalité des sphères gouvernantes, où l’on s’inspirait de l’Apocalypse, où l’on croyait aux songes de Raspoutine ? Ou bien, d’aventure, auraient-elles été scientifiquement fondées, les idées du libéralisme qui espérait que la Russie arriérée, participant à la mêlée des géants du capitalisme, pourrait en même temps vaincre et obtenir un régime parlementaire ? Ou bien, peut-être étaient-elles scientifiques les conceptions des cercles intellectuels qui se conformaient servilement à un libéralisme décrépit dès son enfance, abritant ainsi leur illusoire indépendance sous un verbiage depuis longtemps périmé ? Vraiment, l’on se trouvait là dans le royaume d’une toute-puissante torpeur spirituelle, au pays des fantômes, des superstitions, des fictions, si l’on veut, le royaume des " forces élémentaires ".

Par conséquent n’avons-nous point le droit absolu de réviser du tout au tout la philosophie libérale de la Révolution de Février ? Si ! Nous avons le droit de dire : tandis que la société officielle – cette superstructure à nombreux étages que constituaient les classes dirigeantes, avec leurs couches distinctes, leurs groupes, leurs partis et leurs cliques – vivait au jour le jour dans son inertie et son automatisme, s’alimentant de restes d’idées usées, sourde aux fatales exigences de l’évolution, séduite par des fantômes, ne prévoyant rien, il s’accomplissait dans les masses ouvrières un processus spontané et profond, non seulement de haine grandissante contre les dirigeants, mais de jugement critique sur leur impuissance, d’accumulation d’expérience et de conscience créatrice qui se confirma dans le soulèvement révolutionnaire et dans sa victoire.

A la question posée ci-dessus : qui donc a guidé la Révolution de Février ? nous pouvons par conséquent répondre avec la netteté désirable : des ouvriers conscients et bien trempés qui, surtout, avaient été formés à l’école du parti de Lénine. Mais nous devons ajouter que cette direction, si elle était suffisante pour assurer la victoire de l’insurrection, n’était pas en mesure de mettre, dès le début, la conduite de la révolution entre les mains de l’avant-garde prolétarienne.

Texte de Trotsky dans "Les leçons d’Octobre" sur le rôle des soviets et du parti dans la révolution d’octobre

Remarquons qu’en plus de révolutions de février et d’octobre, s’il fallait schématiser à la manière de la LIT le processus révolutionnaire en faisant de la révolution de 1917 en Russie, il faudrait aussi des révolutions de juillet et, en Espagne, il faudrait nous expliquer où était la révolution de février...

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