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Dialogue sur la discontinuité, le déterminisme et la dialectique

mardi 19 avril 2011, par Robert Paris, Tiekoura Levi Hamed

Dialogue de la discontinuité, du déterminisme chaotique et de la dialectique

Samuel

Il me semble, pour commencer, que, du débat sur Zénon, sur Socrate aux remarques sur la physique et la société, tu développes un point de vue qui dépasse ce que l’observation peut nous apprendre, un a priori philosophique qui prend parti pour la discontinuité, le déterminisme chaotique et la dialectique, sans qu’on puisse dire que ce point de vue tranché soit vraiment tranché par les sciences. Est-ce que le débat ne continue pas de nos jours ?

Robert

Bien sûr, tu as parfaitement raison. Le débat continue et continuera. Les philosophes grecs antiques avaient eux aussi des points de vue tranchés mais ils n’avaient, pas plus que nous, définitivement tranché le débat. Car ce dialogue n’est pas seulement celui des hommes entre eux mais le dialogue de l’homme et de la nature. Or le fonctionnement naturel n’est nullement évident, transparent. L’apparence n’est pas la réalité et le bon sens n’est pas science. Cependant, il n’y a débat que lorsque les auteurs osent développer leur point de vue jusqu’au bout en ne se maintenant pas dans une position selon laquelle toutes les théories se valent, comme c’est trop souvent le cas de nos jours.

Samuel

Entendu. Alors examinons tes arguments à la lueur de nos connaissances actuelles. Car reconnais qu’elles ne sont pas partagées par tout le monde scientifique, universitaire ou des penseurs en général.

Robert

Des opinions philosophiques partagées par tout le monde scientifique n’auraient pas grand sens. En effet, les scientifiques, comme tous les autres auteurs, sont comme tous les hommes. Ils ont toutes sortes d’avis et personne, surtout pas moi, ne s’avise de vouloir leur dire comment ils doivent penser. Je me contente, sans fausse modestie, d’affirmer ce que je pense par moi-même. Et cet engagement, car il s’agit d’un engagement face au monde, me semble le seul point de départ possible du dialogue sur le fonctionnement du monde. Notre site « Matière et révolution » s’intitule d’ailleurs à juste titre : « contribution au débat » mais il rajoute, affirmativement cette fois, « sur la philosophie dialectique du mode de formation et de transformation de la matière, de la vie, de l’homme et de la société », ce qui est certainement une affirmation qui est loin d’être partagée d’une majorité d’auteurs de tous domaines et encore moins du commun des vivants !

Samuel

Il te faut des arguments et il est vrai que tu écris des pages nombreuses pour étayer tes dires mais peut-on examiner et critiquer une par une tes affirmations sur la discontinuité, le déterminisme chaotique et la dialectique ?

Robert

Allons-y. Nos propos n’engageront que nous-mêmes mais il est toujours bon de rendre public un tel débat.

Samuel

Peux-tu donner une illustration simple, issue de la vie courante, montrant cette fameuse discontinuité de l’univers naturel et cette aspiration humaine très artificielle à la continuité apparente ?

Robert

Tout autour de nous, les hommes ont disposé des immeubles, des meubles, des outils qui reflètent notre aspiration à voir le monde comme un continuum : des meubles, des voitures, des façades, des routes, des vêtements, etc… Tous ont une apparence lisse, continue, régulière. Pourtant, si on les laisse évoluer naturellement, ces revêtements, ces tentures, ces peintures, ces façades se lézardent, se fissurent, cassent, se rompent et rendent le matériau à sa discontinuité naturelle.

Samuel

D’un côté, nous disons que nous voulons transformer le monde de façon consciente et de l’autre que c’est le même monde déterministe, scientifique, que la matière. N’y a-t-il pas une contradiction ?

Robert

Tu as raison de soulever cette question qui a été d’ailleurs posée par nombre de philosophes. On l’a appelée aussi celle du libre arbitre et qui a longtemps amené les gens à considérer que la matière et l’homme appartenaient à des domaines différents. Cependant, le déterminisme scientifique a profondément changé de base et il n’est pas celui des siècles passés. C’est dû à des découvertes comme la physique quantique, la physique probabiliste, la physique des transitions de phase, la relativité et le chaos déterministe notamment. Il en découle que les sciences humaines et matérielles se sont considérablement rapprochées. La conception moderne du déterminisme n’inclut plus nécessairement la prédictibilité. Le changement radical nécessaire dans une transformation matérielle donnée peut dépendre de manière sensible aux conditions initiales. Il peut n’être qu’une probabilité, qu’une possibilité, qu’une virtualité. La transformation de système opérée par l’homme est également une virtualité. D’autre part, l’action des individus sur la société, une action de la petite échelle sur la grande n’est pas si distante de l’action des petites causes que nous trouvons dans la notion de « sensibilité aux conditions initiales ». Le rôle de l’individu dans l’Histoire se rapproche de cette interaction d’échelle et le changement radical de société de la notion de « transition de phase ».

Samuel

Est-ce que la matière, la vie ne sont pas des phénomènes qui témoignent plutôt de la continuité que de la discontinuité ?

Robert

Je te rapporte la réponse de Stephen Jay Gould dans « Le pouce du panda » : « Le gradualisme, l’idée que tout changement doit être progressif, lent et régulier, n’est jamais né d’une interprétation des roches. Il représentait une opinion préconçue, largement répandue, s’expliquant en partie comme une réaction du libéralisme du 19ème siècle face à un monde en révolution. Mais il continue à pervertir notre prétendue vision objective de l’histoire de la vie. A la lumière des présuppositions gradualistes quelle autre interprétation pouvait-on donner de l’origine de la vie ? Le passage des éléments de notre atmosphère originelle à la molécule d’ADN constitue une énorme étape. La transition aurait donc dû s’effectuer laborieusement à travers une succession de phases multiples intervenant une par une, tout au long de milliards d’années. Mais l’histoire de la vie, telle que je la conçois, est une série d’états stables, marqués à de rares intervalles par des événements importants qui se produisent à grande vitesse et contribuent à mettre en place la prochaine ère de stabilité. »

Samuel

Y a-t-il des exemples qui montrent des contradictions dialectiques dans la nature ?

Robert

Il s’agit de bien plus que de quelques exemples. Si le monde est dynamique, changeant, s’il a produit au cours de son histoire des particules, des rayonnements, des molécules, de la matière, des étoiles, des planètes, des êtres vivants, c’est qu’il a la capacité de changer et pas seulement de se mouvoir. Et déjà la capacité de se mouvoir nécessite des contradictions dialectiques, comme le pensaient Parménide et Zénon, et comme l’avait souligné Hegel. Mais la nature change et ne se contente pas d’aller vers l’équilibre. Elle produit des structures loin de l’équilibre qui sont dynamiques. Ces structures dynamiques contiennent toutes des contradictions dialectiques, c’est-à-dire qu’elles sont dirigées par des tendances contraires qui non seulement coexistent mais sont inséparables.
Donnons des exemples de ces contradictions dialectiques dans les phénomènes naturels.

Le plus simple à mettre en évidence par chacun d’entre nous est celui des mécanismes contradictoires du cerveau. Fermez les yeux et convainquez vous que vous ne devez penser à rien. Un million de pensées vous viennent à l’esprit que vous avez du mal à chasser. Convainquez vous qu’il est très important que vous vous endormiez ce soir. Rien de mieux pour avoir du mal à dormir. Dans votre lit, pensez qu’il est important de ne pas bouger pour ne pas réveiller votre conjoint. Cela suffit à éveiller tous vos sens sur chacun de vos membres et à vous persuader qu’il est absolument indispensable que vous les bougiez. Convainquez vous que vous ne devez surtout pas manger entre les repas et vous voilà saisi de fringales systématiques qui vous apparaissent comme des besoins irrépressibles. D’une manière générale, il suffit que vous vous disiez que vous ne devez pas faire quelque chose, que ce n’est pas bien pour que vous ayez l’impression de vous priver de quelque chose dont vous aviez envie ! Vous touchez là un mécanisme général qui provient du fonctionnement du cerveau. Loin d’aller directement aux pensées et à l’analyse logique des situations, notre cerveau fonctionne par hypothèses successives suivies de leur contradiction. Les deux hémisphères déjà sont sources de pensées contraires. Leur dialogue, loin de résoudre la contradiction, en trouve toujours de nouvelles. Ce n’est pas généralement la source d’embarras particuliers ou de maladies mais la source de la richesse de notre pensée.

Samuel

Tu veux dire que notre cerveau, lui aussi, serait contradictoire au sens dialectique ?

Robert

Le cerveau n’est pas plus particulièrement source de contradiction. On les retrouve partout, aussi bien dans l’inerte que dans le vivant. La plupart des gens restent sceptiques devant une telle affirmation. Comment une chose pourrait être elle-même et son contraire ? La lutte des contraires ne donne-t-elle pas la victoire finale à l’un des deux combattants ? La dialectique répond que la victoire donne naissance à un nouveau combat des contraires, qu’elle transforme autant le vainqueur que le vaincu. La fin de l’existence de contradictions serait la fin de toute dynamique. Car un système dynamique sans forces contradictoires aurait vite fait d’en venir à un état stable qui n’aurait plus aucune raison de changer. La mort de la structure est la seule fin possible des contradictions.

Samuel

Je n’ai pas remarqué le développement de courants de pensée dialectique chez les physiciens mais tu as sûrement des arguments qui se rapportent aux résultats de leurs recherches...

Robert

Commençons par la physique fondamentale.

Le principe d’incertitude d’Heisenberg qui règle les limites de la mesure dans tous les domaines matériels est fondé sur la remarque suivante : plus on essaie de cantonner une particule de matière dans un espace étroit, plus il reçoit d’énergie pour en sortir…

Partons dans la matière de l’extrêmement grand, dans les étoiles et les espaces interstellaires. Plus l’étoile est de grande taille et subit une forte pression de gravitation due à sa grande masse, plus elle émet une grande quantité de pression de rayonnement due à ses explosions nucléaires dans son noyau.

Examinons maintenant une échelle intermédiaire : celle de la terre. La météorologie et la climatologie, la tectonique des plaques, le volcanisme et tous les mécanismes de géophysiques sont remplis de contradictions dialectiques. Ce sont par exemple les rétroactions négatives de phénomènes comme les coexistence de deux phases (liquide et gazeuse) au sein d’un nuage. Plus il y a une grande partie du nuage qui condense (en gouttelettes) et plus il y en a une part importante qui vaporise. C’est le fondement même de la structure dynamique du nuage. Et c’est loin d’être un exemple isolé. Les structures émergentes sont toutes le produit de telles contradictions dynamiques.

Examinons l’émergence de la matière durable, dite réelle par opposition à la matière virtuelle qui est plus éphémère, au sein du vide. Elle est pleine de contradictions. Le vide contient autant de matière que d’antimatière et le temps y est symétrique (pas de flèche du temps). Par contre, le temps n’existe que sur de très courtes plages inversement proportionnelles aux émissions d’énergie. Le monde du vide engendre un monde de la matière qui lui est complètement contradictoire. Le monde dit matériel est formé de bosons et de fermions qui sont interdépendants mais complètement contradictoires. Ils obéissent à des logiques opposées. Par exemple, les bosons peuvent et apparaître et disparaître sans laisser de trace et sont grégaires. Les fermions sont anti-grégaires (principe de Pauli) et ne peuvent disparaître sans laisser de trace. Cependant ni les uns ni les autres ne peuvent exister sans leur contraire.

Passons au vivant. Il n’est pas de domaine où soit plus évident l’existence des contradictions dialectiques. Elles sont partout présentes. Elles jouent le rôle le plus fondamental, celui de pilote de la dynamique qui est permanente.

La cellule vivante est le siège d’un combat permanent des gènes et des protéines de protection de la vie et des gènes et des protéines de la mort qui cherchent à suicider la cellule de l’intérieur (apoptose). C’est le mécanisme fondamental mais c’est loin d’être le seul mécanisme contradictoire du fonctionnement biologique et génétique. Les gènes qui servent à produire des protéines peuvent également servir à bloquer le fonctionnement d’autres gènes. Ainsi, l’ADN est auto-bloquant, ce qui signifie lui qui est d’abord chargé de produire des protéines ne fait rien s’il n’est pas activé par des protéines spécifiques qui débloquent les gènes de blocage. Activation et blocage sont donc des fonctions assurées par les mêmes types de molécules.

Samuel

D’accord pour dire que le bon sens n’est pas si bon. Mais se peut-il qu’il soit si erroné qu’il nous montre un monde qui existe en continu et que le monde soit complètement discontinu ? Par exemple, la vision nous montre un monde qui ne s’interrompt jamais.

Robert

La continuité de notre vision est une construction extrêmement complexe produite par notre cerveau. C’est un très bon exemple pour montrer l’illusion du continu. Notre œil ne communique à notre cerveau que des images séparées, déchiquetées, discontinues du monde. Ses messages sont neuronaux donc discontinus, le message neuronal se faisant par à-coups. Quant aux images que transporte ce message, elles ne donnent une impression discontinuité que parce le cerveau ne change pas son image pour les éléments du paysage qui ne bougent pas. La toile de fond est communiquée une fois pour toutes et c’est seulement ce qui change ou s’agite qui est envoyé au cerveau, charge à lui de reconstituer l’ensemble. C’est cela qui donne une impression de continuité…Et ce n’est pas tout : bien des dispositifs de l’œil visent à ce même résultat, comme les clignotements et autres mouvements des muscles de l’œil (saccades, clignements des yeux, clignotements des paupières et autres mouvements provoqués par le nerf optique). Ces mouvements désordonnés produisent une apparente vision continue. Quand ils s’arrêtent, la vision devient floue.

Samuel

Admettons que l’on se trompe pour la continuité car on sait que bien des phénomènes visuels ont lieu du fait de transformations réalisées par le cerveau : les fameuses illusions d’optique, mais comment peut-on dire, par exemple, que la vue soit un phénomène …dialectique ?

Robert

Eh bien, d’abord, la vision n’est pas un phénomène sujet à la logique formelle du syllogisme ou logique du oui ou (ou exclusif) du non.

Samuel

Pourtant, on parle bien de vision nocturne en noir et blanc ou, le jour, on dit bien que c’est rouge ou (exclusif) vert et jaune ou (exclusif) bleu.

Robert

C’est vrai que la vision obéit aux oppositions que tu cites mais elles ne sont pas diamétrales. Cela signifie qu’elles ne s’éliminent pas mutuellement. Les neurones du rouge inhibent les neurones du vert, mais ils ne les tuent pas. De même pour le jaune et le bleu. Et inhiber est un phénomène dialectique car l’inhibition de l’inhibition est une activation. Le « ou exclusif » n’autorise pas ce type de négation de la négation équivalent à une affirmation. Savoir qu’il s’agit de phénomènes opposés ne détermine pas le type de logique : formelle ou dialectique. Comme le rapporte le dernier numéro de la revue « La Recherche », pour prendre un exemple récent, des scientifiques comme Vincent Billock et Brian Tsou montrent que, dans le cerveau, des phénomènes contraires produisent des effets équivalents à ceux de la convection : des structures dissipatives. Les opposés ne s’annulent pas mais construisent un ordre. C’est le cas également dans une autre opposition liée à la vision : celle entre bandes horizontales et verticales de neurones connectés qui, ensemble, construisent la vision. Ou encore, avec les cônes et les bâtonnets. Là encore des opposés qui construisent l’ordre par leur combat. Cette dialectique n’est pas abstraite ni imaginaire : elle se fonde sur des cellules neuronales qui ont des canaux mutuellement inhibiteurs, par exemple pour la couleur.

Samuel

Mais notre conscience, au moins quand nous sommes éveillés, n’est-elle pas présente en continu ? C’est bien ce que nous avons comme impression dans notre vie consciente puisque nous ne ressentons pas de rupture. Est-ce encore une erreur d’optique ?Et en quoi cela aurait-il à voir avec le chaos déterministe ?

Robert

La conscience n’est pas une propriété fixe qui appartiendrait définitivement au cerveau mais une structure émergente. Il s’agit donc bel et bien de chaos déterministe au sens de Prigogine. On vient d’en parler pour la vision comparée aux structures de la convection, comme dans les motifs d’auto-organisation de Turing. Quant à l’émergence de structure issue de phénomènes contradictoires, c’est bel bien des contradictions qui mènent à un nouvel ordre : une loi dialectique, par conséquent.

Samuel

La dialectique suppose-t-elle, selon toi, la discontinuité car tu sembles voir un lien entre les deux ?

Robert

C’est exact. La négation suppose une rupture à la fois réelle et logique.

Samuel

Qu’est-ce qu’apporte de fondamental de dire qu’il s’agit de discontinuité, de dialectique et de chaos déterministe ?

Robert

Cela signifie que le monde peut être étudié même s’il apparaît désordonné, qu’il peut produire de la nouveauté structurelle de manière brutale, qu’il a une histoire et n’est pas sans cesse en train de refaire périodiquement la même chose. Cela veut dire qu’il est passionnant et riche. Un monde sans discontinuité serait un monde sans structures, sans organisation, sans hiérarchisation des niveaux, sans interaction, sans transitions de phase, sans histoire…

Samuel

La « dialectique de la nature » n’est-elle pas une hypothèse d’Engels qui ne s’est finalement pas vérifiée ?

Robert

Tu dis que les scientifiques n’ont pas vu, contrairement à Engels, de dialectique de la nature. Je voudrais te montrer que ce n’est pas aussi simple.

Voyons un domaine, celui de la physique quantique :
« Cette description des particules, entremêlant les propriétés des ondes et celles des corpuscules, est révolutionnaire. Elle met en relation des images que notre esprit isole dans des catégories distinctes, voire opposées. L’étrangeté de la chose vient de ce que toutes les particules, qu’elles soient de lumière ou de matière, nous appariassent soit comme des ondes (elles peuvent interférer – l’interférence est une addition qui est inhibitrice) soit comme des corpuscules (elles semblent ponctuelles quand on détecte leur position), mais elles ne sont ni des ondes ni des corpuscules. (…) Puisque les concepts d’onde et de corpuscule apparaissent mutuellement exclusifs en même temps qu’indissociables, il n’existe aucune possibilité de définir leur sens au moyen, d’une seule expérience. On ne peut pas les combiner en une seule image. Néanmoins, ils sont nécessaires l’un à l’autre pour épuiser tous les types d’information que nous pouvons obtenir sur un objet quantique à l’aide des divers appareils de mesure. (…) Dans la bouche de Niels Bohr, le mot complémentarité n’est pas à prendre dans son sens usuel. La complémentarité ne signifie nullement pour lui quelque chose comme « collaboration » ou « association ». La dualité n’est pas un duo, l’association de l’onde et du corpuscule n’est pas une synthèse. Elle incluse toujours au contraire l’exclusion mutuelle et la disjonction des éléments qu’elle met en vis-à-vis. Il faut la voir comme une sorte de paradoxe irréductible qui lie un concept à sa négation. (…) Comme nous dit John Bell, dans la bouche de Niels Bohr, (…) la complémentarité est proche du concept de contradiction (…) Contradiction est le mot fétiche de Bohr, comme l’ont fait remarquer Wootters et Zurek dans un article de 1979. » écrit Etienne Klein dans « Dictionnaire de l’ignorance ».

L’un des fondateurs de la physique quantique, Heisenberg, donnait ses conclusions philosophiques contre la logique formelle du syllogisme en termes très dialectiques :
La théorie quantique peut s’exprimer comme une extension ou modification de la logique classique. Il existe en particulier un principe fondamental de logique classique qui semble avoir besoin d’être modifié : en logique classique, si une affirmation a le moindre sens, on suppose que soit elle soit sa négation qui doit être vraie. (…) En théorie quantique, il faut modifier cette loi du « tiers exclu ».
C’est dire à quel point la dialectique n’est pas étrangère à la physique. C’est ce qu’explique le physicien Ilya Prigogine et la philosophe Isabelle Stengers dans « Order out of chaos » (l’ordre issu du désordre) : « Jusqu’à un certain point, on peut trouver une analogie entre le conflit entre la physique newtonienne et les nouvelles idées en physique et celles qui sont issues du matérialisme dialectique. L’idée d’une histoire de la nature partie intégrante du matérialisme fut développée par Marx, puis plus en détails par Engels. Des développements contemporains en physique, la découverte du rôle constructif joué par l’irréversibilité, ont fait réapparaître dans les sciences naturelles une question qui avait été posée par les matérialistes. Pour eux, comprendre la nature signifiait expliquer comment elle était capable de produire l’homme et ses sociétés. De plus, au moment où Engels écrivait sa « Dialectique de la nature », les sciences physiques semblaient rejeter les conceptions mécanistes et se rapprocher de l’idée du développement historique de la nature. Engels mentionne trois découvertes fondamentales : l’énergie et les lois gouvernant ses transformations qualitatives, la cellule comme base matérielle de la vie et la découverte de l’évolution des espèces par Darwin. »

Le caractère discontinu, brutal, entre des transitions, de la nature est reconnu aussi :
« Seules les situations de crise sont propulsives. »
Le physicien Etienne Klein dans « Conversations avec le sphinx »
« En étudiant la dynamique des galaxies, c’est toute leur histoire que l’on peut reconstituer. Une histoire prodigieusement complexe (...) qui est jalonnée d’évolutions très lentes mais aussi de collisions et de déchirements brutaux. »

Valérie Greffoz dans l’article « Galaxies » de la revue « Ciel et espace » d’octobre 2005.
« C’est précisément parce que les états dynamiques sont suspendus dans l’état critique que tout arrive à travers des révolutions et non graduellement. (...) Les grands systèmes comportant un grand nombre de composants évoluent vers un état intermédiaire « critique », loin de l’équilibre, et pour lequel des perturbations mineures peuvent déclencher des événements de toutes tailles, appelés « avalanches ». La plupart des changements se produisent au cours de ces événements catastrophiques plutôt qu’en suivant un chemin graduel et régulier. »

Le physicien Per Bak dans « Quand la nature s’organise »
Le physicien-chimiste Ilya Prigogine et la philosophe Isabelle Stengers en donnent de multiples exemples physiques dans « La nouvelle alliance » où ils expliquent que « La nature bifurquante est celle où de petites différences, des fluctuations insignifiantes, peuvent, si elles se produisent dans des circonstances opportunes, envahir tout le système, engendrer un régime de fonctionnement nouveau. » « Voici un atome d’uranium qui est resté absolument passif et invariable au milieu des atomes de la même espèce qui l’entourent pendant d’innombrables millions d’années ; tout à coup, sans aucune cause extérieure, dans un intervalle de temps dont la brièveté défie toute mesure, cet atome explose avec une violence auprès de laquelle la brisance de nos explosifs les plus formidables n’est qu’un jeu d’enfant. Ajoutez à cela qu’il en va de même pour un volcan éteint depuis des millions d’années, une espèce invariable depuis des millions d’années, une étoile stable depuis des millions d’années, etc… » écrit le physicien Max Planck dans « Initiation à la physique »

Samuel

Et en ce qui concerne le vivant ?

Robert

Il y a là aussi des auteurs qui ont développé des thèses sur la dialectique du vivant.

« Avec chaque niveau d’organisation, apparaissent des nouveautés, tant de propriétés que de logiques. (…) Une dialectique fait s’interpénétrer les contraires et s’engendrer la qualité et la quantité. »
François Jacob dans « La logique du vivant »

Le géologue et paléontologue Stephen Jay Gould écrit dans « Un hérisson dans la tempête » :

« Il nous faut comprendre au sein d’un tout les propriétés naissantes qui résultent de l’interpénétration inextricable des gènes et de l’environnement. Bref, nous devons emprunter ce que tant de grands penseurs nomment une approche dialectique, mais que les modes américaines récusent, en y dénonçant une rhétorique à usage politique. La pensée dialectique devrait être prise plus au sérieux par les savants occidentaux, et non être écartée sous prétexte que certaines nations de l’autre partie du monde en ont adopté une version figée pour asseoir leur dogme. (…) Lorsqu’elles se présentent comme les lignes directrices d’une philosophie du changement, et non comme des préceptes dogmatiques que l’on décrète vrais, les trois lois classiques de la dialectique illustrent une vision holistique dans laquelle le changement est une interaction entre les composantes de systèmes complets, et où les composantes elles-mêmes n’existent pas a priori, mais sont à la fois les produits du système et des données que l’on fait entrer dans le système. Ainsi, la loi des « contraires qui s’interpénètrent » témoigne de l’interdépendance absolue des composantes ; la « transformation de la quantité en qualité » défend une vision systémique du changement, qui traduit les entrées de données incrémentielles en changements d’état ; et la « négation de la négation » décrit la direction donnée à l’histoire, car les systèmes complexes ne peuvent retourner exactement à leurs états antérieurs. »

.Samuel

Notre conscience, elle-même, n’est-elle pas continue ?

Robert

« Le flux de notre conscience n’est donc pas à envisager comme un changement continu permanent mais plutôt comme une succession d’états stables. (…) De nombreuses données de la psychologie expérimentale et de la neurophysiologie humaine sont en faveur de cet aspect « quantique » de nos états conscients » écrivent Donchin et Coles, 1998 ; Raymond et al, 1992 ; VanRullen et Koch, 2003 et 2005. »

Samuel

D’accord, la matière est discontinue (quanta, particules, molécules, cellules...) mais est-ce que nous pouvons percevoir la discontinuité de la nature dans notre vie quotidienne ?

Robert

Est-ce que l’on monte un mur barreau d’échelle par barreau d’échelle ou continument ?
Est-ce que l’eau tombe des nuages continument ou goutte à goutte ?
Est-ce que nous marchons continument ou pas à pas ?
Est-ce que le neurone agit continument ou par éruptions ?
Est-ce que l’escargot avance continument ou par pas ?
Est-ce que le transport de chaleur se fait continument ou par unités de cycles de convection ?
etc, etc...
Réponse : Jamais continument.

Extraits de « Sciences et dialectiques de la nature » (ouvrage collectif – La Dispute) Article « Le biologiste dialecticien » de Richard Levins et Richard Lewontin :

« Ce qui caractérise le monde dialectique sous tous ses aspects est qu’il est constamment en mouvement. Les constantes deviennent des variables, les causes deviennent des effets, et les systèmes se développent, détruisant les conditions qui leur ont donné naissance. Même les éléments qui apparaissent stables sont des forces en état d’équilibre dynamique qui peuvent soudain se déséquilibrer, comme lorsqu’un morceau de métal tristement gris d’une taille critique devient une boule de feu plus aveuglante qu’un millier de Soleils. (…) Le développement des systèmes à travers le temps apparaît comme la conséquence de forces et de mouvements en opposition les uns aux autres. Cette figuration de forces opposées a donné naissance à l’idée la plus discutée et la plus difficile, et cependant la plus centrale dans la pensée dialectique : le principe de contradiction. (…) Les contradictions entre forces sont partout dans la nature, et non seulement dans les institutions humaines. Cette tradition de la dialectique remonte à Engels (1880) qui écrivait dans « Dialectique de la nature » que les enchaînements dialectiques ne doivent en aucune manière « être introduits dans les faits par construction mais découverts en partant d’eux » et élaborés de même. (…) Des forces opposées se trouvent à la base du monde physique et biologique en évolution. Les choses changent à cause de l’action sur elle de forces opposées, et elles sont ce qu’elles sont à cause de l’équilibre temporaire de forces opposées."

Samuel

D’où vient l’apparence de continuité ?

Robert

L’apparente continuité de la matière est un produit de multiples chocs très rapides qui construisent et détruisent la structure.
« Dans cette théorie, par conséquent, il n’y a pas de particule qui garde toujours son identité (...) Le mouvement est ainsi analysé en une série de re-créations et de destructions, dont le résultat total est le changement continu de la particule dans l’espace. » écrit le physicien David Bohm
dans « Observation et Interprétation »

L’apparente continuité de la matière est un produit de multiples chocs très rapides qui construisent et détruisent la structure émergente.
« Dans cette théorie, par conséquent, il n’y a pas de particule qui garde toujours son identité (...) Le mouvement est ainsi analysé en une série de re-créations et de destructions, dont le résultat total est le changement continu de la particule dans l’espace. »

Le physicien David Bohm
dans « Observation et Interprétation »

Le changement de structure est qualitatif donc discontinu et dialectique :
« Cette diversité (du vivant) n’est rendue possible que par la présence dans tous les mécanismes physiques connus d’interrupteurs (aux noms évocateurs dans le domaine : brisure de symétrie, paramètres critiques, seuils de bifurcation, variables essentielles, bifurcations sous-critiques ou surcritiques, bandes d’instabilité, cascade sous-harmonique, transition rugueuse, etc… qui autorisent le foisonnement, le passage d’un type de forme à un autre. »
Vincent Fleury dans « Des pieds et des mains »

Le biologiste Henri Atlan le souligne dans « Entre le cristal et la fumée » : « L’organisation des systèmes vivants n’est pas une organisation statique (...) mais un processus de désorganisation permanente suivi de réorganisation. (...) La mort du système fait partie de la vie, on seulement sous la forme d’une potentialité dialectique, mais comme une partie intrinsèque de son fonctionnement et de son évolution ; sans perturbation (...), sans désorganisation, pas de réorganisation adaptatrice au nouveau, sans processus de mort contrôlée, pas de processus de vie. »

« Tout système vivant est un système ouvert qui échange continuellement matière et énergie avec son environnement. Il est le siège d’entrées et de sorties, d’une construction et d’une destruction permanentes de ses composants. (...) Il ne connaît pas, tant qu’il existe, d’équilibre chimique et thermodynamique. On peut même dire que la vie tire son énergie du déséquilibre créé par le métabolisme. (...) Le déséquilibre est créateur (...) Il est tentant pour Ilya Prigogine de suggérer que l’origine de la vie est rattachée à des instabilités successives. » explique la biologiste Marie Christine Maureldans « L’énigme de l’émergence ».

Samuel

Qu’entend-tu par dialectique ?

Robert

Les oppositions qui ne sont pas diamétrales, n’obéissent pas à la logique formelle du tiers exclus, ne s’annulent pas mutuellement mais s’alimentent mutuellement et se complètent, construisent un nouvel ordre sans cesse changeant et sont donc dialectiques sont les suivantes :

stable/instable

ordre/désordre

entropie/néguentropie

onde/corpuscule

corps/esprit

homme/animal

matière/vide

boson/fermion

matière inerte/matière vivante

inhibition/activation

énergie/masse

négatif/positif

hasard/nécessité

réel/virtuel

déterministe/indéterministe

réversible/irréversible

instant/durée

incertitude/précision

diversité/conservation

actuel/virtuel

mouvement/changement

émergence/agitation

matière/lumière

lent/rapide

espace/temps

Etat/révolution

ordre des classes / lutte des classes

Ce sont tous des contraires inséparables qui entretiennent une relation dynamique de construction/destruction...

Samuel

La matière est dynamique d’accord mais cette dynamique mène à des stabilités qu’expriment les lois de la physique.

Robert

La physique de la matière n’est pas entièrement dans les lois. Sinon, il y aurait des lois de la matière solide et des lois des fluides, par exemple, mais aucun moyen de passer de l’un à l’autre. Il y aurait des espèces mais pas de changement d’espèce. Il y aurait des climats mais pas de passage d’un climat à un autre. Etc....

La physique de la matière, au contraire, est faite d’auto-organisation tout autant que la vie, l’homme et la société humaine, c’est-à-dire faite d’émergence, discontinue, dialectique (fondée sur des contradictions constructives de nouveauté). la matière passe sans cesse d’une réalité à son contraire, de matière à vide, d’onde à corpuscule, du lent au rapide, du local à l’étendu, etc... La loi n’est que l’expression calme d’un monde très agité.

Samuel : la notion de champ continu ne démontre-t-elle pas que la physique quantique, elle aussi, accepte la continuité ?

Robert : absolument pas. Il suffit d’étudier le champ d’une seule particule pour s’apercevoir que cette notion entraîne des discontinuités à proximité de la charge. Quant au champ dans le vide, il y apparaît et disparaît des charges éphémères discontinues.

Samuel : L’émission lumineuse est pourtant continue ?

Robert : nullement. Elle est discontinue et cette discontinuité est une rupture tous les un cent millionième de seconde.

Samuel : Nous sommes habitués à entourer les objets par un contour. Celui-ci est bel et bien continu.

Robert : Ce contour est illusoire comme l’explique Richard Feynman dans son cours de physique (mécanique tome deux) :

« Il y a combinaison dans l’œil de l’information venant des différentes parties de l’oeil. Nous pouvons voir, par exemple, en y réfléchissant un peu, que ceci est un procédé pour augmenter le contraste aux bords des objets, parce que si une partie de la scène est lumineuse et uen autre partie sombre (…) l’objet verra un renforcement des contours. L’existence d’un renforcement des contours est connue depuis longtemps ; en fait, c’est une chose remarquable qui a été souvent commentée par les psychologues. Pour dessiner un objet, il nous suffit de dessiner son contour. Comme nous sommes habitués à regarder des dessins qui ne représentent que le contour ! Qu’est-ce que le contour ? Le contour est simplement la différence au bord entre le clair et le sombre ou une couleur et une autre. Ce n’est pas le fait, croyez-le ou pas, que chaque objet possède une ligne qui l’entoure ! Une telle ligne n’existe pas. Cette ligne n’existe que dans notre propre construction psychologique. »

Samuel : Un véhicule démarre et se déplace à vitesse constante. N’y a-t-il pas là un phénomène continu ?

Robert : Qu’entendez-vous par là ? Probablement, vous voulez dire que, si on examine tous les instants depuis celui de départ, il n’y a aucune rupture, on peut toujours trouver un instant entre deux instants où il sera dans une position entre les positions qu’il avait aux deux instants. Eh bien, cela est faux et ce pour plusieurs raisons.

Il y a des ruptures dans de multiples termes. La notion d’instants qui se suivraient et seraient situés entre deux instants donnés est fausse. Cela supposerait des instants de durée nulle. Ils seraient absolument insensibles physiquement puisqu’il ne pourrait rien s’y passer. Dans un instant de durée nulle, aucun objet ne peut se déplacer. La notion d’instant de durée infiniment petite est également sans intérêt sar sans réalité physique. L’idée qu’un intervalle serait la somme d’instant est fausse, etc, etc… Déjà, il est impossible qu’en un instant le véhicule entre en mouvement. Rien ne peut se dérouler dans un intervalle de durée nulle, ponctuelle. Le temps ponctuel n’existe pas plus que l’espace ponctuel. Un véhicule qui parcoure continûment de manière cinématique des points d’une trajectoire serait pendant des temps de durée nulle en tous les points et ne serait donc jamais nulle part. la continuité est contraire à toute expérience physique qui nécessite toujours un intervalle d’espace et un intervalle de temps.

Samuel : l’écoulement du temps n’est peut-être pas une série de points mais c’est quand même un écoulement continu.

Robert : absolument pas. L’écoulement du temps a effectivement un sens dans la matière (pas dans le vide) mais cela ne signifie pas une continuité. En effet, le temps se manifeste de manière non-linéaire. Le passé agit sur le présent mais ce sont des instants de plus en plus lointains du passé qui agissent sur un objet suivant la distance de l’action. Du coup, tous les intervalles du passé agissent sur le présent en même temps… Cela n’a rien de linéaire ni de continu. E d’autant moins que l’action nécessite de l’énergie et que la physique quantique a démontré qu’aucune quantité d’énergie ne peut être continue.

Samuel : cependant, quand on définit la vitesse d’un objet, cela se fonde sur la continuité des fonctions mathématiques

Robert : effectivement, mais cela ne marche qu’en moyenne pour un objet contenant un très grand nombre de particules. Pour une particule, on ne peut pas définir la vitesse au sens cinématique, c’est-à-dire la limite de la différence d’espace parcourue par une différence de temps infiniment petite. Une particule quantique n’a pas de vitesse, ni de position. Elle ne peut pas suivre une trajectoire continue.

Samuel

Trouve-t-on le même type de dialectique discontinue et chaotique dans le domaine économique, social et politique ?

Robert

Tout à fait. Et d’autant qu’entre matière inerte et vivante, entre vivant et humain, entre humain et social, il y a des discontinuités dialectiques mais pas de séparation infranchissable...

Samuel

La société capitaliste, par exemple, peut-elle être considérée comme dialectique, chaotique et discontinue ?

Robert

Tout à fait. Le capitalisme n’est nullement un continuum sans contradictions, sans émergence, sans changements brutaux et ruptures.

Samuel

Peux-tu en donner des exemples.

Robert

Une contradiction dialectique fondamentale est celle qui préside à la formation du profit, qui définit même la particularité du profit capitaliste. Il saute d’une forme à une autre avec une rapidité inconnue jusque là et sa recherche et d’abord celle de la rapidité car le rythme des cycles détermine le profit. Et toute la dynamique du capitalisme est dans sa capacité destructrice ultra-rapide. J’ai moi-même été témoin de sa capacité à se détruire. J’ai en effet été dans des régions qui avaient connu des poussées capitalistes avant de détruire d’un seul coup celles-ci : deux vagues capitalistes ont ainsi eu lieu dans la région de Mazamet et une a vu le jour encore avant puis est disparue brutalement en Cornouailles. On peut également citer la sidérurgie lorraine...

Messages

  • Si le monde est dynamique, changeant, s’il a produit au cours de son histoire des particules, des rayonnements, des molécules, de la matière, des étoiles, des planètes, des êtres vivants, c’est qu’il a la capacité de changer et pas seulement de se mouvoir. Et déjà la capacité de se mouvoir nécessite des contradictions dialectiques, comme le pensaient Parménide et Zénon, et comme l’avait souligné Hegel. Mais la nature change et ne se contente pas d’aller vers l’équilibre. Elle produit des structures loin de l’équilibre qui sont dynamiques. Ces structures dynamiques contiennent toutes des contradictions dialectiques, c’est-à-dire qu’elles sont dirigées par des tendances contraires qui non seulement coexistent mais sont inséparables.

    Donnons des exemples de ces contradictions dialectiques dans les phénomènes naturels.

    Le plus simple à mettre en évidence par chacun d’entre nous est celui des mécanismes contradictoires du cerveau. Fermez les yeux et convainquez vous que vous ne devez penser à rien. Un million de pensées vous viennent à l’esprit que vous avez du mal à chasser. Convainquez vous qu’il est très important que vous vous endormiez ce soir. Rien de mieux pour avoir du mal à dormir. Dans votre lit, pensez qu’il est important de ne pas bouger pour ne pas réveiller votre conjoint. Cela suffit à éveiller tous vos sens sur chacun de vos membres et à vous persuader qu’il est absolument indispensable que vous les bougiez. Convainquez vous que vous ne devez surtout pas manger entre les repas et vous voilà saisi de fringales systématiques qui vous apparaissent comme des besoins irrépressibles. D’une manière générale, il suffit que vous vous disiez que vous ne devez pas faire quelque chose, que ce n’est pas bien pour que vous ayez l’impression de vous priver de quelque chose dont vous aviez envie ! Vous touchez là un mécanisme général qui provient du fonctionnement du cerveau. Loin d’aller directement aux pensées et à l’analyse logique des situations, notre cerveau fonctionne par hypothèses successives suivies de leur contradiction. Les deux hémisphères déjà sont sources de pensées contraires. Leur dialogue, loin de résoudre la contradiction, en trouve toujours de nouvelles. Ce n’est pas généralement la source d’embarras particuliers ou de maladies mais la source de la richesse de notre pensée.

    Le cerveau n’est pas plus particulièrement source de contradiction. On les retrouve partout, aussi bien dans l’inerte que dans le vivant. La plupart des gens restent sceptiques devant une telle affirmation. Comment une chose pourrait être elle-même et son contraire ? La lutte des contraires ne donne-t-elle pas la victoire finale à l’un des deux combattants ? La dialectique répond que la victoire donne naissance à un nouveau combat des contraires, qu’elle transforme autant le vainqueur que le vaincu. La fin de l’existence de contradictions serait la fin de toute dynamique. Car un système dynamique sans forces contradictoires aurait vite fait d’en venir à un état stable qui n’aurait plus aucune raison de changer. La mort de la structure est la seule fin possible des contradictions.

    Donnons-en quelques exemples.

    Commençons par la physique fondamentale.

    Le principe d’incertitude d’Heisenberg qui règle les limites de la mesure dans tous les domaines matériels est fondé sur la remarque suivante : plus on essaie de cantonner une particule de matière dans un espace étroit, plus il reçoit d’énergie pour en sortir…

    Partons dans la matière de l’extrêmement grand, dans les étoiles et les espaces interstellaires. Plus l’étoile est de grande taille et subit une forte pression de gravitation due à sa grande masse, plus elle émet une grande quantité de pression de rayonnement due à ses explosions nucléaires dans son noyau.

    Examinons maintenant une échelle intermédiaire : celle de la terre. La météorologie et la climatologie, la tectonique des plaques, le volcanisme et tous les mécanismes de géophysiques sont remplis de contradictions dialectiques. Ce sont par exemple les rétroactions négatives de phénomènes comme les coexistence de deux phases (liquide et gazeuse) au sein d’un nuage. Plus il y a une grande partie du nuage qui condense (en gouttelettes) et plus il y en a une part importante qui vaporise. C’est le fondement même de la structure dynamique du nuage. Et c’est loin d’être un exemple isolé. Les structures émergentes sont toutes le produit de telles contradictions dynamiques.

    Examinons l’émergence de la matière durable, dite réelle par opposition à la matière virtuelle qui est plus éphémère, au sein du vide. Elle est pleine de contradictions. Le vide contient autant de matière que d’antimatière et le temps y est symétrique (pas de flèche du temps). Par contre, le temps n’existe que sur de très courtes plages inversement proportionnelles aux émissions d’énergie. Le monde du vide engendre un monde de la matière qui lui est complètement contradictoire. Le monde dit matériel est formé de bosons et de fermions qui sont interdépendants mais complètement contradictoires. Ils obéissent à des logiques opposées. Par exemple, les bosons peuvent et apparaître et disparaître sans laisser de trace et sont grégaires. Les fermions sont anti-grégaires (principe de Pauli) et ne peuvent disparaître sans laisser de trace. Cependant ni les uns ni les autres ne peuvent exister sans leur contraire.

    Passons au vivant. Il n’est pas de domaine où soit plus évident l’existence des contradictions dialectiques. Elles sont partout présentes. Elles jouent le rôle le plus fondamental, celui de pilote de la dynamique qui est permanente.

    La cellule vivante est le siège d’un combat permanent des gènes et des protéines de protection de la vie et des gènes et des protéines de la mort qui cherchent à suicider la cellule de l’intérieur (apoptose). C’est le mécanisme fondamental mais c’est loin d’être le seul mécanisme contradictoire du fonctionnement biologique et génétique. Les gènes qui servent à produire des protéines peuvent également servir à bloquer le fonctionnement d’autres gènes. Ainsi, l’ADN est auto-bloquant, ce qui signifie lui qui est d’abord chargé de produire des protéines ne fait rien s’il n’est pas activé par des protéines spécifiques qui débloquent les gènes de blocage. Activation et blocage sont donc des fonctions assurées par les mêmes types de molécules.

  • Soudainement…

    Discontinument…

    De manière contradictoire dialectiquement et irréversible…

    Par interpénétration ordre/désordre….

    De manière brutale...

    Par un événement…

    De manière émergente….

    D’un seul coup…

    …. la neige est tombée

    …. le tsunami s’est formé

    …. l’atome a émis un photon

    …. le noyau atomique a fissionné

    …. la glaciation a débuté

    …. l’étoile a démarré ses réactions thermonucléaires

    …. les opprimés sont sortis de leurs gonds

    …. la civilisation a chuté

    …. l’orage a éclaté

    …. un son a retenti

    …. la biodiversité a explosé

    …. la colère a explosé

    …. il est devenu vieux

    …. la pierre s’est rompue sous l’action du gel

    …. Le barrage a craqué

    …. La rivière est sortie de son lit

    …. sa vie a basculé

    …. la falaise s’est effondrée

    …. l’arbre a chuté

    …. le cœur s’est arrêté

    …. le véhicule est démarré

    …. la synapse a éjecté

    …. le métal refroidi s’est aimanté

    …. deux particules ont interagi

    …. la protéine a bloqué le gène

    …. le vase a débordé

    …. la terre a tremblé

    …. une rupture de symétrie a eu lieu

    …. la matière a changé d’état

    …. un nuage s’est dissous dans l’atmosphère

    …. un état quantique a sauté

    …. un liquide a percolé dans un matériau

    … un régime intermittent a sauté de régime

    … un ressort s’est rompu

    …. le neurone a émis une impulsion

    … la vie a subi une grande extinction

    … l’étoile s’est effondrée sur elle-même en supernovae

    …. le bateau a coulé

    … la liaison chimique se forme ou se rompt

    … le matériau s’est fissuré

    …. l’animal a avancé d’un pas

    …. une structure émergente dissipative s’est formée

    …une transition de phase a eu lieu

    Ces phénomènes ne se sont jamais produits continûment, lentement et progressivement, sans rupture et par des transformations infiniment petites…

    La brutalité, la contradiction, le saut discontinu sont indispensables au changement et au mouvement.

    Une seule transformation ne suffit pas, un seul écoulement du temps non plus : il faut deux phénomènes contradictoires aux rythmes très différents.

    • Dialogue sur la discontinuité, le déterminisme et la dialectique

      Soudainement…
      Discontinument…

      De manière contradictoire dialectiquement et irréversible…

      Par interpénétration ordre/désordre….

      De manière brutale...

      Par un événement…

      De manière émergente….

      D’un seul coup…

      …. la neige est tombée

      …. le tsunami s’est formé

      …. l’atome a émis un photon

      …. le noyau atomique a fissionné

      …. la glaciation a débuté

      …. l’étoile a démarré ses réactions thermonucléaires

      …. les opprimés sont sortis de leurs gonds

      …. la civilisation a chuté

      …. l’orage a éclaté

      …. un son a retenti

      …. la biodiversité a explosé

      …. la colère a explosé

      …. il est devenu vieux

      …. la pierre s’est rompue sous l’action du gel

      …. Le barrage a craqué

      …. La rivière est sortie de son lit

      …. sa vie a basculé

      …. la falaise s’est effondrée

      …. l’arbre a chuté

      …. le cœur s’est arrêté

      …. le véhicule est démarré

      …. la synapse a éjecté

      …. le métal refroidi s’est aimanté

      …. deux particules ont interagi

      …. la protéine a bloqué le gène

      …. le vase a débordé

      …. la terre a tremblé

      …. une rupture de symétrie a eu lieu

      …. la matière a changé d’état

      …. un nuage s’est dissous dans l’atmosphère

      …. un état quantique a sauté

      …. un liquide a percolé dans un matériau

      … un régime intermittent a sauté de régime

      … un ressort s’est rompu

      …. le neurone a émis une impulsion

      … la vie a subi une grande extinction

      … l’étoile s’est effondrée sur elle-même en supernovae

      …. le bateau a coulé

      … la liaison chimique se forme ou se rompt

      … le matériau s’est fissuré

      …. l’animal a avancé d’un pas

      …. une structure émergente dissipative s’est formée

      …une transition de phase a eu lieu

      Ces phénomènes ne se sont jamais produits continûment, lentement et progressivement, sans rupture et par des transformations infiniment petites…
      La brutalité, la contradiction, le saut discontinu sont indispensables au changement et au mouvement.

      Une seule transformation ne suffit pas, un seul écoulement du temps non plus : il faut deux phénomènes contradictoires aux rythmes très différents.

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