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Un (communiste) algérien : Maurice Laban (1914-1956)

dimanche 28 mars 2010, par Alex

Un Algérien - Maurice Laban, par Jean-Luc Einaudi. Le cherche midi éditeur, 1999, 190 pages.

Maurice Laban était un français né en Algérie (alors colonie de la France) qui rejoignit très jeune le parti communiste. Il a vécu tous les grands événements qui ont marqué la période : le Front populaire, la Guerre d’Espagne, la deuxième guerre mondiale, la Guerre d’Algérie. Il meurt en combattant du côté algérien dans cette guerre, tué par l’armée française.

Il est resté jusqu’à sa mort membre du PC, mais il était un internationaliste et donc un anticolonialiste convaincu, malgré le tournant pro-colonial du PC en 1935. C’est ce qui lui valut des problèmes dans son parti, risquant régulièrement d’en être exclu.

Dès le début de la guerre mondiale il comprend que la revendication d’indépendance de l’Algérie est inéluctable. L’absence des dirigeants du PC pendant cette période lui permet de défendre des positions internationalistes.

Lorsqu’en 1943 dans les valises de de Gaulle et de la "France libre" les dirigeants staliniens du PC tels Garaudy et Marty reprennent le PC d’Algérie en main, c’est le cours patriotique colonial qui reprend le dessus.

En 1945 Laban sent une montée révolutionnaire dans la population rurale avec laquelle il est en contact et comprend que le PC est en train de rater une occasion, et pire, de se couper définitivement des algériens à cause de sa politique d’Algérie-Française.

Il finit par rejoindre les combattants algériens dans le maquis, où il est tué en 1956. Le PC occulte quasiment son engagement lors de sa mort.

Cette biographie fournit donc de nombreux éléments concernant cet abandon des idées communistes par le PC français dans la question coloniale en Algérie. Alors que certains de ses militants, comme Laban, avaient conservé intacts les idéaux qui les avaient amenés conduit au PC, mais restèrent assez isolés politiquement.

Voici quelques extraits :

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Chapitre 1 : une enfance dans l’Aurès

Jusqu’à la fin de l’année 1934, il n’existe aucune organisation com­muniste à Biskra ou Batna. Un an plus tard, une activité communiste commence à se développer, en particulier parmi les cheminots. Le commissaire de police de Biskra, qui observe attentivement la situation, s’inquiète de la perspective d’une implantation communiste parmi les indigènes. « Leur activité s’exercera surtout et presque exclusivement sur la masse indigène, qu’ils auraient déjà sondée, écrit-il au Préfet. Leurs chances de succès actuelles sont réelles. Ils paraissent avoir de nombreux atouts dans leur jeu : crise économique, misère du fellah, pro­pagande subversive à laquelle les milieux indigènes de Biskra sont sou­mis. Les indigènes retrouveront dans la doctrine communiste de nombreux points communs avec l’enseignement qu’ils reçoivent de cer­tains agitateurs : émancipation, conditions de vie meilleures, misère diminuée, propagande antifrançaise ou tout au moins anti-administra­tive [...] Enfin, pour tout envisager et tout prévoir, on est en droit de se demander si les communistes de Biskra ne seront pas aidés, non seule­ment d’une manière fortuite, mais d’une façon personnelle et efficace par le Docteur Saâdane [...] Étant donné l’état d’esprit des indigènes il est à craindre que les idées communistes soient bien accueillies parmi eux et qu’elles rallient très rapidement de nombreux adhérents [...] ».

En cette fin d’année 1935, les partisans du colonel de La Rocque sont nombreux à Biskra : la section des Croix-de-Feu y est forte de cinquante membres et celle des Volontaires nationaux d’une centaine.

Dans le camp opposé, un Front populaire se met sur pied.

En 1936, l’organisation communiste à Biskra s’est suffisamment développée pour constituer un Rayon de la Région algérienne du Parti
communiste français. En septembre 1936, à la veille même de la créa­tion du Parti communiste algérien, le Rayon de Biskra est fort de cent dix militants, indigènes pour la plupart. Les principaux cadres commu­nistes de Biskra sont alors algériens : Debabeche Rachid, Debabeche Mahmoud, Gozli Daha, Ben Lakehal.

C’est précisément en ce mois de septembre 1936 que Maurice adhère au Parti qui, dans quelques jours, va, officiellement, cesser d’être une Région du PCF pour devenir le Parti communiste algérien. « J’ai adhéré au parti lors de sa formation chez moi, en septembre 1936 », écrira-t-il plus tard et il expliquera ainsi les motivations de son adhésion : « J’ai adhéré au parti parce que j’ai gardé l’esprit de classe de mes parents, surtout de ma mère, issus tous deux de familles pay­sannes très pauvres et travailleuses ; j’y ai adhéré parce que, ayant vécu plus en contact avec les indigènes des campagnes qu’avec les Européens, je suis anticolonialiste acharné et pro-arabe, parce que je sens la nécessité de la formation d’une Nation algérienne délivrée de l’esclavage économique où elle se trouve vis-à-vis des capitaux et de l’industrie français ; parce que je suis pour le progrès et la libre expansion de l’individualité de chacun, parce que je ne veux plus d’une société où l’on étouffe et où peu à peu l’immense majorité de la population se trouve rejetée dans la misère et l’esclavage14. »

Chapitre 2 : l’Espagne

« J’ai tiré le principal de mon instruction politique de mes vingt mois d’Espagne, écrira-t-il en mars 1939. Une instruction avant tout tirée de l’action et de la lutte dans des formes diverses et souvent aiguës. »

Le 1er août 1938, à Paris, il est arrêté sous l’accusation d’insoumis­sion mais est vite relâché, fl comparaîtra plus tard devant le tribunal militaire de Constantine.

Le visage couvert de bandages, Maurice est de retour à Biskra où, tandis qu’il était encore en Espagne, de sanglants incidents ont éclaté. Le 6 février 1938, des élections aux délégations financières ont été à nouveau l’occasion de grossiers trucages permettant la victoire du can­didat de l’administration, Sisbane, par quatre voix d’avance sur un partisan du docteur Saâdane, le docteur Benkhelil. Deux électeurs ont été tués par la police et près de vingt mille personnes ont assisté à leurs obsèques. Alors que les manifestants criaient « Vive la France ! Vive Abbas ! » et déployaient un grand drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge, ils furent pourchassés par la police.

Depuis la fin de l’année 1937, les militants nationalistes du Parti du peuple algérien (PPA) ont commencé à s’organiser à Biskra et, au cours de l’année 1938, ils formeront un important noyau.

Maurice retrouve une section communiste qu’il qualifiera de « mori­bonde » et qu’il s’emploie à remettre sur pied. Pourtant, en janvier 1937, le secrétaire général du PCA, Ben Ali Boukort, a tenu à Biskra un mee­ting devant plusieurs centaines d’auditeurs, en majorité indigènes.

Maurice participe également au mouvement syndical afin de faire respecter des lois sociales qui demeurent bafouées. Certains faits sur­venus en février 1937 en disent long à ce sujet. Les travailleurs de la ferme Dufourg demandent une augmentation. Les trois kilos de blé et d’orge mélangés que le patron paie à chaque ouvrier sont, en effet, insuffisants pour faire vivre les familles. Dufourg, le patron, refuse. Les travailleurs se mettent en grève et s’adressent au docteur Saâdane pour trouver une solution au conflit. Dufourg fait alors appel à la gen­darmerie qui intervient dans le campement des travailleurs de la ferme et de leurs familles. Les gendarmes donnent des coups aux ouvriers, leur font subir des vexations, molestent femmes et enfants, confis­quent les instruments de travail. Par la force, les ouvriers sont égale­ment obligés d’apposer leurs empreintes digitales sur une feuille écrite en français.

Le 25 octobre 1938, Maurice comparaît devant le tribunal militaire de Constantine sous l’inculpation d’insoumission. Le quotidien Alger républicain, créé depuis peu et dont Albert Camus est alors un des rédacteurs, rend compte de ce procès. « [...] Laban n’était pas un insoumis ordinaire. Bénéficiaire d’un sursis d’incorporation, il le mit à profit, en décembre 1936, pour s’engager dans l’armée républicaine espagnole. [...] Mais pendant que Laban se battait pour la liberté, son sursis d’incorporation était expiré et, quand, à son retour en France, il se présenta aux autorités militaires, il fut réformé définitivement n° 2, mais fit en même temps l’objet de poursuites pour insoumission. C’est ainsi que le Tribunal militaire de Constantine avait à juger cet insou­mis, glorieux blessé de guerre. Maurice Laban a déclaré qu’il s’était trouvé dans l’impossibilité de rejoindre son corps en temps opportun, en raison des graves blessures qu’il avait reçues. Favorablement impressionné par l’attitude ferme et digne du héros qu’ils avaient à juger les membres du Tribunal militaire de Constantine, après une sobre et émouvante plaidoirie de Me Marc Scamaroni et un court déli­béré, revinrent avec un verdict d’acquittement. »

Le quotidien précise que « dans la salle d’audience, de nombreux amis de Maurice Laban, qui avaient tenu à assister aux débats, applau­dirent au verdict ».

Chapitre 3 : clandestin

Au mois de février 1939, Maurice Thorez, le secrétaire général du Parti communiste français, effectue une tournée en Algérie. Depuis I’H6-1937, la revendication d’indépendance de l’Algérie est considérée par Thorez comme faisant actuellement le jeu de Hitler et de Mussolini. Les nationalistes algériens sont assimilés à des agents du fascisme et les Partis communistes français et algérien ont approuvé la dissolution du parti nationaliste algérien, L’Étoile nord-africaine, par le gouvernement de Léon Blum. Un nouveau parti, dirigé par Messali Haclj, est bientôt né, le Parti du peuple algérien (PPA). Celui-ci est qualifié par le secrétaire général du PCA, Ben Ali Boukort, de « pro­longement du PPF », le parti fasciste créé par Jacques Doriot !

Lors du 9e congrès du Parti communiste français, en Arles, Maurice Thorez confirme que la revendication de l’indépendance n’est plus à l’ordre jour. « La revendication fondamentale de notre Parti commu­niste, déclare-t-il, concernant les peuples coloniaux reste la libre dis­position, le droit à l’indépendance. Rappelant une formule de Lénine, nous avons déjà dit aux camarades tunisiens, qui nous ont approuvés, que le droit au divorce ne signifiait pas l’obligation de divorcer. Si la question décisive du moment c’est la lutte victorieuse contre le fascisme, l’intérêt des peuples coloniaux est dans leur union avec le peuple de France et non dans une attitude qui pourrait favoriser les entreprises du fascisme et placer par exemple l’Algérie, la Tunisie et le Maroc sous le joug de Mussolini et de Hitler, ou faire de l’Indochine une base d’opérations pour le Japon militariste. Créer les conditions de cette union libre, confiante et fraternelle des peuples coloniaux avec notre peuple, n’est-ce pas, là encore, travailler à remplir la mission de la France à travers le monde ? »

Le 4 février 1939, Maurice Thorez se trouve à Constantine où il prend la parole lors d’un meeting au foyer du Théâtre municipal. Maurice y assiste. Ce grand jeune homme mince a alors le visage recouvert de bandages à la suite des interventions chirurgicales qu’il a subies.

Le 11 février 1939, à Alger, Maurice Thorez prononce un discours qui tourne le dos à la revendication d’indépendance de l’Algérie. L’Algérie ne serait qu’une « nation en formation, dans le creuset de vingt races ». H exalte le rôle de la France. « fl s’agit bien, n’est-il pas vrai, de lutter pour le salut de la démocratie et de la paix dans l’honneur et la dignité de notre France à tous [...] », lance-t-il à son auditoire. « Nous avons dit et nous répétons : unir tous les hommes qui veulent vivre libres, sans distinction de races ni de religions, tous les Français de France et tous les Français d’Algérie. Quand je dis Français d’Algérie, je vous entends tous ici présents, vous les Français d’origine, les Français naturalisés, les Israélites, et vous aussi les Musulmans arabes et ber­bères, tous les fils, sinon par le sang, du moins par le cœur de la Grande Révolution française qui ne faisait aucune distinction entre les races et les religions quand elle affirmait que la République française était une et indivisible. Unir enfin autour du peuple de France continuant sa marche historique vers le progrès et réalisant sa grande mission de liberté et de paix dans le monde, tous les peuples de bonne volonté [...] Où est maintenant dans votre pays la race élue, celle qui pourrait pré­tendre à la domination exclusive, celle qui pourrait dire : cette terre a été la terre de mes seuls ancêtres et elle doit être la mienne ? n y a la nation algérienne qui se constitue historiquement et dont l’évolution peut être facilitée, aidée par l’effort de la République française. Ne trouverait-on pas ici parmi vous peut-être, les descendants de ces anciennes peuplades numides civilisées déjà, au point d’avoir fait de leurs terres le grenier de la Rome antique ; les descendants de ces Berbères qui ont donné à l’Église catholique saint Augustin, l’évêque d’Hippone, en même temps que le schismatique Donat ; les descen­dants de ces Carthaginois, de ces Romains, de tous ceux qui, pendant
plusieurs siècles, ont contribué à l’épanouissement d’une civilisation attestée encore aujourd’hui par tant de vestiges comme ces ruines de Tébessa et de Madaure que nous visitions il y a quelques jours. Sont ici maintenant les fils des Arabes venus derrière l’étendard du Prophète, les fils aussi des Turcs convertis à l’Islam venus après eux en conqué­rants nouveaux, des Juifs installés nombreux sur ce sol depuis des siècles. Tous ceux-là se sont mêlés sur votre terre d’Algérie, auxquels 8C sont ajoutés des Grecs, des Maltais, des Espagnols, des Italiens et des Français, et quels Français ! Les Français de toutes nos provinces, mais en particulier les Français des terres françaises de Corse et de Savoie, ceux de la terre française d’Alsace venus pour ne pas être Prussiens.
Il y a une nation qui se constitue, elle aussi, dans le mélange de vingt races. »

Maurice voudrait intervenir, mais sa blessure à la mâchoire l’en empêche ; il désapprouve cette orientation qui continuera durant de nombreuses années à inspirer la politique du PCF concernant l’Algérie.
Pendant ce temps, à Biskra, le 6 février 1939, huit mille indigènes se rassemblent au cimetière musulman pour célébrer la mémoire des victimes tombées un an plus tôt.

« Je reste en contact avec les masses indigènes d’Algérie, chaque fois que j’y séjourne, écrit Maurice. Je suis toujours en contact très étroit avec les masses arabes, surtout rurales [...] ».

En mars 1939, de retour à Paris, en tant que dirigeant régional des étudiants communistes, il doit alors répondre par écrit à un question­naire biographique de la Commission des cadres du PCF. Cette pra­tique concerne l’ensemble des militants communistes ayant des responsabilités dans le Parti, les syndicats, les organisations parallèles. Ces biographies sont ensuite centralisées à Moscou où siège la direc­tion de l’Internationale communiste. Ce questionnaire écrit, que le cadre communiste doit rendre avec ses réponses, porte sur « l’origine et la situation sociale », « la situation de parti », F« instruction et le développement intellectuel », la « participation à la vie sociale », les « répressions subies et le casier judiciaire ». Il s’agit d’un instrument de contrôle sur les cadres communistes.

De ses parents il écrit : « Mon père est depuis l’âge de 15 ans, socialisant et pacifiste. Il a appartenu à la franc-maçonnerie jusque vers I’) <(). Ma mère est, dans la mesure ou clic s’occupe de politique, sympathisante communiste et antipacifiste. Mon père garde quelques liaisons avec les milieux francs-maçons. Mes parents ont en outre quelques tendances colonialistes. »

Aux questions concernant les opposants au stalinisme, Maurice répond notamment : « Je n’ai jamais fait partie du groupe trotskyste. Je n’ai jamais été lié avec les trotskystes. [...] Je pense que le trotskysme est la forme la plus dangereuse de la réaction. » Concernant André Ferrât, il écrit : « Je n’ai jamais eu de relations avec Ferrât ni avec ce groupe. Je ne connais personne qui soit chez eux. »

Sa formation théorique est alors assez sommaire. « De Marx, Engels, Lénine, Staline, j’ai lu diverses brochures de vulgarisation. De Staline, j’ai lu
Le Marxisme et la Question nationale et coloniale. Je l’ai lu plusieurs fois et commenté avec des camarades. »

II fait la connaissance de Laurent Casanova, secrétaire personnel de Maurice Thorez, et conservera toujours pour lui une grande admira­tion. Laurent Casanova est né en Algérie, à Souk-Ahras, également dans le département de Constantine, en 1906. Son père, originaire de Corse, y était cheminot. En 1920, il a été marqué par les grèves des cheminots au cours desquelles son père fut délégué des grévistes. En 1924, la famine qui sévissait lui fit ouvrir les yeux sur les souffrances du peuple arabe.
En août 1939, inébranlable dans sa confiance en l’URSS et en Staline, Maurice approuve la signature du pacte germano-soviétique. Il y voit une manœuvre de Staline visant à gagner du temps pour ren­forcer les positions militaires de l’URSS face à l’Allemagne.

En septembre 1939, le PCF est interdit. Maurice poursuit alors une activité militante illégale. Il part de Paris pour aller à Lille où il s’ins­crit à la Faculté des sciences.

En mai 1940, lors de l’avance allemande, il quitte Lille et rejoint d’abord Paris où il retrouve Simon Kalifa avec qui il part à la mi-juin pour Toulouse et Marseille. Puis il revient en Algérie.

En septembre 1939, le Parti communiste algérien a été interdit en même temps que le Parti communiste français. L’organisation commu­niste d’Algérie, déjà ébranlée par l’annonce de la signature du pacte germano-soviétique, est quasiment démantelée. Des arrestations ont été opérées. En janvier 1940, un comité central est reconstitué à Alger avec notamment Amar Ouzegane et Larbi Bouhali. Il compte également dans ses rangs un dirigeant communiste espagnol qui s’est évadé du camp d’internement Morand, à Boghari : Ramon Via Fernandez. Trois numéros ronéotypés du journal du PCA, La Lutte sociale, sont piihliés mais leur diffusion est très réduite. En avril 1940, tous les nu’inbres de ce comité central sont facilement arrêtés et internés au ninip de Djenien Bou Rezg. Seul Ramon Via Fernandez, qui dirige fyiilement l’organisation communiste espagnole clandestine en Algérie, échappe à l’arrestation.
( "est grâce à lui que l’activité communiste va se poursuivre. Il « ontacte Jean Torrecillas, un militant communiste expérimenté qui a I oncle, en 1926, le Syndicat des dockers d’Oran.

Chapitre 5 : mobilisé

« 22 septembre 1943 :J’ai lu, cet après-midi, Liberté du 17. J’ai trouvé, dans un article de J.-R. Bloch, un passage extrêmement intéressant, qui confirme plei­nement un de mes points de vue sur un sujet épineux, à propos duquel Je m’étais trouvé en désaccord avec beaucoup de chez nous. Je demande simplement qu’on applique à d’autres pays ce qu’on réclame l’inir la France... »

Dans cet article, l’écrivain communiste Jean-Richard Bloch écrit :
« Les Français ont entendu les voix amies qui se sont engagées à restaurer la France dans sa grandeur et dans sa puissance mais ils savent
aussi que la liberté ne se reçoit pas : elle se conquiert. L’indépendance reçue du dehors, comme cadeau à l’enfant docile, est une forme
détournée de la servitude. Les Français demandent à leurs amis non pas une indépendance toute faite, mais les moyens de la reconquérir eux-mêmes. »

Maurice vise ainsi l’opinion couramment répandue chez les conimmunistes selon laquelle l’avenir de l’Algérie est dépendant de la naissance d’une France nouvelle. En décembre 1943, devant la Commission doi affaires musulmanes, Amar Ouzegane exprimera nettement cette « conception dominante : « Demain lorsque le peuple de France sera maître de ses destinées dans la France nouvelle qu’il forge dans ni lutte contre Hitler et Vichy, il assurera aux populations algérienne ! l’égalité totale. »
Maurice poursuit : « [...] Lu en vitesse le journal d’aujourd’hui. Le fait marquant, pour nous, Algériens, est la dissolution de la représen­tation musulmane aux Délégations financières, et l’internement do Ferhat et Sayah. n me semble qu’au lieu de se combler, le fossé se creuse chaque jour davantage. Il faut tenir compte de cela et agir intel­ligemment. Ferhat en sortira sans doute grandi, à moins que nous soyons plus habiles que lui [...] »

Le général Catroux, Gouverneur général de l’Algérie nommé par de Gaulle, vient en effet de prononcer l’internement de Ferhat Abbas el Sayah Abdelkader pour incitation à la désobéissance civile et trouble à l’ordre public en temps de guerre, ainsi que la dissolution de la représentation musulmane aux Délégations financières. C’est, en fait, la réponse de De Gaulle au Manifeste du 12 février 1943 et à son addi­tif du 26 mai 1943 qui réclament dans l’immédiat la participation des musulmans au gouvernement et à l’administration de l’Algérie, l’éga­lité de représentation entre Français et Musulmans dans les assem­blées, en attendant la fin des hostilités où l’Algérie devra être dotée d’une Constitution élaborée par une Assemblée algérienne consti­tuante élue au suffrage universel. En mai 1943, le chef de la France libre a été clair : « La base de l’unité nationale repose sur le principe de la souveraineté française intégrale dans toutes les parties de l’Empire. Rien, absolument rien de ce principe ne peut être abandonné. » Pour sa part, le général Catroux affirme que « l’Algérie et la France ne doivent former qu’une nation ».

chapitre 6 : Biskra

Dans le même temps, il participe au renforcement de l’implantation de l’organisation du Parti communiste algérien à Biskra et dans la région. Autour de lui, on trouve notamment Rachid Debabeche, Ahmed Khallaf, Amira Hamlaoui, Belkacem Mekdad, Haffa Boukhellif, Larbi Rahmoun, Lakhdar Boucetta, Mekki Benlagha. Il y a également Chebbah Mekki, à qui Maurice voue une très grande estime. Né en 1894 à Sidi-Okba, celui-ci a émigré en France où il a adhéré au mou­vement de Messali Hadj, l’Étoile nord-africaine, de 1924 à 1926. Ren­tré en Algérie, il a ouvert un café maure à Sidi-Okba et animé une société culturelle musulmane. En 1936, il était à la fois membre de l’association des Oulémas et du Parti communiste algérien. Le bacha-gha Bouaziz Ben Gana l’accusa alors de s’occuper de politique, fit fer­mer son café et le fit condamner à trente jours de prison. Attaché, poings liés, à la queue d’un cheval, il fut ainsi traîné, sous un soleil écrasant, jusqu’à Ouled-Djellal où il fut interné. À sa libération, il écri­vit au gouverneur général de l’Algérie, Le Beau, pour l’informer et demander une Commission d’enquête. En vain. Chebbah Mekki fut alors obligé de se réfugier à Alger. On lui reprochait en particulier ses relations avec le docteur Saâdane. Chebbah Mekki est à la fois commu­niste et profondément religieux. Un jour, en 1936, le président de l’association des Oulémas, le cheikh Ben Badis, lui a demandé : « Comment peux-tu concilier la religion avec ton appartenance au Parti communiste alors que l’idéologie communiste n’est pas pour la religion ? » Chebbah Mekki lui répondit : « Montre-moi un verset du Coran qui condamne le communisme. Quand tu me le montreras je (|iiitterai le Parti communiste. Je suis avec les communistes parce i|u ils défendent les pauvres. L’islam défend les pauvres. Je sais que rerlaiiis (jim sonl dans l’association des Oulémas sont des exploiteurs des paysans. Même si on prie le même Dieu, je n’ai rien à faire avec eux. »

C’est un bon orateur qui exerce une forte influence sur les popu­lations de l’Aurès. Maurice et lui sont très prochesl.

« La section de Biskra semble devoir faire de rapides progrès, écrit Maurice en mars 1944. Mardi, j’ai assisté à une réunion de cellule ; j’étais le seul Européen. Elle s’est faite en arabe, ordre du jour en arabe. Discussions très intéressantes et positives, surtout sur le plan du ravitaillement. Nous avons décidé de faire venir un député aussitôt que possible pour achever de lancer le Parti. J’ai été chargé d’écrire au groupe parlementaire à ce sujet. »

Très vite, sous l’impulsion de Maurice, les communistes osent s’en prendre publiquement au Cheikh El Arab Si Bouaziz Ben Gana dont le pouvoir tyrannique continue à s’exercer sur les populations indigènes des Territoires du Sud et qui a su se maintenir sous tous les gouverne­ments français des dernières années. En 1937, il a fondé à Alger l.i société « Les Amis de la France » regroupant bachaghas, cadis et « chefs indigènes » au service de l’administration française. En 1939, il a conduit une délégation de « grands chefs » qui a été reçue par le pré­sident Herriot. Lors de la déclaration de guerre, il proclamait : « Les musulmans se reconnaissent français, se font un titre de fierté de leur qualité de français ; se sentent profondément attachés à cette Franco maternelle et libérale pour tous et acceptent d’un cœur joyeux de vivre et de mourir à l’ombre de son drapeau. » Sous Pétain, il a été reçu à Vichy. En décembre 1943, de Gaulle l’a nommé membre d’une commission « chargée d’établir un programme de réformes politiques, sociales et économiques en faveur des Musulmans français d’Algérie »,

Tandis que les populations souffrent terriblement de la famine, le Cheikh El Arab, lui, s’enrichit par le trafic frauduleux des denrée* alimentaires.
Autre scandale que dénoncent les communistes : celui d’Oum l’,l Tiour. En 1940, Oum El Tiour était une petite oasis de l’Oued Rhir en voie de dépérissement total par manque d’eau. Des agriculteurs de in région rassemblèrent des fonds importants en vue de forer un puiU artésien à grande profondeur atteignant la nappe phréatique qui alimente M’Raïer dont le débit est le plus fort du monde. L’administra­tion accorda l’autorisation de forage mais à condition de participer à la moitié du financement du puits et d’obtenir la moitié de l’eau obte­nue afin d’alimenter une expérience de réinstallation de paysans rui­nés, ce qu’on appelait « un recasement ». En 1941, l’eau du puits jaillit avec un débit de 12 000 litres-minute, ce qui pouvait permettre d’arro­ser 36 000 palmiers qui, en production, représenteraient une valeur de plus de 400 millions de francs. L’oasis qui allait mourir devenait une extraordinaire source de richesse. C’est alors qu’au lieu de recaser là les nomades faméliques des Arab Gheraba de la région d’Oum El Iïour ou des paysans sans terre de Tamerna et Sidi-Rached dont les palmiers étaient desséchés, l’administration attribua gratuitement l’eau qui lui revenait à un groupe de très riches colons et à un haut fonc-lionnaire du gouvernement général. Ceux-ci s’installèrent et reçurent des titres de propriété. Devant l’intervention du Parti communiste, craignant que le scandale prenne trop d’ampleur, le Commandant du Territoire de Touggourt, le colonel Astier, les convainc d’abandonner leurs titres de propriété.

« Nous vivons ces jours-ci une vie effrénée, écrit Maurice à Odette le 1er mai 1944 : manifestation du 1er mai ; distribution de tracts. L’effet de ces tracts a été instantané ; la population en a été secouée : oser atta­quer le Cheikh El Arab !... une vague de sympathie dans tout le pays pour nous. Des cellules se forment ; des tribus entières demandent à adhérer en bloc [...] les bobards circulent. Là-dessus se greffe la ques­tion de la municipalité sur le point d’être réglée. Il se produit à ce sujet des manœuvres extrêmement compliquées, des luttes épuisantes, en particulier entre Saâdane et nous. Quelqu’un avait appelé Biskra la pi-lïie Shanghaï, il n’avait pas tort à ce sujet. Si le Parti, en particulier les députés nous aidaient, nous ferions de grandes choses ! À propos, li tu vois Berlioz, dis-lui que nous serions heureux de l’avoir avec in « us. Il resterait à Biskra chez les copains ; le ravitaillement est bon ces lemps-ci. Il se reposerait et nous promettons de ne pas le saouler <l< politique [...] »
« Des tribus entières demandent leur adhésion (nous avons com­mandé 5 000 cartes de sympathisants, que nous attendons toujours). Nous formons des syndicats de fellahs au plein cœur des Territoires du Sud ri ik-s symluais (|iu in- se livivni pas ù des bavardages, mais qui
mènent une action bien précise. De plus, la fameuse section de Biskra a l’avantage de ne connaître aucune scission ; union absolue de tous ses membres. Nous réalisons dans les faits la formule : "Union dans l’action", et ce que tu croiras peut-être plus difficilement, c’est que notre ligne est tout à fait celle du Parti. Depuis que je suis à Biskra et en contact avec la réalité, j’ai fini par assimiler la ligne du Parti et, bien sincèrement, je l’approuve sans réserves ; crois bien que si j’en faisais, je ne me gênerais pas pour te les dire. »
En écrivant cela, Maurice est sans aucun doute sincère. Cependant, un jour, au nom de la section de Biskra, il rédige un rapport dans lequel il dit que mettre en avant des mots d’ordre exclusivement fran­çais est une erreur et qu’il faut aussi parler des revendications natio­nales algériennes.

L’école du Parti, à Alger, est alors faite par André Marty, Etienne Fajon et Roger Garaudy. Ce dernier, promu au rang d’idéologue officiel, n’est alors guère sensible à la question nationale algérienne. En novembre 1943, par exemple, rendant compte d’un meeting du Parti communiste dans les colonnes d’Alger républicain, il écrivait : « À Alger aujourd’hui, le parti communiste rassemblait à son appel, des hommes et des femmes de toutes les classes et de toutes les races : la chéchia du fellah côtoyait Funiforme de l’officier. L’union de la nation française était une réalité. »

Un jour, au cours d’une séance de l’école du Parti, à laquelle Odette assiste, André Marty, parlant du rapport de Maurice le dénonce comme une « déviation nationaliste ». Odette tente de protester, de dire que le rapport a été tronqué, que le mot « exclusivement » a été enlevé, ce qui en déforme le sens. Elle est invitée à quitter la salle.

Maurice est menacé d’exclusion du Parti communiste algérien. Paul Estorges, membre du comité central du PCA, un ancien du procès des 61, avec qui Maurice entretient des relations amicales, vient à Biskra au mois de mai. « La section de Biskra, dans sa candeur, croyait qu’enfin le Parti avait décidé de nous aider en nous envoyant quelqu’un pour enquêter sur des scandales comme on n’en voit pas ailleurs [...], écril Maurice. Au lieu d’aide, ça a été des coups de matraque, et précisé­ment là où nous nous sentions les plus forts : la conduite à avoir vis-à-vis des nationalistes musulmans [...] La section de Biskra a fait bloc autour de moi et a attaqué. »
Après Estorges, c’est Larbi Bouhali, un autre dirigeant du parti, qui est envoyé à Biskra.

En 1951, Maurice écrira : « [...] pour avoir dit, dans un rapport inté­rieur, qu’à mon avis il fallait parler aussi des revendications nationales algériennes, Estorges puis Bouhali ont été envoyés, en 1944, pour me luire exclure ou, tout au moins, me remettre à la base ».
Finalement, Maurice est sanctionné par un blâme.

Chapitre 10 : épilogue

Vous savez maintenant quel fut le long cheminement qui conduisit Maurice Laban jusqu’à ce matin du 5 juin 1956 [il est tué dans le maquis avec des combattants algérien et Henri Maillot]

Celui qui l’a tué est est un soldat du 504ème train. (...) Henri Maillot quant à lui est pris vivant par des militaires puis conduit sur la route. Alors qu’on veut lui faire crier "vive la France" il crie "vive l’Algérie indépendante" et est tué d’une rafale. (...)

Le hasard veut que le jour même où Maurice est tué au combat, Le Monde entreprend, à Paris, la publication du rapport secret de Khrouchtchev devant le XXe Congrès du PCUS, dénonçant certains des crimes de Staline.

Le 6 juin 1956, L’Écho d’Alger titre : « L’aspirant félon Maillot et Laban sont abattus près d’Orléansville. Les deux traîtres accompa­gnaient les assassins de quatre Français musulmans. »

« Une nouvelle s’est répandue, hier, au début de la nuit, dont le reten­tissement s’étendra bien au-delà des frontières de l’Algérie : l’aspirant félon Maillot, et l’ancien instituteur communiste de Biskra, René (sic !) Laban, ont été tués hier au cours d’un engagement dans la région d’Orléansville. Une série d’actes de terrorisme avaient été commis la veille par une bande rebelle dans le douar Sidi Rached, situé dans le Dahra, à une vingtaine de kilomètres au nord-est d’Orléansville et rendu tristement célèbre par le séisme de septembre 54. Quatre Français musulmans avaient été assassinés. Une vaste opération fut aussitôt déclenchée qui débuta hier matin et devait durer une partie de la journée. La bande de hors-la-loi, fortement armée, ayant franchi le Cheliff vers le sud, cherchait à gagner le massif de l’Ouarsenis. Une poursuite s’engagea et le contact fut trouvé au sud du village de Lamartine, sur les hauteurs voisines du barrage de Oued Fodda. »

Ce 6 juin, une troisième rencontre se tient à Alger entre les repré­sentants du FLN et ceux du PC A, chez Jean-Baptiste Cervetti, derrière le siège du Gouvernement Général. Ils organisent l’intégration des membres des Combattants de la libération dans le FLN-ALN.
Dans le train qui la conduit à son travail, Odette lit l’Humanité. Le discours prononcé la veille à l’Assemblée nationale par Waldeck-Rochet retient toute son attention. Il y expose les raisons pour les­quelles les députés communistes vont s’abstenir dans le vote sur l.i confiance réclamée par le président du Conseil, le socialiste Guy Mollet. Odette, comme bien d’autres communistes, a été révoltée p:u le vote des pouvoirs spéciaux par les députés communistes. Aujour­d’hui encore, ceux-ci refusent de se prononcer contre ce gouvernement qui pourtant mène la guerre en Algérie.

Le train arrive à destination sans qu’elle ait eu le temps de lire, en page quatre du quotidien communiste, ces quelques lignes : « Selon
l’Agence France-Presse l’aspirant Maillot aurait été tué près des Beni-Rached ». « L’Agence France-Presse annonçait hier soir que deux Algériens d’origine française qui faisaient partie d’un maquis ont été tués hier près des Beni-Rached dans la région d’Orléansville. L’un d’eux serait un instituteur de Biskra, Henri (sic !) Laban, expulsé de Constantine en 1955 et qui avait disparu depuis. Selon l’AFP Henri (sic !) Laban était membre du Parti communiste algérien. »

Habituellement, quand elle arrive au travail, ses collègues sont contents de la voir ; aujourd’hui, ils lui paraissent tristes. Elle est ins­tallée à son poste de travail quand on l’appelle pour une communica­tion téléphonique personnelle, ce qui pourtant est normalement interdit. C’est son fils qui lui annonce : « Papa a été tué ! » L’enfant et sa tante ont écouté les informations sur Radio-Luxembourg et c’est là qu’il a entendu la nouvelle. Au téléphone, Odette lui dit : « Ce n’est pas vrai ! » Au mois de décembre dernier, on a déjà annoncé la mort de Maurice et c’était une fausse nouvelle. « Ne bouge pas ! J’arrive. » Elle va voir le directeur qui lui lance : « De la graine comme vous on n’en veut pas ! Partez ! » Elle est licenciée sur-le-champ.

Sans attendre sa mère, bouleversé, le petit garçon, qui n’a pas encore 10 ans, se précipite au siège du comité central du PCF. Il veut être rassuré mais s’entend dire que sa place, ce jour-là, n’est surtout pas en ce lieu et il est renvoyé.

Dans la rue, horrifiée, Odette s’attarde devant les kiosques à jour­naux. En première page du Figaro, on peut lire : « L’aspirant Maillot et un instituteur communiste tués dans le camp rebelle au cours d’un engagement [...] Au cours d’une opération dans la région d’Orléans-ville, l’aspirant félon Henri Maillot et René (sic !) Laban, un institu­teur communiste, également passé aux rebelles, ont été tués. » En page sept, sous le titre « L’aspirant félon Henri Maillot et un instituteur communiste tués dans le camp rebelle », on lit une correspondance par téléphone de René Janon : « [...] Les officiers qui dirigeaient l’opéra­tion constatèrent que deux cadavres étaient ceux de deux Européens. Il fut facile d’identifier l’un des deux hommes : on trouva dans ses poches l’arrêté d’expulsion pris contre lui il y a près de seize mois. C’était l’ancien instituteur communiste de Biskra, René (sic !) Laban, passé chez les rebelles de l’Aurès, dès le mois de novembre 1954, condamné à mort par contumace depuis [...] Cependant, des spécialistes des services d’anthropométrie furent aussitôt envoyés à Lamartine, près d’Orléansville, où avaient été transportés les cadavres. On confirmait, cette nuit, que les cadavres ont été identifiés de façon certaine comme étant ceux de Laban et de Maillot. »

En page trois de Libération, sous le titre prudent « L’aspirant Maillot aurait été tué », on lit : « Une brève nouvelle diffusée hier soir annonçait qu’au cours d’une opération militaire dans la région de Béni Rached deux Algériens d’origine européenne ont été tués aux côtés de cinq fellagas. L’un d’eux serait l’instituteur communiste Laban et l’autre le jeune aspirant Maillot qui avait récemment rejoint le maquis. »

Pour Odette et son fils, l’attente commence, avec l’espoir que Maurice est vivant et qu’il va se manifester bientôt comme au mois de décembre précédent.

Le lendemain, L’Écho d’Alger revient sur les faits : « Dans l’Ouar-senis, resté longtemps à l’écart de l’agitation terroriste, quatre assasi-nats provoquèrent samedi une violente émotion [...] L’agha Boualem, un notable des Béni Boudouane, très connu pour son glorieux passé militaire (il est lieutenant de tirailleurs) et pour son attachement à la France, mobilise 200 de ses montagnards. La consigne était formelle : surveiller le moindre mouvement pour étouffer la rébellion dans l’œuf. 24 heures plus tard, l’un des fidèles de l’agha, vint, à bride abattue donner l’alerte. Un étranger venait de se ravitailler à Lamartine. Son mulet lourdement chargé, il regagnait le Djebel Deraga. Les monta­gnards usèrent d’un stratagème. Deux d’entre eux engagèrent la pour­suite. Le ravitailleur les conduisit jusqu’à la bande qui les fit prisonniers. Ils se proposaient en s’évadant un peu plus tard de démas­quer la cachette des rebelles. Mais les hors-la-loi flairèrent la super­cherie et les deux malheureux allaient périr égorgés quand une opération de grand style fut déclenchée par le capitaine SAS Cognyll et l’agha Boualem. Une section du 504e Train, un escadron de gendar­merie mobile et le GMPR d’Orléansville lançaient mardi, à l’aube, une vaste manœuvre d’encerclement. À 10 h, le bouclage était terminé. »

Ce même jour, on lit dans l’Humanité, en page quatre : « La mort de l’aspirant Maillot officiellement confirmée. » « Les autorités adminis­tratives d’Alger ont délivré hier un permis d’inhumer au nom de l’aspirant Henri Maillot, tué au combat près de Béni Rached, dans in région d’Orléansville. À ses côtés se trouvait le corps d’un insiiiiiimi
d’origine européenne, Henri (sic !) Laban, comme Henri Maillot, membre du Parti communiste algérien. Né en 1928 en Algérie, fils d’un militant de la CGT, Henri Maillot avait été rappelé avec le grade d’aspirant dans une unité militaire. Jugeant qu’il ne pouvait porter les armes contre la liberté de son peuple, il quitta sa compagnie le 4 avril dernier et rejoignit le maquis. Quant à Henri (sic.’) Laban, il avait quitté son domicile en décembre dernier, le jour où un arrêté d’expul­sion lui fut signifié. Sa mort avait déjà été annoncée dans les Aurès il y a quelques mois. »

Dans Libération, sous le titre « La mort de l’aspirant Maillot », on lit : « Les autorités administratives ont confirmé que c’est bien l’aspi­rant Henri Maillot qui, avec l’instituteur Henri (sic !) Laban, a été tué, mardi, près de Lamartine, dans la région d’Orléansville.

L’aspirant Maillot, Algérien d’origine européenne, avait rejoint le maquis algérien le 4 avril dernier avec une cargaison d’armes. Peu de temps après, un document signé de son nom était adressé aux journaux parisiens. On y Usait notamment : "L’écrivain français Jules Roy, colo­nel d’aviation, écrivait il y a quelques mois : ’Si j’étais musulman, je serais du côté des fellagas.’Je ne suis pas musulman, mais Algérien d’origine européenne. Je considère l’Algérie comme ma patrie. Je considère que je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils".

Cinq autres Algériens ont été tués au cours de l’engagement. »

Le ton est bien différent dans Le Figaro qui titre en première page : « Comment fut abattu l’aspirant félon Henri Maillot. » En page sept, on lit : « Le traître a été tué par des soldats de son ancien bataillon [...] Par un jeu du destin qui ressemble singulièrement à un acte de justice immanente, l’aspirant félon avait été abattu par les soldats de l’unité qu’il avait trahie le 4 avril. »

En page une de France-Soir, on Ht : « L’aspirant félon Maillot aurait été tué en combat dans les rangs des rebelles. » L’édition suivante est plus affirmative : « L’aspirant déserteur Maillot a été abattu par un rap­pelé qu’il avait instruit.
Le traître, grimé, avait les cheveux et les sourcils teints. »
Dans Le Monde, on lit : « Le corps de l’ex-aspirant Maillot officiel­lement identifié. L’officier félon a été tué en même temps que l’insti­tuteur Laban dans un combat près d’Orléansville [...] Quant à Laban, il avait disparu en novembre après notification de son expulsion et l’on avait appris par l’organe clandestin du parti communiste algérien Liberté qu’il avait organisé un petit maquis à Sidi-Onan. »

L’organe officiel du Parti socialiste-SFIO, Le Populaire, titre quant à lui : « L’aspirant Maillot est abattu ainsi qu’un autre rebelle européen communiste » et reprend également l’expression « l’aspirant félon Henri Maillot ». « La nouvelle de la mort dans les rangs fellaga de Maillot et de Laban a eu un immense retentissement dans l’opinion. La trahison ne reste pas impunie, dit-on. »

Le 8 juin, France-Soir indique que « Maillot et Laban ont été enter­rés au cimetière de Lamartine sous la protection de la gendarmerie ». « Les deux cercueils de bois blanc, contenant les dépouilles de l’aspi­rant félon Henri Maillot et de l’instituteur communiste Maurice Laban, abattus mardi, ont été conduits hier, à la tombée de la nuit, au cime­tière de Lamartine, à 30 km d’Orléansville, sous la protection d’un peloton de gendarmerie. La population du village, le regard durci par la colère, avait pendant six heures interdit l’entrée du convoi funèbre dans le cimetière. »

En fait, la population européenne de Lamartine s’étant furieusement opposée à ce que les corps de Maurice et de ses camarades soient enterrés dans le cimetière, cinq fosses ont été creusées au-delà des murs, dans une clairière. C’est là qu’ils reposent.

Le 9 juin, Le Monde parle de « [...] la petite bande dont faisaient partie l’aspirant félon et l’ancien instituteur ».

Ce même jour, le Parti communiste algérien publie un tract clan­destin qui ne retient que le seul nom d’Henri Maillot. « Gloire à Henri Maillot, héros de la cause nationale [...] Son sacrifice héroïque mar­quera dans l’histoire de notre pays. Son nom restera éternellement vivant au cœur de notre peuple [...] Henri Maillot et ses camarades ont inscrit leurs noms, en lettres de sang, sur la longue liste des martyrs de la liberté [...] »

Pourquoi cette ultime occultation du nom de Maurice Laban ? Car, enfin, au regard de l’histoire du communisme en Algérie durant les vingt dernières années, l’annonce de sa mort avait une portée au moins aussi grande que celle d’Henri Maillot. Sans doute faut-il voir là une nouvelle marque de la méfiance avec laquelle il a fréquemment été considéré parmi les dirigeants communistes. D’ailleurs, à la lecture de ce tract on peut remarquer la persistance de conceptions avec les­quelles Maurice était en total désaccord depuis fort longtemps. On y parle, en effet, d’« un combat juste et exaltant au cours duquel se forge aujourd’hui la jeune nation algérienne ». Il s’agit là d’une reprise actualisée de la théorie de Maurice Thorez sur « l’Algérie nation en formation ». Or, aux yeux de Maurice, l’Algérie était bel et bien une nation dominée par le colonialisme et maintenant engagée dans une guerre d’indépendance dans laquelle il avait voulu prendre part.

On ne saurait oublier non plus que l’auteur de l’article infamant que Maurice avait gardé sur lui jusqu’à sa mort, André Moine, même s’il avait maintenant moins d’influence qu’autrefois, continuait néanmoins à jouer un rôle dans l’organisation clandestine du PCA dont il était notamment responsable de l’imprimeriel.

Il faudra attendre le 12 juillet pour voir le nom de Maurice figurer dans une lettre adressée par la direction communiste au FLN : « Notre parti est le seul en tant que tel à rassembler dans ses rangs des Algériens de toutes origines, musulmans, européens, Israélites. Il éprouve une légitime fierté d’avoir formé des patriotes conséquents, non seulement parmi les Musulmans qui subissent directement l’oppression natio­nale, mais aussi les Européens, comme en témoignent l’action et le sacrifice d’Henri Maillot, Maurice Laban et tant d’autres héros qui lut­tent et meurent pour que vive l’Algérie libre et indépendante. »

Dans son édition du 14 juin 1956, sous le titre « La mort de l’aspi­rant Maillot », l’hebdomadaire France Observateur publie une nou­velle version des faits, mêlant exactitudes et erreurs.
« Un correspondant européen nous a fait parvenir le récit de la mort de l’aspirant Maillot. Connaissant les sources de ce correspondant, nous avons décidé de publier, à titre d’information, un texte dont l’au­thenticité ne saurait être contestée.

Maillot n’a pas été tué en combat comme on l’a dit. n a été pris vivant (et absolument indemne) avec deux Musulmans des Beni-Rached et l’instituteur Laban. Tous les détails qui ont été donnés par la
presse sur la première phase de l’opération sont vrais (arrestation d’un ravitailleur avec sa mule volée au douar des Beni-Rached ; action du caïd des Beni-Boudouane ; participation de nombreux Musulmans aux opérations). Au moment de la capture, on ignorait de qui il s’agissait, et on a continué de l’ignorer jusqu’après le massacre ; bien mieux : on n’était pas sûr qu’il s’agissait d’un Européen, car la couleur rousse de ses cheveux et de ses sourcils (décolorés) prêtait à confusion. Il a été arrêté par des soldats du 504 BT, mais les gendarmes mobiles d’Orléansville l’ont vite "pris en main". Coups de pied dans les côtes, coups de poing dans la figure, etc.

La séance a duré une demi-heure selon les uns, presque deux heures selon les autres, fl était torse nu, un genou en terre, les mâchoires serrées, et il refusait de parler. Au bout d’un certain temps, un adjudant ou un lieutenant de gendarmerie lui a dit : "Lève-toi, tu peux filer." Il s’est relevé lentement, en sachant ce qui l’attendait, et s’est mis à s’en aller à reculons, suivi à quelques pas par deux hommes armés de mitraillettes, fl a fait une dizaine de mètres et a crié d’une voix forte : "Vive le Parti communiste algérien". Une rafale lui a scié les jambes ; il s’est écroulé en criant.
Les trois autres, Laban en particulier, ont été exécutés de la même façon.
On a réuni ensuite gendarmes et soldats pour leur dire de se taire : "Oubliez ce que vous avez vu. Ces hommes ont été tués au combat." Ce qui est important, c’est que l’on ait ignoré l’identité de Maillot au moment où on le frappait et où on l’a tué. Identifié, l’aspirant Maillot aurait été probablement fusillé. Ces exécutions sommaires n’en sont pas moins révélatrices du climat de l’actuelle "pacification". »
Après avoir lu cet article, Odette se rend au siège du journal et y ren­contre le rédacteur en chef, Gilles Martinet. Elle souhaite en savoir plus et pouvoir entrer en contact avec l’informateur à l’origine de ces infor­mations. Cela ne sera pas possible car celui-ci ne réside pas en France.

Cette version de la mort d’Henri Maillot, exécuté froidement, sera confirmée par Marcel Montanié, communiste d’Orléansville, affirmant la tenir du docteur Bensouna, ami du bachagha Boualem. Des années plus tard, en 1989, un paysan algérien racontera que tandis qu’il fai­sait paître son troupeau non loin du lieu de l’accrochage, il entendit une voix qui ordonnait : « Crie "Vive la France !" Puis une autre voix répondre : "Vive l’Algérie indépendante !" »

Dans son édition du 14 au 20 juin 1956, France Dimanche publie une photo du cadavre nu d’Henri Maillot et une autre où l’on voit cinq tas de terre dans une clairière. Une légende dit : « [...] H reste de la bande cinq tumulus anonymes sur un terrain vague [...] ». Un « reportage », suant la bassesse, signé Voldemar Lestienne, dresse de Maurice le por­trait suivant :« [...] On le vit errer dans les rues de Biskra, les yeux dans le vague, tenant des propos incohérents, mystique en djellabah. D ser­vait aux Arabes de domestique et s’asseyait aux carrefours en nasillant : "Écrivain public, écrivain public !" Les fellagas s’approchaient de lui avec des mines mystérieuses, fl sortait son écritoire et écrivait, pour eux, leurs lettres d’affaires et leurs plaintes à M. le préfet. En Islam, on n’écrit pas de lettres d’amour. Le mystique se fit trafiquant de moutons. Puis commerçant : il acheta des palmiers et se mit à faire grossir des cochons avec les eaux grasses de la ville de Biskra [...] »

Dans les jours qui suivent la mort de Maurice et de ses camarades, les services de l’armée éditent un tract : « La trahison ne paie pas. » « Le traître Maillot, corrompu par les idées communistes, était passé à l’ennemi avec un chargement d’armes. Condamné à mort par les Tribunaux, Maillot a été aussi condamné par Dieu qui a voulu qu’il soit abattu le 5 juin 1956 par ses propres soldats amenés sur le lieu de l’accrochage par le camion qui lui avait servi à consommer sa trahison.

Le traître Laban, dirigeant communiste, ancien membre des Brigades internationales, avait bénéficié de la générosité de la France, qui, met­tant fin à sa vie d’aventure, l’avait admis dans le cadre de ses institu­teurs. D avait lui aussi trahi la mission de paix qui lui avait été confiée. Traqué une première fois dans les Monts Nementchas en 1955, Laban vient de subir aux côtés de Maillot le sort que Dieu réserve aux traîtres.
Dieu n’aime ni le traître ni le criminel. (Coran, Sourate 4, Verset 107.) »

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