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Pourquoi le grand capital est en train de détruire l’euro et l’Europe ?

dimanche 19 décembre 2010, par Robert Paris

On peut lire dans la presse économique :

Nous assistons, depuis maintenant deux mois, à une véritable guerre que la finance internationale a déclaré aux "maillons faibles" de la zone euro. Si elle ne fait pas de morts, les batailllons de chômeurs que cela va laisser en Grèce, Espagne, Portugal, voire même en Italie, aggrave la crise économique que ces pays traversent. Pourtant, les tonnes de dollars engendrés par cette spéculation ne serviront qu’à enrichir quelques poignées de privilégiés, alors qu’ils mettent à mal des Etats entiers.

Depuis le mois de décembre, les grandes banques d’investissement ont décidé que les pays de la zone euro étaient les maillons faibles du système économique mondial. Ils s’en donnent à coeur joie, depuis.

Comment cela a-t-il commencé ?

La Chine a fait savoir aux Etats-Unis qu’elle ne voulait plus voir le dollar glisser sous un certain seuil. En arrêtant d’acheter des bons du Trésor (la dette américaine) à long terme, et privilégiant le court terme (12 mois), elle tient l’économie US par les c... (vous aurez compris).

Quel lien avec l’euro ?

L’euro n’a cessé de se renforcer face au dollar en 2009. En cause, une économie américaine aux abois, où la banque centrale prêtait de l’argent aux banques gratuitement, afin qu’elles se refassent, suite aux conneries durant la belle époque des suprime. Mais la zone euro connaît une crise aigue, avec une chômage qui ne cesse de s’aggraver, des déficits publics qui explosent.

L’attaque de l’euro est-elle logique, dans ces conditions ?

En un mot, non. L’auteur de cet article suit la pensée de Jean-Claude Trichet. Même s’il y a des critères macroéconomiques indéniables, les déficits publics sont beaucoup plus réduits en Europe qu’aux Etats-Unis. Sauf que voilà, les grandes banques d’investissement sont américaines. Elles savent qu’elles sont sur la sellette depuis l’arrivée d’Obama au pouvoir. Les médias se déchaînent et demandent des comptes. Dans ces conditions, spéculer contre leur propre monnaie aurait été suicidaire. Le risque politique, à savoir un retournement populiste, n’est pas à exclure. C’est d’ailleurs le 1er risque qu’elles voient en 2010.

Du coup, les énormes masses de capitaux qu’elles ont accumulées (gratuitement, puisque le taux d’intérêt directeur aux Etats-Unis est de 0 à 0,25% en fonction des jours), donne un potentiel de profits énorme. Qui ne demande qu’à s’exprimer librement, sans entraves réglementaires, législatives, etc. Et comme nos financiers ne savent pas, pour gagner de l’argent, créer, ils vont détruire.

Pourquoi cela n’est pas arrivé à d’autres pays, plus fragiles ?

Paradoxalement, il y a des raisons techniques, qui font que des pays qu’on peut imaginer fragiles ne le sont pas tellement. Ainsi, le Brésil a instauré une taxe de 2% sur les transactions étrangères à la bourse de Sao Paolo, ce qui a fait perdre de l’argent aux banques, et découragé les "investisseurs". La Turquie a imaginé une taxe aussi.

D’autres pays, plus "faibles", comme la Thaïlande, l’Indonésie, etc, contrôlent de manière assez étroite les marchés de change, ce qui les protègent d’une attque spéculative, puisqu’on ne peut aller sur ces marchés qu’à moyen/long terme, etc. Par ailleurs, la taille des marchés est trop petite pour permettre une attaque d’ampleur : si on se met à vendre des titres de dette thaï, comme on le fait avec les greques, on ne vendra jamais les montants pharamineux qui sont échangés en Europe. En bref, une grosse attaque nécessite un grand champ de bataille, à savoir ici des volumes de transactions importants.

Comment fait-on de l’argent en spéculant contre Athènes ?

On vend la dette greque qu’on possède dans son portefeuille boursier. Avec le battage médiatique autour, celle-ci ne trouve preneur que si le gouvernement offre de meilleurs taux d’intérêt sur les prêts dont il bénéficie. On achète donc ensuite, la même dette greque. Mais plutôt que d’être rémunérée à 3,5% par an, vous avez aujourd’hui un rendement de 6,5%.

Epilogue

Ce sont les banques américaines qui ont annoncé que l’euro allait glisser en 2010. Leur poids sur les marchés financiers est telle qu’elles arrivent à l’entraîner. L’Europe paie son exposition à des spéculateurs qu’on n’encadre pas, parce qu’Outre Atlantique, ils ne les encadrent pas non plus. Dans un war game, executé il y a quelque temps, la Chine lâchait le dollar de la même façon, et gagnait sa guerre économique contre les Etats-Unis.

« Jean-Pierre Jouyet pense que des fonds spéculatifs sont à l’origine de ces attaques mais explique qu’il ne peut les nommer avec certitude, étant donné que ces marchés n’opèrent aucune centralisation des ordres, des volumes de transaction et des prix."Objectivement, c’est plus immoral qu’illégal, c’est un des problèmes et une des lacunes qu’il faudra combler dans les futures réunions du G20 » Source Le Monde

Et le site Boursier.com d’ajouter : « En 11 ans d’existence, l’Euro n’avait jamais connu un telle attaque spéculative... Ces dernières semaines, les investisseurs et autres fonds spéculatifs ont amassé des positions vendeuses atteignant 8 Milliards de Dollars sur des contrats à terme sur la monnaie européenne, un montant record depuis la création de l’Euro ... /...

Il reste que la spéculation grandissante sur l’Euro, accompagnée d’une chute brutale des marchés boursiers, accroît les risques de faire capoter la toute jeune reprise économique... »

Pendant ce temps là, « ... / .. les dirigeants de hedge funds majeurs se sont accordés lors d’un dîner discret à Manhattan pour parier gros sur la baisse de l’euro, selon le Wall Street Journal vendredi. Parmi eux, le milliardaire américain George Soros. ... / ...

Avant de réfléchir à une possibilité d’un retour à la parfaite égalité entre l’euro et le dollar, ces géants de la finance auraient parié des sommes gigantesques sur le repli de l’euro. Or leur poids énormes sur les échanges internationaux pourraient bien expliquer une bonne partie du recul de la monnaie européenne ... /... sur le marché des changes, appelé chez les professionnels le Forex (pour Foreign Exchange), il est possible de miser cent fois sa mise. C’est l’effet de levier.

Autrement dit, avec 10.000 euros, n’importe quel investisseur qui travaille sur les devises peut engager 1.000.000 euros sur le marché ... / ... ces stars des hedge fund sont les premiers à profiter des paniques successives sur l’endettement public du pays, qui poussent les CDS (Credit Default Swap, contrats assurance qui gère le risque d’un crédit émetteur) à la hausse, et l’euro à la baisse. En un mot, c’est le jackpot ... / ... »

La crise de l’euro a été déclenchée par l’attaque concentrée des agences de notations étasuniennes Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch contre la dette de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal. L’abaissement des notes de ces trois pays par les agences américaines, surtout celle de la Grèce, reléguée dans la catégorie des investissements spéculatifs, est la conséquence d’une action concentrée. L’abaissement des notes fait suite à une série de décisions répétées et très rapprochées. Ces attaques ont été appuyées par l’appareil d’Etat US, notamment les déclarations alarmistes du conseiller économique du président Obama, ancien président de la Réserve fédérale étasunienne, Paul Volker qui a parlé d’une future désintégration de la zone euro. L’attaque contre l’euro apparaît comme un prétexte d’autant plus que « depuis 2004, on savait que les autorités grecques trichaient » [2] et cela sans aucune réaction des agences de notation.
Cette offensive contre l’euro est d’abord une action destinée à ramener aux Etats-Unis les capitaux étrangers nécessaires à la couverture du déficit croissant de la balance financière des USA. C’est un signal d’avertissement à des pays comme la Chine qui avait commencé à rééquilibrer leurs réserves de devises en achetant de l’euro au détriment du dollar. Pour les Etats-Unis, il y a en effet urgence en la matière. Jusqu’en 2009, le financement de leurs déficits et la défense du dollar étaient assurés par un solde positif des flux financiers. Mais, durant cette même année, si le mouvement des capitaux reste positif, il ne parvient plus à compenser les déficits. Le solde devient négatif d’un montant de 398 milliards de dollars [3]. A un niveau purement économique, l’offensive contre l’euro est de la même veine que la lutte contre la fraude fiscale, initiée par le président Obama en 2009 [4]. Il s’agit de ramener les capitaux dans le giron des USA.
Une opération de démantèlement de l’UE
Cette action tactique se double d’une opération stratégique, celle d’un mouvement de démantèlement de l’Union européenne au profit d’une union économique couvrant les deux continents. Le projet de création d’un grand marché transatlantique [5] en est la manifestation la plus visible. C’est en fonction de ce deuxième objectif que l’on peut comprendre l’attitude de l’Allemagne qui, aussi bien au niveau de la lutte contre la fraude fiscale que celui de l’attaque contre l’euro, a fourni un appui à l’offensive étasunienne. Cette double attitude est cohérente avec l’engagement privilégié de cet Etat européen dans la mise en place d’une union économique transatlantique.
L’Union européenne a été construite autour de l’Allemagne et structurée selon ses intérêts. Pays économiquement le plus performant au moment de l’installation du marché commun, il a pu faire jouer pleinement ses avantages économiques comparatifs, sans contrainte politique, sans gouvernement économique, ni transferts importants vers les zones défavorisées. Jusque cette année, la zone euro absorbe les trois quarts des exportations allemandes [6]. L’Allemagne, par les déclarations de ses responsables politiques et de ses banquiers, ainsi que par l’exhibition répétée de ses hésitations, a contribué à l’offensive contre l’euro. Pour elle, les bénéfices de cette action sont immédiats. La baisse de la monnaie commune permet d’augmenter ses exportations hors zone euro. De plus, ce pays peut financer ses propres déficits à meilleur compte. La crise et la fuite vers la qualité qu’elle engendre permet aux obligations allemandes de se placer avec un taux d’intérêt réduit.
Si, à terme, l’Allemagne donne l’impression qu’elle scie la branche sur laquelle elle est assise, c’est qu’elle a décidé de changer de branche et veut s’intégrer dans un ensemble plus large : le grand marché transatlantique. La « construction européenne » est à la croisée des chemins. Jusqu’à présent, elle a permis un développement permanent de l’Allemagne. Ce processus ne peut plus continuer selon les mêmes modalités. L’UE ne peut sortir de la crise sans mettre en place un gouvernement économique gérant une politique économique commune, une harmonisation du développement et, pour cela, assurer des transferts financiers conséquents vers les pays et régions défavorisées. Cette gestion politique est en complète opposition avec le simple Pacte de stabilité promu par l’Allemagne. La politique budgétaire de diminution accélérée des déficits, réimposée au nom de ce pacte, va se faire au détriment du pouvoir d’achat des populations et ne peut se réaliser sans une récession économique. La zone euro ne peut plus être le débouché privilégié des exportations allemandes. L’Allemagne a fait son choix : celui du grand marché transatlantique et du marché mondial.
Une mise sous la tutelle du FMI
Au lieu de restructurer la dette des pays défaillants, l’Europe a mis sur pied deux fonds d’intervention. L’Eurogroupe, formé par les ministres des finances de la zone euro, a développé un mécanisme inédit de 750 milliards d’euros de prêts et de garanties, afin de venir en aide aux pays de la zone euro qui auraient des difficultés à emprunter sur les marchés financiers. Le dispositif prévoit 60 milliards de prêts européens gagés sur le budget de l’Union européenne, 440 milliards d’euros de garanties apportées par les pays membres de la zone euro, ainsi que 250 milliards d’euros de prêt du FMI, soit un total de 750 milliards [7]. Ce dispositif de secours est prévu pour une durée de trois années.
Alors qu’il n’y avait aucune impossibilité financière à assumer l’entièreté du fonds, l’Eurogroupe choisit de se lier les mains avec le FMI, dans lequel les USA ont la majorité des droits de vote. Ce dispositif de servitude volontaire reproduit, en l’amplifiant, le schéma déjà construit pour venir en aide à la Grèce. Ce dernier programme est d’un montant de 110 milliards d’euros, dont 30 en provenance du FMI.
Que signifie la volonté du Conseil européen d’arrimer au FMI la procédure mise en place pour venir en aide aux pays de la zone euro ? Si on regarde les recettes appliquées par cette institution internationale aux pays auxquels il a accordé des prêts, le mode opératoire est immuable : imposer une baisse du salaire direct et indirect, la privatisation des services publics et la suppression des politiques sociales. La politique du FMI a toujours conduit à un appauvrissement important des populations [8].
En cas de dépression ou même de stagnation économique, la « politique de consolidation des dépenses publique » est vouée à l’échec. Les 750 milliards prévus d’aide serviront à rembourser les banques au détriment du pouvoir d’achat du contribuable et ce versement aux institutions financières augmentera d’autant la récession. Ainsi, mise sous tutelle du FMI et création de fonds d’aide aux banques sont deux aspects complémentaires d’une même politique. Il s’agit de procéder à une importante redistribution des revenus en faveur des entreprises financières.

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