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Lettre aux jeunes communistes

dimanche 5 juillet 2009, par Robert Paris

Lettre aux jeunes communistes

Barta

22 Octobre 1944

Camarade,

Ce n’est pas trahir un secret que dire que le Parti Communiste traverse en ce moment une grosse crise. Il suffit d’ouvrir les yeux pour en être convaincu. Le malaise est profond et, sous l"’unanimité" de parade le fossé s’élargit, entre les éléments de la base et les dirigeants, entre ceux qui ont le désir et la volonté d’être véritablement communistes et ceux pour qui le PC n’est plus qu’un appareil qu’on utilise à des fins politiques qui n’ont rien à voir avec les buts de classe du prolétariat français : c’est-à-dire le renversement de la bourgeoisie française et l’instauration de la dictature du prolétariat.

Mais en l’absence d’une perspective claire et d’une formation réellement communiste, ces éléments honnêtes dégoûtés des cuisines bureaucratiques et de l’union sacrée nouvelle manière (qui est toujours l’ancienne), ces éléments sont incapables de répondre pratiquement à la question : "Que faire ?" Ils se découragent, tombent dans la passivité. Ainsi la politique du PC démoralise l’avant-garde de la classe ouvrière et ouvre de cette manière la voie au fascisme.

Les organisations bolchéviques étaient remarquables par la démocratie intérieure. Chacun y pouvait exposer ses raisons et les défendre. Ainsi seulement une véritable vie intellectuelle traverse le parti, sans laquelle il n’est qu’un cadavre. Mais la politique bourgeoise que mène le PC au sein de la classe ouvrière – bureaucratisme et social-patriotisme – ne peut supporter la critique, car la critique aurait vite fait d’en démasquer ses conséquences. Aussi, pour conserver un peu plus longtemps la confiance des masses, l’appareil du Parti est contraint de recourir à la terreur et à la calomnie.

Mais la vie est têtue, et l’on ne peut fermer la bouche aux faits si facilement qu’à un homme. Où est donc cette fameuse harmonie des intérêts "français" que prêche l’Humanité ? Peut-on concilier la chèvre et le chou, les intérêts de ceux qui raflent l’or et de ceux qui versent leur sang ? Des exploiteurs et des exploités ? Des 200 familles et des ouvriers qui attendent toujours la "reprise" ? Le PC dit "oui" et s’efforce de réaliser cette union contre "les boches". La vie dit non et démontre que la lutte "contre les boches" (demain, contre qui ?) comporte avant tout, tant que la bourgeoisie est maîtresse dans la maison, l’écrasement des ouvriers, le pain cher, le chômage, l’état de siège, etc... Loin de le faire disparaître, la guerre accroît encore l’antagonisme entre le prolétariat et la bourgeoisie. La bourgeoisie ne peut mener la guerre qu’en mobilisant à son service les forces prolétariennes, c’est-à-dire en enchaînant d’abord son prolétariat. C’est en particulier ce qui ressort du dernier discours de De Gaulle.

Mais il n’est pas facile d’enchaîner le prolétariat. La bourgeoisie est veule et décrépite, l’appareil d’Etat vermoulu et profondément détraqué par la guerre. Incapable de réaliser elle-même son mauvais coup, la bourgeoisie le réalise par l’intermédiaire des partis ouvriers domestiqués, qui escroquent la confiance des travailleurs en les livrant à leur ennemi de classe.

Le rôle qu’a tenu le Parti socialiste pendant la première guerre impérialiste – mettre les énergies ouvrières au service des intérêts bourgeois – le PC le tient aujourd’hui, d’une façon encore plus criminelle, après cinq années de souffrances qui ont clairement montré le caractère de pillage de la guerre, alors que l’Europe bourgeoise toute entière craque et que la révolution frappe à la porte. Se réclamant, pour mieux la trahir, de la tradition de la Révolution socialiste de 1917, c’est dans ces conditions que le PC proclame "Statu-quo ! Occupation de l’Allemagne ! Une autre SDN !" En 14-18, Vandervelde, président de la IIème Internationale allait en Russie exhorter les masses à continuer la guerre. Thorez les appelle aujourd’hui de Moscou à la boucherie impérialiste.

Car cette guerre n’est pas une guerre de classes ! Il ne. s’agit pas de ce que pense et désire la chair à canon, 2ème classe ou FTP. Il s’agit de savoir qui commande. Et jusqu’à présent, il ne semble pas que le grand Etat-major soit composé de militants ouvriers... L’équipe politique change (et pas tant que ça, l’Huma dénonce chaque jour des créatures de Vichy maintenues à leurs postes). L’Etat – fonctionnaires, armée, police, tribunaux – reste, et c’est l’Etat qui mène la guerre et lui donne son caractère de classe, guerre de pillage, bataille de voleurs.

Cependant, cette guerre peut peut-être amener une entente durable entre les pays, entente qui supprimerait l’impôt du sang que la bourgeoisie mondiale prélève à intervalles de plus en plus rapprochés ? Heureuse idée ! Comme les alchimistes du Moyen-Age voulaient d’un morceau de plomb tirer de l’or, certains prétendent tirer une paix véritable d’une guerre impérialiste ! Mais les communistes vivent à l’époque des machines et de la révolution prolétarienne, non à l’époque de l’alchimie. D’ailleurs, il n’est que d’écouter et de voir. De Gaulle l’avoue : la France est seule et leur seul intérêt guide les Alliés. Le conflit actuel n’est même pas terminé que d’autres conflits se préparent : Ainsi la politique "d’abandons" successifs et de trahison de la révolution pour préserver le "bloc" des alliés s’avère une duperie et un suicide.

Beaucoup s’en rendent compte et voudraient en finir avec la guerre. Mais pour en finir, faut-il consentir encore de nouveaux sacrifices ? C’est ce que nous disait déjà Hitler. On connaît la chanson. Le sang appelle le sang. Ruines, morts et misères se multiplient. Non ! la vraie façon d’en finir avec la guerre, c’est celle des bolchéviks en 1917, c’est la lutte révolutionnaire. La Révolution de 1917 a mis fin à la première guerre impérialiste mondiale. Seule la Révolution peut apporter un répit à une Europe exténuée et imbibée de sang.

Mais pour lutter ainsi contre la guerre, il faut un Parti révolutionnaire. C’était là le rôle du PC. Il s’était constitué en opposition intransigeante au social-­patriotisme, trempé dans les luttes contre l’occupation de la Ruhr, contre la guerre du Maroc. Mais le PC s’est usé dans la lutte. Ses meilleurs militants sont tombés un peu partout – non "pour la France", mais pour le communisme – la Révolution a tardé et le PC a cessé de la préparer. Cette dégénérescence a pu se produire parce qu’il n’existait pas une base militante suffisamment éduquée dans un véritable esprit communiste, internationaliste.

Voilà pourquoi il est nécessaire aujourd’hui, alors que la guerre fait rage, de reconstituer sous le feu les organisations révolutionnaires. Pourquoi il faut rebâtir un Parti communiste qui ne vole pas son nom et qui remplisse ses tâches nationales (en premier lieu la lutte contre sa propre bourgeoisie) dans un esprit international (entente avec les travailleurs de tous les pays).

Et pour créer ce Parti, il nous faut créer des hommes, des militants pour qui le communisme ne soit pas qu’une "doctrine", mais la raison de vivre et de mourir. Le prolétariat a à son service une incomparable doctrine révolutionnaire, le marxisme. Il faut que les militants, les jeunes en premier lieu, s’assimilent la méthode et les enseignements du marxisme. Le prolétariat est riche d’une longue suite de défaites et d’une victoire, en 1917. Il faut que les militants, et surtout les jeunes, en tirent les enseignements et y apprennent comment on construit un parti, et comment on fait la Révolution.

L’action à mener et les rapports entre camarades doivent être envisagés sous un jour tout à fait nouveau, bolchévique. Il faut se libérer du bureaucratisme, de la servilité, des consignes qu’on exécute sans les comprendre et sans les discuter. La discipline bolchévique n’a rien à voir avec l’obéissance aveugle d’un garde mobile, encore moins avec le mouchardage d’un employé de bureau ! La discipline bolchévique repose sur la conscience politique des militants, leur dévouement à la révolution, leur aptitude à en comprendre les voies d’accès. Elle est la condition naturelle, obligatoire, de toute action révolutionnaire. Mais là où manque l’action révolutionnaire, il n’y a pas non plus de place pour une telle discipline. Elle est remplacée par la dictature irresponsable de l’appareil et le mécanisme méprisable de la discipline militaire.

Le P.C. éparpille ses membres dans des organisations "sympathisantes" UFF, FFI, Amis de l’URSS (quand ça va bien), etc... Ils sont ainsi surchargés de tâches non communistes, sans intérêt réel. Il faut collecter, organiser une fête, coudre des brassards, copier des bulletins, vendre des journaux qui ne fournissent pas les éléments d’un travail communiste réel, bref, tout faire... sauf de l’action communiste. Ainsi le PC est sur la voie de sa dissolution, comme il s’est dissout aux U.S.A.

La IVème Internationale s’oppose à cette liquidation du mouvement communiste en France. Elle se fixe pour tâche de créer les cadres d’un nouveau PC, par une action communiste conséquente, qui fasse ressortir par les faits les intérêts des travailleurs en opposition avec ceux de la bourgeoisie, et notamment les "intérêts" généraux, communs à tous les travailleurs. S’appuyant sur le programme marxiste de la IVème Internationale, défini par les quatre premiers congrès de l’IC, ces cadres sauront bien bâtir un vrai parti bolchevik, car il n’y a pas d’autre solution. La ligne de la IVème, c’est la lutte de classe sans merci, c’est la lutte communiste contre le capitalisme, c’est la lutte révolutionnaire contre la guerre, c’est la voie de la révolution prolétarienne.

Il ne s’agit pas de donner des leçons. Il s’agit de confronter des faits, des idées, honnêtement. Il s’agit du droit de tout militant révolutionnaire de défendre la position qu’il croit juste. Il nous faut voir clair pour agir, et agir vite. L’avenir de la Révolution, en France, repose entre les mains de la jeunesse, et spécialement des jeunes communistes. Il leur faut en prendre conscience et se mettre à l’ouvrage.

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