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Neurosciences et psychanalyse

lundi 10 août 2015, par Robert Paris

Gérard Pommier

Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse

(Flammarion, 2004)

Qu’est ce que les neurosciences ont apporté d’essentiel ces dernières décennies, qui vienne confirmer les thèses psychanalytiques ?

1) D’abord le phénomène d’attrition, c’est-à-dire le fait que les neurones présents à la naissance dégénèrent s’ils ne sont pas utilisés.
La masse neuronique est surnuméraire au départ de la vie et l’excédent disparaîtra mais les neuf dixième des connexions ne sont pas encore instaurées. Un "branchement" sur l’extérieur est nécessaire, et tout particulièrement pour l’être humain qui ne peut se développer hors le langage et la culture.
S’agissant de la parole, l’attrition est fondamentale car non seulement seuls les sons utiles seront sélectionnés (les phonèmes de la langue maternelle) mais leur signification dépendra de l’extérieur, de l’entourage humain. << la parole intronise le roi neurone >>, écrit G.Pommier. << Pour l’enfant nouveau-né, les connexions nerveuses prolifèrent grâce à la musique qu’il entend. Elles décuplent dés que les sons prennent un sens. Elles centuplent lorsque celui qui les a entendus les chante à son tour et s’en fait sujet.>>
La caractéristique du langage étant que le sens d’un mot renvoie toujours au son et au sens d’un autre mot, << la pensée n’arrête plus de penser... L’incomplétude de chaque mot fonctionne comme une sorte de moteur perpétuel qui carbure tout seul à sa propre incomplétude de sens. Les mots ne finiront jamais de s’associer entre eux pendant la durée de la vie.>>
Il y a là un saut qualitatif de l’animal à l’homme car chez ce dernier le système d’information n’est pas inné mais vient de l’extérieur. La matérialité du langage informe les assemblées neuroniques (leur donne forme) et l’hérédité génétique ne se potentialise que grâce à elle, si bien que la sexuation, la reproduction et l’alimentation elles-mêmes deviennent tributaires de conditions symboliques.

2) Le corps psychique.
Qu’on se remémore une scène et le cortex visuel s’active ; qu’on se représente une action et les aires motrices correspondant à celle-ci se mettent en fonction.
Dans le phénomène du membre fantôme, l’amputation n’empêche pas la personne de continuer à percevoir la main disparue ou à en souffrir. Plus encore, le territoire cortical de la face peut être envahi par cette douleur, et parfois quelques heures seulement après l’amputation (ce qui exclue une recolonisation neuronale mais suggère une déshinibition de connexions antérieures masquées).
V.Ramachadran cite le cas d’une femme née sans bras et qui perçoit ses mains fantômes en train de s’agiter quand elle parle.
Le même Ramachadran, pour faire disparaître les douleurs du membre fantôme, surimpose, par un jeu de miroirs, l’image du membre existant à celle du membre absent.
Ces exemples et d’autres, comme ceux de l’héminégligence (le sujet ne tient pas compte d’un des côtés de son champ visuel) ou les divers maux somatiques survenant dans des situations difficiles, amènent à parler d’un corps psychique ou corps investi par le pulsionnel.

3) La pulsion.
Ces manifestations d’un "corps psychique" permettent de donner toute sa portée à la notion freudienne de "pulsion".
Celle-ci << apparaît comme une force psychique étayée sur les besoins et les orifices correspondants du corps : la bouche, l’anus, les yeux, les oreilles, etc...>> Mais cette pulsion est modelée par la demande maternelle et cette demande (cet investissement de l’enfant par l’adulte) est si forte, si "violente", qu’un rejet (le refoulement primordial) est nécessaire.
Les pulsions rejetées à l’extérieur animent dès lors le monde extérieur. La perception humaine est anthropomorphique. Un double de soi, un fantôme, habite le monde.
<< La croyance universelle en un monde magique anthropomorphique, l’imagination animiste spontanée des enfants ou la puissance du culte des morts dans toutes les cultures sont autant de démonstrations de la colonisation du monde des sensations par les pulsions rejetées. Les hallucinations en sont la preuve pathologique.>>

4) Cerveau droit/cerveau gauche.
D’abord reflété par l’Autre maternel, l’enfant doit refouler ce "il" prisonnier d’une image afin d’accéder au "je". Il passe de l’imitation à l’identification, ce qui suppose un retournement d’espace et une latéralisation du corps.
Les neurosciences ont localisé les activités pulsionnelles dans les aires corticales droites et les opérations différentielles verbales et abstraites dans l’hémisphère gauche.
Cette bipartition n’est pas innée, souligne l’auteur, car en cas de "split brain" (séparation des deux hémisphères) avant la puberté, le cerveau se réorganise et << les transferts de dominance langagière de l’hémisphère gauche à l’hémisphère droit restent possibles durant les dix premières années de la vie.>>
L’important est cette bipartition entre un lieu du pulsionnel et un lieu pour sa symbolisation (les aires du langage). L’imagerie cérébrale montre la dissociation entre les sons (pulsionnels) des mots et leur sens.
Selon le titre de l’un des chapitres, << la parole, travailleuse de gauche, refoule la pulsion, jouisseuse de droite.>>
Il y a une vectorialisation qui va du sensoriel au langagier.
<<...dans une mélodie, ce qui relève du musical se situe à droite, tandis que les éléments signifiants de la musique se localisent à gauche.>>
G.Pommier cite les travaux de M.Kimura qui a montré que les voyelles étaient perçues par les deux hémisphères alors que les consonnes ne l’étaient que par le gauche. Chez les japonais, dont la langue voyellise très fortement, le chercheur Tadanobu Tsunoda a observé une hémidominance à droite alors que la latéralisation cérébrale des japonais ayant appris comme langue maternelle l’espagnol, le portugais ou l’anglais, correspondait à celle des occidentaux.
Concernant le vieux débat des rapports de l’image et de la pensée, Gérard Pommier affirme que, strictement parlant, les images ne pensent pas car elles fonctionnent par analogie, par glissement des unes vers les autres, et qu’elles piègent la pulsion, alors que la conscience humaine doit se séparer des sensations pour discriminer et organiser. La "représentation de chose" (selon l’expression freudienne), perception investie par la pulsion, est refoulée au profit de la "représentation de mot".

5) Conscience et Inconscient.
La recherche neuroscientifique rencontre là un problème majeur.
Dans l’exemple de la vision, les différentes caractéristiques sensorielles du stimulus sont traitées par des aires distinctes et sont connectées avec des assemblées de neurones autres que celles de la perception. Les souvenirs sont convoqués pour que les sensations soient reconnues.
Jusque là, on peut parler de "conscience" chez les animaux, lesquels mémorisent des signes dénotatifs qu’ils utilisent ensuite pour interpréter les signes nouveaux.
Mais la dépendance de la perception humaine au langage et à la relation à autrui ne permet pas de l’assimiler à la perception animale. Les perceptions humaines doivent être validées par la parole de l’Autre et un jugement de valeur leur est attribué. (1)
Ce qui qualifie la conscience humaine n’est pas tant l’attention, comme chez l’animal, que la réflexivité discursive. Réflexivité qui est la fonction majeure du néocortex préfrontal (30% de la masse néocorticale). Ce dernier << traduit dans une dimension organique la fonction d’intégration psychique du narcissisme, c’est-à-dire la subjectivation du moi réflexif.>>
Ces aires associatives préfrontales jouent un rôle essentiel dans la finalité des comportements, l’affectivité et la structuration temporelle. Nombre de chercheurs emploient d’ailleurs à son sujet le terme de "miroir".
Chez l’humain, c’est toutefois la réflexivité des phrases et le rapport affectif au semblable qui conditionnent la conscience. L’humain << se voit dans les phrases comme il peut le faire dans le miroir.>>
Le "je" ne pouvant naître qu’en se séparant de l’objet primordial, qu’en "trahissant" la mère, la conscience humaine est d’emblée aussi conscience morale. L’excès de plaisir est rejeté et << nos perceptions sont aussitôt assorties d’un jugement [si primitif soit-il]:ceci est bon, mauvais, beau, laid, bien, mal,etc...
On ne peut, dans cette perspective, séparer Conscience et Inconscient.
Sur ce dernier terme, il faut prendre garde aux malentendus. Au sens psychanalytique, l’inconscient n’est ni le préconscient, ni le pilotage automatique, ni l’inconscient cognitif de F.Varéla ou de Lechevalier, ni la mémoire procédurale, ni la mémoire implicite. Il n’est en aucune façon superposable à ces diverses acceptions de l’inconscient des cognitivistes.
Mais - et c’est là un point très important souligné par Gérard Pommier - il ne peut pas non plus être assimilé à un stock de souvenirs oubliés ou à un réservoir de pulsions animales contenues. Pas de psychologie des profondeurs mais un fonctionnement "en ultraplat" de l’inconscient dans le conscient.
Un événement peut rester inconscient alors qu’il est remémoré tous les jours (comme par exemple certaines scènes traumatiques).(2) Cela n’est pas aussi étrange que l’on pourrait le penser a priori si on saisit qu’un souvenir est inconscient << lorsque son sujet ne parvient pas à en prendre la mesure... l’inconscience n’est pas un lieu ou une substance. C’est d’abord l’absence de subjectivation de certaines représentations qui par ailleurs restent mémorisables et perceptibles.>>
Ce qui reste inconscient, résume G.Pommier, c’est ce qui n’a pas de sujet.
Pourquoi conscient et inconscient vont-ils de concert ? Parce que le premier rejette le principe de contradiction qui, justement, caractérise le second.
L’exemple est ici donné du commandement biblique "Aime ton prochain comme toi-même". Phrase consciente dont l’énoncé (la conscience) ne montre aucune contradiction alors que l’impératif laisse percer la partie inconsciente (refoulée) : "aime ton prochain comme toi-même, toi qui le déteste." Et cette haine (non dite mais impliquée par le commandement lui-même) est autant dirigée vers le prochain que vers la part rejetée de nous-même.
La majorité des neurobiologistes reconnaissent qu’on ne peut localiser la conscience. Celle-ci résulte d’une disparité d’excitation entre plusieurs aires du cerveau, variables selon les événements. << Toute tâche consciente implique l’activation ou la désactivation d’aires cérébrales dispersées >> disent Edelman et Tononi. Il en est de même du refoulement qui nécessite la connexion entre hémisphère dominant (du langage) et hémisphère dominé (pulsionnel).

6) Le cerveau et l’ordinateur.
Alors que les neurosciences montrent que le cerveau ne fonctionne pas comme un ordinateur (car il n’a pas de processus central unique et qu’il effectue des catégorisations sans code préalable, qu’il sélectionne, et que sa caractéristique principale est le "processus de réentrée), nombre de cognitivistes persistent à promouvoir une théorie réductionniste du psychisme.
Selon les thèses de Francisco Varéla et de D.Terré, tout système biologique peut être considéré comme autonome, auto-organisé, autopoïétique (à relation interne stable). Homme neuronal (J.P.Changeux), homme hormonal (J.D.Vincent)... Nouvelle idéologie de l’homme-machine que pourront réparer <>
Il y a, dit G.Pommier, d’une part les résultats souvent très intéressants des recherches neuroscientifiques (bien que certains protocoles paraissent bien lourds pour vérifier des faits que l’écoute ou l’observation cliniques ont depuis longtemps reconnus) et d’autre part les constructions idéologiques d’un certain nombre d’auteurs qui rêvent d’un homme sans inconnu, sans incertitude, sans désir. Constructions de certains neuroscientifiques qui scotomisent systématiquement la sexualité et le langage, cherchant dans le cerveau ou dans les gènes, autrement dit au coeur de l’organisme, les causes des souffrances psychiques et des symptômes.
Aux États-Unis, sous le nom de "minimal brain damage", on "soigne" d’hypothétiques lésions du cerveau qui seraient trop discrètes pour être repérées. Le DSM IV considère les symptômes comme des maladies, sans perspective structurale, ce qui permet l’administration rapide et à grande échelle de médicaments (dont on découvre, parfois longtemps après, les effets négatifs, comme ce fut le cas des benzodiazépines et récemment de la ritaline et du prozac).
Après Jean-Pierre Changeux et son "homme neuronal" en 1983, des "neurophilosophes" ont voulu démontrer que nos déterminations sont internes. Pour Jean-Didier Vincent ("Biologie des passions", 1986), le désir se résume au jeu des hormones. G.Dörner attribue à une insuffisance de testostérone, engendré par le stress maternel, la plus grande fréquence d’homosexualité chez les hommes nés durant la dernière guerre mondiale, sans envisager un instant, souligne G.Pommier, que l’absence des pères pourrait y être pour quelque chose.
Les organicistes cherchent le pilote, c’est-à-dire le sujet, au sein de l’organisme. C’est là prendre la condition pour la cause et se mettre dans l’impasse d’un sujet objectivé.
On peut supprimer la sensation de soif par action sur le neuromédiateur adéquat. Cela ne permet pas d’affirmer que ce dernier est la cause de la soif. La déshydratation n’en sera pas interrompue pour autant.
Comme le disent les neurophysiologistes Edelman et Tononi, << les fonctions supérieures du cerveau exigent des interactions avec le monde et avec d’autres personnes.>>
<< La naissance du sujet, dit G.Pommier, implique la grammaticalité de l’échange.>> De l’échange avec l’Autre qui reconnaît l’infans comme sujet ; cet infans ne devenant véritablement sujet qu’en refoulant le désir de cet Autre, puis en s’identifiant et en prenant son nom, en se l’appropriant.

En l’objectivant, la science suture le sujet. L’inconscient fait de même et << le symptôme écrit sur le corps ce que le sujet a voulu ignorer.>>
Sujet dont on ne trouvera nulle trace sur la cartographie corticale car sa caractéristique est précisément de se démarquer en négatif, d’être extérieur au monde et à son propre corps par l’acte de parole.
<< Le "sujet" ne procède ni de l’aire psychique pulsionnelle ni de l’aire psychique du langage, mais la différence de potentiel entre ces deux aires produit la parole (donc du sujet) dans le rapport au semblable.>>
<< La biochimie du bois n’explique pas le feu. Il en va de même de la parole lorsqu’elle embrase les sons et les consume...>>

Réflexions.
Les références de l’auteur de cet ouvrage sont nombreuses en ce qui concerne les travaux neuroscientifiques.
D’autres points que ceux résumés ci-dessus sont abordés, comme notamment la question du rêve ou celle de la scientificité de la psychanalyse.
La question des sourd-muets est évoquée mais aurait mérité, à mon sens, d’avantage de développement.
Le débat avec les tenants du primat du corps dans le développement du psychisme serait intéressant. On notera d’ailleurs que G.Pommier reste dans une perspective qui n’est en aucune façon "spiritualiste". C’est bien du noeud entre l’organisme humain et le langage porté par Autrui qu’il traite.

(On peut trouver une autre note de lecture de cet ouvrage sur le site "Freud-Lacan.com".)

Maurice Villard
Février 2005

____________

Notes.
(1) Cette différence entre l’animal et l’homme me donne l’occasion de renvoyer le lecteur à un ouvrage ancien mais d’une très grande richesse, "L’homme et l’animal, essai de psychologie comparée" de F.J.J.Buytendijk (1958). On peut y lire : << [la sollicitude de la mère] n’est pas comme le comportement maternel de l’animal une "réaction" à des significations absolues. Elle est conditionnée par tout un passé vécu, par des valeurs adoptées, par le plus ou moins de fidélité à ces valeurs, et par la perception humaine qui est savoir à la fois connaissant et sensible...
Le corps du nouveau-né est déjà humain : il est déjà nettement orienté vers une existence ambigüe dans un monde à la fois historique et logique.>> (C’est moi qui souligne).
(FREDERIK BUYTENDIJK (1887-1974), psychologue hollandais, professeur aux universités de Nimègue et d’Utrecht, ayant travaillé dans une perspective phénoménologique) retour au texte

(2) Lacan avait représenté ce rapport conscient/inconscient par la figure topologique dite "bande de Möbius" : telle une ceinture refermée après lui avoir fait subir une demi torsion, cette surface ne possède qu’une seule face, l’envers rejoignant l’endroit.retour au texte

Le colloque entre neurosciences et psychanalyse, le film

"J’interprète, donc je suis. Nous sommes tous les romanciers de notre propre vie. la fiction est source de notre liberté. (...)

Freud mit au jour un rouage essentiel de notre conscience : précisément ce besoin vital d’interpréter, de donner du sens, d’inventer à travers des constructions imaginaires. Nous commençons à connaître aujourd’hui la réalié cérébrale de ces fictions mentales qui gouvernent notre pensée consciente. Nous les avons rencontrées en pleine action avec les patients au cerveau divisé, avec les patients souffrant de négligence et in fine avec chacun d’entre nous. (...) La psychanalyse freudienne me semble véhiculer cet art de composer notre existence sous la forme de ce roman sans cesse révisé que nous n’achevons jamais d’écrire."

Le neurologue Lionel Naccache dans "Le nouvel inconscient"

Messages

  • 5) Conscience et Inconscient. La recherche neuroscientifique rencontre là un problème majeur. Dans l’exemple de la vision, les différentes caractéristiques sensorielles du stimulus sont traitées par des aires distinctes et sont connectées avec des assemblées de neurones autres que celles de la perception. Les souvenirs sont convoqués pour que les sensations soient reconnues. Jusque là, on peut parler de "conscience" chez les animaux, lesquels mémorisent des signes dénotatifs qu’ils utilisent ensuite pour interpréter les signes nouveaux. Mais la dépendance de la perception humaine au langage et à la relation à autrui ne permet pas de l’assimiler à la perception animale. Les perceptions humaines doivent être validées par la parole de l’Autre et un jugement de valeur leur est attribué. (1) Ce qui qualifie la conscience humaine n’est pas tant l’attention, comme chez l’animal, que la réflexivité discursive. Réflexivité qui est la fonction majeure du néocortex préfrontal (30% de la masse néocorticale). Ce dernier << traduit dans une dimension organique la fonction d’intégration psychique du narcissisme, c’est-à-dire la subjectivation du moi réflexif.>> Ces aires associatives préfrontales jouent un rôle essentiel dans la finalité des comportements, l’affectivité et la structuration temporelle. Nombre de chercheurs emploient d’ailleurs à son sujet le terme de "miroir". Chez l’humain, c’est toutefois la réflexivité des phrases et le rapport affectif au semblable qui conditionnent la conscience. L’humain << se voit dans les phrases comme il peut le faire dans le miroir.>> Le "je" ne pouvant naître qu’en se séparant de l’objet primordial, qu’en "trahissant" la mère, la conscience humaine est d’emblée aussi conscience morale. L’excès de plaisir est rejeté et << nos perceptions sont aussitôt assorties d’un jugement [si primitif soit-il]:ceci est bon, mauvais, beau, laid, bien, mal,etc... On ne peut, dans cette perspective, séparer Conscience et Inconscient. Sur ce dernier terme, il faut prendre garde aux malentendus. Au sens psychanalytique, l’inconscient n’est ni le préconscient, ni le pilotage automatique, ni l’inconscient cognitif de F.Varéla ou de Lechevalier, ni la mémoire procédurale, ni la mémoire implicite. Il n’est en aucune façon superposable à ces diverses acceptions de l’inconscient des cognitivistes. Mais - et c’est là un point très important souligné par Gérard Pommier - il ne peut pas non plus être assimilé à un stock de souvenirs oubliés ou à un réservoir de pulsions animales contenues. Pas de psychologie des profondeurs mais un fonctionnement "en ultraplat" de l’inconscient dans le conscient. Un événement peut rester inconscient alors qu’il est remémoré tous les jours (comme par exemple certaines scènes traumatiques).(2) Cela n’est pas aussi étrange que l’on pourrait le penser a priori si on saisit qu’un souvenir est inconscient << lorsque son sujet ne parvient pas à en prendre la mesure... l’inconscience n’est pas un lieu ou une substance. C’est d’abord l’absence de subjectivation de certaines représentations qui par ailleurs restent mémorisables et perceptibles.>> Ce qui reste inconscient, résume G.Pommier, c’est ce qui n’a pas de sujet. Pourquoi conscient et inconscient vont-ils de concert ? Parce que le premier rejette le principe de contradiction qui, justement, caractérise le second. L’exemple est ici donné du commandement biblique "Aime ton prochain comme toi-même". Phrase consciente dont l’énoncé (la conscience) ne montre aucune contradiction alors que l’impératif laisse percer la partie inconsciente (refoulée) : "aime ton prochain comme toi-même, toi qui le déteste." Et cette haine (non dite mais impliquée par le commandement lui-même) est autant dirigée vers le prochain que vers la part rejetée de nous-même. La majorité des neurobiologistes reconnaissent qu’on ne peut localiser la conscience. Celle-ci résulte d’une disparité d’excitation entre plusieurs aires du cerveau, variables selon les événements. << Toute tâche consciente implique l’activation ou la désactivation d’aires cérébrales dispersées >> disent Edelman et Tononi. Il en est de même du refoulement qui nécessite la connexion entre hémisphère dominant (du langage) et hémisphère dominé (pulsionnel).

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    Le neurologue Lionel Naccache dans "Le nouvel inconscient"

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