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Un auteur : Moussa Konaté

dimanche 8 août 2010, par Robert Paris

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  • « Nous sommes ici parce que nos père ont menti. »

    R. Kipling

    Épitaphe pour les morts de la première guerre mondiale.

    ***

    En épitaphe de la troisième partie de son autobiographie (partie intitulée « la guerre »), le syndicaliste Henri Pitaud, né en 1899, trop jeune au début de la déclaration de guerre impérialiste (en 1914) pour partir au front avant avril 1918, a choisi ces mots de Kipling (p.175).

    Dans Le Pain de la terre, Henri Pitaud témoigne de sa jeunesse paysanne. Son enfance s’est d’abord déroulée en Vendée, puis dans le lot et Garonne avant de retourner, à l’âge de gagner son pain, travailler comme valet de ferme ou comme journalier.

    Not’mait’ (notre maître) est l’expression qui revient plusieurs fois, utilisée par les paysans soumis à l’autorité de l’employeur propriétaire terrien. Dans les années 1940 et 1950, cette expression continuait à être utilisée. Le respect de l’exploiteur n’a que trop la vie dure...

    Le jeune Pitaud, à 15 ou 16 ans, est réprimandé par ses employeurs (et pourtant amis) parce qu’il ne va pas à la messe et ne suit pas la bonne moralité. Il quitte sa place de valet de ferme pour redevenir journalier. Dans ce contexte, c’est un geste courageux !

    J’aimerais avoir su plus souvent faire cela moi-même.

    Il s’agit d’un témoignage vivant, poignant, rigolo décrivant la vie libre et dure des paysans au début du XXe siècle.

    Peu de viande à manger, des volailles n’étant élevées que pour la vente, dans les bourrines (maisons de terre, de roseau et de torchis dans les marais) de Vendée.

    Élevé entre une tradition très religieuse et anti-républicaine en Vendée, puis pro-républicaine en Garonne (les garçons vont à l’école communale après 1905 quand les filles continuent d’être envoyées dans les écoles catholiques), la séparation de l’église et de l’état vécue dès la première année scolaire . En effet, le jeune Henri Pitaud n’ira que 4 ans à l’école, ce qui ne l’empêche pas, plus tard, de lire pendant qu’il garde des vaches alors qu’il est trop jeune pour aller aux travaux des champs (qui commencent plutôt vers 13, 14 ou 15 ans).

    A partir de 1914, il va être le témoin du départ de ses cousins, amis, oncles, copains, pour le front, et de la propagande de la guerre courte, puis des soi-disant victoires « françaises ». Il décrit bien comment Foch, Clémenceau, et tous les fils de la bourgeoisie faisant partie de l’état major restaient planqués dans les châteaux loin du front.

    Pendant ce temps, explique et raconte Pitaud, ce sont les jeunes paysans qui se faisaient massacrer dans les tranchées. Voilà ce que les films sortis en 2004 et depuis sur la guerre ne disaient pas. Pitaud ne mentionne pas les prolétaires, ce sont les limites de l’écrivain et de l’individu et du témoignage livré en 1982.

    Pitaud s’exprime également contre Lénine, très rapidement, vers la fin du livre.

    Il est donc probable que son engagement futur se limite au syndicalisme. Notons tout de même que le syndicalisme dans les années 30 et celui des années 2010 n’a quasi rien à voir, en terme d’ambiance, même si au fond, il était, est et reste, limité à un aménagement système et une proposition de négocier avec l’ennemi de classe.

    Reste à aller lire le second tome de ce témoignage pour vérifier ce que Pitaud est devenu dans son engagement. Il fonde L’émancipation paysanne dans les années 1930.

    Mais avant 1914, il s’exprime contre la guerre, dans un meeting avec Jouhaux. Il dénonce l’union sacrée et l’attitude de Jouhaux qui n’ira pas au front mais restera planqué. Le jeune Pitaud lui-même est content de pouvoir participer (bien tard selon l’adolescent qu’il était alors) à l’aventure de la guerre et quitter les champs.

    Ce n’est pas le travail qui manquait pourtant : avec le départ des jeunes hommes des campagnes, nombres de jeunes femmes sont restées sans maris, nombre de fermes manquaient de gars pour les fenaisons (les fauches) et les moissons.

    J’ai noté un passage superbe sur la condition des femmes paysannes. Pitaud évoque les émigrées de Vendée vers la Garonne, suite à un courrier de sa mère lu par les paysans restés en Vendée.

    « Les arguments de ma mère sur la beauté des messes chantées de Vendée et l’irreligion de « la Garonne » n’avaient guère d’influence sur ces pauvres gens qui luttaient dès le 1er janvier pour leur pain quotidien. Pendant l’été 1908, plusieurs familles débarquèrent.

    « Je me souviens de deux d’entre elles, originaires du marais de Saint-Gervais, l’une de neuf enfants, l’autre de onze. Les mères, encore jeunes, avaient le visage flétri par les privations et les soucis. Habituées à la misère, elles semblaient usées par les maternités, le travail et les soins à donner aux enfants, toujours suspendus à leurs jupes. Résignées à leur sort, ces pauvres femmes, étaient de véritables saintes sans le savoir.

    « Arrivées dans ce pays, elles continueraient à trimer tout autant, travaillant dur, ne faisant rien d’autre que de se consacrer au labeur. Pour elles, la journée commençait tôt le matin ; il fallait habiller les enfants, leur donner à manger, nourrir leur homme au visage creusé par les rtravaux des champs, faire lessive sur lessive et veiller à ce que la maison ne ressemble pas à un taudis. Le dimanche, ces malheureuses, croyantes bien entendu, prenaient un peu de temps pour lever les yeusx vers le ciel un ciel où évidemment se trouvait le paradis promis aux pauvres.
    Le lundi tout recommençait. »

    Suite à venir... en attendant, je vous recommende la lecture de ce témoignage très bien écrit.

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