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Les mouvements de 1968-69 dans le monde

vendredi 30 novembre 2007, par Robert Paris

SITE : Matière et Révolution

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Mai 68 en France

Extraits de l’ouvrage "L’insubordination ouvrière dans les années 68"

de Xavier Vigna

(...) Le mouvement étudiant, né dès 1967 à la faculté de Nanterre, croît en intensité dans les premiers mois de 1968 si bien qu’au début du mois de mai, il présente un caractère national marqué. S’il louche vers les usines, les ouvriers de leur côté, mobilisés sur la question du chômage et de l’emploi depuis 1967, manifestent en mars 1968 dans huit villes, puis se mobilisent derechef dans l’Ouest le 8 mai, dans la Loire le 10, dans les Nord-pas-de-Calais et le bassin lorrain le 11. Il semble qu’alors, une convergence dans la contestation s’opère, notamment chez les ouvriers les plus hostiles au pouvoir gaulliste et les jeunes. La nuit des barricades le 10 mai précipite cette évolution.

Dès le 11 mai, le rythme des événements s’acélère. A l’initiative de la CGT, une grève générale de 24 heures est décidée pour le lundi 13 mai à laquelle s’associent l’UNEF, la CFDT, Force Ouvrière et la FEN. Cette journée de grève générale, qui secoue l’ensemble du pays, marque une étape dans la mobilisation qui est considérable : un seuil est franchi.

Ce jour-là en effet se déroulent environ 450 meetings et manifestations. Selon les comptages de la police (...) plus de 450.000 manifestants au total ont défilé, (...) avec des refus de dispersion, des barrages, des barricades et des affrontements, en particulier à Clermont-Ferrand, Nantes et au Mans, où le phénomène tend à devenir habituel après les graves incidents d’octobre 1967.

Les manifestations ne donnent cependant qu’une petite idée de la mobilisation ouvrière. (...) Selon les rapports transmis par le Ministère du travail, en Seine-Saint-Denis, sur les 36 établissements de la métallurgie contactés, 25 connaissent des grèves qui rassemblent les deux tiers de la main d’oeuvre, la totalité des cinq imprimeries est en grève et sept établissements de la chimie sur huit (...) La grève est également massive dans les Hautes Pyrénnées et en Savoie. (...) Par delà les nuances régionales, le succès de la grève est réel.

A partir du 13 mai une vague de grève sans précédent grossit, qui gane tout le pays dès le 20. (...) L’usine Sud-Aviation de Bouguenais dans la banlieue nantaise joue un rôle majeur. Les ouvriers votent la grève avec occupation le 14 en même temps qu’ils séquestrent leur directeur. la nouvelle, connue le soir même, fait des émules. Le lendemain, la grève gagne l’usine Renault de Cléon, dans le cadre de la journée d’action pour l’abrogation des ordonnances sur la Sécurité Sociale, des débrayages sont lancés. Parce que la Direction refuse de recevoir les délégués du personnel dans l’après-midi, la grève avec occupation démarre et la direction est "consignée" dans ses bureaux. Le même jour, un conflit similaire éclate à l’usine Lockheed de Beauvais. (...) Grève aux établissements Claas à Woippy (Moselle) fabricant de ma chines agricoles, à l’usine Sud-Aviation de Cannes-La Bocca, aux établissements Fog à Myennes (Nièvre) et dans deux entreprises de Brest.

Le processus de grève, dès le 14 mai, ne se limite pas aux grosses unités. Dans la seule zone de défense Nord, par exemple, les papeteries La Chapelle à Saint-Etienne du Rouvray, les établissements de filature Agache à Pérenchies et la filature Dolfus Mieg à Loos-les-Lille cessent le travail dès le 13 mai et jusqu’au 4 juin.

Le 16 mai, un second palier est franchi. Le nombre d’usines occupées croit sensiblement avec l’entrrée en lice des ouvriers de Renault d’abord à Flins, mais aussi à Billancourt, Sandouville et au Mans, tandis qu’à Orléans, la filiale Unelec est occupée et son directeur enfermé. Autour de Cléon, la grève se diffuse également. (...)

De fait, à partir du 17 mai, le nombre d’entreprises en grève avec occupation connait une forte augmentation. (...) Selon les Renseignements généraux, 23 usines employant 80.000 travailleurs sont occupées le 17 au matin (...) estimation très inférieure à la réalité. (...) Il semble donc que le nombre de travailleurs dont l’entreprise est en grève approche plutôt 175.000 le 17 au soir. La seconde remarque porte sur la localisation des grèves avec occupation, où trois pôles grévistes très nets, en banlieue parisienne, en Seine-Maritime et dans l’agglomération lyonnaise, ressortent. Ailleurs, la grève montre ses premières pousses dans l’estuaire de la Loire, dans le Nord et en Moselle. (...) Le mouvement des cheminots né le 16 mai dans la banlieue lyonnaise puis le 17, à partir de la gare d’Achères et qui fait rapidement tâche d’huile. Ainsi, c’est d’abord par la paralysie progressive des chemins de fer que la grève s’étend dans de nombreux départements français. (...)

La grève se généralise à compter du 30 mai (...) Pendant la semaine, la grève se propage vers les petites usines qui s’arrêtent. (...) Il n’y a pas de mot d’ordre de grève générale ou de constitution d’un Comité central de grève, comme en novembre 1947. Le mouvement se diffuse par la base où la grève devient généralisée en fin de semaine. Dans le même temps, les grévistes suivent les faits qui se déroulent ailleurs : dans les usines à proximité, dans la ville ou le bassin d’emploi, et surtout à Paris. La scène nationale est cruciale, qui rythme d’une manière décisoire la chronologie et donne aux grèves un caractère de mouvement. Dès lors, les négociations, qui se déroulent au ministère des Affaires sociales, rue de Grenelle du 25 au 27 mai, revêtent une importance déterminante.

(...) Après deux nuits d’intenses négociations, un constat est proposé aux grévistes afin de reprendre le travail. Le présentant aux ouvriers de Renault-Billancourt qui ont déjà reconduit leur mouvement, Georges Séguy constate que les clauses du constat sont huées. Le refus de Billancourt, qui déçoit les dirigeants de la CGT, devient le symbole de la tenacité ouvrière. Dans de nombreux départements, les ouvriers font valoir leur hostilité à un constat qu’ils jugent bien maigre. (...) Les préfets soulignent souvent que l’heure est au durcissement, en Haute-Marne, dans les Vosges, l’Hérault, le Loiret ou le Calvados. (...)

Les journées entre le 27 et le 30 traduisent donc une certaine ambivalence. Pour une minorité, elles constituent le moment de la reprise du travail. Ailleurs, elles coïncident avec un durcissement du mouvement. A cet instant, le mouvement apparait à la fois puissant et totalement ouvert. Des ouvriers participent au meeting de Charléty, durant lequel la CGT est violemment critiquée. Ils sont à la recherche d’une issue révolutionnaire. (...)

Dans le droit fil du discours de De Gaulle du 30 mai, aspirant à "ramener le pays à la liberté et à la paix" (selon lui menacée par le communisme), le ministre de l’intérieur invite ses représentants à l’action. Ils doivent réduire les grèves, notamment en s’attaquant aux occupations. (...) Le 5 au petit matin, la police évacue 150 grévistes irréductibles chez Lockheed à Beauvais et, dans le Nord, les forces de police interviennent dans trois usines le lendemain. Ainsi, les interventions policières très brutales à Flins le 6 et à Sochaux le 11 juin, provoquant au total la mort de trois personnes (...) s’inscrivent dans une stratégie gouvernementale d’explusion des grévistes des usines, afin de briser le mouvement de grèves. (...)

Parallèlement, et ce malgré un rejet massif du constat de Grenelle, les discussions se poursuivent à l’échelle des fédérations professionnelles dans les jours qui suivent.

à suivre....

Mai 68 en Turquie

Du radicalisme républicain au socialisme}

}KÜRKÇÜGIL Masis

2000

L’importance des événements de 1968 en Turquie vient du fait qu’ils constituent le tournant de la période politique initiée par le coup d’Etat de 1960 et
qui s’achèvera par l’intervention militaire du 12 mars 1971. Mais pour la jeune génération d’aujourd’hui, son intérêt est limité, d’autant que les deux
décennies suivantes, ont été le théâtre d’événements beaucoup plus tragiques, celle des années 70 avec l’assassinat de milliers de personnes dans le cadre
de la lutte contre la montée du fascisme, celle des années 80 avec la répression de masse qui a suivi le coup d’Etat de 1980.

En Turquie, les mouvements de jeunesse de 1968 ont plus été le fruit d’un processus cumulatif, que d’une explosion sociale. Le coup d’Etat militaire de
1960, mené par de jeunes officiers proches du CHP (parti kémaliste traditionnel, alors dans l’opposition contre la droite conservatrice), avait été précédé
de manifestations dans les universités. Ce mouvement ayant donné en partie sa légitimité au coup d’Etat, les étudiants ont pu bénéficier durant cette période
d’un statut politique privilégié. Le coup d’Etat a débouché sur la rédaction, par les militaires, d’une constitution qui a toujours été considérée par
la gauche comme étant la plus libérale que la Turquie n’ait jamais eu. Cela a en tout cas aboutit à un éclatement de la droite et à une revitalisation
des mouvements sociaux et de la gauche. Preuve en est, la création par des syndicalistes du Parti ouvrier de Turquie (TIP) en 1961. Ce parti a joué par
la suite un rôle très important dans la gauche turque, avec l’arrivée dans ses rangs et à sa direction d’intellectuels marxistes comme Mehmet Ali Aybar,
qui en est devenu le président. Aybar avait une approche qui lui était propre, très différente de la tradition des PC : il était en quelques sortes un
“eurocommuniste avant l’heure”.

Au début des années 60, le mouvement socialiste a pu ainsi s’exprimer devant de larges masses, dépassant pour la première fois le cercle étroit du petit
PC turc. Il a obtenu 3 % des voix aux élections législatives de 1965 et, grâce à un système de proportionnelle intégrale (qui a été appliqué pour la seule
et unique fois à l’époque), il a pu introduire 15 députés socialistes au Parlement, qui, par leur vitalité, ont marqué l’histoire du parlementarisme turc.
Cette période a marquée l’apogée du mouvement et du prestige de la gauche. Presque tous les groupes socialistes soutenaient d’ailleurs à l’époque le TIP,
à l’exception d’un cercle d’intellectuels qui estimaient que la seule solution “dans un pays comme la Turquie où le prolétariat était encore embryonnaire”
(sic) était de favoriser un putsch militaire de gauche.

Les intellectuels socialistes avaient pu instaurer une réelle hégémonie et même le CHP, parti qui avait fondé la République, avait commencé à se définir
comme un parti de “centre gauche”. Ceci étant, le “socialisme” dont il était question était en fait un mélange de populisme tiers-mondiste et de radicalisme
républicain. Sans parler de léninisme ou de marxisme, il n’était même pas question d’influence stalinienne (le stalinisme s’est surtout imposé dans les
années 70), car même les anciens cadres du PC avaient une piètre formation. En fait, on attendait du TIP, un parti tout au plus social-démocrate populiste,
qu’il joue un rôle politique de parti socialiste.

Le mouvement socialiste, déconnecté du monde extérieur, avançait en tatonnant, au gré du hasard. Les poèmes de Naz ?m Hikmet et les chants populaires étaient
à la base de la formation des militants. Malgré ces limites intellectuelles, quelques débats pointus, notamment sur la nature et la formation sociale de
l’Empire ottoman et des relations entre le kémalisme et le socialisme, étaient menés dans des cercles limités. Mais le mouvement s’intéressait surtout
à la découverte de solutions radicales à court terme. En fait, la traduction de la littérature socialiste et des classiques du marxisme, limitée jusqu’alors
(en raison de la répression) à quelques brochures, n’a réellement vu le jour qu’à la fin des années 60, avec l’impulsion des événements de 68. Du coup,
une furia de livres sur les révolutions cubaine, vietnamiene ou chinoises a été jetée en pâture à un public avide, mais dépourvue de toute formation de
base.D’ailleurs, même le Manifeste et les autres classiques n’ont été publiés qu’à cette période. L’apprentissage du socialisme s’est donc réalisé dans
l’allégresse de 68, bien des années après la fondation du TIP, dans une ambiance de renaissance révolutionnaire et de radicalisme à court terme. Dans cette
furia, où les choix conscients côtoyaient le hasard, le Traité d’économie marxiste de Mandel et le Trotsky de Deutscher ont été publiés pêle-mêle en même
temps que des livres de Staline ou de Dimitrov.

Le mouvement étudiant fondait à l’époque sa légitimité sur sa défense des idées d’Atatürk, ou plus exactement des idées prêtées à Atatürk (considéré par
beaucoup comme un “leader anti-impérialiste précurseur du socialisme”). Du coup, les étudiants bénéficiaient d’une certaine tolérence devant les tribunaux.
Cette radicalisation du mouvement étudiant, qui n’avait pas encore rompu avec l’idéologie officielle du régime (portant d’une main des poster du Che et
de l’autre ceux d’Atatürk) était parallèle à la montée en puissance du TIP.

Les étudiant de gauche, qui se reconnaissaient jusqu’en 1968 dans le TIP, ont commencé à se radicaliser et à se différencier, sous les influences contradictoires
du maoïsme, du guévarisme ou du foquisme. Il faut noter que la direction du T_P avait sérieusement contribué à l’accomplissement d’une période d’accumulation
primitive de forces de l’organisation socialiste. Mais elle avait été incapable de saisir la problématique de la nouvelle période caractérisée par les
montées du mouvement étudiant et du mouvement ouvrier, ainsi que des mouvements des paysans (qui se manifestaient exceptionnellement çà et là). Elle s’est
repliée sur elle-même. L’invasion de la Tchécoslovaquie a d’ailleurs aboutit à une scission de la vielle direction du T_P : Le leader historique de ce
parti, Aybar, a condamné l’itervention soviétique et s’est isolé du reste des cadres. Le déclin du parti s’est exprimé par un recul électoral en 1969.
L’année suivante, le TIP n’était plus qu’une petite fraction dominée par un groupe stalinien pro-moscovite. A partir de la fin de l’année 1969, le mouvement
socialiste était en fait représenté par la jeunesse radicalisée. 68 avait marqué un point de plus.

Le 68 des étudiants...

Lorsque preque toutes les universités ont été occupées en juin 68, avec des revendications essentiellement scolaires, cela n’a pas provoqué de heurt dans
l’immédiat avec le gouvernement. Le premier slogan utilisé (qui cependant vite disparu) était : “Ni droite ni gauche, boycott des cours !”. Très rapidement,
une vie alternative s’est organisée. Débats, forums, manifestations, chants, etc., ont fondé ce que l’on peut surtout appeler un “état d’esprit commun”.

Le principal point commun entre la tradition de radicalisme républicain et du socialisme, était la défense de la souveraineté nationale contre les puissances
étrangères. La visite au Bosphore de la 6e Flotte américaine a donné lieu en juillet 1968 à des manifestations de protestation de grande envergue. Mais
cela a marqué la rupture avec la tolérence du gouvernement, soucieux de ménager son grand allié d’outre Atlantique. La descente de la police dans les cités
universitaires a fait grimper la tension. Les marins américains ont eu alors les pires difficultés à descendre à terre : la police a été vite débordée
et c’est l’armée qui a dû intervenir pour rétablir l’ordre. C’est aussi à cette époque que l’extrême droite, aussi bien les “barbus” intégristes que les
premiers loups-gris (milices fascistes) ont été poussés par le pouvoir à attaquer la gauche. L’assassinat d’un étudiant par la police allait marquer le
début d’une longue vendetta.

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Le 68 des ouvriers

Avec la création du DISK (syndicat de gauche) le 13 février 1967, par les mêmes syndicalistes qui avaient fondé le T_P 6 ans auparavant jour pour jour (et
dont certains avaient été élus députés en 1965 sur les listes de ce parti), le mouvement ouvrier allait pouvoir se débarasser de la tutelle de la bureaucratie
du Türk-__, la centrale syndicale pro-gouvernementale. Il s’agissait en fait de la rupture de l’aile gauche de cette bureaucratie syndicale : en effet,
même dans les années 70, qui marqueront son apogée, le DISK restera toujours marqué par ces mêmes structures bureaucratiques. Le mouvement ouvrier connaissait
alors à son tour une mutation importante et acquérait une auto-confiance, avec notamment une série de grèves sauvages. La première occupation d’usine à
Istanbul, celle de Derby, un mois après le début de mai 1968, était le début d’un processus historique. L’occupation de l’usine de fer-forgé, l’une des
citadelles de l’époque, la tentative de répression de la police et la défense héroïque des ouvriers et de leurs familles marqua l’histoire du mouvement
ouvrier.

En fait, malgré certaines intersections, la dynamique du mouvement étudiant et celle du mouvement ouvrier suivaient des cours différents. Au fil des visites
des étudiants sur les lieux de grèves, leur slogan favori de l’époque, “jeunesse et armée au coude à coude”, laissait progressivement sa place au slogan
“armée et ouvriers au coude à coude” ! En juin 1970, un peu comme lors du 68 rampant en Italie, le mouvement ouvrier de Turquie réalisait pour la première
fois de son histoire une manifestation de masse contre un projet de loi syndicale répressive : 100 000 ouvriers descendaient dans la rue, s’affontaient
avec la police, érigeaient des barricades. _stanbul était “libéré”. Mais la loi martiale fût proclamée.

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Le 68 des Kurdes

Un autre 68 a été celui des militants socialistes kurdes, qui s’étaient également organisés jusqu’à lors dans le T_P, bénéfiant cependant d’une certaine
autonomie au sein de ce parti, au même titre que les syndicalistes. Juste dans la foulée de 68, les socialistes kurdes ont créé leurs premières organisations
indépendantes des Turcs, les Foyers révolutionnaires de culture d’Orient (DDKO). Ils ont alors sciscionné des Fédérations de clubs d’idées (FKF), qui allaient
donner naissance au fameux Dev-Genç (Jeunesse révolutionnaire, ancêtre de Dev-Yol). Les cadres kurdes de cette époque ont posé les jalons de leurs partis
politiques indépendants des années 70 dans les jôles de la prison de Diyarbak ?r, après l’intervention militaire de 1971. C’est ainsi que la renaissance
kurde est née dans les années 70, sur base de cette prise de conscience nationale historique de différenciation politiquement indépendante des organisations
turques amorcée en 1968. Ajoutons que le PKK n’existait pas encore à l’époque, même sous forme de projet embryonnaire...

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La fin de 68

1968 marquait à la fois l’apogée et le chant de cygne de la montée de la gauche des années 60. Les luttes de fraction sectaires, les chants paysans (surtout
alévis) sur lesquels on avait monté des paroles “de gauche” et les motifs nationaux, ainsi que les valeurs militaristes viriles plutôt que révolutionnaires
ont rapidement étouffé l’ambiance festive mixte des premières semaines de mai 68. En moins de deux ans, la montée du mouvement de masse laissa rapidement
sa place aux groupuscules intolérants qui s’identifiaient avec la révolution et s’excomuniant mutuellement. Au moment de l’ultimatum des généraux, le 12
mars 1971, les eaux révolutionnaires s’étaient retirées depuis belle lurette.

Les mouvements de masse auxquels les étudiants avaient participé activement n’ont pas pour autant contribué à leur maturation politique. Au moment même
où le pays était confronté aux manifestations ouvrières les plus massives de son histoire, les étudiants s’affairaient à fonder des organisations de guérilla
urbaine. L’intervention militaire allait mettre fin de façon sanglante à tout ce processus.

1968 était le fruit de l’accumulation des années 60 et non pas d’une quelconque influence extérieure. En voulant rompre avec la gauche traditionnelle, il
s’est emmêlé les pinceaux, n’ayant pas le bagage et l’expérience politique nécessaire. Il a donc dû payer toute la facture de toute une période et du vieux
monde. L’armée s’est lancé dans une repression sauvage contre la gauche aaprès avoir renversé le gouvernement de droite du premier ministre Demirel (l’actuel
président de la République). Cela n’a pas empêché les députés du parti de Demirel de donner leur aval à la pendaison de trois jeunes leaders du mouvement
étudiants et d’applaudir l’assassinat de dizaines d’autres. Ainsi, la droite turque se consolait, en estimant qu’elle avait pris sa revanche sur le coup
d’Etat de 1960 (perçu comme venant de la gauche), qui avait pendu le premier ministre de droite et deux de ses ministres. Quant aux jeunes militants révolutionnaires,
qui avaient fondé les organisations subversives les plus radicales de l’histoire de la République, ils se défendaient devant les tribunaux et le régime
militariste en vantant les mérites du kémalisme (qu’ils identifiaient à la révolution démocratique bourgeoise) et de la Constitution de 1961...

Les soixante-huitards rescapés ont également été aux avant postes des différents mouvements d’extrême gauche des années 70. Mais au-delà d’un “état d’esprit
commun”, aucune valeur concrète ni même aucune culture commune ne leur servait de ciment. Le sectarisme et l’étroitesse d’esprit hérité de cette époque
et approfondit par leurs successeurs avec l’hégémonie montante du stalinisme a coûté chers à la nouvelle génération révolutionnaire des années 70, qui
a été décimée dans le courant de la lutte contre le fascime et brisé par la répression de la nouvelle dictature militaire de 1980. Le véritable bilan de
cette histoire dramatique, qui a marqué le processus de rupture de la gauche traditionnelle, ne pourra vraiment être tiré qu’avec les luttes à venir du
Parti de la liberté et de la solidarité (ÖDP), où les soixante-huitards sont toujours présents, mais qui repose surtout sur une fusion des rescapés de
la génération des années 70 et de la jeunesse radicalisée des années 90.

L’ÖDP réussira-t-il à devenir un parti de masse, légitime et socialement actif, comme le TIP de 1965 ? Rêussira-t-il à rétablir une nouvelle hégémonie de
l’intelligentsia de gauche ? A devenir un point de référence sociale ? Réussira-t-il à briser (d’abord en son sein) les relations patriarcales ? Pourra-t-il
connaître une croissance dynamique en étant capable de faire face aux crises politiques ? Va-t-il pouvoir donner toute leur place aux jeunes, aux femmes
et aux travailleurs ? Va-t-il être capable d’être une base de masse pour la création d’une contre société ?

Si les luttes de la période à venir nous permettent de donner des réponses positives à ces questions, on pourra alors dire que
Turquie, il y a 25 ans, le coup d’État du général Evren
Il y a vingt-cinq ans, le 12 septembre 1980, les habitants d’Istanbul, d’Ankara et des grandes villes turques étaient réveillés par le fracas des chars. L’armée venait de prendre le pouvoir. La junte dirigée par le général Kenan Evren annonçait son intention de rétablir la stabilité politique avant de rendre plus tard le pouvoir aux civils. Et elle proclamait : « Désormais il n’y aura de place ni pour le communisme, ni pour le fascisme, ni pour le séparatisme, ni pour le sectarisme religieux ». Les principaux dirigeants politiques étaient arrêtés, les partis et les syndicats interdits, des vagues d’arrestations et de procès commençaient.

Le coup d’État n’en était pas moins accueilli avec une satisfaction ouverte à Washington, et seulement un peu plus discrète dans les capitales européennes, satisfaites à la perspective de voir « stabiliser » la Turquie, fut-ce au prix d’une répression violente contre sa population.

Car un des principaux facteurs de préoccupation de la bourgeoisie turque était l’agitation sociale et la combativité d’une classe ouvrière qui, depuis plusieurs années, se montrait décidée à conquérir ses droits.

Durant les décennies 1960 et 1970, cette combativité s’était manifestée par de nombreuses grèves, mais aussi par le renforcement d’une centrale syndicale, la Disk, moins inféodée au patronat que la vieille confédération Türk-Is. Elle se heurtait à la résistance acharnée du patronat, appuyé par l’appareil d’État, ayant fréquemment recours à la police ou à des milices, souvent constituées avec le secours de militants d’extrême droite et la complicité des gouvernements et de l’État. En juin 1970, l’interdiction de la Disk montra les limites de la tolérance de la bourgeoisie à l’égard d’un mouvement syndical un tant soit peu indépendant. La classe ouvrière y répondit par les deux grandes journées de manifestations et de grèves des 15 et 16 juin 1970, qui ne cessèrent que parce que les dirigeants de la Disk eux-mêmes appelèrent les travailleurs d’ Istanbul à cesser leur protestation.

La combativité ne cessa pas pour autant de se développer, notamment à partir de la seconde moitié des années soixante-dix. Le 1er mai 1977, la fusillade de la place Taksim à Istanbul, qui fit 37 morts parmi les centaines de milliers de manifestants ouvriers, tenta d’y mettre un coup d’arrêt. Malgré cela les conflits sociaux continuèrent à se développer, auxquels répondirent souvent des actions de l’extrême droite, de la police ou même de l’armée, avant d’arriver au coup d’État.

C’est une pesante répression qui s’abattit sur le pays. En deux ans, des centaines de milliers de personnes furent arrêtées et plus de 98000 jugées, 21700 condamnées à des peines de prison, cinquante exécutées à l’issue de procès politiques. La constitution promulguée par les militaires en 1982 instaura un système électoral éliminant tout parti qui n’obtient pas 10% des voix à l’échelle nationale. Sur le plan social, elle soumit le droit de grève à toute une série de procédures pour le limiter, accroissant du même coup le caractère bureaucratique des syndicats et leur pouvoir sur les travailleurs.

C’est dans ces conditions que, dans les années suivantes, les militaires s’effacèrent quelque peu de la scène, même si une sorte de super-gouvernement réunissant l’état-major, le chef du gouvernement et le chef de l’État, continue périodiquement à se réunir sous le nom de « Conseil national de Sécurité » (MGK en turc).

Le nouveau régime n’a réussi, ni à empêcher vraiment les luttes ouvrières, qui ont resurgi dès 1986-1987, ni même à instaurer une véritable stabilité, la vie politique turque étant marquée par les crises à répétition, la corruption, mais aussi les vagues de panique financière. Malgré tout, la Turquie est considérée par les dirigeants américains ou européens comme ayant un régime stable, où les capitaux peuvent être en sécurité, et cela explique que le grand patronat européen soit largement favorable à son entrée dans l’Union, malgré les objections avancées parfois sur le caractère « non démocratique » du régime.

Mais au fond, le régime turc d’aujourd’hui est fils du coup d’État de 1980 à peu près comme celui de la cinquième République en France est fils du coup d’État de De Gaulle en 1958. Si le pouvoir n’est pas plus démocratique à Ankara qu’à Paris, il n’est pas sûr qu’il le soit moins...

André FRYS

Turquie

Chronologie :

 1947 : la Turquie fait partie du bloc de l’ouest. En 1947, 10 millions de dollars de crédits ont été accordés sous le slogan de l’ « aide » à la Turquie. Sous l’égide de la doctrine Truman de « guerre froide », une aide militaire a été accordée et le Plan Marshall, accord de collaboration économique, a suivi en 1948. La participation de la Turquie au bloc pro-US ne s’est pas démentie jusqu’à la fin de la politique des blocs.
 1950, le pouvoir met en place la centrale Türk-Is comme médiateur obligatoire entre les ouvriers et le patronat. La « politique économique » de Menderes se propose de développer le capitalisme et l’industrie en Turquie, en accroissant la dépendance des USA et l’exploitation de la classe ouvrière.
 1960 : coup d’Etat militaire
 1961, fondation par des syndicalistes du Parti ouvrier de Turquie (TIP, parti de gauche réformiste qui reconnaît la revendication kurde)
 1963, l’occupation de l’usine d’allumettes Kavel marque les débuts de la lutte des classe et les travailleurs obtiennent le droit légal de faire grève.
 13 février 1967, suite à une montée des grèves dans les années 60, un syndicat indépendant du pouvoir, la DISK, est fondé.
 1968 : montée des luttes et de la contestation, dans la jeunesse (en juin) puis dans la classe ouvrière. La première occupation d’usine à Istanbul, celle de l’usine de pneus Derby, un mois après le début de mai 1968, était le début d’un processus historique. L’occupation de l’usine de fer-forgé, l’une des citadelles de l’époque, la tentative de répression de la police et la défense héroïque des ouvriers et de leurs familles marqua l’histoire du mouvement ouvrier. L’armée intervient pour rétablir l’ordre.
 1969, fondation de la « Dev-Genc » (Fédération des étudiants révolutionnaires, ancêtre de Dev-Yol), qui regroupe des tendances maoïstes, castristes et trotskistes et affirme le droit du peuple kurde à la lutte armée. En même temps, les luttes ouvrières continuent de se développer. En 1969, de la compagnie Singer, de l’Alkpagut tar et, la même année, de l’usine de produits d’entretien Demirdokum ; en 1970 de la compagnie Sungurlu Steel, de l’usine de savon Citi, de l’usine textile Kilimsan
 juin 1970, manifestation de masse contre un projet de loi syndicale répressive : 100 000 ouvriers descendaient dans la rue, s’affrontaient avec la police, érigeaient des barricades. La Disk est interdite et des manifestations de protestation contre cette interdiction ont lieu les 15 et 16 juin. La Disk appelle à cesser les manifestions, démobilisant les militants. Le mouvement kurde se développe.
 12 mars 1971, coup d’Etat militaire : des officiers renversent Demirel et installent la loi martiale. Pendant des années, des milliers d’opposants et de syndicalistes sont assassinés par des milices payées et armées par le patronat et l’Etat, des fascistes, des éléments des forces armées et policières.
 1er mai 1977, fusillade de la place Taksim à Istanbul (37 morts parmi les centaines de milliers de manifestants ouvriers). En deux ans, des centaines de milliers de personnes furent arrêtées et plus de 98000 jugées, 21700 condamnées à des peines de prison, cinquante exécutées à l’issue de procès politiques.
 de 1979 à 1983, les prix sont multipliés par 12, les salaires par 8 seulement. La baisse des salaires réels est très forte dans les années 1980.
 janvier 1980, plan gouvernemental soi-disant « contre l’inflation » : restriction du crédit, diminution des investissements publics, blocage des salaires.
 février 1980, le complexe agro-industriel d’Izmir licencie des militants actifs et provoque la mobilisation des travailleurs, qui occupent les locaux. C’est l’intervention de l’armée, de l’extrême droite qui agit en force supplétive du pouvoir d’État et des patrons, en pratiquant l’assassinat de syndicalistes et de militants d’extrême gauche.
 de janvier à septembre 1980, 2 000 personnes sont ainsi assassinées.
 12 septembre 1980, coup d’État du général Evren. Les organosations syndicales et politiques sont interdites pendant trois ans. Les militants sont arrêtés et emprisonnés. En deux ans, des centaines de milliers de personnes furent arrêtées et plus de 98000 jugées, 21700 condamnées à des peines de prison, cinquante exécutées à l’issue de procès politiques. La constitution promulguée par les militaires en 1982 instaura un système électoral éliminant tout parti qui n’obtient pas 10% des voix à l’échelle nationale. Sur le plan social, elle soumit le droit de grève à toute une série de procédures pour le limiter, accroissant du même coup le caractère bureaucratique des syndicats
 1983, la langue kurde est interdite jusque dans les discussions privées.
 1986-1987 : reprise des grèves ouvrières
 printemps 1989, vague de grèves et de manifestations, avec une grosse mobilisation des travailleurs du secteur public, notamment ceux des chantiers navals.
 en 1990-1991, une seconde vague de grève, en, particulier dans les mines, contraint les patrons à céder des augmentations allant de 150 à 250 %
 1994, la crise économique plonge à nouveau les salaires vers le bas.
 1998, les métallurgistes de Renault et Tofas (filiale de Fiat) entrent en lutte aussi bien contre leur patron que contre le syndicat Metal-Is, filiale de Türk-Is (la plus importante confédération) qui a accepté une augmentation des salaires de 43 %, alors que l’inflation annuelle est de l’ordre de 100 %.
 1999, contre le recul de l’âge de la retraite et la baisse du pouvoir d’achat, des manifestations qui regroupent des centaines de milliers de travailleurs.
 février 2001, crise économique et dévaluation de la livre.

Extraits d’un rapport du DHKP-C :

« Après les années 50, la classe ouvrière a commencé à se développer à la suite de l’approfondissement des relations néocolonialistes, du mode de production capitaliste et de l’exode rural.

Avec le développement rapide de l’industrie de la construction après 1963, des changements se sont avérés possibles dans la structure démocratique de la Turquie. Même s’ils étaient spontanés au départ, ils étaient l’amorce d’un caractère de classe.

L’occupation par les travailleurs de l’usine d’allumettes de Kavel en 1963 joue un rôle important dans l’histoire de la classe ouvrière turque. A travers cette lutte de résistance, les ouvriers ont obtenu le droit légal de faire grève.

En 1968, occupation de l’usine de pneus Derby ; en 1969, de la compagnie Singer, de l’Alkpagut tar et, la même année, de l’usine de produits d’entretien Demirdokum ; en 1970 de la compagnie Sungurlu Steel, de l’usine de savon Citi, de l’usine textile Kilimsan ; en 1976, résistance et occupation de la fabrique de produits d’entretien Profilo.. Ces occupations de compagnies et d’usines étaient des luttes pour devenir membre du Disk (Confédération syndicale des ouvriers révolutionnaires) fondé le 13 février 1967.

Les 15 et 16 juin 1970 : la première réaction de classe de la classe ouvrière turque
La lutte de résistance la plus importante dans l’histoire de la classe ouvrière en Turquie est celle des 15 et 16 juin 1970. Pour empêcher le renforcement du DISK et mettre fin au développement de l’opposition ouvrière, pour mettre en garde une classe ouvrière qui échappait à son contrôle, la classe au pouvoir a voulu modifier les lois de la grève et les conventions collectives. Ces changements avaient été préparés par le Parlement. Pour la première fois, la classe ouvrière turque a eu une réaction de classe et a entamé une grande résistance.

Le rôle des syndicats réformistes et jaunes, qui voulaient empêcher la résistance des 15 et 16 juin, a été important dans tout le pays. Le dirigeant du DISK, Kemal Turkler, voulant que les ouvriers retournent à leur travail, a désigné les jeunes révolutionnaires comme des provocateurs pour arrêter les ouvriers. Dans cette lutte, les classes au pouvoir ainsi que les réformistes et les négociateurs ont tout fait pour détourner la lutte des ouvriers de la lutte révolutionnaire.

Une des cibles du gouvernement nationaliste de front était TARIS et ses travailleurs. TARIS était une usine de transformation de produits agricoles dont les dirigeants étaient élus parmi les propriétaires. Pendant cette période, elle était principalement entre les mains des forces démocratiques. Le 22 janvier 1980, elle a été occupée par les forces armées sous prétexte d’une perquisition. En réaction, les travailleurs ont occupé l’entreprise. A Izmir, la population du bidonville autour des entreprises, soutenue en cela par les étudiants et les familles des travailleurs, a entamé une résistance acharnée.

Mais la résistance a été détruite par les efforts de la direction du DISK. Avec la prise du pouvoir par la junte le 12 septembre 1980, une nouvelle guerre a débuté contre le peuple. Les classes dirigeantes ont jeté en prison toutes les forces révolutionnaires et démocratiques du peuple travailleur pour arrêter la lutte révolutionnaire et se sauver eux-mêmes de la crise. En interdisant toutes les institutions démocratiques, le DISK et tous syndicats dépendants et révolutionnaires, la junte a tenté de créer un être humain d’un type uniforme. Dans l’intérêt de l’impérialisme et de ses collaborateurs, il fallait que le peuple se soumette. Tous les droits et libertés du peuple ont été bafouées. Dans les conventions collectives, on expliquait que les hauts salaires nuisent à l’économie du pays, et les salaires ont été gelés. Les grèves ont été interdites. Des milliers de travailleurs qui étaient en grève ont été contraints de retourner à leur travail. Leurs dirigeants ont été arrêtés et emprisonnés.

Après le 12 septembre, ce sont les révolutionnaires qui ont été arrêtés les premiers et jetés en prison. Les classes dirigeantes et les généraux ont lancé de grands cris de victoire. Mais la résistance des prisonniers de Devrimci Sol a donné le signal de ne pas se soumettre. Cette perspective idéologique et la force de la résistance se sont reflétées en dehors des prisons.

En 1984, avec la nouvelle loi sur les prisons, la plupart des travailleurs n’avaient pas d’autre choix que de rejoindre le syndicat d’Etat Turk-Is à cause des entraves à la formation de nouveaux syndicats. A ce moment, les révolutionnaires ont à nouveau pénétré le terrain syndical avec de petites institutions indépendantes. Ils ont tenté de créer une alternative révolutionnaire à Turk-Is. Mais les syndicats mis en place pendant cette période n’ont pas pu acquérir la forme d’associations et n’ont pas pu développer une force pour utiliser les conventions collectives d’une manière utile. Pendant la même période, les opportunistes, révisionnistes et réformistes n’ont pas réussi à démontrer qu’ils étaient une force effective en tentant de changer la direction de Turk-Is sous le slogan d’une lutte unie au sein de Turk-Is.

Après le coup d’Etat du 12 septembre 1980, l’extrême gauche participe à l’organisation de la grève chez Migros, contre le Sabanci and Koc Holding, le plus grand holding de Turquie. Elle a joué un rôle important pour surmonter le silence de la classe ouvrière, la répression arbitraire après le 12 septembre et pour déjouer les lois répressives.

Des comités de travailleurs ont été créés durant la campagne contre les attaques impérialistes menées contre les peuples du Moyen-Orient. Durant cette campagne, les travailleurs ont organisé des manifestations de masse.

La grève générale du 3 janvier 1991

La grève générale du 3 janvier 1991 a été une nouvelle victoire dans la lutte de classe. En faisant usage de sa force de production, la classe ouvrière a condamné le Turk-Is qui soutenait la junte et la constitution fasciste de la junte. Le 3 janvier 1991, le DHKP-C et le Mouvement Révolutionnaire des Travailleurs ont appelé les travailleurs, les fonctionnaires, les étudiants, les petits commerçants, le peuple entier à participer à une grève générale.
Le 3 janvier, des manifestations de masse et des meetings ont été organisés. Les petits commerçants ont fermé leurs boutiques. Les femmes sont descendues dans la rue. 95% des fonctionnaires des communes ont participé ainsi que 100% des syndicats dans lesquels le Mouvement Révolutionnaire des Travailleurs est organisé.

La résistance de Maga Deri

Du 25 février au 29 mai 1991, les travailleurs de l’entreprise Maga Deri ont décidé de faire grève pour leurs salaires et pour leurs droits sociaux. Mais le gouvernement a décidé de dissoudre la grève en l’interdisant pour une décennie. Le propriétaire de l’entreprise Maga Deri, Ali Sen, a viré 535 travailleurs.

Le 25 février, les travailleurs ont occupé l’entreprise. L’occupation a duré 75 jours. Pendant la résistance, Devrimci Sol a détruit l’hélicoptère d’Ali Sen. Conscient des dimensions de la résistance, Ali Sen a rencontré les revendications des travailleurs et a signé un contrat avec le syndicat. Alors que beaucoup d’autres actes de résistance et de grève dans d’autres entreprises n’obtiennent pas de résultats positifs, les travailleurs de Maga Deri ont obtenu la victoire en résistant et en recourant à la violence révolutionnaire.

Le DHKP-C et le Devrimci Memur Harekti (Mouvement Révolutionnaire des Fonctionnaires)

Le DHKP-C a organisé le Mouvement Révolutionnaire des Fonctionnaires. Les fonctionnaires, qui n’avaient pas le droit de s’unir dans des syndicats, ont formé
le Syndicat des fonctionnaires révolutionnaires et se sont mis en grève. Ils se sont battus pour une loi syndicale. Ils ont rejeté la loi proposée par l’Etat et qui ne prévoyait pas le droit de grève et de conventions collectives.

Le soutien à la lutte dans les prisons

Les unions du Mouvement Révolutionnaire des Travailleurs et du Mouvement Révolutionnaire des Fonctionnaires ont soutenu la grève de la faim au finish des prisonniers révolutionnaires en 1996. Dans les usines où ils sont organisés, ils ont mené des actions qui ont conduit à des arrêts de travail. En offrant douze martyrs à la génération des prisonniers révolutionnaires, ils ont écrit une page d’histoire. Ils ont fait plier l’oligarchie et la victoire est revenue aux prisonniers. Vingt syndicalistes ont participé à cette grève de la faim. »

Mai 1968 dans le monde : une déferlante commune, au-delà des spécificités nationales par Gustave Massiah

Mai 68 combine une internationale étudiante intempestive qui sert de détonateur, en fonction des situations, aux luttes sociales et politiques et un mouvement ouvrier, qui occupe toujours une place stratégique, et qui dans sa jonction avec les luttes étudiantes va donner son sens aux événements. En outre se joue un renouvellement de la pensée du monde et de ses représentations. Ces évolutions infléchissent enfin la recomposition géopolitique du monde... Plusieurs parties de cet exposé (pages 1 à 4 et 10 à 12) ont été rédigées pour l’introduction du Dictionnaire de mai 68, dirigé par Jacques Capdevielle et Henri Rey, (Paris, Larousse, mars 2008)

MAI 1968 DANS LE MONDE : UNE DEFERLANTE COMMUNE, AU DELA DES SPECIFICITES NATIONALES

Mai 68 en France a été l’épicentre d’une période révolutionnaire qui a été largement mondiale. Comme tout évènement, il s’inscrit dans plusieurs temporalités ; son irruption n’est pas exactement prévisible et ouvre de nouveaux possibles. La période de 1965 à 1973 a été celle des grands bouleversements. Elle s’inscrit dans une période plus longue qui va du début des années soixante, marquées par la décolonisation, au début des années quatre-vingt avec le triomphe du néolibéralisme qui ouvre une nouvelle phase de la mondialisation. Cet événement amène à relire la période précédente, il réordonne les faits et leurs interprétations, donne un sens aux évolutions et en révèle la charge subversive.

Deux évolutions, inscrites dans la durée, se nouent en Mai 68. D’abord, un mouvement social et sociétal d’une exceptionnelle ampleur. Ce mouvement combine une internationale étudiante intempestive qui sert de détonateur, en fonction des situations, aux luttes sociales et politiques et un mouvement ouvrier, qui occupe toujours une place stratégique, et qui dans sa jonction avec les luttes étudiantes va donner son sens aux événements. Ensuite, un renouvellement de la pensée du monde et de ses représentations. Ce renouvellement entremêle de nouveaux et puissants courants d’idées ; il donne naissance à un intense bouillonnement artistique et culturel. Ces évolutions infléchissent la recomposition géopolitique du monde qui accompagne la fin de la détente. Elle s’organise autour des soubresauts de la décolonisation, de la crise de l’empire soviétique et de la construction du nouveau bloc dominant composé des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon.

Mai 1968 en France n’a pas éclaté par surprise dans un ciel serein. Dès avant le Mai français, des universités sont occupées dans de nombreux pays. De même, les débats et le renouvellement de la pensée sont engagés depuis 1960. C’est la forme de la convergence avec les luttes ouvrières qui va marquer le caractère emblématique de la situation française qui ne sera comparable de ce point de vue qu’au « mai rampant » italien. Dans cet exposé, le mouvement en France ne sera abordé que par référence au mouvement international.

Une internationale étudiante impétueuse chemine sur la scène mondiale. Dès 1960 un mouvement étudiant, forme explicite d’un plus large mouvement de la jeunesse, émerge dans plusieurs régions et met en avant plusieurs questions nouvelles. Les guerres coloniales travaillent ces mouvements et les radicalisent. Elles agitent les pays engagés dans des interventions qui font appel à la conscription avec des jeunes qui passent plusieurs années dans l’armée. En France avec la guerre d’Algérie (de 1954 à 1962), aux Etats-Unis avec la guerre du Vietnam (des premiers raids aériens en 1965 à la chute de Saigon en 1975), au Portugal avec les colonies portugaises (jusqu’à la « révolution des œillets » en 1974). Dans chacun de ces pays, les mouvements contre la guerre sont soutenus par de larges fractions de la jeunesse et reconstruisent des liens intergénérationnels. Dans de très nombreux autres pays, la solidarité avec les mouvements contre la guerre contribue à étendre un mouvement international étudiant. Ces mouvements partent de la compréhension de ce que représente le mouvement historique de la décolonisation. Ils se radicalisent dans l’affrontement avec les forces de l’ordre, dont l’intervention durcit les contradictions entre les institutions universitaires et les autorités politiques. Ces mouvements portent aussi une critique de plus en plus forte de l’évolution des sociétés caractérisées comme coloniales, autoritaires, hiérarchisées et moralisatrices.

Le mouvement étudiant se bat pour sa reconnaissance, son indépendance et ses orientations. Il couvre l’Europe et les Etats-Unis Par exemple, en France, dès 1962, l’UNEF cherche un second souffle, dans le refus de la sélection et la défense de la condition étudiante, après la radicalisation exceptionnelle de l’engagement pour la paix en Algérie. A partir de 1965, l’agitation étudiante allemande s’étend de Berlin à toute la RFA, dénonçant les interdictions de rassemblement et la limitation du temps des études. En 1965, a lieu à Madrid la marche silencieuse contre le contrôle gouvernemental des élections du syndicat étudiant officiel. En 1966, en Grande-Bretagne, a lieu la création de la Radical Student Alliance contre la direction jugée réformiste du syndicat étudiant. En décembre 1967, les manifestations étudiantes contre la fermeture de la faculté de sciences économiques de Madrid s’étendent à Barcelone, Salamanque et au reste de l’Espagne. De puissantes manifestations ont lieu à Londres et l’Université de Leicester est occupée en février 1968, mettant en question les formes de représentation des étudiants. En mars 1968, la fermeture de l’Université de Séville entraîne une agitation à Madrid, Saragosse et même à l’Université de l’Opus dei de Navarre à Bilbao. En avril, quatre jours d’émeute à Madrid, sont suivis par Séville, Bilbao et Alicante. Les barricades dans Madrid forcent le gouvernement espagnol à annoncer des réformes.

Les manifestations contre la guerre au Vietnam durcissent et unifient les mouvements étudiants. Elles mettent directement en cause les autorités américaines, aux Etats-Unis, puis en Europe, au Japon, et dans le reste du monde. A l’automne 1964, le Free Speech Movement à Berkeley va être à l’origine du Vietnam Day Commitee. Début 1965 commencent les premiers autodafés de livrets militaires aux Etats-Unis et les premières manifestations sur Washington organisées par le SDS (Students for a Democratic Society) créé en 1962. En été 1965, les premiers « teach in » sont tenus à Oxford et à la « London School of Economics » et à l’été 1966, Bertrand Russell lance le Tribunal sur le Vietnam qui se réunit en mai 1967 à Stockholm en séance plénière. En 1966 ont lieu les premières grandes manifestations à Berlin. En octobre 1967, à Washington, les membres du syndicat étudiant, le SDS, forcent les barrages autour du Pentagone. Malgré les fleurs plantées par les hippies dans les canons des fusils de soldats, les militaires dispersent violemment les manifestants. En janvier 1968, les étudiants japonais à l’appel de la Zengakuren, manifestent contre l’escale de l’US Entreprise, 300 manifestants sont arrêtés. En février 1968, les manifestations anti-américaines se déroulent dans plus de dix villes de RFA. En mars 1968, à Rome et à Londres, les marches sur l’Ambassade des Etats-Unis entraînent des heurts violents avec la police. Les lycéens manifestent massivement à Tokyo. En Espagne, les étudiants manifestent pour la paix au Vietnam et contre les bases militaires. En avril 1968, l’occupation de l’Université Columbia à New York élargit l’espace des confrontations.

Les mouvements étudiants servent de détonateurs, en fonction des situations, aux luttes politiques et sociales. Les mouvements étudiants s’engagent dans une réflexion active et mouvementée qui les amène d’une contestation des institutions universitaires et de leur rôle à une prise en charge d’une critique radicale de l’évolution des sociétés. Dans plusieurs cas avant 1968, les mouvements étudiants sont en prise directe sur les situations politiques et enclenchent les réactions en chaîne qui vont ébranler les pouvoirs sous leurs différentes formes. C’est le cas à Prague, à Varsovie et à Belgrade, avec la remise en cause du système soviétique. C’est le cas à Madrid, comme à Athènes ou à Lisbonne, avec la remise en cause des régimes dictatoriaux européens. C’est le cas à Mexico et dans de très nombreux pays avec la mise en évidence des relations entre les situations sociales et les subordinations géopolitiques. C’est le cas aux Etats-Unis avec la convergence entre le mouvement étudiant et le mouvement contre les discriminations et le racisme. C’est le cas de la jonction entre les mouvements étudiants et les luttes ouvrières particulièrement en Italie et en France, et à un degré moindre en Espagne. Après 1968, dans de très nombreux pays vont se développer des mouvements qui, à partir des situations spécifiques, vont s’élargir aux différentes questions qui deviennent explicites en 1968 : la primauté des luttes sociales et la remise en question des rapports de pouvoir et de domination.

Les mouvements étudiants se radicalisent et abordent de front les questions politiques. En 1962, aux Etats-Unis, la déclaration du SDS porte sur le malaise générationnel, les pays du Sud, la guerre froide et la bombe. En 1965, la FUNY (Free University of New York) est créée. Les heurts avec la police accompagnent les protestations d’étudiants africains et allemands à Berlin Ouest, contre un film accusé de racisme. De 1965 à 1967, les provos vont libérer l’imagination à Amsterdam et explorer les multiples pistes écologiques, féministes, libertaires, solidaires. En 1966, a lieu le premier séminaire d’étudiants entre l’Association des étudiants allemands (AstA) et la FGEL (Fédération Générale des Etudiants en Lettres) de France. En juillet 1967, AstA rend publique, en présence d’Herbert Marcuse, une « nomenclature provisoire des séminaires de l’Université critique ». En novembre 1967 est créée l’Anti-Université à Londres. Après les manifestations violentes à Shinijuku, Tokyo, les grandes compagnies japonaises annoncent qu’aucun des étudiants arrêtés ne sera embauché. En novembre 1967, en Italie, l’occupation des universités de Trente et de Turin, s’étend à d’autres villes. En mars 1968, dans l’occupation des facultés des Beaux-Arts, les Gardes rouges de Turin exigent l’élection des professeurs.

De manière dramatique, les évènements aux Etats-Unis vont continuellement servir de référence à l’agitation internationale. Dès août 1965, les émeutes éclatent dans le quartier de Watts à Los Angeles. En octobre 66, la création des Black Panthers à Oakland ouvre une phase de révolte frontale. Les dirigeants des Black Panthers sont arrêtés en janvier 1968 à San Francisco. L’assassinat de Martin Luther King le 5 avril 1968 stupéfie le monde entier ; il est suivi d’émeutes dans cent-dix villes américaines avec des milliers de blessés et des dizaines de morts. Le 13 mai 1968 est marqué par l’arrivée de la marche des pauvres à Washington.

La remise en cause, concomitante, du système soviétique dans ses périphéries européennes, va accentuer le caractère universel de la contestation. Octobre 1967 est marqué par une manifestation étudiante spontanée à Prague. En janvier 1968, à Varsovie, 50 étudiants sont arrêtés et Adam Michnik est exclu de l’université pour avoir manifesté contre l’interdiction d’une pièce jugée antisoviétique. En mars, les manifestations d’étudiants à Varsovie s’étendent. Les universités polonaises se mettent en grève et les heurts violents avec la police s’étendent à Cracovie et Posnan. L’occupation de l’Ecole Polytechnique de Varsovie souligne la centralité du mouvement. En juin 1968, à Belgrade, l’occupation des facultés de philosophie et de sociologie proclame : « Nous en avons assez de la bourgeoisie rouge ». C’est en Tchécoslovaquie que le mouvement prendra toute son ampleur. En mars 1968, une assemblée de 20 000 jeunes approuve le manifeste de la jeunesse pragoise. Un article de Vaclav Havel « Au sujet de l’opposition », en avril, en souligne la signification. A Prague, le 1er mai, un immense cortège marque le soutien à Alexandre Dubcek et au secrétariat du parti. Le 20 août 1968, c’est l’invasion de la Tchécoslovaquie ; les chars soviétiques imposent la normalisation. L’ébranlement du printemps de Prague et ses revendications démocratiques fissurent en profondeur le bloc soviétique.

En avril et mai 1968, le mouvement va s’accélérer en Europe de l’Ouest, s’étendre et s’approfondir. Les occupations des universités sont nombreuses et virulentes. En avril 1968, Rudi Dutschke, dirigeant du SDS allemand est blessé dans un attentat ; l’élargissement du mouvement englobe les lycéens et les jeunes travailleurs. Des heurts violents ont lieu à Berlin Ouest, Hambourg, Munich, Hanovre. En Italie, l’agitation s’étend à Pise, Milan, Florence, Rome, Naples, Venise, Catane, Palerme et Trente. Les évènements en France à partir du 13 mai 1968 vont doper le mouvement international. Le 29 mai 1968, à Rome, les barricades sont construites avec des voitures renversées. Le rectorat est occupé à Bruxelles. Les occupations se multiplient en Grande Bretagne en novembre. Le 24 janvier 1969 à Madrid la crise universitaire conduit à la proclamation de l’état d’urgence.

Le théâtre européen n’est pas le seul en cause. Le Mexique va occuper une place importante. En juillet 1968, à Mexico, alors que se préparent les jeux olympiques, une manifestation favorable à Cuba, organisée par les étudiants, est violemment réprimée. En août, 300 000 manifestants défilent à Mexico. En septembre, 3 000 personnes sont arrêtées et la police occupe la Cité Universitaire et l’Université Autonome. Des barrages sont érigés à Tlateloco, sur la place des Trois-Cultures, avec la solidarité de la population. Le 2 octobre, les chars donnent l’assaut, les morts se comptent par dizaines. Un appel à boycotter les jeux olympiques, avec l’appui de Bertrand Russell, est largement relayé.

Dans de très nombreux pays, les affrontements se multiplient. En Egypte, les manifestations en avril et mai 1968, centrées sur la Palestine, vont se prolonger dans le mouvement étudiant de 1972 qui va interpeller la politique de Sadate. Les manifestations étudiantes prennent de l’ampleur au Pakistan. A Alger, les étudiants vont amener l’infléchissement de la politique de Boumediene. Au Sénégal, les manifestations étudiantes sont vives dès 1968. Omar Blondin Diop, un des fondateurs du mouvement du 22 mars en France, sera assassiné en 1973, à Dakar, dans sa cellule.

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