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Quand faudra-t-il des soviets ?

mardi 20 octobre 2009, par Robert Paris

Lénine a expliqué jadis aux mencheviks que la tâche historique fondamentale des soviets est d’organiser ou d’aider à organiser la conquête du pouvoir ; puis qu’au lendemain de la victoire ils deviennent l’appareil de ce pouvoir. Les épigones (et non pas les disciples) en tirent la conclusion qu’on ne peut organiser des soviets que lorsqu’a sonné la douzième heure de l’insurrection. Ils transforment après coup la généralisation léniniste en une brève petite recette, qui loin de servir la révolution la met en péril.

Avant la prise du pouvoir en octobre 1917 par les soviets bolcheviques, il y avait eu pendant neuf mois des soviets socialistes-révolutionnaires et mencheviques. Douze ans auparavant, les premiers soviets révolutionnaires avaient existé à Saint-Pétersbourg, Moscou et dans plusieurs dizaines d’autres villes. Avant que le soviet de 1905 ne s’étendît aux usines et fabriques de la capitale, il s’était créé à Moscou pendant la grève un soviet de députés des imprimeurs. Quelques mois auparavant, en mai 1905, la grève d’Ivanovo-Vozniessensk avait fait surgir un organe dirigeant, qui avait déjà les traits essentiels d’un soviet de députés ouvriers. Plus de douze années se sont écoulées entre le premier essai de création d’un soviet de députés ouvriers et la gigantesque expérience que fut l’établissement du pouvoir des soviets. Évidemment, ce délai ne s’applique pas du tout obligatoirement aux autres pays et, entre autres, à la Chine. Mais imaginer que les ouvriers chinois seront capables d’ériger des soviets à l’aide d’une brève petite recette qu’on substitue à la généralisation léniniste, c’est remplacer la dialectique de l’action révolutionnaire par une ordonnance impuissante et ennuyeuse de pédant. Ce n’est pas à la veille de l’insurrection, quand est lancé le mot d’ordre de la conquête immédiate du pouvoir, qu’il faut établir des soviets ; en effet, si l’on est arrivé au stade de la conquête du pouvoir, si les masses sont prêtes pour l’insurrection, sans qu’il existe de soviets, cela signifie que d’autres formes et d’autres méthodes d’organisation ont permis d’effectuer la tâche de préparation qui assurera le succès de l’insurrection ; la question des soviets n’a plus alors qu’une importance secondaire, elle se ramène à un problème de technique d’organisation, ou même à une question de vocabulaire. La tâche des soviets ne consiste pas simplement à exhorter les masses à l’insurrection ou à la déclencher, mais bien à conduire les masses au soulèvement en passant par les étapes nécessaires. Au début, le soviet ne gagne pas du tout les masses ,grâce au mot d’ordre de l’insurrection, mais grâce à d’autres mots d’ordre partiels ; ce n’est que par la suite, pas à pas, qu’il amène les masses à ce mot d’ordre, sans les disperser en cours de route et en empêchant l’avant-garde de se couper de l’ensemble de la classe. Le plus souvent, le soviet se constitue principalement sur la base de la lutte gréviste, qui a devant elle une perspective de développement révolutionnaire, mais se limite pour le moment considéré à des revendications économiques. Dans l’action, la masse doit sentir et comprendre que le soviet est son organisation à elle, qu’il groupe ses forces pour la lutte, pour la résistance, pour l’autodéfense et pour l’offensive. Ce n’est pas dans l’action d’un jour, ni en général dans une action accomplie en une seule fois qu’elle peut sentir et comprendre cela, mais au travers d’expériences qu’elle acquiert pendant des semaines, des mois, voire des années, avec ou sans discontinuité. Voilà pourquoi seule une direction d’épigones et de bureaucrates peut retenir une masse qui se réveille et se dresse pour créer des soviets, alors que le pays traverse une époque de secousses révolutionnaires, que la classe ouvrière et les paysans pauvres des campagnes voient s’ouvrir devant eux la perspective de la conquête du pouvoir, ne serait-ce que pour une des étapes ultérieures, et même si dans l’étape considérée cette perspective n’apparaît qu’à une minorité restreinte. Voilà la conception que nous avons toujours eue des soviets. Nous avons apprécié en eux une forme d’organisation vaste et souple, accessible dès les premiers pas de leur essor révolutionnaire à des masses qui ne font que s’éveiller, et capable d’unir la classe ouvrière dans son ensemble, quel que soit le nombre de ceux qui parmi elle ont atteint un niveau de développement suffisant pour comprendre les problèmes de la conquête du pouvoir.

Est-il encore nécessaire de citer à ce sujet des témoignages écrits ? Voici, par exemple, ce qu’écrivait Lénine au sujet des soviets, à l’époque de la première révolution :

" Le Parti ouvrier social-démocrate russe [dénomination du parti à l’époque] n’a jamais renoncé à utiliser lors d’un essor révolutionnaire plus ou moins fort certaines organisations de sans-parti, dans le genre des soviets de députés ouvriers, afin d’augmenter l’influence des sociaux-démocrates sur la classe ouvrière et de consolider le mouvement ouvrier social-démocrate. "

Les témoignages littéraires et historiques de ce genre que nous pourrions citer sont innombrables, Mais la question, semble-t-il, est sans eux suffisamment claire.

Prenant le contre-pied de cette opinion, les épigones ont transformé les soviets en une sorte d’uniforme de parade dont le parti habille simplement le prolétariat à la veille de la conquête du pouvoir. Mais c’est alors qu’on ne peut improviser des soviets en 24 heures, sur commande, directement dans le but de préparer l’insurrection. Des expériences de ce genre revêtent inévitablement le caractère d’une fiction destinée à masquer, par une apparence rituelle de système soviétique, l’absence des conditions nécessaires à la prise du pouvoir. C’est ce qui se produisit à Canton, où le soviet fut simplement nommé par ordre pour respecter le rituel. Voilà où mène la façon dont les épigones posent la question.

Extraits de Léon Trotsky dans "L’Internationale communiste après Lénine"

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  • Prenant le contre-pied de cette opinion, les épigones ont transformé les soviets en une sorte d’uniforme de parade dont le parti habille simplement le prolétariat à la veille de la conquête du pouvoir. Mais c’est alors qu’on ne peut improviser des soviets en 24 heures, sur commande, directement dans le but de préparer l’insurrection. Des expériences de ce genre revêtent inévitablement le caractère d’une fiction destinée à masquer, par une apparence rituelle de système soviétique, l’absence des conditions nécessaires à la prise du pouvoir. C’est ce qui se produisit à Canton, où le soviet fut simplement nommé par ordre pour respecter le rituel. Voilà où mène la façon dont les épigones posent la question.

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