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André Leroi-Gourhan et la conception d’un progrès technique continu et non-historique
dimanche 6 juin 2010, par
Leroi-Gourhan développe un point de vue diamétralement opposé au notre : progressiste, continuiste, anti-historique, contre la notion de révolution sociale, refusant de compter avec les discontinuités historiques.
Ni l’ethnie ni l’outil ne déterminent le type de société, contrairement à ce qu’affirme Leroi-Gourhan. Ce sont les révolutions sociales qui déterminent le mode de production dominant, celui de la classe dominante. Et c’est le mode de production qui détermine les outils. La découverte technique n’est pas l’essentiel. Bien des exemples le montrent. Ainsi Archimède avait inventé la grue. Elle avait été utilisée pour des objectifs militaires par l’Etat de Syracuse afin de détruire les galères militaires romaines. Mais, pour le transport de matériaux, elle ne l’a jamais été car cette société esclavagiste estimait les esclaves parfaitement suffisants à ce type de tâches…
Présenter la technique comme le moteur d’un progrès continu est très classique dans l’idéologie actuelle, mais ce n’est pas une interprétation valable. Le mode de production n’est pas essentiellement une relation entre l’homme et la nature ou entre l’homme et ses outils mais une relation entre hommes et entre groupes d’hommes. L’image donnée par Leroi-Gourhan de l’homme et de la société humaine n’est pas valable. La société des mégalithes ou les sociétés des mégalithes n’existent pas car le mégalithe n’est pas un système social ni un outil d’un mode de production.
Quant au langage, il n’est absolument pas l’expression de la même propriété que l’outil....
Nous ne discutons bien entendu pas la validité de ses recherches mais ses conceptions philosophiques.
"Le langage et l’outil sont l’expression de la même propriété de l’homme. (...) Ce qui caractérise chez les grands singes le langage et la technique, c’est leur apparition spontanée sous l’effet d’un stimulus extérieur et leur abandon non moins spontané ou leur défaut d’apparition si la situation matérielle qui les déclenche cesse ou ne se manifeste pas. La fabrication et l’usage du biface relèvent d’un mécanisme très différent, puisque les opérations de fabrication préexistent à l’occasion d’usage et puisque l’outil persiste en vue d’actions ultérieures. La différence entre le signal et le mot n’est pas d’un autre caractère, la permanence du concept est de nature différente mais comparable à celle de l’outil."" Extrait de "Le Geste et la parole"
« Dans la forme d’un outil trois valeurs interfèrent : la fonction mécanique idéale, les solutions matérielles à l’approximation fonctionnelle qui relèvent de l’état technique et le style qui relève de la figuration ethnique. » Extrait de "Le geste et la parole"
Extraits de "Milieu et techniques" :
« La question des constructions cyclopéennes peut se résoudre en quelques vues techniques : entre un dolmen grec et le Parthénon, il n’y a pas forcément de différence ethnique ou sociale ; les mêmes hommes, à quelques siècles de distance, ont pu, par des moyens peut-être identiques dans leur forme, sinon dans leur envergure, dresser un menhir ou une colonne, mais il y a l’écart considérable que provoque le ciseau du tailleur de pierre. La rupture entre les mégalithes et les murs de grand appareil peut être avant tout provoquée par la technique. Cela est confirmé par les Océaniens, qui ont vécu jusqu’à nous l’âge mégalithique, faute d’outils de métal, et par la Chine où l’on dresse encore toutes les formes possibles entre le menhir le plus naturel et les stèles à angles vifs, sculptées et gravées sur toute leur surface. Si l’on admet qu’il n’y ait pas forcément entre les deux formes de grandes constructions de pierre (mégalithes et constructions de grand appareil), la place d’un effondrement racial, de civilisations perdues et de navigation de propagande mégalithique, il reste pourtant que le dolmen et le menhir bretons sont identiques au dolmen et au menhir coréens. Il est évident qu’on ne peut guère construire un coffre de pierres plates autrement qu’en dressant les unes sur les autres à plat au-dessus et les pierres dressées, avec tous les intermédiaires qui conduisent aux statues, sont si universellement répandues qu’on peut admettre leur éclosion spontanée. (…) La technologie comparée se trouve dans une situation assez différente de celle des autres disciplines de l’Ethnologie, car, dans le domaine technique, les seuls traits transmissibles par emprunt sont ceux qui marquent une amélioration par procédés. On peut emprunter une langue moins souple, une religion moins développées : on n’échange pas la charrue contre la houe. (…) Aussi est-on conduit à poser dans le temps une suite d’états de mieux en mieux adaptés qui illustrent le progrès. Dans le domaine de la morale, des arts, de la société, on peut se demander s’il y a, chez l’Homme, progrès ou stabilité, ou plutôt une série de sursauts ou de chutes qui se traduiraient peut-être par une élévation très lente du niveau général. Dans le domaine technique, le doute n’a jamais effleuré personne : l’Homme perfectionne ses outils avec une efficacité telle qu’il est maintenant, moralement, artistiquement et socialement dépassé par ses moyens d’action contre le milieu naturel, et ce mouvement de progrès technique est si éclatant que, depuis des siècles, chaque groupe qui s’exalte dans ses outils se croit du même coup haussé dans tous les autres domaines. L’Histoire, pour la technologie, est donc fondée non essentiellement sur les accidents politiques mais sur le seul progrès sensible, le progrès matériel. (...)
Il y a donc tout un côté de la tendance technique qui tient à la construction de l’univers même et il est aussi normal que les toits soient à double pente, les haches emmanchées, les flèches équilibrées au tiers de leur longueur qu’il est normal pour les gastéropodes de tous les temps d’avoir une coquille enroulée en spirale. (…) La technique même de l’Histoire consiste à user d’un faisceau composé d’éléments surtout politiques et linguistiques, et secondairement anthropologiques et techniques. Si l’on s’attache à l’histoire de chacun des éléments de ce faisceau, on constate que la zone moyenne de l’Histoire générale est située autour du point de convergence des images politiques, linguistiques, anthropologiques et techniques conventionnellement choisies. En deçà et au-delà, l’image devient floue, parce que les éléments du faisceau divergent. Il y a donc discontinuité dans les représentations successives de l’Histoire générale, mais cela n’implique ni la discontinuité de l’évolution des divers éléments, ni même celle de l’Histoire réelle. (…) Cela porte à poser comme essentielle la continuité du milieu technique. Une telle constatation est lourde de conséquences ; elle n’a jamais été explicitement formulée, mais sous l’angle où nous avons pris la question, elle apparaît comme un des ressorts de l’Evolution même. (…) Le moteur à explosion est sorti des machines hydrauliques du 17ème siècle, du rouet, de la marmite de Papin (ici on peut encore analyser à l’infini : c’est une démonstration supplémentaire de la continuité du milieu technique). Il semble qu’il faille la transformation d’un élément du milieu technique pour créer la condition suffisante à un pas général en avant. Mais on verra que cette transformation ne peut être que minime, la continuité commande son amplitude et l’on ne peut assister brusquement à l’invention du rouet chez les Australiens. »
Extrait de "Milieu et Technique"
BIBLIOGRAPHIE
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Milieu et techniques. Évolution et techniques, II, Paris, Albin Michel, 1945, 512 p.
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« Cinéma et sciences humaines. Le film ethnologique existe-t-il ? » Revue de géographie humaine et d’ethnologie, n° 3, 1948, pp. 42-50.
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Préhistoire de l’art occidental, Paris, Mazenod (coll. L’art et les grandes civilisations), 1965, 480 p.
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Observations technologiques sur le rythme statuaire, in Échanges et Communications (Mélanges offerts à C. Lévi-Strauss), la Haye, Mouton, pp. 658-676.
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« Fouilles de Pincevent. Essai d’analyse ethnographique d’un habitat magdalénien (la section 36) » , septième supplément à Gallia-Préhistoire (en collab. avec M. Brézillon, F. David et al.), 1972 (2 vol.) (331 p).
Les Racines du monde. Entretiens avec Claude Henri Rocquet, Belfond, 1982, 256 p.
Le Fil du temps. Ethnologie et préhistoire 1920-1970, Paris, A. Fayard, 1983, 380 p.
Messages
1. André Leroi-Gourhan et la conception d’un progrès technique continu et non-historique, 6 juin 2010, 19:34, par Robert
« Lorsqu’on examine les témoins de la culture matérielle dans leurs relations entre eux sur l’échelle du temps, l’Europe paléolithique paraît extraordinairement semblable à l’Europe actuelle, plus exactement à celle du siècle dernier » Extrait de Leroi-Gourhan dans « Préhistoire de l’art occidental », 1971
2. André Leroi-Gourhan et la conception d’un progrès technique continu et non-historique, 7 juin 2010, 13:33, par Robert Paris
Leroi-Gourhan insiste toujours sur le caractère ethnique et non social :
« Il reste à l’ethnologie une tâche considérable à accomplir dans la simple mise en place d’une recherche à l’issue de laquelle les unités ethniques apparaîtraient comme les totalités qu’elles sont dans la réalité vivante. »
3. André Leroi-Gourhan et la conception d’un progrès technique continu et non-historique, 7 juin 2010, 18:01, par Robert Paris
Sur les qualités et les limites du point de vue de Leroi-Gourhan lire notamment : ici
1. André Leroi-Gourhan et la conception d’un progrès technique continu et non-historique, 18 juin 2018, 12:10
Bonjour, le lien n’est a priori plus accessible auriez-vous une autre proposition ?
2. André Leroi-Gourhan et la conception d’un progrès technique continu et non-historique, 18 juin 2018, 12:20, par Robert Paris
Effectivement, il semble qu’il y ait un problème.
Voici quelques liens :
https://journals.openedition.org/appareil/580
https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1966_num_7_1_2855
https://journals.openedition.org/pistes/3629
https://journals.openedition.org/tc/5720
http://www.costech.utc.fr/CahiersCOSTECH/spip.php?article18
https://www.google.com/search?tbm=bks&q=leroi-gourhan
Bonne lecture !
3. André Leroi-Gourhan et la conception d’un progrès technique continu et non-historique, 18 juin 2018, 23:59
Merci d’avoir proposé d’autres liens.
4. André Leroi-Gourhan et la conception d’un progrès technique continu et non-historique, 7 juin 2010, 19:42, par Robert Paris
Nous n’approuvons pas non plus la comparaison de Leroi-Gourhan entre développement technologique et développement biologique : « Dans leur très long développement... les techniques paraissent suivre le rythme de l’évolution biologique, et le chopper, le biface semblent faire corps avec le squelette. Au moment où émergent des possibilités cérébrales nouvelles, les techniques s’enlèvent dans un mouvement ascensionnel foudroyant, mais elles suivent des lignes qui miment à tel point l’évolution phylétique qu’on peut se demander dans quelle mesure elles ne sont pas l’exact prolongement du développement général des espèces. (…) L’analyse des techniques montre que dans le temps elles se comportent à la manière des espèces vivantes... Il y aurait donc à faire une véritable biologie de la technique. »
A. Leroi-Gourhan, Le geste et la parole. Technique et langage,
1. André Leroi-Gourhan et la conception d’un progrès technique continu et non-historique, 7 juin 2010, 19:51, par Robert Paris
Certes Leroi-Gourhan lui-même met des limites à la comparaison : "dans le domaine de l’évolution technique, nous avons rencontré des faits qui peuvent s’organiser en images biologiques : ce n’est pas dire qu’ils sont du même ordre, mais simplement que la même réalité se retrouve ici et là dans les manifestations de la vie" (extrait de « Evolution et techniques. Milieu et techniques ») ou encore "le progrès technique ne peut tout à fait être assimilé à une suite de mutations biologiques"( Les racines du monde. Entretiens avec C.-H. Roquet).
Il affirme néanmoins que « l’Australanthrope paraît avoir possédé ses outils comme des griffes », « il semble les avoir acquis... comme si son cerveau et son corps les exsudaient progressivement »(extrait de « Le geste et la parole. Technique et langage »).
Leroi-Gourhan a bel et bien pris exemple sur l’évolution biologique considérée comme une adaptation régulière vers le progrès.
2. André Leroi-Gourhan et la conception d’un progrès technique continu et non-historique, 7 juin 2010, 20:39, par Robert
En voici une illustration. Lire ici
5. André Leroi-Gourhan et la conception d’un progrès technique continu et non-historique, 11 septembre 2017, 11:56, par jane
attention le dernier texte n’est pas extrait de "le geste e t la parole" mais de "milieu et techniques"
1. André Leroi-Gourhan et la conception d’un progrès technique continu et non-historique, 11 septembre 2017, 16:37, par Robert Paris
Merci beaucoup de nous avoir rectifié. Nous sommes toujours très reconnaissant à nos lecteurs qui nous permettent de critiquer nos écrits et de les corriger.